Le roman
initiatique inachevé de Chrétien de Troyes

Le Normand Robert Wayce, ou Wace, a donc traduit en vers
français l’antique épopée galloise arthurienne. Sous sa plume,
Arthur devint un valeureux combattant conquérant l’Irlande
puis le Danemark et la Norvège, et même Paris. Son épée
magique exterminait les géants et les monstres. Arthur tenait sa
cour ordinaire en son château de Camelot où l’on trouvait la
Table Ronde de nulle préséance. D’autres auteurs gallois ont
écrit en prose, faisant d’Uther Pendragon un personnage
mythique dont le bouclier était un arc en ciel. Le
prestige du Père magnifiait le fils. Puis, au 12e
siècle, des poètes armoricains comme Marie de France ont
popularisé les lais bretons, des œuvres littéraires
extrêmement soignées, écrites en vers. Elles étaient destinées aux
conteurs qui les enjolivaient à plaisir. Parmi les thèmes,
on trouvait souvent Tristan et Iseult et les exploits d’Arthur, mais
aussi beaucoup d’autres aventures moins connues. Dans la
matière de Bretagne initiale, la Table Ronde est surtout la
table ouverte du Roi, la merveilleuse table des festins
offerts et partagés
entre nobles et pairs. Plus tard, elle deviendra une Table
nourricière et mystique, réservée aux élus les plus
purs, image symbolique du Monde, illuminée par la lumière
du Graal qui rayonne en son centre. |
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Né en Champagne vers 1135,
Chrétien de Troyes écrivit en français d'époque divers romans basés sur les
thèmes traditionnels. On peut citer Guillaume d’Angleterre, Érec
et Énéide, Cligés ou la Fausse Morte, Yvain le Chevalier au lion,
Lancelot le Chevalier à la charrette, qui sont des romans d’aventures.
Un Tristan, (le premier en français), a été perdu. Ensuite, peut
être devenu prêtre, l’écrivain commença un récit d’aventure
mystique, le célèbre Perceval, dans lequel apparaît enfin le Graal.
Chrétien de Troyes fréquentait les cours de Champagne et de Flandres
plutôt que la célèbre cour d’Aliénor d’Aquitaine. Il y exprimait toute la
perfection de son art de l’écriture lorsqu’il mourut vers 1190,
laissant deux œuvres inachevées, Lancelot et, hélas, Perceval. Les
romans de Chrétien ne devaient pas être contés mais lus à voix
haute devant une assistance, comme cela se pratiquait
habituellement à l’époque.
Pour soutenir l’attention des auditeurs, Chrétien associait donc
avec beaucoup de soin la richesse de l’ornement, la forme
narrative et le rythme de la diction. Sa façon littéraire achevée
est caractérisée par la fantaisie des descriptions, la dynamique
des dialogues et l’expression poétique des vers octosyllabiques,
hélas intraduisibles en français moderne.
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Au début de
l’histoire, le personnage Perceval est un jeune homme très naïf,
presque idiot qui ne connaît même pas son nom. Il habite avec sa
mère qui l’élève à l’abri des tentations. Dans la forêt, il
rencontre un jour des chevaliers du roi Arthur et veut le devenir.
Il quitte sa mère, la voit tomber à terre mais ne revient pas en
arrière. Il parvient sans encombre à la cour du roi Arthur qui
vient d’être bafoué par un inconnu. Il y pénètre à cheval, défie le
félon, le tue, prend ses armes et son cheval, puis quitte le
château. Perceval rencontre Gornemant de Goort, (un prud’homme,
un preux), qui lui apprend l’art du combat et l’arme
chevalier. Il est reçu dans le château de Blanchefleur qui le
prie de combattre ses ennemis et l’initie aux choses de l’amour.
Après avoir vaincu Clamadeu, Perceval envoie ses prisonniers au
roi Arthur. Poursuivant son errance, il rencontre le Roi Pêcheur,
un infirme qui l’invite en son château. Perceval ne s’en étonne
point, et non plus quand ce roi lui remet une épée extraordinaire.
Et il ne pose aucune question devant le défilé fantastique du
cortège du Graal. Il s’endort mais le lendemain, le château est
vide. Par manque de questions, Perceval a manqué le Graal et le
roi n’a pas été guéri. Ayant perdu sa mère, Perceval devra
reprendre sa quête.
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Autre superbe dialogue amoureux
trouvé dans le "lai breton",
Yvain, le Chevalier au lion.
Dans ce roman arthurien, de Chrétien de Troyes,
le Graal n'est jamais évoqué.
Ici, les interlocuteurs sont Yvain et la Dame de Landuc
- En ce vouloir m’a mon cœur mis.
- Et qui le cœur, beau doux ami ?
- Dame, mes yeux - Et les yeux, qui ?
- La grand beauté qu’en vous je vis.
Dialogue
entre Yvain et Laudine |
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C’est dans ce roman de Chrétien de Troyes que le Graal apparaît pour la
première fois. « Tandis qu’ils causent à loisir, paraît un valet
qui sort d’une chambre voisine, tenant par le milieu de la hampe
une lance éclatante de blancheur. Entre le feu et le lit où
siègent les causeurs, il passe. Et tous voient la lance et le fer
dans leur blancheur. Une goutte de sang perlait à la pointe du fer
de la lance et coulait jusqu’à la main du valet qui la portait.
Alors viennent deux autres valets, deux fort beaux hommes, chacun
en sa main un lustre d’or niellé. Dans chaque lustre brûlaient dix
cierges pour le moins. Puis apparaissait un graal que tenait
entre ses deux mains une belle et gente demoiselle, noblement
parée, qui suivait les valets. Quand elle fut entrée avec le
graal, une si grande clarté s’épandit dans la salle que les
cierges pâlirent comme les étoiles ou la lune quand le soleil se
lève. Après cette demoiselle en venait une autre, portant un
tailloir d’argent. Le graal qui allait devant était de l’or le
plus pur. Des pierres précieuses y étaient serties, des plus
riches et des plus variées qui soient en terre ou en mer, et nulle
gemme ne pourrait se comparer à celles du graal. Tout ainsi que
passa la lance devant le lit, passèrent les demoiselles pour
disparaître dans une autre chambre. »
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Chaudron rituel celtique
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Perceval revient près d’Arthur et se mure
dans une méditation étrange. Et le roi se tourne donc vers
son neveu préféré, le chevalier Gauvain (Gwalchmai) qu’il
envoie à la recherche du Graal. Pendant que Gauvain se
prépare à partir, une hideuse demoiselle, montée sur une
mule, apparaît. Messagère du Graal, elle insulte Perceval
qui l’a manqué, le sort de sa torpeur et tente de lui donner
une autre mission, celle de délivrer la prisonnière du
Château Orgueilleux. Perceval continuera à rechercher le
Graal tandis que les autres chevaliers vont chercher le
château. Il y a deux quêtes différentes mais parallèles,
deux voies et deux méthodes de recherche. Chrétien de Troyes
en décrit complaisamment les merveilleuses péripéties
impliquant des lieux et des personnages divers, et c’est
plutôt à Gauvain qu’il s’attache. Il est inutile de
poursuivre plus avant cette étude, car Chrétien interrompt le
récit à ce niveau et nous ne savons pas ce qu’il imaginait
de la nature et du rôle du Graal. Seule la lance sanglante
semble évoquer une vengeance celtique rituelle. Chrétien
était-il mort ? On constate que ses deux continuateurs ont
aussi, et successivement, arrêté la suite du conte avant la
fin. C’était probablement une simple gageure ou un jeu
d’artistes |
Tournoi au temps de l'amour courtois

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