Printanières

Les textes des poèmes du recueil N°1

Au début de la révolution russe, les révolutionnaires détruisirent les fondements du régime tzariste, exécutant beaucoup de nobles y compris l'empereur et toute sa lignée. Au fil du temps, cette famille impériale a progressivement été élevée au rang de saints martyrs. On en trouve même des icones.      
Recueil "Printanières" - Textes des des poèmes

Si vous croyez

Variations Soir de fête Fleurs de pêchers
Hymne Un nom

Angoisse

Fantaisie en ton mineur 

Roses

Fantaisie

Bémol et dièse L'Oeillet
Fol espoir Pourquoi ? Dizain Trois mots
Blessure d'âme Aveu Une ombre Deux yeux bleus
Nuit Un air d'Ukraine Á Lélette L'auteur
 

 

Si vous croyez

 

Si vous croyez qu’il est facile

De dire : Je veux oublier,

Et de s’essayer, malhabile,

Á plaisanter et babiller...

 

Si vous croyez que l’on peut voir

Sur vos traits un peu de dépit,

Sans qu’aussitôt le désespoir

Ne s’empare du cœur contrit…

 

Si vous croyez que votre main,
Dont la pression souvent enfièvre,

Ne peut pas, baume souverain,

Se poser, douce, sur la lèvre…

 

Si vous croyez que vos beaux yeux

Ne savent pas aussi sourire

Et rendre un cœur moins malheureux

Et l’arrêter dans son délire…

 

Si vous croyez que votre nom

Ne vient pas troubler bien des rêves ;

Qu’un oui de vous, ou bien un non

Ne suffit pas aux heures brèves…

 

Si vous croyez qu’on peut souffrir,

Toujours avoir l’âme en déroute…

Mais qu’un jour on en peut mourir,

Vous ne le croyez pas, sans doute ?

 


Variations

 Rose et fraîche, elle n’est pas celle

Dont on dit en se retournant :

Oh ! Voyez donc comme elle est belle !

Et que l’on admire en passant.

 

Mais sous la paupière mi close,

Si ses yeux s’arrêtent sur vous,

Si son regard troublant se pose,

Quelques instants, frôleur et doux,

 

Alors on veut la voir encore,

Alors on a plus qu’un désir :

Elle est de celles qu’on adore ;

L’on ne veut plus que revenir.

 

Souple et gracieuse en sa pose,

Dans un costume harmonieux,

Un sourire à sa lèvre rose,

De la malice dans les yeux,

 

En sa nonchalance traitresse,

Elle trouve la mot hardi,

Et le regard hautain qui laisse

Un don Juan tout étourdi.

 

Mais au clavier, lorsque sans trêve,

Pleine de larme sous sa main,

Chante une musique de rêve

Qui bercerait jusqu’à demain,

 

 Alors l’ardeur se fait moins vice,

Du regard devenu rêveur,

Et la bouche se tait, pensive,

Pour écouter parler le cœur.

 


Soir de fête.

Á l’éclat des flammes ardentes,

Et dans le bruit grisant du bal ,

Un fau monte à ses joues brûlantes

Et rehausse un teint sans égal.

 

Son beau front blanc, sous sa couronne

D’abondants cheveux presque noirs,

Sans effort apparent lui donne

L’air qu’elle aime en de pareils soirs.

 

Que la robe soit bleue, soit blanche,

Sur fond d’or, gaine de velours,

Seyant au corsage qui tranche,

Le goût est sûr et fin, toujours.

 

Cambrée dans sa taille bien faite,

Un sourire aux lèvres, frondeur,

Elle est la reine de la fête :

Cela suffit à son bonheur.

 

Elle sait bien que tout l’admire,

Et, suivie par mille regards,

Elle garde son fier sourire

Qui commande tous les égards.

 

Mais sous ce masque de coquette,

Parfois, au fond de ses beaux yeux,

Se révèle, voilée, discrète,

La tristesse des cœurs soucieux.

 

Ses chers yeux bruns, au regard tendre,

En s’abandonnant un moment,

Font voir, à qui sait les comprendre,

Sans vains apprêtes, tout simplement,

 

L’âme mélancolique et douce,

Cachée sous des dehors trompeurs,

Comme l’eau vive sous la mousse,

Un nid d’oiseau parmi les fleurs.
 


Fleurs de pêchers

Les pêchers sont en fleurs, joie fraîche, gai frisson,

Des blancheurs dans l’éveil de l’aube printanière,

Des gazouillis d’oiseaux vibrant à l’unisson

Chantent d’un ton perlé la symphonie légère

Des fleurs, - blancheur de chairs aux reflets de satin.

L’on dirait que du ciel, par une folle brise,

Un vol de papillons a neigé ce matin,

Gardant, nés de l’aurore, à leur aile qu’irise

Un peu d’azur d’en haut, leur poudre de velours,

Frais duvet qui ressemble à de la veloutine

Dans la rose et l’or clair de l’air, en pluie fine

Au lever radieux du plus charmant des jours.

 

Imité du japonais - juillet 1903 - France

 


Hymne

 Le printemps est dans l’air; partout sa tiède haleine
Éveille un frisson délicieux;
Le printemps est partout sur le mont et la plaine;
Mais il est surtout dans tes yeux.

 Tes chers yeux bruns, si beaux, qu’un peu de chaleur dore,

Sont bien tendres quand tu veux bien ;

Et de les voir ainsi, très doux, je les adore,

Et cela ne te coûte rien !

 

Quand mon regard se pose, affolé de tendresse,

Sur tes lèvres, plein de désir,

D’y goûter un instant d’incomparable ivresse,

Avant-goût des joies à venir,

 

Je sens qu’n mon cœur gronde une passion farouche,

Et mon sang se presse, brûlant ;

Et je ne veux plus rien que boire à cette bouche,

La vie, l’amour, éperdument.

 

Et tout dans la nature est plein de rêves roses,

De bruit d’abeille et de baiser ;

Comment ne pas t’aimer quand, paupières mi-closes,

Tu t’étends pour te reposer ?

 

J’oublie tout sur la terre en sentant la tiédeur

De ton épaule ou de ton sein,

Et je voudrais mourir en entendant ton cœur

Battre à coups pressés sur le mien…

 


Un nom 

Ton nom est doux et clair ainsi qu’un chant d’oiseau.

Il chante dans mon cœur comme une cantilène,

Air ancien modulé sur un rythme nouveau

Plein de langueur italienne.

    

Leit-motiv éternel de mes pensées du jour,

Il hante mon sommeil et je tressaille en rêve

D’entendre soupirer comme un appel d’amour,

Le nom que je redis sans trêve.

 

Il est doux comme toi, alerte et gracieux,

Pareil à ce beau corps qui me brûle de fièvre,

Il évoque en mon cœur le regard de tes yeux :

Je crois le baiser sur mes lèvres.

 

Il te sied comme tout ce que tu portes, toi !

Comme à ton front si blanc ta chevelure sombre,

Á ta bouche si rose un baiser plein d’émoi,

Á ton clair regard un peu d’ombre.

 

Quand je reste parfois, à m’oublier le soir,

Dans une rêverie mélancolique et tendre,

Si ma pensée se berce à quelque doux espoir,

C’est ton nom que je crois entendre.

 

Lis le donc dans mes vers de ce dernier quatrain,

Écrit, le nom aimé de la plus chère femme,

Lumière de ma vie, qui, dans sa jolie main,

Idole et reine, tient mon âme.

 


Angoisse 

Le temps fuit comme un rêve,

Rêve bleu, gris ou noir,

Sans arrêt et sans trêve,

Le soir succède au soir.

 

Quand j’interroge ton visage,

Et que je regarde tes yeux,

Un doux et décevant mirage,

Pour un instant me rend heureux.

 

En cette heure fugace,

Je vis de mon amour :

Mais bientôt elle passe,

Hélas ! Encore un jour…

 

Oh ! Si je pouvais l’arrêter

Cette heure où je me sens revivre,

Où je ne fais que répéter

Les aveux dont mon cœur est ivre !

 

Mais le sang brûle en vain :

Partir, voir disparaître

L’aimée jusqu’à demain,

La verrai-je ? Peut-être…

 

Et je me vois seul dans la nuit,

Et l’âme est lourde de tristesse

L’avenir est noir. Rien ne luit,

L’angoisse me serre et m’oppresse.

 

Demain ! Terrible sphynx,

Fantôme qui déchire,

Et que des yeux de lynx

Mêmes ne sauraient lire !

 

O nuit où je ne puis dormir ;

Où son nom et sa voix m’obsède

Où me poursuit son souvenir ;

Où le rêve insensé me cède !

 

Que me garde le sort ?

La vie, un peu de rose ?

Où bien est-ce la mort

Qui seule, enfin repose ?

 


Fantaisie en ton mineur 

S’il est vrai qu’il n’est point sur terre

Pour moi de bonheur,

Et que le plus doux mystère

Qui naisse en un cœur,

 

Ne bercera plus mon âme,

Même pour un jour,

D’un doux sourire de femme,

Un rayon d’amour ;

 

S’il est vrai que ma jeunesse

Á jamais a fuit ;

Que ce rêve de tendresse

S’est évanoui,

 

Alors qu’un baiser timide,

Posé sur sa main,

Rend heureux mon cœur avide

Jusqu’au lendemain

 

S’il est vrai que tout s’envole,

Dernière illusion,

Qu’au passé mon cœur immole

Sa chère vision :

 

Avant que le soir arrive,

Et bientôt la nuit,

Il vaut mieux à la dérive,

Sans larmes, sans bruit,

 

S’en aller de la vie belle,

En disant son nom,

Sans murmurer de ce qu’elle

A répondu : Non !

 


Roses 

En une amphore au fin contour,

Écloses,

S’épanouissant tour à tour,

Les roses

Aux tons pâles, roses, foncés,

Si belles,

Ouvrent leurs pétales froncés

Et frêles.

Leur vie née de ce matin,

Si brève,

Passera jusqu’à demain,

En rêve,

Embaumant de leur odeur

Exquise

La minute de bonheur

Conquise.

Sur des lèvres au ton pourpré

Plus roses

Que le calice diapré

Des roses,

Où le sang, superbe et pur,

Embrase

D’un trouble puissant et sûr

D’extase.

Mon cœur à qui disent tant

De choses

Ces belles lèvres, pourtant

Bien closes.

O roses, sœurs des amours

Inquiètes,

Fleurs favorites, toujours

Discrètes,

Portez mes vœu, vous qui savez

Ma flamme,

Prenez l’aveu, car vous avez

Une âme.

 


Fantaisie 

Un frais bouton de rose-thé

Á l’aube grise est près d’éclore :

Pour épanouir sa beauté,

Il n’attend qu’un regard d’Aurore.

 

Le clair soleil de Floréal,

D’un baiser brûlant la caresse :

La fleur ouvre son sein royal

Plein de désir, prêt à l’ivresse.

 

Mais déjà la brise du soir

Vient d’effleurer la vierge folle :

La corolle s’est laissée choir

Á l’instant sa beauté s’envole.

 

Maintenant, dans l’ombre nocturne,

La rose flétrie va mourir :

Il ne demeure au fond de l’urne,

Que la cendre du souvenir.

 


Bémol et dièse 

Haut et difficile est le but

Et le courage parfois sombre :

L’être entier vibre comme un luth,

Espère ou s’abîme dans l’ombre,

N’attendant que le dernier : chut !

Et s’endormir au gouffre sombre.

 

Haut les cœurs quand le but est grand

Et l’amour fait beaucoup sur terre ;

L’âme s’élève e un instant,

Et l’avenir, sphinx et mystère,

Ne montre pas que le néant :

Et l’heure vient où l’on espère.

 


L’œillet 

La fillette avait pris le missel de l’aïeule

Et les feuillets jaunis tournaient aux doigts légers ;

Distraite, elle rêvait, et, de se sentir seule,

Une mélancolie, des soucis étrangers,

Á son front de seize ans mettaient un peu de brume,

Mais, sur ses lèvres passe un sourire très fin ;

Dans les yeux bleus, rieurs, un éclair gai s’allume,

Et sur la bouche on pose un petit doigt mutin :

Des pages du missel une fleur glisse et tombe,

Un œillet, blanc jadis, à présent desséché,

C’est, dans le livre pieux, comme dans une tombe,

Un peu de vie d’antan et de monde, arraché…

 

La fillette s’en est venue vers la grand’mère,

Et, posant son front blanc, câline, à ses genoux,

Regarde longuement cette tête si chère,

Aux boucles argentées, au regard bleu, si doux ;

Puis, avec un baiser, demande, rougissante,

L’histoire de l’œillet, pris dans le vieux missel

Comme au soleil levant, sur l’herbe chatoyante,

Dans une goutte d’eau s’est pris un coin de ciel.

Un peu de rose monte aux joues de la grand’mère,

Et son regard très doux se pose en souriant

Sur l’enfant répétant sa naïve prière,

Et ses doigts caressants frôlent ce front charmant.

 

C’est si loin, ce passé !... J’avais seize ans, petite,

Seize ans ! Et j’étais belle, et fraîche comme toi ;

Des joues roses aussi, un cœur qui bat plus vite,

Pour un regard, un rien, aussitôt en émoi ;

Et des cheveux très blonds, ma plus belle parure,

Des cheveux d’or léger, volant au moindre vent ;

Pleine de vie, d’entrain, puis, ma foi, de l’allure :

Je connais bien des cœurs qui s’y sont pris souvent ;

Teint de rose et lis ; et des yeux... Vois mes yeux,

Les mêmes, mais plus bleus, pleins de rêve et d’ivresse,

N’ayant, comme les tiens, connu que jours heureux.

C’était un soir de Mai ; dans l’air, une caresse,

 

Vous effleurait les joues, à perdre la raison ;

Un souffle de printemps courait avec la brise,

Et le soleil à peine avait fui l’horizon.

Les fleurs, la nuit qui vient… Oh ! La douceur exquise

De ce beau soir, avec le parfum des lilas

Flottant, léger, dans l’air, tout embaumé, suave…

Et de ce si beau soir, il ne me reste, hélas !

Qu’une fleur desséchée, cet œillet, frêle épave.

 

C’était mois de Marie. Nous allions, toutes deux,

Ma mère et moi, prier tous les soirs à l’église.

Ah ! Que j’étais distraite alors, et je prie mieux

A présent. Mais seize ans… Cette soirée qui grise !

Je remarquais souvent qu’un homme me suivait ;

Oh ! De loin, mais toujours ; jeune, la figure douce ;

Et, derrière un pilier, fidèle, il attendait ;

Son regard m’adorait ; j’avais une secousse

Au cœur, à chaque fois que je voyais ses yeux :

Ils exprimaient si bien cette grande tendresse

Qu’ont seuls les cœurs très purs, le joyau précieux

Que l’on gaspille tant au temps de la jeunesse.

 

Or, ce soir, son regard dans l’ombre me brûlait.

 Il nous suivit longtemps, jusqu’à notre demeure ;

Dans la brise du soir, à mi-voix il chantait

Et sa chanson, je me la rappelle à cette heure.

 

« Je veux que la brise du soir

« Te dise que mon âme est ivre.

« Donne à mon cœur un peu d’espoir :

« Un mot de toi me fera vivre.

 

Arrivé près du seuil, il était là tour près :

Je sentis dans la nuit sa main toucher la mienne.

Il y mit cette fleur… Pourquoi faut-il qu’après

Tant d’années disparues, d’un soir je me souvienne ?

Je ne l’ai plus revu ; J’en rêvai, bien des fois,

Et, malgré les chagrins, les plaisirs et le rêve,

Car la vie, ma petite, est faite, tu le vois,

De rose avec du noir, elle donne, elle enlève ;

Malgré tout, j’ai gardé ce frêle souvenir.

Les années ont passé sur cette tête blanche ;

Je sens que c’est bientôt que ma vie va finir ;

Et cependant, vois-tu, mon front ému se penche

Vers cet œillet flétri que j’embrasse souvent.

 

Toute entière au passé, dont revivent les charmes,

L’aïeule s’était tue, l’âme bien loin, rêvant,

Les yeux bleus de l’enfant étaient remplis de larmes.

 


Fol espoir 

« Dire à l’heure qui passe, à l’heure exquise et folle

« Qui précède toujours le moment des adieux    

 « Oh ! Ne fuis pas !... Mais non, la voila qui s’envole,

« Remonte aux cieux ;

 

« Sentir son cœur serré, brûlant dans sa poitrine,

« Battre à grands coups pressés la marche de l’amour

« Rien qu’en frôlant le bout de sa main, douce et fine

« Pour tout un jour ;

 

« Voir en ses beaux yeux bruns, qui disent tant de choses,

« Son âme toute entière en sa mobilité,

« Et la fierté qui dort en ses paupières mi-closes,

« Et la bonté ;

 

« Rêver quand sous ses doigts, sur le clavier d’ivoire

« Pleure un chant de douleur, Mendelssohn ou Chopin,

« S’abandonner encore à la douceur de croire,

« Rêver sans fin ;

 

« Aimer éperdument, avec toute son âme,

« Ne redire qu’un nom, le matin et le soir,

« Et mettre, malgré tout, dans le cœur d’une femme

« Son seul espoir ;

 

« Vivre ainsi, l’âme triste et l’esprit en démence,

« Attendant follement un : oui, de l’avenir,

« Et quand disparaîtra cette frêle espérance,

« Alors, mourir.



Pourquoi ? 

Pourquoi ton regard bleu, comme un rayon d’étoile

Si beau

S’embrume de tristesse, ainsi que traîne un voile

Sur l’eau ?

Pourquoi tes longs cils noirs, doux comme le plus tendre

Velours

Ne laissent que des pleurs sur ta joue se répandre

Si lourds

Ton visage est pareil à celui d’une fille

Du Rhin ;

Tes superbes cheveux, tel sous le soleil brille

L’airain

Roulant en diadème à ton beau front de reine

Plus blanc

Que le mystérieux manteau de la sirène

D’argent

Et de rayons paré, dans l’ivresse d’un rêve

Divin     

Qui se déroule et berce et jamais ne s’achève

Sans fin.

De tristesse voilé, ce front si beau se penche :

Des pleurs

Mouillent ces yeux d’un bleu plus pur que la pervenche,

Deux fleurs

Comme la plainte ailée d’une lyre qu’on frôle,

Ta voix

Vibre dans le sanglot d’une âme qui s’envole…

Pourquoi ?...


Dizain 

Où donc est-il sur terre,

Ce lieu de doux oubli ;

Où l’âme encore espère

Et se tait tout ennui.

Où donc es-tu sur terre,

Bienheureuse patrie !

Mon cœur toujours t’espère

Illusion chérie :

Là-bas l’amour sur terre

Et le rêve infini…

 


Trois mots 

Toujours ! Un mot hardi qui défie l’avenir,

Enfermé tout entier dans les plis d’une robe,

Triomphe, espoir et joie de l’amour à  son aube :

Oh, garde au moins le souvenir.

 

Jamais ! Le mot de glace et de deuil rempli d’ombre,

Tombant sinistre et froid sur le cœur éperdu

Qui vibrait de tendresse et bravait l’inconnu ;

Espoir, amour et foi : tout sombre.

 

Mais Dieu nous a laissé, dans sa pitié pour l’être

Qu’il créa faible et nu, le mot sublime et doux

Qui nous permet le rêve, espère malgré tout

Et sourit dans les pleurs : Peut-être.

 


Blessure d’âme 

« Quand le roi des forêts du Nord, le libre élan,

 « D’une balle mortelle a reçu la blessure,

« Il s’arrête d’abord pour se mordre le flanc

« Et sa douleur s’avive avec cette morsure.

« Puis il repart soudain à travers les fourrés,

« Brisant de ses bois durs, en sa course sauvage,

« Arbres morts, jeunes troncs, et rameaux trop serrés ;

« Tout craque, tout s’abat, fauché sur son passage.

« Il va. Son poil est moite, et ses naseaux fumants

« Aspirent l’air glacé ; ses yeux ont un feu sombre ;

« Brusquement, il frissonne, et, sur ses pieds tremblants

« Chancelle, fléchit, tombe, agonise dans l’ombre…

 

« Il est de ces beaux yeux dont les regards très doux,

« De ces lèvres aussi dont les charmants sourires,

« Blessent les cœurs aimants et les rendent plus fous

« Que ne fait une balle et les plus durs martyres.

« Il a suffi parfois d’une pression de main ;

« D’un regard qui vous dit en souriant : « Peut-être » ;

« D’une très douce voix qui vous dit : « à demain ! »

 « Pour que vous tressailliez jusqu’au fond de votre être,

« Et ces blessures là, nous les gardons toujours ;

« Mortel et cher poison, bu des yeux d’une femme,

« Il nous brûle les nuits, et nous compte les jours.

« La blessure qui tue, c’est la blessure d’âme.

 


Aveu

Si je suis assis loin de toi,

Mon regard te fuit et t’évite,

Pour cacher l’invincible émoi

Dont mon cœur, hélas ! palpite ;

 

Mais bientôt, ainsi qu’un aimant,

Tes yeux, ton visage, toi toute,

Attirent mon regard aimant :

Et me voila tout en déroute.

 

Les rires et joyeux propos

Vont bruissant à mon oreille :

Comment pourrais-je être en repos,

Les yeux sur ta lèvre vermeille ?

 

Et si je suis à tes cotés,

Mon cœur bat, mais je me sens vivre,

Et mon sang coule à flots pressés,

Et je deviens tout-à-fait ivre.

 

Si je ferme un instant les yeux,

Aussitôt je vois ton visage,

Ton corps aux contours gracieux,

Et je m’affole à ce mirage.

 

Ton nom charmant, doux et léger,

Ton nom, je le dis avec fièvre,

Il me fait l’effet d’un baiser

Qui vient se poser sur ma lèvre.

 

Quand j’effleure ta blanche main

Ta bouche ou ta joue rougissante,

Je garde jusqu’au lendemain

Une âme inquiète et frémissante.

 

Je t’aime : hélas ! puis-je ravir

De mon cœur ce rêve suprême ?

Je t’aime, et je me sens mourir

De cette passion, mais je t’aime. 

 


Une ombre... 

Une ombre légère, un rêve qui passe ;

Un rayon d’azur qui bientôt s’efface ;

Un regret d’amour, un élan divin ;

Une coupe amère et la lie du vin ;

Des pleurs, des chants, aussi des sourires,

Plus souvent des brumes et des délires ;

Un printemps qui fuit, un été brûlant,

Un automne triste et doux cependant.

Puis un dur hiver tue ce que l’on aime :

Depuis des siècles, c’est notre vie même.

 


Deux yeux bleus. 

Ce sont ses yeux d’un si beau bleu,

Ses beaux yeux d’un bleu de pervenche :

Ils ont mis dans mon cœur en feu

Une passion que rien n’étanche.

 

J’ai perdu mon cœur, c’est certain ;

Mais honni soit qui mal y pense !

Deux yeux bleus l’ont pris ce matin :

Jane, me voici sans défense.

 

J’allais aux champs ; le soleil clair

Riait sur l’herbe encore humide ;

Des chants d’oiseaux montaient dans l’air,

Quand je vis son regard limpide.

 

Ses yeux étaient d’un bleu d’azur :

Pas le moindre petit nuage.

Aucun saphir n’est aussi pur :

Un ciel de juin après l’orage.

 

Ce n’étaient pas ses blonds cheveux

Pareils aux épis d’orge mûre :

Vers ses yeux seuls allaient mes vœux ;

De tout le reste je n’ai cure.

 

Sa joue était su fraîche à voir

Comme un duvet de pêche rose…

Ses yeux bleus m’ont ravi l’espoir

Leur regard en maître dispose.

 

Sa lèvre humide, un papillon

La prendrait pour une églantine ;

Il voudrait tout droit, du sillon

Se poser sur sa gorge fine.

 

Mais moi, je ne vois que ses yeux,

Hélas ! et je ne vis sur terre

Que pour ses yeux si bleus, ses yeux,

Et j’y veux chercher le mystère

Qui me fait rêver sur la terre

Et m’y croire tout près des cieux.

 


Nuit. 

La nuit est sombre

Noyée dans l’ombre

Et mon cœur sombre

Quand vient le soir ;

Empli de brume

Et d’amertume,

Il se consume

En désespoir.

 

Dans la nuit,

L’éclair luit.

Un grand bruit

Gronde ;

Au lointain,

Incertain,

L’œil en vain

Sonde…

 


Un air d’Ukraine. 

La blanche clarté des nuits d’Août

Baigne la ville et la plaine :

Là-bas venu je ne sais d’où,

Chante un air léger d’Ukraine.

 

Cela gémit au loin, dans le calme du soir,

Comme un léger sanglot, ou la très douce plainte

D’une âme abandonnée qui renonce à l’espoir

Et conte sa foi morte, illusion éteinte,

Regrets de l’aveu tendre, et du discret amour,

Des baisers échangés à l’heure exquise et folle,

De ce qui fait de l’homme un roi pour tout un jour,

Puis, comme un rêve, passe, à jamais, et s’envole.

 

La blanche clarté des nuits d’Août

Baigne la ville et la plaine

Là-bas venu je ne sais d’où,

Pleure un air léger d’Ukraine.

 

En sons tristes et lents, la mélodie soupire ;

Puis se brise soudain, sur un accord plaintif ;

Il se répète, cesse ; et dans un souffle expire,

Se tait, la strophe émue, dite d’un ton craintif

Un instant elle vibre encore doucement

L’air léger de ce soir exquis de clair de lune

En prolonge à plaisir, harmonieusement,

Les notes éplorées et la tendre infortune.

  

La blanche clarté des nuits d’Août

Baigne la ville et la plaine

Là-bas venu je ne sais d’où,

Meurt un air léger d’Ukraine.

 

Et l’on n’entend plus rien que le chant d’un grillon

L’esprit rêve, bercé par la musique lente

Morte à présent, tombée quelque part au sillon,

Avec l’âme meurtrie, la ballade dolente

Quelque corde est brisée sans doute au pauvre cœur,

Et l’instrument s’est tu… Le silence a des larmes

Aussi ; la brise pleure. Ecoutez... L’on a peur

Des démons de la nuit, impurs, jeteurs de charmes..

 

La blanche clarté des nuits d’Août

Dort sur la ville et la plaine

Là-bas a fui, je ne sais où,

Le léger chant de l’Ukraine.

 


Á Lélette. 

Et maintenant, Lélette,

Notre printemps a fui ;

L’an, à mourir, s’apprête ;

La dernière aube a lui.

 

Les lilas et les roses

Ont paré notre amour ;

Par mille douces choses,

Je t’aurai fait la cour.

 

Mais, rose ou chrysanthème,

La fleur te dit tout bas

Que tout mon être t’aime…

Tu le sais, n’est-ce pas ?

 

Si, dans la tiède haleine

De Mai, dans le soleil,

La gracieuse phalène

D’un printemps sans pareil

 

N’est plus là qui volète,

Les premières ardeurs,

O ma chère Lélette,

Survivent dans les fleurs

 

Que Juin ou Juillet, brûle,

Chère âme, ou que l’hiver

Cingle de sa férule,

Le sapin reste fier ;

 

Tel, dans le temps des roses

Ou celui des frimas,

Le cœur dont tu disposes

Pour toi ne change pas.


31 décembre 1906 – Fernand Prévost de Belvaux – Colonel de l'armée du Tsar
 



Russie Prologue

Livret 2