Mysterium
conjunctionis Tome 1 - (Les symboles)
Le Mystère de
la conjonction des opposés.

« Ce serait une impardonnable erreur, disait Jung, de ne voir dans
le courant de pensée alchimique, ../.. que des opérations de
cornues et de fourneaux. Certes, l'alchimie a aussi ce côté, et
c'est dans cet aspect qu'elle constitua les débuts
tâtonnants de la chimie exacte. Mais l'alchimie a aussi un côté
vie de l'esprit qu'il faut se garder de sous-estimer, un
côté psychologique dont on est loin d'avoir tiré tout ce qu'il y a
à en tirer. Il existe une "Philosophie alchimique",
précurseur titubant de la psychologie la plus moderne. Dans
l'ombre de l'inconscient est caché un trésor, le "Trésor
difficile à atteindre", caractérisé tantôt par une perle
brillante, tantôt, comme dit Paracelse, par un "Mysterium",
ce qui indique quelque chose de fascinant par excellence. Ce sont
les possibilités d'une vie et d'un progrès spirituels ou
symboliques qui constituent le but dernier, mais inconscient, de
la régression. ». Jung a présenté l'important ouvrage qu'il a
consacré au rapprochement de la psychologie moderne avec
l'alchimie médiévale comme une série d'études sur la séparation et
la réunion des opérations psychiques dans l'alchimie. Il y a
travaillé pendant dix ans avec sa collaboratrice , Mme M. L. von
Franz. Le livre commence par la présentation des composants de la conjonction
et de la dualité alchimique des opposés, des symboles qui
l’expriment et de leur signification psychologique. « L'essentiel
de l'art alchimique, dit Jung, consiste en la séparation et la
dissolution d'une part, la réunion et la coagulation d'autre part
(Solve et coagula). ». La situation est analogue dans la
psychologie et dans l'alchimie. On est en présence d'un état initial
dans lequel des tendances ou forces opposées sont en lutte, et l'on doit ensuite
engager un processus capable de ramener ces éléments à l'unité.
Il faut réunir les deux époux, (sponsus et sponsa). Dans
les deux cas, d'ailleurs, la situation de départ est obscure,
et il convient d'en découvrir d'abord la nature, la (Materia
prima). La suite, qui n'est pas plus facile, consistera à
confronter les opposés en visant à en réaliser l'union durable. |
MYSTERIUM CONJUNCTIONIS - C.
J JUNG
Exemple de la complexité d'interprétation du texte.
Extrait du tome 1
-chapitre 3 " l'Orpheline et la Veuve" - Albin Michel - 1956
« Sache que tu possèdes
un corps qui perce les corps, une nature qui contient la nature, une
nature qui se réjouit de la nature. qui est appelée à coup sûr "tyriaque"
des philosophes, car, comme la vipère, lorsqu'elle conçoit,
coupe la tête du mâle dans l'ardeur de son plaisir, meurt en
enfantant et se trouve coupée par le milieu. Ainsi l'humidité
lunaire concevant la lumière solaire qui lui convient, tue le
soleil et meurt elle-même, en enfantant la progéniture des
philosophes; et les deux parents, en mourant, transmettent leur
âme à leur fils et périssent. Et les parents sont la nourriture de
leur fils. ».
- NDLR- Le thyriaque est un anti-poison
essentiellement à base d'opium.
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Jung cite des couples d'opposés, chaleur/froid,
humidité/sécheresse, vie/mort, esprit/âme, licorne/cerf, etc, qui
se présentent souvent dans une structure quaternaire (les
quatre éléments, les quatre âges de l'homme), sorte de croix
symbolique. La signification du Mercure (spititus mercurii),
en fait le principe unificateur synthétisant l'union des couples d’opposés dans
ce "quaternio", en relation avec un arrière-plan chrétien. La double
quaternité, l'octoade, combinant la croix simple à la croix dite
de St André, représente la totalité, à la fois céleste et
terrestre, spirituelle et corporelle, qui se trouve dans
l'inconscient. « C'est, à n'en pas douter dit Jung,
le microcosme, l'Adam mystique, l'homme primordial. C'est pourquoi,
dit-il encore, dans le Gnosticisme, non seulement le
"Père de Tout" est décrit comme ni masculin ni féminin mais qu'il
est aussi appelé le "fond" ou "l'abîme". En sa forme physique (materia
prima), le Mercure serait donc l'homme primordial
dissous dans le monde matériel, et en sa forme sublimée, la
totalité restaurée de cet "Anthropos" triomphant. ».
Dans la littérature alchimique, on trouve les symboles
de "l'Orphelin et de la Veuve". Selon Hermès Trismégiste, le terme
"Orphelin" désignerait la pierre philosophale, ainsi qualifiée en
raison de sa singularité. La "Veuve" serait alors la matéria
prima, la mère de la pierre, le principe alchimique féminin,
Sponsa l'épouse, qui est aussi la Lune obscure, au rôle
toujours néfaste ou destructeur. Elle est le symbole alchimique
paradoxal de la lumière qui luit dans la nuit, mais qui blesse aussi le
Soleil, rôle réalisé dans l'éclipse. Dans la
tradition chrétienne, constamment présente chez Jung, la Veuve est
l'Église et l'obscurcissement du Soleil, (le Lion, le Soleil
intérieur), montre qu'il s'avilit à cause de la chair. Chez les Manichéens, la
roue hydraulique inventée par le Fils du Père vivant, le
Rédempteur, pour racheter les âmes de hommes, correspond à la "Rota"
des alchimistes, et Mani, l'esclave, était bien le Fils de
la Veuve puisque racheté à quatre ans par une riche veuve, il ne
connut jamais ses parents.
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Image alchimique du meurtre du Soleil |
Pour unifier les opposés, l'alchimie doit les contempler
simultanément et les rapprocher, ce qui est paradoxal. La
tâche première de l’alchimie visait à mettre en harmonie
l’arrière-plan féminin et maternel de la psyché masculine
avec l’esprit. Le but était d’effacer le péché originel,
ce que tout son art tendait à réaliser. Jung présente ensuite
la doctrine alchimique des "scintillae" les "étincelles de
l'âme". Ce terme d’étincelle de l'âme, ou "scintilla",
a été utilisé par Maître Eckhart, Héraclite et Simon le Mage,
ainsi que dans les textes alchimiques qui la décrivent comme 'l’archaeus',
le centre igné de la terre, (mâle et femelle à la fois). « Les
étincelles de l'âme du Monde étaient déjà dans la chaos, dans la prima materia
au commencement du monde. ». On parle ici de l'âme du monde,
mais le texte affirme que ces étincelles sont multiples. On
entre alors dans un développement fort intéressant. Les
alchimistes considèrent que l'opposition existant entre
le masculin et le féminin est majeure. Jung la compare au
conflit incestueux décrit par Freud, en référence au péché
originel et à l’opposition de nature entre la matière et l’esprit.
Le but de l’alchimie est l’unification, celui du second est la
discrimination. Le mythe alchimique du roi des mers exprime son
double projet : découvrir l’or caché dans la matière et faire
renaître la lumière, et donc, par la connaissance, de délivrer
l'âme du corps pneumatique hors la corruption de la
chair. La volonté chrétienne est de restaurer l’état
originel d’innocence par l'ascétisme, la vie monastique et,
plus tard, par le célibat des prêtres, Elle est donc tout
à l'opposé de l’esprit alchimique. Par l'image
symbolique du mariage (purement mystique) de "sponsus" (le Christ) et "sponsa"
(l’Église), le Christianisme propose une solution purement
spirituelle. L'alchimie lui oppose le mariage alchimique,
(physique par nature), la conjonction du Soleil et de la
Lune, (une solution conceptuellement presqu'incestueuse). Jung
explique que ces deux tentatives échoueront parce que l’opposition
des sexes doit être résolue dans l’âme de l’homme.
Mais qu'entend ici Jung par l'âme de l'homme ?
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MYSTERIUM CONJUNCTIONIS - C.
J JUNG
Extrait du tome 1
- " la personnification des opposés" - Albin Michel - 1956
« Il n'y a rien
d'étonnant en soi à ce que l'inconscient se manifeste sous la
forme de projections et de symboles, puisque c'est la seule
manière dont il puisse être perçu. Mais il n'en va pas de même,
semble-t-il, de la conscience. La conscience, en tant que quintessence de ce
qui est clairement saisi, paraît être dépourvue de tout ce qui est
requis pour une projection. Celle ci n'est pas, bien entendu, un
phénomène arbitraire, mais c'est un évènement qui s'impose "de
l'extérieur" à la conscience, une apparence de
l'objet où le sujet ne discerne pas qu'il est
lui-même la source lumineuse dont la clarté fait briller le
réflecteur qu'est la projection. ».
Extrait du livre de Jung "Commentaires sur le mystère de la
fleur d'or" - Albin Michel -
Fragment de l'avant propos de Michel Cazenave.
« Il est un thème,
particulièrement, sur lequel je voudrais insister, qui est la
notion d'âme. A passer à côté, on passerait tout autant à
côté ../.. du nœud central de toute l'expérience et de toute
l'œuvre de JUNG. L'âme, pour lui, on le sait, désigne la "globalité"
de la psyché humaine, c'est-à-dire dans une conjonction majeure
des opposés, de l'inconscient et de la conscience. Ce qui revient
à dire qu'elle est le tiers inclus en même temps qu'elle
maintient les séparations opérées. ».
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Les personnages
alchimiques de ce drame sont l'Homme et la Femme,
le Roi et la Reine, le Soleil et la Lune (sol et luna).
Le Moi perçoit le Soleil comme une entité bénéfique et
génératrice, qualités projetées sur l’homme et
l’univers. L'alchimie en fait un élément unique, source souveraine
du pouvoir, à partir duquel on peut produire de l’or. Il a
aussi un côté sombre, parfois nuisible. Son image
est le symbole du drame matériel et psychologique qu'est le
retour à la matière originelle, la prima materia. La
mort du Soleil est donc nécessaire au retour à l’innocence. On constate
ici encore la différence entre la dynamique alchimique
ascendante (montant des ténèbres matérielles vers la
lumière spirituelle) et la descente chrétienne du royaume céleste
vers la terre. Les projections alchimiques reflètent l'opposition
conscient/inconscient, symbolisée par le Soleil et la Lune. Le
Soleil est vu comme une projection du Moi, la condition indispensable
à la conscience. Jung distingue le concept du soi, atman supra
personnel, totalité du conscient et de l’inconscient, et le moi, atman personnel,
point de référence central de l’inconscient (ou "miroir" de
l’inconscient). Le soufre alchimique (sulfur), source et fin de tout
vivant, serait la prima materia du Soleil et le compagnon de
la Lune. Sa nature psychique est double: ignée et corrosive, guérisseuse et
purificatrice, corporelle et spirituelle, terrestre et occulte. Il consume et purifie.
On l’identifie au diable et d’autre part au Christ. Ill est synonyme de la
mystérieuse substance de transmutation. On retrouve le concept jungien du
Soi défini comme la totalité humaine, plus grand que le moi conscient
et contenant ce moi, l’ombre personnelle et l’inconscient collectif.
Les alchimistes mettent en évidence l’existence psychique de l’ombre,
opposée et compensatrice du conscient, image positive et structure
cachée de la psyché. Le soufre symboliserait le dynamisme impulsif
issu de l’ombre et de "l’anthropos" présents dans
l’inconscient.
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MYSTERIUM CONJUNCTIONIS - C.
J JUNG
Extrait du tome 1
- " luna" - Albin Michel - 1956
« L'homme ne peut
reconnaître son anima que sous une forme projetée : Il en
va de même de la femme et de son soleil obscur. Si son eros
est en ordre, son soleil ne sera pas alors trop sombre et le
porteur de la projection signifiera peut-même une compensation
utile, mais si elle n'est pas d'accord avec son eros ../..
l'obscurité de son soleil correspond à une personne masculine
possédée par l'anima sécrétant une esprit inférieur aussi
grisant qu'un fort alcool. .. /.. Le soleil obscur de la psychologie
féminine est en rapport avec l'imago paternelle puisque le père est bien le premier porteur de
l'image de l'animus. Il donne un contenu et une forme à
cette image virtuelle car il est, grâce à son logos,
la source de "l'esprit" pour sa fille. ../.. L'esprit qui est
profitable à la femme n'est pas un pur intellect, mais plus
que cela : C'est une attitude, un esprit dans lequel on vit. ».
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Contrepartie du soleil
et deuxième terme de la conjonction, la lune alchimique est froide,
humide, sombre, féminine, corporelle et passive. Jung expose son rôle dans
le mystère des transformations, à la lumière des textes
alchimiques. « La Lune est la sœur ou la fiancée, la mère
ou l'épouse du Soleil. Elle est aussi le vase du soleil et le
réceptacle de toutes choses (et en particulier du Soleil), parce
qu'elle reçoit et verse la puissance du ciel. ». Elle permet la
conception de la semence du Soleil, dan la quintessence, dans le
ventre et la matrice de la nature. Si le Soleil engendre l'or,
la Lune est aussi "l'argent" qui est un symbole de
l'arcane "Lune". La croyance en l'influence
de la lune sur la germination conduit à l'étrange conception
alchimique que la lune serait elle même une plante, une
sorte de mandragore. Chez la femme, la lune correspond à la
conscience et la soleil à l'inconscient, en relation avec la
présence du genre opposé dans l'inconscient (anima chez l'homme,
animus chez la femme). La Lune apparaît dans une position
désavantageuse par rapport au Soleil ce qui souligne ses
aspects néfastes. Selon Jung, cette caractérisation de la Lune
montre que les alchimistes concevaient l’union du Soleil (le conscient)
et de la Lune (l’inconscient) comme dangereuse et produisant des
animaux symboliques venimeux, des prédateurs, ou des oiseaux de
proie. Il compare le rôle alchimique de la Lune à celui de la
Vierge Marie et de l’Église car, de par sa position entre les
choses célestes éternelles et la sphère terrestre et sublunaire,
elle partage les souffrance de la Terre. La symbolique alchimique
associe souvent le Chien à l'image de la Lune, comme le Lion à
celle du Soleil. Les figurations animales révèlent la volonté
alchimique de souligner l'existence d'appétits sensuels
dans la psyché humaine. |
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L'étude détaillée des
propriété du sel clôt le 1er tome du "Mysterium
connjunctionis". Dans l'alchimie, le sel est associé au
symbolisme lunaire. Cet élément très important est le
symbole de la puissance arcane. L'amertume du sel et de la
mer connote la corruption et l'imperfection de la partie de
l'univers qui demeure dans le chaos. De même que l'esprit du
chaos est indispensable à l’ordre alchimique, l’inconscient
est essentiel au fonctionnement équilibré de l’esprit
humain. Dans la pensée alchimique l’âme s’élève jusqu'au le royaume
de l’esprit mais ne trouve pas le salut avant de redescendre
dans le centre de la terre. Cette montée et cette descente
représentent la réalisation des opposés psychiques, qui
entraîne leur intégration et l’accomplissement total de la
personnalité. La montée et la descente à travers les sphères
planétaires est interprété comme la réunion des énergies
inférieures et supérieures. Dans le Gnosticisme chrétien
cette transformation symbolique commence par une descente
puis s'opère par l’ascension qui s’ensuit (la résurrection
). Dans la théorie alchimique le processus se
déroule donc en sens contraire. Le sel alchimique est
généralement associé à l’âme. C'est une substance
transcendante qui coagule et transforme bien d’autres
substances. Comme l’âme du monde, il pénètre toutes
les substances. Il est aussi associé à la figure du Christ
(également identifié à l’âme du monde, la substance
créatrice). Cette dualité de l’amertume et de la sagesse
dans la signification du sel pourrait exprimer le
conflit interne de la psyché. Pour Jung, il semble
que les alchimistes aient eu une bien meilleure
compréhension de cette symbolique conflictuelle que ne l’ont
eue plus tard les Chrétiens ; ils ont reconnu le côté sombre
de la psyché et du monde tandis que l’Eglise continue
d'exiger une sorte d’aveuglement lié à son dogme, en déniant
à l’ombre sa place dans l’ordre du monde. |

Remarquez la couronne sur le vase |
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