Les Béguines et les Béghards
étaient donc les membres de communautés, mi-religieuses,
mi-laïques, fondées dès la fin du 12e siècle, au long du
cours du Rhin et dans de nombreuses villes flamandes.
Les béguinages se multiplièrent initialement en raison
de l'apparition d'une forte paupérisation.
L'afflux de mendiants dans les villes nécessitait la
mise en place d'institutions caritatives dont les
membres assumaient une pauvreté volontaire au nom du
Christ. A partir de Liège où apparaît le premier
établissement vers 1180, le mouvement s'étend très
rapidement à Valenciennes en 1212, Douai en 1219, Gand
en 1227, Anvers en 1230, puis bientôt Paris en 1250,
Cambrai, Cologne, etc..
Cependant, au 13e siècle, le
mouvement fut affecté par les idées répandues par les
Frères et Soeurs du Libre Esprit, et il intégra très
rapidement leur philosophie panenthéiste (assimilant
Dieu et le Monde), tout autant que leur conception si
particulière du libre arbitre. L'Église Romaine qui
semblait manifester de l'intérêt pour la volonté de
pauvreté qu'affirmaient les diverses communautés
monastiques nouvelles, n'en acceptait cependant pas la
revendication insolente qui dépassait publiquement la
critique ouverte de l'ignorance des clercs et celle de
l'enrichissement des pontifes. Certains comportements et
dérives doctrinales choquaient. Chez les Béguines et les
Béghards, le détachement des biens se voulait garant
d'une richesse spirituelle menant de la vision
béatifique et mystique, jusqu'à la prétention de
s'égaler à Dieu, et donc de ne connaître nul contrainte,
sans commettre aucun péché.
En 1311, le concile de Vienne
condamna globalement, sous l'appellation de "Bégards",
tous les partisans du Libre-Esprit, les Apostoliques,
les Fraticelles et les Béguines catholiques. Les
tribunaux ecclésiastiques ordinaires sévissaient déjà
depuis longtemps. Avec la multiplication des hérésies,
et plus particulièrement suite à l'extension du
Catharisme, ils étaient fort chargés. C’es alors que
leur action fut alors complétée par la création de
l'Inquisition, en avril 1233, par le Pape Grégoire IX.
Originellement, ce nouveau
tribunal devait prévenir les excès arbitraires des cours
de justice en place. En effet, depuis le 6e siècle et la
constitution de Justinien, en principe, la loi civile
condamnait à mort tous les hérétiques. Ces dispositions
avaient initialement été appliquées avec mansuétude puis
l'usage s'était progressivement établi de les brûler
vifs. La papauté décida d'intervenir pour limiter les
abus. En 1231, par la constitution Excomunicamus, le
pape codifia la répression et définit les peines qui
frappaient les hérétiques, le bûcher pour ceux qui
s'obstinaient dans l'erreur, la prison ou une peine
canonique (pèlerinage, jeûne....) pour les hérétiques
qui se repentaient, et l'excommunication pour les
catholiques qui les avaient aidés.
Mais, hypocrisie majeure, comme
il n'était pas question que l'église donna la mort, en
vertu du principe Ecclesia abhorret sanguinem, c'était
au bras séculier (la justice seigneuriale ou royale) que
les condamnés au bûcher étaient remis. Les inquisiteurs
traquaient les idées tout autant que les hérétiques, et
faisaient souvent brûler les livres avec leurs auteurs,
(parfois même avant). Mais les juges pouvaient aussi
déclarer l'hérésie établie dans les faits et clore
l'instruction sans l'ouvrir, en envoyant alors les
suspects au bûcher sans même les entendre.
L'histoire rapporte les
condamnations des "apostoliques" Tanchelm et Arnold,
brûlés à Cologne en 1115 et 1163, puis celle de
Segarelli, fondateur des Frères Apostoliques, torturé
par l'Inquisition, et brûlé à Parme en Italie, en 1300.
Á Cologne, en 1322, on brûla Walter de Hollande, auteur
des "Neuf rochers spirituels", « un vrai manuel de Libre
Esprit, plus cher que tout autre aux Bégards ». En dépit
des persécutions, au 14e siècle, la confession de Jean
de Brunn, membre d'une communauté de Cologne aurait
montré que la licence encouragée par le Libre Esprit se
perpétuait dans la clandestinité des béguinages.
Les principaux ennemis des
Béghards semblent avoir été l'évêque de Strasbourg, Jean
de Durbheim et l'archevêque de Cologne, Henri de
Virneburg qui en fit brûler une cinquantaine et
poursuivit plus tard Maître Eckhart. En France, en 1420,
des Turlupins furent arrêtés à Douai. Ils avaient fait
venir un prédicateur de Valenciennes. L’évêque d’Arras
instruisit leur procès et condamna le prédicateur et six
hérétiques à être brûlés sur la place d'Arras avec leurs
livres. Chez les Turlupins, Jeanne Daubenton, elle
aussi, fut brûlée vive en place de Grève en 1372. Les
Turlupins tentèrent encore de se répandre en Angleterre
puis de s’établir en 1372, à Paris où l'on en brûla
plusieurs avec leurs livres.
Rappelons encore la béguine
Aleydis, brûlée en 1236, pour son livre "Le juste
amour", sur le même thème que Marguerite Porète
développa dans "Le Miroir des simples âmes", montrant
comment l'âme annihilée en Dieu fait de l'être humain le
réceptacle de la volonté divine, identifiée au pur
amour, l'individu accédant ainsi à l'état de perfection.
Comme pour Bloemardinne de Bruxelles, la voie de la
réalisation divine proposée était celle de l'amour
charnel affiné. Le procès de Marguerite Porète et son
exécution à Paris, en 1310, démontrent le désarroi et
l'inquiétude extrême des théologiens confrontés à une
pensée et à un comportement qui semblaient menacer les
fondements du Christianisme.