Arts et Sciences, Hommes et Dieux - ( Mise à jour de juillet 2017 ) |
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Petit Manuel d’Humanité | ||||||||||||||||
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Il n’y a point de hasard. (Voltaire) Nous avons vu cela, nous sommes des singes. (Krisnamurti) Ne dites pas mourir, dites naître. (Victor Hugo) Lhomme,
tout compte fait, na rien à dire de lhomme, |
Actuellement, la vie sur Terre occupe trois empires distincts. Le premier et le second sont à la fois proches de nous dans lespace et éloignés dans les principes. Les êtres vivants qui les habitent sont des procaryotes. Ils ont une forme corporelle élémentaire et une structure assez simple, ce qui ne veut pas dire que leur fonctionnement ne soit pas complexe. Nous nallons pas refaire ici en détail toute lhistoire si controversée de lorigine et du développement de la vie. Nous tenterons seulement de parcourir les théories qui décrivent les êtres habitant actuellement la planète, en portant une attention particulière à cet animal au comportement étrange, dont font partie ces deux individus si intéressants, vous et moi. Les fonctions de la vie sont toujours compliquées.
Lempire des eucaryotes compte quelques principautés et trois grands royaumes très différents, celui des végétaux, celui des champignons, et celui des animaux qui est aussi celui des hommes. Les eucaryotes se reproduisent lentement en utilisant des mécanismes compliqués. Ils construisent généralement des véhicules corporels complexes. Ces organismes sont formés par lassociation de nombreuses cellules spécialisées. Les eucaryotes se nourrissent très souvent aux dépens dautres êtres vivants. Ils ont appris à programmer leur propre mort pour en faire un facteur accélérateur de lévolution. Au cours des âges, cette évolution a conduit à lapparition dune très grande variété de formes et despèces, que nous observons aujourdhui. Chaque être vivant, procaryote ou eucaryote, enferme en lui une somme réellement énorme dinformation, (que Pierre Grassé appelle " esprit "). Elle est utilisée pour construire un corps convenable et conduire le comportement de base. Les eucaryotes utilisent plus dinformation que les procaryotes. Ils ont donc mis au point des mécanismes très élaborés pour le stockage et le transfert de cette information. Ils ont également inventé des moyens extrêmement nombreux et complexes pour se reproduire, pour conduire leur évolution à travers les âges, et pour assurer leur adaptation aux transformations subies par leur milieu de vie. Ces inventions, souvent nécessaires, nous apparaissent surprenantes et parfois terrifiantes. Entre autres choses ce sont les os et le bois, le sang, la sève, la peau, les feuilles, les yeux, les dents, les fleurs, les griffes, le sexe, le plaisir et la souffrance, la conscience et lamour, la vieillesse et la mort dont jai parlé plus haut. Tous ces moyens daction sont inscrits dans les programmes qui font fonctionner les corps des eucaryotes depuis leur origine lorsquils ont pris le long chemin qui mène à ce jour. Cest donc sur laventure des eucaryotes que je vous propose de vous pencher, en ce début de chapitre. Elle est bien évidemment la notre. De cette très longue histoire, les marques, les blessures, les transformations, les adaptations, les erreurs et les victoires sont inscrites de façon indélébile dans votre propre chair, comme dans la mienne. |
La mort programmée est une invention de la vie. Je crois nécessaire de revenir un moment sur la durée extrêmement longue qui nous sépare de lapparition de la vie. Le cerveau humain est ainsi fait que les chiffres élevés ne veulent rien nous dire. Comme de nombreux animaux, nous appréhendons directement et sans les compter les valeurs inférieures à cinq. A partir de six, le dénombrement devient nécessaire. Lutilisation de ce perfectionnement semble apporter des possibilités illimitées, mais il nen est rien. Si je parle de dix mille objets, ce nombre, relativement faible, na pas de signification pour celui qui na pas fait lexpérience de la manipulation effective dune telle quantité. En pratique, il faut compter environ une journée de travail pour dénombrer dix mille petits objets, tout en les maintenant en ordre. Cela montre que cette quantité est généralement sous estimée. Lorsque je parle de cent millions dannées, je parle de dix mille fois dix mille ans, et cent fois plus encore quand jévoque les débuts du Soleil. Nous avons alors besoin dimages très évocatrices pour donner un sens à ce propos, mais elles restent largement insuffisantes pour représenter la réalité, et il faudra que le lecteur fasse un puissant effort dimagination pour y parvenir, sil y parvient. Jai déjà utilisé limage dune prairie dans laquelle chaque brin dherbe figurait une année de la Terre, et je désire renforcer cette image. Notre Terre sest formée il y a quatre milliards et huit cents millions dannées. Comment mieux figurer ce temps passé ? Imaginons un papillon céleste, magique, et éternel. Chaque année, au solstice dété, et depuis la formation de la planète, ce papillon vient secouer légèrement ses ailes, au même endroit dune plaine imaginaire. A chacune de ses visites, quelques écailles imperceptibles se détachent et tombent au sol. Leur épaisseur est dun micron, soit un millième de millimètre.
Depuis son début, la Terre entière a été bouleversée par des cataclysmes extrêmement puissants et ravageurs. Des astéroïdes et des bolides tombaient fréquemment du ciel. Tout le globe était composé de lave ou de pierre en fusion, dont la surface se figeait lentement, tandis que les matériaux de constitution sédimentaient peu à peu, par densité, jusquau cœur de fer liquide. Leau des mers en ébullition formait dénormes nuages, noirs dorages, qui cachaient le Soleil. La pluie se déversait en cataractes, ruinant les rares terres émergées, et sévaporant aussitôt. Des volcans gigantesques jaillissaient partout, et des tremblements de terre incessants remodelaient la surface, en effaçant toute trace des états précédents. Cependant, on a découvert en 1966, dans un très ancien terrain montagneux du Transvaal, ces vestiges dont je parle. Ces traces de matière organique se présentent sous forme de minuscules bâtonnets, de taille inférieure au micron. Dautres sites moins anciens ont livré des microfossiles dalgues bleues datant de deux milliards et trois cents millions dannées. A cette époque, la photosynthèse était donc probablement possible, et loxygène pouvait commencer à se répandre dans latmosphère. On a longtemps parlé de quatre époques représentant le passé de la Terre. A partir de connaissances scolaires, les gens imaginent souvent que les ces ères dites primaire, secondaire, tertiaire, et quaternaire, correspondent à toute lhistoire géologique et naturelle de la planète. Cest une image tout à fait fausse, et on utilise aujourdhui dautres termes pour décrire des périodes plus nombreuses et plus diversifiées. |
L’ère primaire n’était pas du tout la première. Avant lère primaire, que lon appelle maintenant paléozoïque, laquelle nest pas proportionnellement enfouie très loin dans notre passé, il sest écoulé une période extrêmement longue, qui a duré plus de quatre milliards dannées. On la divise généralement en deux.
Cest dans cette très ancienne période précambrienne, que réside lessentiel de lhistoire de la Terre, ainsi que celle du début de la vie. Plus proche de nous, ce qui reste de ce temps passé demeure, à notre échelle, très long. Ce reste renferme lessentiel du développement progressif de cette vie primitive. Avant les premières protocellules, les mers immenses contenaient dinnombrables et microscopiques assemblages datomes qui préparaient larrivée des vivants. Il sagissait de grosses molécules complexes, de la taille probable dun seul gène, dont certaines étaient devenues capables de se répliquer. Les premiers vrais habitants de la Terre sont donc ceux qui peuplent actuellement les deux premiers empires. Les bactéries ont commencé, au milieu de larchéen. Bien plus tard vinrent les algues bleues au début du protérozoïque, il y a deux milliards dannées. Ces précurseurs de la vie, les prébiontes, subsistaient en autarcie, à partir des composés chimiques disponibles dans les océans primitifs. Ils ne mourraient jamais, sauf par accident, puisquils se reproduisaient par clonage, ou division cellulaire, et consommaient toutes la matière élaborée disponible. Lorsque les nutriments vinrent à manquer, les conditions nouvelles imposèrent la sélection de certaines propriétés particulières, celles qui étaient nouvellement liées au maintien de cette existence perpétuelle. Lalternative était tout simplement la mort en masse. Lorsque je dis que les conditions nouvelles conduisirent à un choix, ce nest quune façon commode dexprimer la situation. En fait, il nétait pas obligatoire ou nécessaire que quelque chose fût imposé ou choisi. Cependant, puisque nous sommes là, cest indéniablement que cela a eu lieu. Nous devons prendre en compte limmensité des temps géologiques aussi bien que notre grande méconnaissance des formes et des solutions adoptées par les prébiontes. En réalité, nous ne pouvons pas savoir si la mortelle solution alternative na pas été utilisée une, plusieurs, ou de nombreuses fois, jusquà ce quun jour la sélection, peut-être, favorise enfin une solution viable. Celle-ci a débouché sur le mode actuel de survie, cest-à-dire sur la vie courante. Il est donc naturel que cette dernière ne soit pas parfaite. Ce nétait pas le meilleur mode possible, ni le plus mauvais, mais simplement celui quun facteur incident a autorisé. Il se peut que cela soit ce que nous appelons conventionnellement le hasard, à moins quil sagisse de quelque autre facteur inconnu. Peut-être ce mode de vie nest-ce pas non plus le dernier car, à en juger par les sérieux désordres de la situation actuelle, lexpérience nest probablement pas terminée. Il ne faut dailleurs jamais oublier que la forme de vie dominante ici bas reste la bactérie, même en termes de biomasse. Nous ne savons pas combien dexpériences ont échoué. Léternité a tout son temps. Il en est dailleurs de même pour lUnivers des étoiles. Nous ne savons pas si celui qui nous contient est le premier ou le dix millième. Concernant lapparition des vrais vivants, nous ne savons rien non plus, ou bien peu, ni combien dextinctions plus ou moins massives ont dispersé puis recyclé les composés organiques primitifs dans locéan primordial, avant que sétablisse le relatif succès de la solution présente. Rappelez-vous que trois milliards dannées se sont écoulées sans laisser beaucoup de traces. De nombreuses réalisations étaient possibles et elles ont probablement eu lieu. La sélection de la capacité à subsister en élaborant les aliments nécessaires à partir du milieu, puis en les y prélevant au détriment des autres composants, induisit des comportements nouveaux et indispensables, dont la prédation, le parasitisme et autres appétits, mais aussi la fermentation et la photosynthèse. Ces comportements révolutionnaires ajoutaient à la faculté de se reproduire à lidentique, une faculté nouvelle, laptitude à dépasser les limitations nutritionnelles du milieu. Cest à partir de cette aptitude, soit à élaborer des composés organiques supplémentaires, lautotrophie, soit à se nourrir de ceux produits par dautres êtres, lhétérotrophie, quil est possible de définir lapparition de ce que nous appelons les véritables êtres vivants. |
Les vivants subsistent surtout au détriment des vivants. Il y a plus de trois milliards dannées, la plupart des nouveaux êtres étaient autotrophes et utilisaient la fermentation. En inventant la chlorophylle, les algues bleues choisirent la solution de la photosynthèse. Un milliard dannées plus tard, la plupart des nouveaux venus firent un autre choix. Henri Laborit établit ainsi les caractéristiques de lêtre vivant.
Dans la pensée de Laborit, ces fonctions sont soumises à une commande extérieure venant du milieu englobant. On a affaire à une organisation par niveaux successifs. Le système est ouvert sur le plan énergétique, condition sans laquelle il ne saurait perdurer. Il est maintenu par un apport dénergie venant de lextérieur, principalement constitué par les photons solaires. Pour leur part, John Maynard Smith et Eörs Szathmàry reconnaissent huit transitions majeures dans lévolution des vivants.
Il nest pas question ici de développer point par point ces approches très savantes et très sophistiquées. Sachons simplement que tous ces chercheurs montrent la progressivité dans lorganisation des structures vivantes, et cest bien cela qui nous paraît important. A un certain stade de cette histoire étonnante, et lorsque le temps en fut venu, certains parmi ces êtres unicellulaires, qui ne sont que des capsules emplies dADN et de cytoplasme, se sont mis à construire des structures collectives. Cette invention évolutive impliquait des aptitudes nouvelles telles la spécialisation de certaines cellules dans une fonction particulière, comme la capacité à communiquer avec dautres cellules, ou/et à organiser géométriquement la construction dune grande structure collective, pour ne citer que celles-ci. Des travaux récents montrent que certaines colonies actuelles de mycobactéries, placées dans des conditions périlleuses de sécheresse menaçant leur survie globale, sont tout à fait capables dengager un processus qui concerne des centaines de milliers de cellules, et qui leur permet.
Ces spores dispersables ont une paroi plus résistante. Ils se voient confier la tache hasardeuse de transférer au loin la reproduction de la colonie menacée. Il est évident quun tel comportement implique une communication, une programmation, et une collaboration, relativement complexes chez ces organismes dits rudimentaires. On peut y voir la manifestation de lintelligence de la situation, pour autant quon donne à cette notion une valeur suffisamment large. Mais on touche aussi du doigt ici certaines inventions capitales, dont celle de la modification structurelle, ou celle du sacrifice de certaines parties pour la survie des autres, cest-à-dire de la mort cellulaire. Cela prépare aussi les spécialisations fonctionnelles, et en particulier la reproduction. Au niveau dorganisation suivant, la mort cellulaire ne sera plus seulement accidentelle ou pathologique mais sera programmée par le vivant pour devenir un outil fondamental de la morphogenèse. Dés lors, lexubérante prolifération cellulaire qui caractérisait le mode dexistence des procaryotes originaux, sera toujours associé à la programmation systématique et organisée de la mort par autodestruction sélective dun très grand nombre de ces cellules. |
Lexistence des eucaryotes associe toujours la vie et la mort. Dautres petits êtres vivants actuels, les Volvox, nous confirment dans lidée que cest probablement bien ici que se produit le basculement dun type dorganisation à un autre. Les Volvox sont des flagellés que lon classe souvent parmi les végétaux. Ces organismes très simples constituent une transition assez floue entre lorganisation unicellulaire et le niveau multicellulaire. Ils forment des colonies au sein desquelles certaines cellules sont spécialisées, dans la nutrition, la locomotion, ou la reproduction. Les volvox envoient des colonies-filles qui se développent et se reproduisent alternativement tandis que lorganisme dorigine meurt. Ace niveau dévolution, et avec le début de la spécialisation des cellules et des générations, on voit soudain apparaître la loi fondamentale et inexorable des multicellulaires, naître, croître, et mourir de façon programmée. La loi nouvelle, cest naître et grandir, vivre et se reproduire, puis décroître et mourir. Ici encore, certaines cellules disparaissent par autodestruction après avoir contribué à la production dune solution de survie. Lorganisme originel a programmé tout à la fois lenvoi des colonies spécialisées et sa propre disparition. Les cellules des premiers organismes multicellulaires ont mis en œuvre ces inventions, mais aussi beaucoup dautres innovations dune importance unique et extraordinaire. Nous savons par exemple que les programmes de construction du corps et des différents organes sont chimiquement pilotés par les bibliothèques dinformation que sont les chromosomes. Chaque cellule reçoit des ordres, se reproduire, se transformer, ou sautodétruire. Pour les exécuter il est nécessaire quelle connaisse où elle est située dans limmense univers quest le corps. Il existe donc un programme de localisation basé sur des gradients chimiques croisés, qui est un perfectionnement raffiné des systèmes de détection mis au point par les mycobactéries. Il faut aussi que les cellules sachent où elles en sont dans le processus de multiplication demandé. Un compteur de temps, ou plutôt un compte-tours, vérifie donc en permanence le compte des mitoses cellulaires. Ces mécanismes originels fonctionnent encore. Autre exemple dinvention étonnante. Il semble quun jour des cellules ont capturé des organismes microscopiques, et quelles les ont ingérés sans les détruire. Il apparaît quelles ont alors constitué des associations symbiotiques mutuellement favorables aux deux parties. Chacune utilise encore aujourdhui les propriétés bénéfiques de lautre. Cette association est pérennisée de façon révolutionnaire, en utilisant le mécanisme unique de la reproduction cellulaire.
Toutes ces innovations restent éminemment actives dans nos organismes. Les mitochondries des origines, avec leur propre bagage primitif dADN, sont présentes dans toutes les cellules des eucaryotes. Elles sy tiennent en dehors du noyau qui contient, sous forme chromosomique lADN particulier à lespèce, lequel provient en partie du père, et en partie de la mère. Par conséquent, lADN mitochondrial nest transmis que par la mère, qui joue donc un rôle spécial dans lhérédité. On a trouvé environ cent cinquante types dADN mitochondrial dans les cellules humaines, dérivant tous dun groupe ancestral unique africain. La conclusion logique de cette découverte, cest que lADN mitochondrial de tous hommes de la Terre pourrait provenir dune seule femme. LÈve africaine serait lunique mère
des hommes. |
Les mécanismes du vivant. Nous voyons quil est très probable que des organismes primitifs, aussi simples que le sont les bactéries actuelles, ont mis au point les bases de la communication chimique et de la coopération dans la construction de structures collectives fonctionnelles. Après un perfectionnement progressif, ces mécanismes sont précisément ceux quutilisent aujourdhui les êtres vivants multicellulaires. Lévolution nefface nullement les acquis. Limportant est de bien comprendre quelle les intègre systématiquement dans léquipement actuel. Au fond de notre organisme humain, les cellules primitives sont encore très actives, avec toutes leurs inventions adaptatives. Notre corps tout entier se constitue progressivement par lassociation programmée des processus primitifs de la prolifération des cellules, de leur spécialisation, et de leur autodestruction. Notre être fondamental est donc inconsciemment, mais très profondément, marqué par ces mécanismes originels dexpansion et de mort. La vie des eucaryotes, et la notre, résultent du maintien homéostatique constant de délicats équilibres entre ces deux extrêmes. Et pendant ce temps, à lintérieur même de ces cellules, les mitochondries, capturées depuis plus de dix millions de siècles, continuent leur patient travail doxydation permettant la vie quotidienne. Lorsque le mécanisme se dérègle, la vie sen va. Les premiers organismes multicellulaires ressemblaient à de simples sacs munis dune ouverture banale servant à la fois aux fonctions de nutrition et délimination. Quelques embranchements animaux suivent encore ce schéma primitif. Ce sont les diploblastiques. Ils sont construits en utilisant seulement deux feuillets générateurs dorganes, lun intérieur, lautre extérieur. Cest lacquisition dun troisième feuillet intermédiaire, le mésoderme, qui a permis lapparition chez les métazoaires triploblastiques de potentialités nouvelles, aboutissant à la formation dorganes individualisés assumant une fonction précise. Tous les diploblastiques sont acéphales et privés de cerveau. La céphalisation napparaît que chez les triploblastiques et débouche ensuite sur plusieurs types dorganisation.
Nous ne savons pas très bien quelle est lorigine des vertébrés, et cest un problème qui a été très débattu. Les vertébrés font partie du groupe des cordés dont ils constituent un sous-embranchement. Ils sont voisins des urocordés, (tuniciers), et des céphalocordés, (lancelets). Les formes ancestrales de ces créatures étaient molles et nont pas laissé de fossiles. Pour les mêmes raisons, lorigine des cordés reste mal connue. Cependant, il existe actuellement un animal semi transparent, très petit et très primitif, qui rampe sur les cotes de lAtlantique, et qui ressemble bien plus à un ver quà un poisson. Lamphioxus, ou lancelet, na ni tête, ni mâchoire, ni organes des sens, ni coeur, mais il possède au long de son corps primitif une corde dorsale qui peut être lamorce de la colonne vertébrale. Au-dessous de cette notocorde, le lancelet présente un cordon nerveux creux, un tube digestif simplifié garni dun grand nombre de fentes branchiales qui servent, tout à la fois, à nourrir lanimal, et à extraire loxygène de leau. A partir du schéma proposé par le lancelet, on a alors imaginé une évolution passant par des formes ressemblant aux lamproies actuelles, car les premiers vertébrés fossiles navaient pas de mâchoires. Il est évidemment surprenant dimaginer que tous les vertébrés actuels, caractérisés essentiellement par un développement extrême des organes sensitifs et des appareils voués à la nutrition et à la locomotion, puissent dériver dun animal complètement dépourvu de tous ces attributs. Actuellement, on tendrait plutôt à rapprocher les vertébrés des tuniciers, qui semblent pourtant bien éloignés deux au point de vue morphologique. Comme celles de Dieu, les voies de lévolution sont impénétrables. Toujours est-il quà partir du point évolutif où ces cordes pré-vertébrales se sont minéralisées, les paléontologues ont pu plus facilement essayer de tracer une histoire plausible du cheminement des vertébrés depuis les premiers pisciformes jusquaux mammifères actuels. |
Des climats fort étranges. La première moitié de lère paléozoïque aurait pu être appelée lâge des invertébrés marins, car la terre ferme était vide et stérile. Les organismes précambriens navaient pas de coquilles susceptibles de constituer des fossiles, mais les nouveaux venus contenaient des parties dures qui sont parvenues jusquà nous. Après la fin du Précambrien, il y a environ 600 millions dannées, les mers immenses étaient peuplées dune très grande quantité danimaux invertébrés très variés. On y trouvait des sortes déponges primitives qui construisaient des récifs (comme les Coraux), des arthropodes assez bien construits, (les Trilobites), et de nombreuses espèces assimilables aux mollusques, protégées par des coquilles coniques, (et non pas enroulées comme chez les escargots), ou aux céphalopodes prédateurs, (Nautiloïdes, Pieuvres, Calmars). On y rencontrait également des coelentérés, (Méduses et Polypes), mais aussi de nombreux vers plats parmi lesquels un petit organisme de grande importance a fini par apparaître, dont descendent les échinodermes, étoiles de mer et oursins, ainsi que, probablement, la lignée des cordés à laquelle nous appartenons. Les échinodermes étaient rares. Les plus répandus étaient fixés au fond des mers par un pédoncule, (comme le Lys de mer), ou ressemblaient aux étoiles de mer. A la période suivante, lOrdovicien, la mer envahit encore plus les continents. Les espèces se multiplièrent encore au sein des eaux. Des lignées nouvelles apparurent tels les Lamellibranches et Astéridies, les Bryozoaires, (animaux-mousses). Les récifs coralliens sétendirent tout autour du monde. Les escargots commencèrent à enrouler leurs coquilles. Les Trilobites se multiplièrent ainsi que les Nautiloïdes qui devinrent extrêmement puissants, (environ cinq mètres de longueur). Dautres organismes tels les minuscules Graptolites, flottant à la surface des eaux, envahirent toutes les mers du globe jusquau début du Silurien. Au cours de cette période nouvelle, la faune se modifia profondément. Certaines espèces se diversifièrent, (les Nautiloïdes en particulier), de nombreuses déclinèrent ou séteignirent, mais dautres les remplacèrent. A leur tour, les Arthropodes produisirent des lignées géantes dont certains individus atteignaient la taille des chevaux actuels. Les vertébrés sétendirent dans la seconde moitié de lère paléozoïque. Leurs premiers représentants étaient enfermés dans une cuirasse calcaire. Ils avaient une bouche en forme de ventouse. Équipés de nombreuses branchies, ils étaient dépourvus de mâchoires, et rampaient sur le sol. Il est à remarquer quà toutes les époques de la conquête de la Terre par la vie, certaines lignées animales ont produit des espèces de très grande taille. On pourrait croire que ces essais de gigantisme ont été programmés pour être systématiquement essayés dans laction dexploration du milieu. Lorsque lon parle du passé, on se représente très mal les climats extrêmement étranges qui régnaient sur la planète. Par exemple, à lépoque dont nous parlons, cest-à-dire au Carbonifère, le temps était dun calme absolu. La forêt de fougères géantes couvrait les eaux immobiles et moites dimmenses marécages. Il ny avait aucun événement météorologique, et il ny en eu pratiquement aucun pendant des millions dannées. Tout au plus une petite tempête éclatait-elle tous les dix mille ans. Bien avant cela, il régna un climat dune telle aridité que celui des déserts les plus chauds nen donne quune très faible idée. Les déserts de sel, formés par lévaporation des mers au Secondaire, atteignent parfois bien plus de mille mètres dépaisseur et couvrent des centaines de milliers de kilomètres carrés. La climatologie de ces temps lointains constitue encore une très grande énigme. Il est vrai que latmosphère terrestre était fort différente, et que lannée durait alors plus de quatre cents jours. A la fin de la période silurienne, la composition de latmosphère changea de façon importante. Les premiers vertébrés pisciformes, dotés de mâchoires vraies, apparurent. Ces poissons primitifs avaient un nombre toujours pair mais varié de nageoires. Leurs mâchoires sétaient formées par lannexion et la transformation des arcs branchiaux antérieurs. Lune des nouvelles familles, (Arthrodires), se dota de cous articulés et donna plus tard des formes géantes, féroces prédateurs de dix mètres de long. Toutes ces espèces disparurent à la fin du Permien, et furent remplacés par les poissons osseux et les poissons cartilagineux, dont les descendants peuplent encore nos océans. Vers la fin du Silurien, la Terre connut un nouveau bouleversement, ( Révolution calédonienne). Les terres sélevèrent et formèrent de hautes chaînes de montagnes dont la plupart sont aujourdhui arasées. Cest à ce moment que commence lhistoire des plantes terrestres. Les formes aquatiques sadaptèrent pour vivre sur la terre émergée, se rigidifier, se protéger contre la sécheresse, et se procurer leau nécessaire. Les premières plantes furent des Mousses et des Fougères, et certaines de ces espèces végétales produisirent également des formes géantes arborescentes. Les Algues couvrirent des étendues considérables, préparant le terrain pour la conquête animale. Les arthropodes et les mollusques se risquèrent les premiers dans ce nouveau monde. Certains poissons acquirent des poumons permettant la respiration aérienne lorsquils furent menacés par lassèchement de leur milieu naturel. Le groupe des Dispneustes est encore représenté aujourdhui par de petits poissons qui sortent fréquemment de leau, se tiennent sur les berges boueuses, et escaladent parfois les basses branches des arbres. Un autre groupe, celui des Crossoptérygériens, les poissons à nageoires lobées, ( Veuille bien mexcuser, lecteur, ce nest pas ma faute ! ), semble bien remplir toutes les conditions demandées pour être considéré comme lancêtre de tous les tétrapodes (animaux à quatre pattes), dont les mammifères. Cest un représentant de ce groupe que lon croyait disparu, un Coelacanthe Latimeria, qui fut péché en 1939 au sud de lAfrique, ce qui a relancé les recherches sur lorigine des tétrapodes. Dans la conquête du monde sec, les nouveaux explorateurs furent confrontés aux mêmes problèmes que les plantes, auxquels sajoutèrent ceux dus à la pesanteur et à la locomotion. Ils eurent en particulier à résoudre la question absolument vitale de la lutte contre la dessiccation et de la conservation des liquides corporels. Après avoir mis au point la respiration aérienne grâce aux branchies perfectionnées que sont les poumons, les audacieux poissons, devenant amphibiens, construisirent un aquarium sur pattes pour transporter, dans leur propre corps, à lintérieur deux-mêmes, lindispensable milieu aqueux originel. Nous utilisons encore cette magnifique invention. Chaque pas accompli débouchait sur une difficulté nouvelle. Les animaux aquatiques se reproduisent en dispersant dans leau leurs cellules germinatives, oeufs et sperme, qui sy rencontrent et sy fécondent au hasard. Les Amphibiens doivent garder leur peau toujours humide, et rester à proximité des points deau pour y déposer leurs oeufs. Les larves ne se développent que dans leau, qui est leur milieu obligatoire de survie. Cest là quelles attendent un niveau de développement suffisant pour monter à terre. |
La grande invention des Reptiles. Comment assurer la reproduction dans le monde sec ? Des millions dannées furent nécessaires pour apporter une solution satisfaisante à ce dernier problème, avec une efficacité et une qualité suffisantes pour assurer lindépendance relative à légard du milieu aquatique. Les Amphibiens ny réussirent jamais. Les premiers Reptiles trouvèrent. Leur invention la plus importante fut celle de lœuf amniotique, qui résout plusieurs problèmes à la fois. Nous pouvons le considérer également comme une sorte de petit aquarium portable, empli de liquide, dans lequel se trouve enfermée la cellule germinative, une réserve de nourriture, et un sac à déchets. Lœuf amniotique permet à lembryon de passer tout son stade "têtard" dans loeuf, en milieu humide mais loin de leau, tout en étant nourri par le jaune. La larve est protégée de la dessiccation et des chocs par une coque souple et résistante, ou une coquille calcaire. Dautres perfectionnements renforcèrent ladaptation des Reptiles au monde terrestre, tels un meilleur système circulatoire avec parfois un sang chaud, des membres solides, de meilleurs nerfs et des cerveaux plus gros, et un revêtement de plaques osseuses ou décailles. Comme les autres conquérants du monde sec, (En particulier les invertébrés), ils eurent aussi à mettre au point de nouvelles méthodes de fertilisation des œufs. L’âge des reptiles commença à la fin du paléozoïque. Il débuta à la fin du Permien, il y a 220 millions dannées. Il devait durer extrêmement longtemps, environ 150 millions dannées. Pour la facilité de lexposé, jappellerai ancestrales les formes les plus primitives qui précédèrent larrivée des vrais reptiles. Lanalyse cladistique, qui est loutil actuel le plus utilisé, permet de distinguer quatre groupes dans lensemble un peu hétéroclite des reptiles ancestraux. On y trouve les Tortues, les Thérapsides et Mammaliens, (ancêtres des Mammifères, des Marsupiaux et des Monotrèmes), les Lépidosauriens (Lézards et Serpents), et les Archéosauriens, (Dinosaures, Oiseaux, Ptérosaures, Crocodiles). On pourrait éventuellement y ranger quelque part les ancêtres inconnus des Reptiles volants et des Reptiles marins. Les Tortues sont très anciennes. Elles sont apparues au Trias et ont très peu évolué depuis. En regardant une Tortue actuelle, nous jetons un regard sur un passé lointain. La Tortue nous donne une image crédible de ce quétaient probablement nos ancêtres à cette phase primitive de leur évolution. Nous allons laisser de coté, pour linstant, les Thérapsides et Mammaliens, dont le jour de gloire nétait pas encore arrivé, et nous allons dabord nous intéresser à certains Archéosauriens, les Thécodontes. Au début, la plupart de ces dinosaures, (ce qui signifie reptiles terribles), étaient des bipèdes de très petite taille. Ils marchaient sur leurs pattes arrière, les pattes avant restant libres. On trouvait chez eux deux ordres distincts, les Sauropodes et les Ornitischiens. Les Sauropodes évoluèrent jusquau Jurassique, et donnèrent naissance aux animaux les plus gigantesques que la Terre ait connu, tant herbivores que carnivores. Les herbivores, Brontosaures et Brachiosaures, pesaient quarante tonnes, et atteignaient plus de vingt mètres de long. Leur poids énorme les contraignit à redevenir des quadrupèdes et à vivre dans les marécages. Leurs dimensions nécessitèrent la mise en place dune grosse annexe ganglionnaire, relayant le cerveau au niveau des reins. Les carnivores restèrent généralement bipèdes. Dabord de taille moyenne, ils évoluèrent également vers des formes géantes. Elles culminèrent avec les formes tardives connues sous le nom de Tyrannosaures, énormes fauves de douze mètres de long, pesant environ huit tonnes. Les Ornitischiens apparurent plus tardivement, au début du Jurassique. Beaucoup dentre eux abandonnèrent assez vite la bipédie. Ce groupe dherbivores produisit des formes variées et extrêmement curieuses, tels les Iguanodons, Stégosaures qui portaient de grandes plaques osseuses sur le dos, les Ankylosantes cuirassés, et plus tardivement, les Tricératops ou dinosaures à cornes. Certaines espèces furent dotées dappendices bizarres, becs de canard, coiffes et crêtes insolites (résonateurs sonores). Les Archéosauriens ont probablement été les ancêtres des oiseaux, quoique cela soit encore incertain. Ils ont également des descendants actuels dans un autre groupe, les Crocodiles. Indépendamment de la souche des oiseaux, des reptiles à ailes membraneuses ont volé longtemps, dés le Trias et jusquau Crétacé. (Ptérodactyles, Ptéranodons). Dautres espèces sont retournées au monde marin, tels les Ichthyosaures, à allure de dauphins, et les grands Plésiosaures au long cou, dont un descendant, (aux dires de doux rêveurs anglo-saxons), fréquenterait encore les eaux froides du Loch Ness. Les Reptiles exercèrent une véritable suprématie pendant tout le Trias, période au cours de laquelle les mers occupaient une surface analogue à ce quelle couvre actuellement. Au début du Jurassique, les mers montèrent fortement, ce qui entraîna une profonde transformation du milieu. Les lagunes et les marécages sétendirent. La surface et le climat terrestres furent fortement modifiés. A ce moment, le déclin des Reptiles commença. Le Crétacé suivit, au cours duquel les espèces végétales se modifièrent très profondément. Les Fougères, les Prèles et les divers Gymnospermes régressèrent au profit des Conifères puis des Arbres et Plantes à fleurs. Á la fin du Crétacé, tous les reptiles disparurent. Seuls survécurent les Crocodiles, les Tortues, les Lézards et les Serpents, ainsi que le peuple apparenté des Oiseaux. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer cette extinction de masse. On a parlé de chute dastéroïde, de gigantesques éruptions volcaniques, dévolution catastrophique du climat et de la couverture végétale, et de linfluence du développement de nouvelles espèces. Aucune théorie napporte vraiment une réponse complète à toutes les questions posées par un phénomène dune telle ampleur. Quoique rapide, la disparition des Reptiles a été relativement étalée dans le temps puis quelle a demandé des dizaines de milliers dannées. Il semble quil faille considérer que laction conjointe de plusieurs facteurs, les uns accidentels, les autres liés à lévolution générale de la planète et des espèces qui y vivaient à cette époque, ait provoqué cette situation. Dailleurs, beaucoup dautres espèces très différentes disparurent en même temps que les Reptiles. On estime même que les trois quarts des espèces vivantes, végétales ou animales, séteignirent à ce moment. Comme on ne sait pas grand chose des conditions qui causèrent cette extinction massive, dun autre point de vue, on peut aussi considérer quen dépit de limmensité du temps passé et du nombre considérable des formes successivement produites, leur évolution et leur devenir étaient dans une impasse. |
Le temps des Mammifères était venu. Nous avons dit que les Mammifères descendent des Mammaliens qui se sont progressivement différenciés et séparés des Reptiles vrais au début de leur expansion. La première différence entre les Mammaliens et les Reptiles concerne la façon de se nourrir. Les Reptiles avalent leur nourriture pratiquement telle quelle se présente, tandis que les Mammaliens la mâchent. Les deux filières différent donc fortement dans lorganisation et la forme de la dentition. Les dents des Mammifères permettent le broyage des aliments. Or les dents sont des parties très dures qui sont assez bien conservées par le processus de fossilisation. Cela explique la grande importance que les archéologues attachent aux dents. Mais les Mammifères inventèrent beaucoup dautres perfectionnements. Ils remplacèrent les écailles et les plaques osseuses qui couvraient le corps, par de la fourrure, et généralisèrent la circulation à sang chaud. Ils développèrent le système nerveux et se dotèrent dun cerveau capable dapprentissages complexes. Ils modifièrent la structure de leur oreille pour mieux ladapter à la transmission aérienne des sons, en imaginant la chaîne des trois osselets. Cependant, les évolutions les plus visibles portent sur le système de reproduction, qui fut profondément transformé. Lœuf cessa dêtre pondu à lextérieur. La femelle sorganisa pour le conserver dans son propre organisme, pendant toute la durée de la maturation de la larve. La coquille et la réserve de nourriture furent supprimées. Lalimentation de lembryon fut assurée par une sorte de greffe, un branchement provisoire sur un organe nouveau, le placenta, relié au système circulatoire maternel. Après la naissance, la mère nourrit les jeunes pendant un certain temps avec le lait de ses mamelles, qui proviennent dune transformation de glandes sébacées. Certains Mammifères nont toujours pas réalisé la totalité de cette évolution, tels les Marsupiaux dont les larves doivent terminer leur incubation dans une poche externe spéciale qui contient les mamelles. Les méthodes de fécondation ont également été transformées. On est passé de la juxtaposition primitive des orifices cloacaux au système actuel, à tenon et mortaise, qui semble généralement donner satisfaction, (quoique jeusse préféré, pour ma part, un appareil plus esthétique dans lapparence, plus varié dans lusage, et mieux placé dans la disposition). Dans ce début de chapitre, jai tenté de résumer les hypothèses que la paléontologie propose actuellement à notre réflexion. La paléontologie sefforce de lire les archives que la vie a laissé au cours du temps, dans des fossiles ensevelis dans des sédiments. Cest une science très différente de la biologie. Celle-ci travaille à léchelle des générations dont elle étudie la répartition dans létendue de la biosphère actuelle. Les paléontologues travaillent dans lobscurité des temps passés, à léchelle géologique, et sur des spécimens rares et fragmentaires, espacés de mille à cent mille générations. Ils racontent une histoire de la vie contingente, imprévisible, régie par le hasard et les événements aléatoirement survenus sur la planète. Nous avons passé beaucoup de temps à tenter de reconstruire lhistoire des débuts de la vie dans ce monde, mais cest une période extrêmement longue. Elle a été évoquée de façon bien rapide au regard de son importance et de sa durée relative. Après un départ difficile, et tout en maintenant en place les organismes procaryotes originels, la vie a progressivement mis au point des organismes eucaryotes de plus en plus complexes. |
En tous temps, la vie a peuplé abondamment la Terre. A toute époque, dimmenses quantités danimaux et de végétaux ont conquis tous les habitats possibles malgré des difficultés énormes. La règle a toujours été la variété exubérante des formes et des espèces. Plusieurs événements catastrophiques ont engendré des extinctions massives, détruisant la plupart des êtres qui vivaient à ce moment. Lorsque la vie sest remise en route, elle a reconstruit cette variété avec ce qui subsistait au-delà du cataclysme. Par exemple, on estime quil existe environ 10 000 espèces doiseaux, 100 000 espèces darbres, et 6 000 000 despèces dinsectes. Voici un classement des groupes actuels deucaryotes, en fonction du nombre despèces vivantes, en partant du plus faible, les mammifères, vers le plus grand, les insectes.
Nous sommes existentiellement une espèce animale. Nous devons comprendre que nous sommes une de ces espèces animales qui peuplent cette terre errant dans lespace. Cette appartenance explique notre comportement naturel instinctif, toujours très proche de celui des autres animaux. On peut donc parler de lanimal humain pour expliquer la plus grande partie du comportement habituel de lespèce. Cet animal vit dans un milieu quil partage avec les autres espèces vivantes. Il sy trouve, avec des règles impératives communes, en contact coopératif, affectif, ou compétitif avec les autres vivants pour assumer la survie, la propagation, et la domination de sa propre espèce. Lanimal en général réagit à la perception relativement inconsciente de signaux qui induisent irrésistiblement son attitude immédiate en fonction des habitudes comportementales de lespèce. De plus, dans la plupart des espèces, lorganisation sociale est régie par les pulsions de nutrition, de reproduction, de domination et de soumission. Lorsquun tiers étranger survient, lattitude courante est nettement agressive et le reste jusquà ce quun signal convenable, exprimant la domination ou la soumission, soit émis, reçu et accepté. Ceci est également vrai chez lHomme. Il faut envisager très sérieusement toute la portée et toutes les conséquences des limites effectives de la perception animale. Quoiquelles constituent des signes en relation avec le réel extérieur perçu par une forme inconsciente de lintelligence, les images utilisées par la plupart des animaux ne sont pas du tout des images rationalisées. Elles transportent seulement des signaux secondairement inducteurs des comportements. Ceux-ci sont préparés et programmés dans le système nerveux animal, et exécutés automatiquement. La manifestation de lintelligence universelle chez les animaux nutilise pas lanalyse et ne passe pas par la rationalisation, quoiquelle puisse souvent passer par une affectivité véritable. "Lhomme animal" porte en lui, en raison de sa nature animale, ces mêmes mécanismes plus ou moins primitifs de comportement inconscient et de programmation automatique. En fait, il nutilise pratiquement que ces mécanismes dans sa vie courante, mais il les habille souvent doripeaux culturels et les justifie darguments prétendus rationnels. |
L’homme porte en lui des programmations animales archaïques. Les pulsions qui montent du système nerveux humain profond sont et restent bien animales. Elles relèvent de ce que nous appelons l’instinct, c’est-à-dire qu’elles sont automatiques, n’étant ni analysées ni raisonnées. Elles sont contenues dans une bibliothèque de programmes de comportement. Celle-ci fait partie du patrimoine génétique général qui appartient au groupe zoologique des primates, et plus particulièrement à la branche dont sont issus nos proches cousins. Il est maintenant assez bien établi que l’homme s’est différencié très tôt, et qu’il s’est séparé des autres simiens depuis plus de trois millions d’années. Il apparaît également très probable qu’il y a eu plusieurs filières assez différentes aboutissant toutes séparément à l’hominisation. Ces précurseurs devaient assez peu nous ressembler physiquement, mais ils tendaient déjà à la station verticale. Ils avaient une face relativement plate et une capacité cérébrale en augmentation. Tous ces plus proches parents sont aujourd’hui disparus, et nous restons la seule espèce qui porte encore en elle l’espoir de réalisation de l’idiomorphon humain. C’est une situation très inquiétante, qui prélude généralement à la disparition complète d’un groupe, comme cela menace également le cheval. Parmi tous les ongulés équins qui peuplaient les plaines du passé, il ne subsiste aujourd’hui que quatre ou cinq espèces. Parmi les différentes filières humaines de la même époque, il ne subsiste qu’une seule espèce, la notre, l’Homo dit " Sapiens ". A l’égard des puissants mécanismes de la sélection naturelle et de l’évolution des espèces, on peut considérer que l’homme est dans une situation extrêmement dangereuse dans l’hypothèse de grands changements écologiques ou de catastrophe naturelle importante. Cette régression insoupçonnée menace aussi ces cousins éloignés que sont les grands singes. Leur nombre diminue sans cesse, en particulier chez les Anthropoïdes dont les gènes différent peu des nôtres. ( 99% du matériel génétique du Chimpanzé est identique au matériel humain ). Restons sur un plan strictement biologique, et constatons que notre espèce se démarque physiologiquement de ces cousins par une peau peu poilue, une graisse sous-cutanée, une silhouette rectiligne, une aptitude à la parole, à la natation et à la plongée. Pour Elaine Morgan, ces propriétés particulières sont précisément celles que l’on trouve de façon généralisée chez les mammifères aquatiques. Comme Sir Alister Hardy, elle soutient une théorie selon laquelle une étape aquatique aurait joué un rôle important dans l’évolution humaine. Cet épisode serait consécutif à une situation vécue par un groupe de primates, entre la fin du Miocène et le début du Pléistocène, dans une région isolée par la montée de la mer, les Alpes Dakaniles, au nord de l’Afrique, aux confins de l’Afar. L’auteur présente des arguments assez convaincants. Elle montre que tous les groupes animaux comportent des espèces qui sont retournées vers l’eau. La plupart sont alors dépourvues de poils, comme les suivants qui sont cités.
- Certains Reptiles antiques, tels les Ichtyosaures et les Plésiosaures,
et d’autres modernes tels le Crocodile, L’Homme serait alors un représentant du groupe des Primates, revenu à l’eau pour un temps, puis retourné à terre, en raison de circonstances locales et particulières exposées par cette théorie. Comme l’Homme, certains de ces animaux aquatiques communiquent par des signaux sonores élaborés. Dans l’épisode marin, Elaine Morgan voit l’origine de la parole. L’immersion de la plus grande partie du corps ne permet pas la communication gestuelle, qui est donc remplacée ou complétée par un système alternatif de communication sonore. Chez les humains, les dispositifs originels sont cependant conservés comme canal secondaire d’appoint. Au premier siècle, Quintilien nous disait : "Les mains parlent d’elles mêmes. Avec elles nous pouvons demander, promettre, appeler, congédier, menacer, supplier, marquer l’horreur, la crainte, l’indignation, la négation, la joie, la tristesse, le doute, l’aveu, le repentir, la mesure, la quantité, le nombre, le temps... Elles semblent constituer un langage commun à tous les hommes ". En fonction des circonstances, l’Homme utilise maintenant soit le canal vocal soit le canal gestuel, ou bien il renforce l’un par l’autre, en ponctuant de gestes éloquents les signaux vocaux qu’il estime insuffisamment significatifs. Quittons là cette hypothèse originale, et venons en au le plan de l’organisation sociale. Nous connaissons assez bien les comportements collectifs des tribus de primates qui nous accompagnent sur cette terre. Ils sont gouvernés par des équilibres de domination et de soumission qui diffèrent un peu selon les espèces.
Ces comportements sont aussi les nôtres, tant que nous laissons la bride à nos instincts. Les équilibres tribaux et sociaux des sociétés humaines sont établis par des pressions animales de domination et de soumission, incontrôlables et antiques, qui montent du plus profond de l’inconscient. Cependant, les structures réglant les comportements humains sont souvent bimodales.
Au plus profond d’eux mêmes, en suivant instinctivement les programmes puisés dans l’ancestrale bibliothèque comportementale, la plupart des "hommes animaux" évoluant dans une société structurée, souhaitent un modèle à imiter et un chef dominateur à qui obéir. Effectivement, les puissantes pulsions de soumission restent inconscientes, mais elles sont interprétées par le nouveau cerveau humain, et traduites en termes rationnels. Elles sont donc transformées en modes, coutumes, traditions, morale, codes, religions, etc.. L’homme est un pauvre singe condamné à faire l’homme, disait Jean Rostand. Avant de quitter ce sujet, j’aurais donc avec Anna Wheeler Wilcox, une pensée particulière pour tous ces frères animaux, dont nous partageons encore partiellement l’aventure souvent douloureuse, mais que nous allons bientôt laisser derrière nous. I am the voice of the
voiceless, Je suis la voix du sans
parole, qui par moi parlera, La loi assignée au vivant, c’est la dévoration. Autant que nous puissions en juger, dans l'immense univers, à partir de notre point de vue strictement terrestre, une loi incontournable est assignée au vivant. Au moins dans ce monde, ce qui distingue fondamentalement et nécessairement, le vivant de l'inerte, c'est que le premier mange et transforme sa nourriture en sa propre matière. Toute définition ignorant cet aspect est insuffisante. On peut naturellement nuancer ces propos en distinguant plusieurs lois associées, selon que l’on a affaire à des procaryotes ou des eucaryotes, autotrophes ou hétérotrophes, selon le règne concerné. Certains modes de vie marginaux, virus, prions, et autres, ont également des lois qu'on peut, au choix, considérer analogues ou différentes. Nous avons précédemment vu, que depuis l’épuisement des nutriments primordiaux, les vivants survivent en trouvant leur matière propre dans celle des êtres voisins précédents, morts ou vifs. Le règne végétal exerce sa fonction de nutrition à partir du règne minéral et de l’énergie du Soleil, mais il utilise des éléments provenant de la décomposition d’organismes morts. Il y associe des fortes pulsions, telle une tendance à l'expansion indéfinie et à la reproduction vigoureuse, celles-ci étant souvent manifestées par une sexualité exubérante. Les fleurs, symboles universels de beauté et d'amour, sont en fait des groupes volubiles d'organes reproducteurs épanouis, en situation d’usage. Le règne animal est également soumis à ces mêmes pulsions irréfragables d'expansion et de reproduction. Il y associe toujours un mode de nutrition prédateur, qui s'exerce aux dépens des végétaux ou des autres animaux. Il est l’appareil effectif du " Désir Désirant ", d’Archaos, tendant à l’ordonnance du chaos aléatoire par la satisfaction anarchique de tous les sens, l’outil parfait de la résolution par l’absurde du problème de la sélection vitale. L’animal est un dévoreur. Cela est vrai à tel point qu'on pourrait définir un animal comme un être fondamentalement mu par l'appétit, constitué d'un estomac ouvert d’une bouche entourée d'organes de préhension. D’ailleurs, certaines familles tels les Cnidaires ou les Spongiaires, en sont restés à ce stade primitif, et sont effectivement constitués de cette façon, avec un seul orifice banal entouré de tentacules. Tout le développement corporel animal n'est qu'un perfectionnement agressif, à visée productiviste, de ce système de base inscrit au plus ancien donc au plus profond des bagages génétiques. Il semble que le modèle cosmique soit analogue, constituant les astres, les étoiles, les galaxies, par concentration progressive de matière et dévoration gravifique. |
La dévoration serait-elle universelle ? L'implacable loi de dévoration serait-elle fondamentalement universelle ? Sur terre, en tous cas, depuis que les réserves originelles de protéines sont épuisées, elle semble cruellement s'imposer à tous les vivants. Au long cours de siècles passés et des ères révolues, tout particulièrement dans sa manifestation eucaryote, la vie initialement immortelle a inventé la prédation, la sexualité et la mort. Elle a jugé que ces moyens terrifiants étaient nécessaires pour accélérer lévolution des espèces, et peut-être leur progrès, vers la réalisation dobjectifs obscurs. Du fait de lapparition récente de notre conscience, nous croyons maintenant que nous sommes personnellement impliqués dans ce projet. Il est intéressant de visiter le pavillon dAnatomie Comparée, à Paris, au Jardin des Plantes. Le plan remarquable dorganisation des collections de squelettes amène à des constats troublants. La première évidence, cest limportance énorme des gueules et des dents. Tous les organismes sont faits pour voler, nager, ou courir, mais surtout pour manger, donc pour détruire. La seconde évidence, cest la relative mais réelle unicité du plan structurel des vertébrés, actuels ou fossiles, qui constituent la partie la plus spectaculaire de lexposition. La visite sachève au niveau des Primates et il y a là aussi deux grandes évidences. La première est que lHomme est bien à sa place au sein des espèces présentées, tant dans le cortège homogène général que dans le groupe où il est placé. Et pourtant, simultanément, il est également tout à fait évident que sa mise en relation avec cet environnement fondamentalement animal est complètement fausse. Sa place est ailleurs. Cest une impression très forte. Tout paraît à la fois comparable et différent. Il semble nécessaire, non pas seulement de déplacer ailleurs le spécimen, mais de lôter complètement. On touche là du doigt une forme de raisonnement étrangère au monde occidental. Le squelette humain est bien à sa place dans la collection animale, et tout à la fois, il ny est pas du tout. Allez donc au Jardin des Plantes, et constatez vous-mêmes. L’Homme est tout à la fois un animal et son contraire. Cest un constat lourd de conséquences. Les hommes usent des structures, des mécanismes, des organes, des pulsions, et des autres fonctions du monde animal. Mais les images animales ne sont pas les images humaines. Les vertus animales ne sont plus nos vertus. Les valeurs animales se mesurent dans les capacités des plus vigoureux et des plus aptes, à faire survivre lindividu le mieux adapté propre à perpétuer lespèce. Elles sexpriment donc en valeurs dagilité, de force, de vitesse, de prédation, de rivalité, de combat, de férocité, et de capacité meurtrière. Le parangon animal des vertus est le tueur. Nous ressentons très profondément les messages électrochimiques des organismes primitifs que sont nos cellules. Elles expriment leurs besoins fondamentaux afin dêtre en mesure de réaliser leur programme de construction et de conservation des structures collectives fonctionnelles qui constituent notre corps. Nous devons aussi savoir quentre temps, une enveloppe animale a épousé de lintérieur ce corps électro chimique. Nous portons depuis, en nous, plus jeune et plus exigeant, ce féroce animal originel dont les capacités de meurtre et de prédation ont été perfectionnées par lémulation et la sélection naturelle. Les facultés, les moyens, les systèmes et les outils correspondants ont été soigneusement mémorisés dans nos gènes. La machine corporelle les reconstruit, les perfectionne, et les remet à lœuvre méthodiquement à chaque génération. Par le dégoût, la répugnance ou lhorreur même que nous inspirent les comportements naturellement biologiques, égoïstes, féroces ou sanguinaires des animaux, (comme parfois, hélas, ceux de "lhomme animal" qui sen démarque à peine), nous comprenons une chose très importante. Cet être doit donc exprimer son essence différente par le renoncement conscient à lanimalité et à ses valeurs. Quand il parvient à maturité de conscience, les propriétés animales évolutives ne lui sont plus nécessaires. Lorsque lon entre dans ce champ nouveau dexpression de la vie, on acquiert une conscience actuelle, nouvelle, et différente de la nature des valeurs animales. Elles apparaissent soudain répugnantes, ou horribles, car elles appartiennent à lexpression dun ancien champ de vie qui appartient désormais au passé. On doit donc, nécessairement et logiquement, quitter à linstant ce domaine étranger. Les comportements animaux ne sont plus nécessaires. Nous devrons donc, à ce moment, y renoncer et prendre notre place essentielle nouvelle au sein de lUnivers. La nature inconsciente qui nous environne nest ni bonne ni mauvaise, elle seulement dramatiquement indifférente à la souffrance des créatures qui peuplent la Terre. Nous examinerons attentivement ce point un peu plus tard. Si vous le voulez bien, nous en resterons pour linstant à cette réflexion. Quen est-il donc de lHomme ? |
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