Traduction
française du Prologue des Lais
Ceux à qui le ciel a départi le talent oratoire, loin de cacher
leur science, doivent au contraire révéler leur doctrine et la propager. L'homme
qui publie les bons exemples est alors bien digne d'estime ; aussi est-il loué
de tous dès l'instant où il les met en pratique.
D'après le témoignage de Priscien(i), on voit qu'il étoit d'usage parmi les
écrivains de l'antiquité , de placer parfois dans leurs ouvrages des passages
obscurs, dans le dessein d'embarrasser ceux qui, par la suite, vouloient les
étudier et les interpréter.
C'est par cette raison que les philosophes qui les entendent parfaitement, parce
qu'ils ont consacré leur temps à cette étude, s'attachent à commenter et à
expliquer ce qui pourroit paroître diffus. Les philosophes savent se garantir de
faire ce qui est mal, et ceux qui désirent marcher sur leurs traces, doivent
étudier et s'instruire, se donner de la peine pour en recueillir le fruit.
D'après les exemples qui viennent d'être rapportés, j'avois eu d'abord
l'intention de traduire quelque bonne histoire du latin en françois ; mais je
m'aperçus bientôt que beaucoup d'autres écrivains a voient entrepris un
semblable travail , et que le mien offriroit un foible intérêt. C'est
alors que je me déterminai à mettre en vers d'anciens Lais que j'avois entendu
raconter. Je savois, à n'en pouvoir douter, que nos aïeux les avoient écrits ou
composés pour garder le souvenir des aventures qui s'étoient passées de leur
temps. J'en ai entendu réciter plusieurs, que je ne veux pas laisser perdre ;
c'est pour cela que j'ai entrepris de les mettre eu vers, travail qui m'a coûté
bien des veilles.
C'est par vos ordres, noble Prince, si preux et si courtois,
vous qui possédez toutes les qualités du cœur et de l'esprit, que j'ai
rassemblé les Lais que j'ai traités. Aussi la reconnoissance me fait-elle un
devoir de vous en faire l'hommage; je n'éprouverai jamais de plaisir plus
grand, si vous daignez l'accepter, et ne perdrai jamais le souvenir de cette
faveur. Veuillez ne pas m'accuser de présomption, si j'ose vous offrir mon
travail, et daignez en écouter le commencement.