Si vous croyez
Si vous croyez qu’il
est facile
De dire : Je
veux oublier,
Et de s’essayer,
malhabile,
Á plaisanter et
babiller...
Si vous croyez que
l’on peut voir
Sur vos traits un
peu de dépit,
Sans qu’aussitôt le
désespoir
Ne s’empare du cœur contrit…
Si vous croyez que
votre main,
Dont la pression souvent enfièvre,
Ne peut pas, baume
souverain,
Se poser, douce, sur
la lèvre…
Si vous croyez que
vos beaux yeux
Ne savent pas aussi
sourire
Et rendre un cœur
moins malheureux
Et l’arrêter dans
son délire…
Si vous croyez que
votre nom
Ne vient pas
troubler bien des rêves ;
Qu’un oui de vous,
ou bien un non
Ne suffit pas aux
heures brèves…
Si vous croyez qu’on
peut souffrir,
Toujours avoir l’âme
en déroute…
Mais qu’un jour on
en peut mourir,
Vous ne le croyez
pas, sans doute ?
|
Variations
Rose et fraîche,
elle n’est pas celle
Dont on dit en se
retournant :
Oh ! Voyez donc
comme elle est belle !
Et que l’on admire
en passant.
Mais sous la
paupière mi close,
Si ses yeux
s’arrêtent sur vous,
Si son regard
troublant se pose,
Quelques instants, frôleur
et doux,
Alors on veut la
voir encore,
Alors on a plus
qu’un désir :
Elle est de celles
qu’on adore ;
L’on ne veut plus
que revenir.
Souple et gracieuse
en sa pose,
Dans un costume
harmonieux,
Un sourire à sa
lèvre rose,
De la malice dans
les yeux,
En sa nonchalance
traitresse,
Elle trouve la mot
hardi,
Et le regard hautain
qui laisse
Un don Juan tout
étourdi.
Mais au clavier,
lorsque sans trêve,
Pleine de larme sous
sa main,
Chante une musique de
rêve
Qui bercerait
jusqu’à demain,
Alors l’ardeur se fait moins vice,
Du regard devenu
rêveur,
Et la bouche se
tait, pensive,
Pour écouter parler
le cœur.
|
Soir de fête.
Á l’éclat des
flammes ardentes,
Et dans le bruit
grisant du bal ,
Un fau monte à ses
joues brûlantes
Et rehausse un teint
sans égal.
Son beau front
blanc, sous sa couronne
D’abondants cheveux
presque noirs,
Sans effort apparent
lui donne
L’air qu’elle aime
en de pareils soirs.
Que la robe soit
bleue, soit blanche,
Sur fond d’or, gaine
de velours,
Seyant au corsage
qui tranche,
Le goût est sûr et
fin, toujours.
Cambrée dans sa
taille bien faite,
Un sourire aux
lèvres, frondeur,
Elle est la reine de
la fête :
Cela suffit à son
bonheur.
Elle sait bien que
tout l’admire,
Et, suivie par mille
regards,
Elle garde son fier
sourire
Qui commande tous
les égards.
Mais sous ce masque
de coquette,
Parfois, au fond de
ses beaux yeux,
Se révèle, voilée,
discrète,
La tristesse des
cœurs soucieux.
Ses chers yeux
bruns, au regard tendre,
En s’abandonnant un
moment,
Font voir, à qui
sait les comprendre,
Sans vains apprêtes,
tout simplement,
L’âme mélancolique
et douce,
Cachée sous des
dehors trompeurs,
Comme l’eau vive
sous la mousse,
Un nid d’oiseau
parmi les fleurs.
|
Fleurs de
pêchers
Les pêchers sont en
fleurs, joie fraîche, gai frisson,
Des blancheurs dans
l’éveil de l’aube printanière,
Des gazouillis
d’oiseaux vibrant à l’unisson
Chantent d’un ton
perlé la symphonie légère
Des fleurs, -
blancheur de chairs aux reflets de satin.
L’on dirait que du
ciel, par une folle brise,
Un vol de papillons
a neigé ce matin,
Gardant, nés de
l’aurore, à leur aile qu’irise
Un peu d’azur d’en
haut, leur poudre de velours,
Frais duvet qui
ressemble à de la veloutine
Dans la rose et l’or
clair de l’air, en pluie fine
Au lever radieux du
plus charmant des jours.
Imité du japonais - juillet 1903 - France
|
Hymne
Le printemps est
dans l’air; partout sa tiède haleine
Éveille un frisson
délicieux;
Le printemps est partout sur le mont et la plaine;
Mais il est surtout
dans tes yeux.
Tes chers yeux
bruns, si beaux, qu’un peu de chaleur dore,
Sont bien tendres
quand tu veux bien ;
Et de les voir
ainsi, très doux, je les adore,
Et cela ne te coûte
rien !
Quand mon regard se
pose, affolé de tendresse,
Sur tes lèvres,
plein de désir,
D’y goûter un
instant d’incomparable ivresse,
Avant-goût des joies
à venir,
Je sens qu’n mon
cœur gronde une passion farouche,
Et mon sang se
presse, brûlant ;
Et je ne veux plus
rien que boire à cette bouche,
La vie, l’amour,
éperdument.
Et tout dans la
nature est plein de rêves roses,
De bruit d’abeille
et de baiser ;
Comment ne pas
t’aimer quand, paupières mi-closes,
Tu t’étends pour te
reposer ?
J’oublie tout sur la
terre en sentant la tiédeur
De ton épaule ou de
ton sein,
Et je voudrais
mourir en entendant ton cœur
Battre à coups
pressés sur le mien…
|
Un nom
Ton nom est doux et
clair ainsi qu’un chant d’oiseau.
Il chante dans mon
cœur comme une cantilène,
Air ancien modulé
sur un rythme nouveau
Plein de langueur
italienne.
Leit-motiv éternel de
mes pensées du jour,
Il hante mon sommeil
et je tressaille en rêve
D’entendre soupirer
comme un appel d’amour,
Le nom que je redis
sans trêve.
Il est doux comme
toi, alerte et gracieux,
Pareil à ce beau
corps qui me brûle de fièvre,
Il évoque en mon cœur
le regard de tes yeux :
Je crois le baiser
sur mes lèvres.
Il te sied comme
tout ce que tu portes, toi !
Comme à ton front si
blanc ta chevelure sombre,
Á ta bouche si rose
un baiser plein d’émoi,
Á ton clair regard
un peu d’ombre.
Quand je reste
parfois, à m’oublier le soir,
Dans une rêverie
mélancolique et tendre,
Si ma pensée se
berce à quelque doux espoir,
C’est ton nom que je
crois entendre.
Lis le donc dans mes
vers de ce dernier quatrain,
Écrit, le nom aimé
de la plus chère femme,
Lumière de ma vie,
qui, dans sa jolie main,
Idole et reine,
tient mon âme.
|
Angoisse
Le temps fuit comme
un rêve,
Rêve bleu, gris ou
noir,
Sans arrêt et sans
trêve,
Le soir succède au
soir.
Quand j’interroge
ton visage,
Et que je regarde tes
yeux,
Un doux et décevant
mirage,
Pour un instant me
rend heureux.
En cette heure
fugace,
Je vis de mon
amour :
Mais bientôt elle
passe,
Hélas ! Encore
un jour…
Oh ! Si je
pouvais l’arrêter
Cette heure où je me
sens revivre,
Où je ne fais que
répéter
Les aveux dont mon
cœur est ivre !
Mais le sang brûle
en vain :
Partir, voir
disparaître
L’aimée jusqu’à
demain,
La verrai-je ?
Peut-être…
Et je me vois seul
dans la nuit,
Et l’âme est lourde
de tristesse
L’avenir est noir.
Rien ne luit,
L’angoisse me serre
et m’oppresse.
Demain !
Terrible sphynx,
Fantôme qui déchire,
Et que des yeux de
lynx
Mêmes ne sauraient
lire !
O nuit où je ne puis
dormir ;
Où son nom et sa
voix m’obsède
Où me poursuit son
souvenir ;
Où le rêve insensé
me cède !
Que me garde le sort ?
La vie, un peu de
rose ?
Où bien est-ce la
mort
Qui seule, enfin
repose ?
|
Fantaisie en
ton mineur
S’il est vrai qu’il
n’est point sur terre
Pour moi de bonheur,
Et que le plus doux
mystère
Qui naisse en un
cœur,
Ne bercera plus mon
âme,
Même pour un jour,
D’un doux sourire de
femme,
Un rayon
d’amour ;
S’il est vrai que ma
jeunesse
Á jamais a
fuit ;
Que ce rêve de
tendresse
S’est évanoui,
Alors qu’un baiser
timide,
Posé sur sa main,
Rend heureux mon
cœur avide
Jusqu’au lendemain
S’il est vrai que
tout s’envole,
Dernière illusion,
Qu’au passé mon cœur
immole
Sa chère
vision :
Avant que le soir
arrive,
Et bientôt la nuit,
Il vaut mieux à la
dérive,
Sans larmes, sans
bruit,
S’en aller de la vie
belle,
En disant son nom,
Sans murmurer de ce qu’elle
A répondu :
Non !
|
Roses
En une amphore au
fin contour,
Écloses,
S’épanouissant tour
à tour,
Les roses
Aux tons pâles,
roses, foncés,
Si belles,
Ouvrent leurs
pétales froncés
Et frêles.
Leur vie née de ce
matin,
Si brève,
Passera jusqu’à demain,
En rêve,
Embaumant de leur
odeur
Exquise
La minute de bonheur
Conquise.
Sur des lèvres au
ton pourpré
Plus roses
Que le calice diapré
Des roses,
Où le sang, superbe
et pur,
Embrase
D’un trouble
puissant et sûr
D’extase.
Mon cœur à qui
disent tant
De choses
Ces belles lèvres,
pourtant
Bien closes.
O roses, sœurs des
amours
Inquiètes,
Fleurs favorites,
toujours
Discrètes,
Portez mes vœu, vous
qui savez
Ma flamme,
Prenez l’aveu, car
vous avez
Une âme.
|
Fantaisie
Un frais bouton de
rose-thé
Á l’aube grise est
près d’éclore :
Pour épanouir sa
beauté,
Il n’attend qu’un
regard d’Aurore.
Le clair soleil de
Floréal,
D’un baiser brûlant
la caresse :
La fleur ouvre son
sein royal
Plein de désir, prêt
à l’ivresse.
Mais déjà la brise
du soir
Vient d’effleurer la
vierge folle :
La corolle s’est
laissée choir
Á l’instant sa
beauté s’envole.
Maintenant, dans
l’ombre nocturne,
La rose flétrie va
mourir :
Il ne demeure au
fond de l’urne,
Que la cendre du
souvenir.
|
Bémol et dièse
Haut et difficile
est le but
Et le courage
parfois sombre :
L’être entier vibre
comme un luth,
Espère ou s’abîme
dans l’ombre,
N’attendant que le
dernier : chut !
Et s’endormir au
gouffre sombre.
Haut les cœurs quand
le but est grand
Et l’amour fait
beaucoup sur terre ;
L’âme s’élève e un
instant,
Et l’avenir, sphinx
et mystère,
Ne montre pas que le
néant :
Et l’heure vient où
l’on espère.
|
L’œillet
La fillette avait
pris le missel de l’aïeule
Et les feuillets
jaunis tournaient aux doigts légers ;
Distraite, elle
rêvait, et, de se sentir seule,
Une mélancolie, des
soucis étrangers,
Á son front de seize
ans mettaient un peu de brume,
Mais, sur ses lèvres
passe un sourire très fin ;
Dans les yeux bleus,
rieurs, un éclair gai s’allume,
Et sur la bouche on
pose un petit doigt mutin :
Des pages du missel
une fleur glisse et tombe,
Un œillet, blanc
jadis, à présent desséché,
C’est, dans le livre
pieux, comme dans une tombe,
Un peu de vie
d’antan et de monde, arraché…
La fillette s’en est
venue vers la grand’mère,
Et, posant son front
blanc, câline, à ses genoux,
Regarde longuement
cette tête si chère,
Aux boucles
argentées, au regard bleu, si doux ;
Puis, avec un
baiser, demande, rougissante,
L’histoire de
l’œillet, pris dans le vieux missel
Comme au soleil
levant, sur l’herbe chatoyante,
Dans une goutte
d’eau s’est pris un coin de ciel.
Un peu de rose monte
aux joues de la grand’mère,
Et son regard très
doux se pose en souriant
Sur l’enfant
répétant sa naïve prière,
Et ses doigts
caressants frôlent ce front charmant.
C’est si loin, ce
passé !... J’avais seize ans, petite,
Seize ans ! Et
j’étais belle, et fraîche comme toi ;
Des joues roses
aussi, un cœur qui bat plus vite,
Pour un regard, un
rien, aussitôt en émoi ;
Et des cheveux très
blonds, ma plus belle parure,
Des cheveux d’or
léger, volant au moindre vent ;
Pleine de vie,
d’entrain, puis, ma foi, de l’allure :
Je connais bien des
cœurs qui s’y sont pris souvent ;
Teint de rose et
lis ; et des yeux... Vois mes yeux,
Les mêmes, mais plus
bleus, pleins de rêve et d’ivresse,
N’ayant, comme les
tiens, connu que jours heureux.
C’était un soir de
Mai ; dans l’air, une caresse,
Vous effleurait les
joues, à perdre la raison ;
Un souffle de
printemps courait avec la brise,
Et le soleil à peine
avait fui l’horizon.
Les fleurs, la nuit
qui vient… Oh ! La douceur exquise
De ce beau soir,
avec le parfum des lilas
Flottant, léger,
dans l’air, tout embaumé, suave…
Et de ce si beau
soir, il ne me reste, hélas !
Qu’une fleur
desséchée, cet œillet, frêle épave.
C’était mois de Marie.
Nous allions, toutes deux,
Ma mère et moi,
prier tous les soirs à l’église.
Ah ! Que
j’étais distraite alors, et je prie mieux
A présent. Mais
seize ans… Cette soirée qui grise !
Je remarquais
souvent qu’un homme me suivait ;
Oh ! De loin,
mais toujours ; jeune, la figure douce ;
Et, derrière un
pilier, fidèle, il attendait ;
Son regard
m’adorait ; j’avais une secousse
Au cœur, à chaque
fois que je voyais ses yeux :
Ils exprimaient si
bien cette grande tendresse
Qu’ont seuls les
cœurs très purs, le joyau précieux
Que l’on gaspille
tant au temps de la jeunesse.
Or, ce soir, son
regard dans l’ombre me brûlait.
Il nous suivit longtemps, jusqu’à notre
demeure ;
Dans la brise du
soir, à mi-voix il chantait
Et sa chanson, je me
la rappelle à cette heure.
« Je veux que
la brise du soir
« Te dise que
mon âme est ivre.
« Donne à mon
cœur un peu d’espoir :
« Un mot de toi
me fera vivre.
Arrivé près du
seuil, il était là tour près :
Je sentis dans la
nuit sa main toucher la mienne.
Il y mit cette
fleur… Pourquoi faut-il qu’après
Tant d’années
disparues, d’un soir je me souvienne ?
Je ne l’ai plus
revu ; J’en rêvai, bien des fois,
Et, malgré les
chagrins, les plaisirs et le rêve,
Car la vie, ma
petite, est faite, tu le vois,
De rose avec du
noir, elle donne, elle enlève ;
Malgré tout, j’ai
gardé ce frêle souvenir.
Les années ont passé
sur cette tête blanche ;
Je sens que c’est
bientôt que ma vie va finir ;
Et cependant,
vois-tu, mon front ému se penche
Vers cet œillet
flétri que j’embrasse souvent.
Toute entière au
passé, dont revivent les charmes,
L’aïeule s’était
tue, l’âme bien loin, rêvant,
Les yeux bleus de
l’enfant étaient remplis de larmes.
|
Fol espoir
« Dire à
l’heure qui passe, à l’heure exquise et folle
« Qui précède
toujours le moment des adieux
« Oh ! Ne fuis pas !... Mais
non, la voila qui s’envole,
« Remonte aux
cieux ;
« Sentir son
cœur serré, brûlant dans sa poitrine,
« Battre à
grands coups pressés la marche de l’amour
« Rien qu’en
frôlant le bout de sa main, douce et fine
« Pour tout un
jour ;
« Voir en ses
beaux yeux bruns, qui disent tant de choses,
« Son âme toute
entière en sa mobilité,
« Et la fierté
qui dort en ses paupières mi-closes,
« Et la
bonté ;
« Rêver quand
sous ses doigts, sur le clavier d’ivoire
« Pleure un chant
de douleur, Mendelssohn ou Chopin,
« S’abandonner
encore à la douceur de croire,
« Rêver sans
fin ;
« Aimer
éperdument, avec toute son âme,
« Ne redire
qu’un nom, le matin et le soir,
« Et mettre,
malgré tout, dans le cœur d’une femme
« Son seul espoir ;
« Vivre ainsi,
l’âme triste et l’esprit en démence,
« Attendant
follement un : oui, de l’avenir,
« Et quand
disparaîtra cette frêle espérance,
« Alors, mourir.
|
Pourquoi ?
Pourquoi ton regard
bleu, comme un rayon d’étoile
Si beau
S’embrume de
tristesse, ainsi que traîne un voile
Sur l’eau ?
Pourquoi tes longs
cils noirs, doux comme le plus tendre
Velours
Ne laissent que des
pleurs sur ta joue se répandre
Si lourds
Ton visage est
pareil à celui d’une fille
Du Rhin ;
Tes superbes
cheveux, tel sous le soleil brille
L’airain
Roulant en diadème à
ton beau front de reine
Plus blanc
Que le mystérieux
manteau de la sirène
D’argent
Et de rayons paré,
dans l’ivresse d’un rêve
Divin
Qui se déroule et
berce et jamais ne s’achève
Sans fin.
De tristesse voilé,
ce front si beau se penche :
Des pleurs
Mouillent ces yeux
d’un bleu plus pur que la pervenche,
Deux fleurs
Comme la plainte
ailée d’une lyre qu’on frôle,
Ta voix
Vibre dans le
sanglot d’une âme qui s’envole…
Pourquoi ?...
|
Dizain
Où donc est-il sur
terre,
Ce lieu de doux
oubli ;
Où l’âme encore
espère
Et se tait tout
ennui.
Où donc es-tu sur
terre,
Bienheureuse
patrie !
Mon cœur toujours
t’espère
Illusion
chérie :
Là-bas l’amour sur
terre
Et le rêve infini…
|
Trois mots
Toujours ! Un
mot hardi qui défie l’avenir,
Enfermé tout entier
dans les plis d’une robe,
Triomphe, espoir et
joie de l’amour à son aube :
Oh, garde au moins
le souvenir.
Jamais ! Le mot
de glace et de deuil rempli d’ombre,
Tombant sinistre et
froid sur le cœur éperdu
Qui vibrait de
tendresse et bravait l’inconnu ;
Espoir, amour et
foi : tout sombre.
Mais Dieu nous a
laissé, dans sa pitié pour l’être
Qu’il créa faible et
nu, le mot sublime et doux
Qui nous permet le
rêve, espère malgré tout
Et sourit dans les
pleurs : Peut-être.
|
Blessure d’âme
« Quand le roi
des forêts du Nord, le libre élan,
« D’une balle mortelle a reçu la
blessure,
« Il s’arrête
d’abord pour se mordre le flanc
« Et sa douleur
s’avive avec cette morsure.
« Puis il
repart soudain à travers les fourrés,
« Brisant de
ses bois durs, en sa course sauvage,
« Arbres morts,
jeunes troncs, et rameaux trop serrés ;
« Tout craque,
tout s’abat, fauché sur son passage.
« Il va. Son
poil est moite, et ses naseaux fumants
« Aspirent
l’air glacé ; ses yeux ont un feu sombre ;
« Brusquement,
il frissonne, et, sur ses pieds tremblants
« Chancelle,
fléchit, tombe, agonise dans l’ombre…
« Il est de ces
beaux yeux dont les regards très doux,
« De ces lèvres
aussi dont les charmants sourires,
« Blessent les
cœurs aimants et les rendent plus fous
« Que ne fait
une balle et les plus durs martyres.
« Il a suffi
parfois d’une pression de main ;
« D’un regard
qui vous dit en souriant : « Peut-être » ;
« D’une très
douce voix qui vous dit : « à demain ! »
« Pour que vous tressailliez jusqu’au
fond de votre être,
« Et ces
blessures là, nous les gardons toujours ;
« Mortel et
cher poison, bu des yeux d’une femme,
« Il nous brûle
les nuits, et nous compte les jours.
« La blessure
qui tue, c’est la blessure d’âme.
|
Aveu
Si je suis assis
loin de toi,
Mon regard te fuit
et t’évite,
Pour cacher
l’invincible émoi
Dont mon cœur,
hélas ! palpite ;
Mais bientôt, ainsi
qu’un aimant,
Tes yeux, ton
visage, toi toute,
Attirent mon regard
aimant :
Et me voila tout en
déroute.
Les rires et joyeux
propos
Vont bruissant à mon
oreille :
Comment pourrais-je
être en repos,
Les yeux sur ta
lèvre vermeille ?
Et si je suis à tes
cotés,
Mon cœur bat, mais
je me sens vivre,
Et mon sang coule à
flots pressés,
Et je deviens tout-à-fait
ivre.
Si je ferme un
instant les yeux,
Aussitôt je vois ton
visage,
Ton corps aux
contours gracieux,
Et je m’affole à ce
mirage.
Ton nom charmant,
doux et léger,
Ton nom, je le dis
avec fièvre,
Il me fait l’effet
d’un baiser
Qui vient se poser sur
ma lèvre.
Quand j’effleure ta
blanche main
Ta bouche ou ta joue
rougissante,
Je garde jusqu’au
lendemain
Une âme inquiète et
frémissante.
Je t’aime :
hélas ! puis-je ravir
De mon cœur ce rêve
suprême ?
Je t’aime, et je me
sens mourir
De cette passion,
mais je t’aime.
|
Une ombre...
Une ombre légère, un
rêve qui passe ;
Un rayon d’azur qui
bientôt s’efface ;
Un regret d’amour,
un élan divin ;
Une coupe amère et
la lie du vin ;
Des pleurs, des
chants, aussi des sourires,
Plus souvent des
brumes et des délires ;
Un printemps qui
fuit, un été brûlant,
Un automne triste et
doux cependant.
Puis un dur hiver
tue ce que l’on aime :
Depuis des siècles,
c’est notre vie même.
|
Deux yeux
bleus.
Ce sont ses yeux
d’un si beau bleu,
Ses beaux yeux d’un bleu
de pervenche :
Ils ont mis dans mon
cœur en feu
Une passion que rien
n’étanche.
J’ai perdu mon cœur,
c’est certain ;
Mais honni soit qui
mal y pense !
Deux yeux bleus
l’ont pris ce matin :
Jane, me voici sans
défense.
J’allais aux
champs ; le soleil clair
Riait sur l’herbe
encore humide ;
Des chants d’oiseaux
montaient dans l’air,
Quand je vis son
regard limpide.
Ses yeux étaient
d’un bleu d’azur :
Pas le moindre petit
nuage.
Aucun saphir n’est
aussi pur :
Un ciel de juin
après l’orage.
Ce n’étaient pas ses
blonds cheveux
Pareils aux épis
d’orge mûre :
Vers ses yeux seuls
allaient mes vœux ;
De tout le reste je
n’ai cure.
Sa joue était su
fraîche à voir
Comme un duvet de
pêche rose…
Ses yeux bleus m’ont
ravi l’espoir
Leur regard en
maître dispose.
Sa lèvre humide, un
papillon
La prendrait pour
une églantine ;
Il voudrait tout
droit, du sillon
Se poser sur sa
gorge fine.
Mais moi, je ne vois
que ses yeux,
Hélas ! et je
ne vis sur terre
Que pour ses yeux si
bleus, ses yeux,
Et j’y veux chercher
le mystère
Qui me fait rêver
sur la terre
Et m’y croire tout
près des cieux.
|
Nuit.
La nuit est sombre
Noyée dans l’ombre
Et mon cœur sombre
Quand vient le
soir ;
Empli de brume
Et d’amertume,
Il se consume
En désespoir.
Dans la nuit,
L’éclair luit.
Un grand bruit
Gronde ;
Au lointain,
Incertain,
L’œil en vain
Sonde…
|
Un air
d’Ukraine.
La blanche clarté
des nuits d’Août
Baigne la ville et
la plaine :
Là-bas venu je ne
sais d’où,
Chante un air léger
d’Ukraine.
Cela gémit au loin,
dans le calme du soir,
Comme un léger
sanglot, ou la très douce plainte
D’une âme abandonnée
qui renonce à l’espoir
Et conte sa foi
morte, illusion éteinte,
Regrets de l’aveu
tendre, et du discret amour,
Des baisers échangés
à l’heure exquise et folle,
De ce qui fait de l’homme
un roi pour tout un jour,
Puis, comme un rêve,
passe, à jamais, et s’envole.
La blanche clarté
des nuits d’Août
Baigne la ville et
la plaine
Là-bas venu je ne
sais d’où,
Pleure un air léger
d’Ukraine.
En sons tristes et
lents, la mélodie soupire ;
Puis se brise
soudain, sur un accord plaintif ;
Il se répète,
cesse ; et dans un souffle expire,
Se tait, la strophe
émue, dite d’un ton craintif
Un instant elle
vibre encore doucement
L’air léger de ce
soir exquis de clair de lune
En prolonge à
plaisir, harmonieusement,
Les notes éplorées
et la tendre infortune.
La blanche clarté
des nuits d’Août
Baigne la ville et
la plaine
Là-bas venu je ne
sais d’où,
Meurt un air léger
d’Ukraine.
Et l’on n’entend
plus rien que le chant d’un grillon
L’esprit rêve, bercé
par la musique lente
Morte à présent,
tombée quelque part au sillon,
Avec l’âme meurtrie,
la ballade dolente
Quelque corde est
brisée sans doute au pauvre cœur,
Et l’instrument
s’est tu… Le silence a des larmes
Aussi ; la
brise pleure. Ecoutez... L’on a peur
Des démons de la
nuit, impurs, jeteurs de charmes..
La blanche clarté
des nuits d’Août
Dort sur la ville et
la plaine
Là-bas a fui, je ne
sais où,
Le léger chant de
l’Ukraine.
|
Á Lélette.
Et maintenant,
Lélette,
Notre printemps a
fui ;
L’an, à mourir,
s’apprête ;
La dernière aube a
lui.
Les lilas et les
roses
Ont paré notre
amour ;
Par mille douces
choses,
Je t’aurai fait la
cour.
Mais, rose ou
chrysanthème,
La fleur te dit tout
bas
Que tout mon être
t’aime…
Tu le sais, n’est-ce
pas ?
Si, dans la tiède
haleine
De Mai, dans le
soleil,
La gracieuse phalène
D’un printemps sans
pareil
N’est plus là qui
volète,
Les premières
ardeurs,
O ma chère Lélette,
Survivent dans les
fleurs
Que Juin ou Juillet,
brûle,
Chère âme, ou que
l’hiver
Cingle de sa férule,
Le sapin reste
fier ;
Tel, dans le temps
des roses
Ou celui des frimas,
Le cœur dont tu
disposes
Pour toi ne change
pas.
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31 décembre 1906 –
Fernand Prévost de Belvaux
– Colonel de l'armée du Tsar
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