- Troisième Corpus -
L'UN -
- Ce corpus est composé
d'une seule Ennéades de neuf livres -
- Sixième et dernière Ennéade 1/1 - L'Un
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Livre Quarante-six -
Les Genres de L'Être 1.
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Il
y a des opinions très différentes sur le nombre des
êtres et sur les genres qu'ils forment. Nous allons
commencer par examiner la doctrine que les Péripatéticiens
professent à ce sujet.
CRITIQUE DES DIX CATÉGORIES D'ARISTOTE. -
Les
dix catégories d'Aristote ne sauraient
s'appliquer également aux êtres intelligibles et aux êtres
sensibles. Pour commencer par la Substance, la substance
intelligible et la substance sensible ne peuvent former un
seul genre : car la seconde procède de la première. Ensuite,
on ne voit pas bien ce qu'il y a de commun soit entre la
matière, la forme et le composé, dont
Aristote fait la catégorie de !a substance, soit entre les
substances premières et les substances secondes.
La définition qu'on donne de cette catégorie est si vague
qu’elle s'applique à tout.
La catégorie de la Quantité comprend le nombre
ou quantité discrète, et l'étendue ou quantité
continue. Celte théorie soulève plusieurs objections.
D'abord, l'étendue n'est une quantité qu'à condition d'être
évaluée par le nombre. Ensuite, pour le nombre lui-même, il
faut distinguer le nombre intelligible et le nombre
sensible; le second seul est une quantité. Enfin, la parole,
le temps et le mouvement ne sont des quantités que par
accident.
La catégorie de la Relation n'est pas assez
nettement déterminée ; elle comprend des choses fort
différentes. Dans certains cas, elle suppose quelque chose
de réel dans les objets; dans d'autres cas, elle paraît
n'être qu'une simple conception de notre âme. Pour sortir de
celle indétermination, il faut appeler relatives
uniquement les choses qui doivent leur existence à leur
corrélation, comme le double et la moitié, l'activité et la
passivité. Leur réalité consiste soit dans une efficacité,
dans un acte, comme la science, soit dans une participation
à une forme, comme le double.
Le même vague se retrouve dans la catégorie de la
Qualité, qui comprend la capacité et la disposition, la
puissance physique, la qualité affective, la figure. Les
différences qui distinguent les essences les unes des autres
ne sauraient être appelées qualités que par homonymie.
Les propriétés qui méritent vraiment le nom de qualités sont celles qui
qualifient les choses et qui sont des puissances et
des formes soit de l'âme soit du corps. Par cette définition
on comprend comment les impuissances et les défauts
constituent des qualités : c'est que ce sont des dépositions
et des formes imparfaites. Par là, on voit également qu'il
est inutile de distinguer, comme le fait Aristote, quatre
espèces de qualités. Enfin, par là on sépare nettement les
qualificatifs des relatifs. — Outre toutes ces critiques,
il en est encore une que l'on est en droit d'adresser à la
doctrine d'Aristote, et qui s'applique à toutes ses
catégories : c’est qu'il ne distingue pas le sensible d'avec
l'intelligible; ici, par exemple, il réunit dans une même
catégorie la qualité intelligible qui est proprement
l'essence, et la qualité sensible, qui seule doit porter le
nom de qualité et qui consiste dans une disposition soit
adventice soit originelle.
Les catégories désignées par les mots Où
et Quand indiquent qu'un objet se trouve dans un
temps ou un lieu déterminé. Il aurait donc mieux valu
prendre ici pour catégories les pures notions de lieu et de
temps.
La catégorie d'Agir devrait être remplacée
par celle du Mouvement, dont l'action et la
passion ne sont que deux modes. Il vaudrait mieux faire
une catégorie de l'acte que de l'action parce que l'acte s'affirme de la substance ainsi que de la
qualité. Ensuite, le mouvement doit plutôt que l'acte
lui-même former une catégorie. En vain on prétend que le
mouvement est un acte imparfait, qu'il implique l'idée de
succession et de temps, tandis que l'acte est en dehors du
temps; cette assertion est fausse : la notion du temps n'est
impliquée dans le mouvement que par accident. Ensuite, il
est tout à fait arbitraire d'avancer que l'acte et le
mouvement appartiennent au genre des relatifs; une pareille
théorie conduit à faire de toutes choses des relatifs.
Enfin, la distinction que les Péripatéticiens établissent
entre l'acte et le mouvement soulève une foule de
difficultés, comme on le voit en examinant les diverses
clauses de verbes. Les uns, en effet, expriment une action
parfaite ou un état, comme penser, et les autres une action
successive, comme marcher. En outre, chacune de ces classes
se subdivise en deux espèces : verbes exprimant une action
absolue, par laquelle le sujet seul est modifié, comme
marcher, penser; verbes exprimant une action relative à un
autre objet et servant seuls à former les verbes passifs,
comme diviser.
Puisqu'en toutes choses Pâtir ne fait
qu'un seul genre avec Agir, qu'il vient après, sans
en être le contraire, on a tort de faire de Pâtir une
catégorie à part. L'action et la passion
doivent être placées dans un seul et même genre, celui du
mouvement, dont elles ne sont que des points de vue
corrélatifs. En effet, quand on étudie leur nature, on voit
que l'action est un mouvement spontané, et que la
passion consiste à éprouver, sans y contribuer en rien, une
modification qui ne concoure pas à l'essence. Il résulte de
là que les actes ne sont pas tous des actions; la pensée par
exemple, s'exerce sur elle-même.
La catégorie d'Avoir est fort vague et
s'applique à tout. Si l'on essaie d'en limiter
l'application, on tombe dans l'arbitraire.
On peut en dire autant de la catégorie de la
Situation. Elle a en outre le défaut de rentrer dans les
précédentes.
CRITIQUE DES CATÉGORIES DES STOÏCIENS.- Les Stoïciens, ne reconnaissant que quatre catégories,
divisent toutes choses en substances, qualités,
modes et relations. De plus, ils embrassent
tons les êtres dans un seul genre en leur attribuant
quelque chose de commun. Pour commencer par ce quelque chose de commun, on ne
saurait comprendre en quoi il consiste, ni comment il
pourrait s'adapter à la fois aux corps et aux êtres
incorporels.
Par Substance, les Stoïciens entendent
la matière, dont ils font le principe et l'essence de
tous les êtres. Ils confondent ainsi un principe avec un
genre, deux choses fort différentes. Ils ont d'ailleurs tort
de prendre pour principe ce qui n'existe qu'en puissance et
de faire de la matière un corps en lui attribuant l'étendue.
Dieu, dans ce système, n'est que la matière modifiée ; mais
on ne conçoit pas d'où vient à la matière la modification
dont elle est le sujet, s'il n'y a pas hors d'elle un
principe actif. Supposez que la matière et le principe actif
qui la modifie constituent un seul sujet, les autres choses
ne seront plus que la matière modifiée; elles
n'auront plus d'existence réelle. Il résulte de là que
l'être dérive du non-être, que l'acte dérive de la
puissance, ce qui est absurde. Cette erreur des Stoïciens a
pour cause qu'ils ont pris la sensation pour guide dans la
détermination des principes.
Les Qualités des Stoïciens devraient être
incorporelles et actives, puisque la matière est passive.
Cependant leurs raisons séminales sont corporelles,
de sorte qu'avant de former avec la matière un composé elles
sont elles-mêmes déjà composées; elles n'ont donc aucune
réalité par elles-mêmes, et elles constituent de simples
modifications de la matière.
Les qualités n'étant que des modifications de
la matière, les Modes ne sauraient avoir plus de
réalité puisqu'ils se rapportent eux-mêmes aux qualités. Ils
ne sauraient d'ailleurs constituer un genre, parce qu'ils ne
forment qu'un amas confus de choses complètement différentes
les unes des autres. On trouve la même confusion et la même incohérence dans ce
que les Stoïciens disent des Relations. |
Livre Quarante-sept -
Les Genres de L'Être 2.
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Pour
rechercher quels sont les genres de l'être, il
faut avant tout admettre que l'être n'est pas un, comme
Platon l'a démontré avec d'autres philosophes. Il s'agit ici
de l'être véritable; qu'il importe de ne pas
confondre avec ce qui détient et qu'on nomme génération.
(II-III) Puisque l'être est à la fois un et multiple, il
renferme nécessairement plusieurs éléments constitutifs dont
l'ensemble forme la substance du monde intelligible,
substance que nous nommons l'être. Ces éléments
constitutifs sont à la fois des principes, parce qu'ils
constituent la totalité de l'être, et des genres, parce que
chacun d'eux contient sous lui des espèces subordonnées
les unes aux autres. La pluralité des éléments qui se
trouvent dans l'être n'étant pas contingente, elle suppose
l'Un absolu dont elle procède. Si les genres premiers
se ramènent ainsi à l'Un, ce n'est pas que celui-ci
s'affirme d'eux comme prédicat ; c'est que tous ensemble ils
sont éléments intégrants d'une seule substance dans laquelle
notre pensée établit des divisions.
Il est facile
de comprendre comment, dans les corps,
l'unité renferme une pluralité, d'y distinguer la qualité,
la quantité, la substance. Mais en étudiant les genres et
les principes de l'essence intelligible, il faut faire
abstraction de toute quantité, de toute matière sensible,
pour saisir la réalité et l'unité de l'être. Dans les corps,
les principes sont séparés; ici ils ne sont que distincts.
Il n'est donc pas aisé de comprendre comment la substance
intelligible, qui est une, peut être à la fois une et
multiple. Comme les corps renferment une pluralité et une
diversité d'éléments très grande, ils ne reçoivent pas
immédiatement de l'Un absolu l'unité qui tient leurs parties
jointes et en fait un tout; ils sont formés par l'Ame.
Celle-ci doit donc être une pluralité. Cette
pluralité consiste dans les raisons séminales qui
sont l'acte et l'essence de l'âme; elle résulte aussi de ce
que l'essence de l'âme contient plusieurs puissances.
Dans
l'âme, l'essence est le principe de tout ce
qu'elle est, ou plutôt l'essence est tout ce qu'est l'âme;
elle est par conséquent la vie. L'essence et la vie de l'âme
forment une unité; mais cette unité se fait multiple
relativement aux autres êtres, dès qu'elle développe ses
puissances, et qu'elle essaie de se contempler.
Puisqu'il
y a dans l'âme essence et vie, que la vie
consiste dans l'intelligence et implique mouvement, il y a
là deux genres, l'Être et le Mouvement. Mais
l'Être implique la Stabilité encore plus que le mouvement ;
il faut donc faire d'elle un genre distinct.
On
découvre également ces genres en considérant
l'Intelligence. Elle pense, voilà le Mouvement; elle
pense ce qui est en elle, voilà l'Être. L'Être est le
terme auquel aboutit la pensée, voilà la Stabilité.
En distinguant ces trois genres par la pensée, on voit que
chacun d'eux existe à part : c'est la Différence. En
les considérant réunis en une seule existence, un les ramène
à être une même chose : c'est l'Identité. Tels sont
les cinq genres des choses intelligibles.
Reste à
prouver qu'il n'y a que ces cinq genres
premiers. L'Un n'est pas un genre premier. — L'un absolu, supérieur à
l'Être et à l'Intelligence, ne forme pas un genre, parce
qu'il ne s'affirme d'aucune chose, et que, par suite de sa
simplicité, il ne renferme pas de différences qui puissent
engendrer des espèces. L'unité considérée dans l'Être n'est pas l'Un premier,
puisqu'il y a au-dessus d'elle l'Un absolu; elle ne peut
donc être un genre premier. L'Un absolu est le principe de
l'Être. L'unité, considérée comme attribut qui s'adjoint à
l'Être, le rapproche de l'Un : car ce qui se tourne vers l'Un absolu
est l'Être un ; ce qui est inférieur est l'Être un
et multiple. L'unité dans l'Être est indivisible et
simple; mais chaque être, chaque genre est multiple aussi
bien qu'il est un. L'unité peut donc se
trouver dans l'Être, comme le point dans la ligne en qualité
de principe, mais elle n'est pas un genre.
D'ailleurs, tout genre renferme des différences qui
engendrent des espèces; or l'unité n'a ni différences ni
espèces. Enfin, la réalité de l'être et l'unité ne se
trouvent pas au même degré dans les choses sensibles et dans
les choses intelligibles. Elles n'y sont pas non plus
toujours en raison directe l'une de l'autre, tandis que
l'unité est toujours en raison directe de la bonté. Tout ce
qui participe de l'Un absolu participe du Bien
au même degré. L'Un absolu est en effet le principe dont
tout sort, la fin à laquelle tout aspire ; par conséquent,
il est le Bien de l'univers. Donc l'unité est une
chose distincte de l'Être, et elle ne peut former un genre.
La Quantité n'est pas un genre premier.
D'abord, le nombre est postérieur à l'Être, au Mouvement,
etc. Ensuite, l'étendue est postérieure elle-même au
nombre. En cherchant à quoi on doit rapporter la quantité
discrète (le nombre) et la quantité continue, on
trouve que le nombre consiste dans un certain mélange du
mouvement et du repos, que l'étendue est produite par le
mouvement qui, en s'avançant à l'infini, est arrêté et
limité par le repos.
La Qualité n'est pas un genre premier. Elle
est postérieure à l'essence et par conséquent lui est
subordonnée comme espèce. Les propriétés constitutives de
l'essence en sont de véritables actes, quoiqu'on les
nomme improprement qualités. Les propriétés qui sont
postérieures à l'essence et qui lui viennent du dehors sont
des modifications passives et méritent seules le nom de
qualités. D'après cette définition, le Mouvement, la
Stabilité, l'Identité et la Différence sont des principes
constitutifs et non des qualités de l'Être. Ce n'est qu'en
descendant de l'Être premier aux choses sensibles qu'on
rencontre la qualité et la quantité; elles sont alors des
genres, mais non des genres premiers.
La Relation, le Lieu, le Temps,
la Situation, la Possession, la Passion
et l'Action ne sont pas des genres premiers : car ces
catégories indiquent des choses relatives et contingentes.
Le Bien n'est pas un genre premier. Si, par ce
mot, on entend le Bien même, ce principe est supérieur à
l'essence, par conséquent aux genres de l'Être. Si l'on
entend la Bonté, c'est une qualité. Les choses la
possèdent à divers degrés parce qu'elles procèdent toutes de
l'Un. Ainsi, le bien de l'Être premier consiste dans l'acte
par lequel il aspire naturellement à l'Un, acte qui est sa
vie et son mouvement.
La Beauté, la Science, l'Intelligence,
la Vertu, se ramènent aux cinq genres premiers que
nous avons déjà reconnus. Il ne reste qu'à déterminer le rapport de chacun des
cinq genres premiers aux espèces qu'ils contiennent. Pour y
parvenir, il faut étudier l'intelligence, parce qu'elle
comprend tous les êtres.
Considérée en elle-même et dans son essence,
l'Intelligence universelle est en acte toutes les
intelligences ensemble, et en puissance chacune d'elles
prise séparément. Au contraire, celles-ci sont en acte des
intelligences particulières, et en puissance l'intelligence universelle.
On voit par là que le genre, en tant que genre, est en
puissance toutes les espèces qu'il contient, tandis que les
espèces en tant qu'elles existent dans le genre qui les
contient, sont ce genre en puissance.
Si l'on
examine comment l'Intelligence, tout en
restant une, produit les choses particulières, on voit
comment des genres premiers proviennent les genres
inférieurs.
1° En se contemplant, l'Intelligence voit en elle toutes les
choses qu'elle contient : elle a ainsi le Nombre, parce
qu'elle est une et plusieurs.
2° Elle est plusieurs sous ce
rapport qu'elle possède des puissances nombreuses,
inaltérables, infinies : or l''infinité, c'est la
Grandeur.
3° A l'aspect de cette grandeur, de la beauté
de l'essence, on voit s'épanouir la Qualité. 4°
L'union de la Qualité et de la Quantité nous découvre la
Figure. 5° La division que la Différence introduit dans
la Quantité et la Qualité engendre les différences des
figures et les autres qualités. 6° L'Identité
introduit l'égalité, et la Différence l'inégalité
dans le nombre et dans la grandeur : d'où les nombres pairs
et impairs, les cercles et les figures composées d'éléments
inégaux. — Ainsi, par sa vie intellectuelle, l'Intelligence
contient en elle-même et embrasse d'un seul regard toutes
les essences, que découvre successivement et imparfaitement
la raison discursive. Puisque l'Intelligence est l'unité où
existent conciliées ensemble dans une synthèse universelle
toutes les essences éternelles, toutes les choses vivantes
et animées, elle est en elle-même un Animal parfait; et,
pour l'être qu'elle engendre, elle est l'intelligible quand
elle se découvre à lui.
Cette doctrine est conforme à ce que Platon enseigne
sur ce sujet dans le Timée et dans le Philèbe.
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Livre Quarante-huit -
Les Genres de L'Être 3.
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GENRES DE L'ÊTRE SENSIBLE
- Il y a dans le monde sensible des genres de l'être
analogues à ceux qui existent dans le monde intelligible.
Pour les déterminer, il faut nettement séparer l'âme du
corps.
Á l'être véritable et intelligible correspond la nature
corporelle, qui s'appelle aussi essence, mais qu'on doit
proprement nommer génération, parce qu'elle implique l'idée
d'un écoulement perpétuel. En l'examinant, on voit que la
division des genres de l'être sensible ne correspond pas à
celle des genres de l'être intelligible.
Tout ce
qui se trouve dans le monde sensible peut être
ramené à cinq genres : substance, quantité, qualité,
mouvement et relation. SUBSTANCE.- On comprend sous le nom de substance la
matière, la forme et le composé.
Le caractère général de la substance dans ces trois choses,
c'est d'être le sujet ou substratum des
accidents, et ne s'affirmer de rien. La substance,
est par elle-même ce qu'elle est. Elle est le principe
d'où sortent et par lequel existent les autres choses, celui
auquel se rapportent les modifications passives, et dont
sortent les actions. Elle est ce qui n'est pas dans un
sujet, à moins que par là on n'entende faire partie
d'un sujet, ou concourir avec lui à continuer une
unité. Il y a en cela analogie entre les doux principes
homonymes, la substance corporelle et la substance
intelligible.
L'existence ne s'affirme pas dans le même sens
de la substance et de l'accident. Quand on dit : L'être
est, l'être est affirme être simplement, être de lui-
même. Quand on dit : L'être est blanc, l'existence
est un accident pour la blancheur comme la blancheur est un
accident pour l'être; l'être n'est pas dans la blancheur,
c'est la blancheur au contraire qui est en lui. Ainsi la
substance possède l'existence primitivement; l'accident,
postérieurement, par participation. La substance sensible
existe ainsi d'elle-même par rapport à ses accidents, mais
non par rapport à la substance intelligible : car elle en
tient l'existence.
Il y a dans la matière un degré d'être moindre
que dans la forme, parce que la forme est une
raison (ou essence), tandis que la matière n'a
qu'une ombre de raison.
En traitant de la substance sensible, il vaut mieux
étudier les substances composées (où la matière et la
forme sont réunies). Leur caractère est encore de n'être
pas dans des sujets et d'être elles-mêmes sujets pour le
reste. Mais, bien différente de la substance intelligible,
la substance sensible suppose la présence de certains
accidents propres : car elle consiste dans la réunion de»
qualités et de la matière. En outre, le fondement de la
substance sensible (la matière) est stérile, et, n'ayant que
l'apparence de l'être, ne peut donner l'existence au reste
comme le fait l'être véritable.
La substance sensible, étant corporelle, peut se
diviser en espèces d'après la distinction des corps bruts et
des corps organisés, des corps chauds et des corps secs,
etc., ou bien encore d'après les formes des plantes et des
animaux, etc. — Quant à la distinction qu'a faite Aristote
des substances premières et des substances secondes, tel feu
et le feu universel diffèrent entre eux en ce que l'un est
individuel et l'autre universel, mais il n'y a pas entre eux
de différence substantielle.
QUANTITÉ- La Quantité comprend le nombre sensible
et l'étendue corporelle. Le lieu,
considéré comme contenant les corps, et le temps, comme
mesure du mouvement, rentrent dans le genre de la
Relation. Le grand et le petit se rapportent au genre de la Quantité, parce que ce sont des
choses simples, absolues; mais plus petit, plus grand,
plus beau, se ramènent au genre de la Relation. Quant au
beau, il appartient à la Qualité. Dans la Quantité, grand et petit, beaucoup
et peu, sont opposés comme contraires. En effet, la
multitude est une extension du nombre; la rareté en est une
contraction. Il y a une raison qui détermine la grandeur et
la petitesse, et dont la participation rend un objet grand
ou petit. Quant au haut et au bas, ce sont des
relatifs.
La quantité discrète et la quantité
continue appartiennent au même genre comme quantités.
Dans la première, les diverses espèces sont déterminées par
la différence du pair et de l'impair. Dans la
deuxième les diverses espèces le sont par la différence de
la ligne, de la surface et du solide.
La ligne droite et la ligne courbe appartiennent au genre de
la Quantité plutôt qu'à celui de la Qualité, parce qu'il est
essentiel à la ligne d'être droite ou courbe. La même
remarque s'applique à toutes les figures.
Le genre de la Quantité n'admet que l'égalité,
l'inégalité. La similitude et la dissimilitude sont
propres à la Qualité. Les qualités essentielles ou différences spécifiques sont
des accidents qui complètent la substance sensible et ne
doivent pas être appelés proprement qualités. Comme elles
constituent ce qu'on nomme similitude ou dissimilitude dans
les figures, elles ne leur ôtent pas leur caractère de
quantités égales ou inégales.
QUALITÉ -La Qualité
est un caractère qu'on
désigne par les termes de tel, quel, de
cette sorte, comme la beauté corporelle. Par cet
exemple, on voit qu'il y a l'analogie entre les qualités
sensibles et les qualités intelligibles. Il faut compter
parmi les qualités sensibles les arts qui se rapportent aux
corps, les vertus pratiques qui consistent dans
l'accomplissement simple des devoirs civils, les raisons
séminales et les passions de l'âme, mais non l'âme elle-même
considérée comme séparée de la matière.
Les
différences des choses sensibles sont
distinguées les unes des autres, non par d'autres
différences, mais par leurs éléments constitutifs. De même,
on discerne les qualités non par d'autres qualités, mais par
leurs caractères intrinsèques ou par quelques-uns de leurs
modes d'existence; la sensation en saisit les signes, et
l'intelligence les pénètre par une intuition simple, sans
avoir besoin toujours de trouver dans les objets des raisons
séminales pour les qualifier.
Le genre de la Qualité
comprend les habitudes
(exprimées par un substantif, rougeur; par un
adjectif, rouge; par un adverbe, bien), mais
non les simples dispositions qui indiquent le passage d'un
état à un autre (comme rougissant). Les négations,
lorsqu'elles n'impliquent pas une qualité réelle opposée à
une autre, doivent être rapportées au genre de la Relation.
Il faut regarder comme contraires non seulement
les qualités qui sont séparées par beaucoup de qualités
intermédiaires, mais encore celles qui, étant comprises dans
la même classe, n'ont cependant aucun caractère spécifique
commun. Parmi les qualités, celles qui ont une certaine latitude
admettent des degrés; les autres n'en admettent pas, et ne
peuvent être possédées que tout entières.
MOUVEMENT - Il
faut regarder comme genre le Mouvement,
parce qu'on ne peut le faire rentrer dans aucun des genres
précédents. Mouvement est plus général d'ailleurs que
changement et qu'altération; car mouvement
veut dire non seulement qu'une chose prend la place d'une
autre, mais encore qu'elle passe de ce qui lui est propre à
ce qui ne l'est pas, comme dans la translation d'un lieu à
un autre. Le mouvement est le passage de la puissance à
l'acte de ce dont elle est la puissance.
Si une chose qui était d'abord en puissance arrive à prendre
une forme, le mouvement est la production d'une forme Si une
chose passe à l'acte, le mouvement est une simple forme de
la puissance. Le mouvement est donc une forme active, et,
quand il produit quelque autre chose, il est cause des
autres formes. Le caractère commun de l'altération,
de l'accroissement, de la génération et du
déplacement dans le lieu, c'est de rendre l'objet
autre qu'il n'était.
Le mouvement, image de la vie dans les choses
sensibles, les stimule et les presse de changer sans cesse
d'état, d'action, de modification, de forme. La puissance
motrice est invisible et ne se révèle que par ses effets. Le
mouvement n'est exclusivement ni dans le moteur ni dans le
mobile, mais il sort du moteur pour passer dans le mobile.
Le mouvement doit donc être étudié non seulement dans les
choses où il est produit, mais encore dans celles qui le
produisent ou le transmettent.
Les différences qu'admet le mouvement de déplacement
tiennent à des circonstances extérieures (comme monter,
descendre), ou à la figure qu'il décrit (mouvement
rectiligne, circulaire).
La composition, qui consiste à rapprocher une
chose d'une autre, et la décomposition, qui implique
leur séparation, sont des mouvements d'un genre spécial. On
y trouve cependant, sous certains rapports, soit le
mouvement de déplacement, soit l'altération, soit la
raréfaction et la condensation.
La division du mouvement en espèces doit reposer sur
la nature des forces, qu'on distinguera en animées et en
inanimées, ou sur le mode de sa production, qui implique la
nature, l'art ou la volonté.
La stabilité est propre au monde
intelligible. Dans les choses sensibles, on ne trouve que le
repos, lequel n'est que la privation et la négation
du mouvement, qui seul ici est une chose positive. On a déjà dit ci-dessus que l'action et la passion sont des
mouvements.
RELATION - Quant à la Relation, c'est une habitude, une
manière d'être d'une chose à l'égard d'une autre. On peut
diviser les relatifs suivant la méthode des anciens. |
Livre Quarante-neuf -
L'Être UN et Identique est partout présent tout entier 1.
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La question
traitée dans ce livre est : Comment se
fait-il que l'Âme universelle, qui est incorporelle,
inétendue, puisse se répandre dans l'espace, soit avant que
les corps soient formés, soit en même temps qu'ils sont
formés ?
L'Être premier est le véritable universel. Principe
qui fait subsister et qui meut le monde sensible, il est
partout; mais, comme il est lui-même ce qu'on
nomme partout, il n'existe qu'en lui même. Trompés par une
illusion grossière, nous disons partout en parlant du
monde sensible, et nous le croyons grand ; mais il est
réellement petit. Aussi a-t-il besoin de la présence de
l'Être premier, qui n'est jamais ni près ni loin de lui,
puisqu'il n'est pas contenu dans un lieu déterminé, qu'il
est toujours présent aux choses qui peuvent le recevoir.
L'Être premier se répand en effet partout par ses
puissances, il les communique à chaque chose dans la
mesure où chaque chose peut y participer. Il est
ainsi partout présent, tout en demeurant séparé : car il ne
serait plus le principe universel partout présent tout
entier, s'il devenait l'essence d'un être particulier et
s'il était circonscrit dans un lieu déterminé. Il serait
alors divisible. Mais on ne saurait diviser la vie,
l'essence, l'intelligence, parce qu'elles ne sont pas une
quantité comme le corps.
L'Être premier est un et
identique partout, mais son
unité n'empêche pas la pluralité des êtres. L'Être premier
engendre cette pluralité sans sortir de lui-même ni rien
perdre de son universalité. De même, l'Âme universelle est
une, malgré la pluralité des âmes, et chaque âme est une,
indivisible, présente dans tout le corps, malgré la
pluralité des organes. Cette pluralité des âmes ne résulte
pas de la divisibilité propre aux corps. Avant qu'il y eût
des corps, il y avait déjà l'Âme universelle el les âmes
particulières. D'un côté, les âmes particulières existent en
acte dans l'Âme universelle, et elles sont distinctes les
unes des autres, non par la place qu'elles occupent, mais
par leur différence essentielle. D'un autre côté, elles sont
toutes contenues dans l'Âme universelle, parce qu'elle est
infinie. Or l'Âme universelle est plus grande que le monde
sensible sous le rapport de la puissance, mais non sous
celui de la quantité : car elle n'est pas une grandeur.
L'Âme universelle vivifie, concurremment avec les âmes
particulières, les corps qui sont dans le monde sensible.
Dans chacun d'eux l'Âme universelle et l'âme particulière
diffèrent par leurs actes intellectuels.
L'Âme
universelle, tout en contenant et en
vivifiant la pluralité des âmes, reste une, identique,
indivisible, comme l'est la force motrice de la main, si on
la considère indépendamment de l'organe sur lequel elle
exerce son action, ou bien encore comme l'est la lumière
considérée indépendamment des corps qu'elle éclaire. Mais la
lumière, étant relative aux corps, a une origine locale
qu'il est facile d'indiquer. Il n'en est pas de même de
l'Âme universelle : étant immatérielle, elle n'occupe pas de
place déterminée ; antérieure au corps, elle n'appartient ni
à l'un d'eux, ni à eux tous, soit comme mode, soit comme
forme; par conséquent, elle est indivisible puisqu'elle n'a
pas d'étendue. Pour comprendre la présence de l'unité dans
la pluralité, il faut bien concevoir que l'unité subsiste
tout entière el en elle-même et dans chacune des choses où
on l'aperçoit.
Il a été dit ci-dessus que l'Être universel est
partout présent par ses puissances. Or la puissance étant
inséparable de l'essence, les âmes qui forment les parties
de l'Âme universelle sont à la fois des puissances et des
essences conformes entre elles, mais inférieures au principe
dont elles procèdent. Comme elles ne sauraient subsister si
elles se trouvaient séparées de lui, il en résulte qu'à ce
point de vue encore, l'Âme universelle est partout présente
tout entière, sans subir aucune division. Elle est
avec les âmes individuelles dans le même rapport que le
modèle avec les images qu'il produit, et le modèle étant ici
éternel, les images sont elles-mêmes immortelles.
Quoique
l'Être intelligible soit partout présent tout
entier, il se communique à des degrés divers, et sa présence
n'est pas locale, mais intelligible, comme celle de la
science dans l'âme. Comme d'ailleurs les essences sont
suffisamment distinguées les unes des autres par leurs
différences, rien n'empêche qu'elles ne subsistent ensemble,
et l'Être intelligible qui les contient toutes est tout à la
fois simple et varié, un et multiple.
De même
qu'une voix se fait entendre tout entière
partout, l'Âme universelle pénètre et vivifie tout, sans
avoir d'extension locale. Elle est identique et en elle-même
et dans les choses; elle leur communique sa puissance une et
indivisible dès qu'elles en approchent pour y participer,
pour entrer dans le monde de la vie. Ce monde n'a point
d'étendue. S'il était étendu, les corps n'auraient pas
besoin d'y participer.
L'existence de l'Âme universelle ne détruit pas
l'individualité des âmes particulières. L'Âme universelle
embrasse dans son unité toutes les âmes, toutes les
intelligences particulières, mais celles-ci sont distinguées
les unes des autres par leurs différences essentielles, sans
aucune séparation locale. Voilà pourquoi, avant de tomber
dans la génération, nous étions des âmes pures, des
intelligences unies au monde intelligible. Aujourd'hui même
nous n'en sommes pas séparés; mais le corps qui nous a été
donné, étant disposé pour être animé, a reçu la chose à
laquelle il était apte. Quoique l'Âme universelle soit
présente tout entière à notre corps, il ne l'a pas reçue
tout entière; il y a participé selon sa capacité naturelle.
Il n'a pas en lui une partie de l'Âme universelle, mais une
puissance qui en dérive, qui constitue la nature animale et
qui engendre les passions produites par l'union de l'âme et
du corps.
Il reste à montrer que cette doctrine est d'accord
avec celle des anciens. Dire que l'âme descend dans le
corps signifie que celui-ci participe à l'âme et à la
vie, quel que soit d'ailleurs le mode de cette
participation. Dire que l'âme sort du corps signifie
qu'elle cesse de le faire participer à sa nature. Si l'on
affirme que l'union de l'âme et du corps est mauvaise,
c'est que d'universelle qu'elle était, l'âme devient
particulière et n'applique plus son activité au inonde
intelligible, quoiqu'elle continue d'y appartenir; comme
celui qui, possédant la science entière, arrêterait son
esprit sur une des notions particulières qu'elle contient,
au lieu d'en considérer l'ensemble. Enfin, quand on dit que
l'âme est aux enfers, cela signifie que l'âme est
séparée de l'Âme universelle et unie au corps. Mais, après
la destruction du corps, l'âme, revenue à sa pureté
première, vit tout entière dans le monde intelligible, son
image seule descend aux enfers. |
Livre Cinquante -
L'Être UN et Identique est partout présent tout entier 2.
|
|
Tous les hommes admettent que l'Être un et identique est
partout présent tout entier : car tous disent
instinctivement que Dieu est présent en chacun d'eux un et
identique. Si l'on considère d'ailleurs les êtres en
général, on voit qu'ils aspirent tous à l'unité. Or cette
unité, c'est l'Être universel; il est près de nous, et nous
sommes en lui. Tous les êtres ne font donc qu'un, en ce sens
qu'ils sont tous contenus dans l'Être un et identique,
qu'ils l'ont pour principe unique de leur existence.
Pour concevoir l'Être universel, il faut
tirer de l'intelligence les principes de la démonstration
qu'on veut donner : car toute démonstration rationnelle doit
partir de la définition de l'essence. En appliquant ici
cette méthode, on voit que l'Être intelligible, étant
essentiellement être, ne saurait être dans aucune autre
chose que lui-même, ni laisser rien écouler de sa substance.
Il produit donc des êtres inférieurs sans sortir de
lui-même, et ceux-ci participent à lui dans la mesure où ils
en sont capables. C'est en ce sens qu'il est partout à la
fois tout entier. Telle est la nature de l'Être intelligible
déduite de la seule étude de son essence.
La raison
nous conduit à admettre que Dieu est partout; donc il n'est
pas divisé : car il s'anéantirait dans celle division. Il en
résulte que sa nature est infinie puisqu'elle n'a pas de
bornes et que rien ne lui manque. Tous les êtres dépendent
de l'Un et se rapparient à lui comme des rayons au centre
dont ils parlent. De même, les essences et les puissances
intelligibles, qui n'admettent pas de séparation comme des
rayons, sont autant de centres qui sont unis au centre
commun, c'est-à-dire à l'Un, tout en restant distincts par
leur essence.
Les intelligibles forment une multitude
aussi bien qu'une unité parce que leur nature est infinie.
il y a unité dans la multitude, et multitude dans l'unité.
Ainsi l'existence de l'homme sensible a rendu multiple
l'essence de l'homme idéal. Cette présence de l'unité dans
la multitude n'est pas analogue à l'extension de la
blancheur, mais à la présence de l'âme dans toutes les
parties du corps.
Nous pouvons ramener à l'Être
universel notre être propre, puisque nous tenons de lui
l'existence. Ainsi, nous pensons les intelligibles sans nous
les représenter par des images parce que nous sommes les
intelligibles mêmes. Tous ensemble nous sommes cet Être
universel. Dès que nous reportons nos regards sur lui, nous
n'apercevons plus de limites à notre existence.
Pour
comprendre comment les choses sensibles participent du monde
intelligible, il ne faut pas concevoir d'un côté la matière,
de l'autre les idées, dont la lumière rayonne sur elle. Nous
employons cette métaphore seulement pour faire entendre que
les choses sensibles sont des images des choses intelligibles.
La matière embrasse de tous côtés l'idée, sans la toucher,
et, en s'approchant d'elle, reçoit d'elle dans tout son
ensemble ce qu'elle est capable d'en recevoir, sans que
l'idée cesse d'exister en elle-même ou ait une extension
locale. Ainsi l'idée est une, identique, indivisible, existe
tout entière partout.
Qu'on se représente toutes les choses qui existent
ramenées à une seule sphère : elle sera produite par un
principe unique qui la tiendra suspendue à lui sans se
répandre en elle. Ainsi, tout dépend d'une seule vie, et
toutes les âmes ne sont qu'une seule Âme infinie, présente
dans tout le monde pour le vivifier, quelle qu'en soit
l'étendue. Par cela même qu'elle est une unité absolument
simple, elle n'est susceptible ni d'augmentation ni de
diminution. Et comme cette unité constitue son essence,
l'Âme doit contenir aussi dans sa puissance la nature qui
lui est opposée, être ainsi à la fois infinie et
multiple. Aussi est-elle le principe sur lequel sont
édifiées toutes les choses qui se trouvent dans l'espace.
Les trois principes du monde intelligible, l'Âme
universelle, l'Intelligence et le Bien, ont pour notre âme
un puissant attrait. Par sa beauté, l'Intelligence excite
notre amour; son unité et son universalité lui permettent de
se communiquer à tous à la fois sans se donner à aucun
exclusivement. De même, le Bien se laisse voir et embrasser
par nos âmes quand nous nous identifions à lui par ce qu'il
y a d'intelligible dans notre être.
Pour concevoir
comment peut s'établir une relation
entre ce vaste corps du monde et l'Être intelligible qui n'a
pas d'étendue, il faut considérer la nature de l'Être
intelligible. Puisqu'il n'est pas une quantité, il est hors
du temps et de l'espace: il possède à la fois l'ubiquité et
l'éternité. L'éternité, qui est la puissance infinie de
l'être identique et immuable, engendre le temps qui est
incapable de l'égaler par son cours, parce qu'il implique
succession. De même, l'ubiquité engendre et surpasse en
grandeur l'espace parce qu'il est divisible. Le rapport du
monde intelligible au monde sensible est un rapport de
présence. La vie simple et universelle est partout
présente, infinie, éternelle. Pour la saisir, il faut par la
pensée embrasser la totalité des choses, se séparer des
déments qui limitent l'Être en le particularisant, en un
mol, devenir universel ; il faut fixer ses regards sur le
principe toujours présent, mais souvent invisible, parce
qu'on est distrait de sa contemplation. Si sa présence n'est
pas toujours remarquée, elle n'en est pas moins efficace.
Tout se tourne vers la source de l'existence; les cités, la
terre, le ciel, la mer, tout est vivifié et animé par sa
puissance. |
Livre Cinquante-et-un -
Des Nombres.
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Lorsqu'on
étudie la nature des nombres, une des
premières questions qui se présentent à l'esprit est celle
de savoir si la multitude consiste dans l'éloignement de
l'unité, et si l'infinité est cet éloignement porté à ses
dernières limites. En examinant l'origine de la multitude et celle de la
grandeur, on voit que l'être devient multitude quand
il s'épanche et qu'il s'étend en se divisant; mais s'il y a
encore quelque chose qui retienne ses parties unies entre
elles, il devient grandeur. En devenant ainsi une multitude
ou une grandeur, il perd de sa perfection et il a besoin de
recevoir la forme de la beauté.
Quant à l'infini,
considéré comme l'absence
de toute détermination, il ne saurait se trouver ni dans les
nombres sensibles ni dans les nombres intelligibles. On le
conçoit en faisant abstraction de toute forme. Alors il
apparaît comme impliquant les contraires, comme étant à la
fois grand et petit, etc.
On peut se demander si les
nombres sont inhérents aux
autres formes intelligibles (aux idées), ou s'ils sont de
toute éternité les conséquences de l'existence de ces
formes. — La première hypothèse est fausse: les nombres ont
une existence substantielle, et la variété des objets
sensibles rappelle seulement à l'âme la notion des nombres.
— Quant à la seconde hypothèse, qui fait de chaque nombre un
aspect d'une essence, elle n'est pas moins fausse que la
première. Pour que le nombre existe dans un être à titre
d'accident, il faut d'abord qu'il existe par lui-même.
Pour concevoir le mode d'existence qui est propre aux
nombres intelligibles, il est nécessaire de bien se pénétrer
de cette vérité que l'intelligible n'existe pas parce qu'il
est pensé par l'intelligence, mais qu'il est pensé par
l'intelligence seulement parce qu'il existe en elle, qu'il
constitue en elle une certaine disposition, un acte d'une
nature déterminée.
Il résulte de là que les intelligibles existent
tous dans une Essence unique qui les embrasse.
L'Intelligence divine les voit en elle-même, non parce
qu'elle les considère, mais parce qu'elle les possède
distincts en elle de toute éternité. Leur ensemble constitue
l''Animal-même, qui est tout à la fois Être, Intelligence et
Animal. C'est une puissance qui possède le plus haut degré
de l'existence, de la pensée et de la vie. Or l'Être étant
antérieur à l'Intelligence et à l'Animal, le Nombre en soi
doit leur être également antérieur.
Sans doute si nous considérons l'ordre dans lequel se
produisent nos conceptions, nous n'avons l'idée de deux, par
exemple, qu'après avoir vu deux objets sensibles. Mais si
nous examinons l'ordre de génération des choses, nous
trouvons que l'Intelligence a dû penser les nombres avant
d'engendrer les êtres. Le Nombre en soi est l'essence de
l'Être ou son acte : il l'a divisé, et il lui a fait ainsi
engendrer la multitude. On peut donc définir l'Être le
nombre enveloppé; les êtres, le nombre
développé; l'Intelligence, le nombre qui se meut en
soi-même; l'Animal, le nombre qui contient. Voilà
pourquoi les Pythagoriciens disaient que les idées
sont des unités et des nombres. Le Nombre
essentiel, dont le nombre composé d'unités n'est que
l'image, est contemplé dans les formes intelligibles et
concourt à les engendrer ; d'un autre côté, il existe
primitivement dans l'Être, et avec l'Être, et avant les
êtres. L'Être a pour principe l'Un qui n'a point d'autre
fondement que lui-même.
Ainsi, l'Être est devenu Nombre quand il est devenu
multitude, parce qu'il avait déjà en lui une sorte de
préformation et de représentation des êtres qu'il était prêt
à produire, qu'il offrait en lui aux unités une sorte
de lieu pour
les choses dont elles devaient être le fondement. C'est
parce que le Nombre existe primitivement que les êtres
produits sont tant; c'est parce que chacun d'eux participe à
l'Un qu'il est un. C'est enfin parce que le Nombre
existe d'une existence substantielle que la raison le
conçoit et s'en sert pour nombrer les objets. Comme le Nombre
est antérieur aux êtres, l'Un absolu l'est à
l'Être absolu. Car si tout être a pour principe l'Être
absolu, l'Être absolu lui-même est un, et il n'est un que
parce qu'il participe de l'Un absolu.
Si l'on admet
que l'existence et l'affirmation du
caractère de l'unité dans un grand nombre d'objets supposent
l'existence de l'Un absolu, il faut admettre également que
l'affirmation et l'existence du caractère de la décade dans
les objets supposent aussi l'existence de la Décade absolue,
etc. De la sorte chaque être correspond à un nombre ; sinon,
ou les choses n'existeraient pas, ou elles seraient dénuées
de proportion et de raison.
Il y a contradiction
à admettre l'existence de
l'être parce qu'il produit une notion dans notre âme, et à
nier l'existence de l'unité, en disant qu'elle n'est qu'un
attribut des objets et une conception de l'âme : car elle
produit également une notion dans notre âme. Or l'idée
d'unité n'est pas produite en nous par le néant, mais par la
vue de la réalité ; elle est d'ailleurs antérieure à celles
d'autre, de différent, de multitude. En outre,
nous affirmons qu'une maison est plus une qu'une armée;
puisqu'il y a plusieurs manières d'être un, il faut admettre
aussi la réalité de l'unité, comme, si l'on accorde qu'il y
a divers degrés dans l'être, on croit à sa réalité. Il est
en effet impossible de rien penser, de rien énoncer sans
admettre l'existence de l'unité et sans reconnaître qu'elle
est nécessaire à celle de l'être : car point d'être
qui ne soit un.
L'unité n'est pas un relatif: car lorsqu'un
corps cesse d'être un, il subit un changement réel, il est
divisé sans perdre de sa masse. Sans doute, dans les choses
sensibles, l'unité n'est qu'un accident; mais, dans les
choses intelligibles, elle existe en elle-même. — Quand on
dit : voici deux objets ; ils sont deux non par leur
séparation, non par leur rapprochement, mais seulement par
la présence de la dyade, comme ils sont blancs par la
présence de la blancheur. — Du reste, le nombre existe à des
degrés divers selon qu'on le considère : soit dans les
quantités continues, soit dans les quantités discrètes, soit
dans les intelligibles : c'est dans ceux-ci que l'on trouve
les nombres véritables, qui existent en eux-mêmes.
L'Être universel est Être, Intelligence, Animal; il
contient tous les cires, toutes les intelligences, tous les
animaux; il renferme en acte toutes les essences qui
dans l'âme ne sont qu'en puissance el qui dans les choses
sensibles jouent le rôle d'attributs. Comme il possède
primitivement l'unité avant de se développer en multitude,
il sait en combien d'essences il doit se diviser ; il
engendre ainsi le Nombre; qui subsiste en lui, et comme ce
Nombre détermine la quantité des essences qui procèdent de
l'Être, il en est la source el le principe. Voilà pourquoi,
même ici-bas, des nombres déterminés président à la
génération de chaque chose. — Quant aux nombres qui
subsistent dans les autres choses, en tant qu'ils procèdent
des nombres intelligibles, ils peuvent être
nombres; en tant qu'ils sont au-dessous d'eux, ils mesurent
les autres choses, ils servent à nombrer et les nombres et
les choses qui peuvent être nombrées.
Le nombre employé
par l'homme qui considère les objets
sensibles et qui nombre appartient au genre de la quantité.
Mais si l'on considère deux substances qui sont deux, et
dont chacune est une, comme ici l'unité se trouve en deux
choses avec ce caractère qu'elle complète l'essence de
chacune d'elles, le nombre deux est un nombre essentiel.
C'est ainsi que notre âme est un nombre et une harmonie,
parce que l'essence de notre âme participe du nombre et de
l'harmonie, comme le dit Platon.
Le caractère
de l'infinité ne convient pas au
nombre. Dire que le nombre est infini, c'est exprimer
seulement la possibilité de concevoir un nombre plus grand
qu'un nombre donné. De même, une ligne infinie n'est à
proprement parler qu'une ligne indéfinie ; elle a pour
principe l'unité, puisqu'elle est décrite par un point et
qu'elle n'a qu'une seule dimension. Si l'on dit que la ligne
intelligible est infinie, c'est en ce sens que la conception
d'une limite n'est pas impliquée dans son essence : car, de
même que les nombres, les figures sont pensées par
l'Intelligence divine avant d'être réalisées dans les choses
sensibles.
Ainsi, le nombre qui existe substantiellement dans
l'Intelligence divine comprend tous les nombres qui existent
; par conséquent, il est infini réellement par sa puissance,
en ce sens qu'il n'est pas mesuré ; mais en même temps il
est parfaitement déterminé puisqu'il sert de mesure à tout
le reste. Il participe donc à toutes les perfections de
l'Être universel, de l'Intelligence divine et de l'Animal
premier. |
Livre Cinquante-deux -
De la Multitude des Idées et du Bien.
|
|
DES IDÉES.
Quand l'homme crée, il a besoin de l'expérience et du
raisonnement. Il ne saurait en être de même de
l'Intelligence divine; elle a dû former le monde en
embrassant dans un seul acte d'intuition l'ensemble et les
détails. Tout en disposant les choses de manière à
satisfaire la sagesse acquise par le raisonnement et la
prévision fondée sur l'expérience, elle n'a pas ces deux
qualités, qui impliquent une certaine imperfection. Étant
parfait, Dieu n'a qu'un seul dessein présent à sa pensée.
Étant universel, il contient tout; par conséquent, le passé,
le présent, le futur lui sont également présents et
n'offrent en lui qu'une simple distinction d'ordre, non de
temps.
Dans les choses sensibles, la raison d'être est séparée
de l'essence; mais, dans les choses intelligibles, elles
sont identiques : car chaque forme porte en elle-même la
cause de son existence. L'Intelligence divine qui possède toutes
les formes dans leur plénitude possède donc aussi
leur raison d'être ; or dès que ces formes portent en
elles-mêmes la cause de leur existence, elles existent
nécessairement, et elles engendrent les choses sensibles
dont elles sont les principes.
Il en résulte que l
a création n'implique ni
délibération ni raisonnement. Chaque idée, réunissant la
raison d'être à l'essence, est une cause et par conséquent
produit nécessairement ce qu'il est dans sa nature de
produire, et donne à la matière une forme aussi complète que
possible parce qu'elle est en elle-même un tout complet.
Ainsi les choses sensibles sont engendrées, mais n'’ont pas
de commencement et n'ont pas besoin d'être embellies. Si
l'existence des sens, par exemple, est impliquée dans l'idée
de l'homme, elle est réalisée éternellement par la nécessité
et la perfection de l'Intelligence.
Pour bien comprendre
cet exemple, il faut définir
l'homme. Dire que c'est une Âme raisonnable unie à un corps,
ce n'est pas assigner sa raison d'être, laquelle doit être
une essence, une chose éternelle et immatérielle.
L'homme
réunit en lui trois degrés de l'existence :
il est forme intelligible ou idée, âme,
raison séminale. Il possède aussi trois facultés qui
correspondent à ces trois formes de l'existence, savoir l'intelligence,
la raison discursive, la sensibilité. Selon
qu'il exerce la première, la seconde ou la troisième, il vit
de la vie divine, humaine ou animale ;
il est l'homme intellectuel, l'homme raisonnable
ou l'homme sensitif. Ces trois formes de l'existence
procèdent l'une de l'autre et sont impliquées l'une dans
l'autre. Le troisième homme peut donc se définir: l'âme
disposée de telle façon, présente à la matière disposée de
telle façon. Cette âme façonne dans le corps une forme à
sa ressemblance. Le second homme est défini par Platon : l'âme
qui se sert du corps, enfin le premier homme est l'essence
d'une âme disposée de telle façon, et, à ce titre, il
contient à l'état intellectuel la raison et la sensibilité
qui ne se développent que dans le second homme et le
troisième. Voilà pourquoi on peut dire que les pensées
là-haut sont des sensations claires, et qu'ici bas
les sensations sont des pensées obscures. Par là
encore on comprend que si une âme vient s'unir à un corps
dont l'Âme universelle a déjà ébauché les contours dans le
sein de la mère, ce n'est point par hasard, mais en vertu
qui la porte à façonner un tel corps.
Pour comprendre
comment il se fait que l'Intelligence
divine renferme non seulement les idées des êtres doués de
raison, mais encore celles des êtres qui en sont privés, il
faut réfléchir que c'est la conséquence de sa nature. L'Être
intelligible étant inférieur à l'Un doit être à la fois un
et multiple, par conséquent, être Intelligence universelle,
Animal universel. Il doit donc aussi renfermer les idées de
tous les animaux soit raisonnables, soit privés de raison.
(
Dans le monde intelligible, en effet, les essences
des choses sont infiniment plus parfaites que ces choses
elles-mêmes ne le sont sur la terre. D'ailleurs, il n'est
pas d'être qui soit complètement privé de raison et de vie,
quoique nous ne puissions pas toujours apercevoir en lui des
traces de ces deux caractères. La cause pour laquelle tous
les êtres ne sont pas également parfaits, c'est que
l'individuation exige des différences distinctives
propres à chaque espèce, différences qui ne peuvent être que
des degrés divers d'intelligence et de vie ; de là résulte
la nécessité que ces deux propriétés aillent toujours en
décroissant à mesure que l'on descend l'échelle des êtres.
Sans ces différences, l'Être intelligible serait un
seulement, au lieu d'être un et multiple,
comme il le doit. Il faut donc que chaque essence, comme
l'Être lui-même, soit à la fois une et multiple.
Comme le ciel renferme tous les objets sensibles,
le monde intelligible possède toutes les essences sans
exception ; par conséquent, il contient les essences des
forces naturelles qui font végéter les plantes, grossir les
pierres, agir les éléments, vivre la Terre elle-même.
Puisque l'existence de chacun des objets sensibles découle
ainsi nécessairement de la nature divine, demander pourquoi
ces objets existent, c'est demander pourquoi l'Intelligence
universelle est ainsi faite; question superflue, puisque
celle-ci a sa raison d'être en elle-même.
L'Intelligence
est un acte qui contient tous les
actes; donc elle vit, par conséquent elle se meut; et elle
se meut avec uniformité et variété. Si elle avait un
mouvement qui exclût toute différence, elle ne saurait
s'éveiller à la vie ni être un acte ; elle ne serait plus
universelle. Mais elle est la vie universelle ; elle doit
donc se mouvoir vers toutes les essences pour parcourir tout
le champ de la vérité, tout en restant en elle-même. Par là
elle possède tous les degrés de la vie universelle,
identique par son fond, infiniment variée par ses formes.
On peut le comprendre en considérant la nature de la
force qui anime une plante. Elle doit contenir à la fois
uniformité et variété pour que la plante soit un tout, un
ensemble de parties diverses jusque dans les moindres
détails, et non une masse uniforme. Ainsi, l'Intelligence
divine est infinie, parce qu'elle est une et multiple. Ses
puissances en renferment d'autres moins grandes et ainsi de
suite jusqu’à ce qu'on arrive à la forme individuelle.
DU BIEN.
La Vie multiple et universelle, première et une,
appartient à l'Intelligence, parce qu'elle est l'archétype
qui possède la forme du Bien, comme dit Platon, en ce
sens qu'elle possède le Bien dans les formes,
c'est-à-dire, dans les idées. En contemplant le Bien.
l'Intelligence reçoit de lui la puissance d'engendrer les
essences qui ont aussi chacune la forme du Bien en même
temps qu'elles possèdent leur type propre.
L'Intelligence
a la forme du Bien parce qu'elle a dû
d'abord se tourner vers lui et le voir sans avoir conscience
d'elle-même ; puis, par son mouvement vers le Bien, elle est
devenue la plénitude de toutes choses, l'Être universel ;
enfin, elle a été l'Intelligence quand, par la conscience
qu'elle a eue d'elle-même, elle a vu en elle toutes les
essences à l'aide de la lumière qu'elle a reçue du Bien avec
cette plénitude. Le Bien est ainsi la cause et de
l'existence et de l'intelligibilité de toute essence.
Pour
que le Bien soit la cause de toute essence, de
toute intelligibilité, il n'a pas besoin d'avoir la même
nature que ces choses ; il suffit qu'il soit au-dessus
d'elles, la vue de l'Un a donné à l'Intelligence une
détermination, une limite, une forme, quoiqu'il n'ait
lui-même ni limite ni forme. L'Intelligence était d'abord
vie infinie, indéterminée; en se déterminant, elle est
devenue une en vertu de sa détermination, et multiple, en
vertu de la multitude des essences qu'elle possédait. A son
tour, elle a déterminé l'Âme et elle l'a rendue raisonnable
en lui communiquant ce dont elle est elle-même le vestige.
Pourquoi les essences que contient l'Intelligence
paraissent-elles avoir la forme du Bien ? C'est que,
procédant toutes d'un même principe, elles conservent toutes
le caractère de leur origine et qu'elles ont ainsi un prix
inestimable.
En quoi consiste le Bien? Il ne faut pas le définir:
ce qui est désirable, ce qu'on désire, parce que ce
serait s'en remettre à une affection de l'âme ; — ni la
vertu propre à chaque être, parce que dans ce cas, tout
en disant quelque chose de conforme à la raison, on reste
encore dans l'ambiguïté.
L'Intelligence n'est pas non plus le Bien, parce que
tout aspire au Bien et que tout n'aspire pas à
l'Intelligence. Pour chercher l'Intelligence, il faut le
raisonnement; il n'en est pas besoin pour désirer le Bien.
L'Intelligence et la Vie première ne sont
désirables que parce qu'elles portent la forme du Bien; la
Vie, parce qu'elle est l'acte du Bien;
l'Intelligence, parce qu'elle est son acte déjà
déterminé. Elles excitent l'amour quand à l'éclat
qu'elles tiennent naturellement du Rien vient s'ajouter un
nouveau reflet de sa lumière. C'est la vue de cette lumière
qui les fait aimer : car chaque intelligible devient
désirable quand le Bien l'illumine en donnant à ce qui est
désiré les grâces et à ce qui désire les amours. Dès que
l'âme est illuminée par le Bien, elle se porte vers
l'Intelligence, parce qu'elle en admire la beauté. Puis elle
s'élève plus haut encore, à la source de la beauté et de
l'amour, et elle s'arrête au Bien parce qu'il n'y a plus
rien au-delà. En effet, le Bien est le principe suprême de
toutes choses, parce qu'il est excellent! qu'il n'a besoin
de rien. C'est lui qui a donné et qui conserve à tout
l'intelligence, la vie et l'existence.
Être désirable
n'est pas la nature du Bien, mais
la conséquence de sa nature. Il ne faut pas non plus faire
consister le Bien dans le plaisir. Si Platon dit dans le
Philèbe que le bien ne consiste pas seulement dans
l'intelligence et s'il y comprend encore le plaisir, c'est
parce que l'attrait et le plaisir sont les signes sensibles
de la présence du bien, sans le constituer cependant.
D'ailleurs, dans ce dialogue, Platon ne considère pas le
Bien absolu, mais le bien relatif à l'homme. La graduation
des biens correspond à celle de la perfection
des Êtres. Le bien de la matière est la forme qui lui
donne l'ordre et la beauté; celui du corps est
l'âme dont il tient la vie ; celui de l'âme est la vertu
qu'elle reçoit de l'intelligence et qui lui confère la
sagesse et le bonheur ; celui de l'intelligence est le
Premier, le Bien absolu, dont elle est l'acte,
dont elle reçoit sa lumière et a honte.
Quand on se
trompe au sujet du bien, c'est qu'il y a
quelque bonté dans l'objet qui cause l'erreur. Les objets
inanimés reçoivent leur bien des êtres animés qui s'occupent
d'eux Ceux-ci, guidés par le désir, recherchent leur bien
avec leur propre prudence. Par sa présence le bien rend
meilleur et satisfait. Or le plaisir ne comble pas nos
désirs, il n'est donc pas le bien.
Le bien d'un
être, c'est de recevoir de l'être
supérieur une forme qui le détermine. Il s'en suit
que c'est par une élévation graduelle qu'on trouve le bien
propre à la nature d'un être. Le désir naît de la présence
du bien; le plaisir en accompagne l'acquisition ; mais ni
l'un ni l'autre ne constitue la nature du bien.
Á partir
de la matière, toute chose dans la nature
aspire à la forme qui lui est supérieure. Quant à
l'Intelligence, étant la forme suprême, elle se tourne vers
le Bien, qui n'a aucune espèce de forme et qui est au plus
haut degré étranger à toute matière.
Lors même que l'existence et la vie n'exciteraient en
nous ni désir ni plaisir, elles n'en seraient pas moins
bonnes par elles-mêmes. Or, si l'on reconnaît qu'elles sont
bonnes, c'est qu'on a en soi une conception du Bien,
conception d'après laquelle on les juge. La présence de
cette idée dans l'intelligence en montre la bonté. Quel
doit donc être le prix du principe qui lui est supérieur !
On ne peut attribuer à Platon l'opinion qui fait
consister le bien dans un mélange d'intelligence el de
plaisir. Ce mélange est
impossible. Mais comme l'état de l'intelligence qui agit
avec calme et pureté est ce qu'il y a de plus désirable, on
dit qu'il est mêlé de plaisir, faute de savoir mieux
s'exprimer; c'est une métaphore, comme enivré de nectar,
etc.
Le Bien absolu illumine par un reflet de son
éclat l'Intelligence. L'Intelligence s'élève à lui
immédiatement et lui reste attachée. Notre âme s'élève aussi
au Bien, mais par le secours de l'Intelligence, dont elle
reçoit sa vie. L'amour du beau, mis en notre âme par le Bien
absolu, la porte indistinctement vers lui. Le spectacle de
la beauté qui se trouve dans les objets sensibles lui fait
chercher une beauté supérieure dans le monde intelligible. A
sa vue elle se demande quel en est le principe, et elle
conçoit que le principe de la beauté qui brille dans les
idées doit n'être rien de ce qu'il produit, par conséquent,
n'avoir aucune l'orme. Étant infini par sa puissance, le
Bien est souverainement désirable et souverainement aimable:
il est le principe et la fin de l'amour, il est la puissance
créatrice et la fleur de la beauté.
N'ayant point de
figure ni de forme, le Bien est la
Beauté absolue, essentielle, indépendante de toute limite.
La beauté est en raison inverse de la limitation; elle croît
donc en passant du corps à l'âme, de l'âme à l'intelligence,
de l'intelligence au Bien, qui, étant la Beauté première,
est exempt de toute limitation, par conséquent de toute
forme, même intelligible. Pour s'approcher du Bien et s'unir à lui, l'âme
doit dépouiller toute forme, renoncer à tout le reste :
alors, elle voit Dieu briller subitement en elle, sans aucun
intermédiaire; elle se confond avec lui dans cette union
intime que souhaite l'amour et qui est la félicité suprême.
Alors elle oublie le corps et elle ne pense plus à sa propre
essence ; elle dédaigne même le monde intelligible, parce
qu'il n'est que l'image du Bien. Enfin, elle contemple Dieu
avec tant d'attention que la vision se confond en elle avec
l'objet visible. — L'intelligence a deux puissances : par l'une, elle voit ce
qui est en elle, par l'autre, elle aperçoit ce qui est
au-dessus d'elle. L'une est propre à l'intelligence qui
possède encore la raison ; l'autre est le privilège de
l'intelligence transportée d'amour. Pour obtenir celte
vision, l'âme devient d'abord intelligence, puis rite
s'élève à Dieu en dépouillant toute forme.
Les
degrés qui conduisent à Dieu sont les
purifications, les vertus qui ornent l'âme, l'élévation à
l'intelligible, l'édification dans l'intelligible, enfin
l'union avec la lumière divine.
C'est un tort
d'attribuer au Premier principe soit
la connaissance des choses inférieures, soit la pensée de
soi munie. Dire que la pensée rend le Bien digne de notre
admiration, comme le fait Aristote, c'est supposer qu’il
tient d'elle sa perfection, par conséquent, qu'il lui est
inférieur. D'ailleurs, le Bien est simple. tandis que
l'essence et la pensée sont multiples. Il faut donc
reconnaître avec Platon que le Bien est au-dessus de
l'Intelligence.
On ne doit pas même dire du Premier principe :
Il est ; ni : il est bon, parce qu'on aurait
l'air de lui attribuer l'existence, la bonté, comme des
qualités adventices. Il suffit de le désigner en disant le
Bien. Par la même raison, il ne dira pas de lui-même
: Je suis ; ni : Je suis le Bien.
Le Bien
a seulement une intuition simple de
lui-même par rapport à lui-même. Quant à la pensée
proprement dite, elle ne saurait lui convenir parce qu'elle
implique identité et différence, mouvement et repos, etc.
Pour l'existence de la Providence, il suffit que Dieu soit
celui dont procèdent tous les êtres. C'est l'opinion de
Platon.
La Pensée n'existe pas substantiellement dans l'objet
qui la produit, dans le Bien, mais dans le sujet en qui elle
réside, dans l'Intelligence, qui est identique avec
l'Essence. Quelle que soit l'hypothèse qu'on fasse, on est
obligé d'admettre que la pensée est inférieure au Bien.
La pensée est un secours donné aux natures inférieures
pour s'élever jusqu'au Bien. Quant au Bien, il ne faut rien
lui attribuer: car, dès qu'on lui donne un attribut, on le
particularise, on lui fait perdre sa simplicité et son
universalité. Si la première hypostase est le Bien, ce n'est
pas pour elle-même qu'elle et le Bien, c'est pour les
natures inférieures.
Par cela seul que le Bien est le principe dont toutes
choses procèdent, le but auquel toutes aspirent, il doit,
pour leur être supérieur, ne posséder aucun de leurs
caractères. C'est la doctrine enseignée par Platon. |
Livre Cinquante-trois -
De la Liberté et de la Volonté de l'UN.
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Pour
déterminer ce que sont en Dieu la liberté et la
toute-puissance, il faut commencer par examiner en quoi
consistent notre liberté et notre volonté. On appelle
volontaire ce que nous faisons sans
contrainte, avec conscience de le faire; dépendant de
nous, ce que nous sommes maîtres de faire ou de ne pas
faire. Ces deux choses se trouvent le plus souvent réunies,
quoiqu'elles diffèrent entre elles. Il est des cas où l'une
des deux manque.
On ne peut attribuer
le libre-arbitre ou
ce qui dépend de nous ni au désir, ni à la sensation, ni
à l'imagination : car il faut s'affranchir de ces influences
pour être libre. On doit rapporter le libre-arbitre à
la volonté, et la volonté elle même à la
droite raison, accompagnée de connaissance. La liberté
n'appartient donc qu'à celui qui, indépendant des passions
du corps, n'est déterminé dans ses actes que par
l'intelligence.
Un être est libre quand il se porte au bien
volontairement, en sachant que c'est le bien. Il est au
contraire dans la servitude s'il n'est pas maître d'aller à
son bien, s'il en est détourné par une puissance supérieure
à laquelle il obéit. — L'intelligence possède donc la
liberté et l'indépendance si elle agit conformément au bien.
Si la liberté et l'indépendance se trouvent dans
l'intelligence pure et en tant qu'elle pense, elles se
trouvent aussi dans l'âme qui applique son activité
contemplative à l'intelligence et son activité pratique à la
vertu. L'exécution n'est pas toujours en notre pouvoir ;
mais Ia volonté et la raison qui la précèdent échappent à
toute contrainte. La liberté ne doit donc pas être cherchée
dans l'activité pratique, mais dans l'intelligence qui est
affranchie de l'action.
Puisque nous sommes libres
quand une chose a ou n'a pas
lieu selon notre volonté, que l'intelligence est maîtresse
d'elle-même, que la vertu est libre et rend l'âme libre,
c'est à elle qu'il faut rapporter notre indépendance et
notre liberté. L'intelligence reste calme en elle-même.
Quant à la vertu, si elle réprime les passions ou dirige des
actions qui sont nécessaires, elle conserve son indépendance
en ramenant tout à elle-même. La liberté se rapporte donc à
l'activité intérieure, à la pensée, à la contemplation de la
vertu. Elle appartient à l'intelligence parce qu'elle
accomplit sa fonction propre tout en restant en elle-même,
et que, se reposant dans le bien, elle vit selon sa volonté
: car la volonté est une espèce de pensée, et son but est le
bien.
L'âme est donc libre par la vertu de l'intelligence,
quand elle se porte au bien sans obstacle.
Quant à l'intelligence,
elle est libre par elle-même.
DE LA LIBERTÉ DE L'UN.
Le Bien absolu doit posséder aussi
l'indépendance, mais d'une manière souverainement parfaite.
Supposer que le Bien est par hasard ce qu'il est, c'est
détruire les notions de liberté et de volonté, en leur ôtant
toute espèce de sens. Mais si l'on admet une distinction
réelle entre servitude et liberté, il faut convenir que la
liberté est le privilège des êtres éternels qui atteignent
le bien sans obstacle. Quant au Bien, il doit posséder la
liberté à un degré encore plus élevé, puisqu'il ne saurait
chercher quelque chose de meilleur que lui, qu'il demeure en
lui-même.
En remontant des êtres inférieurs jusqu'au Bien, on
voit qu'il est la Liberté même, l'Indépendance même : car on
ne peut dire de lui qu'il est selon sa nature, ni qu'il
est ainsi par accident; il n'est contingent ni pour
lui-même ni pour les autres êtres.
Étant supérieures toutes les choses dont il est le
principe, le Bien est supérieur à toute contingence : car il
est déterminé, en ce sens qu'il est d'une manière unique.
Nous ne devons dire de lui que ce qu'il nous apparaît quand
il se révèle à nous, savoir qu'il est le vrai Roi, le vrai
Principe, le vrai Bien. Il n'est contingent en rien : il est
la Puissance universelle véritablement maîtresse
d'elle-même, qui est ce qu'elle veut, ou plutôt qui a
projeté sur les êtres ce qu'elle veut, mais qui est plus
grande que toute volonté.
Si le Premier était contingent, tout serait accidentel
dans l'univers et dépendrait du hasard. Or, il n'y a pas de
hasard dans l'univers, parce que le Premier donne à toutes
choses une détermination, une limite, une
forme. D'un autre côté, le Premier est ce qu'il est, non
parce qu'il n'aurait pu être autrement, mais parce qu'étant
ce qu'il est, il est excellent. Il n'est pas soumis à la
Nécessité, mais il est pour les autres êtres la Nécessité et
la Loi.
Quand on sait que le Premier est le principe de toutes
choses, il faut s'arrêter là, sans essayer de déterminer ni
son existence, ni son essence, ni sa
qualité, ni sa raison d'être. Ces questions n'ont
pas de sens quand on les pose an sujet de Celui qui est
absolu et antérieur à tous les êtres.
L'âme renferme deux éléments, l'un général, l'autre
particulier; par l'un, elle participe de l'Essence absolue;
par l'autre, elle en diffère. Cette différence lui étant
donnée par l'Essence absolue, elle n'est pas souverainement
maîtresse de sa nature. C'est le privilège de l'Essence
absolue seule d'être maîtresse d'elle-même. Mais comme le
Premier est le principe de l'Essence, on ne doit pas dire
qu'il est maître de lui dans le sens où on le dit de
l'Essence.
Si, dérogeant à la sévérité de langage qu'exige ici
la raison, nous admettons dans le Premier des actes, alors
ses actes, sa volonté et son essence sont identiques : il
veut être ce qu'il est, et il est ce qu'il veut. Dans
l'existence du Bien est nécessairement contenu l'acte de se
choisir et de se vouloir soi-même.
Les êtres
sensibles sont contingents ; les êtres
intelligibles, nécessaires : car ils ont en eux-mêmes leur
raison d'être, laquelle est identique à leur essence. Le
Premier est la source unique d'où ont découlé ensemble
l'essence et la raison d'être, lesquelles n'ont rien de
contingent. Il est donc, à plus forte raison, au-dessus de
toute contingence, de tout hasard; il est cause de lui-même,
il est par lui-même, il est Lui d'une manière suprême et
transcendante.
Il est à la fois ce qui est aimable et l'amour; il est
l'amour de lui-même, parce qu'il est beau par lui-même. Ici
encore apparaît l'identité du désir et l'essence;
par conséquent, c'est encore lui qui est l'auteur de
lui-même et le maître de lui-même, parce qu'il s'isole et se
pose comme pur de toutes choses. Nous en aurons une idée si
nous nous élevons au-dessus de tout ce qui est contingent.
Le Premier est encore exempt de contingence parce
qu'il est partout et nulle part ; il est
l'ubiquité même, et il en fait part aux choses
inférieures. Il se porte en quelque sorte vers les
profondeurs les plus intimes de lui-même, s'aimant lui-même,
étant lui-même ce qu'il aime, se donnant l'existence à
lui-même, parce qu'il est un acte immanent, et que ce qu'il
y a de plus aimable en lui constitue une sorte
d'intelligence. Il est l'auteur de lui-même, parce que son
inclination vers lui-même et son immanence en
lui-même le font être ce qu'il est. S'il consiste dans
une action vigilante, identique à ce qui est vigilant, si de
plus cette action vigilante est une supra-intellection
éternelle, Dieu est ce qu'il se fait par son action
vigilante.
Le monde est ce qu'il serait s'il y avait eu dans son
auteur une prévision basée sur le raisonnement. En effet, si
le monde est ce qu'il est, c'est qu'il y a des raisons qui
subsistent intellectuellement de toute éternité dans une
parfaite coordination et au-dessus de toute prévision et de
tout choix. Si l'on appelle Providence ce plan de
l'univers, on ne saurait l'attribuer au hasard, mais
seulement à l'Intelligence qui elle même est telle que le
veut Dieu, c'est-à-dire la Raison une qui embrasse tout.
Dieu est le dehors, parce qu'il comprend
toutes choses et qu'il en est la mesure; il est aussi le
dedans, parce qu'il est la profondeur la plus intime de
toutes choses. Il est le centre d'où rayonnent l'Être et
l'Intelligence, image de sa clarté. Comme l'Intelligence ne
renferme rien qui ne soit raison et cause, l'Un est la
cause de la cause, la cause par excellence,
contenant à la fois toutes les causes intellectuelles qui
doivent naître de lui. Il est donc, comme le nomme
Platon, le convenable et l'opportun.
En
s'élevant à Dieu à l'aide de ces considérations,
on conçoit qu'il est au-dessus de l'essence. Il tient son
existence de lui-même, parce que son acte est son existence
même, qu'il se produit lui -même par une génération
éternelle.
Il ne pouvait se faire autre qu'il ne s'est fait,
parce que le caractère de la Puissance suprême ne consiste
pas à pouvoir les contraires, mais à se
tenir toujours à ce qui est parfait. L'acte par lequel Dieu
s'est créé et sa volonté ne font qu'un. Dieu est donc comme
il l'a voulu et tel qu'il l'a voulu, par conséquent, il est
souverainement libre. |
Livre Cinquante-quatre -
Du Bien et de l'UN.
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C'est
par leur unité que les êtres sont ce que
comporte leur essence. Ils participent plus ou moins de
l'unité selon qu'ils participent plus ou moins de l'être.
Ainsi l'âme possède un plus haut degré d'unité que le corps;
cependant elle n'est pas l'Un absolu, parce que l'unité de
son être renferme une pluralité d'éléments. L'Être universel
et l'Intelligence ne sont pas non plus l'Un absolu pour la
même raison.
L'âme est embarrassée de déterminer la nature de
l'Un parce qu'il n'a point de forme. Pour s'élever à l'Un,
il faut concevoir qu'il est le Premier, le Bien, le Principe
par excellence, supérieur à l'Être et à l'Intelligence,
véritablement ineffable; il faut renoncer à la science, à la
pensée même et se réduire à l'unité. Alors seulement on peut
voir l'Un autant qu'il est visible et le saisir par une
espèce de contact.
Ainsi l'Un est au-dessus de l'Intelligence; il est
le principe parfaitement simple de tous les êtres; il les
engendre tout en demeurant en lui-même, et c'est par eux
surtout qu'il est connu. En lui-même, il est indivisible
et infini par sa puissance. Il est absolu en ce qu'il
n'a besoin de rien, ni pour exister, puisqu'il est la cause
des autres êtres, ni pour avoir un fondement, puisque toutes
choses sont édifiées sur lui, ni pour être heureux,
puisqu'il n'aspire à rien, qu'il est le Bien d'une manière
transcendante.
Pour s'unir à l'Un, il faut que l'âme soit
dégagée de toute forme, qu'elle devienne étrangère à tout le
reste. Alors elle pourra jouir du commerce de Dieu, parce
qu'il est présent à tous les êtres dès qu'ils se tournent
vers lui et qu'ils s'approchent de leur centre. L'union de
l'âme avec l'Un s'opère en vertu de la parenté qui les unit:
car, lorsque nous contemplons l'Un, nous atteignons le but
de nos vœux et nous jouissons du repos, parce que nous
formons autour de lui un chœur divin.
Nous ne sommes pas séparés de l'Un, puisque c'est en
lui que nous respirons et que nous subsistons. La vie
véritable est l'acte intellectuel qui nous fait saisir Dieu
par une sorte de tact silencieux. C'est en lui qu'est notre
principe et notre fin, comme l'enseigne le mythe de l'Amour
et de Psyché : les affections mortelles ne s'adressent qu'à
des fantômes; là haut est l'objet véritable de l'amour.
Quiconque le possède vit d'une autre vie et jouit de la
félicité suprême.
Si l'âme qui s'est élevée là-haut n'y demeure pas, c'est
qu'elle n'est pas encore complètement détachée des choses
d'ici-bas, qu'elle se trouve encore
troublée par les passions du corps, qu'elle s'applique
encore à la science qui consiste dans des raisonnements. Ce
qui voit Dieu en effet, ce n'est pas la raison, mais quelque
chose de supérieur à la raison, puisque, pour voir Dieu, il
faut s'identifier avec lui.
Cet état est vraiment ineffable. Celui qui s'y trouve
devient étranger aux passions, à la pensée même; il oublie
sa propre personnalité dans l'enthousiasme qui le ravit. Il
ne s'occupe même plus de la beauté des intelligibles, et il
dépasse le chœur des vertus. C'est ainsi que l'initié qui
pénètre dans le sanctuaire laisse derrière lui les statues
placées dans le temple, et entre en communication intime
avec la Divinité. Quand l'âme jouit de la vue véritable de
ce qui est dans le sanctuaire, elle est plongée dans le
ravissement. Celui qui se voit ainsi devenu Dieu a en
lui-même une image de Dieu. Telle est la vie des dieux ;
telle est aussi celle des hommes bienheureux. |
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