Arts et Sciences, Hommes et Dieux - ( Mise à jour de juillet 2017 ) |
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Petit Manuel d’Humanité | ||||||||||||||||
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La
Vie, parce quelle est montée de conscience, (P.Teilhard de Chardin - Hymne de lUnivers). De
royaume en royaume, lHomme a progressé |
Or donc, lorsque son temps fut venu, lHomme occupa la Terre. Quatre ou cinq millions dannées, à lhorloge des temps géologiques, cest extrêmement récent, mais à notre mesure biologique humaine cela se situe dans un passé très lointain. Nous allons nous pencher un moment sur ce qui sest probablement produit depuis cet avènement, mais dans cette démarche nous allons progresser avec une certaine prudence. Au fur et à mesure que lhomme sintellectualise, il utilise, dans sa démarche raisonnable, des représentations mentales quil place dans un large environnement de concepts complexes et synthétiques. Elles sont des recréations intérieures artificielles imagées, effectuées à partir de lexpérimentation qui a été faite du Monde. Au fur et à mesure que létendue de celle-ci saccroît, les hypothèses se précisent et se modifient. Puisque le cerveau est une très petite partie du Monde, la connaissance quil construit nest jamais complète ni définitive. Lorsque cette reconstruction est effectuée avec des matériaux incertains, récupérés sans examen attentif, assemblés dans une imagerie simpliste, conformiste, ou banale, elle peut être dommageable. Nous devons toujours nous efforcer de vérifier soigneusement la cohérence des données que nous utilisons. Cest finalement par rapport à cela que chacun de nous règle son comportement, prend ses décisions, et bâtit sa vie. Il est donc tout à fait utile de répéter ici que les perspectives scientifiques que nous exposons sont des théories actuelles et provisoires. Rappelons-nous que Stephen W. Hawking, lun des plus grands cosmologistes actuels, définit régulièrement ce que sont les hypothèses scientifiques, au fil des pages de ses ouvrages. " Nous devons bien comprendre ce quest une théorie scientifique. Dans une telle théorie, lopinion banale voit un modèle représentatif de lunivers, ou celui dune partie limitée de lunivers, associé à un ensemble de règles mettant en relation des quantités issues à la fois de ce modèle imagé et des observations expérimentales. Cela est une opinion bien naïve. La théorie nexiste que dans notre esprit et ne peut avoir dautre réalité, quelle quen soit la signification. Les théories physiques sont toujours provisoires. Elles ne sont que des hypothèses. Personne ne pourra jamais prouver une théorie physique, parce que personne ne pourra jamais être certain que la prochaine observation, quel qu'en soit le nombre déjà effectué, ne mettra pas cette théorie en échec ". Voyons aussi ce que nous en dit J. Krisnamurti, ce grand visionnaire spiritualiste auquel je fais référence de temps en temps. Psychologiquement, intérieurement, si ardent que soit notre désir, il nest point de certitude, point de permanence, pas plus dans notre relation avec autrui que dans nos croyances ou les dieux de notre cerveau. Le désir intense de certitude, dune certaine permanence, et le fait que celle-ci nexiste absolument pas, telle est lessence du conflit, lillusion face à la réalité. Il est infiniment plus important de comprendre notre pouvoir de créer lillusion que de comprendre la réalité. ( Le 2/9/1961 - Gstaad. Suisse ). Observateur attentif, Krisnamurti conte aussi cette anecdote quil estime remarquable. Une fillette hindoue joue en sappuyant sur un bâton. Elle arrive au bord du fleuve, regarde un instant leau, et lance son bâton par-dessus la berge. Puis elle sadosse à un arbre et contemple le courant. Ce fleuve, dit-il, cest linconnu. Le passé et tout ce que nous savons doit être abandonné comme cette fillette lance son bâton par-dessus la berge. (Le 9/1/1962 - Delhi. Inde) Venons-en au sujet de ce chapitre qui raconte lhistoire des débuts de lHomme. Il est maintenant généralement admis quil nest pas trop audacieux dimaginer que lévolution de lespèce humaine prend son origine à lépoque tertiaire. Elle semble ensuite sêtre poursuivie à notre époque quaternaire, cest à dire pendant les huit ou neuf cent mille ans qui nous séparent du début de cette période. Dans les derniers temps de lère tertiaire, le climat était chaud et humide, et il lest resté tout au début du quaternaire. Dans nos régions européennes tempérées, la flore luxuriante revêtait des caractères subtropicaux assez analogues à ce que lon observe de nos jours dans la Californie, lAbyssinie, le Brésil ou lAustralie. A coté des ancêtres des espèces provençales à feuilles coriaces, on rencontrait alors en Europe des plantes qui ont émigré depuis sous les tropiques et sont devenues exotiques. La végétation était exubérante. Des prairies herbeuses sétendaient sur les flancs élevés des montagnes. Les vastes plaines dAllemagne et de Pologne étaient recouvertes dimmenses lacs deau douce et de marécages, et ces régions ressemblaient fort à lestuaire actuel du Mississippi. Dans lhémisphère nord, cependant, un refroidissement général était amorcé. Il se traduisait par une relative et lente évolution de la flore, favorisant lapparition de nombreuses espèces plus proches de la végétation actuelle, et entraînant la régression des variétés subtropicales. Celle-ci était constatée par la raréfaction progressive des palmiers dans toute lEurope. Petit à petit les grandes forêts reculaient et faisaient de nouveau place à dimmenses prairies de graminées et de céréales. Les savanes sétendaient dans le monde entier, les forêts de conifères et les steppes réapparaissaient en Europe, en Asie, et en Amérique. La Méditerranée navait pas du tout laspect actuel. Elle était restée longtemps reliée au continent africain en plusieurs points. Puis une rupture se produisit qui donna naissance au détroit de Gibraltar et ouvrit le passage aux eaux de lOcéan. Un large pont de terre subsistait encore. Il réunissait lItalie, la Corse, la Sardaigne, et la Sicile, à la Tunisie. Une autre grande mer intérieure existait également à lest des Balkans, jusquaux basses vallées de la Volga et du Danube, débordant largement les zones dans lesquelles subsistent actuellement quelques-uns de ses vestiges. Ce sont la Mer Noire, la Caspienne, la Mer dAral, et la Mer dAzov. En Afrique, le Sahara humide et boisé, verdoyait. Le Japon et la Malaisie étaient reliés à lAsie. Seule lAustralie, jointe à la Nouvelle Guinée, formait un continent séparé. En France, cétait lépoque des grandes éruptions volcaniques du Cantal et du Mont Dore, gigantesques volcans dont les coulées de lave et de boue atteignaient parfois mille mètres dépaisseur, puis celles plus modérées de la chaîne des Puys et du Velay. Elles ne prendront fin quau cours du quaternaire. Les Iles Britanniques étaient encore reliées au continent. On voit combien la distribution des terres de ce Monde, dun passé bien proche, restait relativement confuse et différait localement de ce que nous connaissons aujourdhui. En raison des liaisons qui faisaient communiquer lEurope et lAfrique, la faune ressemblait à celle qui peuple actuellement les régions tropicales. On peut citer lÉléphant méridional, lÉléphant antique, le Rhinocéros étrusque, le grand Hippopotame, ainsi que le Mastodonte arverne. On y trouvait également la Panthère, le Lion des cavernes, lHyène, le Chacal, lOurs et le Tapir. De nombreux herbivores peuplaient la savane européenne tels que les Buffles, les Cochons et les Cerfs. En provenance dAmérique du Nord, et par une liaison américano-asiatique existant au niveau du détroit de Behring, divers équidés, proches des chevaux, se répandirent dans toute lEurope. Telle était la situation à la fin de lère Tertiaire, au Pliocène. Cest à cette époque et dans ce type denvironnement quon peut placer lessentiel de lévolution des débuts de lhumanité. On estime quelle avait alors déjà duré quatre millions dannées. Lorsque commença la nouvelle ère, le Quaternaire, il y a plus de six cent mille ans, au Pléistocène, lHomme archaïque, qui sétait largement répandu sur la planète, était déjà un homme mais ne nous ressemblait pas encore beaucoup. Le vieux mot " Quaternaire " sapplique à la phase la plus courte et la plus récente de lhistoire de la Terre. Elle est essentiellement caractérisée par lapparition de lHomme et par la succession de périodes glaciaires séparées par les intervalles interglaciaires. |
On parle donc de lÂge de la Glace. Ces événements climatiques importants ne sont pourtant pas exceptionnels, et on a pu montrer quils sétaient déjà produits antérieurement, des millions dannées plus tôt, au cours du Précambrien, du Permien, ou du Jurassique, pour ne citer que ces périodes géologiques. Lorigine du phénomène reste mal connue. Différentes hypothèses explicatives ont été proposées. Elles tentent de relier les valeurs dinsolation du Globe aux caractéristiques, périodiquement variables, de son orbite autour du Soleil. Au plan scientifique, la principale difficulté est analytique. De très nombreuses incertitudes demeurent quant au nombre des oscillations climatiques, et à leur importance, qui semblent différer selon les régions considérées. On distingue généralement quatre phases principales de glaciation, précédées et suivies de phénomènes de résonance. Elles ont été nommées glaciations de Günz, de Mindel, (ou de lElster), de Riss, (ou de la Saale), et de Würm, (ou de la Vistule). Ces quatre noms sont ceux daffluents du Danube. Ils ont été appliqués aux périodes glaciaires suite aux travaux de Penck et Brückner. Les premières nont pas eu dinfluences majeures, mais les deux dernières sont plus importantes, surtout celle de Würm. Quoique le phénomène ait été général, affectant les deux hémisphères, il a surtout été étudié en Europe. Les traces relatives à la série complète y ont été observées dans les Alpes bavaroises. Dans les pays nordiques on ne relève pas la première, et dans les Alpes françaises on ne trouve que les deux dernières. Létude des moraines et des terrasses marines et alluviales permet dévaluer les maxima atteints par les extensions des glaciers et les variations du niveau de la mer. La gigantesque calotte de glace recouvrait la Scandinavie, la Russie et la Pologne, la Mer du Nord, une partie de lAllemagne, les Iles Britanniques et la Hollande. Son épaisseur était de deux mille mètres pendant la glaciation de Riss. Le front sud du glacier traversait la Manche. En Amérique du Nord, la calotte glaciaire descendait plus bas que les Grands Lacs. La situation était analogue sur tous les massifs montagneux du Monde. Dans lhémisphère nord, 25 millions de Km2 étaient recouverts de glace. Celle-ci immobilisait une énorme quantité deau qui était soustraite au cycle dévaporation et de recyclage mondial. Le volume enlevé aux océans est évalué à 40 millions de Km3, entraînant une baisse denviron cent mètres du niveau général des mers. Bien évidemment, au début des périodes interglaciaires, la température moyenne sélevait. Lorsque les énormes glaciers fondaient, beaucoup deau revenait à létat liquide et le niveau des mers remontait. Il ne revenait cependant pas aux lignes des anciens rivages car les glaciers avaient érodé très fortement les massifs montagneux, y creusant des vallées profondes et accumulant dénormes masses de débris. La fonte rapide des glaces donnait naissance à des fleuves très puissants qui transportaient ces matières au loin, abaissant les montagnes, et remblayant les vallées avec les dépôts dalluvions connus sous le nom de terrasses. Ces phénomènes temporaires ont donc eu des conséquences durables. On constate actuellement des situations topographiques qui reflètent à la fois les fluctuations des niveaux marins et les variations dues aux soulèvements isostatiques causés par lallégement des masses continentales usées par lérosion. Ces basculements déquilibrage élèvent également les terrasses. Pour les plus anciennes, il peut atteindre une centaine de mètres. Un troisième facteur, le lœss, revêt une très grande importance dans la transformation du paysage et sa préparation à linstallation des hommes. Cest une accumulation de fines poussières calcaires friables, de couleur jaune clair, transportées par le vent. Son apparition est liée aux alternances dépisodes glaciaires et interglaciaires. Le lœss a recouvert les reliefs eurasiens sur dimmenses surfaces, du Nord de la France jusquà la Sibérie et la Chine Son épaisseur est surprenante, et varie de quelques dizaines à quelques centaines de mètres. Cest sur les immenses plaines à lss quont pu dabord sétablir les toundras, les steppes et les pairies, et beaucoup plus tard les campements de nomades, les élevages et les cultures des agriculteurs. Les premières glaciations nont pas provoqué de changements très importants dans les flores et faunes européennes et américaines Dans les périodes interglaciaires, le climat chaud se rétablissait permettant le retour des populations antérieures. Mais avec arrivée de la glaciation de Würm, la situation fut profondément modifiée. Un climat froid et sec sinstalla durablement. Une immense steppe glacée apparut. Les flores et les faunes anciennes reculèrent jusquaux régions tempérées plus méridionales. De nombreuses espèces antiques ne sont jamais revenues, telles lÉléphant, le Rhinocéros, et lHippopotame. Des animaux nouveaux sinstallèrent, venant des régions arctiques, Élan, Buf musqué, Bison, Saïga, Renne, Ours. Certaines espèces sadaptèrent, réussissant à survivre plus ou moins durablement, en se couvrant dépaisses fourrures, telles le Mammouth et divers rhinocérotidés. Une partie de la faune changea dhabitat et se réfugia dans les cavernes. On y trouve les traces dours, de lions, dhyènes, à coté de celles des hommes primitifs, nos ancêtres, qui ont du sorganiser pour survivre dans nos régions aux difficultés de ces temps. On ignore généralement que les lions, comme les ours, peuvent parfaitement vivre dans toutes les zones tempérées. Ils nen ont été éliminés que par la chasse. Enfin les glaciers se retirèrent et la mer revint de nouveau. Le climat général se réchauffa. Il ressembla progressivement à celui que nous avons aujourdhui. La forêt et la prairie réapparurent. Les faunes arctiques remontèrent au Nord ou disparurent, mais lhomme demeura. Bientôt, il saccrochera à la terre, fabriquera des outils, cultivera le sol, sélectionnera les semences, et domestiquera le bétail. |
L’Homme demeura. Depuis la fin de lère tertiaire, au Pliocène, puis au Pléistocène, et jusquau retrait des derniers glaciers quaternaires, que nous appelons lHolocène, les êtres qui ont précédé les hommes, et ceux-ci mêmes, ont occupé bien des régions, et ils y ont laissé des traces utilisables pour raconter leur histoire, qui est aussi la notre. Elles consistent en témoins de lindustrie humaine, outils, armes, dessins et peintures, ou en vestiges de leur existence biologique, tels les squelettes fossilisés. Pour des commodités détude et de raisonnement, on distingue généralement plusieurs périodes bien caractérisées dans le récit du déroulement de lévolution qui a conduit de la forme antique, indéniablement animale, jusquà léventail du rameau véritablement humain, de la paléontologie jusquaux temps préhistoriques, puis à lhistoire des hommes, reconnue, écrite ou représentée. Après la disparition des Dinosaures, à lépoque tertiaire, il y a 50 millions dannées, au début de lÉocène, un groupe animal portait déjà les caractéristiques morphologiques générales dont nous avons hérité. La trace la plus ancienne qui nous en soit parvenue est une dent minuscule dun lémuroïde découverte au Montana dans un terrain du Crétacé Supérieur. Dénommé Purgatorius Ceratops, cet animal aurait probablement été le contemporain des derniers dinosaures. Dans les terrains de lÉocène, en Europe comme en Amérique, on trouve des formes lémuriennes nombreuses et bien différenciées. Le groupe des lémuroïdes, qui est encore représenté de nos jours par différentes formes telles les Aïe-Aïe, avait alors commencé à éclater en différentes branches dont lune a abouti aux Primates. En vérité, le tronc commun dont sont issues les branches apparentées, Lémuriens, Aïe-Aïe, Tarsiers, Platyrrhiniens, et Catarrhiniens (dont sont issus les grands Anthropoïdes, les Gibbons et les Hommes), na pas été découvert et reste hypothétique. Le paléontologiste Elwyn Simons, daprès de très nombreuses exhumations de fossiles de singes faites au Fayoum, fait remonter les origines du groupe extrêmement loin dans le passé. Il montre que les ancêtres des singes vrais, il y a 30 millions dannées, navaient déjà que deux prémolaires comme les singes actuels. Leur schéma dorganisation différait donc du modèle humain. A partir de ce constat, il imagine un ancêtre possible des anthropoïdes, hypothétique Parapithécus, qui devait posséder trois molaires et trois prémolaires à chaque demi mâchoire. Ce précurseur inconnu aurait fourni le modèle sur lequel sont bâties lorganisation de notre corps actuel et son économie générale. Au Miocène et au Pliocène, un groupe dAnthropomorphes était assez répandu et comprenait deux branches, les Dryopithèques et les Pliopithèques. Avec une mâchoire en U et des canines importantes, lanatomie des Dryopithèques était déjà bien caractérisée. Elle semblait montrer lengagement dune évolution vers des formes proches des pongidés anthropomorphes actuels, (les grands singes). Les Pliopithèques semblaient engagés dans une autre voie. Ils avaient une mâchoire en V et des canines très pointues, et correspondraient à une espèce proche des Gibbons, cependant quadrupède et vivant sur le sol. Ces candidats primitifs ne convenaient pas. Il fallait donc chercher ailleurs un autre ancêtre possible à lhominisation. Il devait avoir une arcade dentaire arrondie en parabole, comme lhomme actuel, avec des prémolaires présentant des caractéristiques précises. Cest dabord en Afrique, de lEst et du Sud, dans des terrains datés de un à quatre millions dannées, que lon a découvert des fossiles possédant des caractères relativement adéquats, (Taung). Certains spécimens présentaient cependant un fort torus supra orbiculaire, (Forte arcade sourcilière continue), une grande crête sagittale, (Importante saillie osseuse allant du front à la nuque), et un gros bourrelet sur locciput. Il sagissait dun groupe très particulier, resté proche des singes par la morphologie crânienne, mais engagés dans la voie de lhominisation par la structure du bassin qui permettait déjà la bipédie. En raison de la localisation de ces trouvailles, cet être a été baptisé Australopithèque. On distingue plusieurs stades évolutifs successifs de lespèce qui a ensuite évolué vers une hypermorphose et a disparu. A.Anamensis, (4 Ma), A.Afarensis, (4 à 3 Ma), A.Bahrelghazali, (3,5 à 3 Ma), A.Africanus, ( 3 à 2,5 Ma), A.Boisei, (2,7 à 1 Ma), A.Robustus (2 à 1 Ma). Le dimorphisme des sexes parait y avoir été beaucoup plus important que chez lhomme actuel. Chez A.Anamensis comme A.Afarensis, le mâle était bien plus grand et beaucoup plus robuste que la femelle. La véritable lignée humaine semble être apparue simultanément, il y a 2,5 Ma, en Afrique orientale. Sa forme la plus ancienne, lHomo habilis archaïque, avait un crâne humain. La capacité cérébrale sest progressivement accrue au fil des millénaires. Elle est passée de 550 à 850 cm3 chez Homo Habilis, puis 900 cm3 à 1200 cm3 chez Homo Erectus, jusquà atteindre 1100 à 2000 cm3 chez Homo Sapiens, très proche de lHomme actuel. Il y a un million dannées, les " Habilis ou les Erectus " africains ont utilisé les ponts qui joignaient encore lAfrique à lEurasie, et ils se sont dispersés dans le Monde quaternaire débutant. Ils y ont connu des évolutions différentes. A partir de ce moment les hommes archaïques, les Archanthropiens se sont caractérisés, parfois avec des variantes comme Homo Heidelbergensis. En Europe, leurs descendants ont été appelés Néandertaliens. Hommes véritables, ils étaient relativement primitifs et ont disparu mystérieusement il y a trente mille ans. En Asie, depuis cent mille ans, les Habilis ont donné naissance à lHomme moderne, que nous avons très modestement appelé lHomo sapiens sapiens. Cet Homme, ni grand savant ni très sage, a occupé le Monde entier. Je vais essayer de vous en raconter les origines et la longue histoire, à partir du moment de sa dispersion, avant lÂge de la Glace, jusquà ce quil sortit des cavernes refuges. Mais lHomme habitait-il réellement les cavernes ? Les Âges de Glace ne sont pas une légende, mais il faut savoir que glaciers nétaient installés que sur une partie de la planète, sur les massifs montagneux et leurs abords, dans la zone tempérée. Dans les basses terres, et plus loin des pôles, le climat, quoique sec, était moins rude, tout à fait comparable à celui des actuelles zones tempérées voire subtropicales. Pendant le quaternaire, il y a eu des périodes très froides et sèches. Elles ont été entrecoupées de très longues périodes interglaciaires, avec un climat doux et humide, pendant des dizaines de milliers dannées. Il est tout à fait possible, dailleurs, que nous soyons actuellement dans une de ces longues périodes relativement chaudes, sans même le savoir. Le climat pourrait se refroidir et sassécher dans un avenir indéterminé. Les glaciers pourraient un jour revenir, et les mers, de nouveau, sen aller. Des régressions et des transgressions marines se sont effectivement produites dans le passé, mais elles ont eu des intensités variées et leurs amplitudes ont atteint des niveaux très différents. La mer sest parfois longuement installée dans des zones actuellement arides. Les rivages ont alors bénéficié dun climat maritime pluvieux, propice à la croissance dune végétation abondante, de forêts et de savanes, favorisant létablissement despèces animales nombreuses et variées. Dans certaines régions le résultat de la disparition des glaces a été désastreux. Le Sahara verdoyant sest asséché, la flore et la faune ont disparu. Depuis quelques milliers dannées, les moussons qui arrosaient lEst de lArabie, lancien et très riche royaume de la reine de Saba, se sont affaiblies. La contrée est également devenue désertique. Le même processus se poursuit de nos jours. On constate lassèchement progressif de très grands lacs, en Afrique et ailleurs, ce qui va entraîner un bouleversement du régime des pluies et de léquilibre hydrologique des régions concernées. Dans ces conditions climatiques, il est évident que le fragile ancêtre de lHomme na habité les cavernes des lions et des ours que partiellement, à lentrée, et dans de rares circonstances, quand il faisait très froid. Il utilisait aussi des abris sous roches et des abris artificiels à ciel ouvert. Généralement, il se tenait donc simplement dans les lieux où la vie était possible et même facile. Elle létait souvent presque partout pour une espèce dont les facultés dadaptation sont telles quon la trouve actuellement dans le Monde entier sauf aux pôles. On peut donc rechercher les traces de son passage, les fossiles, un peu partout dans les zones où lon trouvait le gibier et les fruits dont ce chasseur-cueilleur tirait sa nourriture. |
La découverte des fossiles est un événement récent. Pendant très longtemps, sur la foi des Écritures, on a cru que la création soudaine de la Terre et de ses habitants remontait environ à six mille ans. Mais des hommes curieux se sont penchés sur la terre quils travaillaient. Ils ont compris peu à peu que les couches de terrain superposées quils découvraient racontaient lhistoire de la planète, enregistrée niveau par niveau. A la lumière de cette compréhension, soudain, la Terre a énormément vieilli. Après cette première révolution de pensée, il est devenu possible dimaginer que lHomme pouvait être bien plus ancien quil ne limaginait, et que sa propre histoire sinscrivait dans lhistoire partagée par tous les habitants de la Terre. Cependant, lhomme ordinaire se croyait alors créature singulière et incomparable, spécialement façonnée par Dieu, à son image. La seconde révolution de pensée fut très difficile. La découverte des origines animales et banales de son corps a été pour lHomme un drame véritable, long et déchirant, accompagné dun véhément refus conceptuel. Des polémiques passionnées ont opposé les différents partisans. Encore aujourdhui, certains humains nacceptent pas lidée de la communauté des racines biologiques. Pourtant, depuis cent cinquante ans, et après les travaux de Darwin et Wallace puis ceux de Boucher de Perthes, les idées nouvelles ont été progressivement acceptées. Alors, et discrètement, la chasse aux fossiles a commencé. Ceux quon trouva à Java et en Chine, furent appelés Pithécanthropes. Mais on avait finalement découvert très peu de fossiles et les moyens de datation étaient fort incertains. Ce nest que vers 1950 que des êtres plus récents furent réintégrés dans le schéma général de l évolution de lespèce humaine. On y accepta dabord les Néandertaliens puis, plus tardivement, les Australopithèques. Darwin ayant affirmé, (audacieusement), dans lorigine des espèces, que lHomme avait accompli son évolution sous un climat chaud, cest dans les terres africaines australes que les recherches des fossiles ancestraux furent dabord menées et que les premières découvertes furent faites des fossiles dont nous avons dit quils avaient été dénommés Australopithèques. Certains sites paraissaient particulièrement prédestinés, en raison de la nature et de la disposition des terrains quaternaires quon y trouve. La plupart dentre eux sont situés au long du Riff africain, qui est une immense zone deffondrement tectonique. Elle est longue de plus de trois mille kilomètres, et sétend du Golfe dAden et de lÉthiopie jusquau Zambèze. Il sagit en fait dune cassure progressive du continent. Il se sépare en deux parties. La plus grande continue à dériver vers lOuest, vers lAtlantique, et lautre, la plus petite amorce une dérive vers lOcéan Indien. Chaque année et chaque jour, cette faille géante souvre davantage, préparant la rupture définitive de lAfrique. Elle ouvrira le chemin à lirruption de la mer et isolera le nouveau continent. Le long des falaises deffondrement du Riff, les sédiments quaternaires, accumulés sur une grande épaisseur, sont rompus verticalement. Ils sont accessibles aux chercheurs à tous les niveaux denfouissement. La datation des trouvailles est facilitée par la superposition des différentes couches. Depuis le début du siècle, on a découvert dans toutes ces régions des gisements fossilifères extraordinaires, parmi lesquelles il faut compter la très célèbre gorge dOlduvaï, explorée par les Leakey. Il sagit en fait dun très large ravin, long denviron 50 km, situé en Tanzanie. Il y a 1 ou 2 millions dannées, un lac salé occupait cet emplacement, bordé de forêts et de savanes. Plus tard, des torrents alimentèrent de nombreux étangs dans la région. Sur les bords du ravin, les couches de sédiments de plus de cent mètres dépaisseur sont accessibles. Cela permet de remonter aux débuts du quaternaire. On y a dabord trouvé de nombreux galets dont des éclats avaient manifestement été détachés volontairement, (pebble culture), laissant imaginer que cétait luvre dêtres doués dune certaine forme de pensée. Puis en 1959, Mary et Louis Leakey crurent y découvrir les restes de la face dun hominidé, quils appelèrent Zinjanthrope, au voisinage immédiat de ce qui semblait être les restes de son outillage. La datation isotopique, (Potassium 40 & Argon 40), de la couche volcanique immédiatement sous-jacente semblait permettre dattribuer à ces fossiles lâge considérable dun million sept cent mille ans. Brusquement, lorigine des hommes reculait énormément. La durée probable de leur aventure doublait, allongeant dautant la durée de lépoque quaternaire. Laffaire fit grand bruit, mais cétait une erreur. On découvrit plus tard que le Zinjanthrope nétait pas très évolué et que la transformation des galets était luvre plus tardive dun Australopithèque différent, plus humain que lui. On voit ici combien les théories scientifiques sont fragiles et sujettes à de fréquentes révisions. Elles sont néanmoins utiles stimulent la recherche, préparent les esprits aux hypothèses novatrices, et ouvrent la voie à de nouvelles découvertes. Les Leakey étaient très tenaces et restaient convaincus. En 1964, appuyés par lautorité dun groupe de spécialistes, ils signalèrent la découverte dun être plus évolué que les Australopithèques. Il avait cependant été trouvé dans une couche géologique encore plus profonde que celle du Zinjanthrope. Le nouvel hominidé, plus ancien et plus " capable ", fut baptisé Homo Habilis. Ces découvertes relancèrent la question. On organisa des expéditions internationales auxquelles participèrent des chercheurs français comme le Pr. Arambourg, (déjà très âgé), et Yves Coppens, (encore très jeune). On avait découvert dautres sites encore plus favorables comme le lac Turcana, la région de lAfar, le site dHadar, et la fameuse vallée de lOmo, située en Éthiopie. Les zones favorables y abondent. Lépaisseur des sédiments atteint là-bas jusque six cents mètres ce qui permet de remonter à quatre millions dannées. Les terrains fossilifères y sont disposés en couches inclinées qui sont séparées les unes des autres par des poussières volcaniques qui permettent de dater chronologiquement le gisement avec une assez grande précision. Les fossiles se multiplièrent, proposant des origines de plus en plus lointaines, remontant aux environs de trois ou quatre millions dannées. (Ex. Lucy - Site dHadar - Éthiopie - M. Taïeb). Finalement, les Australopithèques semblent avoir vécu très longtemps en Afrique où lon soupçonne leur présence il y a cinq ou six millions dannées. Ils y ont accompli une grande partie de leur évolution pendant laquelle leur capacité cérébrale est lentement passée de 400 à 800 cm3. Au cours du temps, ils ont présenté des aspects relativement variés. A cause des différences daspect constatées chez les Australopithèques, on a longtemps soupçonné lexistence synchrone de plusieurs lignées spécifiques. On saccorde maintenant pour attribuer ces variations à un fort dimorphisme sexuel. La différence de taille entre les mâles et les femelles atteignait parfois 60%. Les tribus dAustralopithèques étaient probablement organisées autour dun mâle dominateur très robuste, entouré dun groupe de femelles graciles, beaucoup plus petites. La différence de taille sest réduite au fil des âges, mais elle semble être restée dans les têtes de nombreux mâles humains actuels comme leur est resté la tentation permanente du harem. |
Les hommes archaïques ont évolué de façon divergente. Il y a un million dannées, les Archanthropiens, habilis ou erectus, africains se sont dispersés dans le Monde quaternaire débutant. Leurs descendants européens, les Néandertaliens, étaient déjà des hommes véritables, mais restaient encore relativement primitifs. Ils ont disparu il y a trente mille ans, probablement dominés par la branche homminiène asiatique au moment de son expansion. Venant dAsie, cette nouvelle espèce différait légèrement des Néandertaliens. Elle était cependant plus intelligente, et morphologiquement elle devait être assez identique à lHomme moderne, Homo sapiens sapiens. Sa forme primitive est souvent appelée chez nous " lHomme de Cro-Magnon ". Au début du quaternaire, tous les hominidés marchaient sur leurs membres postérieurs et utilisaient des outils de pierre très rudimentaires. Pour cette raison, la période pendant laquelle ils sont apparus et ont évolué est appelée paléolithique, cest-à-dire période de la pierre ancienne. Les Australopithèques se sont ensuite engagés dans la voie sans issue qui les a lentement menés à lextinction. Il semble que les Archanthropes, qui vécurent parfois en même temps que les Australopithèques, constituaient une autre espèce qui a suivi une autre évolution. Elle a formé deux sous-espèces distinctes. Celles-ci pouvaient peut-être shybrider. Elles nous auraient alors transmis des combinaisons de gènes qui transparaîtraient parfois dans certaines morphologies surprenantes. Dans la branche européenne disparue, les Néandertaliens nous sont bien connus. Le premier fossile, isolé et très partiel, fut découvert en 1856, avant la publication du livre de Darwin, dans une carrière de la vallée de Néanderthal, prés de Düsseldorf. On ne savait pas trop comment le dater ni lintégrer dans la lignée humaine. Un autre spécimen, (une mandibule), accompagné dossements animaux, fut ensuite découvert en Belgique, en 1865. Puis trois squelettes, accompagnés dossements et doutils de pierre, furent trouvés à Spy, dans la province de Namur, qui permirent de caractériser ce groupe humanoïde particulier. Les découvertes se succédèrent jusquà ce quon trouve, en 1908, à La Chapelle-aux-Saints, en Dordogne, la sépulture dun vieillard. Elle se trouvait dans une fosse, au fond dune caverne qui contenait des vestiges dun repas funéraire et doutils de pierre. Partant de la disposition soignée du corps et de la composition des objets voisins, les archéologues conclurent quil sagissait bien là dune mise en terre ritualisée. Dautres sépultures furent ensuite trouvées, dans dautres grottes de la même région, prés du Moustier, puis dans un abri sous roche, à la Ferrassie. Dans tous les cas, les corps avaient été enterrés de façon à les protéger des prédateurs. Ailleurs, les morts avaient été déposés sur des lits de fleurs sauvages, ou recouverts doffrandes, ce qui laisse imaginer démouvantes cérémonies de funérailles. Lapparition du langage aurait précédé, peut-être dassez loin, lémergence du système nerveux central propre à lespèce humaine, et contribué en fait, de façon décisive, à la sélection des variants les plus aptes à en utiliser toutes les ressources. En dautres termes, cest le langage qui aurait créé lhomme plutôt que lhomme le langage. Jacques Monod. On a maintenant de très nombreux fossiles dhommes, de femmes, et denfants, qui permettent de bien définir le type humain Homme de Neandertal. Il était intelligent et avait une capacité crânienne élevée, de 1200 à 1600 cm3, assez analogue à la notre. La face portait de très gros bourrelets sus-orbitaires, et des larges mâchoires avec de grosses dents, sans menton. La voûte crânienne était basse avec un front un peu fuyant. Ces êtres étaient petits, mesurant 1,50 m environ. Leur masse corporelle dépassait celle de lhomme actuel. La répartition des diverses parties de leurs corps était assez analogue à celle des Esquimaux daujourdhui. Les mâles, en particulier, étaient très forts, extrêmement robustes. Ils taillaient leurs outils de pierre avec une technique particulière, très reconnaissable, qui demandait beaucoup de méthode et dhabileté. Leur industrie caractéristique a reçu le nom de Style Moustérien, en relation avec le lieu des premières découvertes. En Europe, les Néandertaliens habitaient fréquemment dans les entrées de cavernes, mais ils utilisaient aussi des abris sous roche et des sites de plein air. Ils ont occupé lEurope occidentale au moins à partir du début de la Glaciation de Würm, la plus froide et la plus hostile, et probablement pendant la période interglaciaire précédente. Cela fait remonter leur arrivée au-delà de 70 000 ans. Ils faisaient facilement du feu. Ils cueillaient des graines et des baies, et chassaient le Rhinocéros laineux et le Renne. De très nombreux outils de raclage permettent de penser quils en utilisaient les peaux, probablement pour se vêtir et se protéger du climat rigoureux. Ils aménageaient les grottes et les abris et fermaient leurs entrées avec des roches, des branches et des peaux danimaux. Dautres Néandertaliens vivaient sous dautres cieux et à dautres époques. On en a trouvé des fossiles et des traces en Afrique, au nord du Sahara, au Liban, en Israël, en Irak, en Éthiopie. Les objets fabriqués et les techniques élaborées de fabrication étaient également typiquement moustériennes, ce qui en démontre la relative unité culturelle. Avant larrivée des Néandertaliens, pendant la Glaciation de Mindel, durant lépisode interglaciaire qui suivit, lEurope occidentale était occupée par des hommes plus primitifs, des chasseurs qui venaient probablement dAfrique, et qui fabriquaient de beaux bifaces de silex et des grattoirs, dits " acheuléens ". On en a trouvé des traces sur les rives de la Somme, de la Seine, et même de la Tamise, mais on sait bien peu de choses. Ces êtres ont dû coexister un certain temps avec les Néandertaliens, puis ils ont énigmatiquement disparu. Ensuite, il y a 35 000 ans, lHomme de Neandertal disparut mystérieusement, à son tour. On pense souvent que les hommes du Paléolithique supérieur exterminèrent les Néandertaliens, mais cela nest pas établi. Certains archéologues sont persuadés que les Néandertaliens étaient anthropophages, (comme les Habilis et les Erectus, et les peuplades primitives, découvertes au 18ème siècle). Fréquemment, les ossements humains trouvés sont grossièrement amassés et mélangés à des déchets culinaires. Ils portent ce que les spécialistes appellent parfois des marques bouchères. Les os longs sont souvent calcinés et brisés pour en extraire la moelle, et ils ont été raclés. Les crânes sont cassés et ouverts pour en extraire le cerveau, et ils ont également été grattés avec soin. On a même trouvé un éclat de silex à lintérieur de celui dArago XXI, lHomme de Tautavel. Vers 1860, on découvrit en Dordogne, dans une grotte des Eysies, une sépulture contenant un groupe dossements bien conservés. Il comportait le crâne dun homme âgé denviron 50 ans, le squelette dune femme enceinte, et ceux de deux autres hommes. Deux corps portaient la marque de blessures partiellement cicatrisées. Dautres sépultures furent ensuite découvertes ailleurs. Les corps étaient souvent placés en position ftale et accompagnés de bijoux, comme dans la Grotte des Enfants en Italie. On y trouva les restes embrassés dune femme et dun enfant. La femme portait un bracelet au poignet et la tête de lenfant portait quatre rangs de perles, probablement cousues autour dun bonnet. |
Les hommes de Cro-Magnon sont nos ancêtres. Nous les appelons Homo Sapiens, ou Hommes de Cro-Magnon. Ils ressemblaient beaucoup à lhomme moderne. Ils étaient peut-être un peu plus massifs, avec des mains et des pieds très larges. Leur taille approchait 1,80 m. Ils différaient donc des Néandertaliens par laspect physique. Il avait également une autre culture, des techniques plus efficaces, presque industrialisées, des armes perfectionnées, et un outillage différent, plus spécialisé. Il y a trente-cinq mille ans, la culture moustérienne disparut simultanément, à peu prés partout, en Europe et ailleurs, sans que lon puisse établir que lapparition des Cro-Magnon ait été synchrone. Lapparition des techniques ultérieures, plus modernes, dont nous parlons, na pas suivi la même chronologie. Elles sont généralement rattachées à linstallation des nouveaux venus, mais il semble que les anciennes techniques moustériennes de production déclats aient perduré dans les déserts et les régions écartées, au moins sous une forme mêlée aux nouvelles. La branche des Néandertaliens séteignit donc progressivement à ce moment, mais lHomme moderne napparut pas toujours aussitôt. Parfois les deux cultures et les deux technologies semblent avoir été présentes aux mêmes endroits et aux mêmes époques, mais on constate aussi de très longs intervalles dans la succession des deux peuplements. Afin de clarifier létude et de schématiser rapidement la succession des étapes de laventure humaine en ces temps dusage des pierres, taillées ou polies, on distingue habituellement plusieurs grandes périodes daprès leur profondeur stratigraphique.
Nous abandonnerons ici lexamen des stades primitifs qui correspondent aux premiers stades de lévolution psychique et physique de lhumanité. Nous allons nous pencher sur les trois dernières époques, les plus proches de nous et les plus riches en témoignages, et nous abordons donc maintenant lhistoire de lHomme de Cro-Magnon, qui est le vrai début de notre propre histoire. Celle-ci ne sest pas faite en un jour. Des évaluations basées sur des critères géologiques placent lengagement progressif de la dernière phase glaciaire vers 120 000 ans avant nos jours. Le début du paléolithique supérieur daterait alors de 50 à 70 000 ans. On distingue plusieurs grandes périodes en son sein. Pour les commodités détaillées détude, divers stades technologiques ont été finement caractérisés. Ils ne sont cependant pas présents partout. Citons néanmoins pour mémoire.
Nous pourrions passer plus de temps dans lexamen attentif des diverses technologies qui ont marqué ces différents stades. Cest là un travail qui peut surtout passionner les spécialistes. Il semble cependant plus intéressant de parler des aspects beaucoup plus particuliers que sont les rites funéraires, peut-être initiatiques ou religieux, la fabrication de parures et de bijoux et, surtout, les très remarquables productions artistiques, sculptures, gravures, modelages, art pariétal, (dessins et peintures). Avant de parler de ces expressions culturelles préhistoriques, il faut poser quelques bases. Au début du paléolithique, un climat relativement doux régnait sur lEurope et lAmérique du Nord. Il devint progressivement, et par à-coups, beaucoup plus sévère. Les populations qui vivaient à lair libre durent se réfugier dans des cavernes, en expulser les dangereux occupants, et se couvrir, donc fabriquer des vêtements. La chasse et la pêche devinrent plus aléatoires. Les conditions plus difficiles dexistence nécessitèrent linvention darmes et doutils plus performants. Les premiers progrès dans loutillage sont constatés dés le Moustérien, avec le début de lutilisation dobjets fabriqués en os plutôt quen pierre. Ils correspondant à larrivée du froid. Cest au Magdalénien que les perfectionnements de la technologie de los acquirent tous leurs développements. ( Pointes darmes diverses, harpons, poinçons, aiguilles avec chas, spatules, hameçons, propulseurs ). On faisait aussi en os de précieux bâtons coudés, ornés, et percés dun trou. Ils semblent avoir été des outils à produire le feu par friction, ( Ce sont probablement des manivelles servant à mettre en rotation rapide une baguette flexible sur un socle en bois dur ). Dautres matériaux, bois de renne et ivoire, furent également utilisés, tant pour la fabrication doutils délicats que pour la production de parures et dobjets dart mobiliers. On voit aussi apparaître la technique du modelage en argile et une importante utilisation de locre rouge. La localisation de la culture du paléolithique supérieur est extrêmement large. On répertorie environ cent vingt sites dans la seule Europe méridionale, mais il y en a bien dautres ailleurs, par exemple en Afrique du Nord, Afrique australe, Asie. Dans lEurope de lEst, pays de steppe, où les cavernes calcaires manquent, les hommes durent survivre en plein air. Ils chassaient le mammouth et ils utilisèrent ses os et ses défenses pour établir les charpentes de leurs huttes couvertes de peaux. |
Les hommes du Paléolithique enterraient leurs morts. Un aspect caractéristique de cette culture est la pratique dun rituel funéraire. Dans la Grotte des Enfants, citée plus haut, on trouva dautres sépultures denfants dont les corps portaient des souvenirs de vêtements garnis de nombreuses coquilles percées. Laurore apparaissait ! Laurore
apparaissait ; quelle aurore ! Un abîme (Victor Hugo - dÈve à Jésus ) En ce qui concerne la paix et la bonté, laurore nest pas encore arrivée, même de nos jours. Néanmoins, au Paléolithique supérieur, lart joua indéniablement un rôle très important dans ses expressions graphiques telles le modelage, la gravure, le dessin et la peinture. Ce sont les seules formes qui sont parvenues jusquà nous. Nous avons cependant des indices permettant de penser que dautres formes dexpression étaient pratiquées, telles la musique et la danse. Des peintures rupestres, plus tardives, dans le Tassili, montrent des danseurs en action. Vingt millénaires séparent ces représentations africaines des activités artistiques dont les témoins ont été retrouvés en Europe, surtout en France et en Espagne, seuls pays dans lesquels existent des cavernes calcaires propices à la conservation des uvres. La première difficulté surgit lorsque les archéologues tentent de dater lart magdalénien, et particulièrement les peintures rupestres. Cela ne peut être fait quen les mettant en relation avec les fossiles et les objets découverts dans les niveaux archéologiques fouillés par les chercheurs. Les uns ou les autres manquent la plupart du temps. On saccorde actuellement pour situer son apparition il y a trente mille ans, en lui donnant une durée probable denviron vingt mille ans, jusquà la fin de la dernière glaciation. Cest une période à la fois très ancienne et très longue, pendant laquelle beaucoup dévénements se sont produits. En raison du considérable étalement dans le temps, associé à la très large dispersion dans lespace, on pouvait sattendre à une grande variabilité dans les réalisations. Ce nest pas vraiment le cas. Les artistes, les styles, et les façons ont énormément changé au fil des siècles et selon les lieux, mais les uvres retrouvées montrent lutilisation réitérée dun système figuratif relativement constant, sans variation importante des méthodes et des thèmes au travers de lécoulement des millénaires. |
Leur tradition artistique soudaine a duré vingt mille ans. Il semble que lon soit en présence dune tradition artistique qui produisit un seul développement homogène et unilinéaire pendant des dizaines de milliers dannées. Cest dans cette extraordinaire constance et en cette durabilité exceptionnelle que résident les plus grandes difficultés dinterprétation. Une nouvelle difficulté est rencontrée lorsque lon considère limmédiate perfection des réalisations. On est bien en face dune apparition soudaine et non dun perfectionnement progressif. Il ne semble pas y avoir eu dapprentissage graduel entre les niveaux profonds et ceux plus récents. Malgré les différences de qualité constatées, normales car elles sont le fait dartistes différemment doués, les techniques sont demblée achevées et conventionnelles. On a envisagé que leur mise au point a été progressive, et quà son début, elle a été momentanément réalisée sur des supports périssables, bois ou peau, avant dadopter des supports permanents. Cest possible, mais non certain. La découverte de lart des cavernes entraîna les mêmes grandes incompréhensions que celle des fossiles. Les premiers découvreurs rencontrèrent une très vive opposition. Le marquis de Sautuola, avec la grotte dAltamira, au Nord de lEspagne, fut même accusé davoir employé un peintre madrilène pour exécuter des faux sur les murs de la caverne. On ne lui rendit justice quaprès sa mort. Les incrédules ne furent enfin convaincus que lorsque lon montra que certaines peintures étaient partiellement recouvertes de dépôts archéologiques ou calcaires, anciens mais datables et plus récents quelles. Les objets de lart magdalénien européen sont partagés en deux catégories. Lune concerne les petits objets portatifs décorés, armes, outils, figurines, galets peints. Lautre comporte les objets non transportables, tels les gravures et peintures, ( et accessoirement quelques sculptures et modelages ), trouvés sur les murs des cavernes, des abris sous roche, ( très rarement sur des dalles extérieures ). Les objets de la première catégorie, les portables, ou mobilier, comportent surtout des menus objets en os, en ivoire, ou en bois de renne, gravés, et des galets peints. Ils sont assez nombreux et posent déjà des problèmes. Citons la tête de biche gravée sur os, trouvée à Altamira, dans un dépôt solutréen relativement ancien. Une autre tête, tout à fait identique fut trouvée dans la grotte dEl Castillo, gravée sur la paroi. Les deux gravures durent être exécutées à la même époque par le même artiste. Cela est une découverte réellement très rare. Dautres objets sont des figurines dos ou divoire représentant des animaux et parfois des humains. Dans ce cas la plupart des représentations concernent des femmes nues. Certaines statuettes sont très jolies, de formes douces, fort finement sculptées, tandis que dautres, telles la Vénus de Lespugue ou celle de Willendorf, exagèrent démesurément les caractères sexuels secondaires. Une figurine en os, trouvée en Sibérie, représente un homme vêtu dune sorte danorak fait de peaux. Une autre gravure très exceptionnelle, réalisée sur un os plat, représente un bison démembré dont ne subsiste que la tête avec la colonne vertébrale disséquée. Deux pattes sont posées devant la bête. Plusieurs hommes, de part et dautre, semblent participer à un partage traditionnel ou à un banquet. Dans la seconde catégorie, les objets fixes consistent essentiellement en représentations danimaux très nombreuses, très réalistes et très détaillées. On trouve assez peu de figurations humaines, peintes ou gravées, tout au moins sous forme explicite, ce qui nexclut pas une évocation symbolique. Cela est certainement le résultat dune volonté délibérée des artistes. Il y en a cependant un certain nombre, comme la " Vénus de Laussel ", qui représente une femme nue, (exagérément dotée et portant une corne de bison dans la main), profondément gravée en relief dans du calcaire, ou comme le très célèbre " Sorcier de la grotte des Trois Frères ", en Dordogne, qui semble plutôt être une créature composite. Il y a aussi des mains humaines, positives et négatives, assez nombreuses. Les trois technologies de base employées pour réaliser ces représentations sont la peinture, la gravure, et le bas-relief, utilisées seules ou en combinaison. La peinture a été très abondamment utilisée. Il faut reconnaître quelle était, sur le plan technique, la méthode la plus facile. Souvenons-nous que les outils utilisables pour graver et sculpter la pierre calcaire ou les os, étaient dautres pierres, des silex éclatés, et non pas des ciseaux et des burins sur lesquels on pouvait frapper avec un marteau. La réalisation dun grand bas-relief aux volumes profonds, qui peut nous sembler aujourdhui maladroitement exécuté, a dû nécessiter des efforts considérables. Il représentait probablement un sommet de lart des cavernes. Comparativement, lapplication de peinture était bien plus facile. Le décalque de mains, négatives par la technique du pochoir, ou positives par celle de limpression, létait encore bien plus. Pour séclairer, les peintres utilisaient de petites lampes de pierre, à huile ou à graisse, dont on a retrouvé quelques exemplaires, et des torches résineuses. Les pigments utilisés étaient naturels, blanc de calcite, ocre jaune, rouge, brun, de toutes nuances, oxydes colorés, noir et violet de manganèse. Si des teintes organiques ont été utilisées pour dautres couleurs, elles nont pas subsisté et ne sont pas parvenues. Les peintures sont souvent polychromes, parfois rehaussées dun contour gravé. Les dessins sont très souvent superposés sur certains panneaux, alors que dautres panneaux voisins restent libres et complètement vierges. Différentes façons ont été relevées. Elles vont du simple tracé digital des contours jusquà la peinture décorative extrêmement détaillée reproduisant les couleurs des pelages et les particularités remarquables des différentes espèces. Les animaux représentés appartiennent généralement à la faune du Pléistocène supérieur. Ce sont de grands herbivores, bisons, chevaux, bufs sauvages et parfois bufs musqués, bouquetins, rennes, cerfs et cerfs géants fossiles, rhinocéros laineux, mammouths et parfois éléphants antiques. On y trouve aussi quelques carnivores, ours et lions des cavernes, des poissons et quelques oiseaux. Chose importante, on relève également des signes énigmatiques nombreux, répétitifs et standardisés, tectiformes, penniformes, ou autres, qui sont peut-être des symboles annonçant linvention de lécriture. |
Il y a beaucoup de chevaux et de bisons. Ce sont les animaux les plus fréquents dans ces peintures. La représentation des chevaux est généralement très fidèle et très soignée, au point que lon peut parfaitement identifier les espèces. Les images sont souvent colorées. On trouve des chevaux entièrement noirs, dautres bruns ou bicolores, ou même magnifiquement pommelés avec une abondante crinière. Plus de vingt-deux modèles différents de chevaux ont été relevés dans louvrage de P.Ucko et A.Rosenfeld. Les bisons ont un profil caractéristique, avec une nuque bossue, assez marquée par rapport à un arrière-train effacé. Ils sont également représentés avec beaucoup de détails et une perspective assez conventionnelle. Ils sont souvent associés à des aurochs ou des bufs sauvages. Dans certaines représentations, les détails des colorations, tête noire et corps brun très foncé pour les mâles, brun clair avec une bande pâle sur le dos pour les femelles, ainsi que la forme particulière des cornes, ont permis de se faire une idée assez précise de laspect quavaient dans le passé ces espèces disparues. Les bufs musqués sont bien plus rares. Les cervidés, en plus faible nombre, comptent également plusieurs espèces. Le cerf commun est le plus fréquemment représenté, parfois avec des bois manifestement excessifs. On trouve aussi des rennes, un cervidé disparu, le Mégaloceros ou cerf géant, qui avait de très grands bois palmés, (comme les petits bois des daims), et dautres familles, bouquetins, chamois, quelques carnivores, et quelques oiseaux et poissons. Quelques représentations concernent des animaux inconnus, ou des êtres imaginaires ou mythiques, créatures composites, rassemblant les traits caractéristiques de plusieurs espèces. Il y a aussi des représentations humaines en nombre relativement faible, (Cependant moins quon ne la dit ), et beaucoup de mains de tailles diverses, parfois des pieds, en impressions négatives, cernées de couleur, ou positives, souvent de couleur rouge ou brune, rarement noire, blanche ou jaune. Un ou plusieurs doigts manquent parfois, ou sont plus courts. Il est souvent difficile de déterminer si une figure animalière donnée fait partie ou non dun groupe ou dun panneau densemble, car aucune ligne de base nest posée et aucun arrière-plan végétal ou paysager nest jamais représenté. Les représentations groupées sont souvent orientées différemment, debout, penchées, et même renversées. Elles sont fréquemment superposées, et on ne trouve aucune véritable convention cohérente déchelle. Cest pour cela quon a pu dire que la caractéristique majeure de cet art résidait dans labsence de scènes, et quil était donc inutile dy chercher le récit dun épisode vécu. Cest ce que cherchaient les premiers interprètes qui imaginaient par exemple des compositions présentant des épisodes de chasse ou de combats. Plus tard, ces interprétations ont été critiquées, et on en est venu à considérer que les panneaux eux-mêmes étaient lobjet cherché. Ils navaient rien à raconter car ils constituaient en fait les scènes dont on regrettait labsence. |
On a voulu expliquer rationnellement ces images. La première théorie élaborée fut celle dite de lart pour lart. Lart paléolithique naurait eu quun rôle purement décoratif, Il était destiné à rendre le cadre de vie plus agréable, et il nétait en aucune façon lié à une recherche métaphysique ou une activité religieuse. Cette théorie simpliste ignorait parfaitement les difficultés daccès des uvres réalisées et les constants rapports établis par les sociétés primitives entre lhomme et les espèces vivantes, (ou les phénomènes naturels). Ces rapports débouchent sur des systèmes de croyances et des pratiques de comportements qui constituent lossature structurante des religions entretenues par ces sociétés. On pourrait citer la croyance en la séparation du corps et de lâme, (constatée par les rêves), le culte des ancêtres et surtout le totémisme et le système de clans. Il ne tuera pas cet animal, il est son frère et il sait son nom. La seconde théorie, élaborée par Reinach, fut celle de la magie sympathique. Elle était appuyée par des arguments tendant à établir lexistence de liens entre lart paléolithique et des pratiques magiques, en particulier celles reliées à la chasse et à la fécondité. La plupart des représentations concernent des animaux comestibles. Les localisations sont difficiles daccès. Les pratiques de magie sympathique sont largement répandues chez les peuplades primitives actuelles. On voit que les convictions de Reinach se réfèrent à des parallèles ethnographiques établis entre les sociétés primitives récemment découvertes, par exemple celles des aborigènes australiens, et les sociétés paléolithiques. Tout en admettant secondairement un aspect totémique accessoire, il transposait fondamentalement les pratiques des premiers aux seconds en posant lhypothèse de la permanence des comportements évolutifs, demeurant identiques à travers le temps et lespace. Labbé Breuil est une autre personnalité dont les opinions ont grandement influencé létude de lart paléolithique. Cependant ses travaux ont porté bien plus sur linventaire et la datation des uvres que sur la recherche de leur interprétation. Il adopta assez facilement les thèses de Reinach tout en reconnaissant que la signification était peut-être totémique, fétichiste ou religieuse. " Quand nous visitons une caverne, nous pénétrons dans un sanctuaire où se sont déroulées des cérémonies sacrées ". Breuil élargit la théorie de Reinach, en y ajoutant des interprétations relatives à la présence occasionnelle danimaux féroces, et surtout en prenant en compte le mobilier et les éléments découverts dans les abris sous roches et les sites dhabitat à ciel ouvert. Il assimila certains signes associés aux figures à des représentations de flèches ou darmes. Une contribution intéressante de labbé concerne lidentification de signes géométriques tectiformes, dont la signification fut largement débattue. Breuil la reliait à son approche religieuse de lart des cavernes, et il y voyait une évocation des esprits ancestraux. Autre figure importante de lexploration des cavernes ornées, le comte Begouen interprétait les peintures de la même façon que labbé Breuil. Il travailla beaucoup plus sur les tectiformes, et proposa de nouvelles hypothèses, supposées plus réalistes, concernant les traces matérielles laissées par les pratiques magiques éventuelles et la façon dont les rites étaient pratiqués. C'est ainsi quil proposa de voir la représentation véritable dun sorcier dans la figure anthropomorphe de la grotte des Trois Frères, quon nomma ensuite " Le Sorcier ". Une nouvelle révolution de pensée survint vers 1945. Elle fut luvre d'un jeune ethnologue passionné de préhistoire, André Leroi-Gourhan, auteur de la " Préhistoire de lart occidental ". Il écrit. La matière que jai utilisée, est constituée par les deux mille cent quatre-vingt-huit figures danimaux réparties en soixante six cavernes ou abris décorés que jai étudiés.. Par ordre de fréquence, jai pu compter six cent dix chevaux, cinq cent dix bisons, deux cent cinq mammouths, cent soixante-seize bouquetins, cent trente-sept bufs, cent trente-cinq biches, cent douze cerfs, quatre-vingt-quatre rennes, trente-six ours, vingt-neuf lions, quinze rhinocéros, huit daims mégacéros, trois carnassiers imprécis, deux sangliers, deux chamois, six oiseaux, huit poissons, neuf monstres. Cette citation établit la méthode dAndré Leroi-Gourhan. Il se base prioritairement sur des analyses chiffrées précises et des statistiques. Il part dune conviction, celle que des uvres artistiques analogues rencontrées dans des cultures différentes nimpliquent pas des causes identiques et nont pas les mêmes significations. Il nadmet pas les comparaisons ethnographiques utilisées précédemment. Il postule que toute interprétation doit dabord se fonder sur les uvres paléolithiques elles-mêmes, leur analyse statistique et la compréhension de leur répartition topographique. Leroi-Gourhan distingue la présence de zones différentes et bien caractérisées malgré les tracés variés des différentes grottes. Il les classe en trois catégories, et y constate des associations constantes qui paraissent porter un message significatif.
Si le message existe réellement, il doit respecter une syntaxe pour être compréhensible. Trois modes étaient possibles.
Partant de considérations raisonnables, le chercheur considère quil sagit de mythogrammes. Reste à les interpréter. Si nous admettons que les anciens hommes du paléolithique avaient élaboré une image cohérente du Monde, elle aurait pu engendrer des pratiques magiques destinées à assurer la maîtrise des événements extérieurs. Les uvres pourraient être des restes accumulés de ces pratiques, et témoigneraient dopérations magiques successives, non reliées entre elles. Mais les grottes ont pu être utilisées comme un décor, cest-à-dire un cadre conventionnel au sein duquel se déroulait traditionnellement quelque chose, ceci pouvant éventuellement être lexpression renouvelée dun mythe, dun rituel métaphysique, ou lamorce dune religion. On considérerait alors un cadre superstructurel, un modèle général sur lequel la société paléolithique pouvait établir tout un ensemble détaillé et varié de préceptes moraux ou comportementaux, aussi bien que des opérations pratiques, magiques ou religieuses. Dans ce cas, les superpositions et les associations sexpliquent, en particulier par laffectation traditionnelle des différentes zones aux expressions convenues. Reste à réfléchir sur le contenu des assemblages de figures, masculines et féminines, de chevaux, de bisons ou daurochs, danimaux associés, et de signes concomitants. Souvenons-nous que ces assemblages ont perduré pendant vingt mille ans, ce qui est une durée incroyablement longue pour un système de représentation mythique. " Mais, dit André Leroi-Gourhan, sagit-il de lexpression du contenu dun mythe. Ne sagirait-il pas plutôt du contenant? Dans limmense durée considérée, le même cadre figuratif a pu exprimer des concepts métaphysiques différents et des mythes progressivement transformés ". Il montre quavec les quatre vivants, laigle, le lion, le taureau, et lhomme, on a lexemple moderne dun thème figuratif apparu à lÂge de Bronze et conservé jusquà nos jours, quoique chargé de significations différentes, au fil du temps, et qui servit vingt religions jusquaux évangélistes chrétiens. " Il est en effet possible datteindre par la démonstration une raisonnable certitude du fait que les hommes du Paléolithique, vingt millénaires avant la fin de la dernière glaciation, ont versé dans leurs images de bisons et de mammouths, des sentiments qui répondaient à ce quest pour nous la religion, mais rien ne nous permet demblée de restituer comment ils pensaient cette religion. Notre pensée, issue des développements des civilisations classiques, a évolué dans un sens tel quil est difficile de comprendre sans effort la pensée même des Australiens qui sont pourtant encore vivants. A plus forte raison est-il hasardeux de construire des croyances dhommes qui ont vécu des millénaires avant lapparition de lécriture ". A la position de Leroi-Gourhan, il faut absolument associer la démarche dAnnette Laming-Emperaire. Elle est très analogue, quoiqu'elle distingue subtilement les uvres réalisées dans lobscurité des cavernes de celles exécutées à la lumière du jour dans les abris sous roches, et quelle renverse les représentations symboliques masculines et féminines. En raison de leur proximité conceptuelle, on couple souvent les études relatives aux deux novateurs. Résumons ici les points qui leur paraissent acquis. La caverne est intégrée au schéma fondamental, et ses accidents naturels sont exploités. Il y a concomitance dans la présence des chevaux et des bovidés, et lon constate un couplage constant avec la présence des signes masculins et féminins. La présence dune polarisation sexuelle est évidente. Elle offre toutefois une particularité dabstraction car aucune scène daccouplement nest connue, et les animaux ne portent pas leurs caractères sexuels primaires. Concernant linterprétation qui pourrait être faite de ses travaux, André Leroi-Gourhan reste toutefois prudent. Je vous propose dutiliser sa propre conclusion pour clore lexposé de sa théorie. " On peut, pour obtenir la couche la plus profonde du dispositif religieux paléolithique, ajouter à ce schéma fondamental, (femme-homme, bovidé-cheval), la présence pratiquement constante dun animal complémentaire. A un niveau plus élevé transparaîtraient des concepts dassimilation de scènes à des signes, tels la blessure à la main de la femme, etc.. En conclusion, les thèmes qui se dégagent de lart paléolithique sollicitent plus directement la psychanalyse que lhistoire des religions... On aurait pu sattendre à trouver dans lanalyse globale des documents, ce qui constituerait le substrat de la pensée métaphysique. Celle-ci et la magie opératoire ne peuvent apparaître quaprès limplantation du décor. Cest le rôle de la recherche future que détablir sur les variantes, leur image nuancée de la religion paléolithique ". ( Pr. André Leroi-Gourhan - Deux extraits de larticle sur " La religion des cavernes " dans Science et Avenir N° 228 ). |
Les millénaires ont coulé. La Terre sest réchauffée. Et, il y a dix mille ans, les hommes ont abandonné tout à la fois les cavernes et les traditions culturelles quelles contenaient. Puis le fleuve du temps a tout emporté dans les mystères du passé. Mais le temps avait oublié des témoins de lÂge de Pierre dans un recoin perdu du Pacifique Sud. Pauvres en géographie, lîle de Nouvelle Guinée nous est très mal connue. Elle est cependant la plus grande des îles, après le Groenland et lAustralie, qui doivent être considérés plutôt comme de continents. Pour information, voici les surfaces de ces immenses terres lointaines. La Nouvelle Guinée
785 000 Km2 En 1930, trois chercheurs dor découvrirent, dans le centre de la Nouvelle Guinée, une grande population de Papous, ignorée jusqualors. Elle comptait un million de personnes, dont 250 000 dans une seule vallée. Complètement coupés du reste du monde, et quoique nos contemporains, ils en étaient restés à lâge de pierre. Tout au long de leur expédition, les chercheurs ont tourné un film. Celui-ci a été montré cinquante ans plus tard aux acteurs des deux groupes qui sont encore vivants. Il sagit de First Contact, un document australien de Bob Connely et Robin Anderson. Les hommes primitifs derniers anthropophages connus dalors, parlent maintenant anglais et sont intégrés dans notre monde actuel. Ils racontent comment ils vécurent les événements de la rencontre, leurs impressions, leurs terreurs, surtout devant les avions, et leurs souvenirs. Pour un temps ils ont pris les explorateurs blancs pour la réincarnation des ancêtres. Puis le chef explora les latrines et reconnu le caractère simplement humain des visiteurs. Le contact devint alors meurtrier lorsque le chef décida dattaquer lexpédition pour sapproprier les équipements. Les sagaies affrontèrent les fusils inconnus. Les anciens se souviennent des péripéties du combat et même des prénoms de leurs proches tués pendant la bataille. Le film est un étonnant raccourci de lévolution. Ces hommes ont parcouru en cinquante ans, avec une accélération cinq cents fois plus rapide, le chemin que les autres firent en vingt-cinq mille. Chose tout à fait surprenante, ils ont assez bien supporté lépreuve. Ce sont cependant des hommes actuels. Il ne faut pas les confondre avec ceux du paléolithique, ni faire de comparaisons hâtives car vingt millénaires les séparent. Le document montre aussi les murs tristement humaines, de ces primitifs qui nhésitaient pas à tuer pour se procurer ce qui leur faisait envie. Puis les hommes modernes ont effacé ces derniers oublis du temps. La rivière de la vie et celle du temps se sont réunies jusquà constituer ce grand fleuve qui emporte le Monde. Lorsque notre conscience nous permet parfois daborder sur ses rives, nous regardons, hypnotisés, ses eaux couler, et nous ne savons plus très bien si le fleuve descend vers nous, ou si nous en remontons le cours. Dans la réalité, cependant, toutes les eaux vont à la mer. |
Devant nos
yeux, les eaux du fleuve, Krisnamurti ressentait fortement tout cela. Retrouvons ces perceptions super conscientes davant laurore, telles quil les exprima dans des notes rédigées de façon fortuite dans ses dernières années de sa vie. " Sensation de clarté insolite, exigeant toute lattention. Le corps sans mouvement aucun, dune immobilité complète, sans effort et sans tension. Un phénomène curieux se déroulait à lintérieur de la tête. Un fleuve superbe et large coulait, ses eaux abondantes puissamment comprimées entre de hautes masses de granit poli. Sur chaque rive de ce vaste fleuve, la roche était étincelante, aride à toute plante, au moindre brin dherbe. Il ny avait rien dautre que le roc brillant, se dressant jusquà des hauteurs défiant le regard. Le fleuve avançait silencieux, sans un murmure, indifférent. Cela se produisait réellement, ce nétait pas un rêve ni une vision ou un symbole à interpréter. Cela avait lieu, là, sans aucun doute. Ce nétait pas le fruit de limagination. Aucune pensée naurait pu inventer cela, cétait trop immense et réel pour quelle puisse le concevoir. Limmobilité du corps et le mouvement de ce grand fleuve coulant entre les parois granitiques du cerveau, tout cela a duré une heure et demie, exactement. Par la fenêtre ouverte, les yeux pouvaient voir laurore naissante. On ne pouvait se tromper sur la réalité de ce qui avait lieu ". (J. Krisnamurti - le 8/8/61 - Gstaad, Suisse). |
Conclusion Voilà un petit peu de tout ce
que lon peut dire des origines. Le passé et linconnu ( J.Krisnamurti - le 23//1/62 - Delhi. Inde ). |
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