Le Ciel, la Vie, le Feu
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Lévolution des animaux.
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Il ny a point de hasard. (Voltaire) Nous avons vu cela, nous sommes des singes. (Krisnamurti) Ne dites pas mourir, dites naître. (Victor Hugo) Lhomme, tout compte
fait, na rien à dire de lhomme.
Nous nallons pas refaire ici en détail toute lhistoire si controversée de lorigine et du développement de la vie. Nous tenterons seulement de parcourir les théories qui décrivent les êtres habitant actuellement la planète, en portant une attention particulière à cet animal au comportement étrange, dont font partie ces deux individus si intéressants, vous et moi. Actuellement, la vie sur Terre occupe trois empires distincts. Le premier et le second sont à la fois proches de nous dans lespace et éloignés dans les principes. Les êtres vivants qui les habitent sont des procaryotes. Ils ont une forme corporelle élémentaire et une structure assez simple, ce qui ne veut pas dire que leur fonctionnement ne soit pas complexe. Les fonctions de la vie sont toujours compliquées.
Lempire des eucaryotes compte
quelques principautés et trois grands royaumes très
différents, celui des végétaux, celui des champignons,
et celui des animaux qui est aussi celui des hommes. Les
eucaryotes se reproduisent lentement en utilisant des mécanismes
compliqués. Ils construisent généralement des véhicules
corporels complexes. Ces organismes sont formés par lassociation
de nombreuses cellules spécialisées. Les eucaryotes se
nourrissent très souvent aux dépens dautres êtres
vivants. Ils ont appris à programmer leur propre mort
pour en faire un facteur accélérateur de lévolution.
Au cours des âges, cette évolution a conduit à lapparition
dune très grande variété de formes et despèces,
que nous observons aujourdhui. |
Ces inventions,
souvent nécessaires, Entre autres choses ce sont les os et le bois, le sang, la sève, la peau, les feuilles, les yeux, les dents, les fleurs, les griffes, le sexe, le plaisir et la souffrance, la conscience et lamour, la vieillesse et la mort dont jai parlé plus haut. Tous ces moyens daction sont inscrits dans les programmes qui font fonctionner les corps des eucaryotes depuis leur origine lorsquils ont pris le long chemin qui mène à ce jour. Cest donc sur laventure des eucaryotes que je vous propose de vous pencher, en ce début de chapitre. Elle est bien évidemment la notre. De cette très longue histoire, les marques, les blessures, les transformations, les adaptations, les erreurs et les victoires sont inscrites de façon indélébile dans votre propre chair, comme dans la mienne. La mort programmée est une invention de la vie. Je crois nécessaire de revenir un moment sur la durée extrêmement longue qui nous sépare de lapparition de la vie. Le cerveau humain est ainsi fait que les chiffres élevés ne veulent rien nous dire. Comme de nombreux animaux, nous appréhendons directement et sans les compter les valeurs inférieures à cinq. A partir de six, le dénombrement devient nécessaire. Lutilisation de ce perfectionnement semble apporter des possibilités illimitées, mais il nen est rien. Si je parle de dix mille objets, ce nombre na pas de signification pour celui qui na pas fait lexpérience de la manipulation effective dune telle quantité. En pratique, il faut compter environ une journée de travail pour dénombrer dix mille petits objets, tout en les maintenant en ordre. Cela montre que cette quantité est généralement sous estimée. Lorsque je parle de cent millions dannées, je parle de dix mille fois dix mille ans, et cent fois plus encore quand jévoque les débuts du Soleil. Nous avons alors besoin dimages très évocatrices pour donner un sens à ce propos, mais elles restent largement insuffisantes pour représenter la réalité, et il faudra que le lecteur fasse un puissant effort dimagination pour y parvenir, sil y parvient. Jai déjà utilisé limage dune prairie dans laquelle chaque brin dherbe figurait une année de la Terre, et je désire renforcer cette image. Notre Terre sest formée il y a quatre milliards et huit cents millions dannées. Comment mieux figurer ce temps passé ? Imaginons un papillon céleste, magique, et éternel. Chaque année, au solstice dété, et depuis la formation de la planète, ce papillon vient secouer légèrement ses ailes, toujours au même endroit dune plaine imaginaire. A chacune de ses visites, quelques écailles imperceptibles se détachent et tombent au sol. Leur épaisseur est dun micron, soit un millième de millimètre.
Depuis son début, la Terre entière a
été bouleversée par des cataclysmes extrêmement
puissants et ravageurs. Des astéroïdes et des bolides
tombaient fréquemment du ciel. Tout le globe était
composé de lave ou de pierre en fusion, dont la surface
se figeait lentement, tandis que les matériaux de
constitution sédimentaient peu à peu, par densité,
jusquau coeur de fer liquide. Leau des mers
en ébullition formait dénormes nuages, noirs dorages,
qui cachaient le Soleil. La pluie se déversait en
cataractes, ruinant les rares terres émergées, et sévaporant
aussitôt. Des volcans gigantesques jaillissaient
partout, et des tremblements de terre incessants
remodelaient la surface, en effaçant toute trace des états
précédents. Cependant, on a découvert en 1966, dans un
très ancien terrain montagneux du Transvaal, ces
vestiges dont je parle. Ces traces de matière organique
se présentent sous forme de minuscules bâtonnets, de
taille inférieure au micron. Dautres sites moins
anciens ont livré des microfossiles dalgues
bleues datant de deux milliards et trois cents millions dannées.
A cette époque, la photosynthèse était donc
probablement possible, et loxygène pouvait
commencer à se répandre dans latmosphère. |
On a longtemps parlé de quatre époques représentant le passé de la Terre. A partir de connaissances scolaires, les gens imaginent souvent que les ères dites primaire, secondaire, tertiaire, et quaternaire, correspondent à toute lhistoire géologique et naturelle de la planète. Cest une image tout à fait fausse, et on utilise aujourdhui dautres termes pour décrire des périodes plus nombreuses et plus diversifiées. Lère primaire nétait pas du tout la première. Avant lère primaire, que lon appelle maintenant paléozoïque, laquelle nest pas proportionnellement enfouie très loin dans notre passé, il sest écoulé une période extrêmement longue, qui a duré plus de quatre milliards dannées. On la divise généralement en deux. De moins 4 600 millions jusquà moins 2500 millions dannées, cest larchéen. Ensuite seulement, et jusquà moins 540 millions dannées, cest le protérozoïque. (Lère dite primaire ne vient après). Cest dans cette très ancienne période précambrienne que réside lessentiel de lhistoire de la Terre ainsi que celle du début de la vie. Plus proche de nous, ce qui reste de ce temps passé demeure, à notre échelle, très long. Ce reste renferme lessentiel du développement progressif de cette vie primitive. Avant les premières proto-cellules, les mers immenses contenaient seulement dinnombrables et microscopiques assemblages datomes qui préparaient larrivée des vivants. Il sagissait de grosses molécules complexes, de la taille probable dun seul gène, dont certaines étaient devenues capables de se répliquer. Les premiers vrais habitants de la Terre sont donc ceux qui peuplent actuellement les deux premiers empires. Les bactéries ont commencé, au milieu de larchéen. Bien plus tard vinrent les algues bleues au début du protérozoïque, il y a deux milliards dannées. Ces précurseurs de la vie, les prébiontes, subsistaient en autarcie, à partir des composés chimiques disponibles dans les océans primitifs. Ils ne mourraient jamais, sauf par accident, et se reproduisaient par clonage, ou division cellulaire, en consommaient toutes la matière élaborée disponible. Lorsque les nutriments vinrent à manquer, les conditions nouvelles imposèrent la sélection de certaines propriétés particulières, celles qui étaient nouvellement liées au maintien de cette existence perpétuelle. Lalternative était tout simplement la mort en masse. Lorsque je dis que les conditions nouvelles conduisirent à un choix, ce nest quune façon commode dexprimer la situation. En fait, il nétait pas obligatoire ou nécessaire que quelque chose fût imposé ou choisi. Cependant, puisque nous sommes là, cest indéniablement que cela a eu lieu. Nous devons prendre en compte limmensité des temps géologiques aussi bien que notre grande méconnaissance des formes et des solutions adoptées par les prébiontes. En réalité, nous ne pouvons pas savoir si la mortelle solution alternative na pas été utilisée une, plusieurs, ou de nombreuses fois, jusquà ce quun jour la sélection, peut-être, favorise enfin une solution viable. Celle-ci a débouché sur le mode actuel de survie, cest-à-dire sur la vie courante. Il est donc naturel que cette dernière ne soit pas parfaite. Ce nétait pas le meilleur mode possible, ni le plus mauvais, mais simplement celui quun facteur incident a autorisé. Il se peut que cela soit ce que nous appelons conventionnellement le hasard, à moins quil sagisse de quelque autre facteur inconnu. Peut-être ce mode de vie nest-ce pas non plus le dernier car, à en juger par les sérieux désordres de la situation actuelle, lexpérience nest probablement pas terminée. Il ne faut dailleurs jamais oublier que la forme de vie dominante ici bas reste la bactérie, même en termes de biomasse. Nous ne savons pas combien dexpériences ont échoué. Léternité a tout son temps. Il
en est dailleurs de même pour lUnivers des
étoiles. Nous ne savons pas si celui qui nous contient
est le premier ou le dix millième. Concernant lapparition
des vrais vivants, nous ne savons rien non plus, ou bien
peu, ni combien dextinctions plus ou moins massives
ont dispersé puis recyclé les composés organiques
primitifs dans locéan primordial, avant que sétablisse
le relatif succès de la solution présente. |
Rappelez-vous que trois milliards dannées se sont écoulées sans laisser beaucoup de traces. De nombreuses réalisations étaient possibles et elles ont probablement eu lieu. La sélection de la capacité à subsister en élaborant les aliments nécessaires à partir du milieu, puis en les y prélevant au détriment des autres composants, induisit des comportements nouveaux et indispensables, dont la prédation, le parasitisme et autres appétits, mais aussi la fermentation et la photosynthèse. Ces comportements révolutionnaires ajoutaient à la faculté de se reproduire à lidentique, une faculté nouvelle, laptitude à dépasser les limitations nutritionnelles du milieu. Cest à partir de cette aptitude, soit à élaborer des composés organiques supplémentaires, lautotrophie, soit à se nourrir de ceux produits par dautres êtres, lhétérotrophie, quil est possible de définir lapparition de ce que nous appelons les véritables êtres vivants. Les vivants subsistent surtout au détriment des vivants. Il y a plus de trois milliards dannées, la plupart des nouveaux êtres étaient autotrophes et utilisaient la fermentation. En inventant la chlorophylle, les algues bleues choisirent la solution de la photosynthèse. Un milliard dannées plus tard, la plupart des nouveaux venus firent un autre choix. Henri Laborit établit ainsi les caractéristiques de lêtre vivant.
Dans la pensée de Laborit, ces fonctions sont soumises à une commande extérieure venant du milieu englobant. On a affaire à une organisation par niveaux successifs. Le système est ouvert sur le plan énergétique, condition sans laquelle il ne saurait perdurer. Il est maintenu par un apport dénergie venant de lextérieur, principalement constitué par les photons solaires. Pour leur part, John Maynard Smith et Eörs Szathmàry reconnaissent huit transitions majeures dans lévolution des vivants.
Il nest pas question ici de développer point par point ces approches très savantes et très sophistiquées. Sachons simplement que tous ces chercheurs montrent la progressivité dans lorganisation des structures vivantes, et cest bien cela qui nous paraît important. A un certain stade de cette histoire étonnante, et lorsque le temps en fut venu, certains parmi ces êtres unicellulaires, qui ne sont que des capsules emplies dADN et de cytoplasme, se sont mis à construire des structures collectives. Cette invention évolutive impliquait des aptitudes nouvelles telles la spécialisation de certaines cellules dans une fonction particulière, comme la capacité à communiquer avec dautres cellules, ou/et à organiser géométriquement la construction dune grande structure collective, pour ne citer que celles-ci. Certaines colonies actuelles de myxobactéries, placées dans des conditions périlleuses de sécheresse menaçant leur survie globale, sont tout à fait capables dengager un processus qui concerne des centaines de milliers de cellules, et qui leur permet.
Ces spores dispersables ont une paroi plus résistante. Ils se voient confier la tache hasardeuse de transférer au loin la reproduction de la colonie menacée. Il est évident quun tel comportement implique une communication, une programmation, et une collaboration, relativement complexes chez ces organismes dits rudimentaires. On peut y voir la manifestation de lintelligence de la situation, pour autant quon donne à cette notion une valeur suffisamment large. Mais on touche aussi du doigt ici certaines inventions capitales, dont celle de la modification structurelle, ou celle du sacrifice de certaines parties pour la survie des autres, cest-à-dire de la mort cellulaire. Cela prépare aussi les spécialisations fonctionnelles, et en particulier la reproduction. Au niveau dorganisation suivant, la mort cellulaire ne sera plus seulement accidentelle ou pathologique mais sera programmée par le vivant pour devenir un outil fondamental de la morphogenèse. Dés lors, lexubérante prolifération cellulaire qui caractérisait le mode dexistence des procaryotes originaux, sera toujours associée à la programmation systématique et organisée de la mort par autodestruction sélective dun très grand nombre de ces cellules. Lexistence des eucaryotes associe toujours la vie et la mort. Dautres petits êtres vivants actuels, les Volvox, nous confirment dans lidée que cest probablement bien ici que se produit le basculement dun type dorganisation à un autre. Les Volvox sont des flagellés que lon classe souvent parmi les végétaux. Ces organismes très simples constituent une transition assez floue entre lorganisation unicellulaire et le niveau multicellulaire. Ils forment des colonies au sein desquelles certaines cellules sont spécialisées, dans la nutrition, la locomotion, ou la reproduction. Les volvox envoient des colonies filles qui se développent et se reproduisent alternativement tandis que lorganisme dorigine meurt. A ce niveau dévolution, et avec le début de la spécialisation des cellules et des générations, on voit soudain apparaître la loi fondamentale et inexorable des multicellulaires, naître, croître, et mourir de façon programmée. La loi nouvelle,
cest naître et grandir, vivre et se reproduire, |
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Il est intéressant de visiter le pavillon dAnatomie Comparée, à Paris, au Jardin des Plantes. Le plan remarquable dorganisation des collections de squelettes amène à des constats troublants. La première évidence, cest limportance énorme des gueules et des dents. Toutes ces dents atroces, mon Dieu ! Tous les organismes sont faits pour voler, nager, ou courir, mais surtout pour manger, donc pour détruire. La seconde évidence, cest la relative mais réelle unicité du plan structurel des vertébrés, actuels ou fossiles, qui constituent la partie la plus spectaculaire de lexposition. La visite sachève au niveau des Primates et il y a là aussi deux grandes évidences. La première est que lHomme est bien à sa place au sein des espèces présentées, tant dans le cortège homogène général que dans le groupe où il est placé. Et pourtant, simultanément, il est également tout à fait évident que sa mise en relation avec cet environnement fondamentalement animal est complètement fausse. Sa place est ailleurs. Cest une impression très forte. Tout paraît à la fois comparable et différent. Il semble nécessaire, non pas seulement de déplacer ailleurs le spécimen, mais de lôter complètement. On touche là du doigt une forme de raisonnement étrangère au monde occidental. Le squelette humain est bien à sa place dans la collection animale, et tout à la fois, il ny est pas du tout. Allez donc au Jardin des Plantes, et constatez vous-mêmes. LHomme est tout à la fois un animal et son contraire. Cest un constat lourd de conséquences. Les hommes usent des structures, des mécanismes, des organes, des pulsions, et des autres fonctions du monde animal. Mais les images animales ne sont pas les images humaines. Les vertus animales ne sont plus nos vertus. Les valeurs animales se mesurent dans les capacités des plus vigoureux et des plus aptes, à faire survivre lindividu le mieux adapté propre à perpétuer lespèce. Elles sexpriment donc en valeurs dagilité, de force, de vitesse, de prédation, de rivalité, de combat, de férocité, et de capacité meurtrière. Le parangon animal des vertus est le tueur. Nous, les hommes, ressentons très profondément les messages électrochimiques des organismes primitifs que sont nos cellules. Elles expriment leurs besoins fondamentaux afin dêtre en mesure de réaliser leur programme de construction et de conservation des structures collectives fonctionnelles qui constituent notre corps. Nous devons aussi savoir quentre-temps, une enveloppe animale a épousé de lintérieur ce corps électrochimique collectif. Nous portons depuis, en nous, plus jeune et plus exigeant, ce féroce animal originel dont les capacités de meurtre et de prédation ont été perfectionnées par lémulation et la sélection naturelle. Les facultés, les moyens, les systèmes et les outils correspondants ont été soigneusement mémorisés dans nos gènes. La machine corporelle les reconstruit, les perfectionne, et les remet à loeuvre méthodiquement à chaque génération. Par le dégoût, la répugnance ou lhorreur même que nous inspirent les comportements naturellement biologiques, égoïstes, féroces ou sanguinaires des animaux, (comme parfois, hélas, ceux de lhomme-animal qui sen démarque à peine), nous comprenons une chose très importante. Cet être doit donc exprimer son essence différente par le renoncement conscient à lanimalité et à ses valeurs. Quand il parvient à maturité de conscience, les propriétés animales évolutives ne lui sont plus nécessaires. Lorsque lon entre dans ce champ nouveau dexpression de la vie, on acquiert une conscience actuelle, nouvelle, et différente de la nature des valeurs animales. Elles apparaissent soudain répugnantes, ou horribles, car elles appartiennent à lexpression dun ancien champ de vie qui appartient désormais au passé. On doit donc, nécessairement et logiquement, quitter à linstant ce domaine étranger. Les comportements animaux ne sont plus nécessaires. Nous devrons donc, à ce moment et ici même, y renoncer et prendre notre place essentielle nouvelle au sein de lUnivers. La nature inconsciente qui nous environne nest ni bonne ni mauvaise, elle est seulement dramatiquement indifférente à la souffrance des créatures qui peuplent la Terre. Quen est-il
de vous-mêmes ? |
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