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( Mise à jour de juillet 2017 )
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  Petit Manuel d’Humanité

CAHIER 50 - Béguines et Cathares des Flandres.
 

MANUSCRIT
ORIGINAL


 
N° 00035434
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réservés

Table des Matières interactive.

Introduction.

Les Cathares des Flandres.
Les Frères et Soeurs du Libre Esprit.
Béghards, Béguines et béguinages.

Le "Miroir  des simples âmes anéanties..".
Citations de Marguerite Porète.
Commentaires et illustrations.

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Béguines et Cathares des Flandres.

Introduction

 

 

La période du 10e au 13e siècle fut déterminante dans l'histoire du Catholicisme. Á la fin des Croisades, la Chrétienté avait abandonné le Moyen Orient à l'Islam. Ces expéditions furent fort coûteuses en vies humaines comme aux plans économiques et politiques. Dans ce désordre, les moeurs se relâchèrent y compris celles des gens d'Eglise. En réaction contre le laxisme du clergé, et bien avant le mouvement de la Réforme du 16e siècle, divers courants entreprirent de revenir à plus de vertu et de pureté comportementale. Tout au long des 12e et 13e siècles, l’Eglise combattit avec violence ces mouvements qualifiés d'hérésies, comme celles des Vaudois et des Cathares. Ceux-ci apparurent au 11e siècle, dans ce grand mouvement de pensée religieuse réformatrice, en Italie du Nord, en Flandre, en Angleterre, en Allemagne, dans le Nord et le Midi de la France. On comptait alors environ 4.000 mille parfaits pour l’ensemble de l’Europe dont 2.000 pour l'Italie, (et 200 seulement dans le Midi, marginal à ce titre). La persécution multipliant les exécutions par le feu, le Catharisme éprouvé se réfugia dans le Midi plus accueillant. C'est donc dans les Flandres et dzns les Pays rhénans que débuta ce grand mouvement contestataire, et c'est également là que se mit en marche l'effroyable appareil répressif qui culmina ultérieurement dans la croisade des Albigeois. Mais, dans l'Histoire banalisée, les terribles excès de la répression méridionale ont fait oublier les souffrances, les procès et tous les bûchers qui l'ont précédés.

Le Catharisme n'a d'ailleurs pas été le seul mouvement issu de ces régions. D'autres courants de pensée y sont alors nés comme ceux des Frères et Soeurs du Libre Esprit, ceux des Béghards ou des Béguines. Ils furent également durement persécutés. Les Béghards, (ou Bégards), étaient des moines mendiants existants au 13e siècle sur les bas cours du Rhin et de la Meuse. Le mot pourrait être le masculin de "Béguines", des communautés de pénitentes mariées, implantées à la fin du 13e siècle dans le nord de la France et les Pays-Bas, où l’Église autorisa la création de communautés masculines similaires. Les Béghards enseignaient que "Dieu est Tout et qu'il n’y a aucune différence entre Dieu et la Création. La destinée des hommes est de s’unir à Dieu, car, par cette union, l’homme inspiré acquiert la nature divine". Cette théorie partagée entre autres par les Turlupins fut condamnée par le Concile de Vienne en 1311. Les Béghards, déclarés hérétiques adhérent alors au Tiers Ordre Franciscain, (avec quelques adaptations doctrinales). Soumis aux pressions catholiques, le mouvement disparut lentement quoique quelques béguinages de femmes veuves ou célibataires aient subsisté en Belgique et aux Pays-Bas, jusqu'au siècle dernier.

Malgré la réforme moralisatrice dite "grégorienne", l'Église avait été incapable d'empêcher l'éclosion de ces mouvements contestataires. Le comportement du clergé de base était alors bien dégradé : concubinage, négligence, corruption, ignorance étaient fréquents, (et parfois simonie). En réaction, de nombreux courants apparurent, proposant un mode de vie fondé sur la pauvreté et la renonciation au monde, tel le Catharisme, cruellement combattu dès 1150. Un autre mouvement fut initié par Pierre Valdo vers 1170 à Lyon. Il y prêchait la bonne parole et forma un cercle de disciples. Les Vaudois, excommuniés en 1184 par le Concile de Vérone, niaient l'Eucharistie et ne respectaient pas les consignes du clergé. L'Église vaudoise a pourtant partiellement survécu, y compris jusqu'à nos jours. L'échec de la lutte contre les hérésies conduisit l'Église à fonder l'impitoyable tribunal de "l'Inquisition", confié aux Dominicains. Usant souvent de la torture, les inquisiteurs imposaient aux hérétiques diverses peines, port de la croix, amendes, pèlerinages, emprisonnements, souvent la mort, par la potence ou le feu.

Comme les Béghards et les Béguines, les Turlupins participaient d'un des courants majeurs de pensée dit "Frères et Soeurs du Libre-esprit", répandu en Europe à partir du 13e siècle. Avec les Cathares, les Vaudois, les Templiers,  et les Franciscains, les Turlupins prônaient un idéal de pauvreté. Ils auraient même poussé cette notion jusqu'à vivre nus la plupart du temps. « La pauvreté, disaient-ils, lave l'homme du péché et ressuscite le Christ en lui. Et c'est en écoutant ses désirs que l'homme entre dans "l'Esprit libre. La charité peut parfois se confondre avec l'amour charnel ». Tous ces mouvements aspiraient donc philosophiquement à la pauvreté intellectuelle (l'esprit vacant permettant de mieux recevoir Dieu). Á partir de 1204, l'Inquisition les pourchassa très sévèrement. On connaît historiquement le cas de Marguerite Porète, une Béguine valenciennoise qui brûlée vive en place de Grève à Paris, le 1er juin 1310 avec le livre qu'elle avait écrit. Mais les Turlupins s'échappèrent souvent et se maintinrent longtemps sans que l'on sache si le mouvement a réellement pris fin. Chez eux cependant, une autre femme, Jeanne Daubenton, fut aussi brûlée vive, en place de Grève, en 1372. Elle allait, semble-t-il, entièrement nue, disant que ce n'est point pécher que satisfaire aux désirs des sens.

Les Cathares des Flandres

 

 

Les Cathares, étaient présents en Italie du Nord dans les Pays rhénans et la Lorraine, en Picardie, et dans le Midi de la France. C'était un mouvement religieux important . Ils croyaient que le monde et la société étaient entièrement mauvais et ils voulaient mettre en place une nouvelle religion et former une autre église. Leurs doctrines et pratiques se fondaient sur les croyances des premiers chrétiens et la pauvreté évangélique. Certains cathares adhéraient en partie aux idées manichéennes d'un Monde régi par la dualité des principes opposés du Bien et du Mal(Le Bien, créateur du monde spirituel, et le Mal, celui du matériel). Les cathares rejetaient la divinité du Christ et tous les rites et sacrements de l’Église catholique, comme des superstitions condamnables. L'appellation de "Cathares" provient du grec ("katharos", pur). Ils n'avaient que deux sacrements, la "Tradition", ou transmission de l'Oraison dominicale (Pater Noster),  par laquelle les "auditeurs" ordinaires devenaient des "Croyants", et le "Baptême spirituel" ou "Consolation", (Consolamentum), qui en faisait des "Parfaits Chrétiens". Dans la cérémonie de Tradition, le récipiendaire, parrainé par un ancien de la communauté, était présenté à "l'Ordonné", un Parfait établi, qui lui expliquait la signification du rite. Puis il en recevait le livre des Évangiles. Le fidèle devenu "Croyant" devait demander le pardon de ses fautes et la bénédiction de l'officiant ; il prenait l'engagement de réciter le Pater plusieurs fois chaque jour, comme prévu par le rituel. Le baptême de l’esprit, ou "consolamentum",  contraignait les "parfaits" à une vie chaste beaucoup plus austère. Les simples croyants ne recevaient ce consolamentum qu’à l’approche de la mort. Les parfaits, (les prêtres),  et les évêques portaient un manteau noir à capuchon, pour se distinguer des simples fidèles. Ils quittaient tous leurs proches pour se consacrer à Dieu et à l’Evangile. Ils étaient d’absolus végétariens et s’abstenaient de tout rapport sexuel. Les simples croyants promettaient de prononcer ultérieurement les mêmes vœux que les parfaits. Ils pouvaient se marier et manger occasionnellement de la viande. Mais on exigeait qu’ils renoncent à l’Église catholique, et qu’ils progressent vers la vie « parfaite ».

Carte de l'expansion cathare au moyen âge
On distingue bien l'importance de leur implantation au Nord de la Loire

Le fondement de la morale cathare provenait du Sermon du Christ sur la Montagne. les fidèles devaient aimer leurs ennemis, assister les pauvres et les malades, s'abstenir de jurer, et demeurer pacifiques en toute situation. L'usage de la force n’était jamais moral et la peine capitale était un crime absolu. Ils s’opposaient donc à l’Eglise catholique qui brûlait les hérétiques. Leurs rites étaient simples, prières et chants, jeûnes et sermons doctrinaux. Ils n’avaient ni église ni lieu de culte, priant et prêchant dans les bois ou les maisons des croyants. Les Cathares rejetaient tous les sacrements y compris le mariage, n’acceptant qu’un engagement public. Pour les catholiques, ils vivaient donc dans le péché de concubinage. Ils disaient que l'Eglise romaine n'était pas celle du Christ et que les papes n'étaient pas les successeurs des apôtres. Á partir du milieu du 13e siécle, le catharisme se répandit dans le Nord et l'Est de la France, dans les Pays rhénans et dans les régions méridionales. La répression s'organisa, conduite par les évêques et des ordres religieux comme les Cisterciens. Devant leur relative impuissance, la papauté instaura l'Inquisition, d'abord en Allemagne en 1231, puis en France. En 1233, Grégoire IX confia la conduite de l'Inquisition dans le Nord de la France à un dominicain, Robert, dit le Bougre (un bogomile retourné par l'institution). Il exerça férocement et frénétiquement sa charge, sévissant d'abord à La Charité-sur-Loire, où il fit brûler plusieurs personnes. Ses méthodes expéditives amenèrent les archevêques de Sens et de Reims à protester auprès du pape qui suspendit en février 1234, les pouvoirs de l'inquisiteur. Mais, pour affirmer son autorité, Grégoire IX lui rendit toutes ses prérogatives en 1235. Alors, Robert le Bougre se déchaîna : Cambrai, 17 février 1236, 20 brûlés, puis 10 à Douai, le 2 mars 1237. En Flandre, ses ravages sont moins connus mais néanmoins certains. L'aboutissement de cette rage meurtrière est le bûcher du Mont-Aimé,en Lorraine, dont les nombreuses victimes furent arrêtées lors de la grande foire de Provins en mai 1239. Un procès sommaire commença aussitôt, mais les procès-verbaux ont été perdus et l'on ne dispose que des écrits des chroniqueurs locaux dont le plus précis est le cistercien "Aubri de Trois-Fontaines", dont le monastère était proche.

Couverts de paille et de petits fagots
 Les condamnés à genoux étaient attachés à un petit pieu

En 1048, l'évêque de Châlons-sur-Marne déplorait la présence de Manichéens dans son diocèse, et 100 ans plus tard, en 1145, les chanoines de Liège signalaient au pape Lucius II qu'une hérésie manichéenne s'est répandue dans le pays du Mont-Aimé, une colline couronnée d'un château-fort dans la plaine de Champagne. Le Catharisme s'installait dans la région. La répression lancée par l'Inquisition était menée par Robert le Bougre. Il installa son tribunal au Mont-Aimé, le berceau local de l'hérésie et y ouvrit un énorme procès. 500 à 600 personnes furent accusées dont 183 condamnées au bûcher, presque autant qu'à Montségur. Ce procès ne dura qu'une courte semaine, condamnant au supplice plus de 30 personnes chaque jour. Parmi les juges ordinaires, Aubri dénombra seize évêques qui secondaient aux interrogatoires l'inquisiteur jugeant au nom du pape. Ces évêques étaient ceux de Reims Soissons, Tournai, Cambrai, Arras, Thérouanne (Saint-Omer), Noyon, Laon, Senlis, Beauvais, Châlons-sur-Marne, Orléans, Troyes, Meaux, Verdun et Langres. Il faut y ajouter, dit encore Aubry, beaucoup d’autres prélats des églises, d’abbés, de prieurs et de doyens. Le dominicain Etienne de Bourbon, le comte de Champagne (roi de Navarre), et les barons champenois assistèrent aussi à ce procès suivi par une immense foule hostile aux hérétiques. Indignés par l'arbitraire du procès et la brutalité extrême de la répression, certains évêques n'assistèrent pas à l'exécution et, suite à leurs protestations, Rome destitua et emprisonna l'Inquisiteur. L'hérésie retomba sous la juridiction des tribunaux épiscopaux, mais elle ne survécut pas aux coups terribles infligés par Robert le Bougre. L'holocauste du Mont-Aimé fut comparé au drame de Montségur, consommé cinq ans plus tard. Sachez que ces bûchers collectifs avaient lieu dans un espace clos par une palissade qui cachait le martyre. Les condamnés y étaient alignés, agenouillés, liés à un petit pieu. Pour économiser le bois fort coûteux, on les couvrait de bottes de paille et de petits fagots. Toute cette paille en s'enflammant d'un coup produisait un violent ouragan de feu dont les pauvres gens inspiraient les flammes. On disposait ensuite des corps. L’autodafé exterminatoire du Mont-Aimé fut organisé en temps de paix, consciemment et méticuleusement, tout comme les rafles des juifs, gazés et brûlés par l'Allemagne nazie. Ces crimes passés marquèrent, à mes yeux, l'Eglise romaine, et ils me demeurent encore aujourd'hui tout à fait insupportables.

  

 

 

Cortège de condamnés dirigés vers le bûcher.

Les Frères et Soeurs du Libre Esprit

 

 

Les Frères et les Soeurs du Libre Esprit participaient aux mouvements hérétiques qui apparurent au 13e siècle suite aux errements de l'Eglise. Le mouvement se propagea le long du cours du Rhin jusqu'en Flandre et aux Pays-Bas. Leurs croyances étaient proches de celles des Adamites. L'origine des Adamites semble remonter au 2e siècle. Ils auraient été une secte gnostique dont le fondateur, Prodicus, était disciple de Carpocrate. Les Adamites (ou Adamiens) sont mentionnés par Épiphane, Clément d'Alexandrie, saint Augustin et Théodoret. Ils prétendaient avoir été rétablis dans l'état d'innocence d'Adam au moment de sa création, et dans cette imitation, ils allaient complètement nus, même pour prier dans leur Temple qu'ils appelaient Paradis. Ils refusaient le  mariage, et ils furent accusés de pratiquer la communauté des femmes. Il semble pourtant qu'ils vivaient dans la continence et dans la solitude et ils prétendaient que si l'un des leurs cédait au péché de chair, ils le chassaient de leur assemblée et de leur Temple.  Au 13e siècle, ces mêmes pratiques auraient été reprises dans les Pays-Bas par les Frères et Sœurs du Libre Esprit, et, au 14e par les Bégards d'Allemagne. Les Adamites reparurent aussi sous le nom de Turlupins ou de Pauvres Frères, en Dauphiné et en Savoie. Ils disaient qu'arrivé à un certain état de perfection, l'homme est affranchi de la loi des passions, et que sa liberté consiste à secouer le joug des Lois divines. Le Roi Charles V. secondé par le zèle de Jacques de Mora, Dominicain Inquisiteur à Bourges, en fit périr certains par les flammes, faisant aussi brûler leurs livres à Paris sur la Place du marché aux pourceaux. La même appellation désigna plus tard des hérétiques de Bohême, les Pikarti ou Picards, (fondés par un nommé Picard, natif de Flandre), qui, au 15e siècle, épaulèrent le mouvement hussite. Venus de Picardie, où le Libre-Esprit s'était ranimé, il furent sauvagement exterminés en 1421 par Jan Žižka.



Adamites d'Amsterdam

Le mouvement des adeptes du Libre Esprit avait été précédé par celui du Nouvel Esprit connu par 97 propositions que rapporte Albert le Grand, dans sa "Determinatio... super articulis inventae heresis in Recia dyocesis Augustensis, en 1270. Les adeptes du Libre Esprit se disaient frères et soeurs, animés par une inspiration commune puisée dans la lecture des versets des Évangiles ou des Épîtres. Saint Paul, disaient-ils, affirmait que : « Le Seigneur, c’est l’esprit, et, là où est l’esprit du Seigneur, là est la liberté » (2 Cor. 3, 17, et aussi que : « Si vous êtes conduits par l’esprit, vous n’êtes pas sous la loi » (Gal. 5, 18). Le plus important pour eux, c’était d'être habité (et agi) par l’Esprit dans et pour la vie parfaite. Cette conviction leur tenait lieu de discipline et ils pouvaient s’abandonner aux impulsions intérieures qui étaient pures puisque venant de l’Esprit quand elles étaient reçues dans des âmes pures (I Jean 3, 9 ; Tite 1, 15), entièrement anéanties et vides de tout, et en particulier, du péché. Unis immédiatement à Dieu, ils rejetaient la médiation de l'Église comme n’étant pas celle de l’Esprit, mais celle du Monde et des clercs. Ce que l'Église enseignait et commandait était donc sans valeur et il était inutile de prier, de se confesser à des prêtres, puisque Dieu leur parlait directement et qu'ils lui parlaient directement.  Se considérants parfaits, ils n’avaient rien à demander ni rien à se faire pardonner. La pratique des sacrements est superflue quand on est déjà uni à Dieu, et leur administration ne doit pas être réservée à des prêtres car des laïcs parfaits sont dignes de la faire. il ne convenait pas non plus d’avoir un culte pour les saints puisque chacun pouvait être aussi saint, sinon plus saint qu’eux. L'Église officielle hiérarchisée, riche et jalouse de sa situation et de son pouvoir ne pouvait tolérer ces contestations, et le concile de Vienne condamna en 1311 les frères du Libre Esprit avec les Béguines et les Bégards. L’empereur Charles IV publia en 1369 un édit qui aggrava encore leur répression et leur persécution.

Tribunal de l'Inquisition

Les Chrétiens considéraient en effet que les Frères et Soeurs du Libre Esprit ne se situaient pas seulement hors de l’Eglise mais aussi hors du Christianisme : Se croyant être Dieu par nature, ils n’avaient pas besoin que Dieu s’humanisât pour leur rachat. L'Incarnation et la Rédemption n’avaient ni sens ni valeur pour eux, que la perfection faisait sans péché, les rendant égaux au Christ. Un auteur (Tauler) disait : « Ils se dépouillent tellement qu’ils ne veulent ni penser, ni louer Dieu, ni avoir, ni savoir quelque chose, ni vivre, ni demander, ni désirer. Tout ce qu’ils peuvent demander, ils l’ont et ils pensent être ainsi pauvres en esprit parce qu’ils sont sans volonté propre.  Ils ont abandonné toute propriété. Ils veulent aussi être libres de la pratique de la vertu et ils ne veulent obéir à personne, ni au pape, ni à l’évêque, ni au curé. Ils veulent être libres de tout ce qui est du domaine de la Sainte Eglise. Ils disent publiquement que, tant que l’homme s’efforce vers des vertus, il est encore imparfait et ne sait rien de la pauvreté en esprit ni de la liberté de l’esprit... Ils se considèrent comme au-dessus des anges et de tout mérite humain. Ils croient qu’ils ne peuvent ni grandir en vertu ni commettre des péchés. Ce que la nature désire, ils peuvent, selon leur idée, le faire librement, sans péché parce qu’ils sont parvenus à l’innocence suprême et qu’il ne leur est imposé ni commandement ni loi. Ils obéissent à ce que leur nature désire pour que l’esprit puisse demeurer dans une liberté sans obstacle » (cit. Delacroix, p. 123). Ruysbroeck, quant à lui, dénonçait leur hérésie, car ces adeptes du Libre Esprit déclaraient : « Nous sommes Dieu par nature ; dans notre être éternel, nous étions sans Dieu ; par l’effort de notre libre arbitre nous sommes sortis de l’être absolu pour paraître dans le monde ; Dieu ne sait, ne veut rien sans nous ; nous avons créé avec lui l’univers. Nous ne croyons pas en Dieu, nous ne l’aimons pas, ne le prions pas, car ce serait avouer qu’il est autre chose que nous. Il faut s’affranchir de toute loi, ne se préoccuper ni de connaissance ni d’amour » (Delacroix).».

  


 

Le Jardin des délices de Jérôme (Hieronymus) Bosch pourrait représenter le Paradis des Turlupins.
Le peintre est né à Bar-le-Duc où était actif un groupe de Turlupins.
 

Béghards, Béguines et Béguinages
 

 

Les Béguines et les Béghards étaient donc les membres de communautés, mi-religieuses, mi-laïques, fondées dès la fin du 12e siècle, au long du cours du Rhin et dans de nombreuses villes flamandes. Les béguinages se multiplièrent initialement en raison de l'apparition  d'une forte paupérisation. l'afflux de mendiants dans les villes nécessitait la mise en place d'institutions caritatives dont les membres assumaient une pauvreté volontaire au nom du Christ. A partir de Liège où apparaît le premier établissement  vers 1180,le mouvement s'étend très rapidement à Valenciennes en 1212, Douai en 1219, Gand en 1227, Anvers en 1230, puis bientôt Paris en 1250, Cambrai, Cologne, etc.. Cependant, au 13e siècle, le mouvement fut affecté par les idées répandues par les Frères et Soeurs du Libre Esprit, et il intégra très rapidement leur philosophie panenthéiste (assimilant Dieu et le Monde), tout autant que leur conception si particulière du libre arbitre. L'Église Romaine qui semblait manifester de l'intérêt pour la volonté de pauvreté qu'affirmaient les diverses communautés monastiques nouvelles, n'en acceptait cependant pas la revendication insolente qui dépassait publiquement la critique ouverte de l'ignorance des clercs et celle de l'enrichissement des pontifes. Certains comportements et dérives doctrinales choquaient. Chez les Béguines et les Béghards, le détachement des biens se voulait garant d'une richesse spirituelle menant de la vision béatifique et mystique, jusqu'à la prétention de s'égaler à Dieu, et donc de ne connaître nul contrainte, sans commettre aucun péché.



Images d'époque

En 1311, le concile de Vienne condamna globalement, sous l'appellation de "Bégards", tous les partisans du Libre-Esprit, les apostoliques, les fraticelles et les béguines catholiques. Les tribunaux ecclésiastiques ordinaires sévissaient déjà depuis longtemps. Avec la multiplication des hérésies, et plus particulièrement suite à l'extension du Catharisme, ils étaient fort chargés. Leur action fut alors complétée par la création de l'Inquisition, en avril 1233, par le Pape Grégoire IX. Originellement, ce nouveau tribunal devait prévenir les excès arbitraires des cours de justice en place. En effet, depuis le 6e siècle et la constitution de Justinien, en principe, la loi civile conduyamnait à mort tous les hérétiques. Ces dispositions avaient initialement été appliquées avec mansuétude puis l'usage s'était progressivement établi de les brûler vifs. La papauté décida d'intervenir pour limiter les abus. En 1231, par la constitution Excomunicamus, le pape codifia la répression et définit les peines qui frappaient les hérétiques, le bûcher pour ceux qui s'obstinaient dans l'erreur, la prison ou une peine canonique (pèlerinage, jeûne....) pour les hérétiques qui se repentaient,et l'excommunication pour les catholiques qui les avaient aidés. Mais, hypocrisie majeure, comme il n'était pas question que l'église donna la mort, en vertu du principe Ecclesia abhorret sanguinem, c'était au bras séculier (la justice seigneuriale ou royale) que les condamnés au bûcher étaient remis. Les inquisiteurs traquaient les idées tout autant que les hérétiques, et faisaient souvent brûler les livres avec leurs auteurs, (parfois même avant). Mais les juges pouvaient aussi déclarer l'hérésie établie dans les faits et clore l'instruction sans l'ouvrir, en envoyant alors les suspects au bûcher sans même les entendre.

Exécution de Marguerite Porète à Paris, en 1310

L'histoire rapporte  les condamnations des "apostoliques" Tanchelm et Arnold, brûlés à Cologne en 1115 et 1163, puis celle de Segarelli, fondateur des Frères Apostoliques, torturé par l'Inquisition, et brûlé à Parme en Italie, en 1300. Á Cologne, en 1322, on brûla Walter de Hollande, auteur des "Neuf rochers spirituels", « un vrai manuel de Libre-Esprit, plus cher que tout autre aux Bégards ». En dépit des persécutions, au 14e siècle, la confession de Jean de Brunn, membre d'une communauté de Cologne aurait montré que la licence encouragée par le Libre-Esprit se perpétuait dans la clandestinité des béguinages. Les principaux ennemis des Béghards semblent avoir été l'évêque de Strasbourg, Jean de Durbheim et l'archevêque de Cologne, Henri de Virneburg qui en fit brûler une cinquantaine et poursuivit plus tard Maître Eckhart. En France, en 1420, des Turlupins furent arrêtés à Douai. Ils avaient fait venir un prédicateur de Valenciennes. L’évêque d’Arras instruisit leur procès et condamna le prédicateur et six hérétiques à être brûlés sur la place d'Arras avec leurs livres. Chez les Turlupins, Jeanne Daubenton, elle aussi, fut brûlée vive en place de Grève en 1372. Les Turlupins tentèrent encore de se répandre en Angleterre puis de s’établir en 1372, à Paris où l'on en brûla plusieurs avec leurs livres. Rappelons encore la béguine Aleydis, brûlée en 1236, pour son livre "Le juste amour", sur le même thème que Marguerite Porète développa dans "Le Miroir des simples âmes", montrant comment l'âme annihilée en Dieu fait de l'être humain le réceptacle de la volonté divine, identifiée au pur amour, l'individu accédant ainsi à l'état de perfection. Comme pour Bloemardinne de Bruxelles, la voie de la réalisation divine proposée était celle de l'amour charnel affiné. Le procès de Marguerite Porète et son exécution à Paris, en 1310, démontrent le désarroi et l'inquiétude extrême des théologiens confrontés à une pensée et à un comportement qui semblaient menacer les fondements du Christianisme.

Béguines à l'office

En 1311, le concile de Vienne dirigé par le pape Clément V condamna donc globalement sous l'appellation générale de Béghards, pour fausse piété et hérésie, tous les partisans du Libre-Esprit, les apostoliques, les fraticelles les béguins et les béguines catholiques, à l'exception des Tiers ordres mendiants. Tandis que le Libre-Esprit tentait de survivre sous d'autres formes, le bégardisme disparut rapidement quand l'Église accorda sa protection aux Béguines de stricte obédience. Pour pour échapper à la répression, ces Béguines durent se soumettre à la règle de l'ordre franciscain. Indépendantes des ordres monastiques et placées sous la seule surveillance de l'évêque qui résidait souvent à proximité, les communautés féminines des béguinages jouissaient d'une grande liberté d'action et de pensée qui suscitait l'hostilité du clergé séculier, des franciscains et des dominicains. Sous leur pression, les Béguines disparurent de France et d'Allemagne pour ne subsister que dans les Pays-Bas (et la Belgique actuelle). Il s'y constitua, au 15e siècle, une congrégation dite "des Bégards de la troisième règle de Saint François". Soumises à l'autorité de mères supérieures, (les magistrae ou marthae), appelées aussi "grandes demoiselles", les béguines y retrouvèrent leur organisation traditionnelle associant les novices aux anciennes. Les béguines occupaient leur temps en travaux manuels (jardinage, tissage, dentelle), prières, et œuvres de charité (jusqu'à l'ensevelissement des morts). Aujourd'hui, on retrouve dans la plupart des anciennes provinces flamandes belges, à Bruges, Amsterdam, Diest, Courtrai, (et dans quelques villes du nord de la France), des vieux béguinages assez bien conservés qui témoignent d'une cohérence architecturale partagée, alliant des petites maisons individuelles et leurs jardins privés avec un parc comunautaire pour les rencontres. Ils ont longtemps accueilli, et parfois le font encore, des veuves ou des femmes âgées isolées et peu fortunées, et conservent au cœur des villes actuelles de verts enclos de calme et de sérénité.

  

Quelques béguinages actuels
Béguinage de Dixmude Béguinage de Cambrai
Béguinage de Courtrai Béguinage de Bruges

Le " Mirouer des simples âmes anienties
qui seulement demourent en vouloir et désir d'amour "



 

On ne sait pas trop qui était Marguerite Porète, et fort peu de choses sur sa vie. Elle naquit à Valenciennes, probablement vers 1250, et fit preuve d’une culture solide, théologique autant que profane. Il est fort probable qu'elle ait été béguine, mais ce n'est pas certain car elle se plaint parfois de ne point en être comprise, « Les béguines déclarent que je suis égarée, et les prêtres aussi, les clercs et les prêcheurs ../.. » Elle se décrivait d'ailleurs comme une errante, en désaccord avec tout le clergé. Elle savait qu'en exposant sa "théologie mystique", elle était en opposition à la scolastique doctrinale qui s'imposait à l'époque, et elle l'exprimait clairement dans l'introduction du "Miroir des simples âmes.. " : « Vous qui dans ce livre lirez, si vous le voulez bien entendre, pensez à ce que vous direz, parce qu'il est dur à comprendre, humilité vous faut-il prendre, etc... ». Nous trouvons dans l'ouvrage de Marguerite Porète des témoignages fort précieux de ce qui caractérisait la pensée du mouvement du Libre-Esprit, et en particulier le concept panthéiste de l'unicité de Dieu avec la création, concept inacceptable pour la théologie catholique traditionnelle. Mais la béguine illuminée par sa révélation se sentait porteuse d'une mission qu'elle avait devoir de proclamer. Elle écrivit un premier ouvrage, « L'être de l'affinée amour », (qui semble aujourd'hui disparu). Cet écrit qui semblait mettre en question l'autorité de l'Eglise alarma fort l'évêque de Cambrai, Guy de Colmieu, qui fit brûler le livre vers 1300 en place publique à Valenciennes, en interdisant à Marguerite d'en diffuser d'autres ou doctrines sous peine d'être jugée hérétique et relapse. Attachée à sa mission, elle récidiva cependant avec un nouvel ouvrage au titre subtil,  « Le Mirouer des simples âmes anienties et qui seulement demourent en vouloir et désir d'amour ».

Vertus , je prends congé de vous, et  pour toujours.
J'en aurai le coeur plus libre et plus gai.
Votre service est trop constant, je sais.
J'ai mis un temps mon coeur en vous, et sans rien réserver ;
Vous savez que j'étais à vous, entière abandonnée :
J'étais en ce temps votre esclave, et je suis à présent libérée.   
J'avais mis en vous tout mon coeur, je le sais :
J'en ai vécu pendant tout ce temps, en grand émoi.
j'en ai souffert maints grands tourments, maintes peines endurées ; 
Grande merveille est maintenant, que j'en sois vive échappée,
S'il en est ainsi, peu m'en chaut : de vous je suis sevrée.
J'en remercie le Dieu d'en haut ; c'est une bonne journée ! 

J'ai quitté votre prison, où j'avais grand ennui.
Jamais je ne fus libre, que séparée de vous ;
Cette prison quittée, je demeure bien en paix.

Elle avait bien tenté d'obtenir une approbation au moins officieuse de ce travail en le communiquant préalablement à plusieurs censeurs dont Godefroid de Fontaines, évêque de Chalons-sur-Marne qui avait approuvé son précédent  ouvrage. Néanmoins, le nouvel évêque de Cambrai, Philippe de Marigny, lui intenta un nouveau procès diocésain qui finit par la conduire jusqu'à l'inquisiteur de Haute-Lorraine. Arrêtée, elle eut à comparaître en 1307 devant Guillaume Humbert, inquisiteur général de France. Fidèle à « cette âme libre qui ne répond à nul si elle ne le veut », elle refusa de prêter serment de loyauté envers ses accusateurs qu'elle récusait puis de recevoir l'absolution pour des fautes qu'elle estimait n'avoir point commises. En conséquence, et après plus d'un an et demi d'emprisonnement, elle fut jugée hérétique et relapse, condamnée et remise au bras séculier pour  être brûlée vive. Et donc, le 1er juin 1310 en place de Grève à Paris, le bûcher consuma publiquement l'inébranlable Marguerite. Un clerc du diocèse de Cambrai, Guion de Cressonaert, son disciple (ou son compagnon), qui avait tenté de la sauver, fut condamné à la prison à vie. Sournoisement confondus avec les errements des sectes du Libre Esprit, les extraits incriminés du "Miroir des simples âmes" servirent de base à la rédaction du décret Ad nostrum que le concile de Vienne en 1311 utilisa contre les bégards et béguines. Par ailleurs, systématiquement recherché et brûlé, l'ouvrage de Marguerite Porète sembla perdu au point qu'on ne savait plus qui en était l'auteur. Aujourd'hui, l'on en a seulement retrouvé treize exemplaires incomplets en diverses langues, dont un seul en français de l'époque, (Condé-F-XIV-Chantilly), dans une rédaction apparemment assez proche de l'originale.

J'ai dit qu'il y a sept états de l'âme, plus difficiles à comprendre les uns que les autres et sans comparaison entre eux ; car ce qu'on pourrait dire d'une goutte d'eau à coté de la mer toute entière en son immensité, on pourrait le dire du premier état de grâce à coté du second, et ainsi de suite pour les autres sans comparaison entre eux.
Cependant, parmi les quatre premiers, il n'y en a pas de si grand que l'âme n'y vive en très grand esclavage ; mais le cinquième est en la liberté de la charité, car il est désencombré de toutes ces choses ; et le sixième est glorieux, car l'ouverture du doux mouvement de gloire que donne l'aimable Loin-Près n'est pas autre chose qu'une apparition de Dieu qui veut que l'âme ait sa propre gloire qu'elle possèdera sans fin.
Et c'est pourquoi il lui montre par sa bonté dans le sixième état ce qui appartient au septième ; cette manifestation provient du septième état et procure le sixième, mais elle est donnée si vite que celle même à qui c'est donné n'aperçoit aucunement le don qui lui est fait.

La lecture du livre pose quelques problèmes. L'auteur a choisi la forme du dialogue, à l'imitation des antiques, mais il s'agit plutôt ici d'une controverse entre deux interlocuteurs, Amour et Raison, (avec parfois l'intervention de l'Âme en tiers), et faut donc bien définir quels concepts couvraient ces mots à la fois dans l'intention de l'auteur et dans le contexte culturel concerné. Leur sens a souvent changé, parfois même leur genre. Ainsi "Amour" au Moyen âge était toujours au féminin, comme son pluriel actuel. La controverse conçue par Marguerite Porète impliquait deux entités féminines ; les traducteurs ont masculinisé l'Amour. Le style est compliqué, les phrases sont longues, comportant plusieurs reprises, et il faut souvent revenir sur le texte tour tenter de le bien comprendre. Il faut admettre que Marguerite Porète, quels qu'aient été ses éventuels errements, était une grande chrétienne fort attachée aux traditions catholiques les plus traditionnelles. On trouve ainsi dans son oeuvre des références constantes aux apôtres, à la vierge Marie, aux diverses classes d'anges, ainsi que de nombreuses citations  tirées des Epîtres ou des Évangiles. Lorsque l'on lit l'extrait qui suit dans un discours évoquant les personnes composant la Trinité, « Une chose est que le Fils "naisse" du Père, autre chose que le Saint Esprit "soit" et du Père et du Fils », on perçoit combien la culture de l'auteur était étendue et affinée, sur le plan général autant que théologique. Rares sont aujourd'hui les lecteurs capables d'une distinction aussi subtile. Malgré ces difficultés, j'essaierai de clarifier son message, en exposant ce que je crois en avoir compris.

Dieu le Père possède la puissance divine de lui même, sans la recevoir de personne ; en effet, ce qu'il possède émane de sa puissance divine, et il donne à son fils cela même  qu'il possède de lui même, et le Fils le reçoit du Père, si bien que le Fils naît du Père et lui est égal.    
Quant au saint Esprit, il est du Père et du Fils , une personne en la Trinité ; non pas "naît", mais "est", car une chose est que le Fils naisse du Père, autre chose que le Saint Esprit "soit" et du Père et du Fils.  
Ces gens que je traite d'ânes, ils cherchent Dieu dans les créatures, dans le monastères par des prières, dans les paradis créés, les paroles humaines et les Écritures../...  Las !  Quelle pitié de tous leurs maux , et de tous ceux qu'ils auront en restant à cette façon de voir et de faire et à cet exercice ../.. Ce Dieu est tout entier partout et c'est là que je le trouve.     

Marthe est troublée, Marie est en paix ;
Marthe est louée, Marie l'est plus encore ;
Marthe est aimée, Marie l'est bien plus.

Le langage de cette vie, qui est vie divine, c'est le silence secret de l'amour divin. Elle y est venue depuis longtemps si elle l'a voulu depuis longtemps. Il n'y a plus ici d'autre vie que de toujours vouloir la volonté divine.  

Les vrais innocents n'ont jamais raison et l'on ne leur fait jamais tort ; ils ont tout nus et n'ont rien à cacher : Tous se cachent à cause du péché d'Adam , mais pas ceux qui sont anéantis, car ils n'ont rien à cacher.

Nous constatons que Marguerite Porète identifie l'amour à Dieu,  comme le montre cet extrait d'un échange entre Amour et l'âme : « Je suis Dieu, dit Amour, car Amour est Dieu et Dieu est amour, et cette âme est Dieu par condition d'amour ; je suis Dieu par nature divine, et cette âme l'est par justice d'amour../.. ». Et l'âme répond « Je suis ce que je suis par la grâce de Dieu. Je suis donc seulement ce que Dieu est en moi et rien d'autre ../.. Je ne suis, si je suis, que ce que Dieu est, et personne n'est, sinon Dieu; et c'est pourquoi je ne trouve que Dieu, où que je pénètre, car rien n'est, sinon lui ../.. ». Cela semble inspiré par l'Evangile de Jean : "Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Par Lui tout a été fait, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans Lui". Marguerite disait bien qu'à l'origine, toute chose venant de Dieu, tout être est sacré par nature. Il n'y a pas de différence originelle entre Dieu et la création, entre le haut et le bas, et les deux mondes sont confondus. (Il y a là une vision panthéiste du Monde , incompatible avec le concept théiste créationniste de l'Église). Et c'est par le vouloir raisonnable mais malin de l'Homme que cette "sacralité originelle" est altérée. Pour retrouver l'état divin originel, il faut donc pratiquer la pauvreté totale, en anéantissant, (ce qui justifie le titre du livre), tout désir et de toute volonté y compris même , selon Marguerite, celle de faire le bien. C'est pourquoi elle prend congé des vertus. Demeureront toutefois le désir et le vouloir d'amour car Amour est Dieu par nature même et l'âme l'est aussi, dit le livre, par justice d'amour. Le vouloir humain ne peut gagner le ciel, seul l'amour divin l'accorde à ceux qu'il aime, et par seule grâce. Hélas, c'est dans l'horreur des flammes que Marguerite éprouva la vérité de sa brûlante illumination spirituelle.

 "Heureux ceux qui ont l'esprit de pauvreté ; ils hériteront du royaume des cieux".
 

  


 

Marguerite Porète, Béguine valenciennoise

 

 

Autres citations de Marguerite Porète.

Il est, cela ne lui fait pas défaut; et moi je ne suis pas, si bien que cela ne me fait pas non plus défaut et qu'il m'a donné la paix; et je ne vis que de la paix qui est née de ses dons en mon âme, sans pensée; et ainsi ne puis-je rien si cela ne m'est donné: c'est là mon tout et ce que j'ai de meilleur. Et cet état fait posséder un seul amour... Cette âme laisse les morts ensevelir les morts et les égarés agir selon les Vertus, et elle se repose de ce qui ne la dépasse pas en ce qui la dépasse, tout en se servant de toutes choses. Ce qui la dépasse lui montre son néant à nu et sans fard, et cette nudité lui montre le Tout-Puissant par la bonté de la justice divine. Ces considérations la rendent profonde, large, haute et assurée, car elles la mettent, tant qu'elles la tiennent, continuellement à nu, à la fois tout et rien.

L'âme : ...Je ne sais vraiment pas, mais s'il en était ainsi que je puisse donner quelque chose, je ne lui ferais pas la part si petite, moi qui ne suis rien alors qu'il est tout; certes, si j'avais quelque chose à donner, je ne pourrais rien conserver par devers moi et ne pas tout lui donner../.. Or, il a pris tout ce dont je disposais, il ne m'a rien donné../.. est-ce là une part digne d'un bien-aimé ? Amour: ../.. .Et encore ne lui donnez-vous là rien qui ne soit à lui avant que vous ne le lui donniez. Alors, voyez: que faites-vous donc pour lui ?

../.. tout lui est égal, sans nul pourquoi, et elle-même n'est rien en cette égalité ; aussi n'a-t-elle rien à faire de Dieu, pas plus que Dieu, d'elle. Pourquoi? Parce que lui, il est, alors qu'elle, elle n'est pas; et en son néant, il ne lui en faut pas davantage, car il lui suffit que lui soit et qu'elle ne soit pas. Elle est alors dépouillée de toutes choses... Là, elle ne prie pas plus qu'elle ne priait avant qu'elle ne soit. Elle reçoit ce qu'elle a de la bonté divine, du cœur de son amour, de ce noble Loin-Près. Elle ne se préoccupe de rien../..

Au commencement, cette âme vécut en vie de grâce, grâce née de la mort au péché. Ensuite, elle vécut en vie spirituelle, vie née de la mort à la nature; et maintenant, elle vit en vie divine, vie née de la mort à l'esprit. Cette âme, vivant en vie divine, est perpétuellement sans elle-même ...lorsqu'elle est à elle-même ...lorsqu'elle n'est nulle part de son propre gré, ni en Dieu, ni en elle-même, ni en son prochain, mais en l'anéantissement que cet éclair opère en elle à l'approche de son opération.

Cette âme est seulement en l'amour pur de l'amour de Dieu. Sa connaissance est si claire qu'elle se voit néant en Dieu, et voit Dieu néant en elle. ...une seule intention, c'est d'aimer toujours loyalement sans vouloir en recevoir aucune récompense; et cela, l'âme ne peut le faire que sans elle-même... ...Cette âme nage en l'océan des délices qui s'écoulent et ruissellent de la Divinité, et ainsi ne sent-elle aucune joie, car elle est joie elle-même ../..

Maintenant, faites votre oeuvre en nous de vous-même, pour nous-mêmes et sans nous-mêmes, comme il vous plaira, Seigneur. Car pour moi, dorénavant je ne crains plus rien; je me désencombre de vous, de moi-même et de mon prochain, et je vais vous dire comment: je vous abandonne, je m'abandonne moi-même et j'abandonne tout mon prochain au savoir de votre divine sagesse ../..

Celui qui cherche est avec lui-même, et ainsi se possède-t-il; mais ainsi lui manque-t-il quelque chose, puisqu'il se met à chercher. ... Il ne cherche rien: que chercherais-je donc? Il ne pense à rien: que penserais-je donc? ... Ainsi le Juste m'a-t-il, par justice, rendu ce qui est mien, et montré à nu que je ne suis pas; et c'est pourquoi il veut, par justice, que je ne me possède pas.

Ainsi cette âme tient son juste nom du néant où elle demeure. Et puisqu'elle n'est rien, elle ne se soucie de rien, ni d'elle-même, ni de son prochain, ni de Dieu même. En effet, elle est si petite qu'elle ne peut être trouvée ; et toute chose créée est si éloignée d'elle, qu'elle ne peut la sentir; et Dieu est si grand, qu'elle n'en peut rien saisir ; et pour ce rien, elle en est venue à la sûreté de ne rien savoir et de ne rien vouloir. Et ce rien dont nous parlons lui donne tout, et personne ne peut le posséder autrement. Cette âme est emprisonnée et détenue au pays de paix entière, car elle est toujours en pleine satisfaction; elle y nage, elle y plonge, elle s'y baigne et y regorge de paix divine sans qu'elle se meuve de son dedans ni qu'elle agisse au dehors : ces deux choses lui ôteraient cette paix si elles pouvaient pénétrer en elle; mais elles ne le peuvent pas, car l'âme est en état de souveraineté. Si elle fait quelque chose au-dehors, c'est toujours sans elle-même; si Dieu fait son oeuvre en elle, c'est de lui-même en elle, sans elle et pour elle.

Cette divine bonté se montre à elle par la bonté qui l'absorbe, la transforme... le cinquième état l'a mise à point en la montrant à elle-même. Maintenant elle voit par elle-même et connaît la bonté divine, connaissance qui lui fait se voir elle-même en retour ; et ces deux visions lui ôtent la volonté, le désir et l’œuvre de bonté, si bien qu'elle est toute entière en repos et mise en possession d'une état de liberté qui la repose de toutes choses en une noblesse excellente. Le sixième état, c'est que l'âme ne se voie point elle-même, quelque abîme d'humilité qu'elle ait en elle, ni ne voie Dieu, quelque bonté très haute qui soit la sienne. Mais Dieu se voit alors en elle, par sa majesté divine qui illumine cette âme de lui-même, si bien qu'elle ne voit rien qui puisse être hors de Dieu même, lui qui est et dont toute chose tient d'être. Ce qui est, c'est Dieu même, et pour autant, elle ne voit rien qu'elle-même, car qui voit ce qui est, ne voit que Dieu même ../..

Commentaires

J'ai largement, mais non exclusivement, utilisé pour ce travail la traduction éclairée de Max Huot de Longchamps, publiée chez Albin Michel dans la collection Spiritualités vivantes, et j'invite le lecteur à s'y reporter pour y trouver sa propre perception de l'étonnante inspiration spirituelle de la femme si particulière que fut, en son temps, Marguerite Porète, née à Valenciennes, où j'ai passé toute ma jeunesse, et où existe d'ailleurs encore une très ancienne "rue du béguinage", béguine cruellement condamnée au bûcher par l'évêque de Cambrai, ville qui aujourd'hui est devenue la mienne.



Béguine en son béguinage

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