La quatrième danse faite par le maître
tout seul est la dernière phase du SEMÂ, dont le sens
se rapporte à " la conquête effective des états supérieurs de
lêtre".
Notes
- Lorigine du SEMA remonte à la
lecture psalmodiée du Coran basée sur le
souffle et une voix rythmée dont on sait quelle
est un art à part entière car tout le monde ne peut
faire cette lecture très particulière du Livre Sacré.
Aussi existe-t-il des spécialistes appelés "hâIiz", dont la voix mélodique
fait ressortir dans toute sa subtilité linimitable
beauté poétique de la parole sacrée. Comme dans toutes
les traditions authentiques, la liturgie fait partie intégrante
de la Révélation, au même titre que les prières, et
la musicalité est inséparable du texte sacre. Daprès
une tradition, le prophète MUIZIAMMAD lui-même aurait
encouragé cette pratique liturgique en disant "Ornez
le Coran par votre voix".
- Lintérêt porté à la musique
et à la danse dans lIslam est très ancien : le
SEMA, qui signifie "ciel", était étudié
conjointement à la physique, laquelle était une branche
du savoir toujours en rapport avec lastronomie et lastrologie.
Rien de surprenant donc que le mot SEMA en vienne à désigner
la ronde des astres. " Ô jour lève-toi. Les atomes
dansent. les âmes éperdues dextase dansent. La voûte
céleste, à cause de cet Être, danse ", sécrie
Rûmî. Le SEMA exprime ainsi le tournoiement, le devenir
incessant des atomes, des astres et des âmes.
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Le shaykh danse en tournant sur la ligne
droite au centre du cercle. Jusque-là il était resté
immobile, veillant scrupuleusement sur les derviches.
Cette non-participation à la danse se rapporte à la
transcendance divine, et son entrée dans la danse
symbolisera limmanence divine. Avec cette danse du
shaykh, lunité viendra couronner leffort de
lhomme. La ligne droite est la voie la plus courte,
qui mène à lUnion. Mais les derviches nont
pas le droit dy marcher, seul le maître peut se le
permettre. Cette ligne symbolise également les deux
mondes exotérique et ésotérique qui, tout en se
touchant, sont séparés par elle. Seul le maître, en
qui lUnité est réalisée, ou le Grand uvre,
peut marcher sur elle. Ce qui signifie quil a
atteint à la parfaite maîtrise des deux mondes il se
place au centre du cercle, il donne limage réalisée
dun des noms dALLAH : "Maître des
mondes", dans la sourate dAl-Fâtihâ.
Note
- Lorsque le shaykh commence sa danse,
le "nay", la flûte, improvise une deuxième
fois : cest le moment où saccomplit le
"tawhîd", lUnion Suprême. Nous
avons vu que le shaykh effectuait la
danse, alors que les trois
premières étaient exécutées par les derviches. Nous
retrouvons ici le symbole de la tri-unité. Si " le
nombre 3 exprime lUnité en langage de pluralité ", le nombre 4
symbolisera laccomplissement et la consécration
totale de cette unité. Le chiffre 4 en tant
quil exprime la stabilité symbolise le cube et
renvoie à la Kaaba, le centre vers lequel les musulmans
se tournent pour faire la prière, et qui est limage
terrestre du centre suprême. La quaternité exprime
certes la stabilité, mais, dynamiquement, " la
quaternité rayonne, et cest Mâyâ dans Sa
fonction de communiquer Atmâ et de déployer ses
potentialités ; dans ce cas, elle établit le cosmos
selon les principes de totalité et de stabilité. On
voit que la croix, avec ses quatre directions (les quatre
fleuves du paradis), est présente, son centre étant
occupé par le maître. Cest le point doù
tout part et où tout revient, le premier et le dernier
le commencement et la fin.
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Après Sa danse, le maître revient à
sa place et le SEMA " sarrête "
un chanteur psalmodie le
Coran. La récitation coranique est une réponse de Dieu,
signe que le Grand uvre est accompli ; la matière
a atteint Sa perfection. Le retour du maître à sa place
symbolisera la subsistance (al-baka), après lextinction
de lego (al-jânb) dans le Divin. Mais une fois lUnion
totale, la Transmutation alchimique réalisées, lhomme
atteint létat de "soufi", et dès lors,
ayant fait lexpérience suprême, le soufi sera
"celui pour qui lor et la boue ont la même
valeur". La fin de la danse, le retour au monde dans
létat de "subsistance", correspondent à
la réalisation "ascendante". Jusque-là la Création
était une illusion ; lhomme véritable comprend
après la "réalisation"
que le monde, la création,
participent du Divin. Lumière sur Lumière.
Nous sommes la flûte, dit MawlAnà,
et notre musique vient de Toi.
Notes
- Les deux instruments principaux de la
danse sacrée sont la flûte et le tambour. Les
battements sourds de celui-ci durant le SEMÂ évoquent
sans doute les trompettes du jour du jugement. Mais ils
symbolisent également les grondements et les
tremblements de la terre. Si le symbolisme des tambours
semble lié à la terre, en revanche, par son axialité,
la flûte sera symboliquement liée au ciel. Dailleurs
la plainte du roseau renvoie à la séparation de lhomme
davec sa partie céleste. Les deux aspects complémentaires
à la fois vertical et horizontal, céleste et terrestre,
évoquent parfaitement la croix dans lordre
musical, alors que le derviche la symboliserait pour
ainsi dire dans lordre chorégraphique. La flûte
et le tambour nous font penser également à laspect
féminin et masculin de luvre alchimique dont
la réalisation en or alchimique donne landrogyne.
Le SEMA sera donc fa réalisation de cet état " androgyne ". Cet
état de parfait accomplissement sera dailleurs
symbolisé par la danse du shaykh.
- Signalons également un autre sens du
nombre 4 dans la perspective de lésotérisme
musulman. Dans le récit du "Mîraj", lassomption
céleste du Prophète MUHAMMAD, donné par Ibn Arabî, le
quatrième ciel est occupé par le prophète Idris,
identifié à Hénoch, ce qui marque sa position centrale
dans la hiérarchie des sphères célestes, qui sont au
nombre de 7. Cette sphère correspond à celle du soleil
qui correspond lui-même au "
lieu éminent ", jusquoù
Dieu éleva le Prophète en son corps, sans lui faire
subir la mort physique. "Il était véridique et
prophète. Nous lavons élevé à une place sublime" (Coran,
XIX, 57-58). On se souviendra que le prophète Élie fut
aussi élevé au ciel dans un char de feu. La danse du
shaykh, lexpression de lUnion réalisée de
toutes les oppositions, évoque les deux notions
fondamentales du "Haqq" (la Vérité) et
du "Khalq" (la Manifestation). Il établit
ainsi le lien entre lAtmâ et la MAyA, dont le
nombre 4, cosmique et hypostatique, est lexpression
symbolique.
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Ainsi se termine le SEMA ; il sera
suivi de quelques autres salutations et dune séance
de "dhikr mawlawî (Hû Lui)". Ensuite, le maître, en
qui se réalise la communion de tous, se dirige lentement
vers la sortie, suivi des derviches et de lorchestre.
Limage du cercle, symbole de la totalité et de la
perfection, sera ainsi manifestée. Désormais, cest
la multitude qui dépend de lUnité.
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