7


Jacques Henri PREVOST

Le Ciel, la Vie, le Feu


CHAPITRE 7

OMBRES ET LUMIÈRES

MANUSCRIT ORIGINAL

Première édition - Octobre 2004

Chapitre 7
Ombres et Lumières

Les sacrifices et les sauveurs. L'Hermétisme, le Gnosticisme, Valentin, Marcion, Origène, les Sethiens, le Manichéisme, les Bogomiles, les Cathares, la Kabbale, les Rose-Croix.


Chapitre 7 - Ombres et Lumières.

Les sauveurs chez les Grecs, Egyptiens, Iraniens, etc.
Les Gnostiques, Hermétistes, Manichéens,
Bogomiles et Cathares, Kabbalistes et Rose-Croix

Points de repères dans ce chapitre

Du Sang sur les Autels.
Le sacrifice grec est sacramentel.
Tout mâle premier-né m’appartient.
Le Gnosticisme.
Valentin.
Marcion. Origène.
Le Manichéisme.
Les Bogomiles et les Cathares.
L’Hermétisme.
L’Apocalypse des Egyptiens.
La Kabbale.
La Rose-Croix.
 


Ombres et Lumières

Le seul temple digne de Dieu, c’est l’intelligence du sage.

(Porphyre - Lettre à Marcella).

L’homme est le miroir que Dieu tient devant Lui,
l’organe qui Lui sert à appréhender Son être.

(C.G.Jung). 

L’univers est une machine à créer de la conscience.

(Bergson).

 

Les précédents chapitres ont mis en évidence de grandes analogies dans les rites et les pratiques antiques. On en retrouve beaucoup dans la plupart des religions modernes. Le premier constat, évident, est celui de l’omniprésence des sacrifices, quels que soient les peuples et les époques. La notion de sacrifice semble être universelle dans toutes les religions. Elle prend une très grande importance lorsque le pratiquant s’adresse à une divinité extérieure. Pour clarifier ce que recouvre ce concept de sacrifice, on peut d’abord tenter de catégoriser les différentes formes rencontrées, cette énumération n’étant pas exhaustive.

  • Nourrissage, (renforcement et service du dieu).

  • Oblation, (offrande d’adoration du dieu).

  • Alliance, (témoignage de bonne volonté).

  • Pénitence, (sacrifice pour expier une transgression).

  • Rachat, (remplacement d’un objet sacrificiel par un autre).

  • Transaction, (magie d’échange pour obtenir un résultat).

  • Consécration, (Onction et sanctification des prêtres).

  • Prestige, etc..

Quelque intérêt qu’elle présente, cette classification ne suffit pas à nous faire comprendre pourquoi les hommes ont adopté ces étonnantes et irrationnelles coutumes sacrificielles. Nous vous proposons de réfléchir ensemble sur l’origine du sacrifice. Nous voudrions rechercher les raisons logiques éventuelles, les racines coutumières ou les fondements légendaires qui pourraient un peu expliquer cet acte étonnant, consistant à détruire un bien apprécié ou accomplir un meurtre pour plaire aux dieux.

L’action de sacrifice s’inspire originellement des offrandes que les faibles hommes font aux puissants seigneurs pour obtenir leur bienveillance. Mais les dieux invisibles et incorporels ne peuvent pas approprier matériellement les choses offertes. Il faut donc trouver un autre moyen de les leur transférer. En conséquence, le sacrifice religieux consiste en la destruction ou la suppression de la chose offerte. Il se traduit toujours par un renoncement désagréable, ou en la privation d’un plaisir, qu’il soit d’usage, de possession ou de jouissance. La chose détruite doit être utile afin que la privation soit pénible, et c’est ce même déplaisir qui établit le mérite du sacrifice. Pour exprimer l’importance accordée au destinataire, l’offrande sera aussi rare et précieuse. Et, comme il s’agit d’un don irrévocable, sa destruction sera définitive.

Les sacrifices antiques les plus ordinaires sont les libations. Elles sont fréquentes et ont une grande importance. Les officiants, souvent de simples particuliers, gâchent des liquides utiles, par exemple du vin, du lait, de l’huile, en les répandant à terre en l’honneur des dieux ou pour nourrir les morts. Les offrandes de biens personnels et de nourritures s’intensifient par des dons effectifs, soit non sanglants, concernant des offres d’argent, grains, tourtes, graisses, soit sanglants avec des immolations animales.

Du Sang sur les Autels.

Les animaux sauvages ne sont pas sacrifiables et il s’agit donc toujours d’animaux domestiques, pigeons, colombes, poulets, chiens, chèvres, moutons, porcs, veaux, bœufs, parfois chevaux (dans de rares occasions). Les plus beaux sont choisis, consacrés, puis rituellement égorgés, souvent par un sacrificateur spécialisé. Le sang est ensuite répandu en libation sur le sol ou sur un autel. Les corps sont consumés par le feu mais, le plus souvent, une partie seulement du sacrifice est brûlée. Les prêtres et l’assistance se partagent les restes. Dans les grandes occasions, la consumation est totale. Il s’agit alors d’un holocauste.

Cependant, l’escalade croit souvent en importance. Comme l’on offre souvent des esclaves aux princes, on en arrive logiquement à offrir au dieu des éléments humains. On commence par sacrifier seulement quelques organes corporels non vitaux mais symboliques, (souvent liés à la reproduction, circoncision des garçons ou excision des filles). On sacrifie ensuite des fonctions existentielles plus larges, par exemple en vouant la durée de la vie entière au service de la divinité, ou en confondant la pureté sacerdotale et la virginité perpétuelle, (comme les Vestales antiques, les druidesses gauloises, et les prêtres célibataires modernes). Cette progression d’échelle, inévitablement, conduit un jour aux sacrifices humains, parfois massifs. Nous avons vu que les Hébreux sacrifiaient à YHWH la plupart des villes conquises et tout ce qui y vivait. A cet égard, la lecture de la Bible est absolument épouvantable. Sachez que cette pratique était fréquente chez les peuples sémites, mais aussi dans d’autres civilisations telles celles des Egyptiens, des Grecs, (souvenez-vous d’Iphigénie), ou des Celtes. Elle existait également ailleurs dans le monde, et l’on peut ici donner l’exemple des terrifiantes coutumes des Aztèques.
 


Les Méso-américains croyaient en un grand dieu de la foudre et de la pluie qui portait différents noms selon les peuples, Tlaloc, Aksin, Tzahui, Cocijo, Nohotsyumchac. Toute eau provenait de la mer divine. Souvent identifiée à la Lune, Chalchihuitlicue, l’eau était un symbole de vie, de mort, et de résurrection. Elle était placée sous la protection de divinités féminines auxquelles des jeunes filles vierges et des jeunes enfants étaient offerts en sacrifice. Ici, la terre est à la fois un lieu de genèse et de dissolution qui dispense les aliments et mange les cadavres. Il unit ainsi les contraires en son sein et fusionne la mort et la vie.

Chez les Aztèques, la création originelle fut marquée par des épisodes violents qui ont amené la destruction de quatre soleils successifs. Notre monde reste instable sous le cinquième, marqué par l’union de la vie et de la mort. L’homme est composé de cinq éléments, le principe vital, le mouvement, l’âme préexistante qui survit aussi à la mort, l’esprit de connaissance, et l’ombre animale. C’est au creux de la terre que Quetzalcoatl, le Serpent à Plumes, le dieu civilisateur aztèque, est allé chercher les ossements à partir desquels furent créés les hommes, en les arrosant du sang des dieux.

La création de l’humanité est précisément due à ce sacrifice collectif des dieux qui en demandent la juste rétribution. Il est donc nécessaire de les prier et de leur offrir des offrandes. Mais il faut surtout les nourrir de l’eau précieuse, le sang des innombrables victimes que les Aztèques devaient verser sans retenue pour empêcher la menaçante destruction de l’univers. Chaque matin, le Soleil sortait affaibli de l’empire des morts et il devait être revitalisé par un sacrifice sanglant. Dans les temps anciens, les fidèles extrayaient eux-mêmes une partie de leur propre sang avec des aiguilles. Ce n’était pas suffisant et, par la suite, d’horribles sacrifices humains très sanglants furent pratiqués en nombre considérable, (vingt-cinq mille victimes en un seul jour selon les conquérants espagnols). Le sang était l’élément sacré essentiel et les repoussants sacrificateurs aztèques n’étaient jamais autorisés à laver les traces de ses affreux jaillissements.

Chez les Incas, au 15ème siècle, Inti, le Soleil, était le dieu majeur, le fondateur dynastique dont les despotiques empereurs étaient les fils. De nombreux temples lui étaient consacrés. Ils contenaient de fabuleuses richesses et disposaient d’un personnel important, prêtres, devins, serviteurs, et les nombreuses vierges du Soleil, chastes vestales choisies pour leur beauté. Elles étaient parfois vouées au harem de l’Inca, l’empereur, ou données en présent à ses invités, mais elles étaient fréquemment sacrifiées au cours des grandes cérémonies rituelles.

Accorde la vie et la prospérité
à mes enfants, à mes serviteurs.
Fais se multiplier et croître ceux
qui ont pour devoir de t’alimenter
et d’assurer ta survie,
ceux qui t’invoquent sur les chemins,
dans les champs, au bord des rivières,
à l’ombre des arbres (...).

(Prière au Coeur du ciel - Popol Vuh).

Vous constatez que ces pratiques effroyables ne semblaient par réellement gêner la ferveur des fidèles qui priaient les dieux avec détachement. On voit cependant que l’on trouve pourtant dans leurs prières les traces d’un questionnement inconscient, d’un début imprécis de culpabilité, démarche qui les pousse à évoquer l’accomplissement d’un devoir sacré.
 


Chez les Grecs, l’action sacrificielle parait également liée à un symbolisme cosmogonique. Elle peut être associée à la légende de Prométhée. Au temps mythique de l’âge d’or, les dieux et les hommes vivaient encore ensemble. Ils partageaient un repas commun lorsqu’ils décidèrent de se séparer. Ils chargèrent Prométhée de leur partager le monde. Pour accomplir sa tâche, le Titan abattit un bœuf, fondant ainsi le sacrifice sanglant comme mode relationnel entre les hommes et les dieux. Il en fit deux parts, toutes deux truquées, l’une agréablement apprêtée camouflant les seuls os dénudés, l’autre cachant la chair comestible sous un aspect repoussant. Zeus feignit de se tromper. Il choisit les os, laissant la viande aux hommes. En conséquence, ceux-ci demeureront toujours des créatures avides, affamées de cadavres, tandis que les dieux, nourris de fumées et de parfums, resteront à jamais, jeunes, immortels et incorruptibles.

Zeus punit cependant la fraude en enlevant aux hommes le feu céleste et les grains d’abondance, deux biens dont ils disposaient librement. Ils ne peuvent pas cuire leur viande et devront cultiver la terre pour se nourrir. Mais Prométhée dérobe un jour aux dieux une semence du feu. Il la porte sur la Terre et les hommes retrouvent la possession d’une flamme précaire qu’il faudra bien entretenir. Parmi toutes les créatures terrestres, ils ne mangeront plus que des aliments cuits, seuls propres à la consommation. Zeus vengera aussi cette nouvelle offense, le vol du feu. Pour la punir, il inventera la Femme, Pandora (le don des dieux), un redoutable piège destiné aux hommes. Elle a l’apparence, la grâce et la séduction d’une déesse immortelle, mais Hermès a caché à l’intérieur mille horribles défauts (qui me font sourire mais que je ne décrirai pas pour épargner les sensibilités féminines). Sur l’ordre de Zeus, (belle excuse), Pandora, (la traîtresse), ouvrira la jarre qui contient tous les Maux. Ils se répandront à jamais sur le Monde en se mêlant tellement aux Biens qu’on ne pourra plus jamais les distinguer.

Accomplir les rites sacrificiels grecs, c’est établir un contact avec les dieux par une double commémoration, celle de la tâche accomplie par le Titan protecteur, et celle de la leçon donnée par Zeus, que les hommes affirment avoir comprise. En l’accomplissant, les hommes signifient qu’ils acceptent maintenant la place allouée par Zeus, les situant entre les bêtes et les dieux. Le rite, ainsi que le repas collectif qui l’accompagne, rappellent que les hommes et les dieux sont aujourd’hui séparés, qu’ils ne vivent ni ne mangent plus ensemble. On ne peut tromper Zeus ni tenter de s’égaler aux dieux sans devoir en payer le prix. Celui-ci est l’éloignement du divin et l’obligation de vivre sur cette terre où rien ne s’obtient sans effort et où se mêlent toujours le bonheur et le malheur, la joie et la peine, le Bien et le Mal.

Le sacrifice grec est un contact sacramentel avec les dieux.

Il y a, par ailleurs, d’autres légendes explicatives ou justificatives, comme vous le voudrez. Voici celle de Sôpatros. Au commencement, les hommes n’offraient aux dieux que des végétaux et des céréales. Un bœuf revenant des champs s’approcha d’un autel et dévora les offrandes. Horrifié par le sacrilège, son bouvier, Sôpatros, l’abattit sur place, polluant l’eau du sacrifice et ajoutant un second et grave sacrilège au premier. Impur, car souillé par le sang de l’animal, il s’enfuit en Crête, laissant à ses compagnons le soin de résoudre le problème. Incapables de mettre un terme à la malédiction qui desséchait le pays, les hommes consultèrent la Pythie d’Apollon à Delphes. La réponse fut que le meurtrier devait être châtié. Le châtiment consistait dans le renouvellement du meurtre sacrilège du bœuf sur l’autel, et les hommes devaient consommer solidairement toute la chair de la victime. Nourri du grain destiné aux dieux, le bœuf devenait lui-même la nourriture des hommes. Ceux-ci ne pouvaient cependant sacrifier un autre bœuf sans réamorcer la chaîne sacrilège. Sôpratos l’aurait pu car il était déjà meurtrier, mais il était en fuite. On le fit citoyen de la Cité afin d’établir la solidarité des hommes dans cette épreuve. Et c’est finalement l’instrument du meurtre, le couteau, l’égorgeoir, qui fut déclaré l’auteur effectif de l’acte coupable. Il fut rituellement jeté dans les profondeurs marines.
 


L’existence de ces justifications montre bien que la mise à mort des animaux sacrificiels ne laissait pas tous les Grecs indifférents. Parmi eux, certains refusaient la violence faite aux bêtes et ne participaient pas aux repas rituels. Cette attitude marginale était cependant considérée comme impie, mettant en cause tout l’édifice social de la cité. Mais les disciples de Pythagore, et surtout les fidèles végétariens d’Orphée, adorateurs pacifiques d’Apollon, se tenaient à l’écart des pratiques sacrificielles meurtrières. Ils désiraient se rapprocher des dieux par l’ascétisme, en ne s’alimentant que de nourritures incorruptibles. Dans cette religion solaire, Orphée, le fils de Calliope à la Belle Voix, muse de l’éloquence et de la poésie épique, a deux pères. Le premier est terrestre, le roi Oeagrus, le second est céleste, Apollon, le dieu de la lumière et le protecteur des muses. C’est lui qui initia Orphée à la musique. Ici, le héros n’est pas mort déchiré par les Ménades pour les avoir dédaignées et exclues de ses Mystères. Il fut foudroyé par Zeus pour avoir révélé, aux fidèles, les secrets découverts lors de sa visite au royaume des morts. Remarquez-vous que l’on commence à découvrir une caractéristique remarquable des pratiques sacrificielles, la présentation d’une excuse justificative devant les réactions émotives de rejet.

Les pratiques sacrificielles associent devoirs et remords.

Le vrai sacrifice se traduit toujours par une douleur. Or, c’est la valeur même de cette souffrance, née de l’importance de la privation, qui mesurerait le mérite réel du donateur. A l’importance de la souffrance supportée correspondrait un degré de la vertu.

- Les offrandes de libations, nourriture, argent ou petits biens personnels sont du faible mérite car aisément remplaçables. Les immolations d’animaux montent sensiblement d’un degré et préparent le suivant.

- Cependant, au premier niveau du sacrifice humain, les victimes sont prises chez les ennemis capturés, ou chez les esclaves. Ils représentent encore des biens remplaçables. Leur valeur méritoire reste relativement modérée.

- Le mérite progresse fortement avec le sacrifice d’êtres chers, tout à fait irremplaçables, tels les premiers nés des familles comme à Carthage, ou celui des Vierges du Soleil et des tout petits enfants chez les Aztèques, (ou même Iphigénie dans la Guerre de Troie).

- A partir de cette progressive montée en valeur, on peut concevoir comment la mort d’êtres humains ordinaires, quels qu’en soit le nombre ou la qualité, puisse être considérée comme insuffisante si la contre-valeur d’échange consiste dans le salut de tout le genre humain. Le sacrifice réclame alors un niveau supplémentaire impliquant la mise à mort d’un héros ou d’un dieu. C’est bien ce que nous avons trouvé dans toutes les mystérieuses religions de salut passées en revue dans les précédents chapitres.

- Le sommet est atteint dans le Christianisme, où le fils unique du Dieu Suprême lui-même est sacrifié. Pour comprendre la signification et l’origine du signe, il faut revenir à la Bible. Souvenons-nous que les Hébreux, comme tous les peuples antiques, tendaient à garantir par des gages précieux les alliances contractées avec les puissants. Traditionnellement, pour gager la conclusion d’une alliance entre chacun des patriarches et son très puissant dieu, une antique coutume, assez répandue chez les divers Sémites, rendait obligatoire le sacrifice du très précieux fils premier-né. (Voir Abraham et Isaac). Voici quelques extraits bibliques caractéristiques.

Tu apporteras à la maison de l’Eternel, ton Dieu,
les prémices des premiers fruits de la terre (..). (Exode 34/26).

Tu ne différeras point de m’offrir les prémices
de ta moisson et de ta vendange.
Tu me donneras le premier-né de tes fils. (Exode 22/29).

Tu me donneras aussi le premier-né de ta vache et de ta brebis.
Il restera sept jours avec sa mère.
Le huitième jour, tu me le donneras. (Exode 22/30).

Tout mâle premier-né m’appartient,
même tout mâle premier-né
dans les troupeaux de gros et de menu bétail. (Exode 34/17).

Tu rachèteras avec un agneau le premier-né de l’âne,
et si tu ne le rachètes pas, tu lui briseras la nuque.
Tu rachèteras tout premier-né de tes fils,
et l’on ne se présentera point à vide devant ma face. (Exode 34/20).

L’Eternel dit à Moïse. Ecris ces paroles,
car c’est conformément à ces paroles
que je traite alliance avec toi et avec Israël. (Exode 34/27).

On constate que la coutume est intégrée à la Loi et qu’elle constitue bien le gage de l’alliance contractée entre YHWH d’une part, Moïse et Israël d’autre part. Elle s’impose donc à tous les contractants, même si le rachat généralisé de la vie du fils a été finalement autorisé, (après d’ailleurs celui du premier-né de l’âne). L’apparition de cette notion d’un sacrifice humain gageant une alliance contractée entre Dieu et les hommes est très importante. Elle est à l’origine du concept chrétien de la conclusion d’une nouvelle alliance, contractée pour le rachat d’abord des juifs, puis de l’humanité. Etablie sur l’initiative du Dieu des Juifs, elle est gagée par la mort effective de son Fils, à laquelle il consent. Mais celui-ci est aussi le fils de l’Homme, et quand son meurtre est perpétré par ces hommes qui sont ses pères dans la nature terrestre, le rituel fondateur, établi originellement par YHWH, est de nouveau accompli.

L’alliance est alors rétablie. La confirmation de ce point de vue est à l’évidence donnée par la formulation des paroles sacramentelles de la consécration chrétienne que l’on rapprochera utilement des versets bibliques. (Notez que les évangiles disent et pour d’autres, non pas multitude).

Prenez et mangez,
car ceci est mon corps, livré pour vous.
Prenez et buvez, car ceci est mon sang,
le sang de la nouvelle et éternelle alliance,
qui sera versé pour vous et pour la multitude,
en rémission des péchés.

Dans la marche progressive vers davantage de spiritualité, cette notion de sacrifice contractuel, ou d’un autosacrifice, même si on l’applique seulement à des fragments de la personnalité, me paraît constituer une erreur. En ce qui ma concerne et d’un point de vue personnel, je pense que toute amputation de l’être total et unique qu’est chacun de nous est une dégradation quand elle est réalisée par la seule mise en œuvre de la volonté. Si quelque chose doit être transformé dans un homme, qui est seul juge de ce besoin, la volonté n’est pas concernée. Seul le face-à-face avec le Dieu intérieur dont chaque homme est à la fois l’image et l’enfant, peut révéler l’état actuel d’insuffisance de son être. Le sacrifice imposé n’a pas de sens. La prise de conscience de l’imperfection et de la nécessité de la dépasser, opérera, s’il y a lieu, par elle-même, la transformation. Cela se traduira par un changement naturel, non pas imposé. La volonté ne se confond pas avec la conscience de soi. Il me semble bien que l’automutilation volontaire, même si elle concerne seulement les plaisirs simples et la joie de vivre, n’a rien à faire ici.
 


Le précédent chapitre a exposé les idées syncrétiques des écoles et des philosophies issues des traditions assyriennes, égyptiennes, néoplatonicienne et gréco-romaine. L’essor du Christianisme a étouffé progressivement d’autres importants courants de pensée que nous allons survoler maintenant. Ils exprimaient le désir de préserver les convictions religieuses traditionnelles ou ils refusaient les concepts imposés par les nouveaux mentors. Selon qu’ils apparaissaient au-dedans ou au-dehors du Christianisme, leurs tenants furent considérés comme des hérétiques ou des païens, les deux catégories étant identiquement vouées à la destruction en ce monde et à la damnation éternelle, dans l’autre.

Le Gnosticisme.

La Gnose dit Henri-Charles Puech, s’efforce de répondre à plusieurs questions fondamentales.

S’il y a un Dieu , pourquoi tant de mal dans l’univers ?
Pourquoi tant de religions sur Terre au lieu d’une seule ?

Les Gnostiques répondent qu’avoir la Gnose, la connaissance, c’est connaître ce que nous sommes, d’où nous venons, où nous allons, ce par quoi nous sommes sauvés, quelle est notre naissance et quelle est notre renaissance.

La Gnose n’est pas une hérésie née du Christianisme.

C’est un système de pensée indépendant, probablement issu du Vêdânta, enraciné dans la tradition antique, s’exprimant consécutivement à une révélation. Il cohabite avec différentes écoles, l’Hermétisme, ou le Néo-Platonicisme de Plotin, puis le Christianisme. Malgré la parenté iranienne indéniable qui rapproche les sources esséniennes du Christianisme et les racines indiennes de la Gnose, les deux courants professent des idées différentes concernant le Monde et l’Homme. Le système gnostique concurrence évidemment les cultes et mythes spécifiquement chrétiens. La confrontation entraîne pourtant quelques tardives influences et quelques tentatives de mise en commun d’un certain nombre d’images et de symboles tendant à rapprocher les deux doctrines.

Les Gnostiques enseignent que le Monde Originel, (le Royaume de Dieu), et le Monde Naturel, (celui où nous vivons), appartiennent à deux natures parfaitement distinctes. Ce thème des deux natures est tellement fondamental dans le Gnosticisme, qu’il est suffisant pour caractériser une religion de type gnostique.

Le Monde Originel n’est sujet ni au temps ni à la transformation. Il progresse continûment de magnificence en magnificence, perfectionnant sans cesse sa nature de Royaume Divin. Les agents de cette progression sont les syzygies d’éons. Ce sont des vagues de vie, des groupes d’entités spirituelles chargées de la puissance divine. Elles créent, dans la réalité, l’expression du plan idéal divin. La complexité de l’univers s’accroît, et de nouveaux éons, plus éclairés et plus sages, apparaissent successivement pour administrer son développement. La collectivité de ces travailleurs divins est appelée Plérôme, et la vague de vie de l’Homme Originel est l’Adam, le dernier modèle paru, le plus achevé de ces éons.

Les esprits adamiques sont aussi les plus autonomes. Certains usent imprudemment de la liberté nouvelle dont ils sont dotés. Alors que l’administration du monde matériel leur est confiée, ils appliquent leurs facultés neuves à leur propre développement. Ce désordre, cette erreur, cette chute d’Adam, désorganise le Plérôme qui, pour rétablir son harmonie essentielle, isole les imprudents, (et toutes les forces éoniques dont ils sont issus), dans un nouvel univers, un ailleurs de secours suscité hors du Monde Originel. C’est dans ce faux monde, changeant et disharmonieux, domaine de la lutte des opposés, créé par les éons coupés du Plérôme et de la pensée divine, les faux dieux créateurs, que sont tombés les esprits adamiques maladroits. Presque anéantis mais éternellement vivants de par leur nature divine, ces étincelles divines habitent aujourd’hui les corps animaux temporaires de créatures imparfaites, conscientes mais périssables, ceux des hommes naturels que nous sommes. On relève ici un groupe de plusieurs éléments spécifiquement gnostiques. La splendeur de l’Homme Adamique qui est originellement doté des meilleurs dons de Dieu. La chute des Adam qui est due au retournement de leurs facultés créatrices vers leur propre développement. La réorganisation de l’harmonie du Plérôme qui fait apparaître une seconde nature et la création consécutive d’un faux monde par de faux dieux. Ce second thème globalisé est également très caractéristique du Gnosticisme.

Mais Dieu n’abandonne pas ses créatures sans les secourir. Il appelle à lui les esprits adamiques dans l’homme, cet ordre de secours imaginé pour leur salut. Il éclaire de sa lumière spirituelle la conscience des mortels pour leur donner une connaissance surnaturelle, la Gnosis. Celle-ci leur permet de comprendre le véritable état du Monde afin qu’ils commencent à travailler à la nécessaire reconstruction du divin corps originel qui ouvre aux égarés, par la Transfiguration, le chemin du retour au Royaume. La Gnose, c’est cette totale connaissance par l’illumination intérieure, la découverte de l’appel de l’Esprit, la compréhension de la situation réelle du monde, et cet engagement dans le travail de Transfiguration, tout à la fois.
 

Les trois quarts suivants du chapitre ont été coupés pour préserver les droits des détenteurs de copyright. Veuillez vous reporter en fin de document pour prendre connaissance de tous renseignements utiles à cet égard

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Le Ciel, la Vie, le Feu

Voici la fin du chapitre


La Rose-Croix.

L’Ordre fondé par Guaita mêle l’approche ésotérique scientifique et l’oeuvre littéraire. Il se propose de combattre la sorcellerie et réunit un groupe actif d’hommes très connus, dont Papus. Malgré le sérieux du travail effectué, l’Ordre éclate rapidement. En 1890, Péladan crée le Tiers Ordre intellectuel de la Rose-Croix, une section mondaine qui rassemble cent soixante-dix artistes célèbres. Il organise des salons qui ont un succès fou, rassemblant jusqu’à vingt-deux mille visiteurs. On est bien loin de la retenue et de la discrétion qui caractérisent la tradition des véritables Rose-Croix auxquels nous allons maintenant revenir.

Selon Papus, trois courants caractérisaient la recherche ésotérique moderne, le Gnosticisme, (Cathares, Vaudois, et Templiers dont dérivent les Maçons), les moines catholiques, et enfin les divers initiés (Hermétistes, Alchimistes, Kabbalistes). Le courant rosicrucien résulterait de la synthèse de fait réalisée entre les trois traditions. On remarque cependant déjà, dans la Divine Comédie de Dante, (vers 1320), que le huitième ciel du paradis est décrit comme le ciel étoilé des Rose-Croix. Il se pourrait aussi que la fondation de l’Ordre implique Paracelse, médecin et alchimiste, né en Suisse vers 1493. Il utilise les symboles de la rose et de la double croix dite lorraine, dés 1536, et prédit la venue d’Elias-Artista, l’Esprit radiant, ambassadeur du Paraclet et personnification future de l’Ordre. (La théorie médicale de Paracelse innovait en établissant des correspondances alchimiques entre les différentes parties du corps humain, le Microcosme, et celles de l’univers considéré dans sa totalité, le Macrocosme).

Néanmoins, l’origine de la Fraternité prestigieuse des Rose-Croix reste mystérieuse. Au 16ème siècle, les armes de Luther portent également une croix encadrée de quatre roses. A l’époque, en Occident, les sources de l’ésotérisme rassemblent diverses traditions, gnostiques, hermétistes, mazdéistes, alchimistes, ou kabbalistes, des traditions manichéennes ou autochtones comme celle du Graal, celles des docteurs de l’Eglise Catholique, et un courant transmis par les Druzes arabes. La Fraternité des Rose-Croix semble avoir réalisé une large synthèse de ces multiples traditions inspirées, à partir de l’année 1600. Un religieux protestant, Valentin Andreae, publie deux manifestes en 1614. Il s’agit de la Gloire de la Fraternité, (la fameuse Fama Fraternitatis, et de la Confession des Frères Rose-Croix). Ils exposent la doctrine de la Fraternité des Rose-Croix qui préconise une réforme générale de l’Humanité. Valentin Andreae publie ensuite de nombreuses autres oeuvres dont les plus importantes sont Christianopolis et surtout les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz. Le fondateur légendaire de la Rose-Croix, Christian, invité aux noces de Sponsus et de Sponsa, (l’époux et l’épouse), rêve qu’il est enfermé au fond d’un puits ou d’une tour dont il sort à l’aide d’une corde lancée de l’extérieur. Il se met ensuite en route et traverse une forêt. Il doit choisir entre quatre routes dangereuses dont l’une est mortelle. Cherchant à aider une colombe combattue par un corbeau, il est guidé vers le château royal. Les invités doivent y être pesés pour savoir s’ils sont dignes d’être présentés au roi. Beaucoup sont rejetés et condamnés. Christian est assez vertueux pour équilibrer les poids sur la balance. Il est accepté et poursuit sa quête initiatique.

Les descriptions du récit ont pu être interprétées comme des indications précieuses pour la réalisation du Grand-Oeuvre alchimique. Mais les alchimistes étaient fondamentalement des métaphysiciens ésotéristes. La poursuite du Grand-Oeuvre était seulement pour eux le symbole du chemin nécessaire à la réalisation de la transfiguration de l’âme, prélude à la résurrection de la figure divine originelle, l’Homme véritable. C’est le sens caché et véritable des Noces Alchymiques de Christian Rose-Croix, ouvrage qui répète sous une forme différente le message médiéval de la Quête du Graal par Perceval le Gallois. Les écoles spiritualistes rosicruciennes poursuivent aujourd’hui encore dans le Monde l’oeuvre initiatique qui conduit à cette connaissance. Leur enseignement témoigne d’une inspiration rosicrucienne authentique et vivante. Elles adaptent leur message ésotérique permanent aux temps et aux lieux où il est prononcé. Dans notre civilisation, elle va s’appuyer sur les traditions chrétiennes tout en expliquant le sens caché des mythes et des écritures. Jean le Baptiste, c’est le chercheur qui s’éveille et prépare la venue de la force christique renouvelante, puis s’efface pour laisser la place. Marie, c’est le féminin, la vierge, la mère, l’âme humaine qui laisse mûrir cette force en elle-même. Joseph est le père, le masculin qui construit. Jésus, c’est l’enfant nouveau né, la naissance attendue du nouvel homme qui grandit jusqu’à ce que le Christ vivant apparaisse pour incarner et réaliser la transmutation alchimique du vieil homme, la transfiguration, et, au-delà de la mort, la résurrection de la nature divine de l’Homme originel.

Le secret douloureux des dieux et des rois,
c’est que les hommes sont libres.
Ils sont libres
et ne le savent pas.
Mais les Dieux ont un autre secret.
Quand une fois la liberté a explosé
dans une âme d’homme,
les dieux ne peuvent plus rien contre cet homme-là.
Car c’est une affaire d’homme,
et c’est aux autres hommes,
à eux seuls,
qu’il appartient de le laisser courir
ou de l’étrangler.

(J-P Sartre - Les mouches).
 


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Le Ciel, la Vie, le Feu - L'Univers et le Zoran - L'Argile et l'Âme - Autres livres

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Le Ciel, la Vie, le Feu - (Disponibilité du livre)

Le livre en édition papier en télé librairie
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Technique d'impression - Couverture et information
Avant-propos - Introduction
Chapitre 1 - Poussières d'Ėtoiles
Chapitre 2 - De Boue, de Sang, de Peur, de Désir
Chapitre 3 - Les Eaux du Fleuve
Chapitre 4 - Les Rayons Ardents du Soleil
Chapitre 5 - Comme des Flambeaux dans la Nuit
Chapitre 6 - Le Phare ruiné d'Alexandrie
Chapitre 7 - Ombres et Lumières
Chapitre 8 - La Conscience et la Liberté
Tables et références - Table des matières
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