Tous ces yeux si
différents

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Dés lors que l'œil remplit
le rôle de détecteur d'indices lumineux vitaux, il n’a pas besoin
d’être un appareil optique parfait.
Beaucoup d'êtres vivants utilisent des yeux fort rudimentaires.
Les araignées ont plusieurs paires d'yeux de focales différentes et
les insectes des yeux à facettes. Les coquillages usent de
multiples ocelles minuscules au bord de leur coquille. Sous quelle
forme ces êtres perçoivent-ils le Monde ? Dès que l'organe apporte
une capacité complémentaire, il augmente les chances de survie de
son porteur, et il est statistiquement sélectionné. A l’origine de
la formation d'un organe simplement détecteur, une seule
cellule un peu photosensible a pu ajouter aux signes provenant de
la coopération des autres sens actifs, un indice nouveau, faible
peut-être, mais suffisant pour augmenter significativement
l’adéquation du comportement du bénéficiaire aux conditions
extérieures. Ultérieurement, si le bénéfice d’adéquation en était
suffisant, le perfectionnement a suivi en utilisant le même
processus sélectif d’évolution progressive. Il fallait cependant
que cette première cellule sensible apparaisse avec une fréquence
et une constance suffisante pour apporter les bases d’une
sélection statistique, et que les messages génétiques nécessaires
à sa reproduction à l’identique, soient reconnus et utilisables.
Au fil du temps, cette transformation ne peut se faire que dans le
cadre de la coopération des organes déjà actifs, et seulement
lorsque l’apport très mineur d’un détecteur nouveau encore
imparfait peut présenter un intérêt supplémentaire quelconque en raison des
circonstances du moment. Pour de nombreux êtres vivants, en raison
de conditions initiales actuelles, cet intérêt est trop faible
pour entraîner une transformation importante. Les choses restent
alors en l’état, et l’organe reste au niveau minimal des performances
utiles à la survie de l’espèce en cause. |
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Les insectes ont des yeux à
facettes |
Les coquillages ont des
ocelles multiples |
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La vision des primates est
trichromatique |
La vision des pigeons est penta chromatique |
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L’étude de quelques
fonctions de l’œil montre les limites l’approche du réel, même lorsque que l'on
use d'instruments dans une démarche (détournée) d’exploration. L’œil différencie
des indices dans l'environnement en examinant divers facteurs,
luminosité, couleur, forme, relief, orientation
spatiale, mouvement, grandeur, conformité à un modèle, etc..
L'action est reliée à l’activité synchrone d’autres sens
associés qui apportent des informations complémentaires.
La coopération diffère selon la fonction et l’utilité.
En fait, les sensations sont d'abord des phénomènes
psychophysiologiques engendrés par l’excitation conjointe
de l’organe considéré et des compléments. Le percept correspondant est
un objet purement mental sans véritable référence à la chose réelle
dont il signale simplement la présence. La notion purement mentale
du percept n’est pas facile à saisir. Prenons par exemple la
couleur des objets. L’œil concentre optiquement le flux de
photons incidents sur des photorécepteurs disposés sur la rétine.
Chez l’homme, les photorécepteurs sont de deux types, les bâtonnets sensibles
aux faibles flux, et les cônes, moins nombreux, utilisés pour la vision
diurne des détails et de la couleur. Les photorécepteurs répondent par une activité
électrochimique amplificatrice extrêmement rapide. Les cônes
réagissent au choc des photons, lorsque ceux-ci soient absorbés par
les pigments qui les garnissent. Selon les caractéristiques
de ces pigments, une toute petite fenêtre est ouverte dans le très large spectre électromagnétique
solaire. Ce qui passe est appelé lumière visible. La fenêtre est variable
selon les espèces animales, modifiant évidemment la perception de
l’aspect des objets. Chez l'homme, elle associée à trois
pigments répartis dans trois groupes de cônes sensibles au bleu,
au vert, et au rouge, entre 400 nm (ultraviolet proche), et 750 nm
(infrarouge proche). Les combinaisons des réactions des trois
types de cônes au flux de photons déclenchent la perception des
couleurs. Les daltoniens n'ont que deux types de cônes, les
pigeons et les perruches en ont cinq. Beaucoup d'animaux ne voient pas les
couleurs, mais les serpents voient l'infrarouge, et les abeilles
l'ultraviolet plus la polarisation de la lumière.
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Les Araignées ont plusieurs
paires d'yeux de focales différentes |
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La vision des couleurs
est fort diversifiée. Les mâles des singes écureuils d’Amérique sont
dichromates et des femelles tri chromates ou tétra chromates comme quelques
femmes humaines. Malgré ces proches particularités féminines, il
nous est impossible d’imaginer les couleurs inconnues
qu'implique la séparation de fréquences. Elle induit
discriminations comparables à celles du vert, du rouge, et du bleu. Ce
sont d'autres couleurs, pour nous inconnaissables, non expérimentables,
donc inimaginables. La couleur ne traduit pas une propriété propre aux objets, elle
est une faculté propre à l'examinateur. Les mondes
colorés diffèrent selon les espèces et selon les gens,
en relation avec la variété de leurs cônes rétiniens. Peut-on même
penser que tel rouge, vert, ou bleu, demeure le même rouge, vert, ou bleu, pour
chacun ? L'intervention de l’œil sur la couleur des choses va
plus loin. Un papier reste blanc, une feuille reste verte, quand le
ciel est bleu à midi ou rouge le soir, quand change le flux lumineux
objectif. La vision corrige la perception isolée en fonction de la
couleur des flux incidents globaux. Il y a un blanc du midi et un
blanc du soir. Les mêmes corrections s'appliquent
aux couleurs réfléchies par les objets voisins. De même, la ligne de
contour n'existe pas. Une fonction particulière de l'œil la fait apparaître,
si bien que l'on dessine d'un simple trait le contour inexistant des objets
représentés. Le renforcement des contrastes au voisinage de
leur limite, aide à cette génération. Le système visuel retraite aussi
les informations relatives à la situation verticale du sujet observé. Il
en modifie les dimensions apparentes selon l'angle d'élévation sur
l'horizon. Le soleil ou la lune paraissent plus gros à l'horizon qu'au zénith.
Il est évident que l'éloignement des astres reste fixe. L'effet
d'élévation s'applique quelle que soit la distance. Un
objet situé à cinq mètres paraît très prés, à quelques pas.
Á trois mètres, en hauteur ou en profondeur, il semble déjà dangereusement
éloigné. Á l'horizontale, les choses gardent leur vraie taille et leur proximité.
Vues du haut d'un immeuble de trente mètres, elles sont miniaturisées. |
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La lumière visible est une toute petite fenêtre dans les ondes
électromagnétiques |
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Sensibilité des trois types
de cônes |
La perception des couleurs diffère selon les espèces |
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Les mâles et les femelles des singes écureuils
ne voient pas le même monde |
L'abeille et le poisson
ne voient pas les mêmes couleurs |
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Associé aux zones spécialisées du
cerveau, l'œil modifie certains stimuli. Il efface, par exemple,
l'existence des taches aveugles, ces zones de pénétration des
nerfs optiques dans la rétine, qui sont dépourvues de photorécepteurs.
Cet aveuglement assez important génère pourtant un manque
dans le champ visuel, mais il n'est pas présenté pas au conscient. Le trou dû
aux taches aveugles n'est pas perçu du tout. Une opération
corrective inconsciente continue, extrêmement complexe, est opérée
pour remplir ce vide et pour raccorder sans faille cet artifice au
reste de l’image. Cette opération globale est une
interpolation de surface. De façon analogue, les images fournies
par chaque œil présentent
de faibles différences de perspective ou de largeur de champ. Le
système visuel les utilise pour décrire le relief. Une
seule image est perçue avec une profondeur. Si les deux
images présentent des différences plus marquées, (position
particulière, sujet en mouvement ou obstacle masquant), le
système visuel les fusionne en assemblant les deux morceaux. Les zones floues
ou incomplètes sont ignorées et l'image composite est automatiquement
reconstruite en gommant la partie douteuse. Si l'on considère l'œil
comme un simple appareil optique, une question se pose. Pourquoi
et comment l'image que nous percevons reste-t-elle stable lors des mouvements
exploratoires de la tête et des yeux ? L'image donnée par un appareil
optique bouge lorsque l'objectif change d'orientation. Celle qui est
perçue par l'œil reste fixe. Cela montre bien que l'image perçue est
un objet purement mental lequel est stable en soi. Il intègre des signes
qui lui parviennent des divers organes sensitifs et des banques de mémoire.
Dans les diverses zones de l'image,
en particulier à la périphérie, il y a un échange constant entre des signaux
de l'œil et ceux de la mémoire sensorielle immédiate. Quand
un objet change de place ou quitte un instant le champ visuel, il
n'est pas gommé de l'objet mental global. Il y conserve
ses propriétés, sa forme et sa localisation
spatiale, même hors du champ visuel et derrière la tête. Il reste
mentalement caractérisé et positionné. Les signaux transmis sont
alors entièrement mémoriels. On voit bien le travail de
transformation effectué par le système visuel qui applique sa méthode inconsciemment et
systématiquement, y compris aux astres du ciel.
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Ce fonctionnement mécanique de la vision,
concerne probablement celui des autres organes des sens. Pensez à la perfection achevée de
l’oreille et de l’odorat, ou à la sensibilité extraordinaire du
toucher. Les organes de la perception des sons mériteraient un
développement analogue à la vision. Évoquons aussi le système d'écholocation
des chauves-souris qui explorent l'environnement dans
l'obscurité, sans être gênées par la proximité de leurs
congénères car chacune utilise sa fréquence personnelle
d'émission. Les dauphins et d'autres cétacés en
font autant en eau profonde. La représentation donnée
par la détection des échos d'ultrasons n'est
pas forcément différente de celle qui nous est donnée par la
détection des flux réfléchis de photons. Il me semble tout à fait possible que cette
représentation sonique des caractéristiques géométriques de
l'espace engendre des perceptions mentales analogues à celles
provoquées par nos perceptions visuelles. On pourrait envisager
un objet mental d'origine acoustique ressemblant très
fortement à l'objet mental d'origine optique. Il pourrait avoir
des couleurs, des textures, et des reliefs ultrasonores, dont la
perception ne différerait en rien de celle des équivalents
lumineux. Chaque animal distinguerait alors son propre terrain de
chasse coloré dans sa couleur sonore particulière. Pensons aussi
à l'électro sensibilité des poissons torpilles. Il existe un indice
d'une telle possibilité de généralisation de la forme des signaux transmis. Il
est donné par la nature de la perception des informations
concernant la direction de la position d'un objet donné.
Le même type d’information est émis à
destination du mental par des organes très différents concourant à
sa détection. La perception de la direction est la même quelle
que soit l’origine de l’analyse effectuée. La source est
constamment localisée dans l’espace, quel que soit l’organe exploratoire, (vue, toucher,
ouïe, odorat). L’objet mental global construit intègre
une information " position " toujours identique
qu'on peut qualifier d'essentielle. L'objet mental essentiel ne
dépend pas de l'organe utilisé. Dans le théâtre mental, il tient,
au moins optiquement, le rôle du réel, mais en est-il
une réelle représentation ? |

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