Les premiers livres de Dante

Vous lirez partout
que Dante, (Durante degli Aligheriri), le fils aîné d'Alighiero di Bellincione et
de Gabriella degli Abati, était un très grand poète. Vous n'éprouverez cependant aucun
plaisir à la lecture de ses ouvrages originaux. Car
Dante écrivait en toscan, un ancien langage obsolète depuis bien
longtemps. Vous n'aurez donc accès qu'à des traductions qui dégradent l'oeuvre
originale. Par ailleurs, une grande partie des textes de Dante est versifiée
dans une forme très formelle et très concise qu'aucune traduction ne peut
fidèlement reproduire. Et surtout, le contexte culturel et politique qui a inspiré les textes nous est
devenu parfaitement étranger. On y trouve en effet de très
nombreuses références mythologiques, historiques et religieuses complètement
oubliées et même
beaucoup de règlements de comptes politiques. Aujourd'hui ces livres nous
tomberaient des mains. Je crois qu'il est indispensable, pour les reconnaître, de
recourir humblement aux analyses des commentateurs. C'est ici ce que je vous propose
d'essayer de
faire ensemble.
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Dante Alighieri
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En 1292, Dante écrit son premier
ouvrage, la Vita nuova. C'est une petite autobiographie
comprenant 35 poèmes et 42 chapitres en prose.
Écrit en toscan ancien (langue dite vulgaire, au sens de populaire, par rapport au latin
traditionnel), le livre apparaît novateur. Dès les premières lignes, Dante évoque
l'étonnant personnage de Béatrice, (Bice di Folco Portinari), qui va inspirer
tout le livre. Alors qu'il n'avait que neuf ans, il a croisé par hasard une
petite fille. Vêtue de rouge et parée comme tous les Florentins de qualité en
ces temps, elle n'avait que huit ans. Dante a cru voir un ange. Neuf années
passent avant qu'il la rencontre pour la seconde fois. Jeune fille toute vêtue
de blanc, elle lui adresse "un doux salut". Ébloui,
Dante met à écrire de nombreux sonnets au
point d'intriguer ses amis. Pour tromper leur curiosité, il feint de s'intéresser
à d'autres dames. Dorénavant, Béatrice refusera son salut. Elle épousera Simone
de Bardi et mourra jeune. Et Dante écrira Vita nuova, cette grande poésie
lyrique qui fait de Béatrice un ange descendu du ciel.
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Béatrice

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Dante produisit la Vita nuova deux ans après la mort énoncée de Béatrice.
Mais les commentateurs ne semblent pas certains que la réalité fut celle que
Dante décrivit. On ne sait pas vraiment si cette Béatrice fut l'objet d'un amour
éperdu, d'un rêve ou d'un délire ou bien qu'elle ait été un moyen littéraire
génial, imaginé pour émouvoir le lecteur. Réel ou fictif, ce personnage a inspiré de nombreux
peintres, de Giotto à Dali. D'innombrables tableaux représentent la relation de Dante avec
Béatrice, tout autant dans la Vita nuova que dans la Divine Comédie. Elle
a aussi inspiré un opéra de Godard et beaucoup de compositeurs de musique et
autres artistes divers. La composition de l'ouvrage est assez curieuse, faisant
alterner des poèmes et des parties en prose. Il semble qu'originellement, cette prose exposait l'histoire des amours
déçues de Dante. La frustration liée à la mort de Béatrice stimula l'imagination de l'auteur. Il intégra à l'ouvrage
tous les longs poèmes sublimant ses souvenirs, en y ajoutant des explications quant à
leurs structures et leurs contenus.
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Dante apprend la mort de Béatrice
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Le second livre en toscan de Dante, "Le Banquet", (Convivio),
est très important. L'auteur a pris conscience du désir de
connaissance qu'ont tous les hommes. Il se propose de satisfaire
cette faim et construit son ouvrage comme un banquet de savoir
offert aux chercheurs. On y trouve une succession de mets
philosophiques à thèmes, sous forme de longs poèmes suivis
d'explications en prose bien plus longues encore. Dante aimait
expliquer systématiquement la signification précise de chaque
détail de son travail. Ce qui paraît précieux dans ce Banquet,
ce sont justement ces explications qui exposent l'essentiel du
contexte culturel, moral, religieux, politique et scientifique
de l'époque. Le premier chant est cosmogonique. Comme chez
Aristote, la Terre est le centre de l'Univers. Elle est entourée
de neuf cieux, de la Lune, de Mercure, de Vénus (contenant
l'épicycle cause des écarts orbitaux), du Soleil, de Mars, de
Jupiter, de Saturne, des Étoiles, puis du ciel Cristallin de
Ptolémée. Au dessus est l'Empyrée, lieu de séjour divin, le ciel
de lumière des Catholiques. |
Les doctrines et les
sciences
Les doctrines métaphysiques et religieuses
s'appuient bien souvent sur des éléments fournis par la science à
l'époque de leur élaboration.
Mais les doctrines prétendent aux vérités définitives concernant
les origines et le destin du Monde, tandis que les théories des sciences
demeurent éphémères, se succédant
continûment pour en exposer les seuls aspects actuels.
Les convictions
immuables sont alors bâties sur du sable car les sciences
changeantes qui les fondent ne reflètent que les
connaissances du moment.
C'est pour exprimer cela que le Théosophe Rudolf Steiner disait :
"On peut être à la
fois homme de science moderne
et investigateur spirituel, mais dans ce cas,
il faut être authentiquement l’un et l’autre."
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Dante décrit
ensuite les moteurs animant ces cieux, ces innombrables ensembles
d'intelligences que les païens appelaient dieux et que Platon
nommaient Idées. Plus ils sont proches de Dieu et plus ils
sont puissants. Ils se répartissent en trois hiérarchies, chacune
de trois ordres, d'abord les Anges, les Archanges, et les Trônes,
puis les Dominations, les Vertus et les Principautés, et enfin les
Puissances, les Chérubins, et au sommet les Séraphins. Cette
organisation reflèterait celle de la Majesté divine en ses trois
aspects doctrinaux du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Et Dante
poursuit ses exposés dans la même veine, assimilant aux sept
premiers cieux les sept sciences raisonnables classiques, au
premier la Grammaire, puis la Dialectique, la Rhétorique,
l'Arithmétique, la Musique, la Géométrie et l'Astrologie. Au ciel
des Étoiles, il place la Physique et la Métaphysique, et enfin,
tout en haut, la Théologie. Tout cela est justifié dans le détail
par de longs discours et de multiples références aux traditions
mythologiques et aux travaux des plus grands philosophes. |

Un aperçu
du Banquet, (Convivio). |
Ainsi vont
les chants dans ce banquet de thèmes, traitant, entre autres et
par exemple, des mouvements circulaires du Soleil et de la Terre
d'après les philosophes, des inclinations du corps et de l'âme en
fonction de leur nature minérale, animales ou spirituelle, ou des
attraits des bonnes et mauvaises actions. Dante traitera aussi des
structures de la société politique et civile médiévale, du rôle de
la Noblesse, de la légitimité du pouvoir impérial et des
interventions de l'Église et du Pape. Il évoquera des sujets
abstraits, tantôt positifs tels la raison, le discernement,
ou l'éthique, tantôt négatifs comme l'arrogance, l'irrespect, ou
l'incivisme. Il parlera aussi du Droit et de la Logique, des Arts,
des richesses et de la cupidité, de la vérité et autres vertus.
Mais Dante n'oublie pas Béatrice qui revient souvent dans le texte
pour conforter les arguments relatifs à l'amour, à la beauté, à la
noblesse, ou la vertu. On voit se mettre en place au fil des pages
le personnage de la Dame sainte, envoyée de Dieu dans la future
Commédia sur laquelle Dante travailla si longtemps. |
Dante et Béatrice jeune fille

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