Jacques Henri
Prévost
L’UNIVERS ET LE
ZORAN
Jacques Henri
Prévost
L’UNIVERS
ET LE
ZORAN
©
Jacques Prévost – Cambrai - France
Du même auteur
Le Ciel, la Vie, le Feu
Le Pèlerin d’éternité
L’Univers et le Zoran
L’Argile et l’Âme
Prolo Sapiens
Lentement vers la Lumière
Bien nombreux les Chemins
Et chaque Amour enfin
Recueil de cuisine végétarienne
Mon cancer et Moi
Le sourire malicieux de l’Univers
Jacques Henri
PREVOST
L’UNIVERS
ET LE
ZORAN
© Jacques Prévost –Cambrai - France
|
L’Univers et le Zoran.
Sur l’immense Univers, la
Caravelle humaine,
S’enfuit dans l’ouragan du
temps.
Je crois qu’elle est sans
timonier,
Peut-être a-t-elle un
Capitaine,
Je crains qu’il soit dément.
A la fin de
ce 20ème siècle, qui porte tous ces progrès scientifiques et techniques si
étonnants, l’Homme reste le plus souvent insatisfait. Comme l’univers naquît un
jour du vide éternel, l’activité de la pensée humaine naît du vide mental. La
caractéristique première du vide, quel qu’il soit, paraît être de ne pouvoir rester vide. Toute chose semble
émerger naturellement du vide. Il nous faudra revenir sur cette question.
L’activité de
la pensée naît du manque.
Elle apparaît lorsque l’activité manque à satisfaire
un quelconque besoin humain. Percevoir qu’il y a un problème, c’est percevoir
un manque d’ajustement qui demande considération. Plus grand est le manque,
plus large doit être la réflexion concernant la correction ou l’action
nécessaire.
Dans l’histoire humaine, il n’y a jamais eu une
réflexion aussi poussée et élargie concernant la nature de l’homme que dans la
situation présente. Aujourd’hui, pour la première fois, l’espèce humaine tout
entière est placée devant un défi à la fois fondamental et collectif. Cette
situation demande une pensée réellement imaginative et un effort à la fois
courageux et partagé. Les prochaines décennies décideront de la sorte d’homme
et du type de société qui survivront sur la planète. Des civilisations locales
et limitées ont pu apparaître et disparaître dans le passé. Maintenant nous
sommes concernés tous ensemble et nous allons partager un futur commun. Pour
autant, cela n’implique pas une standardisation uniformisée du mode de vie et
de pensée des hommes à travers le globe. Il faut simplement que quelques idées
générales, et généreuses, soient universellement acceptées, sans lesquelles il
ne pourra y avoir aucun ordre mondial stable.
Une
transformation importante s’est produite. Le monde semble avoir réalisé une
sorte d’unité. Nous entrons probablement dans une période d’universalisme. Nous
avons donc besoin d’idéaux universels qui puissent être efficaces. Les grandes
religions mondiales, et les idéologies du passé ont visé à cette universalité mais
elles ont échoué. Le véritable espoir de progrès de l’humanité repose
aujourd’hui dans la présentation d’une doctrine crédible de la nature réelle de
l’homo sapiens, et dans
l’établissement d’un universalisme intellectuel et spirituel acceptable par
tous les hommes. Certes, l’énergie tirée de la structure même de la matière est
maintenant à notre disposition, et l’espace planétaire est à notre portée. Mais
un jour ou l’autre, la finalité de l’existence humaine apparaît comme le seul
problème réellement essentiel.
Comme elles
se sont posées aux chercheurs et aux philosophes des civilisations antiques,
les mêmes questions fondamentales se posent à l’esprit, des chercheurs
d’aujourd’hui, suscitant les mêmes perpétuelles incertitudes.
D’où suis-je ? Autrement dit « Hier,
qu’étais-je ? ».
Où
suis-je ? « Maintenant, que suis-je ? ».
Où
vais-je ? « Demain, que serai-je ? ».
Ces questions existentielles
concernent finalement la vie et la mort, ou l’origine de l’être et son destin.
Il s’y ajoute le problème éthique et moral de la cause et de la nature du mal.
Comme le rat, l’homme est doté d’un puissant instinct d’exploration qui le
pousse inlassablement à faire passer l’inconnu au connu, et le connu au
reconnu. Placé dans le chemin qui prend son départ dans le mystère de l’être et
de l’origine, et qui s’en va, à travers le mystère de la vie et du destin, vers ces autres mystères que sont la mort et
de la fin des temps, l’homme supporte très mal l’accumulation de son ignorance,
et cherche désespérément un minimum de connaissance et de compréhension. La
science, la religion, la philosophie
sont des voies de recherche qui tentent de lui répondre, tout au moins
partiellement. Mais, lorsque les questions sont clairement posées, et que les
réponses traditionnelles sont examinées avec honnêteté et lucidité, chacun doit
bien avouer que le coeur, la raison et l’intelligence n’y trouvent pas leur
compte.
Le doute et l’inquiétude
demeurent.
Chacun tente
de résoudre son problème avec ses moyens propres, avec ce qu’il a dans sa nature la plus
intime, puisqu’il s’agit d’un problème existentiel absolument personnel.
L’homme qui cherche avec sincérité trouve parfois des débuts de réponses, et il
assemble ces fragments en construisant une théorie personnelle.
C’est Sa vérité. A chacun la
sienne.
On voit bien
qu’il n’y a donc pas de vérités complètes et absolues, mais seulement des
assemblages diversifiés de compréhensions fragmentaires et beaucoup de
questions trop souvent sans réponses. Il n’y a pas de routes sûres et faciles.
Il n’y a que des cheminements individuels, toujours incertains et pénibles.
Mille voies mènent au Bouddha, (et cent mille tournent en rond et ne mènent
nulle part).
L’élaboration
d’une cosmogonie intégrant tous ces questionnements est une tâche d’une très
grande complexité. En raison du grand nombre des doctrines, des dogmes, des
hypothèses, et des théories en présence, ainsi que de l’extraordinaire
développement de la connaissance expérimentale, c’est un exercice qui implique
à la fois un champ de pensée très vaste et une réflexion très personnelle. Le
temps est désormais révolu qui laissait la possibilité d’emplir un seul cerveau
de toute la connaissance humaine. Au temps des ordinateurs et des bases de
données, l’homme ne cerne plus l’étendue de ce qu’il croit savoir.
Ma propre
recherche est un travail qui ne prétend avoir aucune valeur générale ou
universelle. Elle n’est probablement pas réellement partageable. Tout au plus
pourra-t-elle être ressentie comme l’expression difficile d’un effort personnel
de cheminement vers plus de clairvoyance. Il s’agit pourtant d’un labeur
fondamental, qui est la recherche de ma propre raison d’être. Si ces
inquiétantes questions vous assaillent, vous pouvez être tentés de vous
étourdir et de les éviter. Sachez que cet évitement est inutile. Lorsque le
chemin est pris, le cavalier mental vous mène inlassablement vers le mur, votre
vie durant. Un jour, pour vous aussi, il faudra bien faire face et engager,
pour votre propre compte, la quête de votre propre Graal.
Différents modes
de recherche vous seront ouverts. Vous pourrez user de la métaphysique, de
l’ésotérisme, de l’intuition, du mysticisme, ou de la pensée scientifique. Vous
fonderez vos réflexions et vos synthèses sur l’affirmation de la prédominance
de la complexité et de l’intelligence dans la formation de l’homme, ou bien
vous préférerez croire à l’action d’une puissance extérieure intervenant à
l’origine de l’existence. Vous adopterez éventuellement une démarche
scrupuleuse, fondée sur l’expérimentation précise, l’examen, l’analyse, la mesure, la recherche causale,
et la prééminence supposée de la matière dans la construction du cosmos.
Vous pourrez
penser qu’un Etre originel s’est manifesté dans le Monde, puis dans la vie et
dans l’Homme, afin d’y réaliser un accomplissement et une élévation pour
lesquels la Terre et l’univers sont des moyens utiles. Ou bien, vous pourrez
croire que l’Homme a été placé dans ce même Monde, afin d’y jouer un rôle
prédéterminé. Vous pourrez aussi imaginer que l’univers, à son commencement,
est né d’un accident du vide, et qu’il évolue inexorablement vers son
extinction et sa fin.
Que vous
utilisiez la pensée pragmatique, la synthèse, la transcendance, l’intuition, la
révélation ou la foi, sachez bien que vous rencontrerez toujours les
implacables dogmatismes des multiples intégrismes. Vous vous heurterez toujours
aux frontières scolastiques des théories acceptées. Les diverses approches
doctrinaires sont aujourd’hui restées inconciliables, en dépit de la prise de
conscience de la nature fragmentaire de la connaissance, de la valeur relative
des arguments et des réels efforts de réflexion et de rapprochement des tenants
respectifs. Dans le chemin de votre développement personnel, vous n’avancerez
que si vous préservez à tout prix votre absolue liberté de pensée. Il faudra
rester continuellement à distance des engagements trop entiers provoquées par
l’une quelconque des diverses hypothèses tentatrices que vous rencontrerez
inévitablement.
La vérité passe
nécessairement
par la pensée libre.
Il est
possible d’imaginer l’Univers comme une gigantesque mécanique aux ressorts
innombrables, inconcevablement complexe, et l’on peut aussi penser, dans la
même démarche et dans le même temps, qu’à travers la vie en général, et celle
des hommes en particulier, cet univers devenu conscient se regarde exister. Il
faut alors nécessairement ajouter une dimension spirituelle à notre recherche
scientifique. Notre trop court passage sur cette petite planète, perdue dans
l’immense espace, doit avoir un sens et un but imaginables, au sein d’un réel
logiquement organisé. Et pour garder espoir, nous voulons absolument croire que
nous y sommes tous et personnellement impliqués, et que cela donne un sens et
une utilité à notre vie et à notre destin.
lNos outils d’expérimentation sont-ils adéquats ?
lLes outils mathématiques ou conceptuels sont-ils
suffisants ?
lNotre cerveau est-il adapté à cette réflexion ?
lQue vaut notre mode de pensée face à ce type de
problème ?
lNos outils logiques fonctionnent-ils à ce
niveau ?
Les questions se multiplient
immédiatement. Dés le début de la réflexion, d’importantes difficultés
pratiques apparaissent. Elles sont liées tout à la fois, à la vastitude de la
question et aux limitations des moyens de son appréhension.
Certains outils conceptuels
n’existent pas.
Leur manque paraît même
insoupçonné.
Il faudra
donc tenter de les mettre en place, en simplifiant les données, tout en
respectant autant que possible les champs reconnus de la connaissance
scientifique et les convictions de la recherche dite humaniste.
Lorsque l’on
sort des approches traditionnelles, un autre mur s’élève, celui de la
communication. Les mots nécessaires manquent le plus souvent. Il faut donc
imager les propos, étendre ou dériver à l’excès les sens usuels, ou bien
habiller ces concepts avec des mots nouveaux.
Le « Zoran » du
titre répond à cette intention.
C’est le nom
de l’équation universelle, imaginée par Barjavel, formule magique et
prophétique, qui permettait de tout dériver à partir du néant. Ainsi peut-être,
à l’origine, et partant d’une cause à jamais mystérieuse, l’immense Univers
commença à dériver du vide impensable vers un destin inimaginable.
Pour ces
raisons, je désire préalablement définir l’objet de ce travail comme une
invitation à une réflexion approfondie, en partant de la notion d’Univers,
terme utilisé de façon restrictive pour désigner seulement le réel exploré et
reconnu. Ensuite je passerai à la notion très élargie du Zoran, expression que
je voudrais globalisante, intégrant le réel connu et inconnu, de l’être à la
matière, du corps physique à la pensée, jusqu’à l’irréel transcendant.
Je crois que
dans sa démarche ordinaire vers la connaissance, ou bien l’Homme construit
idéalement un univers imaginé autour et à partir de lui même, ou bien il décrit
scientifiquement un univers extérieur qui ne l’inclut pas.
Ces Univers objets
n’existent pas.
Ce sont seulement des images
mentales.
Le Réel est
un Univers labeur, auquel appartient l’observateur, et qui évolue de phase en
phase. Il se transforme en permanence, détruisant l’oeuvre du passé pour
commencer le nouvel ouvrage du présent. A chaque transition émerge une
structure nouvelle, qui doit tout aux précédentes et ne leur rend rien.
Chaque automne est une
naissance.
Chaque ruine est un
printemps.
Dans cet
Univers de poupées russes, déjà si vieux et si froid, les différenciations
énergétiques sont de plus en plus faibles. Ce n’est pourtant pas l’approche
d’une fin mais la base d’autres commencements encore plus subtils. Les
transitions nouvelles en sont d’autant plus fines. La délicate complexification
actuelle de la chimie permet l’émergence des fragiles, sauvages et conquérantes
structures biologiques. L’évolution de ces structures vivantes ouvre des
possibilités nouvelles de manifestation, dont l’ouverture à l’intelligence et à
l’amour.
Demain, quelle
émergence ?
Je désire proposer au lecteur, une démarche active,
le poussant à une réflexion personnelle sur les finalités de l’Homme et le sens
de l’Univers. En restant dans cet esprit de travail, je disséquerai, dans une
première partie, certains des filtres posés entre notre regard et la nature
essentielle du réel. Comme des lunettes rouges ou bleues colorent faussement le
monde, l’Univers se regarde en fausses couleurs à travers nos yeux, notre
cerveau, nos passions et notre nature humaine. Avant d’engager la réflexion sur
l’existence et la nature du réel, il faut tenter de cerner les facteurs qui en
masquent ou en dénaturent la perception. Il faut aussi comprendre comment les
facilités du langage peuvent nous amener à doter le Monde d’aspects
artificiels, lesquels sont de pures créations mentales.
Dans un monde désormais
probabiliste, nous savons que tout est possible et que tout arrive à son
moment.
A chaque
instant de l’éternel présent, en toute simplicité, et tout naturellement, par
un pouvoir intrinsèquement lié à la vie et à notre participation à l’être
total, nous transformons la chose passée et détruite en la chose nouvelle
maintenant créée.
Le problème de l’origine de
la création n’existe pas.
Il n’y a pas
à se demander comment l’existence peut sortir du néant. Ce propos est dépourvu
de sens. Nous voyons, de nos propres yeux, le fonctionnement de l’acte créateur
et vital dans la simplicité de son
oeuvre permanente. Il suffit d’ouvrir maintenant et à l’instant même
l’intelligence au simple constat de ce fait évident, pour que la raison oublie
les postulats anciens sur lesquels elle basait ses certitudes dépassées.
Dorénavant elle admet à tout jamais une base nouvelle qu’elle intègre à son fonctionnement
courant. La pensée passée est détruite par la pensée nouvelle.
Par exemple,
des théories scientifiques récentes, (d’ailleurs supplantées depuis leur
formulation), postulaient que la matière était née des fluctuations du vide. Un
tel vide, nanti d’une incommensurable quantité d’énergie, et fonctionnant dans
un régime fluctuant épisodiquement, n’est pas ce que l’observateur moyen
appelle vide. Ce concept, tel qu’il fut utilisé par les porteurs de ces
théories, ne recouvrait pas une hypothèse d’absence totale de contenu, mais
signifiait seulement l’absence d’un contenu particulier. Il était simplement
postulé que le vide originel ne contenait pas encore de matière. Il était
implicitement admis qu’il contenait cependant les conditions nécessaires à son
émergence.
Il n’y a pas d’espace vide.
Cet
arrière-plan reste généralement informulé dans les exposés scientifiques
vulgarisateurs, en dépit de son extrême importance sur le plan intellectuel. On
peut, bien évidemment et en partant de la simultanéité probable de l’apparition
de l’espace, de la matière, et du temps, discuter ou contester cette
affirmation simpliste dont la forme condensée a pour seul but d’attirer
l’attention. Il n’en reste pas moins vrai que notre raison humaine se refuse à
faire naître du néant, et sans cause première, les choses dont elle constate
l’existence dans son référentiel expérimental. La raison postule donc qu’elles
sont les manifestations de l’action d’un être primordial se tenant à l’origine,
mais en arrière plan, de l’apparition du
Monde matériel et de son fonctionnement indéfiniment détruit et reconstruit au
fil de l’écoulement du temps.
Ainsi
croyons-nous savoir aujourd’hui comment notre Terre a été recréée de la
poussière d’un astre explosé, à jamais disparu. Nous savons aussi que l’énergie
de notre nouveau Soleil vivifiant provient de la transmutation et de la
destruction permanente d’une énorme quantité de matière.
La destruction du passé
est l’acte créateur du présent.
A l’origine,
il y a le mystère insondable de l’être et simultanément l’incommensurable
puissance de sa manifestation créatrice continue. A chaque instant une forme
nouvelle, une émergence, surgit du Zoran en renvoyant la chose passée au
mystère des origines.
De la même
façon, comme la matière et l’activité cosmique ont émergé du vide originel, la
conscience et l’activité de la pensée
émergent d’un nouveau vide, mental cette fois. Pour l’homme maintenant
et ici, à partir de ce nouveau désert de la conscience, cette nouvelle
émergence apparaît, que nous appelons l’Esprit.
Nous ne
comprenons pas encore très bien ce qu’est l’Esprit et nous ne pouvons guère en
dire que ce qu’il semble t être. A ce qu’il nous semble, l’Esprit c’est
l’actualisation de la vie éternelle dans l’instant présent.
L’esprit nous
parait être l’essence même du vivant s’exprimant dans un nouveau domaine
étranger au matériel, le « Je suis », transcendant l’ego, et l’Être
éternel transcendant l’existant.
Ce Monde
périssable et fugitif est une oeuvre du démiurge qui, en ce qui concerne
l’Homme, est ici incomplètement manifestée car nous n’en saisissons que les
aspects directement liés à la matière. Notre sort actuel est d’y résider
corporellement.
L’Esprit est
une autre manifestation de ce que l’on appelle couramment le Verbe,
c’est-à-dire le pouvoir créateur de l’être originel. Il n’est pas de ce monde
existentiel, mais bien au-delà du Monde. Il réside temporairement dans les
corps vivants mais sa nature n’est pas corporelle. Il n’est pas asservi aux
lois physiques de la matière ni aux contraintes de la compétition vitale. La
plupart des hommes sont conscient de cette réalité éternelle et ils espèrent
parvenir un jour à rejoindre l’Esprit dans son propre domaine.
L’Esprit a sa
réalité propre, au-delà du bien et du mal tels que nous les concevons dans
notre conscience limitée. La volonté actuelle de ce porteur de l’Esprit
conscient qu’est chacun de nous, détermine en nous-mêmes, la nature laide ou
belle, bonne ou mauvaise, de l’acte exécuté et de la forme qui vient.
Petit à
petit, l’Esprit fait son royaume dans l’empire encore imparfait du démiurge.
L’homme accompli est son moyen d’action.
Chacun de
nous a la liberté de se joindre à
cette oeuvre, ou de s’y refuser. Pour exercer cette liberté et effectuer ce
choix, nous disposons seulement de notre court temps de vie.
Tous les
actes conscients que nous acceptons, accomplissons, ou refusons en l’instant
présent sont créateurs. Ils détruisent à jamais notre passé, et déterminent à
l’instant présent même, notre futur éternel.
Tant passe le temps
immobile,
qu’émerge enfin de l’océan des étoiles,
leur propre regard !
Car nous sommes tous
de vivantes poussières d’étoiles.
Notre vrai visage est la
lumière.
Puissions-nous aujourd’hui
accepter de poser le regard
sur notre propre vérité.
|
La
Fantasmagorie sensorielle.
Je me crois Dieu, je ne suis
qu’homme,
et je cultive la raison.
Mais puis-je ignorer ces
fantômes,
qui rebâtissent ma maison.
On n’a le droit d’avoir raison
qu’avec les faits dont on dispose.
(Jean ROSTAND)
Lorsque que
nous engageons la réflexion sur la nature du monde, nous le faisons d’abord à
partir des perceptions et du témoignage de nos sens. Cette mise en oeuvre des
instruments sensoriels n’est pas une démarche originale, particulière aux êtres
doués de raison. C’est une démarche universelle qu’effectue chaque être vivant,
parce qu’elle est essentielle à sa survie.
Nous voyons
bien ici, dés le début de l’examen, que ces outils ne sont pas fondamentalement
des instruments de connaissance, mais des équipements de survie. Ils ne sont
donc pas braqués vers des objets à connaître, ni adaptés à leur découverte ou à
la détermination de leurs caractéristiques mais, tout au contraire, ils sont
conformés par les particularités des sujets à protéger, édifiés à partir de
leurs modes de vie ou de leurs besoins, et adaptés à leurs facultés.
Ce propos
surprendra peut-être. Je vais essayer d’établir sa véracité en prenant quelques
exemples construits à partir du fonctionnement des organes les plus sollicités.
Les sens fonctionnent généralement en coopération et non pas isolément. Ils
présentent au cerveau des synthèses bien élaborées en termes d’utilité vitale,
et non pas une abondance chaotique d’informations brutes, riche mais
difficilement exploitable dans l’instant.
Le premier
sens dont le vivant s’est doté est probablement le goût, car la reconnaissance
de l’élément extérieur favorable et consommable et sa différenciation par
rapport à l’élément toxique ou inerte, étaient indispensables. On voit tout de
suite que cette nécessité implique l’apparition simultanée d’une faculté de
mémorisation sans laquelle l’expérience n’est d’aucune utilité.
Le premier sens fut le goût,
le toucher a suivi.
Sans lui,
l’exploration du milieu de vie eut été impossible. Ensuite les autres sens ont
pu apparaître, afin de construire une représentation plus complète du réel
extérieur. Rappelons que d’autres êtres vivant utilisent des sens différents,
avec des organes parfois très éloignés des nôtres, qui répondent pourtant tout
aussi bien à leur objectif essentiel, à savoir la survie des individus et des
espèces, auxquels qui ils transmettent une image de la réalité bien différente
de la perception humaine.
Si vous le
voulez bien, nous allons commencer avec le sens qui apparaît comme le plus
ouvert vers l’extérieur, et donc le plus utile à l’exploration du réel. C’est
évidemment l’outil de la vision, c’est-à-dire l’oeil, qui est chez nous un
organe très complexe. Cette grande complexité pose d’ailleurs bien des
problèmes lorsqu’on veut déterminer le processus de sa formation. Il faut bien
admettre qu’un ?il n’est utile que s’il est efficace, et qu’il n’est efficace
que s’il est achevé.
Je ne désire
pas entrer dans une discussion vous invitant à choisir entre les deux théories
en compétition.
l
Le Darwinisme qui considère l’évolution comme la cause hasardeuse mais
essentielle de la transformation et du perfectionnement des espèces.
l
Ce que j’appellerai Téléomorphisme qui associe au hasard un vecteur
biologique conduisant l’espèce vers un but à réaliser, précodé dans l’interprétation
du langage génétique.
Mon propos
n’est certainement pas de discuter de l’origine des organes des sens. Je désire
seulement prendre des exemples dans la façon dont ils fonctionnent
actuellement, afin d’exposer ma pensée. Cela dit, je penche pour ma part, vers
une position intermédiaire, assez prudente à l’égard des certitudes d’écoles.
Pauli a clairement démontré que le hasard et la nécessité ne peuvent pas être
les seuls facteurs impliqués dans l’évolution des espèces. Le temps nécessaire
dépasserait largement celui de la durée d’existence de la planète.
En ce qui
concerne l’oeil, il n’est cependant pas établi qu’il n’ait pu apparaître qu’au
stade complet d’efficacité. Ce genre de raisonnement conduirait d’une part au
rejet total de la théorie de l’évolution et de la maturation progressives des
organes de la vision, et d’autre part à l’adoption du principe d’une mutation
subite. Il faudrait alors admettre que celle-ci a mis en place un instrument
immédiatement utilisable parce que parfaitement achevé. Cette opération
miraculeuse n’est pas très plausible. La difficulté de raisonnement reste
réelle, jusqu’à ce que l’on comprenne qu’elle réside seulement dans un préjugé.
Il consiste à considérer l’organe comme un appareil destiné à donner une image
fidèle du monde extérieur, comme le fait une chambre noire de photo. Il est
alors simplement défini comme un moyen d’exploration et de connaissance des
objets voisins.
Il faut
comprendre que cela n’est pas du tout la fonction primordiale d’un organe sensoriel
en général, ni de l’œil en particulier, et ce n’est pas à cela qu’il est
originellement destiné. Comme les autres organes sensitifs l’oeil originel
n’est absolument pas un outil d’exploration.
L’oeil est fondamentalement
un détecteur.
Il est
destiné à percevoir et à transmettre des indices permettant aux êtres vivants
d’adapter leur propre comportement immédiat en utilisant des stimuli fournis
par des événements extérieurs. En l’occurrence l’oeil doit détecter des indices
lumineux. Dés lors qu’il remplit ce rôle, il n’a pas besoin d’être un appareil
optique parfait et peut même être très rudimentaire. Il suffit qu’il apporte
une capacité complémentaire, aussi faible soit-elle, améliorant peu ou prou la
détection des facteurs vitaux, pour qu’il augmente les chances de survie de son
porteur, et qu’il soit statistiquement sélectionné.
A l’origine
de la formation d’un tel organe rudimentaire, simplement détecteur, une seule
cellule un peu photosensible, et à peine différenciée, pouvait ajouter aux signes
provenant de la coopération des autres sens actifs, un indice nouveau, faible
peut-être, mais suffisant pour augmenter significativement l’adéquation du
comportement du bénéficiaire aux conditions extérieures. Ultérieurement, mais
seulement si le bénéfice d’adéquation en était suffisant, le perfectionnement a
suivi en utilisant le même processus sélectif d’évolution progressive. Encore
a-t-il fallu que cette première cellule sensible apparaisse avec une fréquence
et une constance suffisante pour apporter les bases d’une sélection
statistique, et que les messages génétiques nécessaires à sa reproduction à
l’identique, soient reconnus et utilisables. Malgré ces difficultés
conceptuelles, la théorisation de la genèse de l’organe n’est pas la question
la plus complexe qui se pose aux chercheurs. Le problème véritablement
difficile est posé par l’unicité du code génétique, et l’universalité de sa
reconnaissance par tous les organismes vivants.
La reconnaissance du code
génétique est la vraie question.
Ce qui s’est,
(peut-être), produit pour l’organe de la vision, s’est aussi, (peut-être),
produit pour les autres organes des sens, dont on constate les performances
avancées dans les différents domaines d’action. Pensez à la perfection achevée
de l’oreille et de l’odorat, et à la sensibilité extraordinaire du toucher.
On ne perçoit
pas toujours que cette formation ne peut se faire que dans le cadre de la
coopération des organes déjà actifs, et seulement lorsque l’apport très mineur
d’un détecteur nouveau mais imparfait peut présenter un intérêt supplémentaire
quelconque en raison des circonstances du moment. Pour de nombreux êtres
vivants, et en raison de conditions initiales diverses, cet intérêt est trop
faible pour entraîner une transformation importante, et les choses restent en
l’état. Dans ce cas, l’organe évolue très peu et reste au niveau minimal des
performances utiles à la survie de l’espèce en cause.
En ce qui
concerne la sensibilité à la lumière, c’est le cas des végétaux qui sont
toujours photosensibles mais n’ont pas développé d’organe détecteur spécialisé.
Avec de remarquables exceptions, c’est aussi la situation de la plupart des
invertébrés qui se contentent souvent d’yeux moins complets, parfois structurés
de façon très différente des nôtres, tels les yeux à facettes des insectes. Ces
yeux complexes sont composés d’assemblages réguliers d’ocelles simplifiés
multiples dont on pense qu’elles détectent pourtant très bien l’ultraviolet et
les objets en mouvement. Par contre les pieuvres, qui sont des mollusques comme
les coquillages et les escargots, ont des yeux assez analogues à ceux des
mammifères.
Certains
vertébrés constituent des exemples étonnants de divergence adaptative. Des
grenouilles ont un ?il simplifié qui détecte surtout les taches en mouvement.
Les taches immobiles sont mal perçues. Cette réaction primitive est
suffisamment adaptée à la détection de la présence proche d’insectes
comestibles mobiles pour rendre inutile une évolution plus performante.
A l’inverse,
on peut évoquer la triple et remarquable évolution des yeux des lémuriens
nocturnes, dont l’organe est devenu globuleux et de grande taille pour capter
le maximum de lumière, tandis que l’arrière de la rétine est réfléchissant
renvoyant une seconde fois les photons sur les photorécepteurs. Des cellules
fluorescentes transforment les faibles rayonnements ultraviolets en vive
lumière verte, bien mieux perçue. Les serpents sont dotés d’un organe
particulier unique détectant les rayons infrarouges émis par leurs proies. On
peut considérer qu’il s’agit d’un troisième ?il spécialisé.
D’autres
exemples pourraient être cités, démontrant que la fonction de la vision n’est
pas initialement exploratoire mais principalement conservatrice. Ce n’est pas
réellement l’objet de cette partie de l’étude qui porte sur l’usage que nous
faisons de nos organes sensoriels en tant qu’outils de connaissance. Je
m’efforce ici d’établir que cet usage particulier est accessoire et constitue
un détournement de leur utilisation normale. Ils ont été naturellement
perfectionnés par l’évolution en tant qu’outils performants de défense ou de
conservation et non pas comme des instruments de connaissance.
Tout légitime
qu’il soit, ce transfert d’usage va buter sur les limitations attachées aux
conditions initiales d’apparition et de développement de ces organes. Ces
limites naturelles sont liées à la vocation originelle des sens. Elles ne
gênent pas l’usager instinctif. Par contre, elles constituent des obstacles
très sérieux à l’utilisation détournée que nous en faisons pour construire la
connaissance raisonnable.
Elles vont donc
particulièrement gêner l’Homme.
Celui-ci est
engagé dans une démarche d’exploration universelle. Or, c’est à nous-mêmes,
donc à l’Homme, que nous nous intéressons, et c’est donc l’oeil humain que je
vais examiner pour tenter de cerner ses limites naturelles, afin de comprendre
comment elles peuvent troubler notre réflexion sur la nature du monde et la
connaissance du réel. C’est pourquoi je le comparerai aussi à ce qu’ont produit
d’autres organismes, qui en tirent d’autres connaissances adaptées à leurs
propres besoins.
Notre ?il
humain est un instrument extrêmement complexe, dont les performances sont
telles qu’elles nous permettent de nous adapter aux conditions étonnamment
variées des modes de vie, et des divers environnements de l’existence humaine.
Si l’on peut dire que l’homme est un animal indéfiniment adaptable, c’est
essentiellement à la qualité de son appareil de vision qu’il le doit. Remarquez
bien que je reste volontairement, ici et pour l’instant, dans le cadre de
l’outil originel de conservation de l’espèce, sans considérer tout de suite
l’instrument de connaissance.
L’oeil animal
est très évidemment conditionné très étroitement par les conditions physiques
et chimiques de la vie sur terre et par les besoins existentiels de l’espèce.
Comme il est fondamentalement un détecteur du rayonnement du Soleil, dont la
température extérieure est d’environ
5800 °C, (couleur jaune pâle), l’oeil est adapté aux caractéristiques de
cette lumière, corrigées en fonction de la fraction disponible dans l’environnement humain
naturel de sa vie terrestre.
Comme toute
partie d’être organique, il est composé des seuls éléments chimiques utilisés
par les organismes vivant sur la planète. Ces combinaisons moléculaires
limitées possèdent des caractéristiques chimiques, physiques, électriques,
optiques, propres et irréductibles, qui s’imposeront dans la construction et le
fonctionnement de l’oeil, telles la durabilité, la solidité, la transparence,
la réfringence, la résonance à certaines fréquences, la conductibilité
électrochimique, etc.
En tant
qu’appareillage de survie, l’oeil a développé certaines fonctions parce
qu’elles amélioraient son utilité immédiate. Ces augmentations sélectionnées
des performances utiles pratiques ne concernent que ses capacités de détecteur,
(du danger, de la nourriture, de l’abri, du partenaire, etc.). L’exploration de
quelques fonctions de l’organe montre comment ces contraintes spécifiques
limitent l’approche du réel, même lorsque l’on fait usage d’instruments ou
d’outils complémentaires de recherche pour améliorer les performances de notre
vision dans la démarche nouvelle, (que nous qualifions de détournée),
d’exploration.
L’oeil
distingue dans l’environnement l’existence de certains indices qu’il détecte en
valorisant leurs différences par rapport au décor ambiant. Cette mise en relief
porte sur divers facteurs, tels la luminosité, la couleur, la forme, le relief,
l’orientation spatiale, le mouvement, la grandeur, la conformité à un modèle,
et d’autres paramètres. L’apparition de cette capacité de différenciation est
reliée à l’activité synchrone et coopérante d’autres sens qui ont apporté des
informations convergentes et complémentaires au moment utile, c’est-à-dire pendant
la période de développement ou d’apprentissage de la fonction concernée.
Les sens
coopérants mis en action sont plus ou moins nombreux. Ils différent selon la
fonction et l’utilité d’usage. Les sensations apparaissent lorsqu’un organe est
capable de différencier la présence d’un stimulus particulier, identifié parmi
beaucoup d’autres, dans l’environnement interne ou externe. Les sensations sont
des phénomènes psychophysiologiques, engendrés par l’excitation de l’organe
considéré.
Le percept correspondant est un objet purement mental.
Il ne fait pas de véritable référence à la chose réelle qui a émis le signal initial
mais il en signale la présence.
Cette
particularité du percept n’est pas très facile à saisir sans réflexion. Je me
servirai d’abord de la couleur des choses, pour expliquer ce que je veux dire.
La couleur est une propriété banale des objets qui semble tout à fait évidente
aussi longtemps qu’on n’y regarde pas de trop prés. Regardons donc en détail
comment elle est perçue.
A l’aide de
son système de lentilles optiques déformables, l’oeil concentre le flux de
photons incidents sur des photorécepteurs disposés en mosaïque sur la face
externe de la rétine, face aux neurones de la face interne.
Outre ces
photorécepteurs, l’oeil contient également plusieurs dizaines d’autres types de
très nombreuses cellules spécialisées et miniaturisées, qui vont combiner et
modifier les influx nerveux induits par les stimuli lumineux.
Chez l’homme, les
photorécepteurs sont de deux types.
lLes bâtonnets sont très nombreux, très diversifiés,
et sensibles aux très faibles flux de photons. Leurs fonctions multiples seront
explorées plus loin.
lLes cônes sont bien moins nombreux, moins
diversifiés, et sont sensibles aux flux importants. Leur apparition semble plus
récente, et leur évolution n’est probablement pas terminée. Les cônes sont
utilisés pour la vision diurne des détails et de la couleur.
Les
photorécepteurs répondent à l’arrivée des photons par une activité
électrochimique fortement amplificatrice et extrêmement rapide. On soupçonne
que les bâtonnets réagissent à l’arrivée d’un seul photon. Les cônes sont
nettement moins sensibles mais répondent aussi en moins de 100 millisecondes au
choc des photons, à condition que ceux-ci soient absorbés par les pigments qui
les garnissent. En fonction des sensibilités caractéristiques de ces pigments,
lesquels sont particuliers à chaque espèce, une toute petite fenêtre de
détection est ouverte dans le très large spectre du rayonnement
électromagnétique solaire.
Ce qui passe par cette
fenêtre
Est appelé lumière visible.
La largeur de
cette fenêtre est variable selon les espèces animales, ce qui modifie bien
évidemment pour chacune l’aspect des objets extérieurs.
L’oeil humain
est sensible aux longueurs d’ondes lumineuses comprises entre 400 nanomètres,
(ultraviolet proche), et 750 nanomètres, (infrarouge proche).
Ce n’est pas une très grande
fenêtre.
La
sensibilité de l’oeil est associée à l’existence de trois pigments répartis
dans trois groupes de cônes sensibles respectivement au bleu, au vert, et au
rouge. Les combinaisons arithmétiques, (l’addition), des diverses réactions des
trois types de cônes au flux de lumière incident, constituent l’origine de la
perception de toutes les couleurs du spectre visible.
Un point
particulier est à considérer. Il faut savoir que les cônes n’identifient pas la
longueur d’onde de la lumière, (la couleur), qui leur parvient, mais qu’ils
réagissent en mesurant le flux subsistant après filtrage par les pigments, (la
luminosité). Ils ont donc une réaction quantitative, et non pas qualitatif.
Faisons donc une petite expérience.
Considérons un couple de
cônes voisins,
un vert et un rouge.
lEnvoyons une lumière monochromatique jaune, dont la longueur d’onde est
placée entre celle du vert et celle du rouge.
Les cônes,
(vert ou rouge), réagissent tous les deux incomplètement au jaune, puisque
aucun des deux n’est spécifiquement adapté à la détection de cette couleur. Les
réactions sont proportionnelles à l’intensité résiduelle que chaque cône peut
absorber après filtrage, soit la moitié pour chacun dans ce cas théorique
d’étude. L’oeil perçoit la couleur jaune et transmet cette perception au
cerveau. Nous voyons du jaune qui est la vraie couleur.
lRemplaçons l’illumination jaune par deux sources
différentes, l’une verte et l’autre rouge.
Chaque cône
réagit pleinement, avec sa propre sensibilité spécifique, à la stimulation
induite par sa couleur de base, le vert réagit au vert et le rouge réagit au
rouge, mais les deux réactions sont fondues par l’oeil.
Celui-ci ne
distingue pas les flux vert et rouge séparés mais il en effectue l’addition. Il
perçoit une couleur jaune qui n’existe pas. Cette perception artificielle et
fausse est transmise au cerveau. On l’appelle synthèse additive des couleurs.
La plupart des couleurs que
nous percevons n’existent pas.
Ce sont des
synthèses additives. L’oeil les construit à partir des réactions élémentaires
des trois sortes de cônes à la lumière filtrée par leurs pigments respectifs.
Bien
évidemment, lorsque les caractéristiques des pigments sont différentes, par
l’action de facteurs génétiques ou spécifiques, les réactions élémentaires des
cônes s’additionnent en induisant des résultats différents. Le fonctionnement
du mécanisme de synthèse est identique mais la perception ne l’est pas.
Comme de
nombreux mammifères, certains humains ne possèdent que deux pigments, ce sont
des daltoniens. (Dalton n’avait pas de pigment vert). D’autres animaux sont
mieux pourvus. (Poissons, oiseaux). Ils peuvent distinguer des couleurs
brillantes, inconnues et inconnaissables, là ou nous les hommes ne voyons qu’un
beige terne et sale.
Les pigeons
sont penta chromates, utilisant cinq pigments. Peut-on imaginer l’image
composée par leur vision, couplée par ailleurs à la perception du champ
magnétique terrestre.
Certains
singes d’Amérique sont dichromates en ce qui concerne les mâles, mais les
femelles sont tri chromates ou tétra chromates.
Dans une
espèce voisine de ces singes américains, le seul singe nu, l’homme, lequel nous
intéresse particulièrement, on a détecté la
présence de quatre pigments parfaitement distincts chez certaines
femmes. (Accessoirement, cela permet de préciser la localisation chromosomique
des gènes correspondant).
Malgré ces
rares particularités féminines, il nous est impossible d’imaginer les
combinaisons colorées qui impliquent chez certaines espèces la séparation de
l’ultraviolet ou de l’infrarouge, ou d’autres couleurs inconnues.
Ces bandes de
fréquences doivent induire des discriminations aussi différentes que celles que
nous faisons à l’égard du vert, du rouge, ou du bleu. Il s’agit donc de
nouvelles combinaisons, et de nouvelles couleurs tout à fait inédites,
inconnaissables, in expérimentables par l’homme, donc inimaginables.
On voit bien
que la couleur ne traduit pas une propriété propre aux objets, mais qu’elle est
une faculté propre à l’examinateur. Les mondes colorés diffèrent selon les
espèces et selon les gens, en relation avec la variété des cônes de la rétine
qu’ils possèdent. Peut-on même penser que tel rouge, tel vert, ou tel bleu,
demeure ce rouge, ce vert, ou ce bleu,
pour chacun ?
L’intervention
des mécanismes de l’oeil concernant sur
la couleur des choses va bien plus loin. Un papier reste blanc, une feuille
reste verte, quand le ciel est bleu à midi ou rouge le soir, donc lorsque
change le flux lumineux objectif. La vision prend en compte la couleur moyenne
de l’environnement pour effectuer une super synthèse corrigeant la perception
de chaque plage colorée en fonction de la couleur globale des flux incidents.
C’est ainsi
que l’oeil arrive à soustraire de celle de chaque objet, la couleur de la
lumière rouge du soleil du soir, ou la couleur verte de la lumière du
sous-bois. Les mêmes associations des diverses longueurs d’ondes des couleurs
ne forment donc pas les mêmes perceptions colorées, aux différentes heures du
jour, ou lorsque changent les couleurs réfléchies par les objets voisins.
Il y a un rouge du midi et
un rouge du soir.
Il en est de
même pour les autres couleurs. C’est bien admissible et normal lorsque l’on
comprend que la couleur n’est absolument pas attachée à l’objet mais qu’elle
est élaborée par l’examinateur. Cela explique le désespoir des peintres, et
leur talent !
Une autre
transformation des couleurs est facilement mise en évidence par un examen
attentif. Il s’agit du renforcement des intensités apparentes au voisinage de
la frontière qui sépare deux zones différemment colorées. Si le contraste entre
les couleurs est suffisant, chacune des deux couleurs apparaît beaucoup plus
vive et plus saturée le long de la limite. De cette façon les contours semblent
nettement renforcés. Or, ces contours sont des artifices qui permettent de
reconnaître la forme des objets.
La ligne de contour n’existe
pas en réalité.
Une fonction
particulière de l’oeil la fait apparaître, et lui donne une telle évidence que
l’on dessine couramment d’un simple trait le seul contour inexistant des objets
représentés. Le renforcement des contrastes de couleurs au voisinage de leur
limite, aide à cette génération.
L’oeil
effectue beaucoup d’opérations diverses pour construire les perceptions de la
vision. La plupart d’entre elles utilisent les très nombreux bâtonnets qui sont
organisés en groupes hautement spécialisés, lesquels travaillent en coopération
avec les divers types de cellules de la face externe de la rétine.
Je
rappellerai ici certaines fonctions bien différenciées comme le mouvement, la
forme, la distance, le relief, l’orientation spatiale, la grandeur, la
conformité à un modèle, qui sont des exemples non limitatifs.
La détection
du sens du mouvement met en oeuvre des groupes de bâtonnets appariés,
différemment orientés dans l’espace de l’image, et dont certains sont couplés
avec des lignes retardant la transmission de l’influx nerveux.
Dans une
structure de ce type, les seuls influx qui arrivent en concordance de phase, et
se renforcent, sont ceux relatifs aux groupes de bâtonnets spécialisés
correctement orientés et positionnés sur la trajectoire de l’objet mobile. Tous
les autres influx sont en discordance de phase et sont ignorés dans le
processus de transmission.
La détection
de l’orientation des lignes composant les objets fait également appel à des
groupements de bâtonnets alignés, qui ont différentes orientations dans
l’espace de l’image, mais cette fonction n’utilise pas de lignes de retard.
L’association des réactions variées de ces différents groupements permet
l’extraction d’informations relatives à la forme des objets et à leur surface,
lesquelles s’élaborent d’ailleurs en corrélation avec la détection des
frontières de couleurs.
Cependant,
considérés avec l’éclairage de la connaissance scientifique actuelle, les
objets réels n’ont évidemment pas de forme ni de surface, puisqu’ils sont
seulement des champs de force qui interagissent avec les flux incidents des
diverses particules, (dont les photons de la lumière auxquels l’?il est
sensible).
A ce niveau
de l’étude et de la réflexion, nous pouvons déjà établir que l’oeil ne transmet
pas au cerveau la masse chaotique des informations lumineuses et redondantes
contenues dans l’image brute, mais qu’il en extrait mécaniquement des
sous-ensembles distincts d’éléments significatifs, dont la couleur ou le
mouvement sont des exemples. Chacun de ces sous-ensembles constitue un signe naturellement
lié à la partie du réel qu’il représente, mais cela n’est qu’un signe
informatif destiné au mental.
Ce signe n’est pas une
projection du réel.
C’est un « icône » au sens académique
et informatique du terme, c’est-à-dire un signe en relation naturelle avec
l’objet qu’il évoque. Remarquez que je lui donne ici le genre masculin. Quel
que soit l’organe concerné, ces signes, ces icônes, sont transmis distinctement,
par des voies spécialisées, aux zones particulières du cerveau chargées de les
traiter séparément, et éventuellement de les mémoriser.
En ce qui
concerne la vision, ces zones cervicales ont été partiellement identifiées et
répertoriées par des études très difficiles et minutieuses, appuyées sur les
conséquences cliniques des lésions cérébrales et des traumatismes crâniens. Le
cortex visuel est dorénavant considéré comme un organe spécifique qui crée les
images, de façon active et permanente, à partir des informations qui lui
parviennent, tant de l’extérieur que de la mémoire. Ceci est réalisé de façon
consciente aussi bien qu’inconsciente.
J’attire très
vivement votre attention sur le propos suivant. Ces images synthétiques
électrochimiques ne sont pas des projections physiques de la réalité, mais des
constructions mentales plus globales, élaborées en manipulant et en combinant
des icônes sélectionnés en fonction de la situation présente.
Vous
trouverez ci-après quelques démonstrations expérimentales plus ou moins connues
qui illustrent assez bien l’étendue des transformations inconscientes que
l’image subit avant d’être transmise en l’état d’icônes aux centres de vision
du cerveau.
La première
expérience met en évidence l’existence des taches aveugles de chacun des yeux.
Elles correspondent aux régions de pénétration des nerfs optiques dans les
globes oculaires. Ces endroits sont dépourvus de photorécepteurs et sont donc
insensibles aux stimuli lumineux. Pour constater cette insensibilité, il suffit
de tracer deux repères, espacés horizontalement de huit centimètres, sur une
feuille de papier tenue à trente centimètres environ des yeux, ou de placer les
deux index dans une position analogue.
En fermant un
?il, et en fixant de l’autre le repère situé le plus prés du nez, l’autre
repère disparaît. A cet endroit, il est projeté sur la tache aveugle de l’oeil
ouvert. Il est très possible d’étudier la forme et l’étendue des taches
aveugles en faisant varier la dimension des repères. On constate alors qu’elles
sont approximativement circulaires et que leur dimension, assez importante,
correspond à celle d’une pièce de cinq francs vue à trente centimètres. Il faut
prendre conscience qu’à vingt mètres de distance une telle tache cache une
voiture, et qu’à trente mètres, sur la route,
elle cache un gros camion.
De façon très
étonnante, cet aveuglement relativement important n’est pas perçu comme un trou
dans le champ visuel, c’est-à-dire qu’il ne se présente pas au conscient comme
la perception d’un manque avec quelque chose autour.
Le trou dû à la tache
aveugle
N’est pas perçu du tout.
Cela signifie
qu’une opération corrective inconsciente et extrêmement complexe a été opérée par le système visuel, d’abord
pour remplir ce vide insolite avec un décor de synthèse, ensuite pour raccorder
sans faille cet artifice au reste de l’image.
Cette
opération est une manifestation assez évidente d’un phénomène perceptif plus
global appelé interpolation de surface, qui est exécuté au niveau des icônes.
Le système visuel analyse les objets examinés et en extrait des sélections
d’informations qu’il transmet comme nous l’avons vu, sous la forme condensée
d’icônes de forme de couleur, de texture, et autres signaux.
L’interpolation
de surface est l’opération qui combine des icônes de forme, de couleur, et
autres, et qui synthétise un percept global d’objet ayant une forme distincte,
et une surface de texture et de couleur déterminées.
Le système
visuel ne peut extraire aucune information de forme ou de contour dans la zone
de la tache aveugle. Il effectue donc
une large interpolation de surface dans la partie de l’image qui la contient,
en utilisant les icônes de texture et de couleur qu’il peut y associer. Pour
cela il puise dans les données visuelles fournies par le voisinage ou par le
second ?il, ou bien il a recours à des données conceptuelles déjà élaborées,
puisées dans ses banques de mémoire. Cela se produit en particulier lorsque la
tache masque partiellement la forme d’un objet.
La
conséquence de ce fonctionnement, étonnant mais parfaitement établi, est que
l’interpolation peut, (assez occasionnellement, il est vrai), aboutir à la
construction d’une perception fallacieuse de lignes de contours et de formes
parfaitement illusoires, reconstruits mécaniquement et assemblés
automatiquement et inconsciemment par le système, y compris la coloration et la
structure.
Il y a donc des super
fantasmes.
Dans la
plupart des cas, en vision binoculaire, l’influence du second ?il suffit pour
empêcher le remplacement d’une donnée visuelle par une donnée mémorielle.
Cependant, lorsqu’il se produit, le processus d’intégration hallucinatoire d’un
élément mémoriel illusoire dans le champ visuel est parfaitement inconscient.
Les illusions
d’optique démontrent la grande virtuosité du système visuel dans cette synthèse
complexe mais inconsciente. Pour rester pratique, il faut tenter de comprendre
la périlleuse étendue des risques qu’apporte un tel fonctionnement intégrateur,
en particulier sur la route.
Je rappelle
que l’image d’un camion, bien réel et très dangereux, peut être automatiquement
remplacée, le temps d’un bref coup d’oeil mal orienté, par celle d’un morceau
de route parfaitement vide, laquelle sera puisée dans le voisinage immédiat, ou
même dans la mémoire.
L’approche de la réalité
nécessite plusieurs coups d’oeil.
La seconde
démonstration a été largement et longuement présentée au public par
l’exploratrice de Sand Francisco. Elle
montre les phénomènes qui se produisent lorsque le système visuel effectue la
fusion binoculaire, c’est-à-dire la combinaison des images perçues par chacun
des deux yeux.
La fusion binoculaire est
habituelle et inconsciente.
Les deux
images ne sont cependant pas tout à fait identiques. Elles différent
généralement par de faibles effets de perspective et de largeur de champ. Il
est connu que le système visuel utilise les différences de perspective pour
élaborer l’icône décrivant le relief, mais c’est bien une seule image qui est
perçue avec une caractéristique supplémentaire de profondeur.
La situation
n’est plus la même lorsque les deux images présentent des différences plus
marquées en raison d’une position particulière, ou de la présence d’obstacles
masquant une partie de la scène. Le système visuel fusionne alors les deux
images partielles et complémentaires et il fabrique une seule image cohérente
en assemblant arbitrairement les icônes des deux morceaux.
Il est assez
facile d’expérimenter cette situation. Lorsque les différences sont
importantes, le système visuel peine à combiner les icônes. Certaines parties
de l’image composite apparaissent plus floues ou incomplètes. Si un mouvement
se produit dans une partie du champ visuel d’un ?il, la zone correspondante du
champ du second ?il devient momentanément aveugle.
L’icône
informatif correspondant est donc ignoré. Cet icône effectif et signifiant est
rejeté de la composition. La perception de l’image composite est aussitôt
automatiquement et inconsciemment reconstruite en ignorant l’objet fixe, et en
plaçant à cet endroit la présentation du seul objet en mouvement.
La perception du mouvement
A un effet masquant.
C’est un
fantasme de nature particulière dans lequel un stimulus issu du réel,
parfaitement efficient puisqu’il induit un influx perceptible, (et qu’il est
donc représenté par un icône informatif), est brusquement gommé au bénéfice
d’un autre stimulus prioritairement pris seul en compte par le système visuel.
Ici aussi, ce
fonctionnement mécanique inconscient induit des risques routiers graves et
ignorés. Ils sont en particulier liés à la position habituelle des rétroviseurs
latéraux.
L’image
binoculaire composite combine parfois le large vu de la route à l’avant avec la
vue étroite et très différente du contenu du rétroviseur. Un véhicule
approchant lentement par l’arrière peut être perçu comme fixe dans le champ de
l’oeil surveillant faiblement le rétroviseur, tandis que l’autre oeil perçoit
aisément le mouvement très important des obstacles qui défilent rapidement
devant le conducteur.
La perception
prioritaire du défilement rapide du décor majeur gomme alors l’image mono
oculaire de l’objet dangereux, car celui-ci est
perçu fixe, jusqu’à ce que son entrée dans le champ de la vision
binoculaire le réintègre soudain dans la perception.
Le véhicule
incident semble brusquement surgir du néant. Chaque conducteur a vécu cette
situation sans comprendre qu’il était inconsciemment le jouet d’un fantasme à
effet de masque.
Les fantasmes masques sont
vraiment redoutables.
Une autre
expérience facile est liée à la perception du relief et de la distance. Le
système visuel traite ces deux éléments en corrélation, en utilisant deux
stimuli distincts.
lUn stimulus est externe. C’est l’effet de parallaxe, c’est-à-dire
l’extraction des faibles différences d’images produites par l’angle qui sépare
les axes de visée de chacun des yeux, pour aboutir à la perception du relief ou
de la profondeur.
lL’autre
stimulus est interne. Il est puisé dans la mémoire des expériences vécues qui ont associé
diverses perceptions de relief avec des distances corrélatives expérimentées ou
effectivement parcourues à pied par le sujet.
Le système
visuel combine les deux stimuli et transmet un nouveau signal qui contient à la
fois les deux informations. Cela permet au mental de représenter les distances
et les profondeurs.
Ce
fonctionnement est constaté lorsque que l’on utilise des appareils
stéréoscopiques tels des télémètres à miroirs dont l’écart des objectifs est
supérieur à l’écart normal des yeux. La perception du relief est grandement
améliorée, mais l’appréciation des distances, ou profondeurs, est fortement
faussée aussi longtemps qu’on utilise l’appareil avec les deux yeux.
Le système
visuel effectue également un traitement simultané en utilisant des informations
relatives à la position verticale du sujet observé. Il modifie la distance et
les dimensions apparentes en fonction de leur angle d’élévation par rapport à
l’horizon.
C’est ainsi
que le soleil ou la lune paraît beaucoup plus grosse lorsqu’ils sont à
l’horizon que lorsqu’ils sont au zénith. Il est évident que l’éloignement des
astres reste fixe.
L’effet d’élévation s’applique
Quelle que soit la distance.
Un objet
situé à cinq mètres paraît très prés, à quelques pas. Le même objet, placé à
trois mètres, en hauteur ou en profondeur, semble déjà presque inaccessible. A
l’horizontale, les choses gardent leur vraie taille et leur proximité.
Regardées du haut d’un immeuble de trente mètres, ce sont des jouets
miniaturisés.
Parlons aussi
des illusions d’optique expérimentales, ou des étonnantes compositions de
Maurice Cornélius Escher, (dont je vous reparlerai dans d’autres approches du
réel), qui dessina sa vie durant des objets impossibles auquel l’oeil attribue
pourtant une existence virtuelle. Le système visuel a cette capacité étonnante
de compléter les vues incohérentes en ajoutant les signes nécessaires à
l’élaboration d’une perception utilisable. Il va chercher ces icônes où il le
peut, dans ses banques de mémoire éventuellement.
Comme cette
opération est inconsciente, l’observateur est berné. En l’occurrence le mental
conscient ne perçoit pas clairement le point de raccordement des artifices
mémoriels aux artefacts sensoriels et oscille d’une interprétation douteuse à
une autre.
Autre chose
encore. Lorsque l’oeil détecte un objet en mouvement, il ne travaille pas comme
le cinéma qui projette une rapide succession d’images, mais il transmet
simplement un icône supplémentaire signalant ce mouvement. L’intégration de ce
signal donne au système visuel la capacité de construire un objet mental stable
quoique comprenant des éléments variables, car mobiles, demeurant cependant liés
entre eux. Lorsque la zone cervicale chargée de la réception de cet icône du
mouvement est altérée, le sujet perçoit une image sautillante dans laquelle
l’élément mobile occupe des positions différentes à chacun des mouvements
exploratoires des yeux, et il ne peut plus relier ces localisations les unes
aux autres.
En fait le
cinéma trompe le mécanisme de détection du mouvement, en présentant précisément
ces positions successives à une cadence supérieure au temps de récupération des
photorécepteurs. Des bâtonnets voisins transmettent une même image décalée dans
le temps.
Comme nous
l’avons vu plus haut, cette opération, couplée avec l’action des lignes de
retard, aboutit à l’émission d’un icône, ici
artificiel, qui signale un mouvement illusoire de l’objet mental. Le
cinéma est vraiment l’art de l’illusion fantasmatique. Si on ralentit la
cadence de projection, l’icône de mouvement disparaît. Pour nous, la même image
commence alors à sautiller. L’oeil a repris son émission d’icônes synthétiques
sur d’autres bases.
Si l’on
considère l’oeil comme un simple appareil optique, une question se pose
logiquement. Pourquoi et comment l’image
que nous percevons reste-t-elle stable lors des mouvements exploratoires de la
tête et des yeux ? L’image donnée
par un appareil optique bouge lorsque l’objectif change d’orientation. Celle
qui est perçue par l’oeil reste fixe. Cela montre bien que l’image perçue est
un objet purement mental.
L’objet mental est stable en
soi.
Il intègre
des signes qui lui parviennent simultanément soit des divers organes sensitifs,
soit des banques de mémoire. Dans les diverses zones de l’image, en particulier
à la périphérie, il y a un va-et-vient constant entre des signaux venant de
l’oeil et ceux venant d’une mémoire sensorielle immédiate.
Quand un
objet change de place ou quitte un instant le champ visuel, il n’est pas gommé
pour autant de l’objet mental global. Il y conserve certaines propriétés dont
en particulier sa forme et sa localisation spatiale, même hors du champ visuel
et derrière la tête. Nous continuons mentalement à le positionner dans
l’espace.
Les icônes transmis sont
alors
entièrement mémoriels.
On voit bien
le travail de transformation effectué par le système visuel, qui construit ses
icônes en fonction de la difficulté d’accès ou de la dangerosité théorique de
l’approche des objets considérés, et applique sa méthode inconsciemment et sans
discernement, y compris aux astres du ciel.
Dans cette
partie du développement, j’ai parlé de l’oeil humain, avec un arrière plan général
qui est celui de la disposition faciale des deux yeux chez les primates et donc
chez l’homme. C’est cette disposition qui permet au système visuel d’extraire
les informations relatives au relief, à la distance, et de remplir facilement
l’étendue des taches aveugles.
La position faciale des yeux
engendre la perception du relief.
Certains
animaux ont les yeux disposés latéralement. Leur appréciation du relief est
forcément différente puisqu’ils ne disposent pas du facteur de la parallaxe.
Ils doivent régler le problème des taches aveugles par un mécanisme ne faisant
pas intervenir la correction binoculaire.
La
combinaison de deux images très différentes provenant l’une de l’oeil droit, à
l’est par exemple, l’autre de l’oeil gauche, à l’ouest, devrait aboutir à une
image composite assez insolite du point de vue humain.
Nous pouvons
cependant en avoir une idée lorsque nous regardons un spectacle de cinéma
panoramique. L’image projetée en cinérama est composite. Elle est captée par
plusieurs caméras opérant sous des angles différents. Nous voyons une
association entre une vue de face et des vues latérales.
La sensation
de relief est intense en cas de mouvement, au point d’engendrer malaise et
vertige. L’objet mental en relief est là. Cependant, dans ce cas, le mécanisme
habituel de construction du relief stéréoscopique n’est pas activé. Le résultat
reste pourtant le même.
Plusieurs mécanismes
aboutissent au même résultat.
D’autres
êtres vivants peuvent mouvoir en tous sens des yeux plus ou moins télescopiques,
comme le caméléon, ou disposent de nombreux yeux de puissances et de focales
variées comme l’araignée. Ces complexes combinaisons d’icônes fabriquent un
objet mental unique aboutissant à une perception globale du sujet.
Des flux
énormes de particules circulent dans l’univers, parmi lesquels les neutrinos et
les photons. La nature a fait le choix de l’utilisation des photons faciles à
détecter parce qu’ils sont interagissent beaucoup plus que les neutrinos avec
la matière.
Avec les photons, le monde apparaît
dense et opaque.
Ce n’est
qu’une apparence particulière, due à l’usage des photons. Imaginons que nous
disposions d’organes (tout à fait
extraordinaires et peu vraisemblables), sensibles au flux de neutrinos.
Ceux-ci sont émis par tous les corps, et traversent d’énormes quantités de
matière sans interagir avec elle. Nous aurions alors à traiter une autre
apparence particulière. Nous pourrions contempler sous nos pas, le centre de la
Terre, l’envers des continents, le Soleil des antipodes, et à travers tout cela
la lumière des lointaines étoiles.
Avec les neutrinos, le monde
serait subtil et transparent.
Imaginons
encore, (cela ne coûte rien), qu’une fenêtre beaucoup plus large soit ouverte
dans le spectre électromagnétique. Notre vue du monde serait bien différente.
Nous pourrions voir les émissions de radio et de télévision, chacune visible
avec sa couleur propre. On peut ainsi
jouer à imaginer un mélange de la couleur rouge avec la couleur inconnue de
Radio France, qui colorerait les murs de la maison voisine. Tous les objets,
donc tous les murs, reflètent en réalité une combinaison de rayonnements encore
bien plus complexe quoique invisible pour nos yeux imparfaits.
Nous ne
travaillerons pas davantage sur l’oeil, mais avant de clore ce chapitre, je
désire à nouveau répéter que les organes des sens ne travaillent pas isolément
mais en association étroite les uns avec les autres, et en y associant des
informations tirées des banques de mémoire. Citons ici, pour mémoire, la glande
pinéale, qui constitue chez presque tous
les animaux non mammaliens un troisième ?il véritable, analogue aux yeux
classiques et fonctionnant avec des photo détecteurs cachés derrière la peau.
Son rôle reste encore assez mal connu. Elle semble cependant spécialisée dans
la détection des grands rythmes d’éclairement, les jours et les saisons, et la
régulation des fonctions vitales importantes. Elle commanderait également tous
les grands fonctionnements glandulaires périodiques, l’activité, l’éveil, le
sommeil, l’hibernation et les périodes de reproduction. Si nous étions
conscients de son travail, nous verrions ces différentes fonctions internes,
(et bien d’autres), comme des images tout à fait significatives.
Souvenons-nous
aussi que certains animaux utilisent des sens très particuliers dont on ignore
l’aspect qu’en prend la perception.
On
retiendra comme exemples :
L’ultraviolet (abeilles),
L’infrarouge (serpents),
Les sons aigus (dauphins),
Les ultrasons (chauve-souris),
Le magnétisme (pigeons),
L’électricité (torpilles),
L’odorat (chiens), etc.
Les organes
extraordinaires de la perception des sons mériteraient tous un développement
analogue à celui consacré à la vision.
Nous avons
déjà vu les artifices mécaniques qui sont utilisés par le fonctionnement
sensoriel, et je ne voudrais pas vous lasser davantage.
Evoquons
cependant un instant le remarquable système d’écholocation grâce auquel les
chauves-souris explorent leur environnement dans l’obscurité totale. Elles ne
paraissent pas gênées par la proximité de nombreux congénères qui émettent
pourtant des flots de sons parasites. On a découvert qu’elles travaillaient
ensemble en utilisant chacune sa propre fréquence personnelle d’émission. Pour
ces animaux, la représentation donnée par la détection des échos d’ultrasons n’est
pas forcément différente de celle qui nous est donnée par la détection des flux
réfléchis de photons.
Permettez-moi
donc d’expliciter ma pensée. Il est tout à fait possible que cette
représentation sonique des caractéristiques géométriques de l’espace, qui est
évidemment transmise sous forme d’icônes, engendre des perceptions mentales
analogues ou identiques à celles provoquées par nos perceptions visuelles. On
peut tout à fait envisager un objet mental d’origine acoustique ressemblant
très fortement à l’objet mental d’origine optique. Il pourrait avoir des
couleurs, des textures, et des reliefs ultrasonores, dont la perception ne
différerait en rien de celle des équivalents lumineux. Chaque animal
distinguerait alors son propre terrain de chasse coloré dans sa couleur
personnelle.
Il existe un
indice d’une telle possibilité de généralisation de la forme des signes
iconisés. Il est donné par la nature de la perception des informations
concernant la direction de la position d’un objet donné. Le même type d’icône
est émis à destination du mental par des organes très différents concourant à
cette détection. La perception de la direction est la même quelle que soit
l’origine de l’analyse effectuée.
La source est
localisée dans l’espace, quel que soit l’organe exploratoire, (vue, toucher,
ouïe, odorat). Cela qui signifie que l’objet mental global intègre une
information « position » toujours identique qu’on peut qualifier
d’essentielle.
L’objet mental essentiel ne
dépend pas de l’organe utilisé.
Accordez-moi
un dernier propos avant de clore ce long chapitre préliminaire. Utilisons l’un
de nos organes sensoriels pour chercher une chose dont nous avons une image
mentale précise. Cela peut être un objet égaré, un visage perdu dans la foule.
Nous n’examinons pas en détail tout ce que nous voyons, mais nous posons en
quelque sorte un filtre préalable sur notre appareil détecteur, en le laissant
opérer la sélection par lui-même, de façon inconsciente.
C’est également vrai quel
que soit l’organe sensoriel utilisé.
On pourra
ainsi suivre une conversation dans un brouhaha important, reconnaître un timbre
de voix dans un groupe, ou un instrument dans l’orchestre malgré le bruit
environnant, trouver à tâtons tel objet familier dans l’obscurité, etc.
Il nous est
donc possible de présélectionner consciemment les seuls icônes dont nous
autorisons la transmission inconsciente au mental à partir des organes des
sens, à tel point que si l’image mentale volontaire préalable est fausse, nous
serons incapables de retrouver l’objet cherché.
Nous cherchons alors un
fantôme de fantasme.
Des études
récentes ont bien montré les organes des sens, y compris l’oeil, ne communiquent pas à sens unique avec le
cerveau, ni même à double voie. En fait, la communication est bien plus qu’un
dialogue. Elle met en relation collective et réciproque tous les organes entre
eux, internes et externes, via le cerveau. C’est ce travail collectif qui donne
naissance à la perception d’un objet mental représentatif du réel.
Depuis un
moment, vous devez vous demander où je veux vous mener au travers de cette
étude du fonctionnement général des organes des sens et l’examen attentif de
l’oeil par lequel nous arrive la lumière. Celle-ci est souvent traitée comme le symbole de la connaissance
parfaite qui ouvre à l’Homme la maîtrise de la Terre, ainsi que les portes du
Ciel et de l’Enfer. Je voudrais maintenant vous soumettre, (en désordre et de
mémoire), quelques vers du très beau poème de Ruydard.Kipling, IF,
qui mériterait bien ici d’être rapporté en entier.
Si
tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie,
Et
sans dire un seul mot te mettre à rebâtir.
..Et
si tu peux rêver,
Mais
sans laisser ton rêve être ton maître,
Douter,
sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Penser
sans n’être qu’un penseur,
Alors
les rois, les dieux, la chance et la victoire,
Seront
à tout jamais tes esclaves soumis,
Et,
ce qui vaut bien mieux que les rois et la gloire,
Tu
seras un homme, mon fils.
Si vous le
voulez bien, nous allons faire un premier pas très important en suivant les
conseils de Kipling, penser, rêver, douter, mais sans laisser nos pensées, nos
doutes et nos rêves devenir nos maîtres destructeurs. Je vous propose donc de
faire face ici, en hommes pensant librement, à une première série d’évidences,
une pensée nouvelle qui risque de changer vos convictions anciennes.
Nos sens nous donnent une
image infidèle
de la réalité.
Nous avons
constaté que les organes des sens sont des appareils physiologiques
spécialisés, construits pour détecter la présence d’objets, spécifiquement
intéressant, dans le monde extérieur.
Lorsqu’ils
détectent l’émission des stimuli correspondant à leur vocation particulière,
les organes émettent des icônes, des signaux caractéristiques à destination du
centre nerveux central, le mental. Ces signaux sont seulement des signaux. Ils
ne sont pas une représentation fidèle du réel. Chez l’Homme, le centre nerveux
central est localisé dans le cerveau. Il a acquis un développement particulier
qui permet un examen conscient de l’image synthétique construite par le mental
pour représenter l’environnement du sujet. Par ailleurs, le mental humain est
également capable de construire d’autres structures synthétiques imagées dont
le rôle est de représenter des objets immatériels ou abstraits.
J’ai tenté de
montrer combien ces images réfléchies du Monde sont parfois incomplètes,
souvent illusoires et, par nature, toujours mécaniques et artificielles. Elles
sont accessibles au conscient mais elles sont fabriquées par le mental à partir
des signaux transmis soit par les organes des sens soit par des données
extraites des banques mémorielles. D’une certaine façon, elles nous sont
livrées par un double intérieur, un serviteur, (et parfois un maître redoutablement trompeur). C’est lui
qui les présente à notre conscient. Il est inutile de se poser davantage la
question du réalisme de la représentation du réel. Dés que l’on pousse un peu
l’étude, nous voyons très évidemment qu’il s’agit là d’irréalisme systématique
et organisé. Nous pouvons donc formuler une seconde constatation corrélative.
La représentation du réel
est toujours
purement mentale.
Il s’agit
toujours d’un objet construit de façon synthétique, à partir des signes
abstraits, émis dans l’instant par les différents organes sensoriels, externes
et internes, combinés dans le même temps avec d’autres signes abstraits puisés
dans la mémoire.
Cette
combinaison est généralement inconsciente et automatique. Elle peut se produire
pendant le sommeil, et aboutir à cette imagerie largement artificielle qui est
le rêve. On sait combien ses fantasmes peuvent être précis, détaillés,
enchanteurs ou parfois effrayants. Dans l’état de veille, nous donnons au
produit de cette élaboration complexe la valeur d’une représentation crédible
de la réalité. Nous tenons cette position tant que les stimuli extérieurs
restent en dessous des seuils avertissant d’un risque de danger physiologique.
Mais l’intensité devenant excessive d’un stimulus provoque l’émission d’un
nouveau signal, l’icône de la douleur.
A cet instant
précis, la prétendue représentation du monde extérieur fait soudain place à
celle de la souffrance organique intérieure. Objectivement, l’objet réel
extérieur n’a pas changé, mais sa perception est brusquement modifiée. Par
conséquent, il faut bien admettre qu’elle n’est qu’une création du mental.
La perception est donc une
fantasmagorie.
C’est une
association de fantasmes réalisée par le cerveau. Ils sont reliés naturellement
d’une part à la réalité extérieure à travers les signes virtuels que sont les
divers icônes sensoriels envoyés par le corps. Ils reflètent aussi et
naturellement d’autre part l’organicité intérieure, chimique, mentale, et
mémorielle, dont émanent des icônes complémentaires ou suppléants. Il est de
notre nature humaine, (il est donc très normal), de trouver cette
représentation artificielle du monde, crédible, performante et satisfaisante.
Nous devons
cependant comprendre que notre expérience du réel est extraordinairement
limitée, car au sein du cosmos immense, nous n’avons accès expérimentalement
qu’à l’espace intérieur ridiculement petit de notre propre corps. Nous ne
pouvons consciemment explorer qu’une infime fraction de cet infime espace. Tout
le reste est à l’extérieur, et ce que nous en percevons n’est qu’un reflet
léger et déformé.
D’une façon naturelle, nous
trouvons nos sens tout à fait efficaces et satisfaisants. Il nous arrive même
de les trouver vraiment merveilleux, et nous nous extasions devant les
performances extraordinaires de la machine humaine. L’homme éprouve toujours un
très grand plaisir à regarder son nombril qu’il trouve tellement admirable.
Nous pouvons aussi imaginer que nous sommes en fait dans la situation
comparable à celle d’un escargot imaginaire. Lancé au maximum de sa vitesse, il
rencontre un caillou. Il en prend conscience et l’évite. Nous supposons qu’il
se félicite de l’efficacité de ses sens, de ses réflexes et de son habileté.
La nature fait ce qu’elle
peut avec ce qu’elle a.
En
l’occurrence humaine, et pour exemple, elle fait fonctionner nos nerfs, nos
sens, et nos muscles avec des moyens électrochimiques, qui sont très lents,
comparés à la vitesse de propagation de l’électricité ou de la lumière. Avec
ces systèmes limités, il nous est déjà difficile d’attraper une mouche en vol.
Nous inventons alors des mécanismes complémentaires et des ordinateurs qui
relaient notre lenteur lorsque nous avons besoin d’une réaction rapide.
Pourtant nous ne percevons généralement pas toutes ces graves limitations et
ces imperfections, car nous jaugeons le monde avec nos propres instruments, et
notre évaluation est à la mesure de notre propre nature.
Nous donnons au monde
matériel
la couleur humaine.
Il en est de
même sur le plan intellectuel et moral. Nous créons des modèles culturels,
mathématiques ou conceptuels pour essayer d’approcher la figuration du Grand
Tout, de ce que j’appelle le Zoran. Ces travaux et ces concepts abstraits sont
aussi des objets purement mentaux. Ce sont des assemblages de signaux
électrochimiques cérébraux destinés à expliquer et interconnecter logiquement
ces autres signes électrochimiques artificiels que sont les perceptions imagées
du monde extérieur.
J’ai appelé
« Univers » l’objet global constitué par cet assemblage de signaux.
Cet objet est purement mental et intérieur. Il est limité au champ de
l’expérience sensorielle par les bornes de nos sens, comme il est limité au
champ de la connaissance intellectuelle connexe par les possibilités actuelles
de notre cerveau.
Au sein du
Zoran immense et inexpérimentable, matériel et immatériel, connu et inconnu,
visible et invisible, nous n’avons accès qu’à une infime partie de l’être
total. Nous ne pouvons explorer consciemment que ce que nous représentons
électriquement dans notre intellect, c’est-à-dire une infime fraction de cet
absolu.
Comme pour la
partie matérielle que nous avons appelée Univers, tout le reste est à l’extérieur, et ce que
nous en comprenons n’en est qu’un reflet léger, fragmentaire et déformé.
D’une façon
naturelle, nous trouvons notre récente intelligence tout à fait efficace et
satisfaisante. Il nous arrive même de la trouver admirable, et nous nous
extasions devant l’ampleur de la pensée humaine et les performances
extraordinaires de notre cerveau. Là aussi la nature fait ce qu’elle peut avec
ce qu’elle a.
C’est
à l’univers total, que nous donnons
la couleur humaine.
Dans le
prochain chapitre, nous allons essayer de comprendre pourquoi nous utilisons
souvent cette infime fraction de la connaissance pour construire dans notre
mental une représentation fallacieuse du réel et affirmer, à partir de là,
notre domination sur le Monde.
Sur l’immense Univers, la
Caravelle humaine,
Vogue aux vents errants du
Zoran.
Peut-être a-t-elle un
timonier.
Je crois qu’elle a un
Capitaine,
Et crains
qu’il soit Satan.
.
L |
a Traversée du Miroir Noir.
Ami
contemplant ton miroir, sais-tu, ce que regarde ton image ?
Adam
ouvrit les yeux sur les êtres du monde,
Et
saisit leurs images dans le miroir des mots.
Mais
les reflets des mots ne sont que des images.
Adam
dans son miroir contemple ses mirages,
Le
singe de l’envers rêve de création.
Du
coté de Dieu la vraie chose,
De
l’autre coté l’illusion.
Sans préjuger
de la valeur des hypothèses en concurrence concernant l’origine du monde et le
sens de la vie, nous avons vu que les êtres vivants, dont l’homme naturel,
placés dans leur environnement normal, généralement hostile, subissent les
dures contraintes de la compétition. Nous pouvons penser qu’ils vont tenter de
survivre en s’adaptant aux conditions matérielles de leur milieu de vie et aux
facultés des compétiteurs. Ce n’est pas tout à fait aussi simple. On trouve en
fait des réponses bien différentes au problème posé. Parfois c’est la survie de
l’individu qui est privilégiée, parfois c’est celle de l’espèce.
Il n’y a pas
de règle type, mais on peut néanmoins considérer que les êtres vivants
utilisent certaines des propriétés physiques et chimiques de leur milieu de vie
pour mettre en place un arsenal de détecteurs. Ce sont ces appareils
organiques, fonctionnant mécaniquement, que nous appelons organes sensoriels.
Ils envoient vers le système nerveux central des signaux automatiquement codés
qui sont en relation naturelle avec les stimuli émis par le monde extérieur,
mais qui ne sont pas une véritable projection objective du réel. Nous avons
appelé « Icônes » ces signaux sensoriels significatifs.
Afin de
comprendre pourquoi la nature a favorisé cette solution de représentation
symbolique de préférence à une présentation objective plus exacte, nous devons
engager une réflexion. Nous savons que les trains d’icônes induits par les
stimuli provenant du monde extérieur sont complétés par d’autres icônes
provenant des senseurs internes ou issus du système mémoriel. Ces paquets
complexes de signes suivent divers chemins, vers le cerveau d’une part, vers le
système réflexe d’autre part. Le cerveau tente d’en tirer une interprétation
cohérente aboutissant à l’élaboration d’un objet mental unique et complet.
Cela peut prendre un temps
parfois dangereusement long.
Le système
réflexe agit sans attendre, et le plus souvent avant même de disposer de
l’ensemble des informations existantes. Cela ne veut pourtant pas dire qu’à son
niveau inconscient, le système réflexe ne dispose pas d’un objet global aussi
complet et cohérent que celui construit par le cerveau conscient. Il s’agit ici
d’une construction rapide, à la cohérence fruste, bâtie avec un minimum
d’éléments, de façon à gagner du temps.
Prenons un
exemple pour réfléchir à la nature de ces objets perceptifs qu’on imagine trop
facilement imparfaits et grossiers. Un homme se déplace dans un sous bois
obscur et va marcher sur une forme douteuse, un trou, un serpent, une énorme
araignée ! Il s’écarte brusquement. Il analyse ensuite avec son cerveau
l’objet comme une ombre, une branche tordue ou une feuille morte.
Le système
réflexe avait très rapidement fait une autre analyse en fonction d’un danger
potentiel, ici inexistant, mais parfois très réel. En termes de survie
l’analyse rapide était adéquate. L’image était précise et complète.
L’imprécision
n’était absolument pas dans l’image formée mais dans l’insuffisance des signaux
inducteurs. Il faut admettre que cela implique l’utilisation par le système
réflexe de nombreux icônes mémoriels associés instantanément aux icônes
incidents momentanément insuffisants. L’objet mental perçu, trou, serpent ou
insecte géant, était unique, cohérent et complet, quoiqu'il ait été très
rapidement élaboré.
Sa finition permettait une
action immédiate.
Cela montre
bien que l’objet mental n’est pas une projection du réel, mais qu’il est une
construction représentative symbolique, artificielle et synthétique, finie,
cohérente et complète. J’ai désigné par Univers l’ensemble des objets mentaux
synthétiques que nous formons pour sa représentation. Par contraste, et pour
bien marquer la différence conceptuelle que je vous proposais de faire, j’ai
appelé Zoran le réel global, perpétuellement et mystérieusement inconnu parce
que inexpérimentable.
Lorsque
l’être vivant, et tout particulièrement l’homme, se mesure à son environnement
pour quelque raison que ce soit, il faut bien comprendre ce qu’il fait. Il
tente de situer une image actuelle dans un ensemble mémorisé connu. Il essaye
en fait de relier l’image mentale qu’il se fait actuellement de la situation
présente, à son Univers personnel, c’est-à-dire à la somme des représentations mémorisées dont il dispose.
Cela se fait
de plusieurs façons, par la perception inconsciente ou réflexe, par l’examen ou
la réflexion consciente, par le sentiment, ou par d’autres moyens dont certains
peuvent ne pas être encore connus.
Examinons le
problème général posé par la réalisation d’un tel lien d’identification ou de
reconnaissance. Pour l’effectuer, l’être vivant doit utiliser, consciemment ou
inconsciemment, des représentations. Elles concernent d’une part les objets
intéressés, d’autre part les interactions qu’il envisage avec eux. Ces
projections hypothétiques de relations entre les objets extérieurs et l’être
lui-même, sont aussi des sortes d’icônes assez particuliers. Ils sont élaborés
non plus à partir de représentations expérimentales naturelles et immédiates du
monde externe ou interne, mais pour représenter ces représentations déjà
mémorisées, et leurs relations mutuelles contingentes.
Ce sont, en quelque sorte,
des icônes au second degré.
Tout être vivant évolué, sans que ce propos
implique l’usage d’une fonction de conscience au sens humain du terme,
détermine son comportement à partir de ce genre « d’icônes
contingents ». En fonction de son organisation corporelle, de la
structure et des possibilités de son système organique, il dispose d’une sorte
de bibliothèque d’icônes, variable en nature, en quantité, et en qualité.
Les
organismes simples ne peuvent appeler qu’un nombre très limité de ces signes,
et cela implique donc un comportement automatique et stéréotypé. Nous n’allons
pas nous risquer à formuler d’audacieuses et invérifiables hypothèses sur la
mémoire et les rêves des organismes primitifs, le psychisme des invertébrés, ou
l’affectivité des végétaux. Nous allons simplement regarder comment se
comportent les cousins animaux les plus proches de l’homme, car les organismes
complexes ont beaucoup de possibilités à leur disposition. Ils s’adaptent très
finement aux aléas présentés par le milieu. Nous constatons souvent que ces
animaux commensaux semblent rêver pendant leur sommeil, et qu’ils utilisent
donc inconsciemment des images animées. Notez ici que j’utilise le mot «
images » avec le sens très général de représentations mentales. Je
l’étends donc bien au-delà du sens purement optique.
Les
animations oniriques mettent en oeuvre des figures artificielles d’objets
reliés au rêveur, c’est-à-dire très précisément ces signes particuliers que
nous avons appelés plus haut, faute de mieux, des icônes contingents.
Je n’utilise
pas encore ici la notion de concept qui pourrait apparaître appropriée, mais
nous y. reviendrons ultérieurement. Pour l’instant j’évoque des représentations
mentales au second degré, groupant à la
fois des objets et leur interaction avec le sujet. Ces catégories de signes,
liés au sujet, deviendront dans le courant de l’évolution et de la
complexification organique des espèces, les très lointains précurseurs des
mots. Les représentations subjectives que sont les précurseurs des mots peuvent
être formulées en plusieurs sortes d’imageries,
ou « langages » distincts.
Chez l’homme, le premier
langage
est purement mental.
Je l’appelle
langage par commodité, car c’est plutôt un enchaînement séquentiel d’évocations
significatives, sans règles ni syntaxe. Cela ressemble cependant à une langue,
imagée au sens général, rapide, et non vocale, qui n’utilise donc que les
précurseurs des mots, et qui fonctionne au seul niveau cérébral.
Il apparaît
que tous les hommes utilisent mentalement cette même langue originelle et
universelle avant d’apprendre un langage maternel verbalisé avec les
combinaisons sonores qui lui sont propres. Il est même très probable que ce
proto-langage mental imagé originel est également utilisé par les animaux. Ils
l’utilisent, au moins dans le rêve, pour produire une représentation interne du
monde. Nous savons aujourd’hui que de tels langages, sans mots verbaux,
existent. Certains sont encore plus universels, tel le code génétique. Ce code
exprime les principes de construction des différents corps vivants terrestres
dans une forme qui semble reconnue par tous les organismes de notre planète.
Il est
également permis de penser qu’un code originel, plus fondamental encore, régit
entièrement la structure physique de la matière et de ses composants. Il a été
envisagé que cela puisse être la suite arithmétique des nombres entiers. Cette
approche simplificatrice rationalisante, ne me paraît pas être un reflet
parfaitement conforme à ce que le Zoran nous révèle progressivement de sa nature.
Bien au contraire il semble nous dévoiler une structure toujours aussi complexe
quelle que soit l’échelle à laquelle se fait l’examen. Nous y reviendrons.
Concernant
notre sujet actuel, il n’y a bien évidemment aucune raison pour que l’usage du
proto-langage imagé soit limité chez l’animal au seul domaine du rêve. Nous
pouvons penser qu’il fonctionne également, de façon plus générale, dans les
autres domaines du comportement vital. Je ne prétends pas que les animaux
pensent à la façon dont nous pensons. Notre fonction évoluée nécessite une
réelle capacité d’abstraction et l’utilisation de vrais mots. L’abbé CONDILLAC
prétendait même que nous ne pouvons raisonner qu’avec le secours des mots. La
qualité de notre pensée se réduirait alors à la valeur de notre maîtrise
personnelle de la langue utilisée.
Nous devons
cependant reconnaître aux animaux une activité mentale intense et efficace,
basée sur une bonne reconnaissance de la situation actuelle en relation avec
l’environnement, et logiquement orientée vers un but précis. J’utilise
volontairement ici le terme « reconnaissance » avec le sens
d’identification à une situation déjà connue. Nous devons accepter l’idée de
cette capacité animale à manipuler ces schémas essentiels qui relient un
percept, (c’est-à-dire un objet mental induit par la réaction des sens à un
stimulus provenant du monde extérieur), à un objet mental différent provenant
du système mémoriel. Sans cela, les animaux seraient incapables de mener les
actions correctes et adéquates, nécessairement adaptées aux événements
aléatoires d’un environnement variable.
Rappelons-nous
que nous parlons ici du langage mental primordial non vocal. Grâce à lui,
l’objet mental, construit initialement à partir de la perception, est
reconsidéré en intégrant sa relation avec le sujet. Il est transformé en
schémas simplifiés, mémorisés et utilisables pour des opérations de classement,
comparaison, rappel, et autres. Ces schémas symboliques, réduits à l’essentiel
de la représentation des objets et de leur relation avec le sujet, sont appelés
concepts.
La
comparaison des percepts provenant du système sensoriel avec les concepts
mémorisés aboutit à l’action adéquate. Cette comparaison peut être consciente,
ou inconsciente, sans que l’on puisse à ce stade parler de pensée ou
d’instinct.
Il ne semble pas logique de
distinguer pensée et instinct à partir de l’identité de celui qui pense.
Quoique cela
puisse gêner l’orgueilleux prédateur qu’est l’homme, il me semble plus logique
de faire une autre distinction catégorielle. On pourrait l’établir en fonction
du caractère conscient ou inconscient de l’activité cérébrale, et donc de
l’appel fait à des fonctions mentales avancées.
Même en
restant au niveau des animaux relativement lointains que sont les oiseaux, vous
avez pu être frappés par certaines analogies comportementales avec l’homme.
lLes oiseaux partagent avec nous le sens de la
musique.
lIls chantent d’une façon qui nous paraît parfois
harmonieuse.
lIls ont un véritable répertoire, spécifique, tribal,
familial ou culturel.
lCertains décorent très joliment leurs nids de fleurs
colorées.
lBernadette CHAUWIN a étudié des petits pics de
jardin. Elle a démontré qu’ils utilisaient un quasi-vocabulaire pour désigner
les diverses nourritures qu’elle leur proposait, et qu’ils étaient même
capables de se nommer entre eux à partir
de leurs préférences en la matière.
Quiconque a
observé longuement des oiseaux, sait qu’ils ont des caractères différents, au
sein de la même espèce. Il y a des machos jaloux et des couples coopératifs. Il
y a des individus stupides, et il y a des rusés inventifs. Tous nous paraissent
cruels. Les Romains étaient cependant persuadés que les jeunes cigognes
prenaient grand soin de leurs parents âgés, au point qu’ils ont appelé
« loi des cigognes », ( lex ciconiona ), la loi imposant aux enfants
l’obligation de soin et d’aliment concernant leurs parents.
Ces analogies avec l’homme sont très troublantes, car nous croyons
maintenant savoir que tous les oiseaux sont les derniers descendants des
puissants dinosaures qui dominèrent si longtemps notre Terre. En ce temps là,
les très petits mammifères primitifs dont nous sommes issus tentaient de
survivre dans des conditions très précaires. Il faut donc que les analogies
comportementales dont nous parlons trouvent leurs origines dans des ancêtres
communs. Ceux-ci seraient les ascendants, tout à la fois des premiers
dinosaures, lointains précurseurs des oiseaux, et des antiques reptiles
mammaliens qui sont les très anciens précurseurs de l’homme. Dans la mesure où
nous l’avons en commun avec les oiseaux, cela fait remonter la source commune
du sens esthétique au-delà de deux cents millions d’années.
Par ailleurs,
ces mêmes oiseaux, héritiers des dinosaures,
partagent avec les poissons une extrême diversification dans les formes
et les couleurs. Les poissons sont encore beaucoup plus anciens que les
dinosaures. Par conséquent, nous pouvons raisonnablement penser que tous ces
grands reptiles très diversifiés étaient également très colorés. En raisonnant
de la même façon, on peut parfaitement imaginer que certains reptiles primitifs
chantaient, et qu’ils ont transmis
cette faculté à quelques descendants.
Parmi ceux-ci on compte les dinosaures disparus, et plus tard les oiseaux. On y
trouve aussi aujourd’hui le chant des baleines et la musique et les mélodies
des hommes. Nous voilà très loin de la représentation habituelle mettant en
scène des monstres grisâtres barrissant comme des éléphants.
Il faut
admettre que la représentation traditionnelle est hypothétique, conventionnelle,
et très peu vraisemblable. Mais il est difficile de changer un schéma de
pensée, même avec le secours de la raison.
C’est également à la même époque qu’apparaissent les plantes à fleurs
avec toutes leurs couleurs, leurs formes variées, et leurs parfums capiteux,
séducteurs d’insectes volants pollinisateurs. Tout cela s’installe, par hasard
ou par nécessité, à la même période de la Terre, puis s’organise
harmonieusement.
Il n’est pas
non plus interdit de penser que le hasard a bien fait les choses. Peut-être
simplement que les temps étaient venus, des couleurs et des parfums, du chant
des grenouilles, de celui des lézards et des cigales, des corolles, des
étamines et des pistils, et du vol des abeilles.
Dans la même
ligne de pensée, réfléchissons à tous les rituels de pariade et à toutes les
danses de séduction. Cela existe depuis les périodes les plus reculées, dans la
plupart des espèces. Comme les scorpions, les paons, et les phoques, depuis la
séparation des sexes, les Casanova de tous poils et de tous crins tentent de
persuader les belles de leurs inégalables qualités, et s’efforcent d’écarter
par tous moyens les concurrents éventuels. Voyez donc nos frères humains, et
comment ils s’y prennent pour séduire leurs compagnes.
Voici encore
d’autres pistes de réflexion.
l Nous savons que les
comportements d’amour parental et de dévouement envers les petits sont communs
à de nombreuses espèces animales. Ce comportement méritoire ne serait-il donc
qu’une vertu instinctive très primitive ?
l Il y a des comportements
aimables et tolérants que nous pouvons croire particuliers aux hommes, ou aux
espèces apprivoisées. Nous savons cependant que certains animaux évolués sont
capables de se porter secours, consciemment semble-t-il, au moins
temporairement, dans des conditions dangereuses.
l Que dire de cette attitude
lorsqu’elle s’exerce entre des espèces différentes ? Voyez ces images
extraordinaires, diffusées il y a quelques années dans un film animalier. Elles
montraient un hippopotame secourant une petite antilope agressée par un
crocodile. Le contraste était saisissant entre la sauvagerie de l’attaque du
reptile et les efforts de son adversaire qui le contraignait à lâcher sa proie.
L’hippopotame tentait ensuite d’aider la victime blessée à se relever. Ce
comportement est très surprenant de la part d’un animal très dangereux, qui ne
tolère généralement aucune présence dans son voisinage. Ce n’est qu’une
anecdote, mais elle signale peut-être l’apparition d’une forme de sympathie
proche des comportements que nous jugeons propres à l’espèce humaine.
l La compassion
s’enracinerait-elle dans la prairie
africaine ?
l
Pensez aussi à tout ce que nous savons concernant le comportement des
grands pongidés. Rappelons-nous les capacités étonnantes de ce chimpanzé qui
tentait d’apprendre le langage des sourds-muets à ses compagnons.
L’enseignement apparaîtrait-il dans une cage de zoo ?
Vous pouvez
vous demander où je compte vous emmener avec ces histoires de fleurs parfumées,
de dinosaures chantants, de phoques séducteurs, et de singes savants. Ce que je
désire avant tout provoquer c’est une rupture avec les habitudes
traditionnelles de pensée. Je vous demande d’oser voir autrement le spectacle
de la vie et la nature des choses. Dans ce chapitre et dans le suivant, je
continuerai donc à vous proposer des hypothèses, ou des raisonnements
non-conformistes.
Evoquons
maintenant deux aspects du fonctionnement corporel à l’aide de comparaisons que
vous risquez de juger insolites qui sont pourtant évocatrices de la stricte
évidence expérimentale. Sous l’influence des penseurs du siècle dernier, le
mécanisme de la production de chaleur par le corps a été comparé à celui d’une
simple chaudière. On enfourne des hydrocarbones dans le foyer. L’air respiré
par les poumons contient de l’oxygène qui est transporté par le sang jusqu’aux
cellules. Les aliments y sont brûlés pour dégager de la chaleur et des sous
produits chimiques qui sont de l’eau et du gaz carbonique. Cette image
appliquant simplement le principe de Carnot, est encore dans tous les esprits,
y compris ceux de nombreux nutritionnistes.
La réalité
est bien moins simple mais plus admirable. Le corps ne fonctionne pas comme une
chaudière. Les combustibles qu’il utilise sont des assemblages complexes de
grosses molécules composées de multiples atomes. Des mécanismes chimiques très subtils
fonctionnent successivement. Ils
utilisent de nombreux catalyseurs différents et spécialisés. En leur
présence, un seul atome de carbone à la fois est extrait de la molécule puis
oxydé. Le système est donc comparable à un moteur extraordinaire dans lequel
une batterie de carburateurs transformerait petit à petit le carburant tout en le brûlant
progressivement.
L’image de la chaudière ne
tient pas.
Le système
ressemblerait plutôt à un alambic compliqué qui distillerait progressivement
ses essences tout en les consumant pas à pas, à chaque stade d’élaboration,
dans des lampes à huile multiples.
Voici une
autre image imprécise, qui mérite d’être
reformulée. Nous savons que le corps vivant fonctionne avec des moyens
électrochimiques. L’aspect chimique est fréquemment vulgarisé, avec parfois des
images imparfaites, comme nous venons de le voir. L’aspect électrique est moins
connu. Pour en donner une image intéressante, il faut comprendre que tous les
phénomènes se passent au niveau de la cellule.
Celle-ci est
très petite. Elle peut être assimilée à une petite sphère enveloppée d’une
membrane isolante. L’intérieur et l’extérieur sont conducteurs. On est donc en
présence d’un composant analogue à un micro condensateur. Les valeurs absolues
des potentiels en regard sont très faibles, mais comme les distances
diélectriques sont très petites, car l’épaisseur de la membrane est infime, 5 à
10 nanomètres, les champs sont très élevés.
A titre
indicatif, ils sont de l’ordre de vingt mille volts par millimètre,
c’est-à-dire vingt fois plus élevés que les tensions tolérées par l’air sec.
Dans ces conditions, et en fonction de la répartition des ions chimiques de
sodium et de potassium de chaque coté de la surface, on imagine aisément que la
membrane isolante va subir des claquages, lesquels produiront des étincelles.
Il s’agit, bien entendu, de micro étincelles, à l’échelle de la cellule
microscopique, mais elles sont très nombreuses. On en compte environ cinq cent
mille par seconde. Si nous pouvions voir l’aspect électrique des corps vivants
à l’aide d’organes appropriés, ils nous apparaîtraient comme enveloppés par des
nuages de myriades tourbillonnantes d’étincelles électriques fugitives. Nous ne
les percevons pas consciemment, car nous n’avons pas les organes appropriés,
mais toutes ces étincelles émettent forcément des ondes hertziennes, qui
pourraient être inconsciemment perceptibles.
Je vais
encore changer de registre, et vous raconter une histoire.
Savez-vous
que le mois dernier, j’ai trouvé un trésor dans mon jardin. Ce n’était pas la première fois. Au
printemps dernier, j’en avais trouvé un autre, en retournant une pierre. Ces
trésors n’étaient pas précieux pour les hommes. C’étaient des trésors de souris
ou de campagnols. Le premier contenait une centaine de noisettes, et le second
comptait deux cents noyaux de cerises. Les arbres fournisseurs sont assez loin
du lieu d’accumulation. Ces trésors avaient demandé de gros effort aux petits animaux,
pour lesquels ils représentaient l’assurance d’un hiver paisible. Mais un
hibou, un chat, une nuit de gel, une épidémie, ont rendu ces précautions
vaines. Le trésor dérisoire est resté inutile et caché, jusqu’à ce que je le
découvre.
J’avais un
voisin qui circulait la nuit avec sa carabine. Il ne surveillait pas ses
noisettes, mais devait avoir un peu d’or enfoui. La maladie et la mort sont
venues, renvoyant aux enfants le trésor inutile. N’y a-t-il pas beaucoup
d’analogies entre le comportement des petits rongeurs sauvages qui accumulent
des noyaux pour subsister pendant l’hiver, et celui des hommes civilisés qui
accumulent chaque jour bien plus de richesses qu’ils ne pourront utiliser avant
leur mort.
Croyez-vous
qu’il y ait plus de raison dans ces agissements humains que dans les
précautions des souris. L’or des hommes ne vaut rien pour les souris, non plus
que les noyaux des souris ne valent pour les hommes, mais que valent les noyaux
et les pistoles des morts.
Sur ces
bases, et pour le moment, voulez-vous constater qu’il y a beaucoup moins de
distance entre l’animal et l’homme que ce dernier ne veut l’admettre. Même en
ce qui concerne la capacité à agir sur la nature à travers la maîtrise des
outils et des armes, il s’agit bien plus d’une progression graduelle diffuse
que de franchissements de seuils importants précisément établis.
l Au premier niveau se trouve
l’élaboration des cuirasses, des appareils organiques que sont les dents, les
griffes, et autres accessoires corporels d’action.
l Puis apparaissent des
appropriations sans transformation d’accessoires naturels, pierres, branches,
ou brindilles variées.
l Au stade suivant les
éléments sélectionnés sont préparés de diverses façons, par tri, calage,
écorçage, mise à longueur, mise en forme, parfois mise en réserve ou en
fermentation. Ils peuvent ensuite être combinés en nombre et en forme.
l
Avec l’homme, c’est ensuite l’apparition d’outils ouvrés, puis de
systèmes, puis de machines combinant des systèmes, de régulateurs contrôlant les machines, de
mécanismes avec prise de force, de
moteurs fournissant la force, etc..
Les réponses
forment une nébuleuse, une sorte de chaos qui suit ses lois inconnues, aux
termes desquelles nous croyons parfois distinguer un vecteur orienté vers un
progrès dont nous serions la flèche. Nous retrouvons universellement cette
complexité constamment révélée quelle que soit l’échelle utilisée pour l’examen
de la question.
Si nous prenons suffisamment de recul dans
l’examen général des manifestations de la vie, un schéma plus global semble
apparaître. Quel que soit le système ou le groupe vivant considéré, on a
l’impression que des grands principes formateurs indépendants sont à l’oeuvre.
On trouve dans chacun d’eux des êtres qui marchent, d’autres qui nagent ou qui
volent.
Il y a des partout des prédateurs et des
proies, des carnivores et des herbivores, des actifs et des tranquilles, des
rapides et des lents, même chez les plantes. On trouve chez les poissons des fauves, des loups et des moutons. On trouve chez les hommes, des
tigres, des agneaux, des boeufs, des poissons, des serpents, des crapauds, ou
parfois même des végétaux.
Chacun peut chercher son modèle de vie, et
découvrir son totem personnel, dans le monde qui l’entoure. C’est une recherche
très instructive sur le chemin de la véritable connaissance de soi. Ainsi
d’ailleurs, les anciens féodaux choisissaient-ils leurs orgueilleuses devises,
leurs blasons, et leurs pièces héraldiques chargées de symboles totémiques.
J’ai
précédemment essayé de vous montrer
combien notre connaissance du monde est colorée par les caractéristiques
limitées de nos organes sensoriels. J’ai désiré vous amener à admettre la très
grande similitude de l’homme et de l’animal. Cela ne signifie pas que je désire
identifier complètement l’homme à l’animal. Mais si l’on veut réellement
différencier l’homme par rapport à son environnement existentiel, il faut le
faire à partir de bases rationnelles. Il n’est pas raisonnable de pratiquer
l’autosuggestion de la domination universelle. De la même façon que pour les
modes de vie et les moyens d’action, nous pouvons extrapoler à partir des
animaux en ce qui concerne la pensée.
Sur la base
d’observations attentives, nous pouvons raisonnablement croire que nous
partageons avec beaucoup d’espèces animales la faculté de représenter
mentalement la nature des éléments repérés dans le réel extérieur, leur
interaction avec l’observateur, et les conséquences prévisibles de cette
interaction. Cette faculté est organisée dans un système permettant de combiner
entre eux les icônes de diverses sortes représentant ces différents éléments.
Bien
évidemment l’efficacité globale du système dépend étroitement de la capacité de
mémorisation disponible. L’analyse combinatoire nous démontre que le nombre de
combinaisons croit bien plus vite que le nombre des éléments mis en oeuvre. On a pu montrer que cette efficacité
était liée à la fois au nombre de cellules nerveuses spécialisées présentes
dans la matière cérébrale et au nombre de connections neuroniques établies
simultanément entre ces cellules.
Par rapport
aux animaux, ces deux nombres sont très significativement plus élevés chez
l’homme, ce qui lui donne une capacité opérationnelle beaucoup plus importante.
On a pu estimer qu’un cerveau humain dispose de cent milliards de neurones.
C’est un chiffre tellement énorme que sa signification réelle nous échappe
complètement. Sachant que cent mille neurones meurent chaque jour, il nous en
reste encore plus de quatre-vingt-dix milliards à la fin de notre vie. Toutes
ces cellules sont reliées entre elles par des centaines, voire des dizaines de
milliers, d’interconnexions. Il faut que le cerveau puisse exploiter une telle
richesse fantastique d’informations.
Pour des
raisons que j’essaierai d’exposer plus loin, le proto-langage mental humain,
figuratif, est traduit secondairement dans un langage d’échange, qui peut être
accessoirement verbalisé, éventuellement en plusieurs langues, y compris
posturales, gestuelles, ou vocales. J’insiste sur cette notion de langage
d’échange qui paraît très importante. Lorsque le proto-langage imagé, utilisant
des icônes privés à usage interne, est traduit en signes spécifiquement
destinés à la communication, donc en signaux à usage externe d‘échange, on
change de niveau. A partir de là on passe à l’utilisation d’un lexique
collectif et partagé, lequel peut être non verbal. Même non vocalisé, ce
lexique est composé de mots.
On a maintenant affaire
à des « mots mentaux vrais ».
Une nouvelle couche est ajoutée au
biomécanisme cérébral. Pour décrire ce nouveau système, les linguistes
utilisent des termes précis tels les « les sémantèmes » qui sont des éléments
de significations liés à un signe, qu’ils associent aux « lexèmes »
qui sont les formes spécifiques prises par ces signes. Nous ne les suivrons pas
dans ce domaine très spécialisé, tout en signalant que nous parlons surtout ici
des « monèmes ». Notons cependant ici que de nouvelles familles de signes
d’échange apparaissent, parmi lesquelles celles qui résultent de l’acquisition
des apprentissages techniques et sociaux, liées encore plus étroitement aux
caractéristiques partagées de
l’environnement de vie.
Le passage
des mots mentaux aux signaux codés, gestuels ou sonores, implique une
traduction nécessitant l’apparition d’une couche biomécanique cérébrale
supplémentaire associée à la production d’organes de signalisation adéquats.
Le
développement par l’homme de mots verbaux, émis par un appareil vocal
perfectionné, en est une forme particulièrement remarquable. Le fonctionnement
cérébral est d’autant plus complexe qu’on utilisera plusieurs langues
d’expression. Les polyglottes savent que l’on peut penser en plusieurs langues,
mais que le mode de pensée change avec le langage utilisé.
Poursuivons
cet exposé sans trop le compliquer. Nous considérerons que les mécanismes
d’exploitation des groupes de signes, codés aux fins d’échange, fonctionnent
comme un système de fiches. Celles-ci sont organisées et classées avec des
index croisés qui en permettent la manipulation.
On a appelé
cela le système cérébral «lexico-sémantique». C’est une sorte de dictionnaire
intérieur contenant séparément différents éléments liés entre eux. (Sens,
orthographe, lecture, écriture, prononciation, etc.).
Il est
nécessaire de comprendre comment cet outil est utilisé pour aboutir à
l’élaboration d’une représentation du réel extérieur intelligible et conscient,
utilisable par la raison. Le cerveau humain est ainsi fait qu’il ne permet la
fixation de l’attention vive que sur un seul objet mental à la fois. De ce
fait, il fonctionne systématiquement en découpant dans le fantasme sensoriel ou
conceptuel global soumis à l’examen, la seule partie répondant aux critères de
sélection, en rejetant le reste dans une globalisation opposée et
complémentaire.
Tout ce que
j’appelle objet mental fantasmatique, depuis le précédent chapitre, subit cette
dichotomie dés lors qu’il est soumis à la critique de la raison. Cela se
produit systématiquement, que le fantasme provienne actuellement des organes
des sens, qu’il soit puisé dans les banques de souvenirs, (ou qu’il soit
l’habituelle combinaison des deux origines).
Si l’on
attribue une propriété quelconque à un mot désignant un objet, physique ou
mental, le cerveau explore de façon automatique les données totales disponibles
dans ses banques, et les découpe à partir des critères de recherche. Il en
extrait la représentation de l’objet, (ou du groupe des objets), qui possède
cette propriété remarquable, et en forme un icône particulier.
Il regroupe alors les objets qui n’en disposent
pas dans un ensemble complémentaire qui est écarté. Cette façon de faire peut
aboutir, et aboutit en fait, à des
résultats très étonnants, qui pourtant paraissent normaux et évidents à la
plupart des gens.
Pour me faire
bien comprendre, je vous propose, en intermède, la petite expérience effective
que voici.
Concentrez-vous
sur un concept relatif à un objet simple.
Une « table », par
exemple.
Manipulez
mentalement ce concept pendant quelques secondes, en liaison avec votre système
lexico-sémantique personnel. Puis, évaluez pour chacun des mots ci-après,
combien votre système met de temps pour contrôler qu’ils sont bien dans les
banques de son lexique.
Table de cuisine,
Table de salon,
Table de jardin,
Table de multiplication,
Table de salle à manger,
Table de café,
Table de logarithmes,
Table de jeu,
Table de nuit, etc.
Avez-vous constaté que les temps d’accès aux
banques internes sont, en général, courts, environ quinze millisecondes. Mais
certains cas accrochent, et nécessitent des temps beaucoup plus longs, par
exemple cent millisecondes.
C’est que les
termes correspondants ne sont pas stockés de la même façon. Ils ne sont pas accessibles par l’index de
fonction, mais ils nécessitent un passage supplémentaire par un autre index,
par exemple orthographique. Cela est suivi d’une réorganisation temporaire du
contenu des banques.
Les histoires
drôles fonctionnent avec les mêmes mécanismes, non pas au niveau de la
signification d’un mot, mais à celui de la cohérence d’un récit. La conclusion
logique attendue est remplacée par un détournement qui provoque un allongement
de la prise de sens. Ce temps peut être très long.
Par exemple
cette très courte histoire belge
entendue à la radio.
« C’était un
français ».
En principe,
cela devrait faire rire immédiatement les belges et hésiter longtemps les
français. En revanche, la simple annonce d’une histoire belge ou suisse prépare
le rire sarcastique des français. Avant de conclure, et pour le plaisir, je
vous en donne deux autres, de notre ami Pierre Dac. « L’élan du coeur n’a rien
de commun avec l’élan du grand nord ». « Rien n’est plus semblable à
l’identique que ce qui est pareil à la même chose ».
On voit bien
ici que l’interventionnisme du mental va bien plus loin que le simple
remplacement de stimuli sensoriels par des icônes complexes impliquant une
relation avec le sujet. Nous constatons en fait, que le sens logique de
l’enchaînement des parties du discours est préparé avant la présentation au
conscient.
Le sens est préparé avant la
présentation au conscient.
Il s’agit du
même genre de travail que celui qu’accomplissent les organes sensoriels, par
exemple visuels, sur les stimuli extérieurs avant leur transmission au système central.
l Au niveau global, le travail
est accompli pour donner une signification intelligible probable à la
communication reçue.
l Au niveau primaire, il est
accompli pour élaborer un signal cohérent, correspondant au sens probable du
percept induit par le stimulus.
Je vous
propose maintenant d’aller un peu plus loin dans notre petite expérience
d’exploration du fonctionnement mental. Il s’agit d’expérience pratique et
réalisable, à la portée de chacun.
Reprenons
notre exemple de la table. Nous avons vu que le cerveau a recherché un index
d’accès à son lexique. Puis il a été amené à modifier cet index, en faisant
appel à une représentation différente de cette table, c’est-à-dire à un autre
concept.
Il faut ici bien réaliser,
que ce concept simple de la table peut différer énormément d’une personne à
l’autre en fonction de sa représentation personnelle. Un concept combine un
schéma simplifié, élaboré à partir de
percepts mémorisés, et des relations mémorisées, entre ces percepts et le
sujet. Le concept de table prendra donc en compte les habitudes culturelles et
alimentaires des utilisateurs. Il faut s’attendre à une différence importante
entre celui du citadin européen et celui
du pasteur nomade des steppes de Sibérie ou du Sahel.
Nous pouvons
utiliser notre cerveau pour créer un autre type d’objet mental, à savoir créer
une représentation visuelle sur un écran intérieur, une image mentale véritable
dont nous allons tenter d’examiner les propriétés. Avec cet exemple de la
table, nous allons donc faire une courte expérience intérieure.
Efforcez-vous
de visualiser mentalement une table de votre connaissance, si possible étroite
et longue, comme un comptoir. Imaginez qu’un pot de verre transparent contenant
un liquide soit posé sur ce comptoir.
Il faut que
ce pot possède une poignée latérale comme un bock de bière par exemple, ou un
pot de café. Visualisez sur le comptoir, ce pot avec sa poignée à gauche, et
maintenez un instant la conscience claire de cette image.
Maintenant,
déplacez mentalement le pot jusqu’à l’extrémité droite du comptoir, et examinez
ce qu’est devenue l’image.
Vous
constatez plusieurs choses.
l Le déplacement n’a pas été
instantané.
l La perspective s’est
modifiée.
l L’orientation spatiale a été
conservée.
l L’extrémité gauche du
comptoir est sortie du champ.
Autre
exercice. Ramenez le pot devant vous, puis faites le tourner autour de son axe
vertical, ce qui est visualisé par la rotation de la poignée. Constatez.
lLa rotation prend un certain temps.
lCe temps est proportionnel à l’angle de rotation.
lLa vitesse de rotation est d’environ 60° par
seconde.
Maintenant
rappelez-vous bien que ce pot contient un liquide dont le niveau est visible.
Faites pivotez le pot autour d’un axe horizontal. Que se passe-t-il ?
l Le mouvement s’interrompt de
lui-même avant que le liquide se renverse, et il est très difficile de dépasser
ce point.
En plaçant le
comptoir devant un décor, on peut aussi mettre en évidence l’existence de
limites aux bords de l’image. Celle-ci a donc un champ déterminé variable avec
la taille des objets représentés. C’est une notion que devraient prendre en
compte tous les professionnels de l’image et des médias visuels.
Ce
fonctionnement mécanique automatisé de l’imagerie intérieure est tout à fait
étonnant car on constate que les êtres et les objets virtuels qui sont
représentés possèdent la plupart des attributs et des propriétés que nous
attribuons à travers les percepts à leurs correspondants réels. Ils ont des
proportions relatives correctes, une perspective, une vitesse et une inertie,
une cinématique. Ils sont inscrits dans le cadre de limites du champ
visuel, et sont même soumis à des
contraintes culturelles qui interdisent, par exemple, de renverser un vase
plein. C’est ce fonctionnement
automatisé qui est mis en oeuvre de façon inconsciente au cours des rêves, des
illusions, des délires ou des
hallucinations.
On a
également montré que des images de ce type, donc initialement mémorielles,
pouvaient être combinées avec des percepts sensoriels actuels, pour former une
image composite dont on peut difficilement distinguer la vraie nature.
Une question
se pose ici. Il faut considérer à la fois l’extrême importance réservée par le
mental aux traces laissées dans la mémoire par les expériences individuelles,
et l’usage intensif qui en est fait constamment, y compris dans le traitement
d’un stimulus fugace pour en extraire un percept significatif. On peut alors en
conclure que des différenciations individuelles sont telles qu’il ne peut y
avoir aucune harmonisation dans les comportements de ces individus même au sein
du même groupe ou de la même espèce. Heureusement la nature a mis en place des
mécanismes de compensation et d’harmonisation. Ils fonctionnent au niveau de
l’inconscient le plus profond. Ils permettent déjà au nouveau-né de donner un
sens commun aux perceptions sensorielles initiatrices après la naissance.
C’est le sens parfois donné
à « l’archétype ».
Par des
moyens liés aux gènes, le support matériel du mental des êtres vivants serait
préparé pour l’élaboration de formes en creux, c’est à dire d’objets mentaux
préfabriqués, partagées par les groupes vivants. On peut se les figurer comme
étant des boites préalablement étiquetées, mais vides. Les premières
expériences vécues rempliraient ces boîtes disponibles avec les images mentales
des objets réels correspondants.
C’est de
cette façon que l’on peut comprendre les phénomènes d’imprégnation qui sont mis
en évidence par les expériences présentant une « mère artificielle »
à des animaux nouveau-nés.
(Par exemple
LORENZ avec les oisons). La forme vide, étiquetée
« Maman », combinée avec
les relations préétablies de comportement social qui lui sont reliées, serait
remplie par l’image mentale du premier objet répondant aux conditions de
sélection adéquates, particulières à l’espèce.
Cela peut
être la vraie mère, mais parfois aussi l’humain nourricier ou un chiffon doux
et coloré au bout d’un bâton. Il est tout à fait démontré que ces mécanismes
sont également fonctionnels chez le singe et chez l’homme. Ils peuvent très
évidemment expliquer de graves déviations comportementales dont l’origine sera
vainement recherchée dans l’histoire consciente du sujet.
Le célèbre psychologue
suisse, JUNG, va beaucoup plus loin.
Dans une
sorte d’alchimie conceptuelle qu’il appelle la
psychologie des profondeurs, il fait de l’ensemble des archétypes
accessibles dans le cosmos, et partagés par les vivants, les bases
unificatrices des individus, des familles, des espèces, et même de l’univers.
Nous
reviendrons plus tard sur les études menées par JUNG en coopération avec Von
PAULI, savant physicien de très haut niveau. Elles permettent de supposer que
des canaux de communication encore mystérieux et inconnus, établissent des
liaisons, parfois acausales mais synchrones, entre tous les objets et tous les
points du cosmos, qu’ils soient inertes ou vivants.
Pour évoquer ce que signifie le concept de
synchonicité acausale introduit par ces deux savants, je vous propose un nouvel
intermède. Je vous conterai donc brièvement l'histoire merveilleuse d'un homme
du siècle dernier. Elle laisse beaucoup à penser au sujet de la vraie nature du
monde, du hasard et de la liberté.
Il s'appelait Edwin Laurentine Drake, mais on le
surnommait le colonel. C'était un singulier personnage, assez original, qui
vivait aux Etats-Unis. En Août 1858, il voulut créer une petite affaire
commerciale personnelle, et entreprit de chercher de l'huile de schiste pour
les lampes d'éclairage. Il décida tout à fait par hasard, et en fonction de
circonstances parfaitement fortuites, de creuser un petit puits dans un village
américain nommé Titusville. Le colonel n'était pas riche, et pouvait seulement
payer deux ouvriers tâcherons pendant quatre jours. A la fin du quatrième jour,
quelques heures avant le soir, les deux ouvriers d'Edwin Drake rencontrèrent le
pétrole.
Attention,
c'est ici que le sort trébuche.
Le pétrole se trouvait exactement à vingt-trois
mètres de la surface. Plus jamais au monde, après ce premier puits, on
ne trouva de pétrole aussi prés de la surface du sol.
Le Colonel Edwin Laurentine
Drake creusa le 27 Août 1858 son premier puits, en trouvant, par hasard, le
seul endroit au monde où ce pétrole lui était accessible.
Au soir du premier jour de la nouvelle ère, les
ouvriers avaient recueilli trois barils d'huile brute qu'ils raffinèrent pour
en faire du pétrole lampant. Ils éliminèrent donc toutes les impuretés
dangereuses ou nocives, telles l'essence et les éthers volatils, et comme ils
étaient pauvres, cherchèrent partout ce que l'on pouvait bien en faire. Ces
déchets sont aujourd'hui produits par milliards de tonnes, et couvrent
actuellement l'essentiel des besoins humains dans tous les domaines de la vie
courante.
Comment appeler ou définir
le facteur mystérieux qui guida le choix hasardeux du creusement de Drake aux
premiers temps de l’automobile et à l'annonce de l’ère du Verseau.
Avant de répondre, essayez donc de calculer la
proportion de chances pour que cela se produise. On peut ici imaginer,
irrationnellement mais simplement, que le pétrole était là, les hommes et le
besoin aussi, et que le temps était venu de le découvrir. Drake,
mystérieusement informé, fut l’instrument synchrone de cette découverte
acausale.
Comme on le
voit, les modes et les moyens de communication entre les êtres, vivants ou
inertes, pourraient dépasser de très
loin tout ce que nous savons, concernant les possibilités de nos organes
sensoriels, ou celles d’autres canaux encore inconnus.
Les confins du
Zoran demeurent à jamais hors de portée.
Lorsque nous portons le gigantesque regard de nos
télescopes vers l'indéfiniment grand, nous découvrons sans cesse de nouvelles
structures organisées, qui englobent le déjà connu dans un nouvel aspect,
toujours plus inaccessible. Et lorsque nous braquons l'?il démesurément myope
de nos microscopes électroniques, sur l'indéfiniment petit, nous voyons également
éclore ces structures toujours nouvelles d'aspect et de complexité, débouchant
également sur d'autres organisations imbriquées, tout aussi inaccessibles.
Il en est de même pour les structures vivantes,
supports évolutifs de la pensée. Plus leur étude progresse, plus leur admirable
complexité se révèle.
Mais cela, le Zohar nous
l'avait déjà dit.
Chaque chose
dans une autre chose.
Chaque vie dans une autre
vie.
A l’origine, il y a le seul
mystère.
La
particularité la plus fondamentale de l’animal humain est sa capacité à
développer une personnalité propre, dotée d’un ego conscient. Nous pouvons
cependant penser qu’elle s’est un jour caractérisée par l’élimination organique
et systématique de certaines facultés. Je pense particulièrement à la suppression
volontaire de la capacité de réception intuitive des signaux collectifs émis à
l’usage commun du groupe grégaire auquel le pré humain appartenait. Beaucoup
d’animaux semblent disposer de cette aptitude collective. Ils peuvent émettre
et recevoir, par des canaux divers, parfois inconnus, des signaux d’information
ou d’alarme, utiles à chacun. Au stade primitif, ils les émettent
systématiquement et leur obéissent aveuglément, mais lorsque l’on s’élève dans
la hiérarchie de l’intelligence animale, on constate une tendance croissante à
masquer ou truquer l’émission de ces signaux, dés lors qu’ils induisent des
désagréments pour l’individu émetteur.
Les grands
singes, nos cousins, agissent ainsi pour tromper délibérément les membres du
groupe, et tout particulièrement pour détourner l’attention des dominants, afin
de s’approprier en cachette nourriture ou avantages.
L’humanisation aurait-elle
commencé par le mensonge ?
La tromperie
dans le message émis aurait-elle provoqué secondairement la méfiance puis l’indifférence
pour le message reçu, avec pour conséquence l’apparition de la survalorisation
du soi qu’est l’ego inflationniste. Nous n’en savons bien évidemment rien. Un
point n’en reste pas moins vrai qui est celui du fonctionnement inconscient et
mécanique de l’appareil mental.
L’essentiel du
fonctionnement mental
est inconscient.
Nous le
savons, l’intelligence, dans l’acception de ce mot signifiant l’accès à la
conscience, ne traite que la partie émergente de l’iceberg de l’activité
mentale. Le conscient, à son niveau, ne reçoit que les résumés succincts,
exposant de façon aussi cohérente que possible, les matériaux constituant les
éléments les plus plausibles de la situation actuelle.
Ce constat
nous amène à envisager des systèmes extrêmement variés, complexifiés à tous les
niveaux. Nous savons que ces systèmes permettent une représentation symbolique
cohérente des éléments extérieurs et de leurs interactions avec les organismes
concernés. Ils deviennent donc utilisables, en tant que moyen de recherche, pour
l’observation consciente et raisonnée des caractéristiques du monde extérieur,
dans le but d’une connaissance descriptive. Cette exploration est donc
figurative. Primitivement limitée à l’extérieur du corps physique de
l’observateur, elle sera ensuite étendue à l’enveloppe même de ce corps.
Le mental en formera une image stable, mémorisée et reconnaissable, qui
acquerra donc un caractère personnel.
La
description mentale explorera et mémorisera les facultés diverses
reconnaissables, jusqu’au contenu interne du corps. Progressivement, le centre
d’observation mental placera sa propre localisation dans cette personne
physique qu’il reconnaît après l’avoir mémorisée.
Puis il
s’enfermera dans l’image de cette enveloppe superficielle, et s’enfoncera
progressivement dans l’intérieur jusqu’à occuper un centre ponctuel, non
localisé, artificiel et tout à fait abstrait, mais supposé autonome et
distinct, l’ego. Dés lors, et à l’instar des philosophes orientaux, nous
pouvons considérer qu’il y a rupture de l’unité entre deux entités.
l D’une part le Monde
extérieur réel, inconnu ou mal connu, et donc mal mémorisé, qui est globalisé
et rejeté conceptuellement à l’extérieur, l’Autre.
l D’autre part, la fraction
connue du Monde, représentée par un objet mental de plus en plus complexe,
composé de tous les éléments mémorisés de nos expériences passées. Cet appareil
composite est notre conscient. Il est placé sous le contrôle d’un centre observateur
interne, sans dimension, localisé en
un point central imaginaire de notre personne, l’Ego.
Krisnamurti
nous dit que nous pouvons considérer notre conscient comme une maison. Il est
organisé de la même façon, avec différentes pièces, plus ou moins accessibles,
plus ou moins souvent utilisées. Une maison quelconque ne devient notre que
lorsque nous y apportons nos propres meubles et nos propres objets, et que nous
l’habitons. Chacun de nous garnit la sienne avec les objets mentaux dont il
dispose, plus ou moins connus et familiers, plus ou moins conscients ou
inconscients. En réalité, c’est ce contenu particulier, propre à chacun,
entièrement puisé dans le passé et l’expérience personnelle qui constitue
l’ego.
Il n’y a pas de maison sans
murs.
La maison
protège son contenu, c’est-à-dire la somme des expériences, l’ego, contre les
peurs, l’agression, la souffrance, l’inconnu extérieur. En même temps elle nous
enferme dans les limites de la fraction interne du Monde total que nous avons
appropriée. L’ego ordonne les représentations internes dont il dispose selon
son humeur, ou sa conviction, du moment, et il les hiérarchise. Il décide que
telle conviction est supérieure à telle autre, que tel comportement est plus
méritoire que tel autre, que cette action est bonne et cette autre mauvaise,
que Pierre est notre ami ou notre ennemi, et autres fantaisies.
Comprenons
que si l’ego décide d’user d’une fonction cérébrale supérieure, par exemple de
la raison, pour accéder à un état de
conscience différent, il ne pourra que modifier l’ordonnance des objets dont il
dispose. Il les placera donc dans un ordre différent, l’ancien ordre devenant
le désordre du nouvel état. On voit bien qu’il n’y a pas de vraie novation dans
cet ajustement. C’est toujours le même conscient, le même ego, qui habite la
maison. Il s’est simplement disposé autrement. Cette activité de rajustement
est constante et continuelle.
Nous l’appelons la pensée.
On voit bien
que la pensée ne peut pas modifier réellement le contenu du cerveau puisqu’elle
fonctionne toujours à l’intérieur des murs, en utilisant seulement les produits
du passé. Pour enrichir le contenu en introduisant un objet nouveau dans cette
maison, il faut aller le chercher à l’extérieur.
C’est le rôle de
l’intelligence.
Celle-ci ne
travaille généralement pas avec des images mémorisées d’expériences passées,
qu’elles soient figurées par des mots représentatifs du réel ou de l’irréel, ou
inaccessiblement enfouies au plus profond des placards de la conscience.
L’intelligence fonctionne instantanément, au moment présent et au contact du
réel. Elle agit à l’extérieur en ignorant l’ego. Elle met le conscient, intérieur et limité,
en contact avec un réel extérieur qui le dépassait jusqu’alors, et qu’il faudra
bien dorénavant intégrer au conscient.
L’intelligence
est extérieure à l’ego.
Elle est donc
également extérieure à la volonté du conscient. Elle illumine l’intellect de
celui qui est capable d’ouvrir la maison dans laquelle s’enferme son ego, et
d’aller chercher à l’extérieur les aspects nouveaux de la manifestation du
réel. Puisqu’elle vient du dehors, elle n’est donc pas réellement une faculté
réservée à un homme particulier, qui en disposerait en propre dans son domaine
personnel. L’intelligence existe en général dans le Monde, (mais certains
hommes y ont un accès plus privilégié que d’autres).
Pour revenir
à notre thème actuel de travail, ce n’est pas le processus d’élaboration de la
personne et de l’ego qui est à l’étude. Ce n’est pas non plus la description
précise et détaillée du mécanisme de manipulation des vrais «mots » ou des
«mots mentaux», qui importe, mais le
propos suivant.
Nous devons considérer que ces changements de niveaux permettent des changements d’usage.
On peut
dorénavant passer de la manipulation de signes représentatifs liés au réel, à
la manipulation de signes significatifs en eux-mêmes, destinés à des personnes
dotées d’un ego autonome.
Dés lors, les combinaisons de ces signes ne sont plus seulement
induites par l’arrivée de stimuli extérieurs.
Elles peuvent
aussi dépendre de l’éventuelle volonté, de l’imagination, de la fantaisie, de
l’humeur ou du caprice de leur manipulateur. Les fonctions cérébrales
supérieures deviennent possibles. Avec les mots, la faculté combinatoire, la
pensée, n’élabore plus un simple reflet intérieur symbolique lié au mystérieux
mais réel Zoran extérieur mais elle crée un sens propre.
Elle devient potentiellement
créatrice.
Réorganisant
à son gré son propre chaos intérieur d’imageries électrochimiques symboliques,
la pensée donne naissance à un univers intérieur fantasmatique, artificiel, fermé
et personnel, isolé du réel extérieur dont il n’est plus la représentation
naturelle. Cet univers intérieur comprend tout à la fois les symboles
représentatifs, artificiels et irréels, des éléments mémorisés du réel
extérieur et de leurs interactions avec le sujet, mais aussi les produits
artificiels également mémorisés, d’existence uniquement conceptuelle, lesquels
sont nés de la logique limitée et de l’imagination débridée du conscient
contrôlé par l’ego.
Cet univers n’est qu’irréel,
il est donc trompeur.
l Dans sa démarche
exploratoire, l’homme peut oublier, (et il oublie souvent), l’existence
fondamentale et la réalité essentielle de l’unique et mystérieux Zoran dans
lequel il se trouve.
l Il peut arriver à croire,
(et il croit fréquemment), que l’univers intérieur conceptuel et imaginaire,
issu de sa pensée combinatoire, constitue le seul et véritable réel extérieur,
avec lequel il s’identifie.
Car l’ego, qui est la somme
des pensées, n’utilise que ses propres images. Il est seulement le mouvement
continuel de ces images, puisées dans le passé, dont il a fait le reflet
illusoire du Monde actuel. Lorsque l’ego regarde ce monde intérieur artificiel,
c’est donc toujours un reflet irréel qui se regarde lui-même.
Il ne peut que se trouver
beau et satisfait de ce qu’il voit. Dés lors, refusant l’illumination de
l’intelligence, l’homme sépare son Univers intérieur, son ego, du Zoran total.
Refusant l’unicité, il provoque la multiplicité. Comme Alice au pays des merveilles, il a traversé un miroir sombre aux
mirages trompeurs.
Il est derrière le miroir
magique et noir des mots.
A l’envers de ce miroir mental, l’ego ne manipule
que des reflets électrochimiques, synthétiques et fugitifs, qu’il considère
comme constitutifs tout à la fois de l’irréel autant que du réel. Le réel total
véritable, l’Autre, (ou l’Ailleurs), est dorénavant séparé et rejeté à
l’extérieur de la personnalité consciente.
Et en cela hélas, il devient
donc à jamais inexpérimentable.
Dieu fit ce singe à son
image,
Qui se tient nu dans la
poussière.
Sous ses pieds, le centre du
monde,
De l’univers, il se dit Roi.
L |
es Yeux
Brouillés d’Etoiles
Il se trompe celui qui questionne,
Et celui qui répond se trompe aussi.
Il sait assez celui qui sait,
S’il a compris qu’il ne sait rien. (Siddartha
Bouddha)
Ton Moi n’est pas à l’intérieur de toi,
il est infiniment au-dessus de toi,
du moins de ce que tu crois être Toi. (Nietsche)
Précédemment, nous avons élaboré deux idées
principales.
lNous avons vu que nous ne
pouvions accorder qu’une confiance limitée aux témoignages de nos sens,
lesquels rebâtissent une image synthétique et parfois fallacieuse du monde.
lNous avons compris que notre
cerveau se laissait souvent prendre aux mirages et aux pièges induits par
l’usage des images intérieures parfois irréelles que sont les mots.
C’est cependant à partir de ces deux fondements que
l’homme construit sa pensée.
Pour cela il va dégager des concepts et élaborer des
théories et des modèles, c’est-à-dire qu’il va relier entre eux, par des
relations logiques, les éléments représentatifs du réel dont il dispose, afin
de s’en donner une représentation interne plus globale et simplifiée. Ces
objets mentaux généraux sont plus faciles à utiliser dans les démarches
ordinaires de réflexion et de communication.
lIls évoluent normalement
dans le temps, en se modifiant en relation avec la somme des expériences vécues
par le sujet, au contact des perceptions du réel extérieur et en fonction des
interactions expérimentées.
lIls vivent de la vie même du
concepteur.
lIls ont donc une existence
interne liée au fonctionnement personnel intime de celui qui les met en oeuvre.
lIls ont aussi une autre
existence, externe, celle qui est liée à leur utilité en termes de
communication, et à l’acception admise par l’environnement social du sujet.
Au fur et à mesure que l’homme se différencie des
animaux en s’intellectualisant, il s’affranchit des représentations mentales
simples, réfléchissant de façon interne la perception du seul réel
expérimentable. Il place celles-ci dans un environnement de concepts complexes
et élargis, de plus en plus synthétiques, qui intègrent de nombreuses données
mémorielles concernant les interactions vécues ou apprises. Les associations
conceptuelles placent le Moi individuel au centre d’un micro univers recréé
intérieurement.
Il est donc très important de bien comprendre le
danger que représente une telle recréation intérieure lorsqu’elle est effectuée
avec des matériaux douteux, récupérés à l’extérieur sans examen attentif, dans
une imagerie simpliste, conformiste, ou traditionnellement banale. C’est
finalement par rapport à elle que chacun de nous va régler son comportement,
habituel ou intime, prendre ses décisions, ordinaires ou importantes, et bâtir
sa vie, actuelle ou éternelle.
Si notre rigidité mentale nous interdit d’intégrer
des connaissances actualisées et des expériences nouvelles, nos concepts et nos
représentations cessent d’évoluer.
Ils peuvent faire place aux mythes, lesquels sont
des images symboliques significatives mais généralement endormies, car elles
sont souvent acceptées au premier degré de leur signification apparente, alors
qu’elles devraient l’être au degré plus avancé de leur vrai sens.
Mais les concepts incertains ou trop
conformistes peuvent aussi s’effacer au
profit des doctrines scolastiques, ou ensembles de dogmes devenus articles de
foi. Généralement, ceux-ci sont des restes de mythes morts ou déformés,
transformés en momies de concepts, et figés dans une acception non signifiante
au plan de la raison.
lL’intelligence cesse alors
de parcourir les frais bocages de
concepts vivants, évolutifs et malléables, représentatifs de notre
perception actuelle et raisonnable du réel extérieur, et de l’avancement de
notre exploration du Zoran.
lElle s’égare dans les
taillis hasardeux des mythes dépassés ou incompris, et déchiffre difficilement
leur symbolique obscurcie par le passage des civilisations successives, et
engourdie dans l’hiver du temps.
lOu bien elle se perd dans le désert doctrinal
des dogmes, parsemé des troncs pétrifiés d’anciennes pensées mortes de despotes
défunts.
Les concepts,
les théories et les modèles éclairent.
Les légendes
et les mythes voilent.
Les dogmes
obscurcissent.
Parmi les concepts, les mythes et les dogmes, qui
méritent une attention particulière, il faut examiner ceux qui concernent notre
recherche commune.
Le Monde,
L'Homme,
Dieu,
Le Bien et le Mal,
La Vie,
Le Temps, etc..
Sur bien des plans, les idées et les découvertes de
ce siècle sont stupéfiantes. Je tenterai pourtant de monter que les certitudes
de la science sont parfois à prendre avec prudence. Elles sont souvent sujettes
à révision d’une théorie ou d’une hypothèse sincère à la suivante.
lElles ouvrent certainement
des fenêtres merveilleuses sur la matière, la nature de l’univers, son
évolution et son contenu.
l Elles ouvrent aussi des étonnements sur ce qui est intérieur à
l’homme et l’habite, puisque comme toute forme de pensée, elles sont un
phénomène électrochimique cérébral et donc procèdent fondamentalement du
fonctionnement mécanique du cerveau.
Il est toutefois beaucoup moins certain que ces
découvertes proposent une vision suffisamment large du réel total, lequel
comprend à la fois, et à tout le moins, l’homme lui même avec son cerveau, le
monde extérieur au cerveau, sa représentation intérieure, et leurs
interactions.
Je proposerai ultérieurement une réflexion sur les
problèmes particuliers à la société humaine et à ses productions politiques,
sociales et économiques.
Il me faudra aussi parler plus
tard des hypothèses présentées par les religions qui nous sont les plus
familières, et qui sont largement des créations humaines. Elles appartiennent
donc essentiellement à l’univers intérieur recréé dans lequel nous avons vu
qu’il convient d’avancer avec circonspection. Les divergences qui les
diversifient démontrent la relativité des révélations qu’elles invoquent, dans
leurs respectives exclusivités. Elles justifient la nécessité d’un examen
sérieux concernant leur rôle et leur signification.
Sans que ma démarche puisse avoir aucunement le sens
d’une critique ou d’une attaque, j’essaierai de montrer dans ces deux
chapitres, sur la science et sur la foi, comment un changement de point de vue
peut ouvrir la voie à une approche plus large, et à un enrichissement des
idées.
Les certitudes
d’aujourd’hui
sont les erreurs de demain.
Pour commencer avec humour cette recherche, voyons
rapidement quelques récentes certitudes erronées d’illustres savants
contemporains.
lWatson (PDG d’IBM en 1947).
«Je ne pense pas qu’il y ait un marché pour plus de cinq ordinateurs, dans le
monde entier ».
lLord Kelvin en 1936 énonçait
« Tôt ou tard on prouvera que les rayons X sont un canular ».
lEinstein déclarait en
1932 « Il n’y a pas la plus petite indication que de l’énergie
puisse un jour être obtenue à partir de l’atome, car cela voudrait dire que
l’atome pourrait être brisé à volonté ».
lMilikan (Prix Nobel de physique) en 1923 «Il est
totalement improbable que l’homme utilise un jour la puissance de l’atome.
L’idée spécieuse selon laquelle on utilisera l’énergie atomique lorsque nos
réserves de charbon seront épuisées est un rêve utopique et totalement non
scientifique».
lEdison « Rien ne
justifie l’emploi du courant alternatif qui est aussi inutile que dangereux
».
lFlammarion en 1892 « Il
est très probable que la planète Mars soit actuellement occupée par une race
supérieure à la notre ».
lAuguste Comte « Je n’en
persiste pas moins à regarder toute notion sur les véritables températures
moyennes des astres comme devant nécessairement nous être à jamais interdites
».
lMarcelin Berthelot en 1887,
(La plus connue et la plus ridicule), « L‘univers est désormais sans
mystère ».
L’inverse est
également vrai.
De prétendues erreurs passées, violemment combattues
à l’époque de leur formulation, se sont révélées vérités au fil du temps.
lIl y a quatre cents ans, au
début du 17ème siècle, des hommes Galileo Galilei, Thommaso Camplanella,
Giordano Bruno, défendaient la doctrine hermétique d'Orphée, de Zoroastre, de
Pythagore et de Platon, qui impliquait l’héliocentrisme. Le pouvoir réel était
alors dans les mains de l’Eglise qui concevait la Terre comme centre de
l’univers.
Ces
novateurs furent durement humiliés, enfermés, et condamnés. Le pauvre Giordano
Bruno fut d'ailleurs brûlé à la fin d’un très long et cruel emprisonnement.
lEn un temps plus ancien,
Socrate fut condamné à boire la ciguë parce qu’il avait demandé aux savants de
son époque s’ils étaient bien sûrs d’avoir raison. Ils en étaient très sûrs et
condamnèrent Socrate.
De tout temps les vérificateurs ou contrôleurs de la
pensée correcte ont été nombreux. Ils le restent aujourd’hui. Ce sont de
dangereux inquisiteurs potentiels qui ignorent souvent leur propre dangerosité, et ne reconnaissent pas les
passions irrationnelles qui les poussent.
L’inquisition est généralement politique au sens
large du terme. Elle agresse tous ceux dont l’ouverture de pensée menace le
pouvoir actuellement en place.
Sachez bien que ce pouvoir n’est pas toujours
politique, au sens étroit du terme. Il résulte généralement du consensus commun
sur la pensée banale, et il peut donc s’exercer dans l’environnement proche,
familial, social, ou culturel du chercheur. Il est donc tout à fait possible
que cette contrainte vous implique à titre personnel.
Si vous le voulez bien, nous
allons maintenant examiner les théories du Monde et du Temps que propose la
science actuelle. Cela revient à discuter du contenu des objets mentaux
élaborés par les cerveaux des scientifiques pour expliquer ou justifier leur
propre existence.
Je vous prie de bien vouloir
pardonner ces quelques pages d’un développement assez abscons, pour ne pas dire
abstrus. (ça veut dire obscur et compliqué. Voyez qu’on peut s’amuser à parler
savant si l’on veut. Pardon ! Je vous promets de ne plus le faire).
Ce développement appellera successivement des
nombres très petits et d’autres très grands. Ils expriment la durée, la
température, ou la dimension de l’univers. Pour nous, petits hommes ordinaires,
ils n’ont aucun sens immédiat. Il nous faut donc recourir à des
représentations, c’est-à-dire leur substituer des images mentales
intermédiaires, pour qu’ils puissent prendre un semblant de signification.
Paradoxalement, c’est le temps très long qui semble
être le plus facilement figurable. J’ai longuement cherché une image qui soit
représentative de l’immensité des temps écoulés tout en conservant une
figuration suffisamment perceptible et satisfaisante de la durée de la vie
humaine.
Vous verrez qu’une surface peut répondre à cet
objectif, si l’on convient de donner la valeur d’équivalence d’une année à
chaque millimètre carré. C’est un très petit carré, mais il reste assez
visible, car il est de la dimension d’une tête d’épingle. Dans cette
figuration, chaque vie humaine couvre un peu moins d’un centimètre carré. C’est
l’ongle du petit doigt.
Un million d’années correspond alors à un mètre
carré, ce que chacun peut se représenter facilement. C’est une grande feuille
de papier millimétré où chaque petit carré figure une de ces années qui
s’enfuient si rapidement. Mille mètres carrés, la surface d’un très grand
jardin, correspondent à un milliard d’années.
La durée passée de l’univers, dix, ou quinze, ou
vingt milliards d’années, est alors
représentée par une surface d’un à deux hectares, soit un carré de plus de cent
vingt mètres de coté.
L’ancienneté du système solaire, étoile et planètes,
est estimée à quatre milliards d’années et demi, soit un tiers ou un quart de
la durée possible de l’univers.
La vie semble être présente sur Terre depuis deux ou
trois milliards d’années. Dans notre convention de représentation, la vie
depuis son obscure origine, couvre deux à trois mille mètres carrés, et
l’espèce humaine, un ou deux millions d’années, soit environ deux pas, mille
fois moins. Dans cette grande prairie, la vie de chaque génération humaine,
comme la notre, occupe aussi peu de place qu’une petite pâquerette. Néanmoins
elle occupe cette place et reste tout à fait repérable.
Par ailleurs, j’ai beaucoup cherché mais je n’ai
rien trouvé qui permette de représenter les distances immenses qui séparent les
galaxies les une des autres, ou les amas de galaxies.
La dimension de l’univers observable, en kilomètres,
s’écrit avec 24 zéros. Seule la représentation mathématique peut satisfaire au
besoin, mais c’est une abstraction qui ne parle pas à l’imagination ordinaire.
Krisnamurti disait que le mental humain fonctionne
sans cesse, mais qu'on peut l'arrêter en posant au conscient une question sans
réponse. Il pensait que si l'on peut y répondre avec une absolue sincérité
« Je ne sais pas », le mental s'arrête alors, se vide de tout son
contenu, et se repose.
Il a formulé lui-même un exemple de ce type de
question. « Le cerveau humain comprendra-t-il un jour l'intégralité du
réel ».
On pourrait
la reformuler en disant « Le cerveau humain peut-il comprendre la
véritable dimension de l’espace ? ».
Mais ne vous posez pas maintenant la question
impossible.
Attendez s'il vous plaît la fin de ces propos.
Il était une
fois,
Il y a 10 ou 15 ou 20 milliards d’années,
ou 200 milliards de degrés,
ou 4 milliards de parsecs,
un grand
mystère,
Là bas, ou bien à cet instant, ou à cette
température, un mystérieux événement est peut être arrivé.
Il est possible, sinon probable, qu’une cause
originelle se soit manifestée avec une énorme puissance. Soudain, un
inconcevable préexistant aurait été transformé en l’univers actuel.
Nous pouvons penser que cet événement a donné
simultanément naissance au temps, à l’énergie et à la dimension.
Aujourd’hui encore, nous nous éloignons de ce point
originel tout à la fois dans le temps qui coule, dans la température qui
baisse, et dans les distances qui croissent.
C’est pourquoi on peut indifféremment chiffrer cet
éloignement en temps, en degrés, ou en distances.
Ces facteurs évoluent de concert et sont
équivalents.
On dit aussi que l’entropie s’accroît.
L’énorme agitation initiale semble aujourd’hui se
calmer et courir vers sa fin.
Un facteur pourtant se différencie, l’information
augmente avec la conscience d’être.
L’oméga des fins dernières rejoindrait-il l’alpha
des origines ?
C’est l’abbé Lemaitre qui semble avoir envisagé le
premier le modèle alors révolutionnaire, qui faisait soudainement naître notre
univers dans une explosion initiale d’une inconcevable puissance.
Ce n’est que plus tard, et initialement par
plaisanterie qu’on lui donna puis qu’on adopta le terme de « Big
Bang ».
Dans le déroulement du processus d’apparition de la
matière, et peut-être devrais-je dire de sa manifestation, les scientifiques
distinguent, actuellement et par consensus, plusieurs périodes différenciées.
lLa première, extrêmement
courte, c’est la première seconde.
lLa deuxième comprend les
quelques premières minutes.
lLa troisième, c’est le
mystérieux premier million d’années.
lLa quatrième, c’est l’âge
stellaire, notre univers actuel.
lLa dernière, c’est l’univers
futur et inconnu.
En fait cette répartition est trop grossière pour
décrire correctement l’image que l’on se fait actuellement des débuts de
l’univers.
Il faut y faire des distinctions plus subtiles. Tout
se passe comme si d’immenses vagues existentielles partaient du centre de la
manifestation pour parcourir successivement et indéfiniment le cosmos, en
élargissant sans cesse leur rayon d’action, d’organisation, de reconstruction
et de transformation.
La première de ces vagues intéresse une très courte
période, pendant laquelle se déroulent des événements complexes. Au début, et
pendant un temps extrêmement bref, la situation n’a pour nous aucun sens. Nous
ne pouvons en faire aucune image compréhensible et nous sommes dans
l’incertitude absolue.
Puis, après une fraction de seconde, qui s’exprime
avec un zéro suivi de 42 autres zéros après la virgule, les forces
fondamentales apparaissent, mais elles sont confondues d’une façon que les
physiciens ne semblent pas encore en mesure d’élucider. Elles commencent
ensuite à se mettre en place, en se différenciant une à une, avec un changement d’état, dit
transition de phase, après chaque apparition.
Après zéro seconde suivi de 33 zéros après la
virgule, une première force se caractérise, et se sépare. C’est la gravité,
celle qui attire les corps les uns vers les autres et assure la structure de
l’univers.
Au 27ème zéro, la température tombe en dessous de
cent millions de degrés. La force dite forte, qui est celle qui assure la
cohésion des noyaux des atomes, se sépare à son tour. C’est un événement
important qui provoque une nouvelle explosion à l’intérieur de l’explosion
initiale. L’univers enfle brusquement. Son état initial est bouleversé par
cette inflation et les quarks, qui sont les éléments fondamentaux de la
matière, sont formés. Des quantités énormes de matière et d’antimatière
apparaissent simultanément, et s’annihilent mutuellement, en se transformant en
rayonnement.
Comme il n’y avait pas tout à fait autant
d’antimatière que de matière, il subsiste un tout petit excès de celle-ci qui
constitue l’univers actuel.
Au 10ème zéro, les deux dernières forces
actuellement connues se séparent. La force dite faible, qui agit à l’intérieur
des atomes et contrôle la radioactivité, divorce d’avec la force
électromagnétique qui contrôle les phénomènes magnétiques, électriques, et
chimiques. Il y a un brutal changement de phase. Les quarks s’assemblent et
fusionnent trois par trois pour former les protons et les neutrons.
A ce moment toutes les particules sont formées.
Elles semblent pouvoir durer bien plus longtemps que l’univers lui-même.
Les particules
sont éternelles.
Après
cette première seconde, l’âge nucléaire commence.
Une seconde vague existentielle s’élance, dans un
univers déjà très différent et beaucoup plus étendu. La température baisse.
Protons et neutrons fusionnent pour former seulement
un très petit nombre de corps élémentaires. Ce sont le deutérium et le tritium.
Ils fusionnent ensuite pour donner l’hélium 4, le lithium 7 et le béryllium 7.
Après trois minutes les premières fusions nucléaires s’arrêtent. L’aventure est
provisoirement terminée.
L’univers attend des temps
meilleurs.
La troisième vague démarre. La période radiative, un
nouvel âge de l’univers commence. Il va durer un million d’années au moins.
Pendant cette période radiative, l’univers est
surtout rempli de photons qui se bousculent frénétiquement.
La lumière n’existe pas encore, au sens que nous
donnons actuellement à ce mot, car elle ne peut se propager et n’éclaire pas
l’espace. L’univers continue à grandir, et lorsque la période se termine, les
photons ont enfin assez de place et peuvent commencer à circuler dans l’espace
et à y propager les rayonnements électromagnétiques.
Soudainement l’univers
devient transparent.
Est-ce l’instant de lumière de la Genèse ?
Les photons, ondes ou particules de lumière, se
déplacent à une très grande vitesse, constante dans un milieu donné.
Dans le vide, ils parcourent trois cent mille
kilomètres par seconde. A cette vitesse la notion de temps n’a plus de sens.
La lumière
existe éternellement hors du temps.
Tous les autres composants de l’univers se déplacent
moins vite car ils sont freinés par certaines de leurs propriétés, par exemple
par leur inertie ou leur masse. Nous appelons «temps» ces retards par rapport
aux photons.
Comme chaque corps se déplace à sa propre vitesse,
chaque corps a son propre retard. Il a donc son propre temps. Bien évidemment
tous ces écarts sont relatifs les uns par rapport aux autres. C’est pourquoi on
appelle cette théorie, la théorie de la relativité. Elle est présentée ici avec
un excès de simplification que les spécialistes voudront bien me pardonner.
Après ce premier million
d’années, l’univers se transforme à nouveau, et la matière se concentre.
C’est l’ère
stellaire.
Nous y sommes encore aujourd’hui.
La quatrième vague existentielle s’étend en poussant
les bornes de l’univers à des distances et vers des limites qui dépassent nos
capacités humaines de représentation. En son sein, d’autres vagues se forment,
plus petites mais combien plus importantes pour nous. D’immenses nuages de gaz
et de poussières se rassemblent par l’effet de la gravitation, et forment les
protogalaxies.
Encore un milliard d’années et les premières étoiles
s’allument, (soit seulement mille mètres
carrés dans notre convention de représentation). Elles sont souvent énormes et
meurent rapidement. La plupart d’entre
elles explosent et répandent dans l’espace leur matière maintenant élaborée.
Tous les éléments chimiques que nous connaissons, et
d’autres éléments encore inconnus, existent depuis cette époque. Ils ont été
fabriqués dans les creusets alchimiques et flamboyants de tous ces astres
disparus, et ont été dispersés par leurs explosions finales pour donner ensuite
naissance à de nouvelles étoiles.
Les étoiles sont groupées en galaxies qui en
rassemblent chacune plusieurs centaines de milliards, et il y a au moins cent
milliards de galaxies dans l’univers connu. Il est tout à fait possible que
d’innombrables autres univers inaccessibles existent à coté du notre, et qu’ils
soient régis par des lois physiques complètement différentes de celles que nous
connaissons. Actuellement, cette hypothèse ne peut être éclaircie.
Après dix
milliards d’années, le Soleil !
On assiste à la formation du système solaire et de
notre planète et de toutes les autres. La moitié de notre champ de
représentation temporelle est déjà parcourue.
Les cendres des anciennes étoiles se rassemblent par
l’effet de la gravité, et constituent des nuages de poussières et de gaz, puis
des grains et des cailloux, puis des
rochers et enfin des astres.
Notre Terre se forme progressivement. Une période de
huit cents millions d’années s’écoule, pendant laquelle des composés chimiques
de plus en plus complexes s’élaborent dans un monde agité de gigantesques
convulsions. Des bolides cosmiques s’y abattent chaque jour, provoquant de
terribles catastrophes et transformant la surface de la planète.
En fait, il faut bien admettre que nous ne savons
pratiquement rien des trois premiers quarts de l’histoire de la Terre.
La vie a pu apparaître pendant cette période,
peut-être assez rapidement, mais dans des formes extrêmement simples. Les
premiers organismes multicellulaires et les premiers végétaux commencent à se
répandre deux ou trois milliards d’années plus tard, c’est-à-dire il y a
environ un milliard d’années en amont de notre actuel examen.
Nos derniers mille mètres carrés de jardin sont
entamés. Encore quatre cents petits mètres carrés et voici les premiers animaux
à squelette externe. Leur apparition se situerait à quatre ou cinq cents millions
d’années de nos jours.
Les terres émergées qui ne formaient jusqu’ici qu’un
seul vaste continent, la Pangée, commencent à se morceler en grandes plaques
qui partent à la dérive. Leurs collisions font dresser les montagnes et les
volcans. Les premiers poissons sont là, à quatre cent cinquante millions
d’années, suivis des premiers reptiles à trois cents millions d’années.
Maintenant notre pré carré a la dimension d’un
jardin de curé.
Les premiers dinosaures et les premiers mammifères
partent à la conquête du monde voici deux cents millions d’années.
L’océan Atlantique Nord commence à s’ouvrir. Il y a
soixante millions d’années, presque hier, une extraordinaire catastrophe a fait
disparaître les dinosaures et la plupart des espèces qui vivaient à leur
époque. A ce moment l’Amérique du Sud se sépare de l’Afrique. Les reptiles
laissent la place aux mammifères. L’herbe couvre les terres émergées.
A trente millions d’années, trente de nos mètres
carrés de pelouse, les primates commencent à évoluer. Dans notre plate-bande,
au bout du bras, un curieux animal se prépare à devenir une personne. Il va
bientôt lever son regard vers le ciel.
L’ancêtre est
déjà là,
mais il n’est pas encore debout.
Notre Soleil est situé sur le bord de la galaxie,
dans une région où les étoiles ne sont pas très nombreuses. Lorsque nous
regardons le ciel nocturne, nous n’en distinguons qu’environ cinq mille à
l’oeil nu. Si le hasard nous avait placés plus prés du coeur de la galaxie, c’est un million
d’étoiles qui brilleraient au ciel. Les notions de nuit et de jour n’auraient
plus beaucoup de sens, et la science et la métaphysique auraient peut-être pris
un autre chemin.
Je tenterai, plus loin, de décrire les idées des
scientifiques concernant l’apparition et le développement de la vie terrestre,
et plus particulièrement de l’intelligence humaine. Terminons-en d’abord avec
ce diable d’univers qui n’en finit pas d’aller vers sa fin.
Car la
prochaine vague reste à venir.
Certains imaginent un renversement du temps et un
retour aux sources, mais d’autres y voient un avenir sombre et glacé. L’univers
mort pourrait continuer à s’accroître indéfiniment pendant l’éternité. Cela
n’est pas pour demain. L’immensité actuelle de l’espace et du temps suffit
amplement à poser à notre intelligence des défis redoutables.
Il est maintenant
intéressant et nécessaire de répéter que toutes ces perspectives scientifiques
sont des théories.
Un physicien
comme Stephen W. Hawkins, reconnu universellement comme l’un des plus
grands cosmologistes actuels, définit régulièrement ce que sont les théories
scientifiques, au fil des pages de ses ouvrages. Je veux ici résumer ce qu’il
répète.
« Nous devons bien
comprendre ce qu’est une théorie scientifique. Dans une telle théorie,
l’opinion banale voit un modèle représentatif de l’univers, ou celui d’une
partie limitée de l’univers, associé à un ensemble de règles mettant en
relation des quantités issues à la fois de ce modèle imagé et des observations
expérimentales. Cela est une opinion bien naïve. La théorie n’existe que dans
notre esprit et ne peut avoir d’autre réalité, quelle qu’en soit la
signification. Les théories physiques
sont toujours provisoires. Elles ne sont que des hypothèses: Personne ne pourra
jamais prouver une théorie physique, parce que personne ne pourra jamais être
certain que la prochaine observation, quel qu'en soit le nombre déjà effectué,
ne mettra pas cette théorie en échec ».
Cette affirmation de Hawking est d’autant plus
intéressante, qu’il a remis lui-même en question certaines de ses convictions.
Après avoir été un fervent partisan du big-bang, il pense maintenant que
l'univers n'a pas de début ni même de bord.
Le prétendu big-bang ne serait probablement qu'un
point singulier comme le pôle terrestre. Certaines lois élémentaires cessent de
s'appliquer sans que cela implique un changement radical d'état. Par exemple,
au pôle, le jour dure six mois, la boussole s’affole, les points cardinaux
n’ont plus de signification. C’est simplement un point singulier, mais cela n’est pas perceptible
sur le terrain.
Par contre, sur le plan métaphysique, il convient de
mesurer ce qu’implique une semblable théorie, qui professe un univers sans
limites, et sans début ni fin.
Au non
commencement était l’univers indéfini.
D’autres théories doivent également être évoquées
pour ouvrir d’autres perspectives intéressantes.
Evoquons d’abord la grande rivale de la théorie de
la relativité générale, qui est la mécanique quantique. La théorie de la
mécanique quantique s’intéresse aux plus petits composants du monde. Elle
calcule en millionièmes de microns, alors que la théorie de la relativité dite
générale décrit l’univers à grande échelle que nous avons considéré jusqu’ici.
Les deux théories sont, semble-t-il, incompatibles.
Elles ne peuvent pas être justes en même temps. Elles ne donnent donc pas une
image complète de l’univers réel, d’où la recherche acharnée d’une nouvelle
théorie globalisante, qui en ferait la synthèse. Celle-ci n’a pas été réalisée
jusqu’à présent.
La théorie de la mécanique quantique ne décrit plus
le monde en termes de particules ou d’ondes. Il y a en effet une dualité entre
ces deux représentations, et on peut utiliser l’une ou l’autre figure selon le
besoin mathématique du moment.
Pour donner une idée du changement introduit par
l’utilisation de ces idées nouvelles, considérons l’exemple désormais très
classique des interférences d’électrons ou de photons.
En relativité générale, on considère qu’un phénomène
est imputable soit à une onde soit à une particule. Lorsque l’on envoie un jet
de particules, par exemple des photons, simultanément dans les deux fentes d’un
interféromètre, on constate l’apparition d’interférences qui démontrent la
présence d’ondes associées. Lorsque l’on envoie une seule particule, on
s’attend logiquement, en conformité avec la théorie, à voir disparaître ces interférences.
Ce n’est pas ce qui se produit. Il faut savoir qu’un
photon, qui est à la fois une particule et une onde de lumière, est tout à fait
capable de passer par deux trous en même temps. Ce phénomène est
incompréhensible pour notre logique banale. Il s’explique pourtant par une
formulation mathématique absconse, faisant appel aux principes de la mécanique
quantique.
Celle-ci ne décrit pas un état unique, bien défini,
pour une observation donnée. Elle le remplace par la description d’un certain
nombre d’états possibles, mais différents, associés chacun à une probabilité
d’existence.
Cette hypothèse a longtemps révolté Einstein qui a
exprimé son refus dans une formule lapidaire.
Dieu ne joue
pas aux dés.
En mécanique probabiliste, on utilisera l’image de
l’onde pour expliquer mathématiquement comment le photon peut passer par deux
trous à la fois, ce qu’une particule ne pourrait faire.
On peut d’ailleurs s’amuser à exprimer différemment cette situation, en
essayant d’imaginer une expression visant à former une image mentale accessible
aux hommes ordinaires. Ceux-ci, dont nous sommes, sont habituellement
violemment réfractaires aux hautes mathématiques. Si vous trouvez complexe
l’image qui suit, c’est que vous n’avez pas encore pris connaissance de la
sauce avec laquelle les mathématiciens assaisonnent la mécanique quantique.
Nous dirons qu’un petit
homme ordinaire attribue, implicitement et inconsciemment, à toute particule,
fut-elle électron ou photon, une dimension fondamentale d’existence et trois
dimensions spatiales de position. Si la particule existe, la valeur de cette
dimension existentielle est égale à l’unité. Les trois dimensions de position
sont relatives à la dimension d’existence. Leurs valeurs de coordonnées sont
variables et déterminent la position
relative de la particule dans l’espace. Einstein nous dit « En ce qui concerne le concept d’espace,
celui d’objet corporel paraît devoir le précéder ». Si la particule
n’existe pas, la valeur de sa dimension existentielle est nulle, et donc celles
des coordonnées spatiales de position le sont aussi. René Guénon disait
d’ailleurs que le négatif et le zéro n’existent que dans l’esprit tortueux des
mathématiciens. Dans la réalité objective il ne peut y avoir que des grandeurs
positives ou bien rien.
Imaginons donc que la
coordonnée de dimension existentielle fondamentale puisse donc prendre une valeur positive, non pas égale à l’unité mais
quelconque, non pas fixe mais variable (éventuellement de façon cyclique),
comme celles des trois dimensions spatiales qui lui sont relatives. La position
de la particule ne sera plus seulement déterminée par les valeurs de ses
coordonnées de position mais aussi par la valeur périodiquement variable de la
coordonnée d’existence. Sa localisation sera donc floue. Le comportement
d’ubiquité du photon devient possible, explicable et éventuellement
compréhensible.
Mon intention ici n’est que la formulation d’une autre manière de
former un objet mental relatif au comportement du photon. J’essaie seulement
d’en donner une image provocatrice et non conventionnelle.
Il faut également parler des théories qui concernent la structure fractale de
l’univers. Elles répondent à la question
impossible de Krisnamurti, de façon tellement évidente, qu'il faudrait
maintenant en trouver une autre.
Il me faut nécessairement expliquer très rapidement
ce que l’on entend par la notion de fractale. J’utiliserai l’exemple connu de
la longueur de la ligne de côte, qui sépare la terre et la mer. On définit
communément une longueur comme une grandeur à une seule dimension, parcourue
dans un seul sens. Vous savez que l’on passe à la surface en y ajoutant une
seconde dimension qui est la largeur. De même un volume est caractérisé par
trois dimensions.
Lorsque l’on veut mesurer la longueur d’une côte
maritime avec une seule dimension, on se trouve confronté à une impossibilité
pratique. Quoique l’on ait affaire ici à un élément naturel bien évidemment
structuré et organisé, sa longueur change selon l’échelle à laquelle se fait
l’examen. Plus on augmente la précision, plus la longueur s’accroît. Plus on
tient compte des détails, telles les baies, puis les criques, puis les
anfractuosités, le contour des galets et des grains de sable, plus la mesure
s’altère et devient imprécise et mouvante.
On peut cependant mathématiquement l’exprimer en
disant que sa valeur tend vers un nombre de dimensions plus grand que UN,
puisqu’on n’obtient pas une véritable mesure de longueur, mais moins grand que
DEUX, puisqu’il ne s’agit pas d’une surface.
Il s’agit donc d’un nombre
fractionnaire de dimensions, d'où l’appellation de « fractale ».
On découvre aujourd’hui que l’univers est
probablement à la fois chaotique et fractal. D’une certaine façon, l’apparent
désordre cosmique est organisé à tous les niveaux. Cette organisation semble
composées de structures analogues à différentes échelles, successivement
emboîtées les unes dans les autres comme des poupées russes. Comme les côtes de
nos océans, cet univers fractal est fini, mais ses limites connaissables
semblent à jamais hors de portée.
On pourrait alors parler des
lois hasardeuses du chaos, mais ce ne sont que des mots humains dépourvus de
sens réel. Ni le hasard ni le chaos ne suivent des lois évidentes de causalité.
Ils engendrent des structures conformes aux natures propres du hasard et du
chaos, lesquelles ne sont pas de l’ordre ordinaire de notre propre nature.
C’est notre seule petite raison humaine qui présuppose l’existence d’un cadre
référentiel préalable.
De la même façon, la structuration hypothétique du
réel sur un mode fractal ne permet aucunement de présupposer l’existence d’un
principe ou d’un modèle de référence qui resterait à découvrir pour expliquer
les mystères du monde.
L’océan n’attend pas la référence d’une formule pour
occuper la ligne mouvante des côtes fractales du continent. C’est bien au
contraire le contour fractal qui émerge par lui-même de la rencontre mouvante,
hasardeuse et chaotique de la terre et de l’eau.
Il en est
probablement de même de l’univers.
Lorsque l’on forme une image mentale de cet univers,
sa topologie, c’est-à-dire la façon dont sa forme est établie, est rarement
prise en compte. Elle reste implicite et secondaire. Elle est intégrée comme
une donnée vague sans réelle importance. Comment pouvons-nous donc représenter
ce modèle de forme générale qui aboutit à la forme particulière actuellement
observée ?
Pour l’actuelle intelligence humaine, il existe peu
de types généraux de formes topologiques. On distingue généralement le plan, le
cylindre, la sphère, le tore, et la forme gauche (genre selle de cheval). On a
d’abord conçu l’univers comme un plan, puis comme la surface d’une hyper sphère
grandissant au fur et à mesure de l’écoulement du temps.
Dans cette conception de
surface sphérique, la lumière d’une galaxie lointaine peut seulement nous
atteindre par deux chemins. Le premier, le trajet court, est vu de face. Le
second, le trajet long; fait tout le tour de l’univers, et il est vu de
dos. Aucun rayon lumineux n’a eu le temps de faire cet immense second parcours
depuis le début d’un univers hyper sphérique.
D’autres topologies sont possibles parmi lesquelles
la forme torique. Un tore peut être défini comme un cylindre dont les deux
extrémités ont été mises en connexion. Une chambre à air est un tore. Elle
ressemble à un tuyau dont les deux extrémités ont été aboutées, c’est-à-dire
mis en connexion.
Si l’univers a la forme d’un
tore, la lumière d’une galaxie lointaine peut aussi nous parvenir par deux
chemins directs, l’un de face, l’autre de dos. Mais dans cette hypothèse, cette
lumière peut également nous arriver après avoir parcouru plusieurs fois la
longueur du tore. Chaque galaxie serait alors visible plusieurs fois dans le
ciel, et comme la lumière a une vitesse donnée, elle met un temps certain à
nous parvenir. Nous en aurons des images à des âges différents, donc avec des
aspects différents.
L’univers serait alors beaucoup moins grand et
beaucoup moins peuplé de galaxies que dans la conception hyper sphérique
traditionnelle. Il a également été imaginé que l’univers pourrait être en
connexion multiple, avec de nombreux autres chemins possibles.
Le dessinateur et peintre Escher, déjà cité, qui
travaillait avec un mathématicien, a représenté de tels univers en connexion
multiple, dans des compositions étonnantes.
L’une d’elles est tout particulièrement remarquable,
en relation avec notre réflexion. Elle présente une mosaïque d’anges blancs et
de démons noirs imbriqués et complémentaires, étendue à l’infini. Elle pourrait
être une vision artistique et déconcertante de la réalité dialectique du monde.
Chacun des anges blancs d’Escher doit sa forme au seul voisinage de son ombre
obscure, et chaque démon noir existe seulement par la proximité de son ombre
lumineuse. L’architecture de leur construction commune, complémentaire et
fantomatique, s’étend dans toutes les directions, vers l’indéfini mystérieux.
Ce tableau
d’Escher figure un univers plausible.
D’autres topologies d’univers sont imaginables, dont
le modèle de la forme gauche. Les physiciens n’ont pas obtenu jusqu’ici, les
moyens de faire un choix.
En conclusion, je crois qu’il faut admettre une
formulation très humble et modeste. Nous n’avons pas encore réellement pénétré
les mystères du Zoran.
La véritable
nature de l’univers
nous échappe totalement.
J’aurais pu également vous parler de la théorie des
cordes cosmiques ou de celle des trous noirs, ces hypothétiques formations
devenues si attractives qu’elles absorbent leur propre rayonnement et creusent
un trou dans le continuum espace-temps.
Au sein des trous noirs, l’espace et le temps
semblent inverser leurs rôles. Je n’ai pas ici la place nécessaire pour de tels
développements, et je ne crois pas qu’ils puissent s’intégrer dans le parti
pris dans ce livre.
De toutes ces théories physiques exposées,
voulez-vous seulement retenir qu’à l’origine une mystérieuse et inconcevable
énergie s’est manifestée par l’émergence d’un inconcevable chaos. Cet état
s’est structuré selon sa nature. De cette organisation un nouveau chaos émerge
encore maintenant, dont les propriétés particulières ne sont pas liées de façon
causale à l’ancien état.
Je veux dire par là que les caractéristiques de
l’ancien état expliquent actuellement certains caractères de l’état présent,
mais ne les impliquaient pas de façon obligatoire dans le déroulement du passé.
Par exemple, les réactions de transmutation atomiques qui se produisent dans le
Soleil provoquent des émissions de photons, mais elles n’impliquaient pas obligatoirement
la production des yeux par les organismes vivants.
Il s’agit d’émergences successives, consécutives
l’une à l’autre, et explicables l’une par l’autre d’aval en amont. Mais elles
ne coulent aucunement de façon causale d’amont vers l’aval.
Le présent s’explique par le passé, mais le passé ne
crée pas le futur. Avec ses caractéristiques propres et toujours nouvelles et
avec toutes ses potentialités de manifestation, c’est ici et par l’acte actuel
que le futur inconnu émerge du présent.
Maintenant ici
même,
le futur émerge de l’éternel présent.
Le Soleil et les autres astres sont de grands
alchimistes qui savent fabriquer tous les éléments, y compris les métaux les
plus rares et les plus précieux, à partir des matériaux divers glanés dans l’espace.
Sachez qu’entre autres choses, notre Soleil fabrique beaucoup de métaux
précieux, dont l’or. Il en fabrique proportionnellement très peu, soit
seulement 1 petit atome d’or pour 100 milliards d’atomes d’hydrogène, (1/100
000 000 000), mais le Soleil est prodigieusement grand. Il a donc en réserve
une énorme quantité d’or, 10 millions de milliards de tonnes, 10 milliards de
milliards de lingots, (10 000 000 000 000 000 000 Kg), qu’il dispersera un jour
dans l’espace avec tous ses autres trésors.
Ces étoiles brillantes comme notre soleil ont une
vilaine habitude. Elles tendent à transformer progressivement toute leur
matière en fer. Lorsque il y a trop de fer dans le coeur ardent d’un astre, les
transmutations atomiques s’arrêtent brusquement. L’étoile empoisonnée
s’effondre sur elle-même puis explose en supernova.
Les planètes, et la notre, sont également un peu
alchimistes, mais ce sont surtout des simples chimistes laborieuses. Leur tâche
fondamentale est l’assemblage des éléments fournis par les étoiles et des
composés simples ramassés dans l’espace. Elles en font des combinaisons
complexes et extrêmement variées.
C’est ce qu’a fait la Terre, qui a eu cette chance,
peut-être rare, de disposer d’une importante quantité d’eau. L’eau est un
solvant puissant presque universel. Elle peut dissoudre presque tous les corps
lorsque qu’elle dispose du temps nécessaire. Depuis les lointains débuts de la
Terre, l’eau a eu tout son temps, et elle en a bien profité.
A son début la
Terre était informe et vide.
Elle était même très vide car elle était couverte
d’eau surchauffée. Aucune vie ne peuplait les profondeurs ni les rivages de ses
océans en ébullition. Des cataractes de pluie tombaient en permanence sur les
flots brûlants et furieux. Au fonds des mers, des éruptions volcaniques
titanesques mêlaient l’eau et le feu.
La mer immense était un formidable chaudron de sorcière dans lequel
cuisait un étonnant bouillon.
Les théories scientifiques actuelles les plus
prisées placent les débuts de la vie dans cette soupe chaude originelle. Il
faut bien percevoir ce qu’elles entendent par cette appellation de soupe.
Il s’agit ici du mélange complexe des innombrables
corps dissous et brassés par l’eau. Aux premiers temps de la Terre, ils étaient
transportés et mis en contact par ses mouvements continuels. La variété des
éléments en contact et la température ambiante très élevée favorisaient les
combinaisons chimiques les plus diverses, et il n’y avait aucun organisme
végétal ou animal, ni même aucun microbe
pour les détruire.
Avant qu’apparaisse la vie, il n’y avait que la
lumière du Soleil brillant sur l’eau, éclairant cette immense mer agitée et
chargée d’énormes quantités de toutes les boues tombées du ciel et montées des
abysses.
Au
commencement était la simplicité.
C’est avec cette phrase que Richard Dawkins commence
son exposé de la théorie sur l’origine de la vie, des luttes et des évolutions
qui la caractérisent.
Il suit la voie ouverte par Darwin et tous ses
partisans. Il est persuadé que la vie a évolué à partir de nombreux essais
aléatoires couronnés de réussites ou sanctionnés d’erreurs. La vie serait une
marâtre insensible et impitoyable. Elle récompenserait parfois les forts mais
elle éliminerait très souvent les faibles.
Cette théorie est apparemment simple et cohérente.
Son développement a valu un prix Nobel à Jacques Monod. Elle appelle cependant
plusieurs questions, dont certaines ont été soulevées par Darwin lui-même, puis
beaucoup ignorées par la suite. On ne définit jamais très bien qui est sanctionné
ou récompensé, c’est-à-dire le niveau auquel s’effectue la sélection.
Qui est concerné, le gène élémentaire, l’individu,
le couple parental, le groupe familial, la tribu, la sous-espèce, l’espèce
?.
Il est évident que des sélections simultanées,
impliquant des groupes distincts d’individus, appelés ensuite à s’hybrider,
aboutiraient bien plus rapidement à des différenciations importantes que des
sélections consécutives apparaissant au seul niveau individuel, mais cette
observation est également valable au niveau des groupes de gènes pilotant la
genèse d’organes.
De nombreux caractères différenciateurs semblent
très secondaires. Ils seraient donc peu efficients au point de vue adaptatif.
Leur persistance paraît plus liée aux effets hasardeux, chanceux ou
malchanceux, des conditions initiales chaotiques, qu’aux effets d’une sélection
rigoureuse d’élimination aboutissant à la survivance du plus apte.
Pour l’instant, revenons à Dawkins.
L’univers,
nous dit-il, est peuplé de choses stables.
Tout ce qui existe est formé d’assemblages stables
d’atomes. Lorsque des atomes se rencontrent, ils tendent parfois à établir des
liaisons chimiques pour former des molécules plus ou moins complexes et
stables. Une molécule simple peut être instable, et une molécule très complexe
peut cependant être très stable.
Cette situation était déjà
vraie avant la naissance de la vie sur Terre. C’est une loi naturelle. En
présence d’une énergie quelconque et d’un catalyseur, la sélection chimique
primitive conserve les formes stables et élimine les instables.
Dans la soupe boueuse des origines, avec l’énergie
du Soleil et des volcans, et avec l’aide de catalyseurs tels que les argiles,
cette loi primitive a effectué de nombreuses sélections de combinaisons stables
d’atomes. Cela a eu pour résultat la formation de molécules très variées.
Certaines combinaisons étaient simples, d’autres
compliquées, et d’autres extrêmement complexes.
Bien évidemment, au début, les molécules les plus
complexes étaient les plus rares, car leur apparition était régie tout à la
fois par le hasard des rencontres, et par la disponibilité préalable des sous
composants compliqués. Il fallait beaucoup de temps pour composer ces molécules
ultra complexes en quantité significative. Qu’à cela ne tienne, la nature avait
justement tout le temps nécessaire. Elle disposait de millions, et même de
milliards d’années.
Lorsque l’on simule en laboratoire les conditions
qui pouvaient régner aux premiers temps de la Terre, et que l’on soumet un
modèle de la soupe primitive aux effets de décharges électriques, on constate
ensuite la présence d’aminoacides, une des deux principales classes de
molécules biologiques.
On obtient également des substances organiques
telles les purines et les pyrimidines. C’est à partir de ces éléments
constitutifs qu’est constitué l’édifice de base de la molécule génétique bien
connue sous le nom d’ADN.
A un certain moment, nous
dit Dawkins, il se forma une molécule tout à fait remarquable.
Cette molécule
stable particulière
était un réplicateur.
Ce n’était pas probablement pas la plus grande ni la
plus complexe des molécules primitives, mais elle avait la propriété
extrêmement particulière de pouvoir créer des copies d’elle-même.
Il est difficile d’imaginer comment peut fonctionner
à l’origine, ce type de propriété réplicative. On peut cependant penser à un
cristal recevant, couche après couche, en les empilant progressivement, des
matériaux liés à sa structure initiale et conformes à sa composition naturelle.
C’est ainsi que se forment les cristaux.
Le réplicateur agirait comme une sorte de gabarit.
Il produirait selon les cas, soit une copie positive de lui-même, soit une
copie négative aboutissant à la copie positive en un second temps. Le mode
importe peu. Ce qui est important et révolutionnaire, c’est l’arrivée d’une nouvelle sorte de
stabilité dans le Monde. Le réplicateur disposait de quantités extrêmement
importantes de matériaux. Il a pu distribuer de très nombreuses copies de
lui-même dans l’immense océan primitif, jusqu’à ce que les matériaux
nécessaires deviennent finalement rares. Toutes ces copies n’étaient pas
parfaites, mais les erreurs ont été bénéfiques car elles favorisaient
l’évolution et la sélection des meilleures.
La soupe des premiers âges se trouva donc contenir
une population variée de répliques diverses. Certaines étaient moins fragiles
que d’autres. Elles étaient plus stables, duraient bien plus longtemps, et
avaient plus de temps pour faire des copies d’elles mêmes. D’autres étaient
plus fragiles, se reproduisaient lentement, ou produisaient des copies moins
fidèles.
Progressivement, et par l’effet de cette seule loi
statistique naturelle, la proportion des molécules réplicatives du premier type
augmenta dans le total par rapport au second. Cette variation progressive des
proportions relatives de chacun des types en concurrence est appelée sélection
naturelle.
Les premiers réplicateurs étaient-ils vivants ?
Comme nous l’avons vu dans le précédent chapitre, les mots sont des outils à
disposition de l’Homme. A cette époque, la distinction du vivant au non vivant
n’avait pas de sens. Vivants ou non, les commencements fonctionnaient et font
partie de notre passé.
Les
réplicateurs seraient nos lointains ancêtres.
Les réplicateurs étaient efficaces. Ils se sont
reproduits en très grand nombre, et ils ont consommé les ressources limitées de
la soupe primitive. La compétition était inévitable. Les variétés les plus
favorisées sont devenues plus nombreuses et certaines lignées primitives ont
complètement disparu.
Les réplicateurs ne savaient pas qu’ils luttaient
pour l’existence. Ils ne savaient rien mais, chaque fois qu’une erreur de copie
aboutissait à plus de stabilité, elle était automatiquement préservée et se
multipliait. Il en était de même quand elle favorisait la déstabilisation d’une
variété rivale. C’est peut-être à ce moment que les premières cellules vivantes
apparurent. Dawkins pense que certaines variétés de réplicateurs découvrirent
alors comment se protéger, d’abord chimiquement, puis en s’enfermant dans des
globules de protéines.
Les réplicateurs dépassèrent alors la seule
existence passive, et commencèrent à construire des enveloppes protectrices et
des véhicules pour leur durée, c’est-à-dire leur survie.
La vie compétitive devint de plus en plus difficile
et meurtrière nécessitant la mise au point de machines à survie toujours plus
perfectionnées et plus efficaces. Pendant des millions d’années, les
réplicateurs améliorèrent graduellement leurs techniques et leurs artifices, et
ils emplirent la Terre.
Une enveloppe nouvelle
recouvrit
le squelette minéral de la
planète.
Elle était gigantesque, elle
l’est toujours.
Elle occupe presque toute la
surface de la Terre,
cela sur une très grande
épaisseur.
On l’appelle la biosphère.
La biosphère
pèse
des milliers
de milliards de tonnes.
Mais que sont devenus ces réplicateurs aujourd’hui ?
La plupart d’entre eux sont toujours là. Ils sont encore les champions de la
survie. Ils fourmillent dans d’immenses colonies isolées du monde extérieur,
car sur la Terre primitive, ils ont reconstruit un nouveau Monde animé, adapté
à leurs besoins.
Ils ont fabriqué des machines vivantes compliquées
qui leur permettent de s’y maintenir pendant des millions d’années. Dawkins
nous dit que les réplicateurs sont en vous et en moi. On les appelle les gènes.
Ils nous ont entièrement construits, corps et cerveau, afin de disposer des
moyens nécessaires à la préservation de leur existence. Cela serait même notre
seule raison d’être.
Nous serions
seulement
les machines à survie des gènes.
Tous les êtres vivants sont les machines à survie
des gènes, y compris tous les autres animaux, les plantes, les champignons, les
bactéries et les virus. Ces machines vivantes existent en grand nombre et en
grande variété. Leurs composants chimiques sont cependant assez uniformes.
(Environ vingt aminoacides, quelques protéines).
Actuellement, toutes les espèces vivantes sont des
machines à survie construites par la même sorte de réplicateur, l’ADN.
Il existe dans tous les corps. Il est distribué dans
les cellules, et il y a inscrit ses programmes de fabrication.
Chacune d’entre elles contient un jeu complet des
plans et des dispositifs de fonctionnement des machines à survie. Nous appelons
chromosomes cette bibliothèque de programmes. Les chromosomes utilisent pour
enregistrer ces instructions un alphabet formé d’un code très simple, de quatre
lettres, qui semble reconnu par toutes les espèces vivantes.
Je rappelle
que nous étudions ici une théorie scientifique.
Elle reste controversée, au moins en partie, bien
qu’elle rencontre une très large adhésion dans le monde entier. Ses auteurs
reconnaissent cependant la proposition modératrice suivante.
La genèse du
code génétique demeure inconnue.
Je n’ai donc pas l’intention de décrire comment les
gènes se reproduisent, ni comment ils induisent la fabrication des enzymes
nécessaires à la machine. Sachez simplement que les gènes contrôlent la
fabrication du corps. La théorie prétend que les gènes contrôlent également les
comportements. Leur influence souveraine établit les règles de la vie, de la
mort, du sexe, de la forme, et de l’hérédité.
Rien de ce qui a pu être acquis à travers
l’expérience d’une quelconque vie ne sera transmis à la génération suivante.
Les gènes ne sont ni bienveillants ni cruels. Hélas,
ils sont suprêmement indifférents à toute souffrance et à toute finalité. Ils
ne nous exploitent même pas. Ils existent tout simplement. Ils possèdent une
propriété, tirée de la matière, qui favorise mécaniquement la durée de leur
propre survie dans le futur. Ceci dépend de l’efficacité des corps vivants dans
lesquels ils se tiennent. La seule sélection naturelle du plus apte favorise
automatiquement les réplicateurs qui fabriquent les meilleures machines.
Les gènes ne
sentent pas, ne prévoient pas.
Ils existent.
Ils fonctionnent en associations associant des
milliers de gènes différents. Chaque partie du corps est influencée par
plusieurs gènes exécutants regroupés sous l’action de gènes coordinateurs. Dans
un corps particulier, les combinaisons de gènes sont relativement éphémères,
mais la plupart des gènes ont une très longue durée d’existence. On peut les
considérer comme des unités sélectionnées qui se perpétuent par clonage, à travers un grand nombre de
corps successifs.
Afin de donner corps à sa thèse, Dawkins donne du
gène la définition suivante qui l’adapte étroitement à la proposition posée.
Le gène est une quelconque
partie du matériel chromosomique qui dure potentiellement un nombre suffisant
de générations pour servir d’unité de sélection naturelle.
Le gène est donc une partie du chromosome qui
possède une haute fidélité de copie. Cela implique une longévité importante.
Les groupes de gènes les plus anciens ont construit
les premières machines vivantes élémentaires. Toute la machinerie primitive qui
fonctionne au plus profond de l’homme, et qui induit son comportement vital
instinctif, est le résultat du travail obscur qu’ils poursuivent dans son corps
depuis des millions d’années.
Tous les organismes sont fondamentalement programmés
pour se reproduire à l’identique indéfiniment. En fonction des circonstances de
leur genèse primitive, ils ont absolument besoin des protéines dont les
réserves libres, naturellement issues de la soupe primitive, sont épuisées
depuis bien longtemps.
Elles ont toutes été utilisées par les autres
vivants. Une seule solution s’impose. Il faudra inévitablement en venir à
dépouiller les détenteurs des indispensables protéines, sans pitié et avec
toute l’efficacité nécessaire. Cela implique dents et griffes, ruse et
violence, massacre et dévoration. Les gènes programmeurs n’ont pas de
sentiments. Lorsque le carnivore poursuit sa proie, le chasseur et le gibier
ont un objectif commun, qui est la masse des protéines mise en jeu. Le premier
veut l’approprier, le second veut la conserver. Vainqueur ou vaincu, le
bénéfice ira au plus apte.
On en arrive maintenant à l’argument central de la
théorie de Richard Dawkins.
Les gènes sont
fondamentalement égoïstes.
Toute machine à survie fonctionne en relation avec
les machines voisines, de façon à favoriser la survie de ses propres groupes de
gènes et de ceux qui sont les plus apparentés aux siens, lesquels sont
évidemment les membres de sa famille ou de sa tribu. Elle est équipée pour les
reconnaître facilement. L’éventuel altruisme de son comportement sera piloté
par l’importance relative de cette reconnaissance de proximité parentale.
Nous aimons
mieux notre cousine que notre voisine.
C’est de cette façon que la théorie explique les comportements de dévouement
parental et de solidarité d’espèce, dont les nôtres, devant les dangers et les
aléas de la vie organique.
Les gènes nous
tiennent en esclavage..
On trouve aussi chez Richard Dawkins un prolongement
visionnaire à la théorie de ces gènes
réplicateurs « égoïstes », exploitant pour leur seul compte les
richesses de la biosphère, dont nous sommes, avec une totale indifférence aux
souffrances de tous ceux qui y vivent
Hélas ! De
nouveaux réplicateurs sont apparus.
Ils prolifèrent dans la sphère des sociétés et des
cultures humaines. Ce sont les idées au sens large du terme, et tous les
produits de cette culture, (y compris d’ailleurs les théories scientifiques, et
celle-ci même dont l’examen nous occupe actuellement).
Un autre
terrible esclavage nous menace.
Nés de l’intelligence humaine, ces nouveaux
parasites disposent maintenant des moyens de se répandre rapidement et de
conquérir leur propre domaine. Ils ont commencé à envahir implacablement la
planète.
Ils ont déjà prouvé leur puissance et leur terrible
capacité de nuisance. Il faut maintenant craindre qu’ils agissent en cela pour
leur propre compte, à nos dépens, et avec une totale et souveraine indifférence
aux conséquences parfois mortelles, tout autant qu’aux souffrances que leur
expansion peut induire chez les individus qu’ils exploitent.
Voici aussi ce qu’en dit
Jacques MONOD.
« Il est tentant pour un biologiste de comparer
l’évolution des idées à celle de la biosphère. Les idées ont conservé certaines
des propriétés des organismes. Comme eux elles tendent à perpétuer leur
structure et à la multiplier. Comme eux, elles peuvent fusionner, recombiner,
ségréguer leur contenu, comme eux enfin elles évoluent et dans celle évolution
la sélection, sans aucun doute, joue un grand rôle. ».
Amis, rassurez-vous un tout
petit peu !
Toute théorie évolue ou
appelle une antithèse
Pierre-P Grassé, éminent biologiste, académicien des
sciences, longtemps titulaire de la chaire d’Evolution de la Sorbonne,
professait que les gènes sont seulement des enregistrements détaillés
d’informations et d’instructions. Ils restent toujours sous la dépendance du
cytoplasme, c’est-à-dire indirectement de la cellule. Celle-ci en jouerait
comme d’un clavier pour lancer les séquences des synthèses chimiques dont elle
a besoin. Stimulés chimiquement, l’ADN chromosomique émettrait alors des
molécules d’ARN-messager, chargées d’information signifiante.
Les molécules
d’ADN seraient un clavier d’ordonnancement.
La théorie affirme que l’évolution se présente
toujours comme une marche vers une certaine forme. Elle opère continûment dans
le même sens général, et elle s’y maintient aussi longtemps que la lignée
considérée n’a pas complètement réalisé une certaine forme-cible, son
idiomorphon.
L’évolution créatrice prend ses sources dans les
formes mères. De nouveaux types d’organisation n’apparaissent jamais si elles
sont absentes. Tout comme le macrocosme évolue selon les lois de la physique et
de la chimie, le monde vivant poursuit son histoire en obéissant à ces mêmes
lois, mais il se soumet aux siennes propres, que nous ne connaissons que
partiellement.
Les lignées
veulent réaliser leurs idiomorphons.
Pierre-P Grassé, aujourd’hui disparu, a mené des
années durant, une enquête qu’il voulait impartiale. Il a été amené à conclure.
lQue les théories
lamarckienne et darwinienne, ne résolvent pas le problème majeur de
l’évolution, c’est-à-dire la genèse des grandes unités systématiques et des
plans d’organisation fondamentaux.
lQue ces théories laissent de
coté maints aspects et maints phénomènes fondamentaux de l’évolution.
lQu’on n'a pas encore tiré
des fossiles toute l’information qu’ils contiennent.
Il estimait avoir prouvé que l’évolution n’est ni
aléatoire ni continue. Elle n’est pas un phénomène obligatoirement lié à une
nécessité immédiate, ni le produit de la sélection naturelle.
« L’adaptation de
l’être vivant étant rarement parfaite, celui-ci doit s’accommoder d’un
compromis avec le milieu. Il y survit malgré sa relative inadaptation si son
bilan physiologique est positif. La compétition entre espèces est très loin
d’être universelle, et la mort est moins souvent différenciatrice qu’elle n’est
aveugle et sans action sélective ».
Il serait donc faux d’affirmer que l’évolution,
guidée par la sélection naturelle, soit toujours favorable à l’espèce. Elle
laisse derrière elle « un immense cimetière peuplé de ses erreurs et de
ses échecs ».
Le mieux adapté ne supprime pas le moins bien
adapté, non plus que le supérieur n’élimine l’inférieur. L’évolution et la
mutagénèse sont indépendantes.
La mutagénèse
est continue,
l’évolution ne l’est pas.
Henri Laborit, chirurgien et biologiste très connu,
inventeur des principaux neuroleptiques, découvrit les propriétés toxiques des
radicaux libres. Humaniste et auteur de nombreux ouvrages, il est en également
en relatif désaccord avec les positions extrêmes de Dawkins. Il pense qu’à un
certain moment, au cours de l’évolution, les formes qui vivaient alors ont
abandonné l’immortalité de la division asexuée, pour obtenir une plus grande
capacité d’action. L’individualisme serait alors apparu, limité aux rapports
entre l’organisme individualisé et son environnement.
Une étape fondamentale de l’évolution fut donc le
passage des êtres unicellulaires aux organismes pluricellulaires. Les cellules
isolées franchirent un nouveau niveau d’organisation. Chaque cellule se
spécialisa dans une fonction réduite au sein d’un organe. Son existence devint
dépendante du travail de chacune des nombreuses autres cellules contenues dans
l’ensemble de l’organisme. La survie se mit à dépendre non pas de la
compétition, mais de la capacité d’entraide et de coopération.
L’évolution
doit plus à l’entente qu’à la lutte.
« Il y a seulement
trois milliards d’années, l’organisation de la matière a pris une orientation
nouvelle. Avec les systèmes vivants, apparaît un processus d’organisation
particulier qui prolonge l’organisation cosmique dans une orientation nouvelle
au sein d’un espace étroit. La lutte compétitive peut avoir contribué à
l’évolution de chaque espèce lorsque le niveau d’organisation qu’elle
représente a été atteint, mais pour y accéder, c’est l’entraide qui fut
nécessaire ».
La
superposition des organisations est le secret des secrets.
Seule l’acquisition de la notion de la superposition
des niveaux d’organisation peut permettre la compréhension de la formation de
l’univers et de l’origine de la vie.
A ce stade de l’étude, permettons-nous une petite
pause. Au risque de scandaliser les scientifiques, j’avouerais que je trouve
une certaine analogie entre la personnification des gènes esclavagistes et
égoïstes de Dawkins et Wilson, qui combattent pour le succès de leur lignée, et
l’idée plus mythique des archanges chefs de races, combattant pour ou contre
une nation, selon ses besoins d’évolution, chez Max. Heindel. Les auteurs
semblent puiser dans leur imaginaire personnel, et ils projettent vers le réel
un reflet tiré de l’envers de leur propre miroir noir. Mais le Zoran garde
finalement tout son mystère.
Avant la recherche,
Le Zoran n’est que le Zoran.
Pendant la recherche,
le Zoran n’est que l’idée du Zoran.
Après la recherche,
le Zoran est à nouveau le Zoran.
Nous n’avons retenu jusqu’ici que peu d’hypothèses
sur la façon dont la vie a évolué sur la planète. Il y en a d’autres, et
j’aurais pu vous présenter le « Saltationisme », théorie défendue par
Stephen J.Gould, un américain qui introduit la notion d’une évolution
progressant par des sauts successifs provoquant de soudaines et importantes
modifications du schéma corporel..
Retenons de tout ceci qu’à un certain moment
relativement récent de la transformation permanente du cosmos, un événement
particulier est advenu sur notre planète. Le corps physique de la Terre s’est
revêtu d’un grand manteau vivant.
On ne peut
jamais parler de la vie en général.
Attachez-vous à cette remarque importante. Constatez
bien que le mot de vie n’a pas de sens propre, car c’est seulement à travers
les êtres vivants que nous définissons toujours le profond mystère de la vie. A
ce moment mystérieux de la Terre, les êtres ont
acquis des corps physiques de nature chimique, puis les ont revêtus d’un
corps nouveau, dont la nature nous reste mal connue.
Le corps
minéral physique
s’est revêtu d’un corps vivant.
Il me semble d’ailleurs qu’il conviendrait plutôt de
dire que lorsque fût venu le temps des corps vivants, la vie a investi le monde
minéral. Nous verrons, en effet, que le corps vivant et le corps physique
n’existent jamais séparément. Lorsque l’un est détruit, l’autre disparaît. Leur
coexistence ininterrompue a commencé avec l’apparition de la vie en un lointain
moment du passé de la Terre. Elle s’est poursuivie à travers la succession des
générations, et elle continue aujourd’hui, dans
notre personne même, jusqu’au jour incertain mais proche de notre mort
inévitable.
Notre corps et notre état mental actuels sont les
résultats des efforts constants et des apprentissages réalisés de façon
continue, au cours d’une très longue histoire. Au fil du temps, ce fragile
assemblage évolutif, apparemment immortel, a effectué un long cheminement
depuis les origines vers sa forme actuelle. Il a été assumé, à travers les
millénaires, par un être essentiel, intérieur et caché, dont nous savons bien
peu de chose, et sans que nous ayons encore découvert s’il était manipulé ou
manipulateur, si l’aventure était programmée, désirée, ou accidentelle, et si
elle avait un objet ou un sens.
Dans chaque vivant, quel qu’il soit, un être
intérieur secret construit inconsciemment un reflet du Zoran. Avec l’éveil du
mental humain et de la pensée, l’ego personnel apparaît, dont nous avons vu
qu’il bâtissait une image personnelle du Monde en assemblant les souvenirs des
seules expériences vécues. Son reflet du Zoran ne contient que l’image de son
propre passé. Le rôle premier de l’ego c’est d’assurer la permanence et la
sécurité de la personne.
Dans le même temps, le conscient découvre avec
horreur que la mort va très bientôt détruire le support corporel de cet ego,
qu’inconsciemment il pressentait immortel. Ce constat est inadmissible et insupportable.
Certains pleurent, ou rient en défiant le ciel. Beaucoup interpellent la mort
prochaine qu’ils estiment injuste. D’autres réagissent à ce destin par une
fureur ravageuse et meurtrière en détruisant tout ce qu’ils peuvent atteindre.
« Personne ne vivra
puisque je dois mourir ! ».
« Pourquoi moi ?
» - « Pourquoi pas ! »
Des individus sombrent dans le désespoir ou la
folie, et parfois se détruisent eux-mêmes, mais les plus nombreux tentent
d’écarter le sort funeste en développant des croyances et des pratiques avec
lesquelles ils espèrent garantir la survie post-mortem de leur ego idolâtré.
Nous reviendrons sur tout cela. Il est normal que la genèse et la cruauté de la
vie nous interrogent et nous étonnent.
On comprend le printemps,
l’aube, le nid, la rose,
Mais pourquoi les glaçons ?
Pourquoi le houx morose ?
Pourquoi l’autour, ce
criminel ?
Pourquoi cette ombre froide
où le jour se termine ?
Pourquoi la bête fauve, et
pourquoi la vermine ?
Pourquoi vous ? répond
l’Eternel.
(Victor Hugo -
Tout le passé et tout l’avenir).
Pour clore provisoirement cette réflexion, je
citerai aussi les idées de Georges Vallin. Dans le cadre d’une conception
trinitaire de l’homme, corps, âme et esprit, il pense que la mort du corps et
de l’âme actuels d’un homme n’a pas de véritable signification, car ce ne sont
que des agrégats, des entités multiples et impermanentes. Pour prendre un sens,
ce qui doit réellement disparaître et «mourir», c’est la limitation
constitutive attachée à la forme humaine, c’est-à-dire le facteur qui limite
chez l’homme-animal l’expression de l’esprit qui est sa véritable essence.
« La véritable mort,
c’est l’extinction de l’ego, c’est-à-dire le passage de l’immortalité, (dans le
sens de la continuation indéfinie de l’être dans les alternances nécessaires
des naissances et des morts), à l’éternité de l’UN. L’individu ne meurt
vraiment qu’en passant de l’immortalité de son âme individuelle à l’éternité de
son Soi ».
Permettez-moi de résumer comme suit ce que
m’inspirent ces réflexions et la réunion des théories précédentes. Les espèces
sont enracinées dans leur passé minéral. Sous la poussée, ou l’appel, d’un
facteur indéterminé, elles s’élèvent par l’évolution vers la réalisation de
l’intégralité de leur idiomorphon. Elles visent continûment à l’accomplissement
du parangon de la forme dont elles renferment l’archétype. Cette poussée est
barrée par l’action des chromosomes dont le rôle est antagoniste. Témoins de
l’histoire du vivant, ils sont les garants du maintien constant de la stabilité
actuelle. Ils freinent donc la rapidité de l’évolution, forçant par là même, les espèces à explorer,
dans la souffrance, grâce aux mutations qu’ils permettent cependant, toutes les
possibilités de dépassement qui sont offertes par les contraintes du milieu.
La forme immédiate de chaque espèce résulte du compromis trouvé entre
les deux parties de cet antagonisme.
Hors de toute considération métaphysique, ce concept
me semble réaliser une synthèse acceptable. Il est étonnant de constater qu’il
est possible de le représenter par un symbole venant à nous du fond des âges.
C.G. Jung nous dit que l’arbre peut être considéré comme un symbole cosmique,
car « l’arbre qui est également l’homme,
est enraciné dans ce monde et s’élève vers le pôle céleste. L’histoire
des symboles décrit l’arbre comme le chemin, et comme la croissance vers
l’immuable et l’éternel qui naît de l’univers des opposés en rendant cette
union possible parce qu’elle l’est déjà de toute éternité ».
Le symbole de l’arbre-homme réside dans
l’inconscient humain et s’y associe avec celui de l’arbre-gibet, support
ancestral des supplices. Il en résulte l’émergence d’un signe ambivalent,
utilisé depuis que l’homme trace des signes et s’interroge sur le sens de son
existence, la croix universelle. Le montant vertical, de bas en haut, figure
l’arbre enraciné, l’effort de progrès de l’espèce, montant du passé minéral
existentiel vers l’avenir idéal de la réalisation de la forme mère, vers
l’appel de l’archétype qu’elle renferme. La barre horizontale figure
l’obstacle, la souffrance, tout le poids organique et mental de l’histoire
passée et toutes les contraintes actuelles de l’environnement qui doivent être
maintenant dépassés, c’est-à-dire le karma à liquider. Au point de croisement,
évolutif et mobile, de ces antagonismes, fleurit la vie réelle, actuellement
rendue possible par le dépassement des anciens barrages grâce à l’évolution.
Au coeur de la
croix existentielle, fleurit la vie.
A travers nos yeux d’hommes, poussières d’étoiles, à
travers nos plaisirs et nos joies, nos peines et nos larmes, aujourd’hui et en
cet instant même, les astres ou les dieux se regardent exister.
Il faut bien avouer que pour l’instant, ces yeux-là
ont la vue bien basse et le regard brouillé. Les astres, là-haut, n’en poursuivent pas moins leur course
incompréhensible dans le cosmos illimité. Ici-bas cependant, la vie, la
souffrance, l’espérance, le plaisir et la mort enroulent indéfiniment les orbes
de leur danse éternelle.
Roule la vie,
tourne la ronde,
Chaque minute,
chaque moment,
S'use le
temps,
Infiniment.
Passe la vie,
roule le monde,
Chaque
seconde, chaque instant,
Saigne mon
temps,
Mortellement.
D |
e Boue, de
Sang, de Peur, et de Désir.
Il n’y a point de hasard. (Voltaire)
Nous avons vu cela, nous sommes des singes.
(Krisnamurti)
Ne dites pas mourir, dites naître. (Victor Hugo)
L’homme, tout compte fait, n’a rien à dire de
l’homme.
Etant seul à se juger, il peut se grandir ou se
réduire à sa guise.
(Jean Rostand)
Nous n’allons pas refaire ici en détail toute
l’histoire si controversée de l’origine et du développement de la vie. Nous
tenterons seulement de parcourir les théories qui décrivent les êtres habitant
actuellement la planète, en portant une attention particulière à cet animal au comportement
étrange, dont font partie ces deux individus si intéressants, vous et moi.
Actuellement,
la vie sur Terre occupe trois empires distincts.
Le premier et le second sont à la fois proches de
nous dans l’espace et éloignés dans les principes.
Les êtres vivants qui les habitent sont des
procaryotes. Ils ont une forme corporelle élémentaire et une structure assez
simple, ce qui ne veut pas dire que leur fonctionnement ne soit pas complexe.
Les fonctions de la vie sont toujours compliquées.
lLes nombreux habitants du
premier empire sont les bactéries, bien connues pour leur comportement parfois
gênant à notre égard. (Les virus sont probablement des bactéries qui ont
effectué une évolution régressive).
lCeux du second empire sont
les archées. Elles sont également très répandues et peuplent les lieux les plus
inhospitaliers que l’on puisse imaginer, tels les sources brûlantes, les
acides, les salines, les eaux glacées, les liquides organiques. Les archées
sont probablement plus anciennes que les bactéries, mais ce n’est pas certain.
Quelques chercheurs pensent qu’elles proviennent de l’évolution de celles-ci.
La caractéristique principale de ces deux
populations primitives est d’utiliser des véhicules corporels formés d’une
seule cellule sans noyau.
On les appelle procaryotes. Elles ont la faculté de
se reproduire à grande vitesse par simple division clonée, en formant deux
cellules identiques à l’originelle. En principe, les procaryotes ne meurent que
par accident.
Les
procaryotes sont potentiellement immortels.
Si les procaryotes disposaient de nourriture en
quantité suffisante, comme par le passé, le monde entier serait envahi en
quelques jours.
lLe troisième empire est
celui des eucaryotes, dont nous faisons partie. Dans ce domaine, les cellules
qui composent les corps, comportent un noyau contenant des chromosomes.
L’empire des eucaryotes compte quelques principautés
et trois grands royaumes très différents, celui des végétaux, celui des
champignons, et celui des animaux qui
est aussi celui des hommes. Les eucaryotes se reproduisent lentement en
utilisant des mécanismes compliqués. Ils construisent généralement des
véhicules corporels complexes. Ces organismes sont formés par l’association de
nombreuses cellules spécialisées.
Les eucaryotes se nourrissent très souvent aux
dépens d’autres êtres vivants. Ils ont appris à programmer leur propre mort
pour en faire un facteur accélérateur de l’évolution.
Au cours des âges, cette évolution a conduit à
l’apparition d’une très grande variété de formes et d’espèces, que nous
observons aujourd’hui.
Chaque être vivant, procaryote ou eucaryote, enferme en lui une somme réellement énorme
d’information, (que Pierre Grassé appelle « esprit »). Elle est
utilisée pour construire un corps convenable et conduire le comportement de
base.
Les eucaryotes utilisent plus d’information que les
procaryotes. Ils ont donc mis au point des mécanismes très élaborés pour le
stockage et le transfert de cette information. Ils ont également inventé des
moyens extrêmement nombreux et complexes pour se reproduire, pour conduire leur
évolution à travers les âges, et pour assurer leur adaptation aux
transformations subies par leur milieu de vie.
Ces inventions, souvent nécessaires, nous apparaissent surprenantes et
parfois terrifiantes.
Entre autres choses ce sont les os et le bois, le
sang, la sève, la peau, les feuilles, les yeux, les dents, les fleurs, les
griffes, le sexe, le plaisir et la souffrance, la conscience et l’amour, la
vieillesse et la mort dont j’ai parlé plus haut. Tous ces moyens d’action sont
inscrits dans les programmes qui font fonctionner les corps des eucaryotes
depuis leur origine lorsqu’ils ont pris le long chemin qui mène à ce jour.
La mort
programmée est une invention de la vie.
C’est donc essentiellement sur l’aventure des
eucaryotes que je vous propose de vous pencher, en ce début de chapitre.
Elle est bien
évidemment la nôtre.
De cette très longue histoire, les marques, les
blessures, les transformations, les adaptations, les erreurs et les victoires
sont inscrites de façon indélébile dans votre propre chair, comme dans la
mienne.
Je crois nécessaire de revenir un moment sur la
durée extrêmement longue qui nous sépare de l’apparition de la vie. Le cerveau
humain est ainsi fait que les chiffres élevés ne veulent rien nous dire. Comme
de nombreux animaux, nous appréhendons directement et sans les compter les
valeurs inférieures à cinq. A partir de six, le dénombrement devient
nécessaire.
L’utilisation de ce perfectionnement semble apporter
des possibilités illimitées, mais il n’en est rien. Si je parle de dix mille
objets, ce nombre, relativement faible, n’a pas de signification pour celui qui
n’a pas fait l’expérience de la manipulation effective d’une telle quantité.
En pratique, il faut compter environ une journée de
travail pour dénombrer dix mille petits objets, tout en les maintenant en
ordre. Cela montre que cette quantité est généralement sous estimée. Lorsque je
parle de cent millions d’années, je parle de dix mille fois dix mille ans, et
cent fois plus encore quand j’évoque les débuts du Soleil.
Nous avons alors besoin d’images très évocatrices
pour donner un sens à ce propos, mais elles restent largement insuffisantes
pour représenter la réalité, et il faudra que le lecteur fasse un puissant
effort d’imagination pour y parvenir, s’il y parvient. J’ai déjà utilisé
l’image d’une prairie dans laquelle chaque brin d’herbe figurait une année de
la Terre, et je désire renforcer cette image.
Notre Terre s’est formée il y a quatre milliards et
huit cents millions d’années. Comment mieux figurer ce temps passé ?
Imaginons un
papillon céleste,
magique, et éternel.
Chaque année, au solstice d’été, et depuis la
formation de la planète, ce papillon vient secouer légèrement ses ailes, au
même endroit d’une plaine imaginaire.
A chacune de ses visites, quelques écailles
imperceptibles se détachent et tombent au sol. Leur épaisseur est d’un micron,
soit un millième de millimètre.
lDepuis le début de l’ère
chrétienne et de la civilisation qui l’accompagne, l’épaisseur accumulée est
seulement de deux millimètres.
lDepuis la naissance de la
Terre, la hauteur de l’accumulation serait de quatre mille huit cents mètres,
soit égale à celle du Mont-Blanc. Les vestiges des premières photocellules sont
enfouis en dessous, à prés de quatre mille mètres de profondeur. On comprend
alors combien difficile est la recherche des indices nécessaires à la
compréhension des phénomènes qui ont accompagné leur apparition.
Depuis son début, la Terre entière a été bouleversée
par des cataclysmes extrêmement puissants et ravageurs. Des astéroïdes et des
bolides tombaient fréquemment du ciel.
Tout le globe était composé de lave ou de pierre en
fusion, dont la surface se figeait lentement, tandis que les matériaux de
constitution sédimentaient peu à peu, par densité, jusqu’au coeur de fer
liquide.
L’eau des mers en ébullition formait d’énormes
nuages, noirs d’orages, qui cachaient le Soleil. La pluie se déversait en
cataractes, ruinant les rares terres émergées, et s’évaporant aussitôt. Des
volcans gigantesques jaillissaient partout, et des tremblements de terre
incessants remodelaient la surface, en effaçant toute trace des états
précédents.
lCependant, on a découvert en
1966, dans un très ancien terrain montagneux du Transvaal, ces vestiges dont je
parle. Ce sont des traces de matière organique qui se présentent sous forme de
minuscules bâtonnets, de taille inférieure au micron.
lD’autres sites moins anciens
ont livré des microfossiles d’algues bleues datant de deux milliards et trois
cents millions d’années. A cette époque, la photosynthèse était donc
probablement possible, et l’oxygène pouvait commencer à se répandre dans l’atmosphère.
On a longtemps parlé de quatre époques représentant
le passé de la Terre. A partir de connaissances scolaires, les gens imaginent
souvent que les ces ères dites primaire, secondaire, tertiaire, et quaternaire,
correspondent à toute l’histoire géologique et naturelle de la planète. C’est
une image tout à fait fausse, et on utilise aujourd’hui d’autres termes pour
décrire des périodes plus nombreuses et plus diversifiées.
L’ère primaire
n’était pas du tout la première.
Avant l’ère primaire, que l’on appelle maintenant
paléozoïque, laquelle n’est pas proportionnellement enfouie très loin dans
notre passé, il s’est écoulé une période extrêmement longue, qui a duré plus de
quatre milliards d’années. On la divise généralement en deux.
lDe moins 4 600 millions
jusqu’à moins 2 500 millions d’années, c’est l’archéen.
Ensuite seulement, et jusqu’à moins 540 millions
d’années, c’est le protérozoïque. (L’ère dite primaire ne vient qu’après).
C’est dans cette très ancienne période
précambrienne, que réside l’essentiel de l’histoire de la Terre, ainsi que
celle du début de la vie. Plus proche de nous, ce qui reste de ce temps passé
demeure, à notre échelle, très long. Ce reste renferme l’essentiel du
développement progressif de cette vie primitive.
Avant les premières photocellules, les mers immenses
contenaient d’innombrables et microscopiques assemblages d’atomes qui
préparaient l’arrivée des vivants. Il s’agissait de grosses molécules
complexes, de la taille probable d’un seul gène, dont certaines étaient
devenues capables de se répliquer. Les premiers vrais habitants de la Terre
sont donc ceux qui peuplent actuellement les deux premiers empires.
Les bactéries ont commencé, au milieu de l’archéen.
Bien plus tard vinrent les algues bleues au début du protérozoïque, il y a deux
milliards d’années.
Ces précurseurs de la vie, les prébiontes,
subsistaient en autarcie, à partir des composés chimiques disponibles dans les
océans primitifs. Ils ne mourraient jamais, sauf par accident, puisqu’ils se
reproduisaient par clonage, ou division cellulaire, et consommaient toutes la
matière élaborée disponible.
Lorsque les nutriments vinrent à manquer, les
conditions nouvelles imposèrent la sélection de certaines propriétés
particulières, celles qui étaient nouvellement liées au maintien de cette
existence perpétuelle.
L’alternative
était
tout simplement la mort en masse.
Lorsque je dis que les conditions nouvelles
conduisirent à un choix, ce n’est qu’une façon commode d’exprimer la situation.
En fait, il n’était pas obligatoire ou nécessaire que quelque chose fût imposé
ou choisi. Cependant, puisque nous sommes là, c’est indéniablement que cela a
eu lieu.
Nous devons prendre en compte l’immensité des temps
géologiques aussi bien que notre grande méconnaissance des formes et des
solutions adoptées par les prébiontes.
En réalité, nous ne pouvons pas savoir si la
mortelle solution alternative n’a pas été utilisée une, plusieurs, ou de
nombreuses fois, jusqu’à ce qu’un jour la sélection, peut-être, favorise enfin
une solution viable.
Celle-ci a débouché sur le
mode actuel de survie, c’est-à-dire sur la vie courante. Il est donc naturel
que cette dernière ne soit pas parfaite.
Ce n’était pas le meilleur
mode possible, ni le plus mauvais, mais simplement celui qu’un facteur incident
a autorisé. Il se peut que cela soit ce que nous appelons conventionnellement
le hasard, à moins qu’il s’agisse de quelque autre facteur inconnu. Peut-être
ce mode de vie n’est-ce pas non plus le dernier car, à en juger par les sérieux
désordres de la situation actuelle, l’expérience n’est probablement pas
terminée. Il ne faut d’ailleurs jamais oublier que la forme de vie dominante
ici bas reste la bactérie, même en termes de biomasse.
L’éternité a tout son temps. Il en est d’ailleurs de
même pour l’Univers des étoiles. Nous ne savons pas si celui qui nous contient
est le premier ou le dix millième.
Nous ne savons
pas
combien d’expériences ont échoué.
Concernant l’apparition des vrais vivants, nous ne
savons rien non plus, ou bien peu, ni combien d’extinctions plus ou moins
massives ont dispersé puis recyclé les composés organiques primitifs dans l’océan
primordial, avant que s’établisse le relatif succès de la solution présente.
Rappelez-vous que trois milliards d’années se sont
écoulées sans laisser beaucoup de traces. De nombreuses réalisations étaient
possibles et elles ont probablement eu lieu.
La sélection de la capacité à subsister en élaborant
les aliments nécessaires à partir du milieu, puis en les y prélevant au
détriment des autres composants,
induisit des comportements nouveaux et indispensables, dont la
prédation, le parasitisme et autres appétits, mais aussi la fermentation et la
photosynthèse.
Ces comportements révolutionnaires ajoutaient à la
faculté de se reproduire à l’identique, une faculté nouvelle, l’aptitude à
dépasser les limitations nutritionnelles du milieu. C’est à partir de cette
aptitude, soit à élaborer des composés organiques supplémentaires,
l’autotrophie, soit à se nourrir de ceux produits par d’autres êtres,
l’hétérotrophie, qu’il est possible de définir l’apparition de ce que nous
appelons les véritables êtres vivants.
Les vivants
subsistent surtout
au détriment des vivants.
Il y a plus de trois milliards d’années, la plupart
des nouveaux êtres étaient autotrophes
et utilisaient la fermentation. En inventant la chlorophylle, les algues bleues
choisirent la solution de la photosynthèse. Un milliard d’années plus tard, la
plupart des nouveaux venus firent un
autre choix.
Henri Laborit établit ainsi les caractéristiques de
l’être vivant.
lL’autoconservation. (la
seule raison d’être est d’être).
lL’autorégulation, (qui
permet de continuer d’être).
lL’auto organisation, (qui
reste mal connue).
lL’autoreproduction, (que les
virus tendent à abandonner).
Dans la pensée de Laborit, ces fonctions sont
soumises à une commande extérieure venant du milieu englobant. On a affaire à
une organisation par niveaux successifs.
Le système est ouvert sur le plan énergétique,
condition sans laquelle il ne saurait perdurer. Il est maintenu par un apport
d’énergie venant de l’extérieur, principalement constitué par les photons
solaires.
Pour leur part, John Maynard Smith et Eörs Szathmàry
reconnaissent huit transitions majeures dans l’évolution des vivants.
lDes molécules répliquantes à
une population de molécules établie dans un compartiment. (Surface puis
sphérule).
lDes réplicateurs
indépendants aux chromosomes. (Trains ou séries de gènes).
lDe l’ARN (Comme gène/enzyme)
à la séparation de l’ADN et des protéines. (Code génétique).
lDes procaryotes aux
eucaryotes. (Spécialisation cellulaire, capture des mitochondries et plastes,
parasitisme, symbiose).
lDes clones asexués aux
populations sexuées. (Auto parasitisme)
lDes protistes aux animaux, aux plantes, et aux champignons.
(Différenciation cellulaire).
lD’individus solitaires aux
colonies. (Castes non reproductrices).
lDes sociétés de primates aux
sociétés humaines. (Langages).
Il n’est pas question ici de développer point par
point ces approches très savantes et très sophistiquées.
Sachons simplement que tous ces chercheurs montrent
la progressivité dans l’organisation des structures vivantes, et c’est bien
cela qui nous paraît important. A un certain stade de cette histoire étonnante,
et lorsque le temps en fut venu, certains parmi ces êtres unicellulaires, qui
ne sont que des capsules emplies d’ADN et de cytoplasme, se sont mis à construire
des structures collectives.
Cette invention évolutive impliquait des aptitudes
nouvelles telles la spécialisation de certaines cellules dans une fonction
particulière, comme la capacité à communiquer avec d’autres cellules, ou/et à
organiser géométriquement la construction d’une grande structure collective,
pour ne citer que celles-ci.
Des travaux récents montrent que certaines colonies
actuelles de mycobactéries, placées dans des conditions périlleuses de
sécheresse menaçant leur survie globale, sont tout à fait capables d’engager un
processus qui concerne des centaines de milliers de cellules, et qui leur
permet.
ld’envoyer et de recevoir des
messages chimiques élaborés,
lde se mobiliser pour opérer
des regroupements serrés,
lde structurer cet assemblage
en se spécialisant,
lde construire des organes
fructifères collectifs,
lde transformer certaines
d’entre elles en spores.
Ces spores dispersables ont une paroi plus
résistante. Ils se voient confier la tache hasardeuse de transférer au loin la
reproduction de la colonie menacée.
Il est évident qu’un tel
comportement implique une communication, une programmation, et une collaboration, relativement complexes
chez ces organismes dits rudimentaires. On peut y voir la manifestation de
l’intelligence de la situation, pour autant qu’on donne à cette notion une
valeur suffisamment large. Mais on touche aussi du doigt ici certaines
inventions capitales, dont celle de la modification structurelle, ou celle du
sacrifice de certaines parties pour la survie des autres, c’est-à-dire de la
mort cellulaire. Cela prépare aussi les spécialisations fonctionnelles, et en
particulier la reproduction.
Au niveau d’organisation suivant, la mort cellulaire
ne sera plus seulement accidentelle ou pathologique mais sera programmée par le
vivant pour devenir un outil fondamental de la morphogenèse. Dés lors,
l’exubérante prolifération cellulaire qui caractérisait le mode d’existence des
procaryotes originaux, sera toujours associée à la programmation systématique
et organisée de la mort par autodestruction sélective d’un très grand nombre de
ces cellules.
L’existence
des eucaryotes
associe toujours la vie et la mort.
D’autres petits êtres vivants actuels, les Volvox,
nous confirment dans l’idée que c’est probablement bien ici que se produit le
basculement d’un type d’organisation à un autre.
Les Volvox sont des flagellés que l’on classe
souvent parmi les végétaux. Ces organismes très simples constituent une
transition assez floue entre l’organisation unicellulaire et le niveau
multicellulaire. Ils forment des colonies au sein desquelles certaines cellules
sont spécialisées, dans la nutrition, la locomotion, ou la reproduction. Les
volvox envoient des colonies filles qui se développent et se reproduisent
alternativement tandis que l’organisme d’origine meurt
A ce niveau d’évolution, et avec le début de la
spécialisation des cellules et des générations, on voit soudain apparaître la
loi nouvelle, fondamentale et inexorable des multicellulaires, naître, croître,
et mourir de façon programmée.
La loi
nouvelle, c’est naître et grandir, vivre et se reproduire, puis décroître et
mourir.
Ici encore, certaines cellules disparaissent par
autodestruction après avoir contribué à la production d’une solution de survie.
L’organisme originel a programmé tout à la fois l’envoi des colonies
spécialisées et sa propre disparition.
Les cellules des premiers organismes
multicellulaires ont mis en oeuvre ces inventions, mais aussi beaucoup d’autres
innovations d’une importance unique et extraordinaire.
Nous savons par exemple que les programmes de
construction du corps et des différents organes sont chimiquement pilotés par
les bibliothèques d’information que sont les chromosomes. Chaque cellule reçoit
des ordres, se reproduire, se transformer, ou s’autodétruire. Pour les exécuter
il est nécessaire qu’elle connaisse où elle est située dans l’immense univers
qu’est le corps. Il existe donc un programme de localisation basé sur des
gradients chimiques croisés, qui est un perfectionnement raffiné des systèmes
de détection mis au point par les myxobactéries.
Il faut aussi que les cellules sachent où elles en
sont dans le processus de multiplication demandé. Un compteur de temps, ou
plutôt un compte-tours, vérifie donc en permanence le compte des mitoses cellulaires.
Ces mécanismes
originels fonctionnent encore.
Autre exemple d’invention étonnante. Il semble qu’un
jour des cellules ont capturé des organismes microscopiques, et qu’elles les
ont ingérés sans les détruire. Il apparaît qu’elles ont alors constitué des
associations symbiotiques mutuellement favorables aux deux parties. Chacune
utilise encore aujourd’hui les propriétés bénéfiques de l’autre. Cette
association est pérennisée de façon révolutionnaire, en utilisant le mécanisme
unique de la reproduction cellulaire.
lCertaines cellules semblent
avoir capturé des espèces de bactéries primitives, les mitochondries, qui ont
la propriété de détoxiquer l’oxygène et de l’utiliser pour permettre la
respiration cellulaire. Cette invention a ouvert la voie de la vie à tous les
animaux. Nos cellules humaines contiennent des mitochondries.
lD’autres cellules ont
capturé aussi des algues vertes, les plastes, qui ont la propriété de produire
la chlorophylle, laquelle fabrique des précieux hydrocarbones en utilisant
l’énergie solaire. Elles sont à l’origine de tous les végétaux, lesquels
dégagent cet oxygène si nécessaire aux autres vivants.
lD’autres enfin se sont
probablement associées aux algues brunes pour préparer l’avenir de tous les
champignons.
Toutes ces innovations restent éminemment actives
dans nos organismes. Les mitochondries des origines, avec leur propre bagage
primitif d’ADN, sont présentes dans toutes les cellules des eucaryotes. Elles
s’y tiennent en dehors du noyau qui contient, sous forme chromosomique l’ADN
particulier à l’espèce, lequel provient en partie du père, et en partie de la
mère.
Par conséquent, l’ADN mitochondrial n’est transmis
que par la mère, qui joue donc un rôle spécial dans l’hérédité. On a trouvé
environ cent cinquante types d’ADN mitochondrial dans les cellules humaines,
dérivant tous d’un groupe ancestral unique africain. La conclusion logique de
cette découverte, c’est que l’ADN mitochondrial de tous hommes de la Terre
pourrait provenir d’une seule femme.
L’Eve
africaine serait l’unique mère des hommes.
(Mais cette jeune hypothèse
est déjà contredite par une évolution récente de la recherche scientifique).
Nous voyons qu’il est très probable que des
organismes primitifs, aussi simples que le sont les bactéries actuelles, ont
mis au point les bases de la communication chimique et de la coopération dans
la construction de structures collectives fonctionnelles. Après un
perfectionnement progressif, ces mécanismes sont précisément ceux qu’utilisent
aujourd’hui les êtres vivants multicellulaires.
L’évolution
n’efface nullement les acquis.
L’important est de bien comprendre qu’elle les
intègre systématiquement dans l’équipement actuel. Au fond de notre organisme
humain, les cellules primitives sont encore très actives, avec toutes leurs
inventions adaptatives. Notre corps tout entier se constitue progressivement
par l’association programmée des processus primitifs de la prolifération des
cellules, de leur spécialisation, et de leur autodestruction. Notre être
fondamental est donc inconsciemment, mais très profondément, marqué par ces
mécanismes originels d’expansion et de
mort.
La vie des eucaryotes, et la notre, résultent du
maintien homéostatique constant de délicats équilibres entre ces deux extrêmes.
Lorsque le
mécanisme se dérègle, la vie s’en va.
Et pendant ce temps, à l’intérieur même de ces
cellules, les mitochondries, capturées depuis plus de dix millions de siècles,
continuent leur patient travail d’oxydation permettant la vie quotidienne.
Les premiers organismes multicellulaires
ressemblaient à de simples sacs munis d’une ouverture banale servant à la fois
aux fonctions de nutrition et d’élimination. Quelques embranchements animaux
suivent encore ce schéma primitif. Ce sont les
diploblastiques. Ils sont construits en utilisant seulement deux
feuillets générateurs d’organes, l’un intérieur, l’autre extérieur.
Tous les
diploblastiques sont acéphales
et privés de cerveau.
C’est l’acquisition d’un troisième feuillet
intermédiaire, le mésoderme, qui a permis l’apparition chez les métazoaires
triploblastiques de potentialités nouvelles, aboutissant à la formation
d’organes individualisés assumant une fonction précise.
La céphalisation n’apparaît
que chez les triploblastiques.
Elle débouche ensuite sur
plusieurs types d’organisation.
lChez les arthropodes, le
cerveau est fait de parties distinctes, anatomiquement séparées, très
spécialisées, aboutissant à un comportement automatique très mécanique.
L’adaptation aux contraintes de l’environnement se fait par le jeu des mutations
et de la sélection naturelle.
lChez les vertébrés, le
cerveau comprend aussi des centres multiples, mais ils sont beaucoup plus
intégrés. Certains comportements demeurent automatiques et innés, mais le
comportement général est beaucoup plus plastique. Il autorise des
apprentissages d’adaptation individuelle qui réduisent le poids des mutations
sélectives.
lChez l’homme l’intégration
plus complète permet des opérations
mentales très complexes. Les facultés individuelles d’adaptation sont encore
plus larges et s’appuient sur des artifices mécaniques ou intellectuels. La
sélection naturelle joue de moins en moins. Cela s’opère au détriment des
autres habitants de la planète dont le domaine et les populations se réduisent
inexorablement.
Nous ne savons pas très bien quelle est l’origine
des vertébrés, et c’est un problème qui a été très débattu.
Les vertébrés font partie du groupe des cordés dont
ils constituent un sous-embranchement. Ils sont voisins des urocordés,
(tuniciers), et des céphalocordés, (lancelets). Les formes ancestrales de ces
créatures étaient molles et n’ont pas laissé de fossiles.
Pour les mêmes
raisons, l’origine des cordés reste mal connue.
Cependant, il existe actuellement un animal semi
transparent, très petit et très primitif, qui rampe sur les cotes de
l’Atlantique, et qui ressemble bien plus à un ver qu’à un poisson. L’amphioxus,
ou lancelet, n’a ni tête, ni mâchoire, ni organes des sens, ni coeur, mais il
possède au long de son corps primitif une corde dorsale qui peut être l’amorce
de la colonne vertébrale. Au-dessous de cette notocorde, le lancelet présente
un cordon nerveux creux, un tube digestif simplifié garni d’un grand nombre de
fentes branchiales qui servent, tout à la fois, à nourrir l’animal, et à
extraire l’oxygène de l’eau.
A partir du schéma proposé par le lancelet, on a
alors imaginé une évolution passant par des formes ressemblant aux lamproies
actuelles, car les premiers vertébrés fossiles n’avaient pas de mâchoires. Il
est évidemment surprenant d’imaginer que tous les vertébrés actuels,
caractérisés essentiellement par un développement extrême des organes sensitifs
et des appareils voués à la nutrition et à la locomotion, puissent dériver d’un
animal complètement dépourvu de tous ces attributs.
Actuellement, on tendrait plutôt à rapprocher les
vertébrés des tuniciers, qui semblent
pourtant bien éloignés d’eux au point de vue morphologique. Comme celles de
Dieu, les voies de l’évolution sont impénétrables. Toujours est-il qu’à partir
du point évolutif où ces cordes pré vertébrales se sont minéralisées, les
paléontologues ont pu plus facilement essayer de tracer une histoire plausible
du cheminement des vertébrés depuis les premiers pisciformes jusqu’aux
mammifères actuels.
La première moitié de l’ère paléozoïque aurait pu
être appelée l’âge des invertébrés marins, car la terre ferme était vide et
stérile. Les organismes précambriens n’avaient pas de coquilles susceptibles de
constituer des fossiles, mais les nouveaux venus contenaient des parties dures
qui sont parvenues jusqu’à nous.
Après la fin du Précambrien, il y a environ 600
millions d’années, les mers immenses étaient peuplées d’une très grande
quantité d’animaux invertébrés très variés. On y trouvait des sortes d’éponges
primitives qui construisaient des récifs (comme les Coraux), des arthropodes
assez bien construits, (les Trilobites), et de nombreuses espèces assimilables
aux mollusques, protégées par des coquilles coniques, (et non pas enroulées
comme chez les escargots), ou aux céphalopodes prédateurs, (Nautiloïdes,
Pieuvres, Calmars).
On y rencontrait également des coelentérés, (Méduses
et Polypes), mais aussi de nombreux vers
plats parmi lesquels un petit organisme de grande importance a fini par
apparaître, dont descendent les échinodermes, étoiles de mer et oursins, ainsi
que, probablement, la lignée des cordés à laquelle nous appartenons. Les
échinodermes étaient rares. Les plus répandus étaient fixés au fond des mers
par un pédoncule, (comme le Lys de mer), ou ressemblaient aux étoiles de mer.
A la période suivante, l’Ordovicien, la mer envahit
encore plus les continents. Les espèces se multiplièrent encore au sein des
eaux. Des lignées nouvelles apparurent tels les Lamellibranches et Astéridies,
les Bryozoaires, (animaux-mousses).
Les récifs coralliens s’étendirent tout autour du
monde. Les escargots commencèrent à enrouler leurs coquilles. Les Trilobites se
multiplièrent ainsi que les nautiloïdes qui devinrent extrêmement puissants,
(environ cinq mètres de longueur).
D’autres organismes tels les minuscules Graptolites,
flottant à la surface des eaux, envahirent toutes les mers du globe jusqu’au début du Silurien.
Au cours de cette période nouvelle, la faune se
modifia profondément. Certaines espèces se diversifièrent, (les Nautiloïdes en
particulier), de nombreuses déclinèrent ou s’éteignirent, mais d’autres les
remplacèrent. A leur tour, les Arthropodes produisirent des lignées géantes
dont certains individus atteignaient la taille des chevaux actuels.
Il est à remarquer qu’à
toutes les époques de la conquête de la
Terre par la vie, certaines lignées animales ont produit des espèces de
très grande taille. On pourrait croire que ces essais de gigantisme ont été
programmés pour être systématiquement essayés dans l’action d’exploration du
milieu.
Les vertébrés s’étendirent dans la seconde moitié de
l’ère paléozoïque. Leurs premiers représentants étaient enfermés dans une
cuirasse calcaire. Ils avaient une bouche en forme de ventouse. Equipés de
nombreuses branchies, ils étaient dépourvus de mâchoires, et rampaient sur le
sol.
Lorsque l’on parle du passé, on se représente très
mal les climats extrêmement étranges qui régnaient sur la planète. Par exemple,
à l’époque dont nous parlons, c’est-à-dire au Carbonifère, le temps était d’un
calme absolu.
La forêt de fougères géantes couvrait les eaux
immobiles et moites d’immenses marécages. Il n’y avait aucun événement
météorologique, et il n’y en eu pratiquement aucun pendant des millions
d’années. Tout au plus une petite tempête éclatait-elle tous les dix mille
ans.
Bien avant cela, il régna un climat d’une telle
aridité que celui des déserts les plus chauds n’en donne qu’une très faible
idée. Les déserts de sel, formés par l’évaporation des mers au Secondaire,
atteignent parfois bien plus de mille mètres d’épaisseur et couvrent des
centaines de milliers de kilomètres carrés.
La climatologie de ces temps lointains constitue
encore une très grande énigme. Il est vrai que l’atmosphère terrestre était
fort différente, et que l’année durait alors plus de quatre cents jours.
A la fin de la période silurienne, la composition de
l’atmosphère changea de façon importante.
Les premiers vertébrés pisciformes, dotés de
mâchoires vraies, apparurent. Ces poissons primitifs avaient un nombre toujours
pair mais varié de nageoires. Leurs mâchoires s’étaient formées par l’annexion
et la transformation des arcs branchiaux antérieurs. L’une des nouvelles
familles, (Arthrodires), se dota de cous articulés et donna plus tard des
formes géantes, féroces prédateurs de dix mètres de long.
Toutes ces espèces disparurent à la fin du Permien,
et furent remplacés par les poissons osseux et les poissons cartilagineux, dont
les descendants peuplent encore nos océans.
Vers la fin du Silurien, la Terre connut un nouveau
bouleversement, (Révolution calédonienne). Les terres s’élevèrent et formèrent
de hautes chaînes de montagnes dont la plupart sont aujourd’hui arasées.
C’est à ce moment que commence l’histoire des
plantes terrestres. Les formes aquatiques s’adaptèrent pour vivre sur la terre
émergée, se rigidifier, se protéger contre la sécheresse, et se procurer l’eau nécessaire.
Les premières plantes furent des Mousses et des
Fougères, et certaines de ces espèces végétales produisirent également des
formes géantes arborescentes. Les Algues couvrirent des étendues considérables,
préparant le terrain pour la conquête animale.
Les arthropodes et les mollusques se risquèrent les
premiers dans ce nouveau monde. Certains poissons acquirent des poumons
permettant la respiration aérienne lorsqu’ils furent menacés par l’assèchement
de leur milieu naturel.
Le groupe des Dispneustes est encore représenté
aujourd’hui par de petits poissons qui sortent fréquemment de l’eau, se
tiennent sur les berges boueuses, et escaladent parfois les basses branches des
arbres.
Un autre groupe, celui des Crossoptérygériens, les
poissons à nageoires lobées, (Veuille bien m’excuser, lecteur, ce n’est pas ma
faute !), semble bien remplir toutes les conditions demandées pour être
considéré comme l’ancêtre de tous les tétrapodes (animaux à quatre pattes),
dont les mammifères.
C’est un représentant de ce groupe que l’on croyait
disparu, un Coelacanthe Latimeria, qui fut péché en 1939 au sud de l’Afrique,
ce qui a relancé les recherches sur l’origine des tétrapodes.
Dans la conquête du monde sec, les nouveaux
explorateurs furent confrontés aux mêmes problèmes que les plantes, auxquels
s’ajoutèrent ceux dus à la pesanteur et à la locomotion. Ils eurent en
particulier à résoudre la question absolument vitale de la lutte contre la
dessiccation et de la conservation des liquides corporels.
Après avoir mis au point la respiration aérienne
grâce aux branchies perfectionnées que sont les poumons, les audacieux
poissons, devenant amphibiens, construisirent un aquarium sur pattes pour
transporter, dans leur propre corps, à l’intérieur d’eux-mêmes, l’indispensable
milieu aqueux originel.
Nous utilisons
encore cette magnifique invention.
Chaque pas accompli débouchait sur une difficulté
nouvelle. Les animaux aquatiques se reproduisent en dispersant dans l’eau leurs
cellules germinatives, oeufs et sperme, qui s’y rencontrent et s’y fécondent au
hasard. Les Amphibiens doivent garder leur peau toujours humide, et rester à
proximité des points d’eau pour y déposer leurs oeufs. Les larves ne se
développent que dans l’eau, qui est leur milieu obligatoire de survie. C’est là
qu’elles attendent un niveau de développement suffisant pour monter à terre.
Comment
assurer la reproduction
dans le monde sec ?
Des millions d’années furent nécessaires pour
apporter une solution satisfaisante à ce
dernier problème, avec une efficacité et une qualité suffisantes pour assurer
l’indépendance relative à l’égard du milieu aquatique.
Les Amphibiens
n’y réussirent jamais.
Les premiers
Reptiles trouvèrent.
Leur invention la plus importante fut celle de
l’oeuf amniotique, qui résout plusieurs problèmes à la fois. Nous pouvons le
considérer également comme une sorte de petit aquarium portable, empli de
liquide, dans lequel se trouve enfermée la cellule germinative, une réserve de
nourriture, et un sac à déchets.
L’oeuf amniotique permet à l’embryon de passer tout
son stade «têtard» dans l’oeuf, en milieu humide mais loin de l’eau, tout en
étant nourri par le jaune. La larve est protégée de la dessiccation et des
chocs par une coque souple et résistante, ou une coquille calcaire.
D’autres perfectionnements renforcèrent l’adaptation
des Reptiles au monde terrestre, tels un meilleur système circulatoire avec
parfois un sang chaud, des membres solides, de meilleurs nerfs et des cerveaux
plus gros, et un revêtement de plaques osseuses ou d’écailles. Comme les autres
conquérants du monde sec, (En particulier les invertébrés), ils eurent aussi à
mettre au point de nouvelles méthodes de fertilisation des oeufs.
L’âge des
reptiles
commença à la fin du paléozoïque.
Il débuta à la fin du Permien, il y a 220 millions
d’années. Il devait durer extrêmement longtemps, environ 150 millions d’années.
Pour la facilité de l’exposé, j’appellerai
ancestrales les formes les plus primitives qui précédèrent l’arrivée des vrais
reptiles. L’analyse cladistique, qui est l’outil actuel le plus utilisé, permet
de distinguer quatre groupes dans l’ensemble un peu hétéroclite des reptiles
ancestraux.
On y trouve les Tortues, les Thérapsides et
Mammaliens, (ancêtres des Mammifères, des Marsupiaux et des Monotrèmes), les
Lépidosauriens (Lézards et Serpents), et les Archéosauriens, (Dinosaures,
Oiseaux, Ptérosaures, Crocodiles). On pourrait éventuellement y ranger quelque part
les ancêtres inconnus des Reptiles volants et des Reptiles marins.
Les Tortues sont très anciennes. Elles sont apparues
au Trias et ont très peu évolué depuis. En regardant une Tortue actuelle, nous
jetons un regard sur un passé lointain. La Tortue nous donne une image crédible
de ce qu’étaient probablement nos ancêtres à cette phase primitive de leur
évolution.
Nous allons laisser de coté, pour l’instant, les
Thérapsides et Mammaliens, dont le jour de gloire n’était pas encore arrivé, et
nous allons d’abord nous intéresser à certains Archéosauriens, les Thécodontes.
Au début, la plupart de ces dinosaures, (ce qui
signifie reptiles terribles), étaient des bipèdes de très petite taille. Ils
marchaient sur leurs pattes arrière, les pattes avant restant libres. On
trouvait chez eux deux ordres distincts, les Sauropodes et les Ornitischiens.
Les Sauropodes évoluèrent jusqu’au Jurassique, et
donnèrent naissance aux animaux les plus gigantesques que la Terre ait connu,
tant herbivores que carnivores.
Les herbivores, Brontosaures et Brachiosaures,
pesaient quarante tonnes, et atteignaient plus de vingt mètres de long. Leur
poids énorme les contraignit à redevenir des quadrupèdes et à vivre dans les
marécages. Leurs dimensions nécessitèrent la mise en place d’une grosse annexe
ganglionnaire, relayant le cerveau au niveau des reins.
Les carnivores restèrent généralement bipèdes.
D’abord de taille moyenne, ils évoluèrent également vers des formes géantes.
Elles culminèrent avec les formes tardives connues sous le nom de
Tyrannosaures, énormes fauves de douze mètres de long, pesant environ huit
tonnes.
Les Ornitischiens apparurent plus tardivement, au
début du Jurassique. Beaucoup d’entre eux abandonnèrent assez vite la bipédie.
Ce groupe d’herbivores produisit des formes variées et extrêmement curieuses,
tels les Iguanodons, Stégosaures qui portaient de grandes plaques osseuses sur
le dos, les Ankylosantes cuirassés, et plus tardivement, les Tricératops ou
dinosaures à cornes. Certaines espèces furent dotées d’appendices bizarres,
becs de canard, coiffes et crêtes insolites (résonateurs sonores).
Les Archéosauriens ont probablement été les ancêtres
des oiseaux, quoique cela soit encore incertain. Ils ont également des
descendants actuels dans un autre groupe, les Crocodiles. Indépendamment de la
souche des oiseaux, des reptiles à ailes membraneuses ont volé longtemps, dés
le Trias et jusqu’au Crétacé. (Ptérodactyles, Ptéranodons).
D’autres espèces sont retournées au monde marin,
tels les Ichthyosaures, à allure de dauphins, et les grands Plésiosaures au
long cou, dont un descendant, (aux dires de doux rêveurs anglo-saxons),
fréquenterait encore les eaux froides du Loch Ness.
Les Reptiles exercèrent une véritable suprématie
pendant tout le Trias, période au cours de laquelle les mers occupaient une
surface analogue à ce qu’elle couvre actuellement.
Au début du Jurassique, les mers montèrent
fortement, ce qui entraîna une profonde transformation du milieu. Les lagunes
et les marécages s’étendirent. La surface et le climat terrestres furent
fortement modifiés.
A ce moment, le déclin des Reptiles commença. Le
Crétacé suivit, au cours duquel les espèces végétales se modifièrent très
profondément. Les Fougères, les Prèles et les divers Gymnospermes régressèrent
au profit des Conifères puis des Arbres et Plantes à fleurs.
A la fin du
Crétacé, tous les reptiles disparurent.
Seuls survécurent les Crocodiles, les Tortues, les
Lézards et les Serpents, ainsi que le peuple apparenté des Oiseaux.
Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer
cette extinction de masse. On a parlé de chute d’astéroïde, de gigantesques
éruptions volcaniques, d’évolution catastrophique du climat et de la couverture
végétale, et de l’influence du développement de nouvelles espèces.
Aucune théorie n’apporte vraiment une réponse
complète à toutes les questions posées par un phénomène d’une telle ampleur.
Quoique rapide, la disparition des Reptiles a été relativement étalée dans le
temps puis qu’elle a demandé des dizaines de milliers d’années.
Il semble qu’il faille considérer que l’action
conjointe de plusieurs facteurs, les uns
accidentels, les autres liés à l’évolution générale de la planète et des
espèces qui y vivaient à cette époque,
ait provoqué cette situation. D’ailleurs, beaucoup d’autres espèces très
différentes disparurent en même temps que les Reptiles. On estime même que les
trois quarts des espèces vivantes, végétales ou animales, s’éteignirent à ce moment.
Comme on ne sait pas grand chose des conditions qui
causèrent cette extinction massive, d’un autre point de vue, on peut aussi
considérer qu’en dépit de l’immensité du temps passé et du nombre considérable
des formes successivement produites, leur évolution et leur devenir étaient
dans une impasse.
Au calendrier mystérieux du
Zoran, c’était maintenant l’heure des Mammifères.
Le temps des
Mammifères était venu.
Nous avons dit que les Mammifères descendent des
Mammaliens qui se sont progressivement différenciés et séparés des Reptiles
vrais au début de leur expansion.
La première différence entre les Mammaliens et les
Reptiles concerne la façon de se nourrir. Les Reptiles avalent leur nourriture
pratiquement telle qu’elle se présente, tandis que les Mammaliens la mâchent.
Les deux filières différent donc fortement dans l’organisation et la forme de
la dentition. Les dents des Mammifères permettent le broyage des aliments. Or
les dents sont des parties très dures qui sont assez bien conservées par le
processus de fossilisation. Cela explique la grande importance que les
archéologues attachent aux dents.
Mais les Mammifères inventèrent beaucoup d’autres
perfectionnements. Ils remplacèrent les écailles et les plaques osseuses qui
couvraient le corps, par de la fourrure, et généralisèrent la circulation à
sang chaud. Ils développèrent le système nerveux et se dotèrent d’un cerveau
capable d’apprentissages complexes.
Ils modifièrent la structure de leur oreille pour
mieux l’adapter à la transmission aérienne des sons, en imaginant la chaîne des
trois osselets. Cependant, les évolutions les plus visibles portent sur le
système de reproduction, qui fut profondément transformé.
L’oeuf cessa
d’être pondu à l’extérieur.
La femelle s’organisa pour le conserver dans son
propre organisme, pendant toute la durée de la maturation de la larve.
La coquille et la réserve de nourriture furent
supprimées. L’alimentation de l’embryon fut assurée par une sorte de greffe, un
branchement provisoire sur un organe nouveau, le placenta, relié au système
circulatoire maternel. Après la naissance, la mère nourrit les jeunes pendant
un certain temps avec le lait de ses mamelles, qui proviennent d’une
transformation de glandes sébacées. Certains Mammifères n’ont toujours pas
réalisé la totalité de cette évolution, tels les Marsupiaux dont les larves
doivent terminer leur incubation dans une poche externe spéciale qui contient
les mamelles.
Les méthodes
de fécondation
ont également été transformées.
On est passé de la juxtaposition primitive des
orifices cloacaux au système actuel, à tenon et mortaise, qui semble
généralement donner satisfaction, (quoique j’eusse préféré, pour ma part, un
appareil plus esthétique dans l’apparence, plus varié dans l’usage, et mieux
placé dans la disposition).
Dans ce début de chapitre, j’ai tenté de résumer les
hypothèses que la paléontologie propose actuellement à notre réflexion. La
paléontologie s’efforce de lire les archives que la vie a laissées au cours du
temps, dans des fossiles ensevelis dans des sédiments.
C’est une science très différente de la biologie.
Celle-ci travaille à l’échelle des générations dont elle étudie la répartition
dans l’étendue de la biosphère actuelle. Les paléontologues travaillent dans
l’obscurité des temps passés, à
l’échelle géologique, et sur des spécimens rares et fragmentaires, espacés de
mille à cent mille générations. Ils racontent une histoire de la vie
contingente, imprévisible, régie par le hasard et les événements aléatoirement
survenus sur la planète.
Nous avons passé beaucoup de temps à tenter de
reconstruire l’histoire des débuts de la vie dans ce monde, mais c’est une
période extrêmement longue. Elle a été évoquée de façon bien rapide au regard
de son importance et de sa durée relative. Après un départ difficile, et tout
en maintenant en place les organismes procaryotes originels, la vie a
progressivement mis au point des organismes eucaryotes de plus en plus
complexes.
En tous temps,
elle en a peuplé
abondamment la
Terre.
A toute époque, d’immenses quantités d’animaux et de
végétaux ont conquis tous les habitats possibles malgré des difficultés
énormes. La règle a toujours été la variété exubérante des formes et des espèces.
Plusieurs événements catastrophiques ont engendré
des extinctions massives, détruisant la plupart des êtres qui vivaient à ce
moment. Lorsque la vie s’est remise en route, elle a reconstruit cette variété
avec ce qui subsistait au-delà du cataclysme. Voici un classement des groupes
actuels d’eucaryotes, en fonction du nombre d’espèces vivantes, en partant du
nombre le plus faible, les mammifères, vers le plus grand, les insectes.
1- Mammifères.
2- Amphibiens.
3- Bactéries.
4- Eponges.
5- Echinodermes.
6- Reptiles.
7- Coelentérés.
8- Oiseaux.
9- Vers de terre.
10- Nématodes.
11- Vers plats.
12- Poissons.
13- Algues.
14- Protozoaires.
15- Champignons.
16- Mollusques.
17- Arthropodes. (sauf
insectes).
18- Plantes.
19- Insectes.
Par exemple, on estime qu’il existe environ 10 000
espèces d’oiseaux, 100 000 espèces d’arbres, et 6 000 d’espèces d’insectes.
Nous sommes
existentiellement une espèce animale.
Nous devons comprendre que nous sommes une de ces
espèces animales qui peuplent cette terre errant dans l’espace. Cette
appartenance explique notre comportement naturel instinctif, toujours très
proche de celui des autres animaux. On peut donc parler de l’animal humain pour
expliquer la plus grande partie du comportement habituel de l’espèce. Cet
animal vit dans un milieu qu’il partage avec les autres espèces vivantes. Il
s’y trouve, avec des règles impératives communes, en contact coopératif,
affectif, ou compétitif avec les autres vivants pour assumer la survie, la
propagation, et la domination de sa propre espèce.
L’animal en général réagit à la perception
relativement inconsciente de signaux qui induisent irrésistiblement son
attitude immédiate en fonction des habitudes comportementales de l’espèce. De
plus, dans la plupart des espèces, l’organisation sociale est régie par les
pulsions de nutrition, de reproduction, de domination et de soumission.
Lorsqu’un tiers étranger survient, l’attitude courante est nettement agressive
et le reste jusqu’à ce qu’un signal convenable, exprimant la domination ou la
soumission, soit émis, reçu et accepté. Ceci est également vrai chez l’Homme.
Il faut envisager très sérieusement toute la portée
et toutes les conséquences des limites effectives de la perception
animale. Quoiqu’elles constituent des
signes en relation avec le réel extérieur perçu par une forme inconsciente de
l’intelligence, les images utilisées par la plupart des animaux ne sont pas du
tout des images rationalisées. Elles transportent seulement des signaux
secondairement inducteurs des comportements. Ceux-ci sont préparés et
programmés dans le système nerveux animal, et exécutés automatiquement. La
manifestation de l’intelligence universelle chez les animaux n’utilise pas
l’analyse et ne passe pas par la rationalisation, quoiqu’elle puisse souvent
passer par une affectivité véritable.
L’homme porte
en lui des programmations archaïques.
L’homme-animal porte en lui, en raison de sa nature
animale, ces mêmes mécanismes plus ou moins primitifs de comportement
inconscient et de programmation automatique. En fait, il n’utilise pratiquement
que ces mécanismes dans sa vie courante, mais il les habille souvent d’oripeaux
culturels et les justifie d’arguments prétendus rationnels.
Les pulsions qui montent du système nerveux humain
profond sont et restent bien animales. Elles relèvent de ce que nous appelons
l’instinct, c’est-à-dire qu’elles sont automatiques, n’étant ni analysées ni
raisonnées. Elles sont contenues dans une bibliothèque de programmes de
comportement. Celle-ci fait partie du patrimoine génétique général qui
appartient au groupe zoologique des primates, et plus particulièrement à la
branche dont sont issus nos proches cousins.
Il est maintenant assez bien établi que l’homme
s’est différencié très tôt, et qu’il
s’est séparé des autres simiens depuis plus de trois millions d’années. Il
apparaît également très probable qu’il y a eu plusieurs filières assez
différentes aboutissant toutes séparément
à l’hominisation. Ces précurseurs devaient assez peu nous ressembler
physiquement, mais ils tendaient déjà à la station verticale. Ils avaient une
face relativement plate et une capacité cérébrale en augmentation. Tous ces
plus proches parents sont aujourd’hui disparus, et nous restons la seule espèce
qui porte encore en elle l’espoir de réalisation de l’idiomorphon humain.
C’est une situation très inquiétante, qui prélude
généralement à la disparition complète d’un groupe, comme cela menace également
le cheval. Parmi tous les ongulés équins qui peuplaient les plaines du passé,
il ne subsiste aujourd’hui que quatre ou cinq espèces. Parmi les différentes
filières humaines de la même époque, il ne subsiste qu’une seule espèce, la
notre, l’Homo dit « Sapiens ».
A l’égard des puissants mécanismes de la sélection
naturelle et de l’évolution des espèces, on peut considérer que l’homme est
dans une situation extrêmement dangereuse dans l’hypothèse de grands
changements écologiques ou de catastrophe naturelle importante. Cette régression insoupçonnée menace aussi
ces cousins éloignés que sont les grands singes. Leur nombre diminue sans
cesse, en particulier chez les Anthropoïdes dont les gènes différent peu des
nôtres. (99% du matériel génétique du Chimpanzé est identique au matériel
humain).
Restons sur un plan strictement biologique, et
constatons que notre espèce se démarque physiologiquement de ces cousins par
une peau peu poilue, une graisse sous-cutanée, une silhouette rectiligne, une
aptitude à la parole, à la natation et à la plongée.
Pour Elaine Morgan, ces propriétés particulières
sont précisément celles que l’on trouve de façon généralisée chez les
mammifères aquatiques.
Comme Sir Alister Hardy, elle soutient une théorie
selon laquelle une étape aquatique aurait joué un rôle important dans
l’évolution humaine. Cet épisode serait consécutif à une situation vécue par un
groupe de primates, entre la fin du Miocène et le début du Pléistocène, dans
une région isolée par la montée de la mer, les Alpes Dakaniles, au nord de l’Afrique,
aux confins de l’Afar.
L’auteur présente des arguments assez convaincants.
Elle montre que tous les groupes animaux comportent des espèces qui sont
retournées vers l’eau. La plupart sont alors dépourvues de poils, comme les
suivants qui sont cités.
lCertains Reptiles antiques,
tels les Ichtyosaures et les Plésiosaures, et d’autres plus modernes tels le
Crocodile,
lDes mammifères herbivores
apparentés à l’Eléphant, les Siréniens, ou à sabots, voisins des Cochons, les
Hippopotames,
lDes carnivores apparentés
aux Ours, les Otaries et les Morses, d’autres voisins des Chiens, les Phoques,
lTous les grands Cétacés,
revenus à l’eau depuis si longtemps que leurs corps ressemblent à ceux des
poissons.
lL’Homme serait alors un
représentant du groupe des Primates, revenu à l’eau pour un temps, puis
retourné à terre, en raison de circonstances locales et particulières exposées par cette théorie.
Comme l’Homme, certains de ces animaux aquatiques
communiquent par des signaux sonores élaborés. Dans l’épisode marin, Elaine
Morgan voit l’origine de la parole. L’immersion de la plus grande partie du
corps ne permet pas la communication gestuelle, qui est donc remplacée ou
complétée par un système alternatif de communication sonore.
Chez les humains, les dispositifs originels sont
cependant conservés comme canal secondaire d’appoint.
Au premier siècle, Quintilien nous disait : «Les
mains parlent d’elles mêmes. Avec elles nous pouvons demander, promettre,
appeler, congédier, menacer, supplier, marquer l’horreur, la crainte,
l’indignation, la négation, la joie, la tristesse, le doute, l’aveu, le
repentir, la mesure, la quantité, le nombre, le temps... Elles semblent
constituer un langage commun à tous les hommes ».
En fonction des circonstances, l’Homme utilise
maintenant soit le canal vocal soit le canal gestuel, ou bien il renforce l’un
par l’autre, en ponctuant de gestes éloquents les signaux vocaux qu’il estime
insuffisamment significatifs.
Quittons là cette hypothèse originale, et venons en
par ailleurs, sur le plan de l’organisation sociale. Nous connaissons assez
bien les comportements collectifs des tribus de primates qui nous accompagnent
sur cette terre. Ils sont gouvernés par des équilibres de domination et de
soumission qui diffèrent un peu selon les espèces.
lLes Babouins et les Macaques
sont très dominateurs. Leurs troupes vivent dans un climat conflictuel
continuel, et constituent des sociétés structurées que M.R.A. CHANCE qualifie
d’agonistiques. Seuls les individus dominants sont autorisés à se reproduire,
mais ils doivent protéger le groupe contre les attaques de prédateurs. Ils
affrontent en permanence leurs rivaux potentiels qui luttent pour obtenir le
pouvoir et obtenir eux-mêmes l’accès aux femelles et le droit de se reproduire.
La cohésion des groupes est toujours structurée par l’autorité et l’agressivité
du mâle dominant, prompt à la sanction brutale. Chacun porte une attention
constante à respecter des espacements et les statuts obligatoires.
lLes Gorilles et surtout les
Chimpanzés sont beaucoup plus tolérants. Le même auteur appelle hédoniques les
sociétés qu’ils constituent. Ils forment des sous-groupes familiaux ou amicaux,
qui se défont et se refont au hasard des événements. Au cours des rencontres,
ils usent fréquemment de comportements de contact, y compris des caresses et
des baisers et des attentions pseudo sexuelles. Les dominants utilisent plutôt
des mimiques et des parades que des agressions véritables. L'entraide est
fréquente. Les conflits et les tensions ne sont jamais permanents.
lLes Bonobos, ou Chimpanzés
nains, sont fort affectueux et intelligents. Ils sont extrêmement tolérants, et
règlent souvent leurs difficultés sociales par des actes sexuels véritables,
qu’ils proposent à toute occasion, pour se procurer nourriture et avantages, et
qu’ils exercent, semble-t-il, avec une satisfaction évidente.
Ces comportements sont aussi les nôtres, tant que
nous laissons la bride à nos instincts. Les équilibres tribaux et sociaux des
sociétés humaines sont établis par des pressions animales de domination et de
soumission, incontrôlables et antiques, qui montent du plus profond de
l’inconscient.
Cependant, les structures réglant les comportements
humains sont souvent bimodales.
lCelles dans lesquelles
s’exerce un pouvoir central dont l’autorité est imposée par la force au sein
d’un groupe structuré, fonctionnent très manifestement sur le mode agonistique.
(Gouvernement, armée, police, justice, école, entreprise, et parfois famille,
religion, bande, etc..).
lDans la société civile
ordinaire on trouve généralement un fonctionnement plus établi sur le mode hédonique. Il faut
cependant ici remarquer que l’usage obligé de l’argent, (qui est indéniablement
un agent important de contrainte), induit des comportements moins simples, qui
sont souvent proches de ceux des Bonobos, amenant la plupart des hommes à
prostituer leurs muscles et leurs cerveaux, quand ce n’est pas plus.
Au plus profond d’eux mêmes, en suivant
instinctivement les programmes puisés dans l’ancestrale bibliothèque
comportementale, la plupart des hommes-animaux évoluant dans une société
structurée, souhaitent un modèle à imiter et un chef dominateur à qui obéir.
Effectivement, les puissantes pulsions de soumission
restent inconscientes, mais elles sont interprétées par le nouveau cerveau humain, et traduites en termes rationnels.
Elles sont donc transformées en modes, coutumes, traditions, morale, codes,
religions, etc.
L’homme est un pauvre singe condamné à faire l’homme, disait Jean
Rostand.
Avant de quitter ce sujet, j’aurais donc avec Anna
Wheeler Wilcox, une pensée particulière pour tous ces frères animaux, dont nous
partageons encore partiellement l’aventure souvent douloureuse, mais que nous
allons bientôt laisser derrière nous.
I am the voice of the voiceless,
Through me the dumb shall speak
Till a deaf world’s ear. Shall he made to hear
The wrongs of the wordless weak.
The same force formed the sparrow
That fashioned man, the king.
The God of the Whole. Gave a spark of soul
To furred and feathered things...
(Anna
Wheeler Wilcox)
Je suis la voix du sans
parole, qui par moi parlera,
Pour que l’oreille close du
monde,
Entende son murmure.
La même unique force a
façonné
L’oiseau et l’homme-roi.
Et le Dieu du Grand Tout
Donna aussi une étincelle
d’âme
A tous ceux qu’il vêtit de
fourrure ou de plumes.
En vérité, je réponds de mes
frères,
Jusqu’au rétablissement du
monde.
Autant que nous puissions en juger, dans l'immense
univers, à partir de notre point de vue strictement terrestre, une loi
incontournable est assignée au vivant.
La loi
assignée au vivant, c’est la dévoration.
Au moins dans ce monde, ce qui distingue
fondamentalement et nécessairement, le vivant de l'inerte, c'est que le premier
mange et transforme sa nourriture en sa propre matière. Toute définition
ignorant cet aspect est insuffisante.
On peut naturellement nuancer ces propos en
distinguant plusieurs lois associées, selon que l’on a affaire à des
procaryotes ou des eucaryotes, autotrophes ou hétérotrophes, selon le règne
concerné. Certains modes de vie marginaux, virus, prions, et autres, ont
également des lois qu'on peut, au choix, considérer analogues ou différentes.
Nous avons précédemment vu, que depuis l’épuisement
des nutriments primordiaux, les vivants survivent en trouvant leur matière
propre dans celle des êtres voisins précédents, morts ou vifs. Le règne végétal
exerce sa fonction de nutrition à partir du règne minéral et de l’énergie du
Soleil, mais il utilise des éléments provenant de la décomposition d’organismes
morts.
Il y associe des fortes pulsions, telle une tendance
à l'expansion indéfinie et à la reproduction vigoureuse, celles-ci étant
souvent manifestées par une sexualité exubérante. Les fleurs, symboles
universels de beauté et d'amour, sont en fait des groupes volubiles d'organes
reproducteurs épanouis, en situation d’usage. Pourrez-vous encore offrir un
joli bouquet sans sourire ?
Le règne animal est également soumis à ces mêmes
pulsions irréfragables d'expansion et de reproduction. Il y associe toujours un
mode de nutrition prédateur, qui s'exerce aux dépens des végétaux ou des autres
animaux.
Il est l’appareil effectif du « Désir
Désirant », d’Archaos, tendant à l’ordonnance du chaos aléatoire par la
satisfaction anarchique de tous les sens, l’outil parfait de la résolution par
l’absurde du problème de la sélection vitale.
L’animal est
un dévoreur.
Cela est vrai à tel point qu'on pourrait définir un
animal comme un être fondamentalement mu par l'appétit, constitué d'un estomac
ouvert d’une bouche entourée d'organes de préhension.
D’ailleurs, certaines familles telles les Cnidaires
ou les Spongiaires, en sont restés à ce stade primitif, et sont effectivement
constitués de cette façon, avec un seul orifice banal entouré de tentacules.
Tout le développement corporel animal n'est qu'un
perfectionnement agressif, à visée productiviste, de ce système de base inscrit
au plus ancien donc au plus profond des bagages génétiques. Il semble que le
modèle cosmique soit analogue, constituant les astres, les étoiles, les
galaxies, par concentration progressive de matière et dévoration gravifique.
La loi
serait-elle fondamentalement universelle ?
Au long cours de siècles passés et des ères
révolues, tout particulièrement dans sa manifestation eucaryote, la vie
initialement immortelle a inventé la prédation, la sexualité et la mort. Elle a
jugé que ces moyens terrifiants étaient nécessaires pour accélérer l’évolution
des espèces, et peut-être leur progrès, vers la réalisation d’objectifs
obscurs. Du fait de l’apparition récente de notre conscience, nous croyons
maintenant que nous sommes personnellement impliqués dans ce projet.
J’ouvrirai
cependant ici une parenthèse.
Il est intéressant de visiter le pavillon d’Anatomie
Comparée, à Paris, au Jardin des Plantes. Le plan remarquable d’organisation
des collections de squelettes amène à des constats troublants.
La première évidence, c’est l’importance énorme des
gueules et des dents. Tous les organismes sont faits pour voler, nager, ou
courir, mais surtout pour manger, donc pour détruire.
La seconde évidence, c’est la relative mais réelle
unicité du plan structurel des vertébrés, actuels ou fossiles, qui constituent
la partie la plus spectaculaire de l’exposition.
La visite s’achève au niveau des Primates et il y a
là aussi deux grandes évidences.
La première est que l’Homme est bien à sa place au
sein des espèces présentées, tant dans le cortège homogène général que dans le
groupe où il est placé.
Et pourtant, simultanément, il est également tout à
fait évident que sa mise en relation avec cet environnement fondamentalement
animal est complètement fausse.
Sa place est
ailleurs.
C’est une
impression très forte.
Tout paraît à la fois comparable et différent. Il
semble nécessaire, non pas seulement de déplacer ailleurs le spécimen, mais de
l’ôter complètement.
On touche là du doigt une forme de raisonnement
étrangère au monde occidental. Le squelette humain est bien à sa place dans la
collection animale, et tout à la fois,
il n’y est pas du tout. Allez donc au Jardin des Plantes, et constatez
vous-mêmes.
L’Homme est
tout à la fois
un animal et son contraire.
C’est un constat lourd de conséquences. Les hommes
usent des structures, des mécanismes, des organes, des pulsions, et des autres
fonctions du monde animal.
Mais les
images animales
ne sont pas les images humaines.
Les vertus
animales ne sont plus nos vertus.
Les valeurs animales se mesurent dans les capacités
des plus vigoureux et des plus aptes, à faire survivre l’individu le mieux
adapté propre à perpétuer l’espèce. Elles s’expriment donc en valeurs
d’agilité, de force, de vitesse, de prédation, de rivalité, de combat, de
férocité, et de capacité meurtrière.
Le parangon
animal des vertus est le tueur.
Nous ressentons très profondément les messages
électrochimiques des organismes primitifs que sont nos cellules. Elles
expriment leurs besoins fondamentaux
afin d’être en mesure de réaliser leur programme de construction et de
conservation des structures collectives fonctionnelles qui constituent notre
corps.
Nous devons aussi savoir qu’entre-temps, une
enveloppe animale a épousé de l’intérieur ce corps électrochimique. Nous
portons depuis, en nous, plus jeune et plus exigeant, ce féroce animal originel
dont les capacités de meurtre et de prédation ont été perfectionnées par
l’émulation et la sélection naturelle.
Les facultés, les moyens, les systèmes et les outils
correspondants ont été soigneusement mémorisés dans nos gènes. La machine
corporelle les reconstruit, les perfectionne, et les remet à l’oeuvre
méthodiquement à chaque génération. Par le dégoût, la répugnance ou l’horreur
même que nous inspirent les comportements naturellement biologiques,
égoïstes, féroces ou sanguinaires des
animaux, (comme parfois, hélas, ceux de l’homme-animal qui s’en démarque à
peine), nous comprenons maintenant une chose très importante.
Une ère
terrestre est aujourd’hui révolue.
Dorénavant consciemment, nous savons aujourd’hui,
qu’en ce qui nous concerne, nous incarnons un être nouveau, un Kadmon,
définitivement positionné à l’écart du monde animal. Cet être doit donc
exprimer son essence différente par le renoncement conscient à l’animalité et à
ses valeurs. Lorsqu’il parvient à maturité de conscience, les propriétés
animales évolutives ne lui sont plus nécessaires.
Lorsque l’on entre dans ce champ nouveau
d’expression de la vie, on acquiert une conscience actuelle, nouvelle, et
différente de la nature des valeurs animales. Elles apparaissent soudain
répugnantes, ou horribles, car elles appartiennent à l’expression d’un ancien
champ de vie qui appartient désormais au passé.
On doit donc, nécessairement et logiquement, quitter
à l’instant ce domaine étranger.
Les
comportements animaux
ne sont plus nécessaires.
Nous devrons donc, à ce moment, y renoncer et
prendre notre place essentielle nouvelle au sein du Zoran éternel.
La nature inconsciente qui nous environne n’est ni
bonne ni mauvaise, elle seulement dramatiquement indifférente à la souffrance
des créatures qui peuplent la Terre
Mais qu’en
est-il de l’Homme ?
Nous examinerons attentivement ce point un peu plus
tard.
Si vous le voulez bien, nous en resterons pour
l’instant à ce point du chemin.
Dans le brasier du Monde, Tu
m'as créé,
Et je naquis pierre,
Et Tu m'as donné, l'être et
la durée,
Et puis la poussière, et Tu
as soufflé
Mes atomes à tous les vents
de la Terre.
Puis dans la boue du Monde,
Tu m'as créé,
Et je naquis plante,
Et Tu m'as donné, soleil et
beauté,
Et fleur et semence, et Tu
as soufflé
Mes atomes à tous les vents
de la Terre.
Dans l'air et l'eau du
Monde, Tu m'as créé,
Et je naquis bête,
Et Tu m'as donné, l'espace
et la joie,
Et la peur au ventre, et Tu
as soufflé
Mes atomes à tous les vents
de la Terre.
Dans tout le sang du Monde,
Tu m'as créé,
Et je suis né l'Homme,
Et Tu m'as donné, la science
et la main,
L'orgueil et le feu, et Tu
as soufflé
Mes désirs à tous les vents
de la Terre
Dans la misère du Monde, Tu
m'as créé;
Et naquit mon Ame,
Et Tu m'as donné, l'espoir
et les larmes,
Et la liberté, et Tu as
soufflé
Mes erreurs à tous les vents
de la Terre.
Dans tout l'amour du Monde Tu
m'as créé
Et s'ouvrit mon coeur,
Tu viens me donner, la foi
et le doute,
Et la charité, mais Tu vas
souffler
Mes atomes à tous les vents
de la Terre.
(Brasier - Poèmes pour l’An
2000).
D |
émons et
Merveilles.
Une société d’athées inventerait aussitôt une
religion. (Balzac)
Si les triangles faisaient un dieu, ils lui
donneraient trois cotés. (Montesquieu)
Il y a des moments où je ressens comme un besoin
intense, dirais-je le mot, de religion. Alors je sors dans la nuit et je peins
les étoiles. (Vincent Van Gogh).
Gurdjieff était un derviche formé aux subtilités et
aux méthodes d’enseignement des soufis. Il s’exprimait avec un humour souvent
caustique, dans un style très particulier, (parfois pénible). Dans un de ses
ouvrages, Belzébuth enseigne son petit-fils.
« Sur notre étrange
planète, pour distinguer les manifestations êtriques considérées comme bonnes
ou mauvaises, il a toujours existé deux conceptions indépendantes, n’ayant rien
de commun l’une avec l’autre, et qui se transmettent de génération en
génération. La première n’existe que parmi les héritiers de la tradition reçue
de l’aristocratie des Atlantes, et s’exprime comme suit. Toute action de l’homme est bonne, dans le
sens objectif du mot, lorsqu’il l’accomplit selon sa propre conscience. Toute
action est mauvaise si l’homme doit en éprouver des remords.
La seconde conception est
répandue sur la Terre chez tous les êtres ordinaires. Ils la connaissent sous
le nom de morale. Son étrangeté et sa particularité sont qu’elle est placée, de
manière entièrement automatique, sous l’entière dépendance de l’humeur des
seules autorités locales. Or cette humeur dépend à son tour, de manière
également automatique, de l’état actuel de quatre sources d’influences, connues
généralement ici-bas sous les quatre noms de belle-mère, digestion, petit
caporal, et fric ».
Tout en souriant des sarcasmes de Gurdjieff, il nous
faut bien constater, lorsque nous examinons le fonctionnement de notre société,
qu’aujourd’hui encore, ces deux espèces d’hommes peuplent la planète, et
qu’elles sont très dissemblables. Sans que cela n’implique aucun jugement de
valeur, je pense que l’on peut relier leur existence relative, aux deux types
de relations qui existent dans les groupes humains. Rappelons que, selon les
circonstances, ceux-ci tendent à une organisation relationnelle qui fonctionne
soit sur le mode agonistique, basé sur la crainte et la contrainte, (souvent),
soit sur le mode hédonique, basée sur la tolérance et le bien-être, (rarement).
Souvenons-nous cependant, que ce fonctionnement
régulateur des groupes humains est très souvent bimodal. La société humaine
s’organise généralement sur un modèle politique et social associant un chef et
des sujets. Ce modèle est implicitement accepté par l’ensemble des individus
qui ressortent du groupe concerné. Les relations humaines qui en résultent
présentent le plus souvent un étonnant renversement de l’histoire comique du
masochiste et du sadique.
Le masochiste dit « Fais moi
mal »,
Le sadique répond « Non ».
Tout le monde est content.
Le sujet demande
« Commande »,
le chef accepte « Oui ».
Tout le monde est encore
content.
Etonnant, n’est ce pas ?
Les hommes, pour la plupart, sont des
fondamentalistes.
Ils ont besoin de règles à respecter et d’ordres à exécuter. Il faut des
structures stables, des lois, des systèmes établis, et des règlements écrits.
Ils exigent des gouvernements et des policiers, des juges et des prisons, des
impôts et des percepteurs, des prêtres et des églises, des défauts et des
vertus. Le mérite est le respect scrupuleux des règles communes, quel que soit
le prix à payer. La violation des règles est un péché puni par la critique et
l’action de la communauté.
L’autre catégorie d’hommes est restreinte aux
anarchistes.
Ce sont des libertaires. Ils n’ont besoin de rien.
Ils établissent eux-mêmes toutes les
règles de leur vie et de leur comportement.
Le mérite est le respect de la voix de la
conscience, ce qui implique souvent la transgression des règles communes. Leur
péché réside dans la faiblesse et l’acceptation du viol de cette conscience,
résultant souvent du respect de l’ordre établi. La sanction est souffrance
intérieure, autocritique, et remords.
Illustrons, par quelques
citations, la divergence de ces propos.
lLa première des vertus est
le dévouement à la patrie. (Napoléon)
lIl est beau qu’un soldat
désobéisse à des ordres criminels. (Anatole. France)
lLa vraie morale se moque de
la morale. (Pascal)
lL’incroyance est la ruine
non seulement des individus, mais des sociétés. (Lamennais)
L’obéissance aux lois intérieures n’implique
généralement pas la souffrance. La désobéissance la provoque, car la souffrance
morale est souvent caractéristique d’une sanction. La nature de la faute
diffère selon la catégorie dans laquelle se range l’acteur. Lorsqu’il y a
transgression de la règle intérieure, la souffrance apparaît. Elle prend son
origine soit de façon externe, dans l’action répressive de la communauté soit
de façon interne, dans la réaction de la conscience personnelle.
En examinant la nature profonde d’une souffrance que
nous ressentons comme une sanction, nous pouvons connaître quelle règle a été
transgressée, et quelle sorte d’homme nous sommes. Si vous croyez pouvoir
répondre facilement à ce questionnement, je vous propose de réfléchir un court
moment après la lecture de ces quelques vers, volontairement déstructurés.
Dans la souffrance, Ami, si
tu me demandais
De finir ta vie, que
ferais-je ?
Puisse cette question ne se
poser jamais !
Amis lecteurs,
vous-mêmes, que feriez-vous ?
Si vous répondez sans hésitation, vous avez
probablement besoin de règles établies, de modèles (et d’églises). Je vous
conseille alors de relire les précédents chapitres et d’aborder ceux qui
viennent avec une grande prudence.
Nous avons vu qu’il y a actuellement dans le Monde
une loi fondamentale, à laquelle n’échappe presque aucune créature évoluée.
C’est la loi de dévoration. Chaque vivant ne survit qu’aux dépens d’un autre
vivant. Cette loi universelle de la dévoration généralisée amène une première
question essentielle. C’est à vous, lecteur, que je la pose. Essayez d’y
répondre avec sincérité.
Comment notre Dieu de bonté peut-il bien passer son
éternité à contempler ses créatures s'entre-dévorer avec férocité ? Vous voyez
bien que c’est là une idée typiquement humaine, qui résulte de la projection de
notre pensée propre, de notre univers artificiel interne, sur le Zoran, réalité
externe inconnaissable. C’est une projection dépourvue de sens. Il faut
nécessairement élaborer ici-bas autre chose pour structurer notre conception
actuelle de la divinité. Souvenons-nous que nous la basons sur l’amour et la
volonté du bien.
Cette éternelle, (mais humainement hypothétique),
contemplation sadique est parfaitement insoutenable pour notre sensibilité
moderne. Elle prend ses racines dans l’expérience d’une cruauté historiquement
liée à l’exercice du pouvoir souverain totalitaire. Sans trop d’espoir, nous
voulons croire cette féroce fatalité à jamais révolue. La projection d’un divin
universellement cruel est incompatible avec les qualités ineffables que nous
attribuons aujourd’hui à la divinité, en particulier dans le cadre de la vision
théiste de la création du Monde. La loi de dévoration est une réalité
existentielle que nous constatons chaque jour, et nous rencontrons là un
obstacle dans notre démarche raisonnable.
La vision panthéiste autorise une approche un petit
peu plus soutenable, parce qu’un peu plus équilibrée. Elle permet d’imaginer
que la divinité participe à sa création par l'intérieur, par effusion, en se manifestant
dans la vie même de chacun des êtres créés. Elle est alors à la fois la proie
et le chasseur, le dévoreur et le dévoré, l'offrande de l’adorateur et l'adoré
que l’on honore.
Elle est le Dieu dans l'agneau et le Dieu dans le
loup, le Dieu souffrant sa propre mort
pour nourrir sa propre vie dans ses multiples expressions, le Dieu dans le
corps du dîneur, et le Dieu sur la table, jusque dans le blé du pain, et la
vigne du vin ?
Ceci vous
rappelle bien quelque chose.
Remarquez en passant qu’il vous est ici proposé une
simple et réelle présence illuminatrice, et non pas une transsubstantiation
incompréhensible et ésotérique. Voyez comment on peut changer la portée des
symboles en libérant les idées, c’est-à-dire en dépassant les dogmes.
Voyez aussi comment la même situation factuelle
intrinsèque prend deux valeurs largement opposées, marquées profondément de mal
ou de bien, selon le regard posé par l’observateur.
Ceci pose bien évidemment un problème grave,
puisqu’il apparaît donc clairement que cette notation ne dépend aucunement du
fait en soi. Elle relève seulement de l’environnement d’idées, c’est-à-dire de
l’armoire dans laquelle l’image mentale, induite par le fait, est rangée dans
la maison cérébrale de l’ego.
Vous constatez ici qu’il est bien nécessaire que
nous nous penchions un moment sur le problème général des doctrines et des
religions. Lorsque l’on examine une société humaine, où qu’elle soit située
dans le Monde, on constate l’existence de quelques facteurs constants. Parmi
ceux-ci, on trouve les impératifs vitaux de collecte de nourriture et de
boisson, d’abri, de vêture, et autres besoins fondamentaux, mais aussi d’autres
constantes, par exemple, la fabrication d’alcool, la consommation de tabac ou
de drogue. Il faut également ajouter l’existence constante de religions et la
pratique de cultes sacramentels et souvent sacrificiels. Si vous le voulez
bien, nous allons examiner quelques uns de ces facteurs qui sont souvent bien
plus liés qu’on ne l’imagine aux pratiques cultuelles et religieuses.
De tout temps, les hommes ont ressenti un fort élan
qui les poussait à s’élever vers les
puissances mystérieuses qui semblaient diriger l’univers. Ils ont également
essayé de sortir de leur prison corporelle par la pratique de rites plus ou
moins magiques, des comportements hypnotiques ou frénétiques, et parfois par
l’utilisation des effets psychotropes de diverses substances tirées de plantes
toxiques ou vénéneuses. Le tabac est l’une de ces plantes. Il a été largement
utilisé par toutes les populations indiennes d’Amérique avant le développement
de notre civilisation et la fondation de nos propres religions traditionnelles.
Depuis le 7ème siècle avant JC, bien avant sa
découverte par les conquérants espagnols, et son importation en Europe, le
tabac était utilisé par les Indiens dans toute l’Amérique. Il y remplissait
différentes fonctions, sociale, rituelle, magique, médicinale, etc. Les mythes
et les coutumes religieuses des Indiens d’Amérique sont généralement méconnus.
On y trouve cependant des conceptions élevées très intéressantes. Entre autres
idées, certaines tribus avaient élaboré la notion d’un créateur suprême, Grand
Esprit, qui agissait sur la création
avec l’assistance de puissances auxiliaires. Dans cette mythologie prennent
parfois place des personnages singuliers, tel le populaire
« décepteur », très proche du Mercure
voleur, ou du Trickser de Jung, démiurge parfois féminin, ainsi que l’Heyoka, le « contraire », qui
fait tout à l’envers, marchant à reculons, nu l’hiver, couvert de fourrure
l’été, etc..
La plante sacramentelle qu’était le tabac était
généralement fumée dans des pipes (sacrées chez les Sioux), telles le très
connu « Calumet de la Paix ». Chez les Amérindiens du Nord, le tabac
servait d’offrande propitiatoire, et la fumée de la pipe rituelle remplissait
une fonction de médiation entre la Terre et le Ciel.
« Avec cette Pipe de
Mystère vous marcherez sur la Terre, car la Terre est votre Grand-mère et elle
est votre Mère, et Elle est sacrée. Chaque pas qui vous faites sur elle devrait
être une prière. Le fourneau de la Pipe est taillé dans la pierre rouge et il
est la Terre. Le jeune bison qui est gravé dans la pierre regarde vers le
centre. Il représente tous les animaux qui vivent sur votre Mère. Le tuyau de
la Pipe est en bois, et cela représente tous les végétaux qui poussent et
croissent sur la Terre. Les douze plumes, attachées à l’endroit ou le tuyau de
bois pénètre dans le fourneau de pierre, sont celles de Wambali Galeshka,
l’Aigle Moucheté. Elles représentent les aigles et tous les êtres ailés qui
volent dans l’air. Tous ces peuples comme toutes les choses de l’Univers sont
rattachés à Toi, celui qui fume la Pipe. Tous envoient par Toi leurs voix à
Wkan-Tanka, le Grand-Esprit. Quand vous prierez avec cette Pipe, sachez que
vous prierez à la fois pour toutes les choses et avec elles ».
( Hehaka Sapa - Sioux-Wapiti
Noir).
Autre texte, plus connu, et de la même veine
spirituelle.
« Nous sommes une
partie de la Terre, et elle fait partie de nous. Les fleurs parfumées sont nos
soeurs, le cerf, le cheval, le grand aigle sont nos frères. Les crêtes
rocheuses, les sucs des prés, la chaleur du poney, et l’homme, tous
appartiennent à la même famille... Nous savons au moins ceci. La Terre
n’appartient pas aux hommes, c’est l’Homme qui appartient à la Terre. Toutes
les choses se tiennent ».
(Chef Seattle - Indien Duwamish).
On trouve parfois chez les mêmes auteurs des
inspirations assez désespérées, avec aussi des accents d’apocalypse.
« En ces tristes temps dans
lesquels notre peuple est plongé, nous cherchons désespérément la balle (la
Terre de vie).
Certains ne tentent même
plus de l’attraper. Cela me fait pleurer rien que d’y penser. Mais un jour
viendra où quelqu’un la saisira, car la fin approche rapidement. Alors
seulement elle sera retournée vers le centre, et notre peuple avec elle ».
(Hehaka Sapa - Sioux - Wapiti Noir).
Malheureusement, comme beaucoup de cultures
primitives, la culture des Indiens du Nord comportait également des coutumes
collectives effrayantes tel le rituel de la jeune captive. Au péril de sa vie,
un jeune guerrier, désigné par un songe, devait capturer une jeune fille dans
une tribu voisine, la ramener dans sa propre tribu, et la livrer à un sanglant sacrifice rituel.
Aujourd’hui le tabac magique n’est plus qu’une
plante toxique qui asservit les hommes, (et qui alimente les caisses de l’Etat
à travers les droits d’accise). Le lien avec le Ciel et les Dieux est oublié,
et le charme antique est rompu. Le tabac mystique est bien mort. Reste seulement
le tabac percepteur.
Eloignez-vous
du tabac d’esclavage.
Les hommes occupaient également l’Amérique Centrale,
(et celle du Sud), depuis trois mille ans. La population était très nombreuse
ce qui permettait une grande différenciation culturelle. En relation avec le
climat varié, et avec l’existence d’un important couvert végétal, certains
peuples étaient surtout constitués d’agriculteurs itinérants ou de chasseurs
cueilleurs. D’autres populations étaient sédentarisées. Les civilisations des
Hauts Plateaux des Andes se sont développées parmi celles-ci. La mieux connue
est la civilisation Aztèque. La société était divisée en clans patrilinéaires
autonomes, politiquement très hiérarchisés.
Ils étaient dominés par des castes privilégiées,
religieuses ou militaires auxquelles le peuple était complètement soumis. La
vie sociale se concentrait dans les villes, et s’organisait autour des temples.
Le système politique était une théocratie pyramidale au sommet de laquelle se
trouvait le Prêtre-Roi.
Chez les Aztèques, les éléments climatiques et
physiques étaient des Dieux dont l’humeur réglait le succès des récoltes.
La plante essentielle était le maïs,
nourriture du peuple, qu’on faisait aussi fermenter avec du jus d’agave pour
obtenir une boisson alcoolique, la pulque, utilisée de façon rituelle sous le
nom de chicha.
L’empereur manifestait sur Terre la toute puissance divine, dont la figure
centrale était le Soleil, (Dieu principal, avec un complément lunaire), au sein
d’une cosmogonie dualiste. Par ailleurs, les divinités aztèques sont
innombrables. Au solstice d’hiver, avaient lieu des cérémonies populaires
comprenant des danses, des chants, et des libations. L’empereur y offrait à
boire au Soleil, la chicha sacrée dans un grand vase d’argent.
Le solstice d’été était consacré à l’initiation
guerrière des jeunes nobles. En automne avait lieu la cérémonie de la
purification générale de la ville et de la population. Les événements
accidentels, imprévisibles, météorologiques, ou
astronomiques, les défaites militaires, les catastrophes ou les maladies
du Prêtre-Roi, appelaient des sacrifices solennels destinés à calmer
l’irritation des Dieux et à rétablir l’équilibre cosmique menacé. D’horribles
et massifs sacrifices humains avaient alors lieu. On arrachait de la poitrine
des nombreuses victimes, jeunes enfants, prisonniers, vierges consacrées, leurs
coeurs pour les offrir au Soleil. Lorsque les Espagnols envahirent le pays, ils
constatèrent que ces sacrifices effrayants s’étaient généralisés. Ils avaient lieu
chaque jour, ce qui nécessitait des guerres continuelles pour fournir les
victimes sacrificielles qu’étaient les prisonniers.
Dans nos régions, les traces éventuellement
cultuelles les plus anciennes semblent être les peintures murales que l’on
relève dans des grottes ornées comme celle de Lascaux. Elles ont été réalisées
par des hommes qui vivaient il y a treize ou quinze mille ans, vers la fin de
la dernière glaciation. Ils y déployèrent de magnifiques talents, très
probablement reliés à l’expression quasi-religieuse et renouvelée d’un mythe
rémanent, éventuellement associée à des rites d’initiation ou de fécondité, ou
à des actions magiques. On a aussi parlé d’offrandes de réparation, fournissant
à la Terre Mère des images-germes destinées au remplacement des animaux tués,
mais cela est moins plausible.
On trouve aussi de nombreux mégalithes qui posent
bien des problèmes d’interprétation. Nous savons que certains dolmens
tabulaires ont servi de monuments funéraires ou de nécropoles pendant une
partie de leur existence, mais ces monuments avaient certainement une autre
vocation, aujourd’hui oubliée.
Ils sont répartis dans une zone géographique
extrêmement étendue, allant de la Scandinavie à l’Espagne, en France, ainsi
qu’en Corse, en Afrique du Nord, à Malte, en Turquie, en Palestine, en Inde, et
même en Corée. Beaucoup ont été détruits mais ils sont encore très nombreux. En
France, par exemple, on en dénombre environ 4500, dont 1900 dans le Lot et
l’Ardèche. C’est la même chose dans les autres zones de présence. (Huit cents
dans l’île de Man, 900 en Allemagne, 5000 en Algérie, 300 en Corée, etc.).
Avec une répartition géographique analogue, les très
nombreuses pierres levées, ou menhirs, posent les mêmes problèmes.
Elles sont parfois groupées. Citons les alignements
de Carnac, qui comptent trois séries de plusieurs milliers de menhirs alignés
en rangées ordonnées et hiérarchisées qui évoquent irrésistiblement des
assemblées d’hommes. Ils datent de cinq mille ans et nous savons qu’ils ont été
élevés par des populations assez nombreuses, déjà commercialement très
organisées, qui disposaient de sites concentrés produisant des objets en série
et des outils de pierre, de bronze, et même de fer.
On a pensé que ces alignements pouvaient être des
supports administratifs concrets, complétant un système numéral élémentaire peu
satisfaisant. Ils auraient pu servir à inventorier les populations, identifier
les groupes et les tribus, répartir les charges, les obligations, et les butins.
Les observations faites sur le terrain paraissent
contredire ces hypothèses en raison des formes serpentines dessinées par les
alignements et de la disposition particulière de certains blocs. Peut-être
faut-il rapprocher la construction des mégalithes de deux citations bibliques,
parmi d’autres possibles, qui pourraient évoquer l’ancienneté de leurs
origines. Ainsi Jacob, après le rêve de l’échelle, pense s’être endormi dans un
lieu sacré.
- « Jacob se leva de
bon matin, il prit la pierre dont il avait fait son chevet et la dressa pour monument,
et il versa de l’huile à son sommet. Il donna à ce lieu le nom de
Bethel ». - « Tu bâtiras en pierres brutes l’autel de
l’Eternel ». (Deut.27-6).
Les vagues de peuplement humain sont probablement
venues d’Afrique voici des centaines de milliers d’années. Elles couvrirent
l’Europe et l’Asie puis montèrent au Nord et passèrent en Amérique. Il faut se
souvenir que les continents n’étaient pas disposés tout à fait comme
aujourd’hui.
Ces hommes primitifs portaient déjà en eux les
antiques concepts religieux, liés à la nature, dont nous trouvons les fonds
communs dans tous les continents. Au fil de nombreux millénaires, ces concepts
se différencièrent progressivement, puis les invasions venues des steppes,
après la dernière glaciation, les réintroduisirent sous une forme nouvelle.
On sait que toutes les religions du Proche-Orient
ancien ont des origines communes. Là-bas comme ailleurs, l’Homme rêvait de
devenir un dieu tout puissant. La civilisation qui naquit 4000 av.J.-C, de la
Syrie à la Mésopotamie, a laissé suffisamment de traces écrites pour que nous
en ayons une certaine connaissance.
Les Mésopotamiens avaient des Dieux puissants et
multiples. Le Dieu suprême était appelé El ou Grand Dieu. Il intervenait peu
dans les affaires courantes du Monde, dont il était pourtant le grand
ingénieur. Son rôle était essentiellement directeur.
El était secondé par son fils, Marduk, et par
diverses castes d’assistants dont les moins favorisés devaient matériellement
faire fonctionner le Monde. C’est pour les remplacer dans cette tâche ingrate
que les hommes furent fabriqués, et moulés dans de l’argile humectée de la
salive des dieux. Pour les animer l’un d’eux fut broyé dans la pâte, ce qui
transmit à l’homme une parcelle divine.
La terre appartenait au dieu procréateur qui
détenait le pouvoir souverain, créateur, fondateur et conservateur de la vie.
Les cités étaient relativement autonomes, (et rivales). Chacune avait son
propre protecteur local, un Baal, (ou un Moloch), à qui l’on offrait, (entre
autres), les premiers nés sacrifiés par le feu. Dans certaines traditions, le
Baal devait combattre un dieu maléfique.
Il était tué puis ressuscitait. Comme au Mexique, le
roi était son intendant, régisseur des biens confiés aux hommes. Le centre du
pouvoir absolu était le temple, la maison du dieu, administré par les prêtres,
fonctionnaires ecclésiastiques, gardiens de la justice, de la science, des
rites et des lois.
On doit aux Mésopotamiens l’invention de l’écriture
cunéiforme dont le déchiffrement nous a donné des informations importantes car
elles permettent de jeter un pont entre les univers indo-européens, sémites, et
même aztèques. Je vous livre un court récit d’un combat épique entre Baal et le
méchant Yam.
« La massue s’élance de
la main de Baal,
Comme un épervier entre ses
doigts.
Elle frappe le Prince Yam au
crâne,
Le juge Nahar au front.
Yam s’écroule; il tombe à
terre,
Ses articulations
faiblissent, sa figure se défait. Etc. »
Les cultes mésopotamiens reposaient essentiellement
sur des rites de fécondité. La pluie fécondant la terre était l’image du dieu
fécondant le Monde. Avec quelques variantes, les mêmes mythes étaient répandus
dans toute la région, comme à Sumer, sans que l’on sache vraiment d'où
provenait ce peuple particulier, qui parlait une autre langue. Voici un extrait
du « Livre d’argile », de Philippe Selk, qui serait la traduction,
(non certifiée), de quelques tablettes de terre cuite retrouvées dans les
ruines de la cité sumérienne de Sirpula. Le texte est douteux, mais le style semble
bien correspondre à l’époque en question.
Innina, Déesse des déesses !
Toi qui prononces les
décrets inestimables de la vie,
Toi qui fais connaître la
clarté des jours,
Souveraine des souveraines,
qui diriges les actes du Monde.
Lumière des lumières !
Tu rends impétueux les
désirs humains.
Etoile des joies et des
lamentations !
Que je t’implore, et que
j’espère en toi.
Innina la puissante, dont la
parole fait lever le mort,
Flamme brûlante, merveille
qui allume la volupté des Dieux,
Sur moi laisse tomber ton regard
bienveillant,
Courbe ta face et ton
oreille,
Entend mes supplications,
etc..
Les Sumériens croyaient aussi qu’à l’intérieur de la
Terre Mère brûlait un feu éternel, (qui devint ultérieurement l’Enfer). On y
trouvait également un immense océan
souterrain, la Mer du Savoir, dont les eaux pouvaient être captées par
les chercheurs de vérité, à travers des pratiques d’astrologie et de
nécromancie et des actions magiques faisant appel aux plantes hallucinogènes.
Parmi celles-ci, les champignons vénéneux
paraissent avoir joué un rôle important en raison de leurs formes et de
leur toxicité.
John M. Allegro, Maître de conférences à
l’Université de Manchester, dans un ouvrage iconoclaste, prétend que leur
consommation s’était largement répandue à travers tout le Proche-Orient malgré
les dangers mortels que cela représentait. Il en resterait la trace
délibérément cachée dans tous les récits bibliques, et jusque dans les
pratiques et les textes liés aux débuts du christianisme.
Chez les anciens méditerranéens, Bacchus était le
dieu latin de la vie exubérante, du délire extatique, et accessoirement de la
vigne, du vin. On le représentait d’ailleurs souvent accompagné d’un vieux
précepteur ivrogne, Silène.
Bacchus, (en grec Bacchos), était identifié à
Dionysos. Sa mère, Sémélé, était mortelle. Elle fut aimée de Zeus, mais au
sixième mois de sa grossesse, elle mourut d’effroi à la vue de la gloire de
Zeus-Jupiter. Le Dieu porta alors l’enfant cousu dans sa cuisse jusqu’au terme
de sa naissance. De là vient l’expression « Naître de la cuisse de
Jupiter ».
Dionysos était un dieu marginal, étrange, imprécis,
incertain dans l’espace et dans le temps. Il était souvent représenté par un
simple pieu portant un masque, et n’avait pas de temple ni de prêtres. On
l’honorait dans une grotte, à l’endroit où s’arrêtait la thiase, la procession
de ses fidèles.
C’était un groupe qui mêlait toutes les classes
sociales, citoyens, femmes, et esclaves. Dionysos les emmenait tous dans une
aventure tumultueuse et dangereuse, qui mettait en question le système social
établi. Les thiases, accompagnées des Bacchantes, (Femmes honorant le Dieu),
et, dit-on, de Pan et des Satyres, courait les montagnes et les plaines en
troupes délirantes. Elles déchiraient tous les vivants qu’elles rencontraient.
Elles mangeaient de la chair crue, (Comportement interdit par la religion
sacrificielle des grecs).
A travers sa double naissance, mortelle par sa mère
et divine par son père, Dionysos apportait à la nature l’énergie sacrée, mais
aussi le désordre et l’imprévu. La vie éclatait, les plantes proliféraient et
fleurissaient, la vigne s’élevait, le bois mort reverdissait, les passions
s’enflammaient. En Attique, Dionysos fit présent de la vigne et du vin aux
bergers, ce qui produisit ensuite de grands désordres. Chaque année, Dionysos
entrait dans la cité grecque. Elle l’accueillait rituellement avec des cortèges
carnavalesques et des fêtes bruyantes et colorées, ou le vin coulait à flots.
Mais le Dieu se manifestait aussi aux adeptes sous la forme des mystères
accessibles aux seuls initiés qui
semblaient alors en être possédés, et entraient en extase.
Dionysos-Bacchos était un dieu flou, surtout révéré
par des comportements et des rites. Cependant, dans le mythe plus théorisé des
Orphites, il était originellement le fils de Zeus et de Perséphone. Jalousé par
Héra, il fût livré aux Titans, qui le mirent à mort puis firent cuire son corps
et le dévorèrent. Zeus les foudroya, ne sauvant que le coeur dont il féconda
Sémélé. Dionysos est ainsi né deux fois, ce qui fût aussi son nom. Des cendres
des Titans naquirent les hommes. Leur nature est donc bestiale et titanesque,
mais ils gardent encore en leur âme une parcelle du Dieu dévoré. C’est là un
point notamment intéressant de cette mythologie.
Pour honorer Dionysos, les adeptes d’Orphée ont été
opposés à toute violence et ils ne consommaient aucune chair. Dans leur système de la théogonie des rapsodes, six
générations divines se sont succédées en bouclant sur elles-mêmes. Phanés le
métis, (la Lumière), fut le premier roi des Dieux, suivi de Nuit, d’Ouranos, de
Kronos, et de Zeus. Celui-ci remit son pouvoir à son fils, deux fois né,
Dionysos, qui est aussi le retour de Phanés, le Lumineux des origines.
L’établissement de cultes et l’observance
généralisée de rites religieux nous amènent à poser une question préliminaire.
A quoi servent
les religions ?
A priori, la réponse pourrait paraître assez simple.
Conformément à la loi générale du Monde, la société humaine ne changera
probablement jamais. Elle contiendra toujours le bien et le mal, la vie et la
mort. Cependant, chacun des hommes peut individuellement changer.
Alors que les systèmes politiques ou économiques se
proposent de transformer les structures globales de la société humaine telle
qu’elle est depuis toujours, et qu’elle demeurera très probablement, les religions se proposent de transformer les
hommes qui la constituent. Pour cela elles s’efforcent de diminuer leurs
pulsions existentielles primordiales, et de développer leurs facultés
essentielles actuellement cachées. La plupart des religions professent donc
intuitivement un postulat fort important.
Une double
nature existe chez l’homme.
Ce consensus n’est pourtant qu’apparent car les
religions travaillent sur deux plans. L’un est psychologique et social,
(concernant la relation de l’homme avec les autres hommes dans le monde
d’ici-bas). L’autre est sacramentel, (concernant la relation de l’homme avec la
déité et l’au-delà).
Les religions basent en outre leurs doctrines et
leurs pratiques sur des fondements très différents, dont voici deux exemples,
que nous développerons plus précisément plus loin.
Dans la
religion catholique, chaque homme est doté d’une âme immortelle et d’un corps mortel. L’Homme
naît en état de péché, mais tous les
hommes ont été rachetés par la mort de Jésus-Christ. En consacrant au bien sa
vie terrestre, le fidèle espère attirer sur lui la grâce divine, le pardon de
ses fautes, le sauvetage de son âme, la résurrection de son corps mortel et la
vie éternelle en présence de Dieu.
La vision gnostique est tout autre. Un être
immortel, (d’origine divine), est emprisonné dans nos corps mortels, (d’origine
matérielle).
Pendant cette vie terrestre, l’Homme doit réaliser
une transmutation alchimique pour transfigurer ce corps mortel afin de libérer
l’esprit éternel qui l’habite.
D'où
proviennent les religions ?
A cette question, on répond généralement qu’elles
viennent du fond des âges, ce qui n’est pas une réponse. On dit aussi qu’elles
viennent du coeur de l’homme, et ce n’est pas suffisant. De tout temps les
hommes ont ressenti un élan qui les pousse à s’élever vers les puissances
universelles inconnues, à moins que cela ne soit un appel qui les tire, ou une
réponse à un appel. Cela peut être l’inverse, ou les deux à la fois. C’est
cette propriété particulière d’interaction avec les mystérieuses puissances qui
donne à toutes les religions leur caractère sacramentel.
Restons-en, pour l’instant, à l’examen de l’aspect
théorique, en laissant provisoirement de
coté cet aspect sacramentel.
Nos approches doctrinales des problèmes
métaphysiques et religieux restent fondamentalement des pensées, introduites
dans notre mental par des expériences situées dans notre passé personnel. Elles
sont profondément marquées par nos environnements culturels et religieux, que
ce marquage soit conscient ou inconscient. Les convictions religieuses sont
bien rarement libres de ces conditionnements. Parlant par expérience
personnelle, j’affirme ici que ces marques sont très réelles et bien plus
actives qu’on ne peut le penser. Je reviendrai sur cet aspect.
Dans notre société moderne occidentale, il n’y a
plus guère actuellement en confrontation que deux théories conceptuelles
définissant la relation de Dieu avec le Monde, le Théisme et le Panthéisme. Je
vous prie d’admettre avec moi qu’il s’agit bien là de deux constructions
purement mentales, puisque nous avons précédemment défini comme cela les
théories, les dogmes, et tous les autres assemblages d’idées.
La conception théiste présente l’idée de Dieu comme
une entité bienfaisante et toute puissante, distincte de l’univers créé. Les
trois grandes religions occidentales dites révélées, les religions du Livre, le
Judaïsme, le Christianisme, et l’Islam, sont fondamentalement des religions
théistes.
Dans le mode de relation théiste entre Dieu et
l’Homme, on trouve donc essentiellement la croyance en l'existence d'un Etre
Divin extérieur, supérieur, et distinct de tous ses sujets dont l’Homme. Son
action est dirigée du haut vers le bas, du créateur vers la création, dans
laquelle il intervient activement. Sur ce monde inférieur, il fait descendre
des étincelles d'esprit pour animer les êtres. Ceux-ci sont soumis aux épreuves
de l'existence terrestre afin d'y être tentés. Ils doivent prouver leurs mérites
afin de pouvoir rejoindre le domaine du créateur. Les fidèles humains
s’efforcent donc de bien se comporter pour mériter l’attention de ce Dieu
extérieur, considéré comme un Seigneur ou un Père. Ils le prient pour qu’Il
intervienne dans leurs affaires ou celles du Monde.
La conception panthéiste enseigne que tout ce qui
existe participe de la nature d’un Dieu relativement impersonnel, tout au moins
ici-bas. Il n’y a pas de division stricte entre la divinité et la création qui
forment une unité. La plupart des religions orientales adhèrent à cette
présentation. Le Panthéisme est actuellement en progression dans la pensée
religieuse occidentale.
Dans le mode de relation panthéiste avec la
divinité, on découvre donc la croyance en l'existence d'une Monade Divine,
origine de toutes les manifestations vivantes et universelles, spirituelles et
matérielles, bonnes ou mauvaises.
Tous les êtres, inertes et vivants, participent à
l’unicité de la monade. Il n’y a pas de différence de nature entre le créateur
et la créature. La nature de la créature est également divine, mais
imparfaitement manifestée. Les êtres vivants ici-bas sont soumis aux épreuves
de l'existence terrestre afin d’y compléter leur accomplissement et d’y trouver
la force de réaliser pleinement leur vraie nature divine. Par la pureté de
leurs actes, les fidèles s’efforcent de s’identifier avec la Divinité et de la
rejoindre dans son Unité.
Nos
conceptions de la déité sont très anciennes.
Les deux approches ont été élaborées dans le monde
méditerranéen et le proche orient, voici trois ou quatre mille ans. Elles
fondent encore aujourd’hui les bases de notre conceptualisation de l'origine du
monde et de la nature de l'univers. Après le passage de tant de siècles,
pouvons-nous réfléchir un tout petit moment et admettre qu’il n’est pas
impossible que ces vieilles idées l’encombrent.
Avec des variantes plus ou moins importantes, ces
deux théories fondamentales fournissent la matière des récits et des mythes sur
lesquels sont construites la plupart des civilisations actuelles, les grandes
réflexions métaphysiques, et les principales religions. Ces histoires et ces mythes sont destinés à conserver et
transmettre à travers les âges des enseignements cachés.
Comme je l’ai dit plus haut, toutes ces civilisations
passées, ces philosophies, ces religions, marquent profondément nos pensées
actuelles, conscientes ou inconscientes. Les convictions qu’elles ont
construites sont placées à l’intérieur de la maison forteresse dont nous avons
parlé antérieurement, laquelle abrite et protège cet ego qui est l’intégrale de
toutes nos pensées.
Si nous désirons réellement éclaircir un peu ces
grands problèmes, tellement redoutables dans leurs prolongements, si nous
voulons cesser de tourner en rond dans notre petit monde intérieur, et si nous
avons la volonté ferme d’entrouvrir quelques unes des fenêtres donnant sur le
coté divin du mystérieux Zoran, il va nous falloir lever les volets qui nous
aveuglent, et ouvrir à l’intelligence la
porte qui nous protège. Dans la maison ouverte, les courants d’air vont
souffler fort, et beaucoup de choses risquent d’être dérangées. La lumière
spirituelle, le contact avec l’intelligence universelle, sont des forces vives
qui coulent comme des torrents.
Je crois que la première réflexion qui peut nous
guider est de bien percevoir comment
nous mélangeons souvent des données qui sont inconciliables parce qu’elles
proviennent de deux contextes différents. Nous sommes actuellement à l’époque
dite « Historique », dans laquelle les récits sont généralement
fondés sur des sources vérifiables, écrites, et repérées de façon cohérente
dans l’écoulement du temps. Cette relation aux faits réels et établis de
l’Histoire, est un élément inconscient majeur qui marque tous les jugements
portés sur les événements décrits.
La plupart du temps, les origines des religions sont
antérieures à l’époque historique. Elles remontent à un passé plus ancien, et
elles appartiennent à la période dite « Mythique ».
Dans celle-ci, les récits ne font pas référence à
des faits établis et vérifiables, ni au véritable comportement de personnages
réels, précisément repérables dans le temps historique. La projection
inconsciente de nos habitudes culturelles actuelles sur les héritages de cette
période nous conduit à des erreurs majeures de jugement. Nous n’avons pas à
croire absolument que les événements relatés par les mythes sont réels.
Le plus souvent, les personnages impliqués sont
imaginaires, ou bien ils sont utilisés pour porter le récit. Je rappelle que
l’enseignement ésotérique transporté par les mythes est masqué, et qu’il nous
reste généralement d’autant plus étranger que la culture dont ils témoignent
nous est étrangère.
Dés lors que nous affirmons adhérer à une religion
actuelle et nous associer aux groupes religieux qui la portent, nous devons
chercher ce que ses fondateurs ont voulu nous transmettre. Je vous prie
cependant de bien vouloir remarquer que d'autres mythes, (tous les mythes
des religions différentes, primitives, anciennes, étrangères ou lointaines,
toutes les légendes et les contes), peuvent avoir autant de valeur.
Les mythes
tentent de faire comprendre l’inexplicable.
Nous allons donc essayer de nous en approcher pour
voir un peu ce qu’ils pourraient contenir. Il faut d’abord bien distinguer de
quoi on parle, car il est évident qu’il y a plusieurs sortes de mythes et
beaucoup d’entre eux ne sont pas fixés. Ils évoluent dans le temps et dans
l’espace à l’intérieur des civilisations qui les portent.
A la base de toute religion, il y a généralement un mythe cosmogonique, qui tente
d’expliquer la création du Monde. On y trouve aussi des mythes théogoniques qui décrivent l’origine des Dieux et des
Hommes. Pour exemples, voyez le début de la Genèse.
On constate ensuite un second genre que les
spécialistes sont convenus d’appeler des cycles
divins ou héroïques. Ces récits sont développés autour d’un personnage plus
ou moins historique, dont les vertus ou les exploits ont été amplifiés
démesurément, mais ils n’ont pas de signification réellement cosmique. C’est
des rassemblements d’épisodes épars, mal situés dans le temps historique, qui
constituent un ensemble plus ou moins cohérent, inséré dans le thème général.
Ils concernent souvent des personnages imaginaires chargés de sens, dont
l’histoire porte un enseignement. On pense à Adam et Eve, ou l’apparition des
Dieux de l’Olympe, ou au Job biblique dont Annick de Sousenelle a si
magistralement décrypté la signification.
Il faut aussi distinguer le récit légendaire. Ce sont des oeuvres de fantaisie ou de roman, qui
racontent des aventures et des épopées peuplées de nombreux personnages. On
peut citer ici la Guerre de Troie, mais le Moyen Âge et l’époque contemporaine
fournissent aussi de nombreux récits légendaires. (La Chanson de Roland).
Certains
mythes, un peu oubliés, sont admirables.
Ainsi, voyons comment les grecs antiques
expliquaient l’origine du Monde Au commencement, était le Vide, un chaos
d’énergie inorganisée, au sein duquel flottaient deux sphères d’obscurité, Nyx,
la nuit, et son frère, l’Erèbe.
Puis l’Erèbe descendit pour fonder le monde d’en
bas, l’au-delà. Alors la Nuit s’ouvrit par le milieu, comme éclate un fruit
mûr, pour donner le monde d’en haut, celui des vivants, notre Terre.
L’hémisphère inférieur devint la terre, Gaïa.
Celui du haut forma le ciel, Ouranos.
Entre les deux naquit Eros, l’amour primordial.
De l’amour d’Ouranos et Gaïa naquirent toutes les
choses, les Dieux et les Hommes. On trouve quelques variantes de cette
histoire, mais l’enseignement est bien fixé.
Le Ciel et la Terre, Ouranos et Gaïa, sont des
réalités matérielles. Eros est différent. Il est la force spirituelle qui va
structurer l’Univers. Pour les anciens grecs, l’amour était donc la grande et
l’unique force créatrice du Monde. Puis le temps passa, et l’Eros primordial
fut oublié. Les conteurs romancèrent et Eros devint plus tard le simple fils
d’Aphrodite dans le mythe cyclique des Olympiens.
Nous savons que le mental manipule des thèmes dont
la vérité est toujours relative par nature. A ce niveau de base, la vérité est
seulement une pensée, chose mentale, fragmentaire et intérieure. La pensée
fragmentaire consiste en un simple phénomène électrochimique cérébral.
Tant que l’on reste au niveau dogmatique ou
doctrinal, les religions, leurs révélations, leurs définitions, leurs
croyances, et leurs représentations de la déité, appartiennent aussi au monde
des idées. A ce niveau théorique, elles se situent dans cet univers
fantasmatique qui est un reflet électrochimique et évanescent de la somme des
diverses expériences émotives et sensorielles vécues par l’ego.
A
l’imagination, tous les dieux sont permis.
Dans un tel référentiel, tous les points de vue et
systèmes de pensée sont équivalents. Aucun objet mental, aucun assemblage
électrique cérébral, artificiel et fugitif par nature, ne vaut donc que souffre
ou meure un seul homme, qui pense autrement, cultivant d'autres fantasmes,
vivant d’autres magies, rêvant d’autres merveilles, découvrant d’autres
illuminations, dans la merveilleuse richesse et l’absolue liberté de son
univers personnel.
En tant que groupes sociaux, les religions relient
les hommes ensemble par le moyen d’une idée de Dieu, commune et partagée,
(laquelle vit peut-être quelque part sa propre nature d’idée). Elles font donc
aussi partie du Zoran, mais seulement d’une petite partie mystérieuse du Zoran
immense et inconnaissable. En tant qu’attitude individuelle sacramentelle, la
religiosité personnelle, (et non pas la religion), relie chaque homme à la
Déité dans son propre univers intérieur, lequel participe au Zoran.
Hélas, le plus souvent, les religions remplacent la
difficile relation directe à la Déité par une dévotion facile et convenue,
rendue à une image intérieure, (mentale, figurative ou idéologique).
Celle-ci est souvent rattachée à des représentations
extérieures sacralisées qui sont l’objet d’une vénération excessive. Les
religions génèrent alors des cultes ritualisés très assimilables à l’idolâtrie.
En ce qui concerne les anciens mythes qui nous sont
connus, et surtout les approches passées de la relation à la déité,
souvenons-nous que les anciens philosophes étaient généralement théologiens,
physiciens, métaphysiciens, mathématiciens, médecins du corps et de l’âme, tout
à la fois. Par conséquent, ils approchaient le réel de façon assez globalisante,
très différente de l’approche étroite des spécialistes d’aujourd’hui.
Ils représentaient les grandes forces universelles par des figurations
visionnaires, apocalyptiques, et extraordinaires Dans leur pensée cosmogonique,
ces symboles imagés étaient associés à des conceptualisations beaucoup plus
abstraites, relatives aux grandes forces organisatrices de l’univers. Celles-ci
étaient figurées par des formes d’autant plus étranges et redoutables qu’elles
étaient proches de la cause première. De la même façon, des figures
anthropomorphes, parfois ailées, symbolisaient des forces agissant dans la
psyché humaine.
Je parle ici des anges et des archanges si présents
dans l’iconographie médiévale. L’angélologie chrétienne représentait
l’organisation générale de la création par une hiérarchie complexe de figures
symboliques liées aux différents niveaux établis entre l’origine du Monde et le
comportement humain. On y trouvait les Chérubins, Séraphins, Trônes,
Dominations, Vertus, Puissances, Archaï, Archanges, Anges, à la suite desquels
il semblait logique de placer Adam, l’Homme actuel déchu (dans sa variété
Sapiens), puis Xristus l’Homme recréé, puis l’Adam Kadmon, l’Homme céleste
enfin réalisé.
En face de ces niveaux bénéfiques associés aux plans
de la réalisation des objectifs divins, il était également logique d’imaginer,
(et de représenter), les difficultés et les divers niveaux d’obstacles, par des
symboles maléfiques, et tout un cortège hiérarchisé de puissantes figures
démoniaques et lucifériennes. Au fil des années, les disciplines d’étude ont
été dissociées. Les figurations ont alors perdu leurs significations
symboliques ou allégoriques, mythiques ou occultes et n’ont gardé que leur
aspect commun non signifiant, souvent dogmatique.
A partir de la perte du sens, une forme
d’obscurantisme particulière est apparue. Elle a commencé à la fin du moyen âge
lorsque que le pouvoir religieux en dégénérescence a interdit de révéler les
sens cachés des symboles. Ils ont alors été oubliés. Cependant, lorsque l’on
parle d’obscurantisme, les gens croient actuellement que l’on fait référence
aux débuts des temps historiques, aux époques lointaines, dites de paganisme.
Quelle erreur !
Nous pouvons maintenant bien percevoir les analogies
évidentes qui rapprochent les conceptualisations passées des philosophes
anciens, (mythiques, ésotériques), et les conceptualisations nouvelles,
(cosmogoniques, scientifiques), des chercheurs contemporains. Ceux-ci sont
spécialisés. Les physiciens représentent le Monde par une hiérarchie compliquée
de forces physiques implacables et impersonnelles, généralement symbolisées de
façon mathématique par des formules complexes et irréelles, incompréhensibles
au commun des mortels.
Plus proches du sensible sont les psychanalystes qui
sondent nos coeurs et nos âmes pour y découvrir les gisements de nos pulsions
les plus sublimes et les plus perverses, dont ils exposent les ressorts dans un
langage de chapelle.
Le Big-bang
pourrait être un Séraphin.
Entre les anciens et les modernes, les différences
peuvent apparaître énormes. Elles ne sont dues qu’aux reflets différents que
proposent aux différentes époques, les différents miroirs mentaux personnels
des penseurs.
Ces images électrochimiques variées, liées aux
facultés de représentation personnelles également variées des chercheurs, sont
prises pour des traductions objectives du réel, véritablement représentatives
des insondables mystères du Zoran.
Revenons maintenant sur les certitudes dogmatiques,
et voyons rapidement ce que couvrent les crédos de la plupart des systèmes
philosophiques et religieux actuels, y compris les plus grandes religions
monothéistes et leurs rites.
Le Zohar.
C’est un texte obscur, un traité kabbalistique issu
probablement de la Gnose juive. Apparu au lointain Moyen-âge, il provient d’une tradition plus antique. Il est composé
de courtes parties mal reliées entre elles. Structuré comme un aide mémoire, il
semble avoir été destiné à accompagner un enseignement ou un discours verbal.
Je vais vous soumettre quelques fragments d’une partie qui a longtemps été
considérée comme très secrète, et dont la détention même a été interdite
jusqu’au 19ème siècle.
Même dans la traduction soignée qu’en a faite Paul
VULLIAUD, (dont mes commentaires sont largement inspirés), le texte reste
obscur et sa lecture est très pénible. Chaque fois que je m’y suis attaché,
j’ai rapidement été découragé. J’avoue m’être
parfois endormi. Et c’est en me réveillant un jour, face au texte, qu’il
m’a semblé enfin commencer à comprendre.
Dans les paragraphes qui suivent, les fragments du
Zohar sont en retrait, les commentaires sont alignés à gauche.
SEPHER HA-ZOHAR. SIPHRA
DI-TZENIUTHA ou Livre du Secret. (Ou de la Pudeur).
Le Livre Secret concerne
l’équilibre de la Balance.
La balance est un symbole ésotérique redondant. On
le retrouve fréquemment, aussi bien dans la pesée des âmes chez les anciens égyptiens que dans les noces
initiatiques de Christian Rosenkreuz. Cependant, le concept kabbalistique de la
Balance concerne ici l’équilibre entre le principe masculin et le principe
féminin, déploiements duels de l’unité principielle. Les principes sont
inséparables tant dans l’unité archétypale non manifestée, (le monde d’en haut,
le Mi), que dans la réalité manifestée, (le monde d’en bas, le Ma). Ils se
rencontrent dans l’Homme conscient, (à la fois micro cosmos, petit monde, et
micro théos, petit dieu).
La tradition représente l’Inconnaissable, « dans
sa manifestation humaine », sous forme d’un schéma symbolique,
« l’arbre des Sephiroth », composé de trois triangles superposés.
Ils correspondent à la trilogie (Âme, Esprit,
Corps). Le triangle supérieur est particulier, et a la pointe en haut, car il
symbolise la partie spirituelle de la manifestation. Il est formé de la
Couronne, (La Tête), de la Sagesse, (Père divin, épaule droite), et de
l’Intelligence, (Mère divine, épaule gauche). Le médian a la pointe en bas et
comprend la Beauté, ou l’Epoux, (La Poitrine), la Miséricorde, (Bras droit), et
la Rigueur, (Bras gauche).
La Victoire, (Jambe droite), la Gloire, (Jambe
gauche), et la Base, (Organe sexuel), forment le triangle inférieur qui a
également la pointe tournée vers le bas.
Le Règne, (l’Epouse), est la dixième Sephira, qui
représente l’Homme complet.
On voit bien que tout le coté droit figure le
principe mâle.
Le coté gauche est le principe femelle, et le
milieu, (la colonne vertébrale), symbolise la descente génératrice de l’esprit
dans le corps de l’Homme.
Avant qu’il n’y eut Balance,
la Face ne regardait pas la Face. Aussi les premiers rois sont-ils morts, et la Terre a été dévastée jusqu’à ce que la
Tête le plus désirable l’ait disposée et ornée de vêtements précieux. Cette
balance a été suspendue au Non-Etre. Ont été pesés dans cette balance tous les
êtres qui sont disparus, tous ceux qui existent, et tous ceux qui seront.
Les premiers Rois sont les premiers mondes émis par
Binah, la Mère, l’Intelligence. Cet univers n’est pas le premier. L’ancien
n’était pas équilibré et a été détruit.
L’expression « La Tête la plus désirable »
désigne le principe de l’Amour Même, ou l’Ain-Soph, (l’Infini). Cet Infini
éblouissant ne pouvait être contemplé directement. Il s’entoura de cinq
enveloppes afin d’obscurcir sa lumière. (Le Grand Visage, le Père, la Mère, le
Petit Visage, et l’Epouse (du petit Visage). Ces représentations imagées sont
probablement à l’origine de la légende du Baphomet, révéré par les Templiers.
(Pour ce culte ésotérique, Clément V et Philippe-le-Bel les envoyèrent au
bûcher).
Nous trouvons ensuite est un
long développement chargé de descriptions assez biologiques du grand et du
petit visages dont les détails plongeaient les Kabbalistes dans le ravissement.
Il y a également des explications détaillées sur les conséquences des
combinaisons formées par les lettres composant les noms donnés à Dieu.
Vingt-deux lettres sont invisibles et vingt-deux lettres sont visibles. Un Yod
est caché, un Yod est révélé.
Pour les Kabbalistes, les lettres de l’alphabet
hébreu ont un pouvoir caché et un genre, masculin ou féminin. Le visible et
l’invisible s’équilibrent dans la Balance. Dans le Monde de la Création, les
deux Protoplastes, parfaitement unis en Haut, descendirent et occupèrent la
Terre. Ils négligèrent la Miséricorde et furent alors assujettis à la Rigueur.
Il importe de savoir que dans le Mi, le nom caché du Père c’est Jéhovah, et le nom
caché de la mère c’est Elohim. Le nom complet de Dieu dans le Mi, c’est
Jéhovah-Elohim, qui unit les deux principes, (et dans le Ma, c’est Adam, mâle
et femelle)
A l’origine, Dieu créa le
Ciel et la Terre.
Création d’Adam et La Bible.
Si vous le voulez bien, nous allons maintenant nous
pencher un instant sur l’ouvrage littéraire le plus ancien, le plus connu et le
plus répandu dans le monde, la Bible. La Bible raconte l’histoire d’un peuple
qui se disait élu de Dieu. Avez-vous déjà lu objectivement la Bible ? Je dis «
objectivement », c’est-à-dire en prenant en compte le texte entier et intégral,
sans trier, sans garder ce qui plaît, et sans rejeter ce qui gène. Vous savez
que le premier livre de la Bible est la Genèse. C’est un livre qui raconte la
création du Monde d’une façon très imagée. Au premier abord, après que l’on ait
accepté d’admettre que l’on est devant
un récit mythique, non pas historique, et en le lisant au premier degré,
la Genèse semble être un assez joli poème. Il a été écrit dans le cadre d’une
cosmogonie antique qui ne correspond plus aux canons scientifiques actuels.
Pour le plaisir, je vais donc me permettre de tenter
une petite mise à jour. Les Ecritures en ont vu d’autres depuis tant de
siècles. Je vous propose de méditer un instant sur ce petit aggiornamento de la
Genèse. Sous des appellations de fantaisie, les physiciens identifieront les
bases de leurs credos actuels. J’ai aussi
sincèrement tenté de respecter les fondements des doctrines et des
principes auxquels tiennent les religieux.
- PREMIER RECIT -
A l’origine, Dieu créa le
Ciel et la Terre,
En six paroles, Il les créa.
Et la Lumière fut. Elle
était toute chose à venir,
Et la Source des siècles, et
brillait de toute la Gloire de Dieu.
Les Forces procédaient de la
Lumière.
Elles formaient le tissu de
l'Espace et du Temps.
Les Germes procédaient des
Forces.
Et d'eux toutes choses sont
composées.
Les Globes procédaient des
Germes.
Et d’eux proviennent tous
les Mondes et le Notre.
La Vie procédait du Monde et
produisit les Plantes.
Et tous les Animaux, qui
peuplent les eaux, la terre, et le ciel.
Ainsi furent créés le Ciel
et la Terre, en six paroles.
Chaque chose dans une chose,
chaque vie dans une autre vie,
Tout procédant de la
Lumière,
Et la Lumière procédant de
Dieu
Dieu vit que ce qu'il avait
fait était bon
Et garda tout en Son Esprit,
car c’était le jour de Dieu.
Dieu créa l'Homme à son
image,
De terre et d’eau, et d’un
souffle d’Esprit.
Il y eut un soir, il y eut
un matin,
Et ce fut le jour de
l’Homme,
Ce nouveau jour, Dieu se
repose, et l'Homme dit :
« Je referai ce Monde,
à ma façon ...»
- DEUXIEME RECIT -
A l’origine, Dieu créa
l'Homme.
De Terre et de Sang Il le
modela.
Puis Il souffla la vie en
lui,
Et l'Homme devint une âme
vivante.
De la chair de la Terre, du
souffle de l'Esprit,
Dieu le fit, Homme et Femme
Il les fit.
Puis Il donna Eve à Adam,
Et à Adam il donna Eve,
Dieu plaça l'Homme en sa
jeunesse,
En Eden, au jardin
d'innocence,
Afin qu’il possédât le
Monde,
Donnant aux animaux un nom.
Et l’Homme reconnut tout
être,
Mais aucun ne lui
ressemblait.
L’intelligence de l'Homme
ouverte,
Il connut le Bien, fit le
Mal.
Ses yeux virent la chair et
la mort,
Il s’enfuit de devant la
Face.
Et l'Homme s'en fut dans son
Monde,
Les pieds boueux, la tête au
ciel,
Sachant sa mort inéluctable,
Rêvant toujours d’éternité.
Et les portes dorées du
Jardin d'innocence,
Furent alors à jamais
refermées.
Lorsque j’ai rédigé ces fantaisies, j’étais assez
amusé et content du résultat. Pourtant, je me suis ensuite posé quelques
questions.
Est-il légitime de jouer à
réécrire de tels textes ?
Le second récit concerne le mythe de la d’Eve. Pris
au premier degré, tous ces détails sont folkloriques et semblent sans
importance. Mais la Bible a été écrite à plusieurs niveaux. Avant même que l’on
aborde la signification mythique des événements du récit, nous savons que les
noms d’Adam et d’Eve, ont une forte signification dans leur forme hébraïque. Il
en est de même de l’appellation donnée à Dieu comme nous l’avons vu dans
l’approche du Zohar.
Dans ces conditions, il est évident qu’on ne doit
pas toucher au texte que la simple traduction altère déjà très gravement.
La seule valeur du petit travail ci-dessus reste de
dilettantisme.
Mais nous n’en avons pas fini avec la Bible et
lorsque nous continuons la lecture, nous trouvons des choses intéressantes, sur
lesquelles je ne me permettrai ici aucun commentaire.
Par exemple,
la conception de Samson. (Juges 13).
Il y avait un homme de
Tsoréa qui s’appelait Manoach.
Sa femme était stérile et
n’enfantait pas.
Un ange de l’Eternel apparut
à la femme et dit. Voici.
Tu es stérile et tu n’as pas
d’enfant.
Tu deviendras enceinte et tu
enfanteras un fils. Le rasoir ne passera pas sur sa tête, car cet enfant sera
consacré à Dieu dés le ventre de sa mère, etc..
La femme enfanta un fils et
lui donna le nom de Samson.
Rapprochons
cela de la conception de Jean Baptiste. (Luc, 1.5).
Il y avait un sacrificateur
nommé Zacharie, dont la femme s’appelait Elisabeth. Ils n’avaient pas
d’enfants, parce qu’Elisabeth était stérile, et ils étaient fort avancés en
âge.
Un ange de Dieu apparut à
Zacharie et dit. Ne crains point, Zacharie, car ta prière a été exaucée.
Ta femme enfantera un fils
et tu lui donneras le nom de Jean. Il sera grand devant le Seigneur, et il sera
rempli de l’Esprit-Saint dés le sein de sa mère.
Le temps où Elisabeth devait
accoucher arriva et elle enfanta un fils, etc.., et on lui donna le nom de
Jean.
Voir aussi
concernant la nourriture des hommes. (Gen.1,27/29).
Dieu créa l’homme à son
image,
Il le créa à l’image de
Dieu, Il créa l’homme et la femme.
Dieu les bénit et leur dit.
Soyez féconds, multipliez,
Remplissez la Terre et
l’assujettissez,
Et dominez sur les poissons
de la mer,
Sur les oiseaux du ciel,
Et sur tout animal qui se
meut sur la terre.
Dieu dit. Voici, je vous donne toute herbe
portant semence
Et qui est sur la surface de
toute la terre,
Et tout arbre ayant en lui
du fruit d’arbre
Et portant de la semence.
Ce sera votre nourriture.
Avant qu’Adam
croquât la pomme,
Dieu l’avait
fait végétarien !
Et aussi ce verset tellement inquiétant, que Louis
Segond atténue en traduisant « de toute iniquité ».
Je suis la
source de tout bien et de tout mal.
Ce verset peut être rapproché de l’histoire de Job,
dans laquelle, à plusieurs reprises, on voit Satan demander à Dieu
l’autorisation de tourmenter le patriarche, et l’obtenir. La Bible contient
aussi des passages horribles, pleins de sang et de fureur, de massacres et de
supplices, de viols, de tromperies, et de sacrifices humains, perpétrés au nom
de Dieu ou sur son ordre. Nous reviendrons sur ce sujet au prochain chapitre.
Je vous propose maintenant une réflexion sérieuse et
grave, posée par le contenu du prologue de l’Evangile de Jean. Il est bien
établi que celui-ci est un texte majeur, fondateur du dogme principal de la
religion catholique. Jeanine SOLOTAREFF, présente l’exégèse réalisée par Paul
DIEL. Celui-ci estime que le texte originel semble avoir été modifié et a subi
des translocations qui concernent les versets 6-7-8-9-15. Ils auraient été
déplacés, en les remontant depuis leur place initiale vers le début du texte.
En conséquence, la valeur initialement symbolique du Prologue est devenue un
dogme fondateur. Voici un texte inspiré de Louis Second que j’ai reconstruit
dans la forme proposée par P.Diel et J.Solotareff.
PROLOGUE DE
L’EVANGILE DE JEAN
Partie 1.
(1)- Au commencement était la Parole, et la Parole
était avec Dieu, et la Parole était Dieu.
(2)- Elle était au commencement avec Dieu.
(3)- Toutes choses ont été faites par Elle, et rien
de ce qui a été fait n’a été fait sans Elle.
Partie 2.
(4)- En Elle était la vie et la lumière des hommes.
(5)- La lumière luit dans les ténèbres et les
ténèbres ne l’ont pas reçue.
(10)- Elle (la Parole) était dans le monde et le
monde a été faite par Elle, et le monde ne l’a pas connue.
(11)- Elle est venue parmi les siens et les siens ne
l’ont pas accueillie.
(12)- Mais à tous ceux qui l’ont reçue, Elle a donné
pouvoir de devenir enfants de Dieu. A ceux qui croient en son nom.
(13)- Qui ne sont pas nés du sang ni de la volonté
de la chair ni de la volonté de l’Homme, mais de Dieu.
Partie 3.
(14)- Et la Parole est devenu chair et Elle a habité
parmi nous pleine de grâce et de vérité, et nous avons contemplé sa
gloire, comme la gloire qu’un fils
unique tient de son père.
(16)- Car de sa plénitude, nous avons reçu grâce
pour grâce.
(17)- Car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et
la vérité sont venues par Jésus-Christ.
(18)- Dieu, personne ne l’a jamais vu, le Fils
Unique qui est dans le sein du Père, celui-là l’a fait connaître.
Partie 4.
(6)- Il y eut un homme envoyé de Dieu, son nom était
Jean.
(7)- Il vint pour servir de témoin, pour rendre
témoignage à la lumière, afin que tous par lui fussent amenés à la foi.
(8)- Il n’était pas la lumière, mais il parut pour
témoigner au sujet de la lumière.
(9)- Cette lumière était la lumière véritable qui en
venant dans le monde illumine tout homme.
(15)- Jean lui a rendu témoignage et n’a cessé de
crier: « C’est celui dont j’ai dit « Celui qui vient après moi a existé avant
moi, car avant moi il était »..
Sans prendre définitivement parti, je suis assez
troublé. Car lorsque ces versets sont replacés dans l’ordre proposé par Paul
DIEL, on remarque bien que le texte comporte quatre parties tout à fait
cohérentes et très distinctes.
lLa première partie est
métaphysique. Elle parle clairement du mystère appelé Dieu, et de ses rapports
avec le Verbe, source des manifestations existentielles.
lLa seconde partie nous dit
ce que sont les rapports entre le Verbe et l’Homme, et nous explique le vrai
sens de la vie.
lLa troisième partie, et elle
seule, parle de l’Homme-Jésus, appelé Fils de Dieu ou Verbe incarné.
lLa dernière partie enfin,
nous expose la mission de Jean.
Percevez-vous bien toute la portée de l’observation
de Paul DIEL, et les conséquences sur les dogmes du catholicisme de cette toute
petite remise en ordre des versets du
Prologue?
L’interprétation traditionnelle du Prologue est
dogmatique. Dieu est alors un être réel, qui se tient dans la transcendance,
accompagné du Verbe et de l’Esprit. L’espoir de l’humanité repose sur la bonté
de ce Dieu personnel, attaché à juger les hommes, et qui a fini par envoyer
le Verbe, personnage réel, lequel a pris la forme humaine de Jésus, Fils
Unique.
Paul DIEL propose une exégèse symbolique. Dieu est
un symbole qui a été imaginé par l’homme pour exprimer son angoisse devant les
mystères auxquels il est confronté. Jésus est ici considéré comme l’incarnation
du sens de la vie appelé symboliquement «Parole» ou «Verbe». L’espoir de
l’humanité repose la capacité évolutive de l’homme de se délivrer de sa
vaniteuse angoisse. Jésus est le Christ incarné car il a pleinement accompli
cet idéal. C’est seulement en ce sens qu’il est le Fils qui porte l’espoir
évolutif des hommes.
Les quatre
Vivants.
Avant de clore ce chapitre, je voudrais encore
parler du tétramorphe, c’est-à-dire des quatre figures surprenantes évoquées
dans la Bible sous l’appellation des quatre Vivants, puis reprises par la
tradition judéo-chrétienne. Elles sont souvent présentées sur les tympans des
anciennes églises romanes, sous les formes d’un Taureau, d’un Lion, d’un Aigle,
et d’un Homme. Les chrétiens leur attribuent aujourd’hui la valeur d’une
représentation symbolique des quatre évangélistes, mais la signification des
signes est beaucoup plus ésotérique, et leur origine est bien plus ancienne. Il
est vrai qu’on les trouve au premier siècle dans l’Apocalypse de Jean, mais elles sont déjà bien présentes
dans la grande vision d’Ezéchiel, qui est à dater de 600 av. JC. Par ailleurs,
il existe d’autres tétramorphes égyptiens, plus antiques, et cathares, plus récents, qui présentent de
grandes analogies. Le tétramorphe des quatre fils d’Horus est formé d’un
oiseau, d’un chacal, d’un singe cynocéphale, et d’un homme. Le tétramorphe
cathare pourrait être dérivé du biblique. Il est composé d’un oiseau, d’un
poisson, d’une bête mal identifiée, et d’un homme. Il y a d’autres combinaisons
historiquement constatées, mais en restant au niveau de cette seule série
limitée, on peut déjà montrer une continuité dans la volonté de transmettre une
image symbolique dont nous devons chercher la signification. Voici quelques
extraits des deux principaux textes qui constituent les sources principales du
tétramorphe symbolique.
Extraits de
la vision d’Ezéchiel. (1,10)
Je regardais, et voici qu’un
vent de tempête venait du nord, une grande nuée, ainsi qu’un feu jaillissant et
un éclat tout autour, et au milieu du feu comme le scintillement du vermeil. Et
au milieu du feu, une forme de quatre Vivants dont voici l’aspect. Ils avaient
une forme d’homme. Chacun avait quatre faces et chacun d’eux quatre ailes.
Quant à leurs jambes, la jambe était droite et la plante de leurs pieds était
comme la plante du pied d’un veau, et elles brillaient comme un scintillement
de bronze poli. Des mains d’homme étaient sous leurs ailes, et sur les quatre
cotés, et leurs faces à tous les quatre ne se tournaient pas quand ils
avançaient. Ils allaient chacun droit devant soi. Quant à la forme de leurs
faces. Une face d’homme et une face de lion à droite, à tous les quatre, une
face de taureau du coté gauche à tous les quatre, une face d’aigle à tous les
quatre. Leurs ailes étaient déployées vers le haut. Chacun d’eux avait deux
ailes qui se rejoignaient, et deux couvraient le corps. Etc.
.
Extraits de
l’Apocalypse de Jean. (4,1-11)
Aussitôt je fus ravi en
esprit. Et voici qu’un trône était placé dans le ciel, et sur ce trône
quelqu’un était assis. Et celui qui était assis était semblable d’aspect à une
pierre de jaspe et de sardoine. Et tout autour du trône, un arc-en-ciel
semblable à un aspect d’émeraude. Et tout autour du trône, vingt-quatre trônes,
et sur ces trônes vingt-quatre Vieillards assis, habillés de vêtements blancs,
et sur leurs têtes des couronnes d’or. Et du trône sortent des éclairs, et des
voix, et des tonnerres. Et, brûlant devant le trône, sept torches de feu qui
sont comme les sept esprits de Dieu. Et devant le trône, comme une mer
vitrifiée semblable à du cristal. Et au milieu du trône et autour du trône,
quatre Vivants pleins d’yeux par-devant et par-derrière; et le premier Vivant
est semblable à un lion, et le deuxième Vivant est semblable à un jeune
taureau, et le troisième Vivant a la face comme celle d’un homme, et le
quatrième Vivant est semblable à un aigle qui vole. Et les quatre Vivants ont
chacun d’eux six ailes, et tout autour et au-dedans ils sont pleins d’yeux.
L’image des quatre Vivants, ou des Guides, ou des
Gardiens, a été représentée dans l’église chrétienne jusqu’au Moyen Âge.
Les Vivants montrent le chemin du passage de la
condition terrestre à la condition divine, la transition entre du monde
matériel manifesté du Ma, au monde de l’Esprit, le monde du Mi.
Dans l’imagerie de l’Eglise primitive, le Taureau
c’est le Corps, le Lion c’est l’Âme, l’Aigle c’est l’Esprit, et l’Homme enfin,
c’est l’Homme-Dieu réalisé. L’Homme Total doit être également à la fois Prêtre,
Prophète, et Roi. On retrouve bien ici la division ternaire de la manifestation
de Dieu dans l’homme, puis sa résolution dans l’unité, base de toute la
spiritualité antique, telle qu’elle était développée en Egypte, et telle aussi
qu’elle était exposée par l’imagerie compliquée de la Kabbale. En développant
sa vision, Ezéchiel identifie les Vivants aux Chérubins, dont nous avons vu
qu’ils régissaient la porte du ciel, les lieux de la sacralité la plus élevée.
Les Chérubins au glaive tournoyant, les Guides, les Vivants gardent la porte
qui mène à l’Arbre de Vie. Cela signifie que la conversion est nécessaire pour
accéder au divin, et que tenter de devenir Dieu sans Dieu mène seulement à la
mort.
Au 12ème siècle les quatre Vivants sont encore
partout dans l’imagerie religieuse et dans la statuaire des églises. C’est la
vision spiritualiste ancienne qui éclaire la foi. L’Homme sent et vit la
réalité de Dieu et croit ontologiquement à la possibilité de la déification par
la transfiguration de sa nature.
Soudainement, au courant du 13ème siècle, la
représentation des Vivants disparaît complètement. Cette transformation marque
bien évidemment un basculement de la spiritualité chrétienne (et de notre
civilisation). Dieu ne s’éprouve plus dans le coeur, il se prouve par la
raison, et s’impose par la force. L’Homme s’éloigne alors de Dieu, et la foi
descend au niveau de la matière. Dans le même temps que l’Inquisition est alors
institutionnalisée, et qu’apparaît la propagation dogmatique de la doctrine par
la violence, la torture, et les bûchers, l’Eglise se déspiritualise.
A ce moment, et très visiblement les Vivants, les
Chérubins parmi nous, se retirent. Pourtant ils subsistent encore de façon
cachée, car ils sont éternels. Nous pouvons constater cette subsistance dans
les anciennes sculptures des cathédrales, (Comme à Lautenbach), mais aussi dans
la légende des rois mages et les cadeaux faits au Prêtre, l’encens, au
Prophète, le myrte du triomphe, et au Roi, l’or, devant Jésus, l’enfant
annonçant l’Homme total. On les retrouve même, o ironie, jusque dans la
décoration de la triple tiare pontificale.
En avançant dans notre réflexion, dans la mesure
autorisée par notre indépendance d’esprit, nous commençons maintenant à
percevoir des évidences importantes. Toutes les religions sont des réponses
humaines et terrestres à une pression psychologique essentielle que les hommes
ressentent comme un appel surhumain venant d’un monde primordial. Elles ont été
fondées par des prophètes, qui sont des médiateurs entre ces deux termes, et qui
ont imaginé les mythes et les doctrines qui portent les images de leurs visions
sacramentelles. Mais un sérieux problème est posé aux hommes. Au fil des temps,
les dépositaires changent le sens des symboles ou des mots anciens qu'ils ne
comprennent plus. Ils changent parfois les symboles ou les mots eux-mêmes.
C’est pour cela que chaque homme religieux, mais réellement libéré des dogmes
obscurcissants, doit chercher à retrouver le sens profond et véritable des
testaments fondateurs de sa propre religion. Ils recèlent tous des parcelles de
vérité. Elles s’éclaireront alors à la lumière des connaissances que chaque
chercheur pourra acquérir, ainsi qu’à celle des intuitions qu’il pourra allumer
dans son propre coeur.
Le prochain chapitre approfondira les notions
d’asservissement et de liberté, d’intolérance et de crime politique, économique, et religieux. Pour le
préparer, je vous propose la lecture d’une courte prière cathare. Ces
gnostiques chrétiens ont été anéantis au 13ème siècle, par l’Inquisition
catholique, dans un terrible holocauste de gibets, de haches, et de bûchers. Le
Pater Noster des Cathares demande au Père Divin le simple don de nourritures
spirituelles et surnaturelles.
« Paire
nôstre que sés dins lo cél,
que ton om se
santifique,
que ton renhe
nos avenga,
que ta volonta
se faga
sus la térra
coma dins lo cel.
Dona-nos
uéi nôstre pan supra subtancial,
perdona-nos
nôstres deutes
coma nosautres
perdonam a nôstres debitors,
e fai que
tombem pas dins la temptacion,
mas
deliura-nos del mal »...
.
J |
e refuse,
donc je suis !
Ne mets aucune tête au-dessus de ta tête. Si la
doctrine te bouleverse, bouleverse à ton tour la doctrine. (Tchan)
La liberté est une investiture. (Jünger)
Le
fond de tout, c’est qu’il n’y a pas de grandes personnes. (André Malraux).
Au point où nous en sommes arrivés, nous pouvons
maintenant tenter de formuler quelques prises de conscience. Nous sommes
enfermés dans de nombreuses contraintes, habitudes ou illusions. Les plus
basales, physiques ou chimiques, sont liées aux propriétés de la matière et aux
caractéristiques de cette Terre. D’autres sont biologiques, en relation avec
l’histoire de la vie en général, puis à la genèse de notre espèce particulière
avec les spécificités de nos organes sensitifs, puis au bagage génétique porté
par notre propre corps. Certaines sont mentales. Elles sont induites par le
fonctionnement de notre cerveau, ou bien trouvent leurs sources dans les
systèmes qu’il utilise pour traiter les informations qui lui parviennent, en
relation avec le contenu de ses banques de mémoire et la signification donnée
aux signaux de perception. D’autres encore proviennent des environnements
divers dans lesquels nous vivons.
Nous avons vu que tous ces éléments, conscients ou
inconscients, personnels ou collectifs; sont puisés dans le bagage génétique ou
dans la mémoire des expériences vécues, et sont rangés dans des armoires
mentales dont l’ensemble référentiel constitue l’ego, lequel est
fondamentalement fixé au passé.
L’ego est la somme de ces éléments provenant tous du
réel expérimenté, dans le passé proche ou lointain. Cette incarnation du passé
pilote en permanence le comportement actuel des hommes, et détermine
puissamment la façon dont ils se conduisent dans l’instant présent.
On peut par conséquent considérer que l’Homme est
devenu le sujet de multiples esclavages qui le lient au passé. La descente dans
la servitude semble s’aggraver, et l’espace de liberté humaine paraît se
réduire à mesure que le temps passe et que le contenu des expériences vécues
s’accroît. Dans le même temps, s’éveille en chacun la conscience que l’Homme
est autre chose que ce prisonnier du passé. Nous pressentons désormais, au fond de nous-mêmes, la présence d’un être
différent, en devenir.
Plusieurs problèmes fondamentaux se posent donc aux
hommes.
lPourquoi cette prise de
conscience se produit-elle maintenant, dans les profondeurs de cette condition
d’esclavage ?
lComment liquider toutes ces
aliénations, que les occultistes appellent Karma, et opérer la libération de
l’être intérieur caché (ou en devenir) ?
Nous vous proposons d’examiner ce que sont les
éléments constitutifs de ces karmas d’esclavage, au sens très général du terme,
puis de réfléchir à la façon dont il pourrait être possible d’essayer de s’en
dégager, c’est-à-dire de tenter de réaliser la liquidation de ces karmas.
Souvenez-vous que les physiciens expliquent la
naissance de l’univers en imaginant qu’une fluctuation du vide originel a
provoqué l’apparition des fondements de la matière. Le mot « vide » ne
doit pas nous induire en erreur. La physique dit seulement qu’il n’y avait
alors ni matière ni énergie manifestées dans le milieu originel d’où celles-ci
devaient sortir. Cependant, le contenu pré énergétique et les conditions
oscillatoires qui devaient conduire à la production de l’univers
spatio-temporel existaient, puisque celui-ci est apparu.
Quelle que soit l’appellation, (culturelle), qu’on
leur donne, ces conditions constituent l’origine primordiale, la cause
première, de toutes les productions ultérieures de l’univers, des particules,
des atomes, des étoiles, des planètes, et des êtres vivants, donc celle de
l’Homme en général, et de chacun d’entre nous en particulier. Comprenons bien
que les relations qui relient cette origine primordiale à l’existence actuelle,
y compris à l’Homme, sont à sens unique.
Elles sont constituées d’émergences successives,
dans lesquelles le hasard imprévisible, la nécessité liée aux compétitions
vitales, et la poursuite de la réalisation de l’idiomorphon, ont pu jouer un
rôle. Le présent s’explique par le passé, mais le passé ne déterminait pas plus
le présent que l’actuel ne détermine l’avenir.
Nous constatons que la caractéristique évidente du
Réel est l’impermanence, car le passé est continuellement détruit pour engager
l’ouvrage actuel. A chaque phase, une structure nouvelle apparaît, comme
l’univers a émergé du vide originel. Ces nouveautés sont des émergences, des
créations originales. A chaque instant de l’éternel présent, la chose passée
est transformée en la chose nouvelle maintenant créée. A tout moment, nous
pouvons voir de nos yeux cet acte, à la fois destructeur et créateur, cette
expression immanente du Zoran, fonctionner dans la simplicité de son oeuvre
permanente.
Nous avons précédemment établi que les particules
élémentaires, qui constituent cet univers indéfiniment variable, étaient
éternelles, et que les protocellules vivantes, à partir desquelles est bâti
notre corps périssable, étaient immortelles. On doit en déduire un fait
personnel très important.
Chacun habite
continûment cet univers
depuis son origine.
A partir du vide originel, et pendant l’immense
durée du temps passé, chacun de nous a cheminé, à travers des états divers et
successifs, depuis la particule jusqu’à l’état humain conscient actuel, lequel
constitue aujourd’hui même la mémoire matérielle, (incessamment mortelle), de
cette expérience exploratoire.
Depuis l’origine primordiale, nous avons quitté
l’ancien état mystérieux, le Zoran non manifesté, tel qu’il demeure avant que
fussent la matière, le temps, et la conscience, et nous sommes entrés, à
l’instant éblouissant de l’explosion originelle, dans l’univers indéfiniment
variable où nous existons maintenant et très provisoirement. La vie installée
en nous aux origines ne s’est jamais interrompue. Pendant des milliers de
millions d’années, elle a poursuivi sa
course périlleuse, de génération en génération, de germen en germen, jusque
dans l’actuel soma. Par un hasard extraordinaire, traversant tous les dangers
et les pièges accumulés, cette mécanique physiologique, ce corps que nous
habitons aujourd’hui, n’a encore jamais connu la mort que nous allons
prochainement expérimenter et qui reste donc un grand mystère.
Comprenons bien que chacune des émergences qui nous
ont conduits pas à pas à la condition actuelle constituait un cheminement à
double sens, un processus à double effet.
On peut le concevoir comme un progrès, une montée,
partant de l’indéfini originel au fini actuel, mais on peut tout aussi bien y
voir une descente, une chute, une limitation croissante posée par les
contraintes existentielles du réel par rapport aux potentialités indéfinies de
ce qui aurait pu être idéalement possible. Ces enfermements dans des
contraintes de la matière constituent les premiers des servages dont il est ici
question.
Le tout premier esclavage est lié au passé de
l’univers. Il est imposé par la condition matérielle, limitée aux réalités de
l’existence physique asservies aux lois de l’espace-temps. D’autres limitations
sont liées à notre localisation spatio-temporelle dans l’espace. Nous utilisons
les composés chimiques actuellement possibles sur notre planète terrestre, en
raison de son passé, et nous sommes
soumis aux contraintes qui contrôlent leurs combinaisons.
Un autre esclavage se rapporte à la lointaine
origine cellulaire de notre corps vivant, dont les lois ont été évoquées dans
un précédent chapitre. Parce qu‘ils sont enfouis au plus profond de notre
corps, nous n’avons pas conscience de la puissance cachée des mécanismes
originels qui aujourd’hui encore assurent la survie des cellules, ni même de
celle des composants primitifs des proto-cellules qui ont construit ces
cellules.
Notre structure corporelle n’est pas aléatoire ni
librement choisie. Elle est définie par un schéma imposé par les chromosomes
portés dans notre bagage génétique. D’autres impérialismes règlent les façons
de vivre, telles la civilisation, la société, et la totalité de notre histoire
personnelle. Et comme cela a été dit lorsque nous avons exposé les théories de
Dawkins, voici qu’apparaissent des dictatures d’idées, impitoyables pour les
individus.
La première question, très préoccupante, qui se pose
à l’Homme est celle du sens véritable que suit l’orientation actuelle de ce
cheminement de notre être au sein profond de la matière.
Progressons-nous
ou régressons-nous ?
C’est une très grande et très difficile question.
Rappelons-nous le jeu du singe et du miroir, et combien on peut s’illusionner
avec des grands mots sans signification. Dans ce chapitre, nous allons essayer
de regarder réellement, sans illusion et sans truquage, l’image renvoyée par le
miroir de notre conscience lorsque nous y contemplons le reflet de nos actions
véritables. Pour engager cette introspection, cette descente à l’intérieur de
nous-mêmes vers les profondeurs obscures, nous allons faire un bref appel aux
mythes dont nous avons dit qu’ils transmettaient des enseignements à travers
les vicissitudes du temps.
Nous pourrions utiliser la légende de la Belle au
bois dormant, dans laquelle nous voyons le Prince vaillant, (et charmant),
traverser la forêt d’épines et venir éveiller sa Belle, endormie depuis cent
ans. (Les contes pour enfants transportent très souvent ce genre de mythe).
Mais je vous propose plutôt le mythe d’Orphée et d’Eurydice, encore bien plus
ancien, et qui finit beaucoup plus mal puisque Orphée ne réussit pas sa quête
difficile.
Orphée, c’est l’homme actuel et déchu, souffrant de
la ressouvenance du paradis perdu. Il cherche d’Eurydice, son âme originelle et
divine, oubliée, engloutie dans l’enfer de l’existence matérielle. Il désire
éperdument la rappeler du plus profond de cet enfermement jusque la vie, dans
le vrai monde des humains. Pour cela Orphée devra rencontrer, affronter,
maîtriser et charmer les puissances infernales. Mais il cédera à la tentation
de contempler son âme immortelle. Hélas, il se retournera vers elle,
s’attardera, oubliera un instant les démons qui l’entourent. Eurydice sera
renvoyée en Enfer et Orphée la perdra à jamais. Errant, désespéré, il sera
déchiré par les Bacchantes exaltées qu’il dédaigne.
Nous allons ensemble chercher notre Eurydice, donc
descendre dans ces enfers intérieurs de l’âme et de l’existence humaine.
Il nous faudra faire face à tous les démons qui
hantent notre commun passé inconscient, les amener et les garder à jamais dans
notre mémoire consciente. Nous admettons assez facilement la présence en
l’homme des pulsions vitales ordinaires, des démons animaux classiques, des
appétits de nutrition, de reproduction, de domination qui conduisent notre
pensée ordinaire.
Les anciens Thérapeutes du 4ème siècle considéraient
que ces moteurs de la pensée étaient des affections de l’âme, des cancers
psycho-spirituels qui agissaient sur la liberté humaine, et empêchaient l’Homme
de réaliser sa véritable nature.
Evagre le Pontique distinguait les maladies
spirituelles suivantes.
lGastrimargia. Gourmandise, et tous
appétits.(pathologies orales).
lPhilargutia. Avarice et autres
restrictions.(pathologies anales).
lPorneia. Exagération et déviations
des pulsions génitales.
lOrgè. Colère et pathologies
d’irascibilité.
lLupè. Envie, frustration,
dépression, tristesse et mélancolie.
lAscedia. Dégout, désespoir, pulsions
de suicide et de mort.
lKenodoxia. Vanité, stupidité,
inflation de l’ego.
lUperèphania. Orgueil, délire paranoïaque, schizophrénie.
Ultérieurement, sous l’influence de la religion
chrétienne devenue dominante, on identifia ces obstacles aux diabolos, (dia, ce
qui divise), aux démons, et on fit des symptômes de ces maladies du libre
arbitre, les sept péchés capitaux, qui sont les sources de tous les désordres
du comportement.
Outre ces pulsions ordinaires, ces démons presque
familiers que nous reconnaissons au quotidien, on trouve aussi dans l’Homme des
déchaînements beaucoup plus destructeurs et bien moins avouables.
Nous les refoulons habituellement dans les sombres
profondeurs de l’inconscient, mais nous pouvons cependant les sentir monter en
nous lorsqu’elles sont sollicitées.
Nous devons donc aussi prendre conscience que nous
sommes tous atteints par ces terribles maladies psychiques cachées. En un autre
langage, nous devons maintenant faire face à ces princes infernaux qui
inspirent nos actions, et parfois les gouvernent.
Souvenez-vous bien que lorsque le chemin est pris,
on ne peut faire marche arrière sans tout perdre. Sachez donc que les pages qui
suivent seront très désagréables car les réalités karmiques cachées sont
horribles. J’ai pourtant coupé l’indicible, et j’ai tenté d’épargner votre
sensibilité, autant que faire se pouvait.
Amis, il nous
faut donc cheminer,
ou renoncer ici même.
Orphée doit maintenant descendre aux enfers, ne
jamais oublier, mais ne pas s’y complaire.
Malheur à qui
s’attarde là-bas.
Que celui qui
est trop léger s’abstienne.
(C. Rosenkreutz)
Nous allons explorer l’histoire écrite de trente ou
quarante siècles de sauvage comportement humain et découvrir toutes les
conséquences des actions gouvernées par l’exagération des pulsions de pouvoir,
de possession, de violence, et de meurtre, l’horrible réalité permanente de
démons despotes, avides et sanguinaires.
« Ce que les hommes
appellent civilisation, c’est l’état actuel des moeurs et ce qu’ils appellent
barbarie, ce sont les états antérieurs. Les moeurs présentes, on les appellera
barbares quand elles seront des moeurs passées ». (Anatole France).
Voici ce que l’on trouve en déchiffrant l’écriture
cunéiforme des tablettes de terre cuite assyriennes qui nous racontent
l’histoire du roi Assourbanipal II, il y a 3000 ans. (10ème siècle av. JC).
« J’ai bâti une tour
prés de l’entrée de la ville. J’ai écorché tous les hommes de quelque rang, et
j’ai recouvert la tour de leurs peaux. J’ai fait empaler d’autres chefs au
sommet de la tour. J’ai fait couper les membres aux officiers. J’ai brûlé un
grand nombre de mes captifs. J’ai fait couper les mains ou les doigts, à
d’autres le nez ou les oreilles, ou j’ai fait crever les yeux d’un grand
nombre. J’ai fait brûler tous leurs jeunes gens et leurs jeunes filles. J’ai
rempli de cadavres les places et les maisons et la ville entière. J’ai détruit
des fondations jusqu’aux toits. J’ai tout dévasté, détruit par le feu. J’ai
fait creuser des canaux à partir de l’Euphrate et j’ai submergé les lieux,
transformant ce site en prairie. J’ai tué beaucoup de captifs de mes propres
mains ». Et aussi, « J’ai mis dans mon palais de grandes quantités d’or,
d’argent, d’étain, de bronze et de fer, butins des territoires que j’ai placés
sous mon contrôle ».
Lorsque Ezéchias, roi de Judée, se soumet, il n’est
pas très épargné.
« Au tribut précédent
j’ai ajouté 30 talents d’or, 800 talents d’argent, des joyaux, de l’antimoine,
des lits et des fauteuils d’ivoire, des peaux et des défenses d’éléphant, et
ses propres filles, et tout son harem, et tous les chanteurs et danseuses de
son palais ».
Il n’y a pas que l’Assyrie, et les Hébreux ne sont
pas que victimes. (1-Chroniq, 20). David, le grand roi biblique, est horrible.
Joab à la tête d’une forte
armée alla ravager le pays des fils d’Ammon et assiéger Rabba. Mais David resta
à Jérusalem. Joab battit Rabba et la détruisit. David enleva la couronne de dessus la tête de son roi, et la trouva du
poids d’un talent d’or. Elle était garnie de pierres précieuses. On la mit sur
la tête de David, qui emporta de la ville un très grand butin. Il fit sortir
les habitants, et il les mit en pièces avec des scies, des herses de fer, et
des haches. Il traita de même toutes les villes des fils d’Ammon. Puis David
retourna à Jérusalem avec tout le peuple.
Laissons passer deux mille ans. Rien ne change. Les
Romains conduisaient sans merci leurs opérations militaires. Ils massacraient
les chefs vaincus et envoyaient leurs têtes à Rome. Les guerriers survivants,
les femmes et les enfants étaient séparés et réduits en esclavage. Les révoltes
d’esclaves étaient sauvagement réprimées. Plusieurs milliers d’entre eux furent
parfois simultanément crucifiés le long des voies romaines.
La crucifixion était très
utilisée par les Romains comme par tous les peuples antiques. Elle consistait à
suspendre le condamné par les bras, et à le clouer sur un support quelconque, très souvent un
arbre, très rarement une croix véritable. On en a une représentation valable dans un tableau
d’Antonello da Messina. Le mot latin crux
n’implique pas l’idée moderne de croisement, (Sénèque). Il est dérivé du grec stauros, désignant originellement tout support vertical destiné à
ce supplice infamant. Le condamné mourrait lentement, asphyxié par la
contracture de ses muscles pectoraux. Les Juifs, très attachés aux aspects
sanitaires de la Thora, achevaient les suppliciés avant la fin du jour pour
enterrer immédiatement le cadavre souillé. Afin de ne pas entacher le prestige
de Rome, les citoyens romains n’étaient jamais crucifiés ni même flagellés.
Les premiers chrétiens
avaient une connaissance pratique des aspects dégradants et de l’horreur de la
crucifixion. Ils y faisaient donc très rarement référence, et ne représentaient
jamais le Christ sur la croix. Ce n’est que bien plus tard, au-delà du 4ème
siècle, après la disparition complète de cette forme juridique d’exécution des
criminels, que l’image en fut magnifiée et représentée dans les églises.
La croix symbolique est
maintenant présente partout où l’Evangile a été diffusé, mais le symbole
lui-même est bien antérieur au christianisme, et fut également utilisé dans
d’autres traditions pendant son développement. (exemple Orpheos Bakkikos du
Musée de Berlin, cachet orphique du 3ème siècle représentant un crucifié).
Les Romains imaginèrent aussi de donner en spectacle
la souffrance et la mort. Dans les cirques bondés, le peuple assistait aux
combats mortels des gladiateurs et parfois, (comme
les tricoteuses de la Révolution devant la guillotine), au martyre des
condamnés exécutés, torturés, ou livrés aux bêtes.
Encore deux mille ans. Venons-en au le Moyen Age,
époque de grandes invasions et de guerres innombrables. Les affrontements au
corps à corps étaient terribles.
Par exemple, en 451, les
Uns, alliés aux Wisigoths, envahirent la Gaule. Ils rencontrèrent les troupes
du général romain Aetius et des rois germaniques aux Champs Catalauniques, prés
de Troyes. Cette bataille féroce fit cent soixante-cinq mille morts en une
seule journée, (contraignant d’ailleurs Attila à rebrousser chemin). Ce chiffre
énorme mit alors fin à la lutte.
Il correspond, hélas, aux
pertes quotidiennes des guerres actuelles.
Les traitements infligés aux vaincus ne changèrent
guère au fil du temps.
Autre exemple, parmi tant
d’autres. Charlemagne, le grand empereur, n’inventa seulement l’école. Après
avoir écrasé les tribus du nord-est de la Germanie, il fit massacrer plus de
quatre mille captifs et déporter dix mille Saxons.
Avançons de mille ans. C’est la Révolution
française.
En France, à partir de 1792,
et pendant deux ans, la Révolution française prit un tournant sanguinaire. Dans
plusieurs prisons, à Paris, où il y a 1 200 victimes, et en province, beaucoup
de prisonniers furent massacrés dans des conditions épouvantables.
La Terreur s’installa. Les
tribunaux révolutionnaires commencèrent à envoyer à l’échafaud de très nombreux
suspects. 17 000 personnes furent guillotinées après un procès sommaire et sous
les lazzi de la foule. Puis c’est la Grande Terreur qui fit exécuter 25 000
personnes de plus sur simple constat d’identité.
Ensuite, on passera à l’écrasement de la Vendée et
aux grandes guerres napoléoniennes. Dans le même temps que la révolution
éclatait en France, une autre révolution avait lieu aux Antilles en 1791,
celles des esclaves noirs, fomentée par Toussaint Louverture. L’esclavage fut
supprimé par la Convention en 1794, mais Napoléon le rétablit en 1802, et il
subsista dans nos institutions jusqu’en 1848, date à laquelle il fut enfin
aboli dans toutes les possessions françaises, (particulièrement en raison des
risques de révoltes dans les plantations de canne à sucre).
La réduction en esclavage
des populations africaines est un événement effroyable de l’histoire humaine.
On estime que vingt millions
d’Africains ont subi ce sort au cours des temps historiques. Les esclavagistes
achetaient aux potentats locaux les esclaves procurés par les expéditions
guerrières spécialisées, dépeuplant des régions entières. Ils les acheminaient
ensuite vers les marchés d’esclaves, au prix de très lourdes pertes.
La déportation des hommes
enchaînés vers le Maghreb, se faisait à pied, en caravanes, à travers les
forêts vierges et les déserts torrides.
La déportation vers
l’Amérique utilisait des flottes de navires spécialement aménagés, avec des
entreponts multiples, de faible hauteur. Les conditions de transport étaient
épouvantables, et ne peuvent être comparées qu’à celles du transport
ferroviaire des déportés juifs vers les camps nazis.
Les esclaves noirs
voyageaient couchés, ou assis, continuellement enchaînés cote à cote, par
centaines dans un espace extrêmement réduit, manquant d’eau et de nourriture,
déchaînés à tour de rôle pour les besoins indispensables.
Le voyage était long, et
beaucoup mourraient en route. Les corps étaient jetés en mer. Les survivants
étaient « rafraîchis » dans les Iles avant d’être mis sur le marché.
Ils travaillaient ensuite dans les plantations de canne ou de coton, où la
discipline était impitoyable.
Plus tard, ce furent les conquêtes coloniales. Pour
mettre fin à la piraterie des Arabes et des Turcs en Méditerranée, l’armée française
entreprit la conquête de l’Algérie vers 1830, du Maroc vers 1850, puis de la
Tunisie vers 1880. L’Algérie était sous domination turque. Au début, les
soldats furent bien accueillis, mais les exactions auxquelles ils se livrèrent
provoquèrent la guerre avec les Arabes. Les armées combattirent sans merci. Sur
les comptes rendus d’époque de l’armée française, on lit ceci.
Le 6 Avril 1932, un corps de
troupe du 1er Chasseur et du 3ème de la
Légion, venant d’Alger, surprit au point du jour une tribu endormie sous ses
tentes, et égorgea tous ces malheureux sans qu’un seul chercha à se défendre.
Tout ce qui vivait fut
massacré, sans distinction d’âge ni de sexe. Au retour de cette expédition, nos
cavaliers portaient des têtes au bout de leurs lances, et l’une d’elles servit,
dit-on, à un horrible festin. Tout le bétail enlevé fut vendu au consul du
Danemark. Le reste du butin de cet effroyable carnage fut exposé au marché de
la porte Bab-Azoun. On y voyait avec horreur des bracelets de femmes encore
attachés à des poignets coupés, et des boucles d’oreilles pendant à des
lambeaux de chair. Un ordre du jour du 8 Avril proclama la haute satisfaction
du général pour l’ardeur et l’intelligence que les troupes avaient montrées. A
la prise de Constantine, pendant que l’assaut se livrait, et avant même qu’il
commença, un mouvement d’émigration extraordinaire se manifestait autour de la
place. On voyait la foule inonder les talus entre la ville et les précipices,
soumise à des flux et des reflux qu’occasionnaient les difficultés et les
désastres de la fuite. C’est vers les pentes que convergeaient toutes les
longues files d’hommes armés et désarmés, de vieillards, de femmes et
d’enfants. Deux pièces de montagne, amenées sur la lisière supérieure,
lancèrent des obus au milieu de cette nappe mouvante de têtes et de burnous.
Les frémissements qui suivaient la chute de chaque projectile indiquaient quels
effets cruels ils avaient produit.
Les Turcs ne sont pas en reste.
L’agha d’Admed-Bey s’avança
en Novembre jusqu’à Talaha, et exerça contre les Arabes des cruautés inouïes.
Un grand nombre d’hommes furent égorgés. Les femmes et les jeunes filles furent
mutilées de la manière la plus cruelle. On leur brûla les mamelles et les
genoux. (Terrible supplice médiéval connu sous l’appellation d’énervement)».
La conquête du Maroc fut marquée par l’épouvantable
siège et la réduction par incendie des grottes d’Ouled-Rhia. Je renonce à vous
faire part des horribles rapports relatant le sort affreux des réfugiés dans
les grottes. Sachez que la population française, informée par la presse, en fut
cependant particulièrement indignée.
Lorsque la France quitta l’Algérie devenue
indépendante, elle laissa derrière elle de nombreux auxiliaires indigènes, les
harkis.
Entre 1962 et 1964, presque
hier, les populations locales massacrèrent alors entre 60 000 à 150 000 d’entre
eux, leurs compatriotes, dans des conditions particulièrement atroces.
Aujourd’hui même, les populations des villages algériens sont victimes d’horribles
massacres. Chaque jour, des hommes, des femmes et des enfants sont égorgés au
couteau et mutilés à la hache. Des jeunes filles sont enlevées, violées à
répétition puis horriblement achevées par écartèlement entre deux arbres.
Depuis le début du siècle, le Monde a connu des
guerres meurtrières. Avant la première guerre mondiale, de 1914 à 1918, la
France comptait trente-neuf millions d’habitants. Deux millions et demi sont
morts ou disparus, et six millions ont été blessés. La moitié de la population
active a donc subi dans son corps les conséquences de ce conflit. Celui-ci a
dépeuplé, en raison des conditions de recrutement, tous les petits villages de
la montagne française qui ne s’en sont jamais remis et qui finissent lentement
d’en mourir.
La seconde guerre mondiale fut encore plus terrible.
Nous savons tous l’énorme importance des génocides nazis, pendant la dernière
guerre. Six millions de déportés, surtout juifs, ont péri dans les camps
d’extermination. Dans les pays occupés, beaucoup de résistants ont été torturés
par les inspecteurs de la Gestapo, avant
d’être exécutés. Au seul fort du Mont Valérien, 4500 résistants français ont
été fusillés par les Allemands.
Cette guerre, la plus
importante de l’Histoire, a provoqué la mort de soixante millions de personnes.
Beaucoup ont été percées par les balles, déchiquetées par les bombes, écrasées
sous les immeubles effondrés, noyées dans les soutes des navires coulés, brûlées
par le phosphore, vaporisées par le souffle atomique, mortes de faim, de froid,
ou dans les tortures. Chaque mois, un million de personnes ont été tuées.
Chaque jour, en moyenne, plus de trente mille pauvres gens comme vous et moi,
sont morts de mort violente. Cela a duré cinq longues années. En Février 1945,
au cours des bombardements incendiaires de Dresde, 250 000 personnes périrent,
brûlées vives. Le 6 Août 1945, la première bombe atomique détruisit Hiroshima,
faisant 130 000 victimes. Le 9 Août, Nagasaki fut anéantie, avec 80 000 morts.
L’Homme détenait le pouvoir de s’autodétruire.
Mais les guerres ne sont pas le seul moyen de
provoquer de grandes quantités de morts. Les idéologies et les conflits
politiques sont également très efficaces. Dans les seuls territoires de l’Union
Soviétique, on estime à 80 millions le nombre des morts provoqués par le
communisme. Tout cela est encore frais dans nos mémoires, et déjà, d’autres
génocides, d’autres massacres, ensanglantent la planète et chargent le Karma
humain.
Au Cambodge, deux millions
de civils meurent en quelques mois, tués au pistolet, ou à coups de pioche ou
de bêche. Citons encore l’Iran, l’Irak, la Palestine, et tant d’autres
conflits, d’autres guerres, comme en Serbie, d’autres massacres ou génocides
comme au Rwanda, où huit cent mille personnes furent découpées à la machette en
quelques semaines, et laissées à pourrir sur place.
Heureusement,
il y a les églises et le Bon Dieu.
Hélas, les grandes religions monothéistes issues des
antiques traditions sémitiques ont très longtemps identifié le pouvoir
politique et l’autorité religieuse. Leurs codes judiciaires punissaient donc
avec la même extrême sévérité les crimes effectifs de droit commun et les
erreurs ou manquements moraux et religieux.
Comme l’assassinat, l’indocilité hérétique, et même
l’adultère, étaient punis par la torture et par la mort. Le pape Urbain VIII
réforma enfin le code catholique à partir de 1637, et la peine de mort pour
sorcellerie fut supprimée en 1731. Le code islamique n’a pas encore été révisé.
En conséquence, on voit encore aujourd’hui, en Algérie, la réalisation de
tueries très sanglantes qui sont en fait des punitions collectives. Elles sont
infligées à la population sur la base d’un code judiciaire religieux élaboré au
12ème siècle.
Prenons d’abord la Bible. J’ai dit qu’elle contenait
de terribles passages. Voyons quelques références, mais sachez auparavant que
les mots «dévouer par interdit » signifient «massacrer au nom de
Dieu ». Voici l’histoire des Hébreux prenant possession de la Terre
Promise. (Josué 6).
L’Eternel dit à Josué. Vois,
je livre entre tes mains Jéricho et son roi, ses vaillants soldats, etc. La muraille s’écroula. Le peuple monta dans
la ville chacun devant soi. Ils
s‘emparèrent de la ville. Ils dévouèrent par interdit, au fil de l’épée,
tout ce qui était dans la ville, hommes et femmes, enfants et vieillards,
jusqu’aux boeufs, aux brebis et aux ânes. Ils brûlèrent la ville et tout ce qui
s’y trouvait. Cependant ils mirent dans le trésor de la maison de l’Eternel
l’argent, l’or, et tous les objets d’airain et de fer.
Regardez
aussi concernant le pardon des fautes. (Achan, fils de Carmi, avait
détourné un très beau manteau et quelques pièces d’or. L’Eternel demanda sa
condamnation).
On prit donc Achan, ses fils
et ses filles, ses boeufs, ses ânes, sa tente, et tous ses biens. Tout Israël
les brûla au feu et on éleva sur leurs corps un grand monceau de pierres qui
subsiste encore aujourd’hui. Alors l’Eternel revint de l’ardeur de sa colère.
Et la conquête pu reprendre ses innombrables
massacres.
Tous les gens d’Aï furent
massacrés et dévoués par interdit.
Après Aï, toutes les autres villes subirent le même
sort effroyable, et furent aussi dévouées à l’Eternel, par interdit. L’Eternel
est également impitoyable envers ceux qui ne respectent pas le repos du Sabbat.
(Nombres 15,32).
Comme les enfants d’Israël
étaient dans le désert, on trouva un homme qui ramassait du bois le jour du
sabbat. L’Eternel dit à Moïse. Cet homme sera puni de mort, toute l’assemblée
le lapidera hors du camp. Toute l’assemblée le fit sortir du camp et le lapida,
et il mourut comme l’Eternel l’avait ordonné à Moïse.
Mais il arrive aussi qu’Israël se tourne contre les
siens, comme on le voit dans la quasi-destruction des Benjamites. (Juges 21).
Le nombre total des
Benjamites qui périrent ce jour-là fut de vingt-cinq mille hommes, tous tirant
l’épée, tous vaillants. Les hommes d’Israël revinrent vers les fils de
Benjamin, et ils les frappèrent du tranchant de l’épée, depuis les hommes des
villes jusqu’au bétail, et tout ce qu’on trouva. Ils mirent aussi le feu à
toutes les villes qui existaient.
Parmi les Benjamites, quelques hommes avaient
survécu au massacre. Ils n’avaient plus de femmes. Les autres tribus avaient
juré de ne pas leur donner leurs filles pour épouses. On trouva vite une
solution.
Alors l’assemblée envoya
douze mille soldats contre la ville de Jabès en Gallad, avec cet ordre. Allez
et frappez du tranchant de l’épée les habitants de Jabès avec les femmes et les
enfants. Vous dévouerez par interdit tout mâle et toute femme qui a connu la
couche d’un homme. Ils trouvèrent parmi les habitants de Jabès en Gallad quatre
cents jeunes filles vierges qui n’avaient point connu d’hommes, et les
amenèrent au camp, à Silo, en Canaan. Et on donna ces femmes aux Benjamites
survivants.
On trouve parfois l’évocation d’hommes pieux
sacrifiant à Dieu leurs propres enfants. (Juges,11,30/39).
Japhté fit un voeu à
l’Eternel. Si tu livres entre mes mains les fils d’Ammon, quiconque sortira de
ma maison à mon retour sera consacré à l’Eternel, et je l’offrirai en
holocauste. Et voici, sa fille sortit au-devant de lui avec des tambourins et
des danses. C’était son unique enfant. Il n’avait point de fils et point
d’autre fille. Dés qu’il la vit, il déchira ses vêtements etc.
(Japhté laisse à sa fille un
sursis de deux mois, puis il la tue). Au bout de deux mois, elle revint vers
son père, et il accomplit sur elle le voeu qu’il avait fait.
C’est réellement effrayant. La Bible contient
pourtant aussi le très beau Cantique des Cantiques, probablement ésotérique, et
la Thora, dont quelques trop courts passages parlent de pardon et de
miséricorde. Cela soulage un peu. Il était grand temps de parler d’amour et de
pardon, aux Juifs, et aux Gentils que nous sommes, et de proposer un nouveau
comportement aux hommes.
Il était grand
temps de prêcher<
l’Evangile de miséricorde.
Dans les premiers temps du Christianisme, qui était
alors une simple secte juive, les Chrétiens étaient rebelles aux pratiques des religions en
place. Ils étaient souvent persécutés et martyrisés. Puis les temps changèrent
et après la victoire de Constantin et les édits de Milan, la religion
chrétienne devint dominante.
Les bourreaux et les
victimes échangèrent leurs rôles. A partir du 4ème siècle après JC, les grands
conciles définirent les dogmes de la foi catholique, et s’érigèrent
progressivement en théocratie régnante et en tribunaux suprêmes.
Les non-croyants et les
tenants d’autres religions furent des païens ou infidèles. Les opposants
devinrent des hérétiques. Tous devaient être convertis ou punis par la torture
et la mort. Les gibets furent dressés et les premiers bûchers s’allumèrent.
Pendant plus de mille ans, le feu, dit purificateur, dévora les hommes, leurs
livres, et leurs oeuvres. Pour convertir ces infidèles et reconquérir le Saint
Sépulcre, le tombeau vide du Christ, d’énormes expéditions militaires, les
croisades, furent organisées, en terre lointaine, au Moyen-Orient. Les
batailles et les carnages furent terribles, en particulier contre Saladin. Les
croisades furent généralement détournées de leurs buts et aboutirent en fait à
des actions de conquêtes. Elles permirent toutefois la mise en place de
nouveaux royaumes et l’établissement de relations de commerce et d’échange
entre l’Orient et l’Occident.
Sous l’impulsion du pape Innocent III, on lança
ensuite en Europe, et surtout en France, des expéditions militaires, puis de
véritables croisades contre divers hérétiques, en particulier contre les
Cathares. (Croisade des Albigeois).
De nouveau, il y eut de
terribles massacres, des mutilations, des enfermements à vie comme à
Carcassonne, des condamnations sans nombre. Dans Béziers, mise à sac, tous les
habitants, même les catholiques furent massacrés. « Dieu reconnaîtra les
siens ». La loi ecclésiastique en vigueur à l’époque est très précise.
« Tout hérétique doit être ôté de la face de la Terre. Il sera d’abord
livré au Tribunal Ecclésiastique afin que celui-ci le retranche de l’Eglise du
Christ et de la Communauté des croyants, puis il sera livré au Bras Séculier,
qui le fera mourir et le retranchera du Monde. »
Les bûchers brûlaient partout. Sur les places des
villes, les foules catholiques s’assemblaient pour contempler les exécutions et
voir les condamnés dans la douleur, « passer directement des flammes du
bûcher à celles de l’Enfer ».
On déterrera
même des cadavres d’hérétiques pour les brûler. Des dizaines de milliers de
pauvres gens furent torturés, mutilés, étranglés, ou brûlés vifs, et tous leurs
biens furent confisqués.
En 1233, pour lutter contre
les hérésies, le pape Grégoire IX organisa l’Inquisition, qui existait déjà en
fait depuis les mesures prises par les conciles de Vérone (1184), et de Latran
(1215). Elle fut confiée aux Dominicains et remplit son rôle avec férocité en
utilisant la mise à la question et en prononçant des condamnations.
Les peines étaient le port
de signes infamants, la flagellation, la prison, l’obligation de pèlerinage, et
bien sur, la confiscation des biens. Les réfractaires étaient livrés au bras
séculier qui les envoyait au bûcher.
L’Inquisition fut réorganisée
en 1542 et devint la Congrégation de la Suprême Inquisition, qui prit en 1908
le nom de Congrégation du Saint Office, la charge de l’Index, et la régence des
consciences. Elle fut réformée en 1965 et devint la Congrégation pour la
Doctrine de la Foi. Il faudra attendre 1980 pour qu’elle soit enfin
définitivement supprimée, (dans les textes mais certainement pas dans les
têtes). Après les hérétiques, on brûla ensuite tous ceux qu’on accusait de
sorcellerie. Cela dura jusqu’au 18ème
siècle.
Pendant son pontificat, dans quatre-vingt-quatorze
textes divers, le pape Jean-Paul II reconnaît enfin que des erreurs, et des
fautes historiques ont été commises. Il énonce prudemment, que « certains fidèles ont commis au sein
de l’Eglise des actes que l’évangile réprouve ». Il demande aussi
pardon pour la part prise par les catholiques en ce qui concerne les croisades,
le schisme d’Orient, l’Inquisition, la mort de Jean Huss, la condamnation de
Luther, les guerres de religion, et d’autres événements tragiques. Ces
déclarations scandalisent une partie de son entourage.
Je regrette personnellement que le pape renvoie vers
les fidèles, indûment me semble-t-il, la responsabilité individuelle des ces
actes, sans mettre réellement en cause le rôle institutionnel de l’Eglise
catholique. Les fidèles ont parfois dérivé par rapport aux missions qui leur
étaient confiées, mais ils ont agi originellement dans le cadre disciplinaire
où ils étaient placés par les conciles. C’est donc l’Eglise, en tant
qu’institution, qui est en cause, et c’est cette institution qui doit demander
pardon pour le mal fait aux hommes, en son nom. On ne pourra croire à la totale
sincérité de ces regrets que lorsqu'ils seront répétés canoniquement, dans
chaque messe, face aux fidèles, pour les prévenir instamment contre la
tentation toujours persistante du retour à l’intolérance.
Tout en remarquant bien nettement, c’est important,
que les actions de guerre et de violence sont généralement accompagnées d’actes
arbitraires de spoliation, de vols, et d’appropriation, nous allons enfin
arrêter ici ces récits épouvantables.
Au fond de
l’enfer, Orphée, comment réagis-tu ?
Devant ces actes terribles, on ne peut que frémir
d’horreur. Hélas, il apparaît qu’ils sont le fait d’hommes ordinaires, que vous
croisez chaque jour dans la rue. Sur les lieux d’un massacre, une femme, député
algérien, témoignait de son désarroi lorsqu’elle reconnut le corps d’un
assassin abattu pendant l’attaque. Elle le connaissait très bien car il la
saluait poliment chaque jour.
Sa gandoura était rouge du sang des enfants qu’il
venait d’égorger. Moi-même, bloqué sur l’autoroute par un accident qui venait
de mutiler un pauvre motard, j’ai vu un jeune conducteur surexcité franchir les
barrières, en disant. « Il a un bras arraché. Il faut que je voie cela !
». Un homme très ordinaire, un voisin de palier.
The snake was the snake, no more no less then they he
tempted. Le
serpent était le serpent, ni plus ni moins que ceux qu’il tentait.
Le tentateur n’est ni plus ni moins fort que
l’Homme, nous disait Lord Byron, ni plus ni moins méchant que lui, car il est
dans l’Homme, l’homme-animal lui-même.
Mais l’individu n’est pas tout l’Homme. Il y a une dimension plus globale de
l’Humanité qui fonctionne de façon générale et solidaire. A ce niveau, il faut
probablement écrire le « Tentateur » avec une majuscule.
Lorsque Orphée est descendu jusqu’en ces horribles
bas-fonds, et qu’il a compris que le féroce Homme-animal intérieur secret est
le prédateur instinctif et l’ennemi mortel de l’Homme-âme ordinaire,
réellement, pratiquement, et quotidiennement, il sait alors qu’il est vraiment
devant le miroir et qu’il regarde sans compromission son reflet véritable.
C’est pour approfondir un peu cela que je vous propose d’ouvrir un nouveau thème
de travail.
Nous
allons maintenant
réfléchir sur le thème du mal.
Telle qu’elle vous est d’abord proposée, cette
réflexion est un travail de rationalisation qui ne fait pas référence immédiate
aux matériaux fournis par la méditation. C’est donc une synthèse théorique, et
elle n’a pas d’autre ambition que de proposer un thème de réflexion. Comme
toutes les théories, elle peut être remplacée par une autre. Elle utilise
cependant les éclairages apportés par l’ouverture du mental à l’Intelligence
Universelle.
Les sociologues ont évalué à vingt milliards
environ, le nombre total des hommes qui ont habité la Terre depuis l’origine de
l’Humanité. Ce chiffre peut paraître faible, mais les hommes ne se sont
répandus que très lentement. Les mêmes spécialistes estiment que six milliards
de ces hommes, au moins, ont été tués dans les guerres qui ont ravagé la
planète depuis six ou huit mille ans, c’est-à-dire le tiers de cette
population. C’est un chiffre absolument énorme qui recouvre une réalité
épouvantable. Vous savez maintenant qu’il est très difficile de représenter
mentalement des chiffres aussi élevés, et que nous ne pouvons pas nous faire
une idée exacte de l'effroyable réalité.
Six milliards de victimes, le tiers de tous les
hommes, cela veut également dire six milliards de tueurs, ou de bourreaux, un
autre tiers de tous les hommes, qui ont été les auteurs de ces meurtres. Par
définition les tueurs survivent toujours aux victimes. Un tiers des hommes a
été tué, deux tiers des hommes ont survécu. Adam a eu trois fils, Abel, Caïn et
Seth. En vérité, Caïn a tué Abel.
Bien évidemment, on peut contester ces chiffres et
cette équivalence arbitraire entre le nombre des victimes et celui des
meurtriers. Rappelons que les vaincus étaient généralement exécutés ou réduits
à l’esclavage, à l’exception des jeunes femmes, temporairement épargnées pour
le plaisir des vainqueurs. Statistiquement parlant, ceux qui se sont reproduits
et qui ont été favorisés par la sélection naturelle comprenaient donc pour
moitié ce groupe meurtrier. Homo homini lupus. Un de nos ancêtres sur deux a
tué un autre homme.
La moitié des
hommes survivants
a tué un autre homme.
Les hommes armés tirent un très grand avantage de
leur agressivité, contrairement à ce qui se passe chez les animaux. Même chez
les loups, qui ne sont pas particulièrement pacifiques, le chef de meute
élimine rapidement les individus trop agressifs. Habituellement, la sélection
naturelle travaille lentement, en favorisant seulement un peu les plus forts,
avec des effets statistiques à long terme. Les espèces évoluent très
progressivement en s’adaptant aux variations du milieu. Nous savons bien que le
parangon animal des vertus est le tueur, mais il fonctionne dans des conditions
modérées de compétition et d’affrontement vital.
Chez l’Homme, l’invention des outils, favorisant
fortement les plus habiles, puis celle des armes humaines, extrêmement
meurtrières et beaucoup plus efficaces que les griffes et les dents, ont changé
les choses. Dans les conditions nouvelles de compétition et d’évolution des
populations humaines, la sélection naturelle devient rapidement un moyen
beaucoup trop puissant et efficace. Elle élimine définitivement un nombre
extraordinairement élevé d’individus, qui sont tués dans une période
extrêmement courte à l’échelle des temps géologiques.
La sélection
naturelle dérape.
Elle développe très rapidement une sous-espèce
nouvelle, dotée d’aptitudes tout à fait particulières essentiellement fondées
sur les capacités de violence et de meurtre, et adaptées à l’exploitation des
semblables, et à leur destruction. Dans le même mouvement, la sélection
naturelle transforme les pacifiques en proies, et fait des rebelles des ennemis
à détruire. La nouvelle sous-espèce prédatrice est l’actuelle race humaine. Ces
facultés violentes sont hélas, les vôtres et les miennes.
Nos tendances
féroces
sont génétiquement programmées.
Elles résident dans le patrimoine spécifique, le
bagage chromosomique de chaque homme. En langage ésotérique, nous dirons
qu’elles constituent des démons intérieurs, toujours prêt à l’action et à la
mise en oeuvre. La moindre menace les alerte, la peur les excite, la foule les
déchaîne. Nous avons vu les conséquences terribles de ces pulsions meurtrières
quand elles se libèrent dans des conflits de pouvoirs et des situations de
guerre. Nous devons aussi voir sans indulgence les dégâts qu’elles provoquent
dans les personnalités individuelles de chacun.
On se trompe en situant la
chute d’Adam au début de l’histoire de l’humanité. La chute d’Adam n’est ni
antérieure ni postérieure à quoi que ce soit; elle est éternelle. Chaque fois
qu’un esprit descend pour s’incarner dans une forme quelconque, il commet le
péché originel, et la chute d’Adam s’accomplit en lui, infime sous-multiple
d’Adam. (Stanislas de Guaïta - Le problème du mal).
Dans la société humaine ordinaire, même en temps de
paix, nous constatons que les pulsions prédatrices et criminelles des individus
dominants déséquilibrent l’organisation économique et sociale, et provoquent la
surexploitation des ressources, la croissance rapide de la paupérisation, ainsi
que l’apparition d’un servage en voie de généralisation à l’échelle mondiale.
Il y a d’autres idoles que celles construites par
les religions ou les dictatures d’idéologies. Il y a Mammon et son cortège, la
domination du profit, la primauté de l’argent, l’asservissement de la
connaissance, l’instauration progressive et systématisée de l’esclavage
économique. Je lisais récemment l’apologie d’un prince de la finance dont les
insatiables appétits règlent la marche du Monde. Son revenu égale, paraît-il,
celui de 400 000 familles ordinaires (d’Occident). Comment ne pas s’interroger
sur les désordres qui naîtront inévitablement de ces disparités et de ces
asservissements. Rappelons ces quelques jugements.
Le profit de
l’un est le dommage de l’autre. (Montaigne).
Le capital est
du travail volé. (Auguste Blanqui).
Toute tyrannie et toute inquisition sont
impardonnables, mais tous les tyrans et inquisiteurs ne sont pas reconnus. Tout
intégrisme est haïssable, mais tous les intégrismes ne sont pas religieux. Ils
peuvent être, par exemple, idéologiques, scientifiques, politiques, culturels,
ou économiques.
En ce qui concerne la biosphère elle-même, nous
observons également chaque jour que l’action humaine provoque une réduction
progressive du nombre des espèces vivantes ainsi que des espaces au sein
desquels elles vivent. Les mécanismes autorégulateurs jouent de moins en moins
librement. Les risques d’emballement progressent en fonction de l’énorme
accroissement des populations des quelques espèces élevées et cultivées en
masse, après avoir été sélectionnées pour leur seule utilité économique. La
nature porte cependant en elle-même les puissants mécanismes correcteurs
nécessaires au rétablissement de l’équilibre. L’histoire de la vie nous en
donne les exemples évidents. L’Homme occupe la Terre depuis peu de temps. Son
action n’a pas encore duré assez longtemps pour que les mécanismes de
correction soient entrés en action. Ils se déclencheront un jour. La pression
de la prédation humaine sur la planète est tellement forte que l’on peut
vraiment craindre la mise en marche de ces équilibrages.
Nous avons vu que le système social actuel constitue
également un feed-back positif, qui entretien et augmente les effets pervers du
dévoiement des mécanismes naturels de sélection.
On voit bien
que la société ne se corrige guère.
Puisqu'elle n’a pas changé pendant ces cent siècles,
au cours desquels s’est déroulé l’essentiel de son développement, il apparaît
évident que la société humaine, dégradée par l’emballement de l’évolution, ne
s’améliorera probablement jamais.
Si les mécanismes sélectifs automatiques, qui ont
donné aux hommes leurs facultés maléfiques, continuent de fonctionner, la
situation ne peut qu’empirer au bénéfice des prédateurs, jusqu’à ce que le
retour à l’équilibre se fasse de lui-même. Malgré l’apparition de l’humanisme
tempérant leurs excès, les systèmes politico-économiques corrompus n’ont pas
réellement transformé les structures globales de la société prédatrice
primitive. Tout en professant la charité, les religions dévoyées ont répandu
des fleuves de sang, sans transformer le coeur des individus. Le seul constat
actuel que nous pouvons faire est celui de l’échec. Demain, à qui la Terre ?
Aux rats !
Courage, amis,
souvenez-vous d’Eurydice!
Chaque homme est doté d’une double nature, et peut
individuellement et librement changer son propre destin. Chacun peut se
révolter contre son servage existentiel et corporel, se retourner vers son
origine essentielle, et chercher le chemin d’évasion qui mène de ce Monde
indéfiniment variable et périssable, à l’éternité de son être immortel. Dans la réalité de l’être, il y a
le seul mystère du Zoran, sur lequel nous nous penchons. Nous y avons déjà trouvé
l’enfer et ses démons. Il nous faut maintenant découvrir l’âme originelle et
divine, et la ramener à la vie. Dans cette démarche libératoire, la science et
l’outil ne serviront guère, car cette dimension révolutionnaire mystérieuse
s’approche avec la compréhension du
coeur, (La déflation de l’ego et l’ouverture du mental à l’attouchement de
l’Intelligence extérieure).
Seul de tous
les êtres qui vivent sur terre, l’homme est double, mortel de par son corps,
immortel de par l’Homme essentiel.
(Hermès Trismégiste - Corpus Hermeticum).
Néanmoins, notre mental humain fonctionne ici-bas
avec ses outils symboliques et ses mécanismes conceptuels, et il n’est pas
réellement possible d’élargir notre champ de méditation sans construire
préalablement des images et formuler rationnellement nos acquisitions, car
c’est comme cela que nous opérons.
Comprenant que nous sommes tombés progressivement
dans une servitude croissante, et postulant ici que nous désirons ardemment en
sortir, nous allons devoir établir et formuler consciemment un projet personnel
d’évasion conduisant à la libération.
La première condition de cette évasion est donc une
position mentale, le refus conscient des conditionnements, des idées imposées,
des dogmes et des fausses certitudes. C’est ce retournement conscient qui engage le processus de la
liquidation des karmas.
Les systèmes politiques, économiques, et sociaux
avaient pour objectif la transformation de la société humaine. Nous savons
maintenant qu’ils ont échoué. Les progrès importants réalisés dans les domaines
scientifiques et techniques ont certainement modifié le mode et le confort de
la vie, mais il suffit d’ouvrir un poste
de télévision pour constater que la nature prédatrice primitive demeure
constamment identique à elle-même.
Cela montre bien qu’il nous faudra réfléchir
sérieusement et travailler constamment pour contrôler nos conditionnements
violents et prédateurs. Sans que nous en soyons vraiment conscients, notre
pensée actuelle est également et communément marquée par des influences
philosophiques majeures, dont le marxisme et l’existentialisme. Là aussi, nous
avons à éliminer les marques mentales de ces conditionnements idéologiques
modernes.
L’existentialisme poussé dans ses conclusions
ultimes, débouche sur la philosophie du néant et sur le désespoir absolu, ce
qui peut partiellement expliquer les désarrois actuels de la société et des
hommes qui la composent. Mais rien n’est si simple dans le Zoran. Nous pouvons
paradoxalement nous appuyer un instant sur cette double parole de Sartre,
destructrice de foi traditionnelle, mais intéressante car porteuse d’une
dimension cachée que nous allons explorer.
1 - La première démarche de
l’existentialisme est de mettre tout homme en possession de ce qu’il est, et de
faire reposer sur lui la responsabilité totale de son existence.
2 - Qu’est-ce que signifie
ici que l’existence précède l’essence. Cela signifie que l’homme existe
d’abord... et qu’il se définit après. (Sartre)
En un sens relatif, l’existentialisme affirme, dans
une formulation autre que celles des religions, que l’Homme est libre et
responsable, et qu’il contient en son être deux composantes ou aspects
nécessaires, consécutifs, et complémentaires. L’existentiel est ce que
l’individu accepte consciemment d’être et de demeurer. L’essentiel est défini
par ce qu’il refuse librement et rejette volontairement hors de son existence.
Creusons un
peu.
Je prends maintenant conscience que ma nature est
animale et que je suis génétiquement un terrible prédateur. Existentiellement, je
suis ce dont je suis conscient, donc un animal féroce, et rien d’autre, et je
demeure tel quel. Mais, je refuse consciemment cette programmation génétique
naturelle et je décide librement d’y mettre un terme définitif. J’apparais
alors, par ce seul refus conscient, sur un plan nouveau qui est le plan de
l’essence. Ce plan immatériel est complémentaire du plan existentiel.
Ce qui est ôté
à l’existentiel est ajouté à l’essentiel.
Comme par magie, tout ce qui est ôté à l’un est
ajouté à l’autre.
Si rien n’est ôté à l’existentiel, rien n’apparaît
dans l’essentiel.
Par le refus conscient, les deux plans sont soudain changés.
Je suis dorénavant un ex-animal féroce qui a dominé
librement, consciemment, et volontairement les servitudes liées à son programme
génétique de violence. Etonnamment, cette transformation, affectant les deux
plans, remonte tout le cours du temps.
La genèse de l’outil mental de ma décision,
consciente et volontaire, prend sa source dans l’évolution humaine, jusqu’à
l’origine mystérieuse de la création, et la justifie à l’instant. Des chaînes
tombent qui me reliaient au passé. Une partie du karma que je portais en moi en
raison de mon origine naturelle est liquidé.
Le passé n’a
pas de valeur (Krisnamurti).
Nous avons fait ensemble quelques pas avec Eurydice,
mais on ne peut faire marche arrière lorsque le chemin est pris.
Venons-en donc à un déconditionnement délicat
concernant nos convictions et nos croyances religieuses.
Nous avons constaté qu’à travers l’espace et le
temps, les hommes ont inventé d’innombrables mythes pour donner un support
rationnel à l’élan mystérieux qui montait dans leurs coeurs. Bien évidemment,
toutes ces fables, toutes ces histoires si différentes, ne peuvent pas être
toutes un reflet fidèle de la réalité. Cependant, la simultanéité de leur
existence sur toute la Terre, à travers les âges, les civilisations, et les
continents, démontre qu’une réalité secrète est cachée dans le Zoran, derrière
ces fictions.
Tout se résume en ces
phrases.
Sur le plan des mythes comparés,
les religions sont les branches d’un tronc commun, l’ignorance humaine.
Sur le plan des religions
comparées, elles sont les branches d’un tronc commun
la sagesse divine.
(Annie Besant - Le Christianisme ésotérique).
Je crois intéressant de citer ici quelques paroles
de la seconde présidente de la Société Théosophique, petit groupe très actif
qui marqua profondément la libre pensée au début du siècle, en Europe comme aux
Indes. Elle influença l’un de ses proches, le mahatma Ghandi, et contribua à l’indépendance
de l’Inde. Elle s’impliqua énergiquement dans le mouvement d’émancipation
féministe. Par la promotion publique de la liberté de la pensée philosophique,
et malgré de sérieux errements dans sa petite histoire, la Société contribua à
la réouverture de champs de réflexion ésotériques orientaux, momentanément
oubliés ou interdits.
Cependant, puisque notre culture actuelle est
communément fondée sur la tradition chrétienne, nous nous baserons sur le
message des Evangiles pour explorer le contenu des messages ésotériques portés
par les religions traditionnelles. Utilisons-le pour vérifier la valeur des
exemples exposés par les comportements des fidèles.
Gardez-vous
des faux prophètes.
Ils
viennent à vous en vêtements de brebis, mais en dedans ce sont des loups
ravisseurs. Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. Cueille-t-on des raisins sur
les épines et des figues sur les chardons. Tout bon arbre porte de bons fruits,
mais le mauvais arbre porte de mauvais fruits.
Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits,
ni un mauvais arbre porter de bons fruits. Tout arbre qui ne porte pas de bons
fruits est coupé et jeté au feu.
C’est
à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. (Matt
7-18).
Outre la profession d’amour, dont nous avons vu
qu’elle n’avait pas empêché les églises traditionnelles de répandre des fleuves
de sang, et d’engendrer d’immenses souffrances, les grandes religions
actuelles, issues des antiques traditions sémitiques, professent toutes le
monothéisme. Paradoxalement, et comme nous allons le voir, leurs théories globales semblent pourtant
polythéistes en arrière-plan. Au niveau de la raison, elles impliquent
plusieurs postulats inconciliables qui aboutissent au moins à une relative
dualité. Dés que l'on entre dans le dualisme, même relatif, on est dans une
forme de polythéisme, explicite ou implicite.
La profession religieuse de monothéisme est basée
sur des postulats. Elle n’est pas actuellement une démarche rationnelle établie
à partir l’examen critique et raisonnable de la théorie professée. Elle est un
pur acte irrationnel de foi concernant les dogmes, et de soumission obligatoire
à l’autorité de la doctrine. Si un raisonneur se rebelle, il n’y a aucune
solution rationnelle à présenter pour le convaincre. Faute d’argument
raisonnable, et pour sauver la face et l’ordre établi, on l’isole, on le
critique, on le condamne, on l’égorge parfois, ou on le brûle.
Le premier postulat irrationnel consiste à attribuer
arbitrairement des qualités absolues à la divinité. Cet absolutisme, uniquement
conceptuel, bloque les possibilités d'analyse objective du réel, et paralyse le
raisonnement. Il conduit à une division dualiste entre l'absolu divin théorique
et le relatif objectif observé.
Le second postulat, consécutif au premier et tout
aussi arbitraire, consiste à définir un créateur parfaitement bon et
bienveillant, peu conforme à la réalité objective d'une création souvent
cruelle, (par rapport à nos critères humains de bonté et de bienveillance).
Cela aboutit à une seconde construction dualiste séparant le bien du mal, la
lumière des ténèbres, etc.
La raison humaine est aujourd’hui incapable
d'expliquer le processus de l'apparition d'un seul dieu, ou sa nature. Comment
pourrait-elle expliquer un dieu bon et un dieu mauvais, ou un dieu à la fois
bon et mauvais. C'est bien de cela qu'il s'agit, même s’il est dit que le
mauvais dieu fut créé bon à l'origine par le dieu parfait, et que le malheur
universel vient d’une révolte contre cette perfection.
Dans cette conception simpliste du Monde, l’idée de
la révolte et celle de la chute aboutissent logiquement à une séparation
conceptuelle entre un Dieu parfait extérieur et une Création distincte et
imparfaite. Implicitement cette logique renvoie à Dieu l'origine de
l'imperfection de la création, donc la responsabilité du mal et de la chute,
inévitable, et délibérément voulue. Bien évidemment, on trouve là une
contradiction avec les qualités suprêmes de bonté et de perfection
dogmatiquement attribuées à Dieu. Elle ne peut être contournée que par la
réjection du mal sur une autre entité. On ne peut pas considérer cette seconde
entité créée sans réamorcer logiquement la même contradiction. Il faut postuler
qu'elle est incréée, donc de nature divine, ce qui aboutit inévitablement à la
dualité conceptuelle, puis au polythéisme.
Leibniz a tenté d’équilibrer la contradiction en
émettant l’idée qu’en dépit de la toute puissance et de la perfection de Dieu,
ce monde était le meilleur possible, (parmi tous les possibles). Il n’y aurait alors aucun espoir d’améliorer
les choses.
Mais l’Eglise
condamna cette idée.
En fait, on ne peut contourner la contradiction
qu’en abandonnant le postulat d’absolu dans la définition des qualités
attribuées à Dieu. Cette limitation conceptuelle est posée par le seul homme
moderne occidental qui réduit la déité aux champs qualitatifs de perfection et
de bonté, considérés du seul point de vue humain. Les multiples images
attrayantes, ou effrayantes, de représentation de la Déité ont été créées aux
modèles de la vie terrestre et des hommes. Ces images, anthropomorphes au sens
général du terme, sont des idoles. Elles ne sont pas la réalité de l’Etre Total
mais seulement son reflet dans le mental humain.
Pouvons-nous admettre simplement que notre Dieu
conceptuel, étriqué aux dimensions humaines,
n’existe pas sous cette forme, ni ses anges, ni Satan, ni ses diables.
Tout cela est le produit de l’imagination des hommes et la projection de leurs
phantasmes dans une dimension imaginaire de l’univers. Il en est de même des
pratiques rituelles ou magiques. Vous savez que nos grandes religions
traditionnelles prétendent généralement condamner la magie et les magiciens.
Pouvons-nous comprendre que la plupart de leurs cultes font pourtant purement
et simplement appel à des pratiques quasi-magiques, appelées d’une autre façon.
Les rites sont des paroles, des incantations, et des actes pratiques, réalisés
sur notre plan existentiel terrestre. Lorsqu’il les met en oeuvre, l’officiant
escompte rompre les lois ordinaires du Monde, soit ce même plan existentiel,
soit sur le plan supérieur, essentiel, ou divin. C’est donc bien de la magie.
D’ailleurs, dans les religions antiques, la magie et la religion étaient
officiellement mêlées. On trouve encore la marque dans la présence des Mages
autour de la crèche de Noël.
Dés que nous portons sur les rites et les dogmes un
regard un peu critique et indépendant, nous entamons la découverte des excès ou
des anomalies des enseignements doctrinaux. A partir de là, nous commençons à
nous dégager de nos chaînes conceptuelles et culturelles, et de notre antique
Karma religieux artificiel. Nous pouvons alors tenter de nous relier
directement à l’Intelligence totale et libératrice qui réside au sein du Zoran.
Reprenons un instant la théorie de la Société Théosophique.
L’homme est soumis à la
réincarnation, et cela par une loi immuable, le Karma, en vertu de laquelle
toute cause créée par le désir, par la pensée, ou par l’acte, génère certains
effets qui deviennent causes à leur tout. Si bien que, sous l’action de cette
loi immuable, la conscience évolue pas à pas. Revêtue tout d’abord d’une forme
minérale primaire, elle commence à s’élever et ne s’arrête que lorsqu’elle
devient, dans sa puissance à qui rien n’échappe, la conscience que nous
appelons divine. ( Annie Besant - La Théosophie et son oeuvre dans le Monde).
On trouve aussi en Angleterre ancienne, dans la
mythologie galloise, tout un imaginaire celte qui se rattache indéniablement à
une théorie de transmigration des âmes et de réincarnation.
Je suis vieux, je suis jeune,
je suis Gwyon à la parfaite connaissance, je suis universel, je suis doué du
pénétrant esprit, je suis un bon musicien, je suis acier, je suis druide, je
suis architecte, je suis savant, je suis serpent, je suis amour, etc..
J’ai aussi été un poisson
bleu dans le torrent, j’ai été un chien, j’ai été un chevreuil sur la montagne,
j’ai été un tronc d’arbre, j’ai été une biche dans les bois, j’ai été une hache
dans une main, etc.. (Le livre de Talieslin).
Au-delà des comportements mécaniques du monde vivant,
émergé depuis des milliards d'années, et régi par les lois comportementales des
gènes aux commandes de leurs machines de survie, nous découvrons des facultés
nouvelles et inédites. Au-delà des tyrannies de la pensée, des fantasmagories
du monde mental constituées dans les cerveaux humains il y a trois millions
d'années, et régi par les lois culturelles de conservation des structures
sociales et de soumission aux idées imposées, nous apercevons des possibilités
neuves et exaltantes. Il apparaît maintenant une nouvelle émergence, celle de
la prise de conscience de ces enfermements
dans les prisons de la matière, de la nature, et les illusions de
l'existence. Un choix libérateur devient possible, qui doit s’exprimer par un
acte volontaire de refus et de retournement.
Cette capacité passe d’abord par la compréhension,
puis s'exerce à rebours du chemin temporel de la descente dans l'enfermement.
Il faut d’abord reconnaître et cerner les servages successifs, déterminer les
influences des idéologies collectives, ces goules nourries des souffrances
humaines, celles des convictions personnelles, acceptées et rangées dans l’ego,
puis celles des gènes ancestraux, inscrites et fixées dans les chromosomes,
puis celle des lois naturelles et physico-chimiques, figées dans les mécanismes
de la vie et ceux du fonctionnement de la planète et du cosmos. Alors l'esprit
humain conscient peut librement participer à l’action créatrice que nous
appelons divine. Il ne décide plus de ce qui est bien ou mal en fonction de ses
propres désirs existentiels, mais choisit d’accomplir les actes qui réaliseront
l’unité et l’harmonie au sein du Zoran.
De l’usage fait de la liberté consciente résulte la
nouvelle qualité du monde existentiel. Seul l’acte accompli par le vivant peut
agir sur le réel dans le champ de l’existence.
Le refus conscient des caractères existentiels
actuels est un premier acte mental qui modifie aussi l’être total sur l’autre
plan qui est celui de l’essence.
Par mes actes, j’agis sur le Monde existentiel, et
je le transforme en mieux ou en pire. Par mes refus, je construis un nouveau
Moi essentiel, en le transformant de la même façon.
A travers l’acquisition des connaissances qu’apporte
la science actuelle, et après nous être libérés des contraintes culturelles qui
bloquaient notre liberté d’examen, nous découvrons de nouveaux points
fondamentaux. Nous suivons habituellement les ordres de nos pulsions
inconscientes, même lorsque nous les avons transformées et travesties pour les
rendre acceptables à notre raison. En refusant, dans notre conscience puis dans
nos actes, de nous comporter comme les pires animaux, nous dégageons enfin
notre nature humaine essentielle, consciemment différente et clarifiée, et nous
modifions par là même, le réel existentiel.
D’une certaine façon, nous pouvons dire que notre
conscience émerge actuellement de la matière inerte, ou bien que notre esprit
touche aujourd’hui le fond de la chute dans cette matière. Après sa rupture
progressive avec les théosophes, dans les années vingt, Krisnamurti leur
conseilla de libérer leur pensée pour dégager leur propre spiritualité. Il leur
reprochait de trop s’attacher à la connaissance des mondes suprasensibles et
d’accorder trop d’importance à l’enseignement des Maîtres.
La grande nouveauté du message de Krisnamurti est
l’absence totale de théorie et d’enseignement.
Il n’y a pas d’orthodoxie.
Seule compte la liberté qui permet de se
réaliser.
Soyez votre propre guide, votre propre
flambeau.
Krisnamurti condamna également l’ésotérisme et
l’occultisme.
La vraie liberté, dit-il,
c’est celle de la pensée.
L’homme véritable est celui
qui dépasse ce qu’il sait par les livres, par les Maîtres, par la tradition,
qui récuse sa mémoire, se met à penser par lui-même, construit sa propre
philosophie, sa propre vérité. La libération spirituelle doit s’accompagner de
la libération à l’égard du moi. L’homme qui fait de lui-même une statue devient
fétichiste. La vie spirituelle doit être en nous comme une source d’eau vive,
et non comme un marais d’eau stagnante.
Les morales humaines sont
contradictoires.
Les bonnes sont celles qui
respectent l’être humain.
Il n’y a pas d’autre Dieu
que l’homme devenu parfait.
Les religions sont des
erreurs.
Aucun rituel n’est
nécessaire à la connaissance spirituelle.
Pour préparer la clôture de ces propos concernant
les attitudes humaines et la liberté de pensée, je citerai un court logion tiré
de l’Evangile de Thomas, le seul qui nous soit parvenu, semble-t-il, dans sa
forme initiale et donc probablement authentique, en traversant les siècles au
fond des grottes de Nag hamadi, en Haute-Egypte. Il fut déterré en 1945 par un
paysan. Au fond d’antiques amphores de terre cuite on trouva cinquante-trois
manuscrits, écrits en copte, dont un seul Evangile. Celui-ci ne contient ni l’histoire
de Jésus, ni aucun récit de miracles, mais seulement cent quatorze logia, ou
paroles attribuées à Jésus, qui auraient été recueillies par Thomas Didyme, (Le
Jumeau).
Jésus disait :
Malheureux les Pharisiens.
Ils
ressemblent au chien couché dans la mangeoire des boeufs.
Il ne mange,
ni ne laisse les boeufs manger.
( Thomas -
Logion 102)
Que le lecteur veuille bien excuser les redondances
de textes et d’extraits cités. On ne peut guère explorer l’âme humaine sans
rapporter les récits de son histoire tragique et cruelle et le contenu de ses
idées, de ses convictions ou de ses rêves, et de ses démarches ésotériques ou
mystiques. Il semble fondamentalement
nécessaire que chacun prenne conscience des tyrannies sanguinaires
exercées par les pulsions humaines, ainsi que par les idéologies qui les
portent. Elles répandent la souffrance et souvent la mort.
Quel que soit le critère de leur constitution, les
groupes humains se hiérarchisent naturellement, engendrant par là même la
guerre aux étrangers, l’oppression des opposants, ou l’exploitation des
individus.
L’être humain étant un animal social, il accepte facilement, consciemment ou
inconsciemment, de se soumettre. La reconnaissance des despotismes idéologiques
est cependant assez aisée, puisqu’ils promettent toujours le bonheur pour
ailleurs ou pour plus tard au prix de l’actuelle souffrance et du sacrifice
d’aujourd’hui. Le plus souvent, mais pas toujours, la dénomination des idées
qu’ils transportent se termine par le suffixe «isme». Tous les x-ismes
sont extrêmement suspects, peu importe leur contenu, politique, économique, ou
religieux. Ils devraient toujours être abordés avec une très grande
circonspection. Les idéologies tyranniques s’attaquent prioritairement à la
liberté de pensée des opposants. Puis la pensée tout court apparaît dangereuse.
Aussi cherchent-elles à occuper sans cesse le cerveau des hommes avec des
futilités. Voyez l’usage actuellement fait des média publics, presse, radio, et
surtout de la télévision dont le rôle essentiel semble être l’abêtissement
général. Les religions ne sont pas en reste quoiqu’elles utilisent des moyens
différents. Richard Dawkins a peut-être raison lorsqu’il imagine que les idées
oeuvrent pour leur propre compte et se nourrissent de nos malheurs.
On tente toujours d’échapper à cette cruauté
sociale. On a essayé en vain la soumission, mais le Monde et l’Homme sont
restés féroces. On a essayé la compassion, mais les bourreaux compatissants
sont restés des bourreaux. Alors, le temps de la rébellion semble arrivé, car
l’Homme conscient de ce qui se passe ne peut plus accepter les terribles lois
de violence généralisée et de dévoration universelle qui lui sont imposées.
Vous déciderez ce que vous voudrez. Pour ma part, je me refuserai, maintenant
et à jamais, par complaisance ou par indifférence, ou par lâcheté, de continuer
à satisfaire ces goules effrayantes, afin qu’elles meurent enfin, comme sont
déjà mortes beaucoup de civilisations, de théories, et de croyances qui, dans
le passé, les alimentèrent.
Dorénavant, je
suis un rebelle.
Curieusement cette prise de
position presque blasphématoire
me soulage et me libère.
Au fond du Zoran, était-elle
était attendue ?
Je laisserai à un libertaire aux idées gnostiques le
soin de conclure ce chapitre difficile.
« ..Mais
c’est fini, j’en sors et je lutte, terrible
Et joyeux
comme un évadé...
Prêtres, vous
n’avez pu m’engloutir dans vos songes;
Dieu ne m’a
pas laissé noyer par vos mensonges,
J’avance, et
je fais signe aux pâles matelots;
Je rapporte
des mers les perles qu’on y trouve,
Je vis !
L’évasion du naufrage se prouve,
Par la tête
au-dessus des flots ».
Victor Hugo.
(Toute la lyre
- Echappé à l’erreur - 4/5/1878).
C |
ela
s’appelle l’aurore !
L’inconnu et l’inconnaissable sont et seront peut-être
toujours nécessaires à notre bonheur. (Maurice Maeterlinck).
Le monde est une unité, mais la dualité n’en existe
pas moins.
(Jacob Boeme).
Alors je regardai à l’intérieur de mon coeur, et là
je Le vis.
Il n’était nulle part ailleurs.
(Djalal
al-din/Shams Tabrizi. Soufi)-(Derviche tourneur).
Comme le héros de Giraudoux, méditant au petit matin
sur un chaos de ruines, nous allons nous
pencher sur les restes de nos convictions et nos fragments de certitudes.
L’aurore n’est pas encore la lumière mais c’est déjà l’affaiblissement de
l’obscurité.
Il faut ici être conscient d’un risque qui serait
d’imaginer qu’il existe une technique cachée ou un savoir pratique qui ouvre le
chemin vers la spiritualité. Rien n’y conduit dans le champ de la pensée tant
qu’elle reste enfermée dans la maison de l’ego.
La voie ne s’ouvre qu’autant que cet ego consent à
faire taire la pensée attachée au passé illusoire et à laisser l’intelligence
universelle parler du réel et du présent. La ruine de vos convictions et de vos
vieilles illusions vous inquiète déjà, et vous regrettez votre sommeil.
Soyez vigilants. Essayons sérieusement
ensemble de rebâtir. Pour alléger un peu les difficultés de cette
reconstruction, je proposerai à votre méditation, au fil du texte, de nouveau,
quelques citations et courts poèmes qui vous permettrons de souffler un peu,
(ou d’élargir votre réflexion).
Homme ne crains rien.
La nature sait le grand secret et sourit.
(Victor Hugo)
Partis à la recherche de la vérité, nous avons
d’abord regardé notre propre corps et les merveilleux appareils sensoriels
qu’il a construits pour nous relier au Monde. Nous avons appris que nous ne
pouvions pas faire entièrement confiance à ces organes, ni même à nos propres
yeux ou nos propres oreilles, parce qu’ils sont seulement des détecteurs de
danger et non pas des moyens intrinsèques de connaissance. Nous avons aussi
compris que notre formidable cerveau n’était pas aussi satisfaisant que nous le
pensions, qu’il fabriquait ses propres représentations intérieures du Monde, et
qu’il proposait ensuite ces créations artificielles au mental comme des images
crédibles de la réalité.
Nous avons constaté que le mental utilisait les
images intérieures comme des objets véritables qu’il dotait des mêmes
propriétés que les objets extérieurs. Nous avons vu que l’intellect était tout
à fait capable de fabriquer des idées complexes en assemblant des mots
abstraits, puis de traiter ces illusions comme des choses réelles et crédibles
en elles-mêmes. Nous avons vu qu’il utilisait les souvenirs du passé pour créer
un centre artificiel et souverain, l’ego, dont il faisait le centre clos de son
propre univers.
Nous avons ensuite demandé à la science moderne de
nous parler de l’immense univers, de l’origine de la matière, du cosmos et des
étoiles, du Soleil et des planètes, de la Terre et de son histoire, et de la
naissance de la vie. Nous avons découvert un macrocosme construit de manière
fractale, depuis les galaxies jusqu’aux plus infimes constituants des
particules atomiques. Nous avons également perçu que chaque partie, y compris
le microcosme humain, était une image de
ce grand tout qu’est le Zoran. Ces réponses ont été intéressantes mais
incomplètes, car la science ne dit rien du Pourquoi
des choses, et elle ne s’intéresse qu’au Comment. Plusieurs théories très savantes et très étonnantes
semblent partiellement se contredire et parfois se combattre.
Pour expliquer un brin de paille,
il faut démonter tout l’univers.
(Rémy de Gourmont)
Nous avons également suivi l’histoire passionnante
de l’évolution de la vie terrestre, qui a tout inventé, la cellule et le corps,
la sève et le sang, la fleur et la graine, le plaisir et la souffrance, le
chagrin et la joie, les caresses et la cruauté, la tendresse, la dévoration
universelle et la mort. Nous sommes passés à l’examen de l’origine et à celui
du développement de l’Homme et du peuplement de la planète. Cela nous a
également laissé une impression de flou et d’incertitude. En cette matière
également, différentes écoles proposent diverses théories souvent
contradictoires et parfois assez inquiétantes.
Alors, nous nous sommes tournés vers les mythes
portés par les diverses civilisations, anciennes et modernes, puis vers ceux
qui parlent cette fois du Pourquoi et
non pas du Comment. Nous avons
feuilleté les livres sacrés des grandes religions, et évoqué leurs doctrines.
Nous y avons trouvé beaucoup d’images évocatrices et de récits curieux, parfois
porteurs d’une haute élévation spirituelle, mais aussi bien des différences qui
ne permettaient pas de dégager des critères de vérité suffisamment
déterminants. Nous avons constaté que les civilisations et les idéologies
voulaient changer la déplaisante société humaine, tandis que les religions
s’efforçaient de changer les individus. Nous avons vu que, jusqu’ici, ces deux
démarches semblaient avoir échoué.
La religion n’est autre chose que l’ombre portée de l’univers sur
l’intelligence humaine.
(Victor Hugo).
Regardant vers l’aventure des populations et des
nations, nous y avons surtout trouvé l’histoire épouvantable des guerres
meurtrières et des avanies cruelles que se font les peuples et les hommes,
civils ou soldats, religieux ou athées, croyants ou incroyants, dans une lutte
sauvage et constante pour accéder au pouvoir ou à la richesse. Nous les avons
vus écraser impitoyablement et cruellement, nécessairement ou inutilement, tous
les gêneurs, ceux qui cheminent péniblement la voie de leur propre destin. Nous
avons alors compris que cette incurable sauvagerie et cette implacable volonté
d’asservir les autres, étaient inscrites
dans le patrimoine génétique de l’humanité et, par conséquent dans le karma de
chaque homme. Pour échapper à ces servages liés à la matière, à la nature
animale, et aux lois abusives de la sélection naturelle, il est nécessaire de
les reconnaître puis de les sublimer.
La connaissance de l’homme
est le commencement de la perfection, la connaissance de Dieu en est
l’achèvement. (Hippolyte de Rome).
A l'origine de toute chose
et de toute pensée, nous pouvons croire qu'il y a une source extrêmement
mystérieuse, qui nous tire vers elle. Elle est tout et le contraire de tout, la
chose créée et le vide créateur, le hasard et la nécessité, le temps qui court
et l'éternité.
C'est cet appel d’éternité
que nous appelons Dieu.
Puisque nous postulons qu'il est l'origine
universelle, la source de toutes les choses crées et l’état d’en dehors la
création, il en résulte qu'il est à la fois, (comme le disait la foi
hébraïque), toute chose et son contraire. Il ne peut donc être ni perçu, ni
compris, ni décrit, ni représenté, ni limité, ni illimité dans ses attributs.
Il est sans nom et sans visage. Il est le lieu de toutes les potentialités, la
somme de tous les archétypes dans l’essentiel, et la somme de leurs compléments
manifestés dans l’existentiel, comme le conçoivent aussi les philosophes
modernes, et nous ne pouvons prétendre le définir ni le représenter d'aucune
façon. Au coeur du Zoran inexpérimentable, il est à la fois l'origine du bien
et celle du mal, la parfaite perfection et l'imperfection ou l’incomplétude
fondamentale puisque nous n’en savons pratiquement rien.
Nous sommes parfaitement incapables de nous
représenter intérieurement cette immense potentialité dont nous sommes un
fragment infime, mais nous désirons cependant pouvoir en parler. Il nous faut
un mot, et nous allons donc lui donner un nom. Ce faisant, nous en construisons
une image mentale. Celle-ci est artificielle et vide puisqu’elle est sans
contenu véritable. Nous sommes du mauvais coté du vieux miroir trompeur des
mots, mais nous ne savons pas faire autrement puisque nous, petits hommes, ne
pouvons pas raisonner sans ce mot nécessaire.
Nous appelons
ce vide mystérieux le Père divin.
Ayant ainsi ordonné intellectuellement nos pensées
par la conception d’une cause première, nous poursuivons généralement cette
construction mentale en imaginant un facteur second qui transforme cette
immense potentialité indéfinie en une réalité effectivement créée. Ce facteur
second ne nous paraît pas statique comme le Père, mais dynamique, agissant, et
nous voyons en lui l’auteur éclairé de toutes choses, la source de la vie, le
planificateur et le grand architecte de l’univers. Nous sommes encore ici
piégés par notre nature. Il faut bien admettre que l’exécution du plan de la
manifestation divine ne fonctionne certainement pas comme le déroulement d’un
projet conçu par les facultés raisonnables mais limitées d’un cerveau humain.
Partant de nos observations et de nos méditations, nous avons préalablement
imaginé une source originelle statique, indéterminée et potentiellement
illimitée. Par conséquent, dans la poursuite de notre conception logique et
humaine de l’acteur créateur, cette immense potentialité se manifeste avec des
caractéristiques analogues, également indéterminées et illimitées, mais ici
dynamiques, comme un immense fleuve de puissance ou de dons se déversant, ou
circulant tel un ouroboros, dans le champ de la réalité créée.
Nous appelons
Verbe de Dieu
cette puissance sans bornes.
Autant que nous puissions en connaître, cette
puissance s’exprime d’abord en donnant l’existence à notre univers chaotique,
éventuellement fractal, sans liens préalables de causalité avec quoi que ce
soit. Elle semble provoquer l’émergence des structures de la matière, à partir
de la cause première, par l’action de moyens ou facteurs inconnus. L’un de ces
moyens nous paraît être la rencontre hasardeuse des facteurs accidentellement
mis en présence.
Cette structuration émergeante de la matière ne
permet cependant pas de présupposer l’existence d’un modèle préalable ou d’un
référentiel quelconque pour en expliquer la genèse. Les forces structurantes
inconnues, (dont le hasard et le chaos), engendrent des structures conformes
aux lois de leurs propres natures, lesquelles nous restent également très mal
connues. Occasionnellement, ces structures émergées du néant, inertes ou
vivantes, peuvent être temporairement stables, et constituer ainsi un élément
de l’univers indéfiniment variable dans lequel nous vivons. Nous ne pouvons
concevoir aucun antécédent à l’origine universelle et nous habillons alors
notre totale ignorance de l’appellation de Néant.
Nous dirons donc comme Maître Eckhart.
Les créatures
sont faites de pur néant.
Arrêtons-nous un instant pour constater que la
division effectuée entre la cause première, que nous appelons le Père, et sa
manifestation actuelle, que nous appelons le Verbe, est une opération humaine
et purement mentale. Par elle, nous cassons l’unicité de notre image
conceptuelle initiale et opposons deux mots vides de sens auxquels nous ne
pouvons pas donner de contenu figuratif.
On voit bien ici la stupidité des querelles
dogmatiques et l’insanité des luttes doctrinales et des guerres de religion. La
cause première et son acte de manifestation sont inséparables et ne peuvent pas
être disjointes, même intellectuellement. Toutes les créatures sont
radicalement issues de la cause première dans son acte permanent de
manifestation. Elles peuvent donc être appelées des fils ou des enfants de
Dieu, dés lors que nous voulons utiliser une image intérieure, un concept, en
donnant un sens étendu à un mot usuel.
Les hommes
aussi sont des fils de Dieu.
Grâce à la raison dont ils sont maintenant pourvus,
ils perçoivent assez clairement certaines contingences du monde matériel
originel, ce vieillard de quinze milliards d'années. Il leur apparaît régi par
les lois physiques et chimiques relativement bien établies.
D’autres lois tout aussi fondamentales sont moins
facilement perçues. Nous voyons, par exemple, que toutes les parties
constituant le cosmos se dégradent continuellement au fil du temps. La loi
implacable de Shiva fait naître chaque chose nouvelle de la destruction de
l’ancienne. Ce concept est repris sous diverses formes dans beaucoup de
traditions. Au sein de cette dégradation perpétuelle, la vie semble lutter sans
cesse pour réaliser un objectif qui reste actuellement mystérieux pour les
hommes. La bataille paraît toujours perdue puisque chaque vie finit
tragiquement dans la mort. Cette défaite n’est pourtant qu’apparente car la vie
a déjà remporté d’innombrables triomphes dont nous n’avons pas bien conscience.
Nous sommes habitués à ces victoires banales de la vie, mais terrifiés par la
promesse de la défaite inévitable concrétisée dans la mort physique. Cela
altère l’analyse objective et brouille la capacité d’examen.
Pas à pas, sur notre planète Terre, les petites
victoires successives de l’immense force de vie permettent l’émergence
progressive de la conscience hors de la matière inerte. Tant passe le temps
immobile, qu’émerge enfin de l’océan cosmique, son propre regard !
Pouvons-nous aujourd’hui accepter de poser ce regard sur notre propre vérité.
Nés des étoiles, notre vrai visage est de lumière. Sur cette Terre au moins,
nous sommes aujourd’hui les seuls porteurs de la conscience éclairant
l’existence, les Lucifers.
Nous sommes
les Lucifers.
Lucifer ! Le sens de ce mot a beaucoup varié au fil
des âges. Il signifie étymologiquement « Porteur de Lumière ». Il a
été appliqué successivement à Adam, Homme initial, au roi de Babylone, au
Christ, à l’étoile du matin (Pierre 2/19). Il désigne depuis le Moyen-Âge,
l’Archange rebelle à l’ordre divin.
Je vous
propose de l’appliquer ici aux forces immenses qui travaillent obscurément en
nous, au sein du chaos et de la dégradation perpétuelle du monde existentiel,
sans toutefois assimiler Lucifer à Satan comme on le fait depuis le 12ème
siècle.
Nous commençons à comprendre un peu comment les
forces lucifériennes construisent et modèlent actuellement le Monde et tout ce
qu’il contient, y compris l’espèce humaine. Nous ne savons cependant pas avec
une absolue certitude si cet univers où nous vivons est le seul qui fut jamais
produit, ni si d’autres formes raisonnables ont pu, ailleurs ou dans d’autres
temps, résoudre par d’autres victoires les problèmes aujourd’hui posés à
l’Homme luciférien que nous sommes.
La force
luciférienne construit le Monde.
lLa première victoire
luciférienne, c’est l’existence elle-même, qui a vaincu le vide immobile,
éternellement indifférent, la victoire du tout contre le rien. C’est une très
grande victoire. Son souvenir est au coeur même du mystérieux Zoran.
lLa seconde victoire, c’est
l’auto organisation du chaos, d’où naquirent la matière et de l’univers, la
brillante victoire de l’ordre contre l’incohérence. C’est aussi une très grande
victoire qui a changé l’histoire de l’existence.
lLa suivante, c’est
l’apparition, sur cette Terre au moins, des combinaisons chimiques
réplicatives, porteuses de cette information si précieuse qui fait reculer
l’entropie. Puis c’est l’apparition des organismes complexes de vie
jaillissante et tout ce qui était leur avenir jusque dans l’environnement de
l’évolution et de la sensibilité animale, y compris les regrettables excès
actuels de spécialisation vicieuse et meurtrière dans l’Homme-animal, (notre
passé biologique).
Un nouveau
triomphe est annoncé.
lVoici qu’apparaît maintenant
une nouvelle victoire, le début de la compréhension du monde, à l’aide de cette
merveille qu’est la prise de conscience de l’existence même, et le discernement
des désordres acquis au cours du développement de la nature humaine.
Nous réalisons cependant que, comme Pygmalion, après
avoir sculpté Galatée, devint follement amoureux de son oeuvre et obtint
d’Athéna qu’elle lui donna la vie afin qu’il puisse l’épouser, Lucifer attaché
à la matière perd la tête devant la perfection de la machinerie de vie qu’il a
construite. Aujourd’hui, devenu hélas satanique dans l’Homme dit sapiens, aussi bien globalement
qu’individuellement, aussi bien présent qu’à venir, il veut maîtriser la nature
dans un désir exacerbé de possession totale, et nul ne peut imaginer jusqu’où
ira cette implacable volonté de pouvoir et
d’appropriation.
Tombé de
l’Eternel, Satan veut l’Infini,
Tombé de
l’Etre, il veut l’Avoir.
(Denis de
Rougemont).
Seul de tous les êtres qui vivent sur cette Terre,
nous dit Hermès, l’Homme est double, image microcosmique du Monde
macrocosmique. En lui, plusieurs acteurs coopèrent dans cette forme
d’expression du Verbe.
Lucifer n’est
pas le seul acteur.
Les forces lucifériennes ne sont pas seules à
l’oeuvre dans la construction du Monde. Pour parler de ces autres acteurs, je
crois que le mot force ne
convient plus car ce vocable porte des connotations de lois inévitables et de
contraintes qui lui sont associées. Une force est imposée, donc subie, et elle
n’ouvre guère vers des comportements libres et autonomes.
Nous reconnaissons aujourd’hui en nous un second
acteur nouveau que j’appellerai provisoirement l’Afflux de grâce. Ce
n’est pas une force mais un don brûlant. Il déverse sur le Monde une immense
puissance, mais il n’est jamais imposé. Chaque être manifesté dans la matière,
chaque fils terrestre de Dieu est libre, ou de le refuser et de rester dans
l’état actuel, issu des forces du chaos, ou de l’accepter et de changer
radicalement d’état.
L’involution, c’est la matérialisation progressive de l’esprit, et
l’évolution, c’est la réapparition de l’esprit, émergeant au sein de la matière
qu’il a fécondée, animée, évertuée.
(Stanislas de Guaïta).
Les forces lucifériennes de création nous imposent
les formes et les usages du Monde matériel et existentiel dans lequel nous
vivons. Elles utilisent, entre autres, les propriétés du hasard et du chaos,
mais aussi les lois sauvages et féroces de la lutte pour la vie et de la
sélection biologique. Ce sont des forces naturelles liées au temps qu’elles ont
formé. Elles agiront dans le futur comme elles agissent dans le présent et ont
agi dans le passé. Considérées du point de vue de la sélection humaine, leurs
conséquences néfastes et leur caractérisation satanique ne pourront que
s’accentuer. Ces forces d’involution sont devenues à nos nouveaux yeux,
primitives, brutales et asservissantes. De leur action résulte le Monde
dialectique matériel, éternellement détruit et renouvelé. Au niveau actuel
d’évolution de l’Homme éternel en devenir, leur résultante charge notre mémoire
spécifique et personnelle, notre Karma.
L’afflux de grâce est une tout autre puissance qui
transforme la nature des êtres qu’elle touche comme le feu modifie profondément
ce qu’il consume. Elle n’est pas imposée mais proposée. Elle est différente,
non pas asservissante mais libératrice. Elle n’ouvre plus vers l’involution,
vers la descente forcée de l’esprit dans la matière, mais elle est une
puissance gratuite d’évolution favorisant une nouvelle émergence, la
réapparition de l’esprit se libérant de l’emprise de la matière. Elle élabore
d’autres propriétés, caractérisant un autre aspect, immatériel, du Monde, à l’aide
d’autres façons encore plus mal connues, dont la conscience éclairée, la
volonté, la compassion, l’annihilation de l’ego, la liberté, l’ouverture à
l’intelligence universelle, la compréhension et l’amour des autres. Depuis bien
des siècles, en bien des lieux et bien des cultures, cette autre puissance est
reconnue sous beaucoup de noms différents. Dans notre référentiel culturel
chrétien occidental actuel, nous l’appellerons ici l’élan christique.
Nous
fragmentons mentalement l’unicité divine.
Il est important de bien comprendre que la
manifestation de cette autre puissance n’est pas subordonnée ni consécutive à
la manifestation des forces lucifériennes. Précisons ici, une fois encore, que
les distinctions faites entre le Père et le Verbe, la force luciférienne ou
manifestation existentielle, l’élan christique ou manifestation spirituelle, ou
tout autre facteur structurant le Zoran et impliquant les fils de Dieu qu’il
renferme, sont des opérations purement humaines et mentales. En les effectuant,
nous fragmentons artificiellement à la fois l’éternité et l’inconcevable
unicité du réel et nous structurons intérieurement nos images conceptuelles
pour les adapter aux insuffisances actuelles et aux limitations incontournables
de notre intellect. Nous utilisons alors des reflets de miroir, des mots
abstraits, en réalité vides de sens précis puisque nous ne pouvons pas leur
donner de contenu tant que nous travaillons sur un simple fragment, une partie
limitée du Zoran total.
On voit particulièrement bien comment nous sommes
tentés de hiérarchiser les différentes manifestations du Verbe créateur lorsque
l’on se penche sur les écrits qui nous ont exposé les pensées philosophiques et
les théories métaphysiques chères aux platoniciens.
Gardons-nous de les suivre aveuglément dans des
constructions mentales établies sur les fondements de la causalité et de la
temporalité. Nous devons bien savoir que nous ne savons rien. Voyons pour
exemple cette conception séquentielle, qui subordonne les uns aux autres
différents concepts fragmentaires dont nous devons comprendre la nature
artificielle.
Le premier fondement primordial
de toutes choses est l’esprit.
Et le second,
émané du premier,
de l’esprit, est le chaos.
Mais le
troisième, formé par les deux, est l’âme.
Elle ressemble
à une créature sauvage,
persécutée sur
terre par la mort,
qui exerce sur
elle sa puissance.
( Hippolyte de
Rome).
Les cercles de chercheurs ésotériques et les écoles
des mystères nous enseignent que l’Homme répond à l’appel de l’élan christique
de deux façons, à savoir, d’une part par le rejet conscient de la stagnation
dans l’animalité, d’autre part par la volonté ferme et délibérée d’accomplir
l’action nécessaire pour en sortir. Les alchimistes du Moyen-âge travaillaient
longtemps devant leurs cornues avant de comprendre que la transmutation du
plomb vil en or pur n’était qu’une figure de la nécessaire transformation de
leur propre personne. Comme l’alchimiste, celui qui est touché par l’appel et
en prend conscience peut engager un processus qui va modifier sa nature
existentielle, faisant apparaître une caractéristique différente. Il devient
alors un facteur émergent nouveau influençant différemment la structure globale
du Zoran, dans son aspect essentiel et non plus existentiel. Cet acte modificateur
ressemble à un acte créateur. L’Homme
n’est plus seulement un fils naturel de Dieu, créature face à la Déité
créatrice. Véritable Personne, il s’en rapproche librement. C’est probablement
en ce sens qu’il faut comprendre les paroles Bibliques, Vous êtes des Dieux, et Evangéliques, J’ai dit. Vous êtes des dieux. (Jean 10.34)
La séparation consciente, volontaire et libre,
d’avec la manifestation existentielle de l'oeuvre créatrice divine, fait
apparaître une nouvelle émergence dans un Monde différent, celui de l’Essence.
Comme la Matière, l’Esprit est un visage de manifestation dans la création
divine. Rien n’interdit d’ailleurs d’imaginer que d’autres visages
inconnaissables soient manifestés au sein du Zoran.
Le Verbe créateur, pur concept mental humain, nous
paraît primitivement manifesté par l’action des forces lucifériennes dans
l’existence matérielle, l’immense univers galactique, la nature exubérante, la
vie biologique jaillissant du chaos.
Le même Verbe créateur semble également et
simultanément manifesté par le flux brûlant de la grâce christique dans
l’essence spirituelle, l’intelligence cosmique, l’acte libre et volontaire, la surrection de la vie de
l’Esprit jaillissant de la conscience. L’Esprit est également un pur concept
humain décrivant un autre état permanent de la manifestation divine, qui
devient maintenant accessible à l’Homme, en tant que résultat intrinsèque d’un
acte d’adhésion à l’attouchement, réfléchi, accompli librement,
volontairement et consciemment. C’est
une réponse qui est donc sacramentelle à l’appel éternel de l’élan Christique.
Viens, viens
Toi, qui que tu sois.
Car notre
caravane n’est pas celle du désespoir.
Viens, viens
quand bien même
tu aurais par
centaines, brisé tous tes serments.
Viens, oui
Toi, oui, reviens.
Reviens
toujours.
(d’après
Mawlâna-dja-lâd od-Dîn Rûmî-Soufi).
En ce qui concerne l’Homme et son destin terrestre,
il semble en être arrivé au point suivant. Par un choix effectué grâce à la
conscience autonome, accepté et exercé librement dans un acte volontaire et
juste, il peut se libérer des servitudes liées au passé, et liquider ses
charges karmiques. L'observateur mental qui rejette le poids dorénavant
insupportable du Monde, c'est la conscience. L’acteur autonome qui brise
volontairement les obligations existentielles, c’est la volonté. Leur
conjonction volontaire dans l’Homme renouvelé fait apparaître la nouvelle
manifestation du Verbe que nous appelons l’Esprit.
Lorsque la séparation d’avec la nature de
l’Homme-animal est décidée, le bien et le mal deviennent des notions terrestres
accessoires, d’importance très secondaire quand elles sont considérées avec le
niveau de recul essentiel où se situe la vision spirituelle. Ce sont des
appréciations morales existentielles, héritées de l’action éclairante mais
primitive des forces lucifériennes ouvrant enfin dans la créature animale les
yeux de la conscience et de la raison. La confrontation entre le bien et le mal
se déroule dans le Monde du Démiurge, et le champ de bataille c’est l’Homme.
Nous pouvons
devenir des Christs.
Le feu de l’afflux de grâce allume un autre
éclairage et remise les notions de lois et de péchés dans les placards du
mental humain contrôlé par l’ego, jusqu’à ce que cet ego même abandonne ses
illusions d’immortalité et cède la place à l’Homme éternel. Rappelez-vous
l’étroitesse du Moi, crispé dans ses apriori, ses préconçus, ses convictions
tirées du passé et ses certitudes issues d’un excès d’ignorance.
Souvenez-vous du tout petit homme dressé devant la
mystérieuse immensité impénétrable du Zoran.
Son attitude provoque la séparation dialectique de
l’Unité et du Multiple, du Tout et du Moi, ainsi que les affrontements du
jugement. Il faut admettre que la raison humaine, fragmentaire par nature, ne
maîtrisera jamais l’immensité et la complexité du Monde et il faut renoncer aux
tentations intellectuelles de la magnification de la Personne. Il faut accepter
les enseignements donnés par l’intuition, les révélations de l’Intelligence
Universelle, et laisser venir la compréhension intérieure. Il faut croire en la
manifestation spirituelle nouvelle, à la toute puissance de la Vie, et s’ouvrir
à la participation de la créature à la création.
C’est cela le retour de l’enfant vers le mystère du
Père, l’unification.
Rappelons-nous Hugo dans « La fin de Satan ». Dieu veut la fin de la guerre éternelle
avec le diable. L’émissaire est l’Ange
Liberté, Fille de Lucifer, née d’une
parcelle, (une plume), épargnée par Dieu lors de la chute de l’Archange. Satan
accepte et est pardonné. Il retrouve sa place aux cieux et toute son oeuvre
terrestre est détruite. Vision étonnante, mythique et mystique à la fois. Satan
est identifié à Lucifer rebellé et à l’Homme coupable qui doit disparaître.
Cette acceptation est très difficile, y compris pour les Pères de l’Eglise même
condamnés pour leur pensée libre.
Que je sois un homme,
Cela je l’ai en commun avec
tous les hommes;
Que je voie et que
j’entende, et que je mange et que je boive,
Cela je le partage avec tous
les animaux.
Mais que je sois ce Je, cela
m’appartient exclusivement,
Cela m’appartient à moi
seul, et à personne d’autre.
A aucun autre homme, ni à un
ange, ni même à Dieu,
Excepté dans la mesure où je
suis Un avec lui.
(Maître Eckart).
L’oeuvre d’unification totale, au point d'éternité
où nous sommes, ne paraît pas achevée. Il semblerait qu'une offre merveilleuse
nous soit faite et que nous soyons invités individuellement à y participer de
façon concrète. La vraie question du sens de notre vie est de savoir si nous
voulons oeuvrer positivement et personnellement à la nouvelle manifestation du
Verbe créateur, l'Universel Esprit. Ceci posé, il ne suffit pas que la
séparation d’avec la nature de l’Homme-animal soit mentalement décidée, et que
les yeux de la conscience et de la raison soient ouverts sur des perspectives
nouvelles. Ces prémisses nécessaires sont insuffisantes.
Personne ne peut percevoir
l’impérissable sans être lui-même impérissable. Il n’en est pas de même pour la
vérité dans ce monde, où l’homme voit le soleil sans être lui-même le soleil,
où il voit le ciel sans être lui-même le ciel, terre et autres. Mais dans le
règne de la vérité, vous voyez quelque chose de la vérité et vous êtes la
vérité. Vous voyez l’Esprit et vous être vous-même Esprit. Vous voyez le
Christ, vous êtes Christ. Vous voyez le Père, vous êtes le Père. Ici vous voyez toutes les choses de
ce monde, mais non vous-même. Dans l’autre règne, cependant, vous vous voyez
vous-même car vous voyez seulement ce que vous êtes. (Logion 44 - Evangile de
Philippe - Apocryphe de Nag-Hammadi).
La réalité du
changement de l’être commence par la modification véritable du comportement.
L’accession au Monde essentiel, domaine de l’Esprit, ne passe pas par la seule
guérison des maladies de l’âme, mais bien par le sacrifice et la mort du vieil
Homme, c’est-à-dire de l’ego. Elle se prépare cependant par un véritable
travail alchimique visant à transmuter la corporéité, véhicule satanique actuel
et périssable de l’Homme éternel. La nature primitive de l’Homme-animal, et ses
instincts meurtriers et sanguinaires avant tout autre effort, devront être
écartés et dominés. Tout cela n’est pas très nouveau. Le message des penseurs,
gnostiques en particulier, recommande depuis bien des siècles la maîtrise des
états d’âme, la modération des comportements, et l’absence de jugements.
Souvenons-nous de la douceur des orphistes et de leur refus de consommer la
chair animale. Au début de l’ère chrétienne, les mêmes scrupules troublaient
encore les Grecs.
Pour un peu de chair,
Nous leur ôtons la vie, le
soleil, la lumière
Et le cours de l’existence
Qui leur était déterminée
par la nature.
Nous pensons que les voix
qu’ils jettent de peur
Ne sont point articulées et
qu’elles ne signifient rien,
Là où ce sont prières,
supplications, et justifications.
(S’il est
loisible de manger chair
- Plutarque - 1er siècle).
Il est évident que cette première prise de
conscience n’est pas suffisante, et que c’est l’ensemble du comportement qui
doit être modifié, ceci impliquant un complet retournement de la façon de se
conduire, et une profonde transformation de la vision globale du Monde, de
l’Humanité, du sens et de la nature véritables du passage de l’Homme sur Terre.
Chaque émergence fait évoluer le Zoran en creusant dans l’Etre une forme
originale et nouvelle. L’émergence de l’Esprit la creuse dans la zone de
l’Essence, celle que les religions nous proposent d’atteindre depuis toujours.
Les religions
se construisent communément sur plusieurs niveaux.
1Le premier est celui d’une
foi irrationnelle en un corpus de vérités doctrinales énoncées de l’extérieur
par une entité, (une église), prétendument investie de l’autorité en la
matière. Cette attitude associée à des rites et des comportements imposés dégénère
fréquemment en autoritarismes arbitraires, en dogmes incontournables, en
intégrismes intolérants, et parfois en inquisitions impitoyables.
Qui peut fixer
la foi et régler la vie des fils de Dieu ?
2Le second niveau est
ésotérique. Il n’y a plus d’autorité extérieure et il appartient au sujet
lui-même de découvrir la réalité de ce qui est annoncé, (avec l’aide éventuelle
d’un maître ou d’un gourou). Les risques de dérive magique ou mystique demeurent,
et sont renvoyés au niveau du Maître ou du sujet. Ici encore, on rencontre
souvent un glissement progressif du comportement du sujet vers la mise en place
de rites incontournables et de tabous irrationnels. La mise en place des idoles
intérieures menace.
2Le troisième niveau est cosmique. Il se
prépare mentalement par l’abolition des séparations entre l’observateur et
l’observé, entre le monde de l’esprit et le monde de la matière. Voyons le
discours de Krisnamurti qui disait: « Si j’observe cet arbre avec un
esprit critique, alors il y a dualité entre le centre qui est au-dedans de moi,
qui analyse, et ce qui est analysé. Mais si je regarde simplement l’arbre sans
juger, il n’y a plus de centre observateur. Il n’y a donc plus de dualité ni de
séparation entre l’arbre et moi». Le sujet a disparu et il n’y a plus de
séparation avec l’altérité. Nous savons que l’objet en soi est inaccessible et
qu’il est seulement pour nous ce que nous savons de lui.
2Le dernier niveau est
spirituel et dépasse l’état de conscience cosmique, car la spiritualité
commence lorsque cet état disparaît. La pensée religieuse ordinaire fonctionne
comme un raisonnement d’exclusion. L’objet est ou bien ceci, ou bien cela. La
pensée spirituelle est inclusive. L’objet est à la fois ceci et cela. Il n’y a
plus réellement là une pensée mais une ouverture à l’intelligence universelle
et une intégration au Zoran total. On voit bien qu’il ne peut plus y avoir non
plus aucune doctrine définie, aucun enseignement ni aucun Maître puisque la
vérité est différente pour chacun tout en restant quand même la Vérité en soi
dans l’Unité de l’Etre total. J’espère, je crois qu’alors, la créature n’est
plus face à son Dieu, mais à son coté.
La religion doit être l’union avec le Soi intérieur, qui est lui-même
Un avec l’esprit universel.
(Roger Guénon).
Il nous appartient donc de bâtir notre religion et
notre vie sur les fondements que nous
avons approchés, la Révélation qui nous est donnée par l’Esprit, la Foi qui
monte de notre coeur sensible, la Raison, faculté cérébrale, qui met en ordre
ces connaissances. Beaucoup se veulent des esprits religieux sincères mais
bâtissent des idoles. Nous devons rester conscient de la propension constante
de notre mental à mettre en place des automatismes économiseurs de pensée, à
construire des rites répétitifs, des dogmes fixés une fois pour toutes, ces
idoles, qui remplaceront l’esprit religieux intérieur véritable par la
toute petite religion extérieure.
Le long
chemin.
Qu’il est court le chemin de
Dieu,
Qui mène à l’atome,
Une parole,
Et si long le retour à Dieu,
Dans la prison de ce corps
d’homme.
L’éternité.
Long chemin de chutes et
d'erreurs,
De désespoir et solitude,
D’obscurité,
Que depuis longtemps je
chemine,
Qu’il brûlait haut au ciel
du coeur,
L’ancien Soleil.
Qui brasille encore
aujourd’hui,
Dans cette noirceur de mon
âme,
Petite étoile,
Je rallumerai dans mon être,
L’astre d’or flambant dans
la nuit,
La vraie Lumière.
La Fleur d’Esprit sur le
Bois Noir.
(Jacques Prévost- Poèmes
pour l’an 2000).
La prise de
conscience
ouvre la voie vers la liberté.
Dans l’optique dialectique du fonctionnement mental
humain, nous identifions plusieurs facteurs à l’oeuvre au sein du Zoran.
lLa force luciférienne construit le Monde existentiel
à partir du néant matériel, à l’aide de lois encore mal connues, dont le chaos,
le hasard, l’espace, le temps, la destruction permanente, la dévoration
universelle et l’évolution sélective. La science se penche sur les
manifestations visibles et conceptualisables, créées par ces forces, en
utilisant la recherche, l’analyse et la raison. Nous appelons Univers le modèle construit par ce long et
difficile travail des scientifiques pour en donner une image compréhensible et
raisonnable. En son sein, sur notre minuscule planète bleue, l’Homme et les
systèmes de sociétés qu’il a construits semblent engagés dans une dangereuse
dérive. Depuis des millénaires les religieux, les mystiques, les philosophes,
les penseurs, les politiciens et les moralistes ont en vain tenté de corriger
les défauts de l’évolution humaine en essayant de modifier la société ou le comportement humain
.
lLe don de grâce, (ou l’élan
christique), élabore le Monde essentiel à partir de la conscience, à l’aide
d’autres lois dont la compassion, l’annihilation de l’ego, la liberté,
l’ouverture à l’intelligence universelle, et l’amour. Cette élaboration passe
nécessairement par notre libre coopération, par notre volonté de renonciation à
la perpétuelle inflation de l’ego, et par des actes de libération, afin de
faire naître l’Esprit à partir de la conscience éveillée par l’appel
christique, à l’exemple de l’Homme Jésus, qui se fit Christ et traça le chemin
vers le Père. Pour avoir montré cette voie libératrice, en rejetant les
anciennes lois d’asservissement et de soumission, les Romains le mirent à mort,
en l’enclouant vif sur un arbre.
Ne crains
point,
Je suis le
premier et le dernier,
Et le vivant.
J’étais mort
et voici,
Je suis vivant
aux siècles de siècles.
Si vous le voulez, nous allons ici reprendre un
instant la symbolique chrétienne en élargissant sa portée. Les manifestations
d’abord existentielles puis dorénavant essentielles de la Déité, émergent du
flux puissant de vie que nous appelons le Verbe créateur. A travers des abîmes
mystérieux comme celui du temps ou l’émergence de la conscience, ce courant
éternel et irrésistible monte de l’origine mystérieuse du Zoran, vers l’inconnu
de son devenir. Nous symboliserons ce courant par le montant vertical de la
croix, dressé de la terre vers le ciel.
Pouvons-nous
accepter ce qui est donné.
Mais à coté de la puissance exercée, il y a la
liberté accordée au créé. En travers le chemin proposé, chaque pas est un
obstacle, une transformation à réaliser, un changement à accepter. Chaque degré
doit être dépassé et franchi. Chaque avancée est un progrès et une victoire.
Alors, au coeur de la croix d’alliance mythique et mystique, fleurit une fleur
nouvelle. Tant de barrages ont été franchis du néant à l’étoile, et de l’atome
à l’homme, et tant de fleurs oubliées ont fleuri durant tant de printemps
joyeux.
L’univers
entier est jubilatoire, dit Reeves.
A ce jour pourtant, et pour nous les pauvres Hommes
éprouvés ici-bas sur la Terre, le barrage actuel, la barre transversale
symbolique de la croix, c’est l’ego, l’aboutissement de notre évolution
animale, la primauté donnée à notre pensée passéiste qui ne conduit qu’à la
mort de notre corporéité existentielle. Pour passer le barrage de l’animalité,
il nous faut changer, briser l’obstacle construit par l’ego et l’intégrer dans
le flux irrésistible de l’esprit de vie.
Il nous faut faire fleurir le bois d’hiver au
lumineux soleil du printemps nouveau. Ne sommes-nous pas déjà passés du néant à
l’existence, de l’existence à la vie, et de la vie à la conscience. Il s’agit
maintenant de passer de la conscience à l’esprit. Avant l’existence même, le
vide de la non-existence barrait le chemin de la réalisation. De la résolution
de cet obstacle sont issues toutes les forces et les constituants de la
matière. Pour changer du vide à l’atome, le néant a attendu, des éternités
d’éternité, que cela soit possible, ou donné. Sur la croix de l’existence, la
matière a fleuri.
Qu’il cherche
le chercheur,
Qu’il cherche,
jusqu’à ce qu’il trouve,
Car quand il
aura trouvé,
Il sera
émerveillé !
(Evangile de
Thomas)
Avant que fût la vie naissante, la non-vie, la
matière brute, bloquait la route. De la victoire sur cet obstacle sont issues
toutes les formes et les propriétés des êtres vivants. Pour passer au vivant,
pour changer du chaos à l’organisation, l’atome a attendu, dix milliards
d’années, ou plus, que cela soit possible, ou accordé.
Sur la croix de la matière, la vie a fleuri. Puis la
vie a attendu que fleurisse la conscience. Alors que s’ouvre aujourd’hui
l’accès à l’intelligence, c’est l’animalité égoïste, l’inflation du moi
intérieur qui barre la voie éternelle.
Pour passer au degré suivant, pour changer du singe
pensant à l’Homme Kadmon kabbalistique, de la pensée confuse et de la
religiosité dogmatique à la claire lumière de la spiritualité, nous, petits
hommes, devons défaire les liens et briser les chaînes de servitude. Il nous
faut convaincre le tenace animal intérieur de lâcher prise, et suivre le
courant montant, qui pour nous occidentaux, est la voie christique. La
transmutation nous sera donnée et, ce printemps, sur la croix du corps
transfiguré, la rose fleurira jusqu’au degré prochain.
Amis, nous avons fait un long chemin ensemble.
Arrivés ici, il appartient à chacun de nous de se tourner vers ce qu’il a pu
découvrir à l’intérieur de lui-même. Je crois qu’il me revient cependant de
porter un discret témoignage de mon cheminement jusqu’à ce jour. Lorsque l’on
médite en faisant le vide de la pensée en se concentrant sur le seul instant
présent, le corps semble étonnamment reconnaître un état familier. La
respiration prend un rythme lent, les muscles se détendent, et le mental
devient disponible. Il semble alors qu’un système intérieur de sécurité
mentale, (peut-être ce que l’on appelle ésotériquement Le Gardien du Seuil), puisse parfois autoriser une profonde
exploration intérieure. Je ne décrirai pas avec précision ce que j’ai pu
recevoir dans ces conditions. Chacun perçoit personnellement les révélations
nécessaires avec les images qui lui conviennent.
Dans la
religion toute intérieure,
Nul tiers n’est admis.
(Bérangère- Le
chemin de ronde).
Sachez simplement qu’il m’a été donné de contempler
la véritable insignifiance de nos efforts, de nos recherches et de nos
convictions les plus sublimes.
« Voilà toutes les oeuvres humaines et la tienne ». J’ai perçu en
même temps l’unicité de l’humanité qui constitue un tout irréductible. Il me
reste depuis au coeur la très grande détresse de la prise de conscience de
cette inoubliable insignifiance. Reste en consolation l’intime connaissance de
l’unité solidaire de tous les hommes.
J’ai rencontré une force immense, probablement celle
que j’ai appelée luciférienne. Elle m’a semblé d’une énorme puissance, capable
de déchaînements inouïs. Passant cette expérience au crible de la raison, ce
que j’en ai tiré fut une évaluation en mégawatts de l’énergie perçue, à la
lumière de mon savoir technique. En une autre nuit, je rencontrai une douceur
indescriptible. Le mot Amour ne
convient pas car cela ne ressemblait à rien de la Terre. La sortie de
l’expérience me laissa extrêmement frustré. Il y eut aussi l’expérience
inoubliable de la Liberté à jamais inaliénable.
Mysticisme ? Révélation ?
Connaissance ?
Qui jugera ?
Bien plus tard, je compris que les diverses
expériences de recherche ou de contact avec l’Intelligence Universelle étaient
liées, quoiqu’elles fussent largement séparées dans le temps et dans le champ
du mental. Dans le Zoran mystérieux, tous les facteurs concourent à la marche
du Monde. Nous ne les connaissons pas sous leur aspect véritable, dont les
raisonnements et les illuminations ne sont elles-mêmes que de pauvres images.
Dieu bénit
l’homme,
Non pour
l’avoir trouvé, mais pour l’avoir cherché.
(Victor Hugo)
L’approche de cette compréhension nouvelle a son
revers qui est l’incommunicabilité. Celui qui suit cette voie est sans
interlocuteurs et ressent isolement et ostracisme. Il s’engage dans une pénible
traversée du désert et une grande solitude.
Transposés au plan divin, ce désert et cette
solitude constituent peut-être un début de réponse à cette première question
fondamentale. « Pourquoi la création ? » Amis, sachez enfin qu’au
cours de la recherche lente et difficile que j’ai tenté de vous faire partager,
il m’est arrivé quelque chose d’extraordinaire. En ouvrant à la fois les
fenêtres de la science et de la raison, de la foi et de la révélation sur le
Zoran mystérieux, il m’a semblé, hélas un court instant, entrevoir ou
percevoir, ou approcher par le savoir, par l’intuition et dans l’intelligence,
une chose étrange, un état troublant et merveilleux, une connaissance
lumineuse, ou un être indescriptible. Ce n’est pas vraiment une parfaite certitude,
mais c’est pourtant bien plus qu’un rêve illusoire.
Je crois que
dans la nuit, j’ai vu briller le Graal.
En vérité, Je
vous le dis,
Avant
qu’Abraham fût, Je suis.
(Jean 8.58).
. |
T |
able des Matières
L’Univers
et le Zoran 7
La
Fantasmagorie Sensorielle 25
La
Traversée du Miroir Noir 691
Les
Yeux Brouillés d’Etoiles 113
De
Boue et de Sang,
de Peur et de Désir 171
Démons
et Merveilles 227
Je refuse donc Je suis 281
Table
des Matières 371
3
Bibliographie 372
B |
ibliographie
ANDOUZE, CASSE,
& CARRIERE - Conversations sur l’invisible
Lincoln
BARNETT - The universe and Dr Einstein
Roger BEGEY - L’homme initiatique
Jean BERNARD - Grandeur et tentations de la médecine.
H.P. BLAVASSKY - Isis dévoilée.
Alexis CARREL - L’homme, cet inconnu.
Jean CHALINE - Paléontologie des vertébrés
Jean-Pierre CHANGEUX - L’homme neuronal
Jean CHARRON - L’être et le verbe.
Pierre CHASSARD - Heidegger, l’être pensé
Ioan COULIANO - Les gnoses dualistes d’aoccident.
Bernard DELAFOSSE - La part à Dieu.
Paul DIEL - Le symbolisme dans l’Evangile de Jean
Maître ECKART - Commentaires sur le prologue de Jean
Albert EINSTEIN - Comment je vois le monde
Jean FOURASTIE - Ce que je crois.
Robin FOX - Anthropologie biosociale
Erich FROMM - Vous serez comme des dieux
Georges
GAMOW - The birth and death of the sun.
Michael GIBSON - Les horizons du possible.
Jane GOODAL - Les chimpanzés et moi.
Pierre P. GRASSE - L’évolution du vivant
G. I. GURDJIEFF - Récits de Belzébuth à son petit fils.
Roger GUENON - Mélanges.
Stephen W. HAWKING - Une brève histoire du temps
Max HENDEL - Cosmogonie des Rose-Croix
Werner HEISE NBERG - La nature dans la physique contemporaine.
HYPATIES - Etre vivant
IDRIES SHAH - L’éléphant dans le noir (autres textes Soufi)
Robert JASTROW - Au-dela du cerveau
Ernst JUNGER - Le mur du temps
C.G.JUNG - Dialectique du moi et de l’inconscient.
- Mysterium conjunctionis.
Pierre KOLHER - La vie des étoiles.
- Les gouffres du cosmos
Françoise KOSTOLAMY - Les Gestes .
J. KRISHNAMURTI - L’éveil de l’intelligence
- Carnets.
- L’impossible question.
Heni LABORIT - Dieu ne joue pas aux dés
Jean-Yves LELOUP - Manque et pleinitude.
Robert LINSSEN - Le Zen
Alaine MORGAN - L’origine aquatique de l’homme
Jacques MONOD - Le hasard et la nécessité
Ramona / Desmond MORRIS - Hommes et singes.
Desmond MORRIS - Le singe nu
- Le zoo humain
- Le couple nu
K. PETERSEN - Les animaux préhistoriques.
Cecil A. POOLE - Le mysticisme, expérience ultime.
Xavier SALLADIN - Le monde n’est pas malade, il enfante.
Hubert REEVES - Malicorne.
- Patience dans l’azur.
- L’heure de s’enivrer.
Jean ROSTAND - Aux frontières du sur-humain
- Pensées d’un biologiste.
Emile SIMON - Une métaphysique tragique.
Rudolf STEINER - Macrocosme, Microcosme
- Théosophie
TEILHARD du CHARDIN - L’hymne de l’univers
Jean TONDRIAN - L’occultisme.
Jean VARENNE - Upanishads du Yoga.
VULLIARD
- Sifra Ha-Zohar
Kenneth
WALTER - Human physiology.
Lyall WATSON - Histoire naturelle de la vie éternelle
L. L.
WHITE -
The next development in man
Et tous les autres, avec une mention particulière pour les revues
LA RECHERCHE
et POUR LA SCIENCE
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