Les
religieux égyptiens fervents qui ont écrit tous ces textes
supportaient mal la présence des étrangers sur leur sol, en
particulier celle des Grecs qu'ils accusaient de
superficialité. Leur souffrance inquiète s'exprime dans ce
passage où elle apparaît particulièrement aigüe et émouvante.
Un temps viendra, Asclépius, où
il semblera que les Égyptiens ont en vain adoré leurs dieux,
dans la piété de leurs cœurs. (...). Les Dieux, quittant la
terre, regagneront le ciel. Ils abandonneront l'Égypte. Des
étrangers rempliront ce pays.
Non seulement on aura plus souci des observances
religieuses, mais il sera statué par de prétendues lois, sous
peine des châtiments prescrits, de s'abstenir de toute
pratique, de tout acte de piété ou de tout culte envers les
dieux.
Alors, cette terre sainte, patrie
des sanctuaires et des temples, sera couverte de sépulcres et
de morts.
Ô Égypte, Égypte ! Il ne restera
de tes cultes que des fables, et tes enfants, plus tard, n'y
croiront même pas. Rien ne survivra que des mots gravés sur
les pierres qui racontent tes pieux exploits. (...).
Car voici que la Déité remonte au
ciel. Les hommes, abandonnés, mourront tous, et alors, sans
dieux et sans hommes, l'Égypte ne sera plus qu'un désert.
C'est à toi que je
m'adresse, fleuve très saint, et que j'annonce les
choses à venir. Des flots de sang te gonflerons jusqu'aux
rives et tu les déborderas, et tes eaux divines en seront
polluées.
Pourquoi pleurer, Asclépius?
L'Égypte elle même se laissera entraîner à bien plus que cela
et à bien pire. Elle sera souillée de crimes bien plus graves.
(...).
Car les ténèbres seront préférées à la lumière. On
jugera plus utile de mourir que de vivre. Nul ne lèvera plus
ses regards vers le ciel.
L'homme pieux sera tenu pour fou, l'impie pour sage.
Le frénétique passera pour un brave, le pire criminel pour un
homme de bien. (...).
Et même, croyez-moi, ce sera un crime capital, aux
termes de la loi, que de s'être adonné à la religion de
l'esprit. (...).
Voici donc ce que sera la vieillesse du Monde,
irréligion, désordre, et confusion de tous les biens.
Quand toutes ces choses auront été accomplies, “
Asclépius ! (...), le Dieu Premier, après avoir considéré ces
mœurs et ces crimes volontaires, après avoir essayé (...) de
redresser l'erreur, anéantira toute la malice, (...), puis il
ramènera le Monde à sa beauté première (...).
Car la volonté de Dieu n'a pas eu de commencement,
elle est toujours la même, et ce qu'elle est aujourd'hui, elle
le demeure éternellement.
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