Je
rapporterai le Lai du Frêne, d'après le récit qui m'en
a été fait.
Il existoit jadis dans la Bretagne, deux seigneurs qui étoient si
proches voisins que leurs biens se touchoient. A-la-fois vaillants chevaliers et
hommes riches, tous deux étoient mariés, et leur habitation n'étoit pas éloignée
de la ville. L'une des dames devint enceinte, et au bout du terme, elle accoucha
de deux enfants. Le mari, charmé de cet événement, s'empressa de le mander à son
voisin; il lui envoie un messager pour lui faire part que sa femme étoit
acouchée de deux enfants mâles, et pour le prier d'être parrain de l'un de ses
fils. Le messager arrive chez l'ami pendant qu'on étoit à table, il s'agenouille
et remet sa dépêche.
Le voisin remercie le ciel du bonheur qu'éprouve son ami, et fait
présent d'un superbe cheval à l'envoyé. Sa femme qui mangeoit aux côtés de son
époux, se mit à sourire en écoutant le récit du messager; elle étoit fausse,
hautaine, médisante et envieuse. Cette dame parla fort légèrement lorsqu'elle
dit devant ses domestiques : Avec l'aide de Dieu, je suis en vérité surprise de
ce que le chevalier notre voisin ait osé mander à mon mari ce qui doit faire sa
honte et son déshonneur, puisque sa femme est accouchée de deux enfants
à-la-fois. Comment publier ce qui doit faire le déshonneur de ces époux? On
sait parfaitement qu'il ne s'est jamais vu et que l'on ne verra jamais pareille
chose, si la femme n'a pas eu commerce avec deux hommes.
Le mari étonné d'un
pareil langage, regarde fixement sa femme, et la blâme de ce qu'elle vient de
dire. Dame, reprit-il , vous feriez mieux de vous taire que
de parler ainsi ; il est certain que l'accouchée mérite la bonne réputation
dont elle jouit. Les gens de la maison, présents à la scène qui venoit d'avoir
lieu, répétèrent les propos tenus par leur maîtresse. La nouvelle s'en
répandit dans toute la Bretagne. La méchante fut blâmée par toutes les
personnes du sexe ; pauvres et riches la prirent en haine et la méprisèrent.
Le messager de retour chez son maître, lui rapporta la conversation qu'il a
voit entendue. Celui-ci fut bien chagrin des propos qui avoient été tenus chez
son ami ; il prit son épouse en aversion , et pensa qu'elle l'avoit réellement
trompé ; dès cet instant il fit mauvais ménage, et n'eut plus de confiance
dans la mère de ses enfants; il sembloit que ce mari recherchât tous les
moyens imaginables pour affliger cette malheureuse femme, tant il étoit
persuadé qu'elle étoit coupable.
La dame qui avoit si mal parlé devint enceinte à son tour
dans la même année, et arrivée à son terme, elle accoucha de deux filles.
Je vous demande si la voisine ne fut pas alors bien
vengée, et quels regrets eut à son tour la méchante. Malheureuse que je suis,
dit-elle, que ferai-je? me voilà déshonorée pour la vie. Je vais être méprisée
de mon mari et de mes parents qui vont me haïr, d'après les propos que j'ai
tenus sur ma voisine. Ils ne voudront plus croire à ma vertu dès qu'ils seront
instruits de mon aventure je me suis condamnée moi-même, en soutenant qu'une
femme ne pou voit avoir deux enfants, si elle n'avoit eu commerce avec deux
hommes. Or, pareil malheur m'arrive et je me trouve dans la même situation que
ma voisine.
Je vois maintenant la vérité de l'adage : Qui médit des autres et
les blâme , ne sait pas souvent ce qui doit lui arriver. Mieux convient la
louange que la critique; car si j'avois profité de cet avis, je ne serois pas
tant à plaindre. Il me faut faire périr un des enfants ; j'aime mieux implorer
la miséricorde divine pour ce crime que d'être avilie et maltraitée. Les
personnes qui prenoient soin de cette femme , s'empressèrent de la consoler et
la prévinrent qu'elles ne souffriroient pas l'exécution d'un crime semblable.
La dame avoit auprès d'elle une jeune personne de condition libre qu'elle avoit
élevée et qu'elle chérissoit. Voyant sa protectrice pleurer et se plaindre , la
jeune fille affligée cherchoit tous les moyens de la consoler.
Dame, lui
dit-elle, cette douleur ne convient nullement à votre état ; veuillez-vous
appaiser et entendre mon avis. Vous me donnerez l'un des enfants, je vous en
délivrerai secrètement, de manière à ce que jamais vous ne le reverrez. Personne
ne pourra désormais vous blâmer. Je porterai votre fille près la porte d'un
couvent; j'en prendrai le plus grand soin dans la route, et j'ose présumer, avec
la grace de Dieu, qu elle sera trouvée par quelque prud'homme qui se chargera de
l'élever. La dame éprouva un grand plaisir à cette proposition ; elle promit a
la pucelle que pour le grand service qu'elle vouloit lui rendre, elle s'engageoit
de son côté à la récompenser convenablement. Le bel enfant fut enveloppé dans un
linge trèsfin, recouvert d'une étoffe de soie vermeille.
La Meschine vit le mustier
que le mari de la dame avoit rapportée de Constantinople.
Jamais aussi belle étoffe ne fut vue. Avec un bout de ruban on lui lia au bras
un gros anneau d'or qui pesoit plus d'une once. Il étoit entouré de grenats,
et l'on y fit graver le nom de l'endroit où l'enfant devoit être déposé. Cette
précaution fut prise afin que ceux qui trouveroient la pauvre petite,
apprissent qu'elle étoit bien née et qu'elle appartenoit à des gens riches. La
pucelle prit l'enfant et l'emporta de la chambre; profitant de l'obscurité et
du silence de la nuit pour sortir de la ville, elle prend d'abord le grand
chemin, traverse la forêt, puis au loin, sur la droite, la pucelle ayant
entendu le chant des coqs et l'aboyement des chiens, elle présuma que de ce
côté il devoit y avoir une ville. Cet espoir ranime ses forces et lui fait
doubler le pas. Son attente ne fut pas trompée, elle entra dans une ville
considérable, où se trouvoit une riche abbaye de femmes.
Quantité de nones y étoient sous la direction d'une abbesse. La jeune personne après avoir
considéré les différentes parties du monastère , telles que les tours, les murs, le clocher, s'arrêta
devant la porte pour implorer la faveur du ciel. Après s'être agenouillée, elle
fit la prière suivante. Fais-moi la grace, ô mon Dieu, par ton saint nom de
prendre cet enfant en pitié, et de le garantir de tout malheur. Sa prière
achevée, la pucelle regarde derrière elle, et aperçoit un très-gros frêne , dont
le fût se divisoit en quatre branches qui couvroient le terrain à l'entour de
leur ombrage. Reprenant aussitôt entre ses bras l'innocente créature qu'elle
avoit déposée, elle s'empresse de la placer sur cet arbre, puis l'ayant de
nouveau recommandée à Dieu, la demoiselle part pour revenir vers sa dame, et lui
rendre compte de ce qu'elle avoit fait.
En l'abbaye restoit un portier dont
les fonctions etoient d'ouvrir les portes aux personnes qui
venoient aux prières. Ce jour-là cet homme s'étoit levé de meilleure heure
qu'à l'ordinaire. Après avoir allumé les cierges et les lampes, sonné les
cloches, il ouvre la grande porte et sort ; le premier objet qui frappe ses
regards en jettant les yeux sur le frêne, est l'étoffe de soie dont l'enfant
étoit enveloppé. Présumant que cet objet pouvoit avoir été dérobé, le
portier s'empresse de venir à l'arbre pour prendre cette étoffe, et la
remettre au véritable propriétaire. Mais au moment où il y portoit la main ,
le prud'homme découvre que l'étoffe de soie servoit à envelopper un enfant.
Il rendit grace au ciel, alla prendre cette innocente créature, la porta
aussitôt dans sa maison, la remit à sa fille, laquelle étoit veuve et avoit
un jeune enfant qu'elle allaitoit.
Le prud'homme rentrant au logis appelle
la jeune veuve en lui disant : Allons ma fille, levez-vous sur le champ,
allumez la chandelle et le feu. Je vous apporte un enfant que j'ai trouvé
sur le frêne, vous allez le réchauffer, le baigner et le nourrir de votre lait. La veuve suivit de point en point les ordres de son père, elle allume le feu,
rechauffe l'enfant, le baigne et l'allaite; puis en déshabillant la petite,
la vue de l'anneau d'or et de l'étoffe de soie, firent présumer à ces bonnes
gens que le petit abandonné devoit appartenir à une classe élevée. Le
lendemain après l'office, au moment où l'abbesse sortoit de l'église, le
portier vint vers elle pour lui conter son aventure. L'abbesse demande à
voir cet enfant habillé de la même manière qu'il avoit été trouvé. On va le
chercher, et la dame après l'avoir bien examiné, prévient qu'elle se
chargera de son éducation , qu'elle l'élevera comme sa nièce.
L'abbesse
défend au portier de faire connoître la manière dont cet enfant avoit été
abandonné et trouvé sur un frêne dont le
nom lui fut donné et qu'elle conserva. Enfin l'enfant fut nourri dans
l'abbaye sous les yeux de l'abbesse, qui l'appeloit sa nièce. Quand Frêne fut
parvenue à cet âge où la nature forme les jeunes personnes, elle surpassa
en beauté et en amabilité toutes les demoiselles de la Bretagne. La bonté de
son caractère, le charme de sa conversation, la faisoient chérir de tout le
monde, et ses qualités surpassoient encore les grâces de son visage. Elle
étoit si bonne, si aimable, si bien élevée , elle parloit avec tant de
douceur et de grâce qu'on ne pouvoit la voir sans l'aimer et sans l'estimer.
Il existoit à Dol un seigneur appelé Buron, lequel étoit chéri de ses vassaux. Il
entendit parler des bonnes qualités de Frêne, et ne put s'empêcher de l'aimer.
En revenant d'un tournois, il passa par le couvent, et pria l'abbesse de faire
venir sa nièce. Le chevalier trouva la demoiselle si fort au-dessus du
portrait qu'on lui en avoit fait, qu'il en fut entièrement épris. 1l se
regardera comme très-malheureux s'il n'obtient l'amour de cette belle. Sa
raison se trouble et il ne sait à quoi se résoudre, ni quel parti prendre.
S'il vient trop souvent à l'abbaye , la supérieure découvrira le motif de ses
visites, et lui défendra de les continuer. A force de réfléchir à sa
situation, il pensa qu'en faisant diverses donations au couvent, il l'enrichiroit
à jamais, et qu'il demanderoit en retour un appartement pour l'occuper
lorsqu'il passeroit dans le canton. Pour obtenir la confiance des religieuses
il leur donna des terres considérables , afin de faire prier pour lui, mais
Buron avoit bien d'autres motifs que celui de demander le pardon de ses
fautes.
Dès qu'il eut obtenu l'objet de sa demande, il venoit souvent au monastère pour trouver
l'occasion de parler à Frêne. Il la pria tant, lui fit de si belles promesses
que cette demoiselle consentit enfin à lui accorder son amour. Ayant obtenu
les faveurs de sa belle, il lui parla un jour en ces termes: Belle amie,
puisque vous m'avez choisi pour amant, suivez-moi dans mon château. Jugez de
la colère de votre tante si elle étoit instruite de nos amours , et quel
seroit son courroux si vous deveniez enceinte. Si vous m'en croyez venez avec
moi, vous ne manquerez jamais de rien, et vous partagerez mes richesses. La
belle Frêne qui aimoit tendrement son ami se rendit sans peine à ses desirs,
et suivit Buron dans son château. Elle emporta dans sa fuite l'anneau et
l'étoffe qui devoient servir à la faire reconnoître un jour. L'abbesse lui
avoit raconté comment elle avoit été trouvée sur un arbre, aussi Frêne
conservoit-elle précieusement dans un coffre les divers objets dont elle étoit
enveloppée.
Ce fut un grand bonheur pour cette malheureuse demoiselle, que la
bonne abbesse qui l'avoit élevée et nourrie en lui rendant la
bague et l'étoffe de lui avoir appris comment elle avoit été abandonnée dès
sa naissance , et par quel hasard elle étoit tombée entre ses mains.
Connoissant l'importance dont ces deux objets étoient pour elle, Frêne n'avoit
garde de les oublier. Aussi en prenoit-elle le plus grand soin et veilloit
sans cesse à ce qu'ils ne s'égarassent. Buron dont la tendresse étoit
extrême conduisit sa belle maîtresse dans sa terre, où elle se fit aimer et
chérir de tous ceux qui la connurent. Ils étoient depuis long-temps
ensemble, lorsque les chevaliers exposèrent à plusieurs reprises à leur
seigneur qu'ils seroient flattés de lui voir épouser une femme de son rang,
et de renvoyer son amie, afin d'avoir un héritier. Les chevaliers lui font
entrevoir que s'il laisse sa terre à un étranger ou à sa mie, ils ne le
tiendront plus pour seigneur , et qu'ils cesseront de le servir. Buron forcé
de déférer à l'avis de ses chevaliers , leur demanda quelle femme de la
province il pourroit prendre.
Sire, ici près est un prud homme, père d'une fille unique et fort riche. Cette jeune
personne qui est la plus jolie du canton se nomme Coudre. Ainsi en
abandonnant Frêne, vous aurez pour la remplacer Coudre ; ce dernier donne du
fruit, et le Frêne n'en porte point. La demande ayant été faite aux
parents fut acceptée. Mais hélas ! les chevaliers ignoroient que les deux
jeunes personnes étoient sœurs jumelles. Frêne étoit la malheureuse
abandonnée, et sa sœur étoit destinée à devenir l'épouse de son ami. Le
mariage est enfin arrêté, et dès que Frêne apprend que son ami va se marier
, elle ne laisse apercevoir aucune trace de chagrin, et se dévoue aux plus
rudes travaux. Elle sert son seigneur comme à l'ordinaire et prend soin de
tout le monde; aussi toutes les personnes invitées ou celles de la maison s'émerveilloient-elles
de son courage et de son dévouement. Les amis de Buron s'étoient rendus au
château le jour de la noce, ainsi que l'archevêque ; les chevaliers de la ville de Dol lui
amenèrent la nouvelle épouse.
La mère de Coudre avoit accompagné sa fille
; craignant que son gendre ne revînt à ses premières amours, elle vouloit
lui conseiller de renvoyer Frêne, et de la marier à quelque homme de bien.
Les noces furent très-belles, et pendant qu'on se livroit au
plaisir, Frêne parcourut les chambres du château pour examiner si tout étoit
en place et si rien ne manquoit. II ne paroissoit point que cet hymen lui
déplût, car elle avoit servi la nouvelle mariée avec tant de graces que
les convives ne pouvoient revenir de leur surprise. Chacun louoit sa
conduite, ses soins et son activité. La mère en admirant le courage, la
patience, le bon cœur de Frêne, lui accorda son estime et son amitié. Ah !
si elle avoit reconnu sa fille , elle n'eût sans doute pas voulu lui
enlever son ami. Toujours attentive, Frêne va faire dresser le lit
nuptial. Quittant son manteau , elle montre aux chambellans la manière
dont il falloit le faire pour se conformer au goût de leur seigneur. Le
lit étoit dressé, et voyant qu'il étoit recouvert d'une étoffe
peu riche et de mauvais goût, Frêne ouvre son coffre, en retire la belle
étoffe dont elle avoit été enveloppée, et la fit servir à décorer le lit de
son ami. Elle le faisoit avec d'autant plus de plaisir que l'archevêque
devoit venir pour bénir la chambre des deux époux , et remplir son
ministère.
Sitôt que tout fut apprêté , la mère conduit Coudre dans la
chambre nuptiale et la veut faire coucher. En jetant les yeux sur le lit,
elle aperçoit l'étoffe précieuse, la reconnoît, se ressouvient de l'emploi
qu'elle en fait, puis éprouve un frémissement involontaire. D'où peut venir
cette étoffe ? par quel hasard se trouve-t-elle dans le château de mon gendre
? Pour s'en éclaircir, la dame appelle un
chambellan ; Dites - moi, mon ami, vous devez le savoir, comment votre
maître est-il devenu propriétaire de cette étoffe ? Je vais vous satisfaire
, madame , c'est Frêne, la jeune personne qui l'a apportée ; voyant que la
couverture de mon seigneur n'étoit pas assez riche pour un jour aussi
solennel, elle a donné celle que vous voyez. Faites-la venir sur-le-champ,
et sitôt qu'elle l'aperçut : Ah! belle amie, lui dit la mère , veuillez
m'apprendre où cette bonne étoffe a été trouvée, d'où vient-elle, qui vous
l'a donnée? Dame, ma tante l'abbesse qui a pris soin de mon enfance et qui
m'a élevée, me remit cette étoffe ainsi qu'un anneau d'or, et m'enjoignit
de les conserver précieusement. Ils m'avoient été
donnés sans doute par les auteurs de mes jours qui m'envoyèrent au couvent.
Belle amie, ne pourrois-je voir cet anneau ? oui madame, sans doute, je vais
le chercher et vous l'apporter. Dès que la dame l'eut regardé, elle reconnut
l'anneau, ne douta plus que Frêne ne fût sa fille. Embrasse-moi, mon enfant,
tu es ma fille ; la révolution que cette malheureuse mère éprouva
en disant ces paroles, la fit tomber en pamoison.
Revenue à elle, la dame fait appeler son mari , qui arrive tout effraye'.
Sitôt qu'il est entré, sa femme tombe à ses genoux qu'elle baise, et le
prie de lui pardonner. Le mari, qui ne savoit rien de l'aventure , répondit
: Dame, il n'existe -aucune dispute entre nous, veuillez - vous lever, car
vous êtes toute pardonnée. Faites-moi le plaisir de me faire connoître ce
que vous desirez. Sire, je n'avouerai ma faute que lorsque vous m'aurez
écoutée, et ensuite pardonnée. Il vous ressouvient du jugement téméraire
que je portai sur ma voisine qui étoit accouchée de deux garçons. Je
parlai contre moi sans le savoir. A mon tour j'eus deux filles à-la-fois ;
j'en cachai une qui fut portée dans un couvent. Je l'enveloppai avec
l'étoffe précieuse que vous aviez rapportée de Constantinople, et je
cachai dans ses langes le bel anneau que vous m'aviez donné la première
fois que vous me parlâtes.
Eh bien , sire, rien ne peut être caché, je
viens de retrouver ici l'étoffe, l'anneau, et ma fille que j'avois perdue
par ma faute. C'est cette personne si aimable, si sage et si
belle que le chevalier aimoit depuis long-temps, et dont il vient
d'épouser la sœur. Madame, répondit l'époux, je suis très-satisfait et
bien joyeux que nous ayons retrouvé notre fille avant que la faute fût
augmentée, le ciel nous accorde doublement ses faveurs. Venez, ma chère
enfant, venez embrasser votre père. Frêne est au comble du bonheur,
puisqu'elle vient de retrouver ses parents. Son père les quitte aussitôt
pour aller parler à son gendre et à l'archevêque, et leur faire part de
cette nouvelle. Dès qu'il en est instruit, Buron ne peut contenir sa joie,
et le prélat donne le conseil d'attendre que la nuit soit passée, parce
qu'il rompra le lendemain les nœuds qu'il avoit formés la veille. ll fut
donc arrêté que le premier mariage seroit déclaré nul, et que Buron
épouseroit son amie avec le consentement de ses parents. Le père divisa
son bien en deux parts égales, dont une fut donnée à Frêne. Lorsque le
chevalier et sa femme retournèrent dans leur pays, après la noce qui fut
très-belle, ils emmenèrent avec eux Coudre, leur autre fille, qui trouva dans son
pays un parti fort riche.
Quand on connut cette aventure et sa fin , les Bretons en
firent le Lai du Frêne, ainsi appelé de la dame qui en est le sujet
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