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Arts et sciences, hommes et dieux


 

L'effroyable bûcher du Mont Aimé

Contribution à l’histoire du Catharisme


 

 

  

 

 

Les précurseurs de la Réforme

 

La période du 10e au 13e siècle fut déterminante dans l'histoire du Catholicisme. Á la fin des Croisades, la Chrétienté avait abandonné le Moyen Orient à l'Islam. Ces expéditions furent fort coûteuses en vies humaines comme aux plans économiques et politiques. Dans ce désordre, les moeurs se relâchèrent y compris celles des gens d'Eglise. En réaction contre le laxisme du clergé, et bien avant le mouvement de la Réforme du 16e siècle, divers courants entreprirent de revenir à plus de vertu et de pureté comportementale. Tout au long des 12e et 13e siècles, l’Eglise combattit avec violence ces mouvements qualifiés d'hérésies, comme celles des Vaudois et des Cathares.

Ceux-ci apparurent au 11e siècle, dans ce grand mouve­ment de pensée religieuse réformatrice, en Italie du Nord, en Flandre, en Angleterre, en Alle­magne, dans le Nord et le Midi de la France. On comptait alors environ 4.000 mille parfaits pour l’ensemble de l’Europe dont 2.000 pour l'Italie, (et 200 seulement dans le Midi, marginal à ce titre). La persécution multipliant les exécutions par le feu, le Catharisme éprouvé se réfu­gia dans le Midi plus accueillant. C'est donc dans les Flandres et dans les Pays rhénans que débuta ce grand mouvement contestataire, et c'est également là que se mit en marche l'ef­froyable appareil répressif qui culmina ultérieurement dans la croisade des Albigeois. Mais, dans l'Histoire banalisée, les terribles excès de la répression méridionale ont fait oublier les souffrances, les procès et tous les bûchers qui les ont précédés.

Le Catharisme n'a d'ailleurs pas été le seul mouvement issu de ces régions. D'autres courants de pensée y sont alors nés comme ceux des Frères et Soeurs du Libre Esprit, ceux des Bé­ghards ou des Béguines. Ils furent également durement persécutés. Les Béghards, (ou Bé­gards), étaient des moines mendiants existants au 13e siècle sur les bas cours du Rhin et de la Meuse. Le mot pourrait être le masculin de "Béguines", des communautés de pénitentes ma­riées, implantées à la fin du 13e siècle dans le nord de la France et les Pays-Bas, où l’Église autorisa la création de communautés masculines similaires. Les Béghards enseignaient que "Dieu est Tout et qu'il n’y a aucune différence entre Dieu et la Création. La destinée des hommes est de s’unir à Dieu, car, par cette union, l’homme inspiré acquiert la nature divine". Cette théorie partagée entre autres par les Turlupins fut condamnée par le Concile de Vienne en 1311. Les Béghards, déclarés hérétiques adhérent alors au Tiers Ordre Franciscain, (avec quelques adaptations doctrinales).

Soumis aux pressions catholiques, le mouvement disparut lentement quoique quelques bégui­nages de femmes veuves ou célibataires aient subsisté en Belgique et aux Pays-Bas, jusqu'au siècle dernier. Malgré la réforme moralisatrice dite "grégorienne", l'Église avait été incapable d'empêcher l'éclosion de ces mouvements contestataires. Le comportement du clergé de base était alors bien dégradé : concubinage, négligence, corruption, ignorance étaient fréquents, (et parfois simonie). En réaction, de nombreux courants apparurent, proposant un mode de vie fondé sur la pauvreté et la renonciation au monde, tel le Catharisme, cruellement combattu dès 1150. Un autre mouvement fut initié par Pierre Valdo vers 1170 à Lyon. Il y prêchait la bonne parole et forma un cercle de disciples. Les Vaudois, excommuniés en 1184 par le Concile de Vérone, niaient l'Eucharistie et ne respectaient pas les consignes du clergé. L'église vaudoise a pourtant partiellement survécu, y compris jusqu'à nos jours. L'échec de la lutte contre les hérésies conduisit l'Église à fonder l'impitoyable tribunal de "l'Inquisition", confié aux Dominicains. Usant souvent de la torture, les inquisiteurs imposaient aux hérétiques diverses peines, port de la croix, amendes, pèlerinages, emprisonnements, souvent la mort, par la potence ou le feu.

Comme les Béghards et les Béguines, les Turlupins participaient d'un des courants majeurs de pensée dit "Frères et Soeurs du Libre-esprit", répandu en Europe à partir du 13e siècle. Avec les Cathares, les Vaudois, les Templiers,  et les Franciscains, les Turlupins prônaient un idéal de pauvreté (Les Adamites auraient même poussé cette notion jusqu'à vivre nus la plupart du temps.). « La pauvreté, disaient-ils, lave l'homme du péché et ressuscite le Christ en lui. Et c'est en écoutant ses désirs que l'homme entre dans "l'Esprit libre. La charité peut parfois se confondre avec l'amour charnel ». Tous ces mouvements aspiraient donc philosophiquement à la pauvreté in­tellectuelle (l'esprit vacant permettant de mieux recevoir Dieu).

A partir de 1204, l'Inquisition les pourchassa très sévèrement. On connaît aussi, historiquement, le cas de Marguerite Porète, une Béguine valenciennoise qui brûlée vive en place de Grève à Paris, le 1er juin 1310 avec le livre qu'elle avait écrit. Mais les Turlupins s'échappèrent souvent et se maintinrent longtemps sans que l'on sache si le mouvement a réellement pris fin. Chez eux cependant, une autre femme, Jeanne Daubenton, fut aussi brûlée vive, en place de Grève, en 1372. Elle aussi allait, semble-t-il, entièrement nue, disant que ce n'est point pécher que satisfaire naturellement aux désirs des sens.

 

 

 

 

 

 

Les Frères et Soeurs du Libre Esprit

 

Sachez que les Frères et les Soeurs du Libre Esprit participaient aux mouvements hérétiques qui appa­rurent au 13e siècle suite aux errements de l'Eglise. Le mouvement se propagea le long du cours du Rhin jusqu'en Flandre et aux Pays-Bas. Leurs croyances étaient proches de celles des Adamites. L'origine des Adamites semble remonter au 2e siècle. Ils auraient été une secte gnostique dont le fondateur, Prodicus, était disciple de Carpocrate. Les Adamites (ou Ada­miens) sont mentionnés par Épiphane, Clément d'Alexandrie, saint Augustin et Théodoret. Ils prétendaient avoir été rétablis dans l'état d'innocence d'Adam au moment de sa création, et dans cette imitation, ils allaient complètement nus, même pour prier dans leur Temple qu'ils appelaient Paradis. Ils refusaient le  mariage, et ils furent accusés de pratiquer la communauté des femmes.

Il semble pourtant qu'ils vivaient reclus, dans la continence et dans la solitude et ils prétendaient que si l'un des leurs cédait au péché de chair, ils le chassaient de leur assemblée et de leur Temple.  Au 13e siècle, ces mêmes pratiques auraient été reprises dans les Pays-Bas par les Frères et Sœurs du Libre Esprit, et, au 14e par les Bégards d'Allemagne. Les Adamites repa­rurent aussi sous le nom de Turlupins ou de Pauvres Frères, en Dauphiné et en Savoie. Ils di­saient qu'arrivé à un certain état de perfection, l'homme est affranchi de la loi des passions, et que sa liberté consiste à secouer le joug des Lois divines. Le Roi Charles V. secondé par le zèle de Jacques de Mora, Dominicain Inquisiteur à Bourges, en fit périr certains par les flammes, faisant aussi brûler leurs livres à Paris sur la Place du marché aux pourceaux. La même appellation désigna plus tard des hérétiques de Bohême, les Pikarti ou Picards, (fondés par un nommé Picard, natif de Flandre), qui, au 15e siècle, épaulèrent le mouvement hussite. Venus de Picardie, où le Libre Esprit s'était ranimé, ils furent sauvagement exterminés en 1421 par Jan Žižka.

Le mouvement des adeptes du Libre Esprit avait été précédé par celui du Nouvel Esprit connu par 97 propositions que rapporte Albert le Grand, dans sa "Determinatio... super articulis in­ventae heresis in Recia dyocesis Augustensis, en 1270. Les adeptes du Libre Esprit se disaient frères et soeurs, animés par une inspiration commune puisée dans la lecture des versets des Évangiles ou des Épîtres. Saint Paul, disaient-ils, affirmait que : « Le Seigneur, c’est l’esprit, et, là où est l’esprit du Seigneur, là est la liberté » (2 Cor. 3, 17, et aussi que : « Si vous êtes conduits par l’esprit, vous n’êtes pas sous la loi » (Gal. 5, 18). Le plus important pour eux, c’était d'être habité (et agi) par l’Esprit dans et pour la vie parfaite. Cette conviction leur tenait lieu de discipline et ils pouvaient s’abandonner aux impulsions intérieures qui étaient pures puisque venant de l’Esprit quand elles étaient reçues dans des âmes pures (I Jean 3, 9 ; Tite 1, 15), entièrement anéanties et vides de tout, et en particulier, du péché. Unis immédiatement à Dieu, ils rejetaient la médiation de l'Église comme n’étant pas celle de l’Esprit, mais celle du Monde et des clercs.

Ce que l'Église enseignait et commandait était donc sans valeur et il était inutile de prier, de se confesser à des prêtres, puisque Dieu leur parlait directement et qu'ils Lui parlaient directe­ment.  Se considérants parfaits, ils n’avaient rien à demander ni rien à se faire pardonner. La pratique des sacrements est superflue quand on est déjà uni à Dieu, et leur administration ne doit pas être réservée à des prêtres car des laïcs parfaits sont bien dignes de la faire. Il ne convenait pas non plus d’avoir un culte pour les saints puisque chacun pouvait être aussi saint, sinon plus saint qu’eux. L'Église officielle hiérarchisée, riche et jalouse de sa situation et de son pouvoir ne pouvait tolérer ces contestations, et le concile de Vienne condamna en 1311 les frères du Libre Esprit avec les Béguines et les Bégards. L’empereur Charles IV publia en 1369 un édit qui aggrava encore leur répression et leur persécution.

Les Chrétiens considéraient en effet que les Frères et Soeurs du Libre Esprit ne se situaient pas seulement hors de l’Eglise mais aussi hors du Christianisme : Se croyant être Dieu par na­ture, ils n’avaient pas besoin que Dieu s’humanisât pour leur rachat. L'Incarnation et la Ré­demption n’avaient ni sens ni valeur pour eux, que la perfection faisait sans péché, les rendant égaux au Christ. Un auteur (Tauler) disait : « Ils se dépouillent tellement qu’ils ne veulent ni penser, ni louer Dieu, ni avoir, ni savoir quelque chose, ni vivre, ni demander, ni désirer. Tout ce qu’ils peuvent demander, ils l’ont et ils pensent être ainsi pauvres en esprit parce qu’ils sont sans volonté propre.  Ils ont abandonné toute propriété. Ils veulent aussi être libres de la pratique de la vertu et ils ne veulent obéir à personne, ni au pape, ni à l’évêque, ni au curé. Ils veulent être libres de tout ce qui est du domaine de la Sainte Eglise. Ils disent publiquement que, tant que l’homme s’efforce vers des vertus, il est encore imparfait et ne sait rien de la pauvreté en esprit ni de la liberté de l’esprit... Ils se considèrent comme au-dessus des anges et de tout mérite humain. Ils croient qu’ils ne peuvent ni grandir en vertu ni commettre des pé­chés.

Ce que la nature désire, ils peuvent, selon leur idée, le faire librement, sans péché parce qu’ils sont parvenus à l’innocence suprême et qu’il ne leur est imposé ni commandement ni loi. Ils obéissent à ce que leur nature désire pour que l’esprit puisse demeurer dans une liberté sans obstacle » (cit. Delacroix, p. 123). Ruysbroeck, quant à lui, dénonçait leur hérésie, car ces adeptes du Libre Esprit déclaraient : « Nous sommes Dieu par nature ; dans notre être éternel, nous étions sans Dieu ; par l’effort de notre libre arbitre nous sommes sortis de l’être absolu pour paraître dans le monde ; Dieu ne sait, ne veut rien sans nous ; nous avons créé avec lui l’univers. Nous ne croyons pas en Dieu, nous ne l’aimons pas, ne le prions pas, car ce serait avouer qu’il est autre chose que nous. Il faut s’affranchir de toute loi, ne se préoccuper ni de connaissance ni d’amour » (Delacroix).».

 

 

 

 

 

Béghards, Béguines et Béguinages

 

Les Béguines et les Béghards étaient donc les membres de communautés, mi-religieuses, mi-laïques, fondées dès la fin du 12e siècle, au long du cours du Rhin et dans de nombreuses villes flamandes. Les béguinages se multiplièrent initialement en raison de l'apparition  d'une forte paupérisation. L'afflux de mendiants dans les villes nécessitait la mise en place d'institu­tions caritatives dont les membres assumaient une pauvreté volontaire au nom du Christ. A partir de Liège où apparaît le premier établissement  vers 1180, le mouvement s'étend très ra­pidement à Valenciennes en 1212, Douai en 1219, Gand en 1227, Anvers en 1230, puis bien­tôt Paris en 1250, Cambrai, Cologne, etc..

Cependant, au 13e siècle, le mouvement fut affecté par les idées répandues par les Frères et Soeurs du Libre Esprit, et il intégra très rapidement leur philosophie panenthéiste (assimilant Dieu et le Monde), tout autant que leur conception si particulière du libre arbitre. L'Église Ro­maine qui semblait manifester de l'intérêt pour la volonté de pauvreté qu'affirmaient les di­verses communautés monastiques nouvelles, n'en acceptait cependant pas la revendication in­solente qui dépassait publiquement la critique ouverte de l'ignorance des clercs et celle de l'enrichissement des pontifes. Certains comportements et dérives doctrinales choquaient. Chez les Béguines et les Béghards, le détachement des biens se voulait garant d'une richesse spiri­tuelle menant de la vision béatifique et mystique, jusqu'à la prétention de s'égaler à Dieu, et donc de ne connaître nul contrainte, sans commettre aucun péché.

En 1311, le concile de Vienne condamna globalement, sous l'appellation de "Bégards", tous les partisans du Libre-Esprit, les Apostoliques, les Fraticelles et les Béguines catholiques. Les tribunaux ecclésiastiques ordinaires sévissaient déjà depuis longtemps. Avec la multiplication des hérésies, et plus particulièrement suite à l'extension du Catharisme, ils étaient fort chargés. C’es alors que leur action fut alors complétée par la création de l'Inquisition, en avril 1233, par le Pape Gré­goire IX.

Originellement, ce nouveau tribunal devait prévenir les excès arbitraires des cours de justice en place. En effet, depuis le 6e siècle et la constitution de Justinien, en principe, la loi civile condamnait à mort tous les hérétiques. Ces dispositions avaient initialement été appliquées avec mansuétude puis l'usage s'était progressivement établi de les brûler vifs. La papauté déci­da d'intervenir pour limiter les abus. En 1231, par la constitution Excomunicamus, le pape co­difia la répression et définit les peines qui frappaient les hérétiques, le bûcher pour ceux qui s'obstinaient dans l'erreur, la prison ou une peine canonique (pèlerinage, jeûne....) pour les hé­rétiques qui se repentaient, et l'excommunication pour les catholiques qui les avaient aidés.

Mais, hypocrisie majeure, comme il n'était pas question que l'église donna la mort, en vertu du principe Ecclesia abhorret sanguinem, c'était au bras séculier (la justice seigneuriale ou royale) que les condamnés au bûcher étaient remis. Les inquisiteurs traquaient les idées tout autant que les hérétiques, et faisaient souvent brûler les livres avec leurs auteurs, (parfois même avant). Mais les juges pouvaient aussi déclarer l'hérésie établie dans les faits et clore l'instruction sans l'ouvrir, en envoyant alors les suspects au bûcher sans même les entendre.

L'histoire rapporte  les condamnations des "apostoliques" Tanchelm et Arnold, brûlés à Co­logne en 1115 et 1163, puis celle de Segarelli, fondateur des Frères Apostoliques, torturé par l'Inquisition, et brûlé à Parme en Italie, en 1300. Á Cologne, en 1322, on brûla Walter de Hol­lande, auteur des "Neuf rochers spirituels", « un vrai manuel de Libre Esprit, plus cher que tout autre aux Bégards ». En dépit des persécutions, au 14e siècle, la confession de Jean de Brunn, membre d'une communauté de Cologne aurait montré que la licence encouragée par le Libre Esprit se perpétuait dans la clandestinité des béguinages.

Les principaux ennemis des Béghards semblent avoir été l'évêque de Strasbourg, Jean de Durbheim et l'archevêque de Cologne, Henri de Virneburg qui en fit brûler une cinquantaine et poursuivit plus tard Maître Eckhart. En France, en 1420, des Turlupins furent arrêtés à Douai. Ils avaient fait venir un prédicateur de Valenciennes. L’évêque d’Arras instruisit leur procès et condamna le prédicateur et six hérétiques à être brûlés sur la place d'Arras avec leurs livres. Chez les Turlupins, Jeanne Daubenton, elle aussi, fut brûlée vive en place de Grève en 1372. Les Turlupins tentèrent encore de se répandre en Angleterre puis de s’établir en 1372, à Paris où l'on en brûla plusieurs avec leurs livres.

Rappelons encore la béguine Aleydis, brûlée en 1236, pour son livre "Le juste amour", sur le même thème que Marguerite Porète développa dans "Le Miroir des simples âmes", montrant comment l'âme annihilée en Dieu fait de l'être humain le réceptacle de la volonté divine, iden­tifiée au pur amour, l'individu accédant ainsi à l'état de perfection. Comme pour Bloemar­dinne de Bruxelles, la voie de la réalisation divine proposée était celle de l'amour charnel affi­né. Le procès de Marguerite Porète et son exécution à Paris, en 1310, démontrent le désarroi et l'inquiétude extrême des théologiens confrontés à une pensée et à un comportement qui semblaient menacer les fondements du Christianisme.

 

 

 

 

 

Les Cathares des Flandres

 

Les Cathares, quant à eux, étaient présents en Italie du Nord dans les Pays rhénans et la Lorraine, en Picar­die, et dans le Midi de la France. C'était un mouvement religieux important. Ils croyaient que le monde et la société étaient entièrement mauvais et ils voulaient mettre en place une nou­velle religion et former une autre église. Leurs doctrines et pratiques se fondaient sur les croyances des premiers chrétiens et la pauvreté évangélique. Certains cathares adhéraient en partie aux idées manichéennes d'un Monde régi par la dualité des principes opposés du Bien et du Mal(Le Bien, créateur du monde spirituel, et le Mal, celui du matériel).

Les Cathares rejetaient la divinité du Christ et tous les rites et sacrements de l’Église catho­lique, comme des superstitions condamnables. L'appellation de "Cathares" provient du grec ("katharos", pur). Ils n'avaient que deux sacrements, la "Tradition", ou transmission de l'Orai­son dominicale (Pater Noster),  par laquelle les "auditeurs" ordinaires devenaient des "Croyants", et le "Baptême spirituel" ou "Consolation", (Consolamentum), qui en faisait des "Parfaits Chrétiens". 

Dans la cérémonie de Tradition, le récipiendaire, parrainé par un ancien de la communauté, était présenté à "l'Ordonné", un Parfait établi, qui lui expliquait la signifi­cation du rite. Puis il en recevait le livre des Évangiles. Le fidèle devenu "Croyant" devait de­mander le pardon de ses fautes et la bénédiction de l'officiant ; il prenait l'engagement de réci­ter le Pater plusieurs fois chaque jour, comme prévu par le rituel. Le baptême de l’esprit, ou "consolamentum",  contraignait les "parfaits" à une vie chaste beaucoup plus austère. Les simples croyants ne recevaient ce consolamentum qu’à l’approche de la mort.

Les parfaits, (les prêtres),  et les évêques portaient un manteau noir à capuchon, pour se dis­tinguer des simples fidèles. Ils quittaient tous leurs proches pour se consacrer à Dieu et à l’Evangile. Ils étaient d’absolus végétariens et s’abstenaient de tout rapport sexuel. Les simples croyants promettaient de prononcer ultérieurement les mêmes vœux que les parfaits. Ils pouvaient se marier et manger occasionnellement de la viande. Mais on exigeait qu’ils renoncent à l’Église catholique, et qu’ils progressent vers la vie « parfaite ».

Le fondement de la morale cathare provenait du Sermon du Christ sur la Montagne. Les fi­dèles devaient aimer leurs ennemis, assister les pauvres et les malades, s'abstenir de jurer, et demeurer pacifiques en toute situation. L'usage de la force n’était jamais moral et la peine ca­pitale était un crime absolu. Ils s’opposaient donc à l’Eglise catholique qui brûlait les héré­tiques. Leurs rites étaient simples, prières et chants, jeûnes et sermons doctrinaux. Ils n’avaient ni église ni lieu de culte, priant et prêchant dans les bois ou les maisons des croyants. Les Cathares rejetaient tous les sacrements y compris le mariage, n’acceptant qu’un engagement public.

Pour les catholiques, ils vivaient donc dans le péché de concubinage. Ils disaient que l'Eglise romaine n'était pas celle du Christ et que les papes n'étaient pas les suc­cesseurs des apôtres. Á partir du milieu du 13e siècle, le catharisme se répandit dans le Nord et l'Est de la France, dans les Pays rhénans et dans les régions méridionales. La répression s'organisa, conduite par les évêques et des ordres religieux comme les Cisterciens. Devant leur relative impuissance, la papauté instaura l'Inquisition, d'abord en Allemagne en 1231, puis en France. En 1233, Grégoire IX confia la conduite de l'Inquisition dans le Nord de la France à un dominicain, Robert, dit le Bougre (un bogomile retourné par l'institution).

 

 

 

 

 

La répression et le bûcher du Mont Aimé

 

Robert le Bougre exerça férocement et frénétiquement sa charge, sévissant d'abord à La Charité-sur-Loire, où il fit brûler plusieurs personnes. Ses méthodes expéditives amenèrent les archevêques de Sens et de Reims à protester auprès du pape qui suspendit en février 1234, les pouvoirs de l'inquisi­teur. Mais, pour affirmer son autorité, Grégoire IX lui rendit toutes ses prérogatives en 1235. Alors, Robert le Bougre se déchaîna : Cambrai, 17 février 1236, 20 brûlés, puis 10 à Douai, le 2 mars 1237. En Flandre, ses ravages sont moins connus mais néanmoins certains. L'aboutis­sement de cette rage meurtrière est le bûcher du Mont Aimé en Champagne, dont les nom­breuses victimes furent arrêtées lors de la grande foire de Provins en mai 1239. Un procès sommaire commença aussitôt, mais les procès-verbaux ont été perdus et l'on ne dispose que des écrits des chroniqueurs locaux dont le plus précis est le cistercien "Aubri de Trois Fon­taines", dont le monastère était proche.

En 1048, l'évêque de Châlons-sur-Marne déplorait la présence de Manichéens dans son dio­cèse, et 100 ans plus tard, en 1145, les chanoines de Liège signalaient au pape Lucius II qu'une hérésie manichéenne s'est répandue dans le pays du Mont Aimé, une colline couronnée d'un château fort dans la plaine de Champagne. Le Catharisme s'installait dans la région. La répression lancée par l'Inquisition était menée par Robert le Bougre. Il installa son tribunal au Mont Aimé, le berceau local de l'hérésie et y ouvrit un énorme procès. 500 à 600 personnes furent accusées dont 183 condamnées au bûcher, presque autant qu'à Montségur. Ce procès ne dura qu'une courte semaine, condamnant aux flammes plus de 30 personnes chaque jour.

Parmi les juges ordinaires, Aubri dénombra seize évêques qui secondaient aux interrogatoires l'inquisiteur jugeant au nom du pape. Ces évêques étaient ceux de Reims Soissons, Tournai, Cambrai, Arras, Thérouanne (Saint-Omer), Noyon, Laon, Senlis, Beauvais, Châlons-sur-Marne, Orléans, Troyes, Meaux, Verdun et Langres. Il faut y ajouter, dit encore Aubry, beau­coup d’autres prélats des églises, d’abbés, de prieurs et de doyens. Le dominicain Etienne de Bourbon, le comte de Champagne (roi de Navarre), et les barons champenois assistèrent aussi à ce procès suivi par une immense foule hostile aux hérétiques. Indignés par l'arbitraire du procès, (six minutes par individu), et par la brutalité extrême de la répression, certains évêques n'assistèrent pas à l'exécution, et, suite à leurs protestations, Rome, ultérieurement, destitua et emprisonna l'Inquisiteur.

 

 

 

 

 

La suite de l’histoire

 

L'hérésie retomba alors sous la juridiction des tribunaux épiscopaux, mais elle ne survécut pas aux coups terribles infligés par Robert le Bougre. L'holocauste du Mont Aimé fut comparé au drame de Montségur, consommé cinq ans plus tard. Sachez que ces bûchers collectifs avaient lieu dans un espace clos par une palissade qui cachait le martyre. Les condamnés y étaient ali­gnés, agenouillés, liés à un petit pieu. Pour économiser le bois fort coûteux, on les couvrait de bottes de paille et de petits fagots. Toute cette paille en s'enflammant d'un coup produisait un violent ouragan de feu dont les pauvres gens, asphyxiés, aspiraient les flammes. On disposait ensuite des cadavres. L’autodafé exterminatoire du Mont Aimé fut organisé en temps de paix, consciemment et méticuleusement, tout comme les rafles des juifs, gazés et brûlés par l'Allemagne nazie. Ces crimes passés marquèrent alors, identiquement à mes yeux, l'Eglise romaine, et, en Chrétien, ils me demeurent encore au­jourd'hui tout à fait insupportables.

Een 1311, le concile de Vienne condamna globalement, pour fausse piété et hérésie, tous les partisans du Libre Es­prit, les Apostoliques, les Fraticelles les Béghards et les Béguines catholiques, à l'exception des Tiers ordres mendiants. Tandis que le Libre Esprit tentait de survivre sous d'autres formes, le Bégardisme disparut rapidement tandis que l'Église accordait sa protection aux Béguines de stricte obédience. Pour échapper à la répression, ces Béguines durent se soumettre à la règle de l'ordre franciscain. Cependant, indépendantes des ordres monastiques et placées sous la seule surveillance de l'évêque qui résidait souvent à proximité, les communautés féminines des béguinages jouissaient d'une grande liberté d'action et de pensée qui suscitait l'hostilité du clergé séculier, des Franciscains et des Dominicains.

Sous leur constante pression, les Béguines disparurent de France et d'Allemagne pour ne subsister que dans les Pays-Bas (et la Belgique actuelle). Il s'y constitua, au 15e siècle, une congrégation dite "des Bégards de la troisième règle de Saint François". Soumises à l'autorité de mères su­périeures, (les magistrae ou marthae), appelées aussi "Grandes Demoiselles", les Béguines y retrouvèrent leur organisation traditionnelle associant les novices aux anciennes. Les béguines occupaient leur temps en travaux manuels (jardinage, tissage, dentelle), prières, et œuvres de charité (jusqu'à l'ensevelissement des morts).

Aujourd'hui, on retrouve dans la plupart des anciennes provinces flamandes belges, à Bruges, Amsterdam, Diest, Courtrai, (et dans quelques villes du nord de la France), des vieux béguinages assez bien conservés qui témoignent d'une cohérence architecturale partagée, alliant des petites maisons individuelles et leurs jardins pri­vés avec un parc communautaire pour les rencontres. Ils ont longtemps accueilli, et parfois le font encore, des veuves ou des femmes âgées isolées et peu fortunées, et conservent au cœur des villes actuelles de verts enclos de calme et de sérénité. Dans les régions qui vont des rives de l’Escaut à celles du Rhin, ce sont les dernières traces de ce grand mouvement de liberté spirituelle qui s’y est manifesté entre le 10e et le 13e siècle.

 

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Le Mont Aimé, Aujourd'hui

 

Le Mont Aimé dans la plaine de Champagne

Le terrible destin des 183 Cathares brûlés sur le Mont Aimé semble bien oublié aujourd'hui. le lieu a beaucoup évolué au fil des siècles et il a joué plusieurs fois un rôle militaire affirmé dont il a conservé les traces, tant à l'occasion de la guerre de 1914 que de celle de 1940. Il ne reste que quelques ruines de l'antique abbaye bâtie sur le site du drame issu de l'insupportable intolérance religieuse. Douloureuse leçon, pourtant évidente et combien utile pour le présent !

Les ruines du fort du Mont Aimé

 

Le Monument  commémorant la visite du Tzar au sommet du Mont Aimé

 

 

Les restes de l'ancienne abbaye du Mont Aimé

 

Carte postale locale représentant l'ancienne abbaye (par Castillon).