Les apports hylozoïstes de Giordano Bruno
Nous ne
parlerons pas ici des conflits dogmatiques ouverts avec les autorités de
l'Église romaine (Esprit Saint, Trinité, Vierge Marie, Jésus, et..), mais
seulement de ce qu'a apporté, à son époque, la pensée de Bruno à la connaissance
humaine. Ce n'était pas un savant astronome comme Copernic ou Galilée, mais un
petit moine épris de philosophie et de théologie, chercheur de vérité sincère
mais fier. Il avait été formé à la façon de son temps, il n'avait pas de lunette
astronomique, et son discours ne se fondait pas sur l'expérience pratique, mais
se construisait de façon logique sur une succession de raisonnements menés à
partir de ce qu'il croyait être vrai ou faux. C'est ainsi que malgré
l'exceptionnelle importance des concepts qu'il a élaborés en ce qui concerne
l'immensité de l'univers et la multiplicité des mondes, ses développements sont
parfois restés bloqués par les acquis de sa formation initiale (les quatre
éléments par exemple). Une seule vision de Monde était alors "autorisée", en
conformité avec la parole biblique, la modèle de Ptolémée, relayé par Aristote.
La Terre, centre du Monde, serait entourée de sphères concentriques mobiles
entraînant les astres qui l'éclairent (sauf celle des étoiles qui est fixe).
Un astronome polonais, Nicolas Copernic équipé d'une petite lunette astronomique
observa las phases de la planète Vénus et en déduisit une hypothèse
révolutionnaire. Il postula que le centre du Monde était le Soleil, non plus la
Terre. On ne sait ni où ni comment Bruno connut les livres de Copernic, mais il
en tira une certitude encore plus étonnante, il pressentit que l'univers était
infini, que son centre était à la fois partout et nulle part, et qu'il était
peuplé de mondes innombrables. Il en déduisit que la sphère des étoiles fixes
n'existait pas, qu'elles étaient des soleils lointains entourés d'autres mondes
ressemblant à la Terre. Bruno n'était pas panthéiste, et rationnellement
ne pouvait concevoir la coïncidence de deux infinis. Et il distingua bien
son Dieu transcendant de l'Univers.
|
Citations tirées de ses principaux livres
|
1 / "Ce n'est point dans un seul soleil que Dieu est glorifié, mais
dans d'innombrables soleils ; pas dans une seule terre , un seul
monde, mais dans des milliers de milliers, je veux dire dans une
infinité de mondes".
|
Giordano Bruno - (L'infini, l'Univers et les Mondes) |
2 /
Le monde est infini : aucun corps ne s'y trouve
dont on puisse dire dans l'absolu qu'il occupe une position
médiane, ou extrême, ou intermédiaire entre ces deux termes ; on
ne peut le dire que relativement à d'autres corps et à d'autres
termes appréhendés à cet effet. |
Giordano Bruno - (La Cène des Cendres) |
3 / "Si la terre a des sens, ils ne sont pas semblables aux nôtres ; si
elle a des membres, ils ne sont pas semblables aux nôtres ; si
elle a de la chair, du sang, des nerfs, des os et des veines, ce
n'est pas comme nous ; si elle a un cœur, il n'est pas semblable
au nôtre. |
Giordano Bruno - (La Cène des Cendres) |
4 / "Je dis que Dieu est tout infini, parce que tout en lui se
trouve dans le monde en son entier et totalement dans chacune de
ses parties, au contraire de l''infinité de l'univers, laquelle
est totalement dans le tout, et non dans ces parties finies".
|
Giordano Bruno - (L'infini, l'Univers et les Mondes) |
|
Contre l'affirmation ptoléméenne de l'existence d'un monde unique dont notre
terre était le centre, et contre la théorie copernicienne qui mettait le Soleil
au centre de cet unique monde concentrique, Bruno a fondamentalement posé
l'hypothèse d'un univers infini peuplé de mondes innombrables. Il
distingua deux modes d'infini, ce qui est dans l'infini, les mondes considérés
chacun avec ses caractéristiques particulières, de ce qui est de l'infini, les
mondes considérés dans leur totalité, c'est à dire l'univers total. Il
pensa prouver que cet univers était immobile et unique, puisque étant
infini, il ne laissait donc nulle place où aller et où puisse être quelque autre
entité que lui même. Il lui assignait un forme sphérique dont le centre est
partout et la circonférence le centre nulle part, chaque monde étant donc
à la fois au centre et aux limites de l'univers, (ce qui est un concept très actuel).
Bruno affirma aussi que les astres sont des êtres vivants, certes d'une
autre nature que celle des les hommes mais jouissants de leurs capacités
propres et de leur formes spécifiques de conscience. C'est en ce sens
qu'il les appelle animaux (du mot latin anima, l'âme). Rappelons
que les Néoplatoniciens énonçaient déjà que les astres étaient les corps
des dieux. Citons ici un dialogue entre Jamblique et Porphyre, "Les
dieux-astres ne sont pas enveloppés par leurs corps, ce sont
eux qui les enveloppent, ils ne se convertissent pas vers leurs corps, ce sont
leurs corps qui se convertissent vers eux. Le corps des astres leur est
étroitement apparenté, à la différence complète de nos corps à nous (...). et tous
les dieux sont bons parce qu'ils regardent vers le Bien."La nouvelle
proposition du Nolain était accompagnée d'une précision qui parut alors plus
scandaleuse encore :IL énonça que, considéré dans sa globalité, l'univers infini était animé
et doué de conscience (sans être pour autant conceptuellement confondu avec
Dieu, car, pour Bruno, c'est même "(le fini local de l'infini multiple qui
explique la substance divine").
|
Citations tirées de ses principaux livres
|
1 / "La Terre
et nombre d'autres corps, appelés astres
sont eux-mêmes doués de vie ; et vivants, c’est de manière volontaire, ordonnée et
naturelle, suivant un principe intrinsèque, qu’ils se meuvent vers
les choses et les espaces qui leur conviennent".
|
Giordano Bruno,
(La Cène des Cendres). |
2 /
"Ceux
des autres globes qui sont des terres ne diffèrent en rien du
nôtre quant à l'espèce ; seule les différencie une taille plus
grande ou plus petite, de même que chez les espèces d'animaux
l'inégalité est l'effet de différences individuelles". |
Giordano Bruno - (La Cène des Cendres) |
3 / " Une chose, si petite et si
minuscule qu’on voudra, renferme en soi une partie de substance
spirituelle (…); parce que l’esprit se trouve dans toutes les
choses et qu’il n’est de minime corpuscule qui n’en contienne une
certaine portion et qu’il n’en soit animé".
|
Giordano Bruno,
(Cause, Principe et Unité) |
4 / "Ce qu’on peut dire de chaque
parcelle du grand Tout, atome, monade, peut se dire de l’univers
comme totalité. Le monde en son cœur loge l’Âme du monde, l’Esprit
(Ndlr. le Saint Esprit)".
|
Giordano Bruno,
(Cause, Principe et Unité).
|
|
Avec cette proposition nouvelle de l'univers infini animal, c'est à dire vivant
et conscient, on parait ici basculer de l'hylozoïsme à une certaine forme de
panpsychisme, doctrine philosophique qui considère que tout ce qui existe,
toute réalité matérielle, non pas seulement l'esprit, possède une nature
psychique. Le panpsychisme confère à la réalité physique des forces et
des activités comparables à celles de l'âme humaine, sensibilité, conscience,
mémoire. Ce principe vital serait donc une véritable propriété physique,
immanente à la matière par opposition au Théisme
qui postule l'existence et l'action d'un être divin transcendant,
extérieur à la nature. L'hylozoïsme est l'une des cibles de Kant, dans la
Dialectique de la Critique de la faculté de juger (1790). Kant
part du paradoxe qui constitue le nœud de la Dialectique de la Critique
de la faculté de juger téléologique, à savoir, que : "1/ Il y a
des objets dans la nature qui ne puissent être pensés qu'en
fonction d'une fin, les êtres organisés (êtres vivants);2 / Une
connaissance n'est possible que fondée sur le principe de causalité.
L'hylozoïsme, écrit Kant, «fonde les fins aperçues dans la nature sur
l'analogon (reflet analogique) d'un pouvoir agissant intentionnellement,
à savoir la vie de la matière). L'hylozoïsme réunit donc deux principes
apparemment contradictoires : 1 / L'existence d'une finalité dans la nature.
2 / L'explication physique. Le problème de l'hylozoïsme, dit Kant, est
que pour expliquer des phénomènes, il doit recourir un principe
obscur consistant à doter la matière comme simple matière d'une
propriété qui entre en contradiction avec son essence», dans
la mesure où précisément la matière est ce qui n'est pas vivant,
qui est inerte (mais comment Kant définit-il ce qui est
vivant ?). Il est donc tautologique, car il prétend expliquer
les phénomènes à partir de ce qui est précisément à expliquer".
L'éternel problème métaphysique est que nous ne savons définir la vie
qu'à partir de ce qui est vivant, et que nous définissons le vivant
à partir de ce qui possède la vie. Et Kant, lui-même, n'y échappe pas.
|
Buste de la statue de Giordano Bruno
édifiée sur la place même où il fut brûlé
|
|