Jacques Henri Prévost
Souffles dÂmes
Jacques Henri Prévost
Souffles
d’Âmes
Trois
œuvres et trois poètes dans ce recueil :
Jacques Henri Prévost - Poèmes
pour l’An 2000
Fernand Prévost (fils) - Par les
matins d’Argent
Fernand Prévost (père) -
Printanières
Du même auteur
Le Ciel, la Vie, le Feu
Le Pèlerin d’éternité
L’Univers et le Zoran
L’Argile et l’Âme
Prolo Sapiens
Lentement vers la Lumière
Bien nombeux les Chemins
Et chaque Amour enfin
Recueil de cuisine végétarienne
© - Jacques Henri Prévost-
Cambrai (France)
Quelques mots de présentation
Parmi
toutes les formes prises par l’art des hommes, la poésie et la musique sont celles
qui parlent le plus directement à l’être secret et mystérieux endormi au fond
du cœur. Etouffé sous nos désirs, assourdi par les agitations du monde, il est
assoupi depuis si longtemps que nous avons oublié sa présence et que nous ne
l’entendons plus guère. Parfois, cependant, une émotion l’éveille, et nous
permet d’entendre un court instant sa voix.
Ce
recueil rassemble quelques poèmes écrits par des membres d’une même famille
pendant plus d’un siècle. Vous y trouverez certains des miens, d’autres de mon
père, et d’autres, plus nombreux encore, de mon grand-père. Les styles
reflètent l’influence de leur époque. Cela montre combien la culture et la
langue française ont évolué. Mais, au-delà de ces évolutions, un poème reste un
poème, et de façon surprenante, à cent ns de distance, le thème est parfois le
même.
On
n’écrit pas un poème. Il vient à vous quand son temps est venu. Puissent donc
tous ces poèmes, ces mouvements d’âmes, et les illustrations qui les
accompagnent dans l’édition illustrée vous émouvoir un peu et vous permettre de
réaliser qu’au fond de votre cœur, votre âme, cette créature merveilleuse
endormie au plus secret de votre château intérieur attend que d’un poème ou
d’une chanson, le souffle d’une autre âme l’éveille.
Les égyptiennes (Jacques Henri
Prévost)
Jacques
Henri PREVOST
Poèmes pour l’An 2000
Jacques
Henri PREVOST
Poèmes pour l’An 2000
Note sur l’auteur
L’auteur
est né en France, à Valenciennes, en 1929, et
s’est intéressé à toutes les grandes interrogations existentielles
depuis 1990. Tous ses ouvrages sont librement écrits, minutieusement documentés
et aucune information n'est avancée sans avoir été soigneusement recoupée
auprès de plusieurs sources. Cependant, de temps en temps son humeur, ou son
état d’âme, le pousse à produire un poème. Il l’écrit sans trop suivre les règles traditionnelles,
comme il sent, quand il vient. On n’écrit pas vraiment un poème, surtout pas
sur demande ou sur intention. C’est toujours le poème qui vient à soi, en son
temps, et soudainement. Il lui faut alors le transcrire très vite avant qu’il
s’en aille et soit perdu pour toujours. On revient ensuite sur ce premier jet
avec un travail de ciselage pour en faire un vrai poème. Dans cet ouvrage,
l’auteur a aussi ajouté à ses propres travaux un petit conte de Noël inédit et quelques
extraits d’œuvres antiques qu’il a réécrites pour les actualiser.
Puissent-elles plaire sous cette nouvelle forme.
UN LIVRE
Mon livre,
Chaque jour j'en lis quelques mots,
J'ai bien le temps,
Il est si gros.
Le livre,
Nous en partageons chaque mot,
Moitié plaisir,
Moitié sanglots.
Un livre,
Lentement vécu mot à mot,
Bientôt fini,
A jamais clos.
LE LONG
CHEMIN
Qu'il est court le chemin de Dieu
Qui mène à l'atome,
Une parole,
Et si long le retour à Dieu
Dans la prison de ce corps d’homme
L’éternité.
Long chemin de chute et d’erreur,
De désespoir et solitude,
D’obscurité,
Que depuis longtemps je chemine.
Qu’il brûlait haut au ciel du coeur,
L’ancien Soleil,
Qui brasille encore aujourd’hui,
Dans cette noirceur de mon âme,
Petite étoile.
Je rallumerai dans mon être,
L’astre d’or flambant dans la nuit,
La vraie lumière,
La fleur d’esprit sur le bois noir.
ANGOISSE
Coule la vie, tourne la ronde,
Chaque minute, chaque moment,
S'use le temps,
Infiniment.
Passe la vie, roule le monde,
Chaque seconde, chaque instant,
Saigne mon temps,
Mortellement.
SERENITE
A l'aurore
du jour prochain,
La rose
neuve de ma vie,
Un-à-un
déplie ses pétales,
La beauté de
la rose, c'est la joie du rosier.
A jamais je
suis le rosier.
Sous
l'écrasant soleil de Juin,
La rose
ouverte de ma vie,
Un-à-un
délie ses pétales,
Le parfum de
la rose, c'est la voix du rosier.
A jamais je
suis le rosier.
Dans l'air
parfumé du serein,
La rose
passée de ma vie,
Un à un
oublie ses pétales.
Le destin de
la rose, c'est la croix du rosier.
A jamais je
suis le rosier.
En l'attente
du clair matin,
Le nouveau
bourgeon de la vie,
Un à un
mûrit ses pétales,
Chaque jour
une rose, c'est la loi du rosier.
A jamais je
suis le rosier.
Au delà de la rose, demeure le rosier.
ÂGE D’AUTOMNE
La feuille jaunie s’abandonne,
Au vent d’autan qui tourbillonne,
Lorsque l’été est dépassé.
Voici pour moi l'hiver qui sonne,
Son arrivée pourtant m'étonne,
Mon temps est donc bien avancé.
Il me faut assumer ce doute,
Je vais bientôt quitter la route,
Et basculer dans le fossé.
Mais la feuille usée qui s'envole,
Finit toujours sa parabole,
Dans la boue sous la pluie glacée.
Tandis que l'esprit qui s'élance,
Croit qu'il va entrer dans la danse,
Des compagnons d'éternité.
Là bas attendent ses aînés,
Tous ses amis, tous ses amants,
Tous ses amours, tous ses aimés,
A moins,
Qu’ils n’aient été trompés !
CARAVELLE
Sur l’immense univers,
La caravelle humaine
S’enfuit aux vents furieux du temps.
Je crois qu’elle est sans timonier,
Peut-être a-t-elle un capitaine,
Je crains qu’il soit dément.
Sur l’immense univers,
La caravelle humaine,
Se perd au sein de l’ouragan.
Peut-être a-t-elle un timonier,
J’ai aperçu le capitaine,
Et crains qu’il soit Satan.
BLEU
Une femme, une fleur,
Un sourire, un ciel bleu,
Une flamme, une ardeur,
Un appel, un aveu,
Une lèvre, une odeur,
Un regard, un cheveu,
Une larme, une peur,
Un murmure, un adieu,
Une femme, une fleur,
Un soupir, un ciel bleu.
SOURIRE
Sourire seulement des lèvres,
Cela n'est pas vraiment sourire,
Il faut sourire aussi des yeux.
Sourire seulement des yeux,
Ce n'est pas non plus un sourire,
Il faut sourire aussi du coeur.
Sourire seulement du coeur,
Cela n'est pas assez sourire,
Il faut sourire aussi des lèvres.
LE BRASIER DU MONDE
Dans le brasier du Monde, Tu m'as créé,
Et je naquis pierre,
Et Tu m'as donné l'être et la durée,
Et puis la poussière,
Et Tu as soufflé mes atomes à tous les
vents
de la Terre.
Puis dans la boue du Monde, Tu m'as
créé,
Et je naquis plante,
Et Tu m'as donné soleil et beauté,
et fleur et semence,
et Tu as soufflé mes atomes à tous les
vents
de la Terre.
Dans l'air et l'eau du Monde, Tu m'as
créé,
Et je naquis bête,
Et Tu m'as donné l'espace et la joie,
Et la peur au ventre,
Et Tu as soufflé mes atomes à tous les
vents
de la Terre.
Dans tout le sang du Monde, Tu m'as
créé,
Et je suis né l'Homme,
Et Tu m'as donné la science et la main,
L'orgueil et le feu,
Et Tu as soufflé mes désirs à tous les
vents
de la Terre
Dans la misère du Monde, Tu m'as créé;
Et naquit mon Âme,
Et Tu m'as donné l'espoir et les larmes,
Et la liberté,
Et Tu as soufflé mes erreurs à tous les
vents
de la Terre.
Dans tout l'amour du Monde Tu m'as créé
Et s'ouvrit mon cœur,
Tu viens me donner la foi et le doute,
Et la charité,
Mais Tu vas souffler mes atomes à tous
les vents
de la Terre.
TOUSSAINT
Bouquet blanc dans le cimetière,
Rose rouge dans les oeillets blancs,
Bouquet d'amour taché de sang.
Rose rouge, ou poignard vibrant,
Enfant tombeau, Maman de pierre,
Petit berceau de marbre blanc.
Rose rouge mon cœur griffant,
Larmes cachées, séchées au vent,
Bouquet blanc dans le cimetière,
Rouge baiser sur masque blanc.
INFARCTUS
Qu'il était
bleu le ciel où je volais,
Et doré le
soleil,
Si loin du
sol,
Grouillant
de formes naines,
D'êtres
fangeux,
Gesticulant
de haine,
Qu'il était
bleu le ciel où j'ai volé,
Et doré le
soleil,
Si loin du
sol,
Où, blessé,
je me traîne,
Tordant vers
eux,
Des ailes
immenses et vaines.
L'ANGE
Frisson, douce caresse, souffle léger
qui glace,
Ami,
Un ange est là qui nous regarde.
Angoisse, étrangeté.
Un temps,
Il reste là.
C’est l’ange froid,
Ami,
Ce vent, c’est l’ange froid qui passe.
Enfin, il est parti, mais ne sois pas
niais,
Ami,
Là-bas, encore, il te regarde,
Tu n’es pas oublié.
Comprend !
Il reviendra.
Cet ange froid,
Ami,
Cet ange là n'oublie jamais.
LA LIBERTE
La Liberté,
Ce n'est pas partir, c'est revenir,
Et agir,
Ce n’est pas prendre, c’est comprendre,
Et apprendre,
Ce n'est pas savoir, c'est vouloir,
Et pouvoir.
Ce n'est pas gagner, c'est payer,
Et donner.
Ce n'est pas trahir, c’est réunir,
Et accueillir.
La Liberté,
Ce n’est pas s’incliner, c’est refuser,
Et remercier,
Ce n'est pas un cadeau, c’est un
flambeau,
Et un fardeau
Ce n'est pas la faiblesse, c'est la
sagesse,
Et la noblesse,
Ce n’est pas un avoir, c’est un devoir,
Et un espoir.
Ce n’est pas discourir, c’est obtenir,
Et
maintenir,
Ce n’est pas facile, c’est si fragile,
La Liberté,
MYSTERE
Mystère premier de l'être,
Ignorant de son existence.
Mystère de l'homme animal.
Qui retourne mort au mystère.
Second mystère de l'appel
De l’être intérieur secret.
Mystère des yeux bien ouverts,
Qui contemplent enfin le mystère.
Mystère tiers de la réponse
Du retour vers cet absolu.
Mystère de l'homme réveillé,
Qui porte sa part du mystère.
PAPILLONS BLANCS
Il fait si beau dehors,
Il fait midi,
Il pleut, il pleure,
Il court, il vit,
Dehors.
Il chante, il rit,
Il vente, il crie,
Il fait soleil dehors,
Il neige, il lit
Dehors.
Il souffre, il rêve,
Il aime, il pense,
Il meurt, il prie,
Il fait si beau,
Dehors.
Dans ma tête,
Il fait nuit.
NDR –En France on appelle souvent
« Papillons Blanc » les enfants handicapés mentaux, parfois aussi
« Enfants Soleil ».
CHAQUE MOMENT
Chaque personne est une chance d’être.
Chaque conscient est un chemin vivant.
Chaque occasion nous permet de renaître.
Et chaque instant est le meilleur
moment.
TANT DE JOURS !
Temps de promesse,
Temps de paresse,
Tendres matins,
Baisers coquins,
Temps de jeunesse,
Mon amour, ton amour,
Tant de nuits, tant de jours,
Et des jours et des jours d'amour,
Temps de largesses,
Temps de caresses,
Labeur sans fin,
Enfants calins,
Temps de kermesse,
Mon amour, ton amour,
Tant de nuits, tant de jours,
Et des jours et des jours d'amour,
Temps de détresse,
Temps de faiblesse,
Moments chagrins,
Coups du destin,
Temps de tristesse,
Mon amour, ton amour,
Tant de nuits, tant de jours,
Et des jours et des jours d'amour,
Temps de sagesse,
Temps de tendresse
Pas incertains,
Main dans la main,
Temps de richesse,
Mon amour, ton amour,
Tant de nuits, tant de jours,
Et des jours et des jours d'amour.
LE VIEUX SOLDAT
Sa vieille guerre morte, encore il se
souvient,
Des cruels exploits qu'il retient,
Cachés en sa mémoire et devenus secrets
Et des moments de gloire, revécus en regrets.
Tous ses livres content des batailles.
Il a conservé ses médailles,
Une arme sous son oreiller,
Et son uniforme au grenier.
Il prépare un assaut qui ne surviendra pas.
Redoutant l'ennemi attaché à ses pas,
Contre ses vieux fantômes, chaque nuit, il combat.
Sa parole est sans âme et ses yeux sans éclat.
Son geste est sans repos mais ces agitations
Sont des masques posés sur gênantes questions.
Parfois, sa voix défaille et son regard se voile,
Alors, il sort soudain dans la fraîcheur du soir,
Et restant silencieux sous le pesant ciel noir,
Il feint d'observer les étoiles.
Jacques Prévost (2014 - À l'aube du
Verseau - Extraits)
ELLE A PLEURE, MAMAN
Je sais qu'elle a
beaucoup pleuré, Maman,
Quand son mari est
mort, lui laissant quatre enfants.
Ils s'étaient fort
aimés juste pendant dix ans.
Elle a beaucoup
prié, Maman.
Je sais qu'elle a
beaucoup pleuré, Maman.
Et la ville a
brûlé ; ses enfants dispersés
Cachés dans les
buissons, blottis dans les fossés.
Elle a beaucoup
prié, Maman.
Je sais qu'elle a
beaucoup pleuré, Maman,
Les hivers sans
charbon, et les mois sans argent,
Pas de beurre ni
de sucre, trop peu de pain, souvent.
Elle a beaucoup
prié, Maman.
Je sais qu'elle a
beaucoup pleuré, Maman,
Quand ses fils
appelés à des missions guerrières,
Courraient des
lieux arides, ou d'humides rizières.
Elle a beaucoup
prié, Maman.
Je sais qu'elle a
beaucoup pleuré, Maman,
Chaque jour un peu
plus, se regardant vieillir,
Avec sur tous ses
murs, des photos souvenirs.
Elle a beaucoup prié,
Maman.
Je sais qu'elle a
beaucoup pleuré, Maman.
Sur son amour
perdu et ses rêves lâchés,
Sa vie sans
avenir, et ses projets gâchés.
Elle a beaucoup
prié, Maman.
Je ne la verrai
plus jamais pleurer, Maman,
Elle n'a ouvert
les yeux qu'un seul et court instant.
Elle avait dépassé
quatre vingt dix huit ans.
Elle n'a pas pu
prier, Maman.
Je sais que bien
longtemps je pleurerai, Maman,
Jacques Prévost
(2014 - À l'aube du Verseau - Extraits)
LES CRABES
Prudence en y mettant la
main,
Même pour apporter du pain.
On risque fort d’être blessé.
Pincer et n’être pas pincé.
Manger, pour n’être pas mangé.
C’est la grande philosophie,
Le véritable sens de la vie
Des crabes, de ce panier.
Même si c’est un familier,
Où un frère. C’est un gibier,
Et les citrons seront pressés.
Comment donc les rendre
meilleurs ?
Peut-on les transporter ailleurs ?
Faut-il les cuire pour les aimer ?
Pincer et n’être pas pincé.
Manger, pour n’être pas mangé.
C’est la grande philosophie,
Le véritable sens de la vie
Des crabes, de ce panier.
Un Petit Conte de Noël
Je voulais vous raconter cette histoire mystérieuse pour vous faire découvrir
les pouvoirs créateurs et
magiques de la parole dans l'imaginaire.
Un conte n'est pas écrit pour être lu mais pour être conté, à voix haute,
(et en alternance si possible), devant quelques amis.
Le Miracle du
Houx de Noël
Ce jour là,
dans l’après-midi, Thomas se promenait dans le jardin de son papy. Il n’y
venait pas souvent car ses parents habitaient dans une autre ville. Ce n’était
pas un jour ordinaire, car c’était le jour de Noël. Il avait neigé la nuit
précédente, mais aujourd’hui il faisait beau et le jardin tout blanc étincelait
sous le soleil. Thomas aimait bien jouer dans ce jardin lorsqu’il y venait
pendant les vacances. Et c’était encore plus amusant dans la neige malgré le
froid. Thomas s’amusait à secouer les branches des arbustes pour faire neiger
dessous. Mais soudain, il s’arrêta extrêmement surpris. Un grand arbuste
enneigé semblait s’agiter tout seul. La neige tombait de ses branches mais on
ne voyait personne les toucher. Thomas s’approcha avec prudence et il crut voir
plusieurs petits oiseaux bleus frétiller parmi les feuilles. Mais quand il
approcha, ils disparurent d’un seul coup et l’arbuste redevint immobile. Thomas
courut à la maison pour raconter la chose à son papy.
Tu dois savoir,
dit le papy, que nous vivons dans un monde mystérieux, encore plus au temps de
Noël. Il contient des choses que l'on voit et que l'on peut toucher mais aussi
des choses que l'on ne voit pas et que l'on ne peut pas toucher. Parmi toutes
ces choses invisibles, une légende dit qu’il y a des êtres particulièrement
étonnants. Il y en a toujours plusieurs qui volettent tout autour de nous, mais
sans que l’on puisse les voir ou les toucher. Ce sont les petits mystères. Ils
ressemblent à de petits oiseaux bleus, mais pourtant, ce ne sont pas vraiment
des oiseaux et ils ne sont pas bleus. Ils apportent la chaleur du Soleil dans
nos cœurs et le bleu du ciel dans nos têtes. Et nous pouvons ressentir la
douceur de leur présence quand ils essayent de trouver en nous une petite place
pour faire leur nid. On est vraiment très heureux dans une maison où se cachent
beaucoup de ces petits oiseaux bleus mystérieux, car ils se mêlent les uns aux
autres et construisent ensemble une vie heureuse.
Mais, dit
encore le papy, il faut demeurer attentifs et prudents, car parmi toutes les
autres choses invisibles de ce monde étrange, on trouve aussi des êtres
beaucoup moins agréables. On ne peut non plus les voir ni les
toucher, mais on peut néanmoins ressentir l'amertume et même la violence
suscitées par leur présence. Ces vilaines créatures sont les ennemis des petits
oiseaux bleus. Elles apportent l’agressivité dans nos cœurs et colorent de
rouge nos visages. Elles ressemblent à des petits hérissons rouges couverts de
piquants, mais ce ne sont pas vraiment des hérissons rouges. Elles nous
irritent et s'agitent tout autour de nous en nous agaçant. Elles essayent de
chasser les petits oiseaux bleus pour placer leurs graines ans nos coeurs. Quand ces graines éclosent,
elles s’en vont en laissant la maison dévastée. Quand elles arrivent à entrer
et trouvent un petit oiseau bleu, elles crachent vers lui leurs graines rondes,
et ces petites boules rouges se collent aux ailes des petits oiseaux.
Sais-tu donc,
mon petit Thomas, que les petits oiseaux bleus ne supportent pas ces graines
rouges sur leur plumage d'azur. Quittant
les cœurs glacés et les visages brûlants, ils essayent de retrouver la paix et
la lumière dans les jardins d'alentour. Cependant, au temps de Noël, il
arrive qu’ils trouvent, comme toi, un petit arbre magique aux feuilles dures
couvertes de piquants comme les hérissons. Ce houx est magique. Dans ses
feuilles vertes, il porte des petites graines rouges même dans la froideur de
l'hiver. Et les petits oiseaux désolés se posent dans les branches de l’arbuste
merveilleux. Ils s’agitent et frétillent dans les feuilles raides pour que les
graines de hérissons restent piquées dans les épines. Les ailes se nettoient et
les petits oiseaux sont libérés. De nouveau revêtus de leur bleu invisible et
immaculé, ils essayent alors de revenir dans les tristes maisons des hommes.
C'est ainsi qu’à Noël, avec le miracle du houx, ils peuvent parfois retrouver
le chemin de leurs coeurs.
Papy, dit
Thomas, je ne comprends pas. Dis-moi ce que sont ces petits oiseaux et ces
hérissons. Le papy sourit et dit. Les petits oiseaux bleus qui apportent la
chaleur du soleil dans nos cœurs et le bleu du ciel dans nos têtes, ce sont les
petits bonheurs quotidiens. Les vilains ennemis qui colorent de rouge nos
visages et apportent l’agressivité dans nos cœurs, ce sont les odieuses petites
colères. Vois-tu, Thomas, le temps des rouges fruits du houx est aussi celui
du retour des petits bonheurs dans le
cœur des hommes. C’est le miracle de Noël. Tu crois que ce n'est qu'un conte !
Mais tu as déjà perçu les invisibles présences, douces ou amères, des petits
bonheurs bleus ou des rouges colères. Tu as senti la chaleur de leur amour ou
le souffle de leur violence. Peut-être qu’aujourd’hui même, un petit bonheur
perdu a laissé les graines rouges de ta colère sur les épines de ton propre jardin secret ? En ce jour de joie, peut-être qu’ici, en cet instant, il
tente d’entrer dans ton petit coeur.
Les parents de
Thomas écoutaient en souriant. Concernant Thomas, dit le papy, la légende
s’arrête ici et il peut retourner au jardin. Pour vous, elle comporte une suite
qui réclame vive attention. Les petits oiseaux apportent la chaleur du soleil
dans les cœurs et le bleu du ciel dans les têtes, mais ils sont seulement les
artisans des petits bonheurs quotidiens. On se sent vraiment bien dans la maison
où se tiennent ces aimables oiseaux et il est sage de vouloir construire
ensemble une vie heureuse dans un foyer terrestre. Sachez cependant qu’un être
encore plus mystérieux doit de manifester en vous. On ressent étrangement sa
présence car il est à la fois la glace et le feu, presque mort et à jamais
vivant. Il ressemble à l’oiseau Phénix légendaire qui renaissait des cendres de
sa propre combustion. Il procède doublement de la Terre et du Ciel. Il n’est
aujourd’hui qu’étincelle et peut rayonner comme le Soleil. En ce Noël de
renaissance, entendez le chant du Phénix
dans le cœur de votre âme.
Bonne réflexion
Tirés à part
Tirés à part quelques textes
ou poèmes extraits de ses livres
Jacques Prévost
(1998 - Poèmes pour l'an 2000 -
Extraits)
Août 2000
TOI, REVIENS !
Viens,
Viens toi,
Qui que tu sois !
Car notre caravane
N’est pas celle du désespoir.
Viens, viens quand bien même
Tu aurais, par centaines,
Brisé tous tes serments.
Viens. Oui, toi,
Oui, viens,
Reviens,
Reviens toujours !
(d’après Mawlâna-dja-lâd od-Dîn
Rûmî-Soufi).
HERMES
Or le Noûs,
Père de tous,
Étant Vie et
Lumière,
Enfanta un
Homme semblable à lui,
Dont il
s’éprit comme de son propre enfant.
Car l’Homme
était très beau,
Reproduisant
l’image de son Père,
Et Dieu lui
livra toutes ses œuvres.
Alors
l’Homme qui avait plein pouvoir
Sur le monde
des mortels et les animaux sans raison,
Se pencha à
travers l’armature des sphères,
E il fit
montre à la Nature d’en bas
De la belle
forme de Dieu.
La Nature
sourit d’amour
Car elle
avait vu les traits de cette forme
Merveilleusement
belle de l’Homme
Se refléter
dans l’eau, et son ombre sur la terre.
Pour lui,
ayant perçu cette forme à lui semblable
Présente
dans la nature et reflétée dans l’eau,
Il l’aima et
voulut habiter là.
Ce qu’il
voulut, il l’accomplit,
Et il vint
habiter la forme sans raison.
Alors la
Nature, ayant reçu en elle son aimé
L’enlaça
toute et ils s’unirent
Car ils
brûlaient d’amour.
Et voila
pourquoi, seul de tous les êtres,
L’Homme est
double, mortel de par le corps,
Immortel de
par l’Homme essentiel.
(d’aprés Hermes Trismégiste - Le
Pimandre).
Ô MOINES !
Voici, ô moines,
la vérité sainte sur la douleur.
La Naissance est douleur,
la Vieillesse est douleur,
la Maladie est douleur, (...)
Les cinq sortes d’objets d’attachement
sont douleur.
Les cinq éléments du Moi,
Le corps,
Les sensations,
Les représentations,
Les formations,
Et la connaissance.
Voici, ô moines,
La vérité sainte sur l’origine de la
douleur.
C’est la soif
Qui conduit de renaissance en
renaissance,
Accompagnée
De la convoitise et du plaisir, (...),
La soif de plaisir,
La soif d’existence,
La soif d’impermanence.
Voici, ô moines,
La vérité sainte sur la suppression de
la douleur,
L’extinction de cette soif
Par l’anéantissement complet du désir,
En y renonçant,
En s’en délivrant,
En ne lui laissant pas de place.
Voici, ô moines,
La vérité sainte sur le chemin
Qui mène à la suppression de la douleur.
C’est le chemin sacré à huit branches
Qui s’appellent la foi pure,
La volonté pure,
L’application pure,
Les moyens d’existence purs,
La méditation pure.
(Paroles de Bouddha)
LE ROI CAPTIF
Dans la splendeur du Monde, il a vu son image,
En bas, et l’a trouvée si belle,
Qu’il s’est, un temps, ravi en elle.
Hélas, anéanti, dans son grand lit d’étoiles,
Il dort, et nous souffrons nos peines,
Et nous mourons chargés de chaînes.
De sa gloire oubliée, demeure une étincelle,
Un indestructible principe,
Au donjon de l’âme immortelle.
Dans la tour, il perçoit le chant de la Lumière.
Il comprend que l’heure est venue
De lever enfin la paupière.
Il se souvient des Cieux. Il parle du Royaume,
Il dit qu’il demeure en chaque homme.
Il supplie d’une faible voix.
Il pleure, il rit, il dit qu’en nous, il est en croix.
Il souffre et parle de partage,
Accepté par un libre choix.
Il a besoin d’un corps, il a besoin d’une âme.
Il voudrait détruire sa prison
Et revenir à sa mission.
Il est l’idée, la vie, il est l’amour, la joie.
Il est la liberté suprême,
L’océan de douceur extrême.
Il est l’immensité. Il est l’éternité.
Il est le sablier du temps,
Et la conscience du présent.
Il est, dans l’infini, le maître du destin,
L’innocence sans le chagrin,
La pureté du premier jour.
Il est la force énorme et l’horizon sans fin.
Il est la clarté du matin.
Tout l’avenir est dans sa main.
Il est la vérité, il est la majesté.
Il aspire à ce qu’il était,
Qu’il veut être, et sera demain,
Adam Premier, l’Eon divin, le Roi du Monde.
L’AUTRE
Jésus, Dionysos,
Divins sauveurs des hommes. Osiris ou
Krisna,
Tous ces dieux venus du Cosmos,
Pour dire à tous les hommes,
l’universelle saga,
Et révéler l’appel en nous, l’histoire d’Adam,
Que d’autres, en d’autres temps,
racontent autrement.
Jean est, chez nous, celui
Qui reconnait ce cri dans le désert de
l’âme,
Entend les pleurs de l’autre en lui,
Et permet que s’allume, dans son cœur,
une flamme.
Puis le Baptiste va. A l’autre il laisse
place,
Aprés avoir frayé le chemin de la grâce.
L’âme vierge secrète,
Nous l’appelons Marie. Son cœur humain
berceau
Accueille ici le nouvel Être,
Enfantant, dans la chair, pour l’Autre,
un corps nouveau
Qu’elle chérit, nourrit, et fait grandir
en elle,
Et donne, librement, pour une vie
nouvelle.
Le tout-petit enfant,
A Noël, est l’image de la vraie renaissance,
Le moment du réveil d’Adam,
Si longtemps attendu, l’espoir de
délivrance
De l’animalité, et du sang, et des
chaines,
Dans notre sombre, et sale, et triste
étable humaine.
Jésus le pèlerin,
C’est l’étonnant miracle de cette
incarnation,
Dans chaque homme, sur le chemin,
Etroit et difficile, vers la
transmutation,
Par l’éternel Esprit et dans le libre
choix
De la mort de son Moi, par amour, mis en
croix.
Et la résurrection
A l’aube d’or de Pâques, c’est soudain le retour,
D’Adam, la transfiguration,
Du corps en Christ. Et l’étincelle en ce seul jour
Devient brillant soleil. L’Homme éternel renaît
Dans la restauration du Royaume parfait
Osiris ou Krisna,
Ces êtres merveilleux ne sont que des
symboles,
Jésus, Ba’al, Attis, Bouddha,
Dont nous sommes tentés de faire des
idoles.
Ces mythes composés pour nous ouvrir les
yeux,
D’autres, en d’autres lieux, les
transforment en Dieux.
RACINES
Parmi tous les genres d’êtres,
Ceux qui sont pourvus d’une âme
Ont des racines
Qui leur parviennent de haut en bas.
Mais en revanche,
Tous les genres des êtres sans âme
Épanouissent leurs rameaux
Á partir d’une racine
Qui pousse de bas en haut.
Certains êtres se nourrissent
De deux sortes d’aliments,
Et d’autres ne se nourrissent,
Que d’une seule sorte.
Car il y a deux sortes de nourritures
L’une pour l’âme
L’autre pour le corps,
Les deux parties
Dont se compose le vivant.
(d’aprés Hermes Trismégiste - Asclépius).
LA TERRE
Lors donc,
Après qu’il
eut empli ses mains,
De ce qui
existe dans la nature,
Et tenant le
tout enclos en ses poings.
« Prends,
dit-il,
Ǒ terre
sainte,
Toute
honorable,
Prends.
Toi qui vas
devenir
La génitrice
de toutes choses,
Prends donc,
Et ne sois
plus seconde en rien ».
Et Dieu,
Ouvrant
alors ses mains propices,
En répandit
le contenu
Dans la
grande fabrique du Monde
(d’aprés Hermes Trismégiste - Koré
Kosmou -
La Fille du Monde).
LABEUR
Á la fin du chemin, quand tombera le jour,
Nous laisserons ces feux infâmes,
Et revêtus du seul amour,
Nous rentrerons chez nous, pour reposer nos
âmes.
CHAQUE AMOUR.
Au delà de la
vie, de la mort, et du Monde,
Au delà des
consciences, au delà du destin,
Et du temps qui
s'enfuit,
L'Être premier
demeure.
De Lui émanent
toutes choses,
Chacune
procédant d'une autre,
Chaque vie dans
une autre vie,
Chaque savoir
dans un autre savoir,
Chaque forme
d'être dans le plus grand Être,
Chaque simple
partie dans la seule Unité,
Chaque souffle
d'esprit dans le plus grand Esprit,
Et chaque amour
enfin dans l'éternel Amour.
Par les Matins d’Argent
Les nids, par Fernand Prévost, (fils)
Fernand PREVOST (fils)
Par les matins d’argent
Fernand Prévost, (fils)
Par les Matins d’Argent
Note sur l’auteur
L’auteur de ces quelques poèmes, Fernand Prévost, était
mon père. C’était aussi le fils de cet autre Fernand dont vous pouvez lire les
poèmes dans ce même recueil. En 1939, il a appris qu’il allait bientôt mourir,
et au seuil de la guerre qu’il pressentait, il a voulu laisser à ses jeunes
enfants une dernière trace de ses talents d’écrivain de poète et de peintre, et
il a écrit et illustré pour eux quelques contes et cahiers de poésie.
Soixante-dix années après sa disparition, j'ai pu retrouver celui-ci, les autres ayant
été hélas perdus. J’ai alors voulu rapporter la trace émouvante qu'il nous
avait laissée.
AUBADE
Sous la
brise qui chiffonne
De l'onde le
frais satin;
Le bouleau
d'argent frissonne
Au clair
matin.
L'oiselet
qui chante
M'enchante.
Voici le
jour,
Levez-vous,
brunette,
Coquette,
Voici l'amour.
Déjà le ciel
est tout rose,
Dans les
prés le papillon
Lutine la
fleur éclose
Dans un
rayon.
Le mont sous
l'aurore
Se dore.
Voici le
jour.
Levez-vous,
ma mie
Chérie
Voici
l'amour.
Au gué
suivant sa bergère,
Et secouant
son grelot,
La chèvre
blanche légère
Passe le
flot.
Voici le
soleil
Vermeil,
Voici le
jour.
Levez-vous,
ma belle
Cruelle.
Voici
l'amour.
MATINES
Entre les
arbres, dans l'ombre,
Une
blancheur apparaît.
Le ciel est
déjà moins sombre,
C'est l'aube
dans la forêt.
Dans
l'antique monastère,
Frère
Jacques, vieux et las,
Quitte sa
cellule austère,
En traînant
un peu le pas.
Sous les
arcades disjointes,
Qui
tremblent au moindre choc,
Il avance,
les mains jointes
Dans les
manches de son froc.
En la
vieille tour branlante
Dont on voit
le toit pencher,
Il hausse sa
main tremblante
Vers la
corde du clocher.
En cascades
argentines
Le carillon
réveillé
Chante,
appelant aux matines
Le novice
ensommeillé.
A la voix
qui les appelle
Entre les
murs du couvent,
Les moines à
la chapelle
Se rendent
d'un cœur fervent.
Et l'on
entend voltiger
Ainsi qu'un
oiseau sautille,
Des cloches
le chant léger
Qui dans les
airs s'éparpille.
LES NIDS
Aux matins
transparents, les nids chantent l'aurore.
Dans les
midis joyeux, ils chantent le soleil,
Et quant au
soir tombant, la campagne se dore,
Les nids
chantent encor l'adieu au jour vermeil.
Les nids
chantent l'avril quand le printemps murmure,
Dans l'été
triomphant, les nids chantent l'essor.
Ils sont le
cri vibrant de toute la nature,
Quand
rayonne et sourit un ciel d'azur et d'or.
Les nids en
un concert célèbrent la lumière,
De la
création, ils chantent la beauté.
Et le cri de
l'oiseau ainsi qu'une prière,
Monte en
hymne éperdu vers la divinité.
Les nids
chantent l'amour à l'âme solitaire,
Au cœur
désabusé, les nids chantent l'espoir,
En murmure
très doux, comme une source claire,
Qui coule
sur la mousse en un bois triste et noir.
En quelque
sombre jour, bien loin des vertes plaines,
Bien loin
des purs sommets, le destin vous bannit,
Dans une rue
obscure aux fétides haleines,
Là, sous un
très vieux toit, gazouille encor un nid.
OPALE
Voici l'aube
qui naît dans la brume tremblante,
Le ciel d'un
gris très tendre a de roses reflets,
Et la mer
est laiteuse, et la vague est changeante,
Et des
lueurs se jouent sur les pâles galets.
Une enfant
aux yeux purs apparait sur la grève,
Une robe de
neige encadrant sa beauté.
En face de
la mer, immobile elle rêve..
Et son cœur
tremble un peu devant l'immensité.
Et puis elle
sourit au doux ciel ingénu
Qui d'un
reste de nuit conserve un brouillard vague.
Elle avance
rieuse, et son petit pied nu
Effleure en
frissonnant l'ourlet blanc de la vague.
Soudain la
robe tombe, et le temps d'un éclair,
Comme une
statue blanche, elle dresse splendide
Sa chaste
nudité devant l'horizon clair...
Et puis
saute, joyeuse, au sein du flot limpide.
BOUTONS DE
ROSES
Dans le
jardin fleuri que la lumière dore,
Chante t rit
au soleil une enfant au front pur.
Elle va,
vient, bondit, fuit et revient encore,
Enivrée de
parfums, de rayons et d'azur.
Soudain sa
course folle aux bonds désordonnés
La conduit,
frémissante, au parterre de roses,
Et la
fillette brune aux grands yeux étonnés
S'arrête
émerveillée devant les fleurs mi-closes.
Sous le
rayon doré à, la chaude caresse,
Une rose
s'entrouvre, avide de tendresse.
Un brillant
papillon autour d'elle tournoie.
Trop vite
épanouie au soleil qui flamboie,
Elle donne
son cœur à l'insecte frivole.
Hélas !
L'amour s'enfuit, le papillon s'envole.
D'autres
amants viendront, s'en iront, tour à tour,
Sans guérir
le regret de son premier amour,
La laissant
simplement plus meurtrie et plus lasse.
Et puis le
ciel trop lourd se charge de menace,
D'un orage
assombri l'orage qui s'élance
Frappe
brutalement la rose sans défense,
La laisse
pantelante, encor plus affaissée,
Se penchant
vers le sol, solitaire et blessée.
Ensuite un
limaçon à la bave hideuse
Va, traînant
son corps lourd sur la fleur radieuse.
Souillée,
déjà flétrie, encore parfumée,
S'effeuille
lentement la corolle embaumée.
Enfin,
c'est, vers le soir, l'écroulement subit
Des beaux
pétales d'or, de neige ou de rubis,
Que dans un
jeu cruel et fou, la brise emporte.
Sous un
souffle léger la belle fleur est morte
Éxalant en
parfum sa toute petite âme.
C'est la vie
d'une rose, et celle d'une femme.
JARDINS
D’AVRIL
Ô frais
jardins d'avril, que j'aime votre charme,
Lorsqu'une
averse même a mouillé vos buissons
Et qu'à
chaque rameau se balance une larme,
Et que le
pêcher rose est tout plein de frissons.
Jardins en
féerie lorsque la gelée blanche
Couvre de
pierreries les feuillages tremblants,
Diamante les
fleurs, et suspend à la branche
Des
broderies d'argent aux fils étincelants.
Doux jardins
de printemps peuplés de violettes
Où l'on voit
tout à coup descendre en un rayon,
Chef d'œuvre
délicat d'invisibles palettes,
Comme une
fleur ailée, le premier papillon.
Jacinthes
embaumées aux fleurs de porcelaine,
Beaux
narcisses dorés, tulipes de satin
Balancent
leurs fronts lourds à la brise de plaine
Qui vient
jusqu'au parterre aux heures du matin.
Que vous
avez de grâce, ô jardins de jeunesse,
Où la nature
vibre après un long sommeil
Quand la
première fleur sourit sous la caresse
Du premier
chant d'oiseau et du premier soleil.
LE CHEVRIER
L'Alpe
étincelle et brille à la naissante aurore,
Qui de ses
rayons d'or traverse la forêt.
Le sapin
triste et noir à leur clarté se dore,
La montagne
sourit au soleil qui paraît.
Vers le
petit vallon monte un chant de clarines.
Des chèvres
le troupeau débouche du sentier,
Et
capricieusement court aux herbes alpines
A grand
peine suivie d'un jeune chevrier.
Cependant
qu'alentour les chèvres s'éparpillent
Il s'étend
sur la mousse, et le front dans la main,
Songe sous
le ciel pur, quand soudain ses yeux brillent,
Voici venir
son rêve au détour du chemin.
Elle a le
teint de lis et la lèvre de fraise,
En son
visage fin de doux yeux de bleuet.
Elle porte à
son front la coiffe tarentaise,
Elle semble
une reine, et vit dans un chalet.
Gracieuse
elle approche, elle sourit et passe..
Et le jeune
berger écoute longuement
le bruit du
pas léger qui décroît et s'efface
Et puis rêve
au regard couleur de firmament.
CHANSON
BLANCHE
Dans le
berceau le chérubin sommeille,
Mais sur son
front un nuage a passé.
Dors sans
péril, mon fils, ta mère veille,
Que de ton
cœur m'effroi soit effacé,
Que,
tout-puissants, caressant ta paupière,
Les doigts
légers du sommeil triomphant
D'un songe
pur ainsi qu'une prière
Anges du
ciel, enchantez mon enfant.
Dans le
berceau, maintenant il s'éveille,
Mais
brusquement, des pleurs brûlent ses yeux,
Sous le
chagrin pâlit sa joue vermeille,
S'évanouit
son sourire joyeux.
Bébé résiste
aux baisers de sa mère,
Tout mon
amour, hélas, est impuissant
Pour apaiser
cette douleur amère
Anges du
ciel, consolez mon enfant.
Et le
berceau, maintenant s'ensoleille,
Sur chaque
chose éclot un rayon d'or.
Bébé, ravi,
croit que tout est merveille
Et radieux
veut prendre son essor.
Sur son
front pur mettez votre lumière
Et devant
lui votre bras qui défend.
Parfois trop
faible est le cœur d'une mère,
Anges du
ciel, protégez mon enfant.
LES
HIRONDELLES
En avril,
quand de fleurs écloses
Le jardin se
peuple à nouveau,
Et qu’en les
êtres et les choses
Vibre
l'ardeur du renouveau.
Une troupe
d'oiseaux paraît
Dans un
joyeux battement d'ailes
Et c'est le
printemps qui renaît
Quand
reviennent les hirondelles.
De
longtemps, Colin, sans espoir,
Aimait la
elle Marjolaine,
Sans oser le
dire, et ce soir,
Il la
rejoint à la fontaine..
Il lui
parle, et plonge ses yeux
Au fond des
limpides prunelles..
Les garçons
sont plus audacieux
Quand
reviennent les hirondelles.
Il flotte un
parfum de jeunesse.
Au ciel on
voit plus de rayons.
Les fleurs
s'ouvrent sous la caresse
De l'aile
d'or des papillons.
La nature
chante et sourit,
Toutes les
femmes sont plus belles.
En les cœurs
l'amour refleurit,
Quand
reviennent les hirondelles.
Un air d’Ukraine
- Fernand Prévost, (père)
Fernand PREVOST
(père)
Printanières
Printanières
In memoriam
A la mémoire des Cadets du Tsar
Tous les artistes qui ont
illustré le recueil de poèmes dont sont tirés ces extraits été fusillés sans
procès. Ils étaient fils cadets (ou seconds) des grandes familles de la
noblesse russe avant 1917. Cela leur valut la mort. Fernand Prévost de Belvaux,
le poète, sauva de justesse sa vie car
il était français. C'était leur professeur de langue et c'était aussi mon grand
père. Après la guerre de 1914, il revint en France avec ce recueil, un livret
relié en cuir noir avec un fermoir et un décor d'argent ciselé. Dans mes
souvenirs, il était conservé avec soin dans un écrin protecteur. Interdit aux
enfants, on ne le feuilletait qu'avec beaucoup de précautions. Après
soixante-dix ans, par chance, il m’est enfin parvenu abimé, disloqué, râpé, et
encore plus fragile. Je n'ai pas voulu que son contenu soit à jamais perdu en
mémoire des jeunes cadets martyrs. Ils ont alors exprimé leur talent délicat à
la simple occasion de l'anniversaire de leur professeur de français. Dans
l’édition illustrée que je voudrais en
faire, chaque image sera agrandie pour monter l'élégance et le fini de leur
travail. Dans celle-ci, vous accèderez aux textes tellement romantiques des
poèmes qui expriment souvent la détresse de mon grand-père exilé. Il y
avait en ces temps un piano ou un violon, un musicien, un peintre, ou un poète,
dans chaque maison. Telle était notre culture européenne, il y a seulement cent
ans, si proche encore, et si loin déjà des tags, des SMS ou du rap. En revoyant
ces images et ces textes, je prends conscience du recul culturel subi, et
j'avoue parfois ressentir un peu de nostalgie
SI VOUS CROYEZ
Si vous croyez qu’il est facile
De dire : Je veux oublier,
Et de s’essayer, malhabile,
Á plaisanter et babiller...
Si vous croyez que l’on peut voir
Sur vos traits un peu de dépit,
Sans qu’aussitôt le désespoir
Ne s’empare du cœur contrit…
Si vous croyez que votre main,
Dont la pression souvent enfièvre,
Ne peut pas, baume souverain,
Se poser, douce, sur la lèvre…
Si vous croyez que vos beaux yeux
Ne savent pas aussi sourire
Et rendre un cœur moins malheureux
Et l’arrêter dans son délire…
Si vous croyez que votre nom
Ne vient pas troubler bien des
rêves ;
Qu’un oui de vous, ou bien un non
Ne suffit pas aux heures brèves…
Si vous croyez qu’on peut souffrir,
Toujours avoir l’âme en déroute…
Mais qu’un jour on en peut mourir,
Vous ne le croyez pas, sans doute ?
FLEURS DE PÊCHERS
Les pêchers sont en fleurs, joie
fraîche, gai frisson,
Des blancheurs dans l’éveil de l’aube
printanière,
Des gazouillis d’oiseaux vibrant à
l’unisson
Chantent d’un ton perlé la symphonie
légère
Des fleurs, - blancheur de chairs aux
reflets de satin.
L’on dirait que du ciel, par une folle
brise,
Un vol de papillons a neigé ce matin,
Gardant, nés de l’aurore, à leur aile
qu’irise
Un peu d’azur d’en haut, leur poudre de
velours,
Frais duvet qui ressemble à de la
veloutine
Dans la rose et l’or clair de l’air, en
pluie fine,
Au lever radieux du plus charmant des
jours.
VARIATIONS
Rose et fraîche, elle n’est pas celle
Dont on dit en se retournant :
Oh ! Voyez donc comme elle est
belle !
Et que l’on admire en passant.
Mais sous la paupière mi close,
Si ses yeux s’arrêtent sur vous,
Si son regard troublant se pose,
Quelques instants, frôleur et doux,
Alors on veut la voir encore,
Alors on a plus qu’un désir :
Elle est de celles qu’on adore ;
L’on ne veut plus que revenir.
Souple et gracieuse en sa pose,
Dans un costume harmonieux,
Un sourire à sa lèvre rose,
De la malice dans les yeux,
En sa nonchalance traitresse,
Elle trouve la mot hardi,
Et le regard hautain qui laisse
Un don Juan tout étourdi.
Mais au clavier, lorsque sans trève,
Pleine de larme sous sa main,
Chante une musique de rêve
Qui bercerait jusqu’à demain,
Alors l’ardeur se fait moins vice,
Du regard devenu rêveur,
Et la bouche se tait, pensive,
Pour écouter parler le cœur.
SOIR DE FÊTE.
Á l’éclat des flammes ardentes,
Et dans le bruit grisant du bal ,
Un fau monte à ses joues brûlantes
Et rehausse un teint sans égal.
Son beau front blanc, sous sa couronne
D’abondants cheveux presque noirs,
Sans effort apparent lui donne
L’air qu’elle aime en de pareils soirs.
Que la robe soit bleue, soit blanche,
Sur fond d’or, gaîne de velours,
Seyant au corsage qui tranche,
Le goût est sûr et fin, toujours.
Cambrée dans sa taille bien faite,
Un sourire aux lèvres, frondeur,
Elle est la reine de la fête :
Cela suffit à son bonheur.
Elle sait bien que tout l’admire,
Et, suivie par mille regards,
Elle garde son fier sourire
Qui commande tous les égards.
Mais sous ce masque de coquette,
Parfois, au fond de ses beaux yeux,
Se révèle, voilée, discrète,
La tristesse des cœurs soucieux.
Ses chers yeux bruns, au regard tendre,
En s’abandonnant un moment,
Font voir, à qui sait les comprendre,
Sans vains apprêtes, tout simplement,
L’âme mélancolique et douce,
Cachée sous des dehors trompeurs,
Comme l’eau vive sous la mousse,
Un nid d’oiseau parmi les fleurs.
HYMNE
Le printemps est dans l’air; partout sa
tiède haleine
Éveille un frisson délicieux;
Le printemps est partout sur le mont et
la plaine;
Mais il est surtout dans tes yeux.
Tes chers yeux bruns, si beaux, qu’un
peu de chaleur dore,
Sont bien tendres quand tu veux
bien ;
Et de les voir ainsi, très doux, je les
adore,
Et cela ne te coûte rien !
Quand mon regard se pose, affolé de
tendresse,
Sur tes lèvres, plein de désir,
D’y goûter un instant d’incomparable
ivresse,
Avant-goût des joies à venir,
Je sens qu’n mon cœur gronde une passion
farouche,
Et mon sang se presse, brûlant ;
Et je ne veux plus rien que boire à
cette bouche,
La vie, l’amour, éperdument.
Et tout dans la nature est plein de
rêves roses,
De bruit d’abeille et de baiser ;
Comment ne pas t’aimer quand, paupières
mi-closes,
Tu t’étends pour te reposer ?
J’oublie tout sur la terre en sentant la
tiédeur
De ton épaule ou de ton sein,
Et je voudrais mourir en entendant ton
cœur
Battre à coups pressés sur le mien…
UN NOM
Ton nom est doux et clair ainsi qu’un
chant d’oiseau.
Il chante dans mon cœur comme une
cantilène,
Air ancien modulé sur un rythme nouveau
Plein de langueur italienne.
Leit-motiv éternel de mes pensées du
jour,
Il hante mon sommeil et je tressaille en
rêve
D’entendre soupirer comme un appel
d’amour,
Le nom que je redis sans trêve.
Il est doux comme toi, alerte et
gracieux,
Pareil à ce beau corps qui me brûle de
fièvre,
Il évoque en mon cœur le regard de tes
yeux :
Je crois le baiser sur mes lèvres.
Il te sied comme tout ce que tu portes,
toi !
Comme à ton front si blanc ta chevelure
sombre,
Á ta bouche si rose un baiser plein
d’émoi,
Á ton clair regard un peu d’ombre.
Quand je reste parfois, à m’oublier le
soir,
Dans une rêverie mélancolique et tendre,
Si ma pensée se berce à quelque doux
espoir,
C’est ton nom que je crois entendre.
Lis le donc dans mes vers de ce dernier
quatrain,
Écrit, le nom aimé de la plus chère
femme,
Lumière de ma vie, qui, dans sa jolie
main,
Idole et reine, tient mon âme.
ANGOISSE
Le temps fuit comme un rêve,
Rêve bleu, gris ou noir,
Sans arrêt et sans trêve,
Le soir succède au soir.
Quand j’interroge ton visage,
Et que je regarde tes yeux,
Un doux et décevant mirage,
Pour un instant me rend heureux.
En cette heure fugace,
Je vis de mon amour :
Mais bientôt elle passe,
Hélas ! Encore un jour…
Oh ! Si je pouvais l’arrêter
Cette heure où je me sens revivre,
Où je ne fais que répéter
Les aveux dont mon cœur est ivre !
Mais le sang brûle en vain :
Partir, voir disparaître
L’aimée jusqu’à demain,
La verrai-je ? Peut-être…
Et je me vois seul dans la nuit,
Et l’âme est lourde de tristesse
L’avenir est noir. Rien ne luit,
L’angoisse me serre et m’oppresse.
Demain ! Terrible sphynx,
Fantôme qui déchire,
Et que des yeux de lynx
Mêmes ne sauraient lire !
O nuit où je ne puis dormir ;
Où son nom et sa voix m’obsède
Où me poursuit son souvenir ;
Où le rêve insensé me cède !
Que me garde le sort ?
La vie, un peu de rose ?
Où bien est-ce la mort
Qui seule, enfin repose ?
FANTAISIE EN TON MINEUR
S’il est vrai qu’il n’est point sur
terre
Pour moi de bonheur,
Et que le plus doux mystère
Qui naisse en un cœur,
Ne bercera plus mon âme,
Même pour un jour,
D’un doux sourire de femme,
Un rayon d’amour ;
S’il est vrai que ma jeunesse
Á jamais a fuit ;
Que ce rêve de tendresse
S’est évanoui,
Alors qu’un baiser timide,
Posé sur sa main,
Rend heureux mon cœur avide
Jusqu’au lendemain
S’il est vrai que tout s’envole,
Dernière illusion,
Qu’au passé mon cœur immole
Sa chère vision :
Avant que le soir arrive,
Et bientôt la nuit,
Il vaut mieux à la dérive,
Sans larmes, sans bruit,
S’en aller de la vie belle,
En disant son nom,
Sans murmurer de ce qu’elle
A répondu : Non !
ROSES
En une amphore au fin contour,
Écloses,
S’épanouissant tour à tour,
Les roses
Aux tons pâles, roses, foncés,
Si belles,
Ouvrent leurs pétales froncés
Et frêles.
Leur vie née de ce matin,
Si brève,
Passera jusqu’à demain,
En rêve,
Embaumant de leur odeur
Exquise
La minute de bonheur
Conquise.
Sur des lèvres au ton pourpré
Plus roses
Que le calice diapré
Des roses,
Où le sang, superbe et pur,
Embrase
D’un trouble puissant et sûr
D’extase.
Mon cœur à qui disent tant
De choses
Ces belles lèvres, pourtant
Bien closes.
O roses, sœurs des amours
Inquiètes,
Fleurs favorites, toujours
Discrètes,
Portez mes vœux, vous qui savez
Ma flamme,
Prenez l’aveu, car vous avez
Une âme.
FANTAISIE
Un frais bouton de rose-thé
Á l’aube grise est près d’éclore :
Pour épanouir sa beauté,
Il n’attend qu’un regard d’Aurore.
Le clair soleil de Floréal,
D’un baiser brûlant la caresse :
La fleur ouvre son sein royal
Plein de désir, prêt à l’ivresse.
Mais déjà la brise du soir
Vient d’effleurer la vierge folle :
La corolle s’est laissée choir
Á l’instant sa beauté s’envole.
Maintenant, dans l’ombre nocturne,
La rose flétrie va mourir :
Il ne demeure au fond de l’urne,
Que la cendre du souvenir.
BÉMOL ET DIÈSE
Haut et difficile est le but
Et le courage parfois sombre :
L’être entier vibre comme un luth,
Espère ou s’abîme dans l’ombre,
N’attendant que le dernier :
chut !
Et s’endormir au gouffre sombre.
Haut les cœurs quand le but est grand
Et l’amour fait beaucoup sur
terre ;
L’âme s’élève e un instant,
Et l’avenir, sphinx et mystère,
Ne montre pas que le néant :
Et l’heure vient où l’on espère.
L’ŒILLET
La fillette avait pris le missel de
l’aïeule
Et les feuillets jaunis tournaient aux
doigts légers ;
Distraite, elle rêvait, et, de se sentir
seule,
Une mélancolie, des soucis étrangers,
Á son front de seize ans mettaient un
peu de brume,
Mais, sur ses lèvres passe un sourire
très fin ;
Dans les yeux bleus, rieurs, un éclair
gai s’allume,
Et sur la bouche on pose un petit doigt
mutin :
Des pages du missel une fleur glisse et
tombe,
Un œillet, blanc jadis, à présent
desséché,
C’est, dans le livre pieux, comme dans
une tombe,
Un peu de vie d’antan et de monde,
arraché…
La fillette s’en est venue vers la
grand’mère,
Et, posant son front blanc, câline, à
ses genoux,
Regarde longuement cette tête si chère,
Aux boucles argentées, au regard bleu,
si doux ;
Puis, avec un baiser, demande,
rougissante,
L’histoire de l’œillet, pris dans le
vieux missel
Comme au soleil levant, sur l’herbe
chatoyante,
Dans une goutte d’eau s’est pris un coin
de ciel.
Un peu de rose monte aux joues de la
grand’mère,
Et son regard très doux se pose en
souriant
Sur l’enfant répétant sa naïve prière,
Et ses doigts caressants frôlent ce
front charmant.
C’est si loin, ce passé !...
J’avais seize ans, petite,
Seize ans ! Et j’étais belle, et
fraîche comme toi ;
Des joues roses aussi, un cœur qui bat
plus vite,
Pour un regard, un rien, aussitôt en
émoi ;
Et des cheveux très blonds, ma plus
belle parure,
Des cheveux d’or léger, volant au
moindre vent ;
Pleine de vie, d’entrain, puis, ma foi,
de l’allure :
Je connais bien des cœurs qui s’y sont
pris souvent ;
Teint de rose et lis ; et des
yeux... Vois mes yeux,
Les mêmes, mais plus bleus, pleins de
rêve et d’ivresse,
N’ayant, comme les tiens, connu que
jours heureux.
C’était un soir de Mai ; dans
l’air, une caresse,
Vous effleurait les joues, à perdre la
raison ;
Un souffle de printemps courait avec la
brise,
Et le soleil à peine avait fui
l’horizon.
Les fleurs, la nuit qui vient… Oh !
La douceur exquise
De ce beau soir, avec le parfum des
lilas
Flottant, léger, dans l’air, tout
embaumé, suave…
Et de ce si beau soir, il ne me reste,
hélas !
Qu’une fleur desséchée, cet œillet,
frêle épave.
C’était mois de Marie. Nous allions,
toutes deux,
Ma mère et moi, prier tous les soirs à
l’église.
Ah ! Que j’étais distraite alors,
et je prie mieux
A présent. Mais seize ans… Cette soirée
qui grise !
Je remarquais souvent qu’un homme me
suivait ;
Oh ! De loin, mais toujours ;
jeune, la figure douce ;
Et, derrière un pilier, fidèle, il
attendait ;
Son regard m’adorait ; j’avais une
secousse
Au cœur, à chaque fois que je voyais ses
yeux :
Ils exprimaient si bien cette grande
tendresse
Qu’ont seuls les cœurs très purs, le
joyau précieux
Que l’on gaspille tant au temps de la
jeunesse.
Or, ce soir, son regard dans l’ombre me
brûlait.
Il nous suivit longtemps, jusqu’à notre
demeure ;
Dans la brise du soir, à mi-voix il
chantait
Et sa chanson, je me la rappelle à cette
heure.
« Je veux que la brise du soir
« Te dise que mon âme est ivre.
« Donne à mon cœur un peu
d’espoir :
« Un mot de toi me fera vivre.
Arrivé près du seuil, il était là tour
près :
Je sentis dans la nuit sa main toucher
la mienne.
Il y mit cette fleur… Pourquoi faut-il
qu’après
Tant d’années disparues, d’un soir je me
souvienne ?
Je ne l’ai plus revu ; J’en rêvai,
bien des fois,
Et, malgré les chagrins, les plaisirs et
le rêve,
Car la vie, ma petite, est faite, tu le
vois,
De rose avec du noir, elle donne, elle
enlève ;
Malgré tout, j’ai gardé ce frêle
souvenir.
Les années ont passé sur cette tête
blanche ;
Je sens que c’est bientôt que ma vie va
finir ;
Et cependant, vois-tu, mon front ému se
penche
Vers cet œillet flétri que j’embrasse
souvent.
Toute entière au passé, dont revivent
les charmes,
L’aïeule s’était tue, l’âme bien loin,
rêvant,
Les yeux bleus de l’enfant étaient
remplis de larmes.
FOL ESPOIR
« Dire à l’heure qui passe, à
l’heure exquise et folle
« Qui précède toujours le moment
des adieux
« Oh ! Ne fuis pas !...
Mais non, la voila qui s’envole,
« Remonte aux cieux ;
« Sentir son cœur serré, brûlant
dans sa poitrine,
« Battre à grands coups pressés la
marche de l’amour
« Rien qu’en frôlant le bout de sa
main, douce et fine
« Pour tout un jour ;
« Voir en ses beaux yeux bruns, qui
disent tant de choses,
« Son âme toute entière en sa
mobilité,
« Et la fierté qui dort en ses
paupières mi-closes,
« Et la bonté ;
« Rêver quand sous ses doigts, sur
le clavier d’ivoire
« Pleure un chant de douleur,
Mendelssohn ou Chopin,
« S’abandonner encore à la douceur
de croire,
« Rêver sans fin ;
« Aimer éperdument, avec toute son
âme,
« Ne redire qu’un nom, le matin et
le soir,
« Et mettre, malgré tout, dans le
cœur d’une femme
« Son seul espoir ;
« Vivre ainsi, l’âme triste et
l’esprit en démence,
« Attendant follement un :
oui, de l’avenir,
« Et quand disparaîtra cette frêle
espérance,
« Alors, mourir.
POURQUOI ?
Pourquoi ton regard bleu, comme un rayon
d’étoile
Si beau
S’embrume de tristesse, ainsi que traîne
un voile
Sur l’eau ?
Pourquoi tes longs cils noirs, doux
comme le plus tendre
Velours
Ne laissent que des pleurs sur ta joue
se répandre
Si lourds
Ton visage est pareil à celui d’une
fille
Du Rhin ;
Tes superbes cheveux, tel sous le soleil
brille
L’airain
Roulant en diadème à ton beau front de
reine
Plus blanc
Que le mystérieux manteau de la sirène
D’argent
Et de rayons paré, dans l’ivresse d’un
rêve
Divin
Qui se déroule et berce et jamais ne
s’achève
Sans fin.
De tristesse voilé, ce front si beau se
penche :
Des pleurs
Mouillent ces yeux d’un bleu plus pur
que la pervenche,
Deux fleurs
Comme la plainte ailée d’une lyre qu’on
frôle,
Ta voix
Vibre dans le sanglot d’une âme qui
s’envole…
Pourquoi ?...
TROIS MOTS
Toujours ! Un mot hardi qui défie
l’avenir,
Enfermé tout entier dans les plis d’une
robe,
Triomphe, espoir et joie de l’amour
à son aube :
Oh, garde au moins le souvenir.
Jamais ! Le mot de glace et de
deuil rempli d’ombre,
Tombant sinistre et froid sur le cœur
éperdu
Qui vibrait de tendresse et bravait
l’inconnu ;
Espoir, amour et foi : tout sombre.
Mais Dieu nous a laissé, dans sa pitié
pour l’être
Qu’il créa faible et nu, le mot sublime
et doux
Qui nous permet le rêve, espère malgré
tout
Et sourit dans les pleurs :
Peut-être.
DIZAIN
Où donc est-il sur terre,
Ce lieu de doux oubli ;
Où l’âme encore espère
Et se tait tout ennui.
Où donc es-tu sur terre,
Bienheureuse patrie !
Mon cœur toujours t’espère
Illusion chérie :
Là-bas l’amour sur terre
Et le rêve infini…
BLESSURE D’ÂME
« Quand le roi des forêts du Nord,
le libre élan,
« D’une balle mortelle a reçu la
blessure,
« Il s’arrête d’abord pour se mordre
le flanc
« Et sa douleur s’avive avec cette
morsure.
« Puis il repart soudain à travers
les fourrés,
« Brisant de ses bois durs, en sa
course sauvage,
« Arbres morts, jeunes troncs, et
rameaux trop serrés ;
« Tout craque, tout s’abat, fauché
sur son passage.
« Il va. Son poil est moite, et ses
naseaux fumants
« Aspirent l’air glacé ; ses
yeux ont un feu sombre ;
« Brusquement, il frissonne, et,
sur ses pieds tremblants
« Chancelle, fléchit, tombe,
agonise dans l’ombre…
« Il est de ces beaux yeux dont les
regards très doux,
« De ces lèvres aussi dont les
charmants sourires,
« Blessent les cœurs aimants et les
rendent plus fous
« Que ne fait une balle et les plus
durs martyres.
« Il a suffi parfois d’une pression
de main ;
« D’un regard qui vous dit en souriant :
« Peut-être » ;
« D’une très douce voix qui vous
dit : « à demain ! »
« Pour que vous tressailliez
jusqu’au fond de votre être,
« Et ces blessures là, nous les
gardons toujours ;
« Mortel et cher poison, bu des
yeux d’une femme,
« Il nous brûle les nuits, et nous
compte les jours.
« La blessure qui tue, c’est la
blessure d’âme.
AVEU
Si je suis assis loin de toi,
Mon regard te fuit et t’évite,
Pour cacher l’invincible émoi
Dont mon cœur, hélas !
palpite ;
Mais bientôt, ainsi qu’un aimant,
Tes yeux, ton visage, toi toute,
Attirent mon regard aimant :
Et me voila tout en déroute.
Les rires et joyeux propos
Vont bruissant à mon oreille :
Comment pourrais-je être en repos,
Les yeux sur ta lèvre vermeille ?
Et si je suis à tes cotés,
Mon cœur bat, mais je me sens vivre,
Et mon sang coule à flots pressés,
Et je deviens tout à fait ivre.
Si je ferme un instant les yeux,
Aussitôt je vois ton visage,
Ton corps aux contours gracieux,
Et je m’affole à ce mirage.
Ton nom charmant, doux et léger,
Ton nom, je le dis avec fièvre,
Il me fait l’effet d’un baiser
Qui vient se poser sur ma lèvre.
Quand j’effleure ta blanche main
Ta bouche ou ta joue rougissante,
Je garde jusqu’au lendemain
Une âme inquiète et frémissante.
Je t’aime : hélas ! Puis-je ravir
De mon cœur ce rêve suprême ?
Je t’aime, et je me sens mourir
De cette passion, mais je t’aime.
DEUX YEUX BLEUS.
Ce sont ses yeux d’un si beau bleu,
Ses beaux yeux d’un bleu de
pervenche :
Ils ont mis dans mon cœur en feu
Une passion que rien n’étanche.
J’ai perdu mon cœur, c’est
certain ;
Mais honni soit qui mal y pense !
Deux yeux bleus l’ont pris ce
matin :
Jane, me voici sans défense.
J’allais aux champs ; le soleil
clair
Riait sur l’herbe encore humide ;
Des chants d’oiseaux montaient dans
l’air,
Quand je vis son regard limpide.
Ses yeux étaient d’un bleu d’azur :
Pas le moindre petit nuage.
Aucun saphir n’est aussi pur :
Un ciel de juin après l’orage.
Ce n’étaient pas ses blonds cheveux
Pareils aux épis d’orge mûre :
Vers ses yeux seuls allaient mes
vœux ;
De tout le reste je n’ai cure.
Sa joue était sI fraîche à voir
Comme un duvet de pêche rose…
Ses yeux bleus m’ont ravi l’espoir
Leur regard en maître dispose.
Sa lèvre humide, un papillon
La prendrait pour une églantine ;
Il voudrait tout droit, du sillon
Se poser sur sa gorge fine.
Mais moi, je ne vois que ses yeux,
Hélas ! et je ne vis sur terre
Que pour ses yeux si bleus, ses yeux,
Et j’y veux chercher le mystère
Qui me fait rêver sur la terre
Et m’y croire tout près des cieux.
UNE OMBRE…
Une ombre légère, un rêve qui
passe ;
Un rayon d’azur qui bientôt
s’efface ;
Un regret d’amour, un élan divin ;
Une coupe amère et la lie du vin ;
Des pleurs, des chants, aussi des
sourires,
Plus souvent des brumes et des
délires ;
Un printemps qui fuit, un été brûlant,
Un automne triste et doux cependant.
Puis un dur hiver tue ce que l’on
aime :
Depuis des siècles, c’est notre vie
même.
NUIT.
La nuit est sombre
Noyée dans l’ombre
Et mon cœur sombre
Quand vient le soir ;
Empli de brume
Et d’amertume,
Il se consume
En désespoir.
Dans la nuit,
L’éclair luit.
Un grand bruit
Gronde ;
Au lointain,
Incertain,
L’œil en vain
Sonde…
UN AIR D’UKRAINE.
La blanche clarté des nuits d’Août
Baigne la ville et la plaine :
Là-bas venu je ne sais d’où,
Chante un air léger d’Ukraine.
Cela gémit au loin, dans le calme du
soir,
Comme un léger sanglot, ou la très douce
plainte
D’une âme abandonnée qui renonce à
l’espoir
Et conte sa foi morte, illusion éteinte,
Regrets de l’aveu tendre, et du discret
amour,
Des baisers échangés à l’heure exquise
et folle,
De ce qui fait de l’homme un roi pour
tout un jour,
Puis, comme un rêve, passe, à jamais, et
s’envole.
La blanche clarté des nuits d’Août
Baigne la ville et la plaine
Là-bas venu je ne sais d’où,
Pleure un air léger d’Ukraine.
En sons tristes et lents, la mélodie
soupire ;
Puis se brise soudain, sur un accord
plaintif ;
Il se répète, cesse ; et dans un
souffle expire,
Se taît, la strophe émue, dite d’un ton
craintif
Un instant elle vibre encore doucement
L’air léger de ce soir exquis de clair
de lune
En prolonge à plaisir, harmonieusement,
Les notes éplorées et la tendre
infortune.
La blanche clarté des nuits d’Août
Baigne la ville et la plaine
Là-bas venu je ne sais d’où,
Meurt un air léger d’Ukraine.
Et l’on n’entend plus rien que le chant
d’un grillon
L’esprit rêve, bercé par la musique
lente
Morte à présent, tombée quelque part au
sillon,
Avec l’âme meurtrie, la ballade dolente
Quelque corde est brisée sans doute au pauvre
cœur,
Et l’instrument s’est tu… Le silence a
des larmes
Aussi ; la brise pleure. Ecoutez...
L’on a peur
Des démons de la nuit, impurs, jeteurs
de charmes..
La blanche clarté des nuits d’Août
Dort sur la ville et la plaine
Là-bas a fui, je ne sais où,
Le léger chant de l’Ukraine.
Á LÉLETTE.
Et maintenant, Lélette,
Notre printemps a fui ;
L’an, à mourir, s’apprête ;
La dernière aube a lui.
Les lilas et les roses
Ont paré notre amour ;
Par mille douces choses,
Je t’aurai fait la cour.
Mais, rose ou chrysanthème,
La fleur te dit tout bas
Que tout mon être t’aime…
Tu le sais, n’est-ce pas ?
Si, dans la tiède haleine
De Mai, dans le soleil,
La gracieuse phalène
D’un printemps sans pareil
N’est plus là qui volète,
Les premières ardeurs,
O ma chère Lélette,
Survivent dans les fleurs
Que Juin ou Juillet, brûle,
Chère âme, ou que l’hiver
Cingle de sa férule,
Le sapin reste fier ;
Tel, dans le temps des roses
Ou celui des frimas,
Le cœur dont tu disposes
Pour toi ne change pas.
31 décembre 1906 – Fernand Prévost de
Belvaux
Suite des poèmes de Fernand Prévost
Récupérés sur feuilles volantes.
NOSTALGIE.
Ô Sphinx impénétrable et moqueur, ô
Destin,
Ne pourrons-nous jamais dans notre
course errante
Nous arrêter enfin, replier notre tente,
La fixer pour toujours au détour du
chemin ?
Dormant ici ce soir, aimant au gré des
routes,
Demain courant là-bas, ne restant nulle
part,
Illusions fauchées, les espoirs en
déroute,
Nous l’aimons cependant, notre vie de
hasard.
Mais, superbe et vibrante, elle a ses
heures sombres,
Heures d’accablement, tristes jusqu’à la
mort,
D’infinie lassitude, où tout entouré
d’ombres,
Notre cœur pleure et crie sa plainte et
ses remords.
Á l’heure nostalgique et douce, et
frissonnante,
Où je la vis paraître en ce pays d’exil,
Se dresser et parler à mon âme
tremblante,
De mon passé perdu ressaisissant le fil,
Ainsi qu’un gracieux fantôme
d’autrefois,
Au regard franc et doux, au provoquant
sourire
Vibrant de fièvre ardente et des cris
dans la voix
Qui me disaient tout bas ce qu’elle
n’osait dire.
J’oubliais tout alors, sans me lasser
d’entendre
De notre langue aimée les sons doux et
charmeurs,
La cadence légère, indiciblement tendre,
Vive et gaie comme un chant d’oiseau
parmi les fleurs.
La taille souple et fine, ondoyante et
nerveuse,
Semble une tige fine en sa gracilité,
De son buste élégant, la courbe sinueuse
De la fleur a la grâce et la fragilité.
De ses cheveux soyeux, l’auréole légère
S’échappe en mousse fine, aux reflets
d’or bruni ;
Et sa peau transparente, au gré de l’âme
fière,
Devient d’un rose ardent ou d’un blanc
tout uni.
Le regard a parfois une longue caresse,
Qui frôle, délicate, ainsi qu’un velours
noir ;
Les yeux ont un ton chaud qui doucement
oppresse,
Pénétrant comme en juin le souffle
ardent du soir.
Presser un court instant cette main si
petite,
Des lèvres longuement, y mettre tout un
cœur,
Voir briller ses yeux noirs, puis s’en
aller bien vite ;
En rêvant au passé, mirage de bonheur.
Chimère décevante et rêve insaisissable
Que murmure tout bas la voix du
souvenir !
Mais elle ne dure pas la minute
ineffable
Et l’instant d’après la voit s’évanouir.
Les rimes passionnées aux beautés
sensuelles,
Les élans, les sanglots, les cris fous
de désir
Sont pour ces corps sans âme :
Elles ne sont que belles,
Idoles sans pensées, faites pour le
plaisir.
C’est plus ou moins qu’il faut, pour
elle, Eve moderne,
Son être et plus complexe et plus tendre
à la fois,
Elle n’a pas l’attrait de cette beauté
terne
Qui n’est que dans la forme, inerte et
sans émois.
Mais elle ! C’est un feu continu
qui l’enfièvre,
Flamme perverse et fauve, allumée dans
son sein,
Qui fait brûler ses yeux et fait
trembler sa lèvre,
Empourpre sa joue pâle à la peau de
satin.
C’est la liberté même, et fille d’un sol
libre,
Qui vibre en elle et brille, étincelle
en ses yeux,
Impatiente du joug, et c’est la soif de
vivre
Qui donne à tout son être un charme
impérieux.
Prêt à tout pour lui plaire, étrange
charmeresse,
J’attends sa volonté, je cherche son
désir,
Car la servir, pour moi, n’est que la
douce ivresse,
De revoir et d’aimer mon plus cher
souvenir.
Octobre 1902 – St : Caucase
FLEUR D’EXIL.
Son nom ! Comme un bruit d’aile
Qui bruisserait,
Doux frisson, venu d’elle,
Et s’en irait,
Vers l’exilé, de celle
Qu’il adorait
Dire qu’à lui, fidèle,
On penserait.
Les yeux noyés d’ivresse,
Languissamment,
Frôlent, pleins de tendresse,
Tout doucement
L’aimé dont leur caresse,
Fiévreusement,
Etreint le cœur, l’oppresse
Comme un aimant.
La bouche frémissante,
Vient se poser,
N’osant plus, fleur tremblante,
Se refuser.
A l’ardeur qui, brûlante,
Va l’embrasser,
Se donne, palpitante,
Dans un baiser.
Février 1903 – Samara
LILAS
C’est un soir d’été, c’est un soir de
mai,
Je vais doucement, rêvant à ma Jeanne,
La blonde fille qu’autrefois
j’aimais :
L’amour nait, grandit, puis bientôt se
fane.
Je rêve à celle qu’autrefois j’aimais.
Cueillons en marchant les beaux lilas
mauves...
Je dis à ces fleurs, à ces doux
lilas :
« Où sont à présent ses beaux
cheveux fauves ?
« Tout mon être souffre et mon cœur
est las.
« Où sont à présent ses beaux
cheveux fauves ?
« Ce soir je revis mon premier
amour,
« Le premier, celui que l’on
n’oublie pas.
« Où sont ses yeux bleus, où donc
est ce jour
« Où je reçus d’elle, ô mes chers
lilas,
« Le premier baiser, où donc est ce
jour ?
« Un soir j’ai brûlé cette boucle
blonde
« Qu’elle me donna, mouillée d’un
baiser...
« Brûler ce qui fut pour moi plus
qu’un monde !
« Ô mes beaux lilas, comment ai-je
osé ?
« Ces cheveux étaient pour moi plus
qu’un monde.
« Oh, votre parfum va jusqu’à la
source
« Où dormait en moi cet amour
éteint.
« Lilas, mes lilas, votre odeur
m’est douce :
« Elle évoque en moi ce passé
lointain…
« A mon cœur meurtri votre odeur
est douce.
« Ô mes beaux lilas, vos frêles
pétales
« Qu’en une caresse effleurent les
brises
« Ont un reflet rose et des teintes
pâles
« De molle améthyste aux douceurs
exquises
« De violette ayant des teintes
pâles.
« Et ces fins pétales ont aussi
leur âme,
« Une âme légère ainsi qu’est une
ombre,
« L’ombre qu’eut Ondine en devenant
femme ;
« Votre âme est un rêve, en cette
heure sombre,
« Le rêve d’une enfant qui devient
femme.
« Et ce soir votre âme, ô mes beaux
lilas,
« Votre âme de rêve a dit à mon
âme,
« Son passé, me l’a murmuré tout
bas,
« Évoquant un nom, un doux nom de
femme,
« Et ce nom, je l’ai répété tout
bas.
Mai 1901 – Gt. de Tambod
LE VENT DE LA NUIT
Le vent de la nuit
Dans les bois gémit,
Bruit lugubre et fruit de mort,
Invisible esprit,
Chasse que poursuit
Le cri répété d’un cor.
Sur la plaine il passe,
Et bientôt s’efface
Et l’on dirait qu’il s’endort,
Sans laisser de trace
Plus que dans l’espace
Le vaisseau qui vole au port.
Mais soudain il clame
Comme le cerf brame
Quand l’amour jaloux le mord :
C’est un bruit de rame,
La plainte d’une âme
Exilée qui prend l’essor.
La frégate est bonne,
Mais, des coups qu’il donne,
Va de tribord à bâbord ;
En vain le glas sonne,
Le sort l’abandonne,
L’ouragan est le plus fort.
Ô voix de la mer,
Ô la plainte amère
Des flots mourant sur le bord !
Et les pleurs de mère,
La sombre colère
Des déshérités du sort.
L’eau s’élève en trombe
Et l’orage gronde :
Tel le feu de vingt sabords
Dont ronfle la bombe :
Et rien qui réponde
Á l’espoir comme aux efforts.
Troupeau qui s’assemble,
Les vagues ensemble,
Comme à l’assaut de Gomorrhe
Se ruent ! Et il semble
Que le vaisseau tremble
Sous le flot qui le dévore ;
Le ciel s’emplit d’ombre
Et la nuit est sombre
Comme un manteau qui se tord,
Et le vaisseau sombre
Á pic, et s’effondre
Dans le flot noir qui le mord.
Parfois, il murmure
Comme la voix pure
D’une harpe aux cordes d’or,
Et tant qu’elle dure,
Toute la nature
Semble pleurer pour un mort.
La clameur s’étale
Soudain en rafale ;
Les chiens hurlent pour les morts
D’entendre son râle
Trainer sur la dalle
Comme à la veillée d’un corps.
Il hurle sans trêve,
Pleure sur la grève
Et les rochers nus d’Armor…
Puis soudain s’achève
En un bruit de rêve…
Un soupir, un rien : Tout dort.
*** (1903)
LES ERRANTS.
Où va l’eau du torrent, inégal et
rapide,
Roulant à flots pressés, sautant de roc
en roc,
Brisant tige et rameau, noyant le sol
aride,
Arrachant des débris, partout, au
moindre choc ?
Et le rêveur qui jette à cette onde
fuyante,
Le chargeant de pensées, un léger brin
de fleur
Sait-il bien si, vraiment, la vague
tournoyante
Recevra son message et l’écho de son
cœur ?
La pastoure étendue au fond des grandes
herbes,
Mains closes sous sa nuque, aux lourds
cheveux plus blonds
Que l’orge et le blé murs, fauchés et
mis en gerbes,
Suit d’un œil vague au loin, en légers
mamelons,
En longs anneaux roulant comme un
serpent se traîne,
La forme fantastique et les tours
incessants
Dans l’azur et l’or clair, en gracieuse
chaîne,
La Sierra Nevada des nuages errants.
Où va le vent qui passe en hurlant dans
la steppe,
Chasse invisible aux cris impétueux d’un
cor,
Plus sinistre quand l’ombre au ciel
jette un crêpe,
Pleurant lugubre et froid comme un
souffle de mort ;
Tordant l’arbre isolé, renversant la
cabane,
Arrachant l’épi mort, foulant l’épi trop
lourd,
Il fuit, revient, repasse, erre autour
du kourgane,
Traînant sur ce tombeau en gémissement
sourd.
Et repartant soudain comme un loup qui
s’enfuit
D’un élan furieux à travers les pacages,
Il poursuit dans l’espace un troupeau
d’oies sauvages
Qu’il dépasse bientôt et laisse dans la
nuit…
Où vont-ils ces oiseaux, volant dans les
ténèbres,
Étrangement pareils à de grands voiles
blancs
Qui s’en iraient là-bas pour des apprêts
funèbres,
Avec à peine un bruit, dans l’orage,
flottants ?
Où va le loup rôdeur, la prunelle
brillante,
Maigre, hérissé, traçant dans la neige
un sillon,
Des bois sombres chassé par la faim
dévorante,
Cherchant l’homme ou la bête, ou même
l’oisillon
Tombe du nid trop frêle, abattu sur la
route,
Par un coup de tempête, au hasard du
chemin ?
Où va-t-il le loup gris, voyageur qu’on
redoute,
Errant en bande ou seul, pèlerin de la
faim ?
Et le libre étalon, galopant dans la
plaine,
Suzerain de la steppe où broute son
sérail,
Où va-t-il écrasant l’arbuste qui le
gène
Et l’herbe qui lui vient parfois
jusqu’au poitrail ?
Où vont-ils tous ? Où va le
nonchalant tzigane
Qui chante en repliant sa tente pour
partir,
Plus loin, toujours plus loin, où va la
caravane,
Ne s’arrêtant jamais qu’un moment pour
dormir.
Où vont-ils, les errants ? Ils vont
où Dieu les mène !
Et qu’importe ! Le ciel a partout
même azur ;
Partout l’Eve éternelle est la même
sirène
Et l’on cherche partout l’oubli dans le
vin pur.
*- Kourgane – Tombeau isolé dans la
steppe
Roskov / Don – 1903
LE DERNIER DON.
L’onde d’argent d’un ruisseau clair
Á ses pieds jasait gaie et vive ;
Muette et belle, elle avait l’air
D’une fleur poussée sur la rive.
Son fin poignet, brun comme l’ambre,
Était cerclé d’un anneau d’or ;
Á sa cheville qui se cambre
Brillait un autre cercle encor.
Á l’horizon, le soir tombait,
Superbe, en sa pourpre royale ;
Le soleil couchant la nimbait
D’une auréole triomphale.
Sur son front pur, en vague sombre,
Les noirs cheveux roulaient, charmants,
Et de ses yeux, noirs diamants,
Scintillait le regard plein d’ombre.
Une fleur étrange d’Asie
Se balançait en ses doigts frêles ;
Un papillon de fantaisie
La frôlait gaiement de ses ailes.
« Donne-moi la fleur, ma divine,
Dont toi-même sembles la
sœur ! »
Dit un étranger qui chemine.
Et la belle donna la fleur.
Il s’est arrêté pour mieux voir
Ce beau visage de déesse,
Et, sentant grandir son espoir :
« Non, je veux plus,
enchanteresse !
« Donne-moi ta main qui me semble
« La main d’une reine des cieux
« Oh ! Donne-moi ta main qui
tremble
« Ainsi qu’un oiseau capricieux !
Et quand il a tenu la main,
Les yeux, pleins d’une ardeur nouvelle,
Montant aux lèvres de carmin :
« Non, je veux plus, ma toute
belle !
« Plus que la main, plus que la
fleur…
« Oh ! Ne sois pas si
inclémente ;
« Un instant de divin bonheur
« Dort sur ta lèvre
frémissante. »
Douce à l’étranger qui supplie
Elle donne aussi le baiser :
Lui, sent que sa tendre folie
N’en est pas près de s’apaiser.
Son regard était de velours
Sous la paupière frissonnante,
Mi-close, entre ses longs cils
lourds ;
Et sa gorge était si tentante :
L’on eût pensé que ses beautés
Avaient mûri grâce au soleil,
Ainsi que deux fruits duvetés,
Deux grenades au ton vermeil.
Il s’agenouilla sans rien dire :
Elle comprit sans refuser…
Elle a donné dans un sourire,
Plus que la fleur et le baiser.
Traduit de l’Arménien
Moscou – 1902
BLANCHEUR (étude)
L’église
L’église est toute blanche, à Pâques,
triomphale,
Dans les fleurs de candeur et les grands
voiles blancs,
Comme d’une épousée la robe nuptiale,
Et l’orgue, en hosannah, mêle à des voix
d’enfants
La blanche symphonie d’une hymne
triomphale.
A
A, la voyelle blanche, ouverte à
l’Idéal,
E, large chant de harpe, eurythmie
dorienne,
Sons clairs, en a vibrant, et parfum
virginal,
Lis pur, âmes d’enfants, ailes d’anges, sirène,
Chantant la symphonie blanche de
l’Idéal.
Le lait
A pleins bords écumants, blancheur
large, s’étale
Le lait vierge, lac pur, flot tiède,
créateur,
Sang de l’être au berceau, des lèvres au
sein pâle
Puisé, source de vie, onctueuse douceur,
Le lait vierge à pleins bords sa
blancheur large étale.
Le nuage
Nappe envolée de quelque autel
mystérieux,
Encens blanc qui, là-bas, de l’Orient
émane,
Comme d’un sacrifice, ondulant vers les
cieux,
Monte en fine vapeur la nuée diaphane,
Voile envolée de quelque esquif
mystérieux.
Le marbre
Blancheur fière, figée, blancheur
devenue pierre,
De Paros ou Carrare, en blocs puissants
et durs,
Le marbre éblouissant dresse dans la
carrière
La masse immaculée dont les tons froids
et purs
Sont comme un incendie tout blanc devenu
pierre.
La lune
Blancheur étincelante, au ciel noir de
l’hiver,
Monte superbement, tel un flambeau
qu’élève
Une invisible main officiant dans l’air…
L’astre aux glaciers d’argent, au front
nimbé de rêve,
La blanche lune étincelante aux nuits
d’hiver.
L’étoile
Et
blanche aussi s’allume en un coin de l’espace
Une étoile isolée, luminaire tremblant,
Larme égarée, reflet d’âme morte qui
passe,
Rayon d’espoir perdu depuis plus de
mille ans,
Feu follet qui s’allume en un coin de
l’espace.
La neige
La neige sur la plaine et les glaciers
d’argent,
Sur la ville qui meurt et la rivière
morte,
Est tombée, blanc suaire, et pèse
lourdement,
Ouate glacée, sur l’âme, et le rêve
grelotte
Triste et nu dans la bise et les glaces
d’argent.
Pierrot
Et blancheur de Pierrot, blancheur de
face blême,
Promenant sa farine au beau milieu d’un
bal,
Éclat de rire fou sous le nez de
carême ;
Et, blafarde ironie, candeur de
carnaval,
Âme noire et teint blanc, blancheur de
face blême.
Le carnaval
Blancheur de chère lie, nappes et blanc
cristal,
Les œufs battus en neige, oie blanche à
la chair fine,
Mousse aimée du Champagne, et vapeur de
régal,
Buée blanche, embaumée, crêpes, crème et
farine,
Ripaille et chère lie, blancs de nappe
et cristal.
Mains au clavier
Et la blancheur des mains, frôlant le
blanc d’ivoire,
Touches pâles, polies sous les doigts
fuselés ;
Blancs arpèges, éclos dans la douceur de
croire,
Candeurs d’ailes, frissons des trilles
modulés,
En Banc majeur, fa dièse, envolés sur
l’ivoire.
Chambre de jeune fille
Nid blanc, fleurant l’iris, la poudre et
le jasmin,
Candeur du lit tout blanc, dentelle et
mousseline,
Parure de la vierge, épouse de demain,
Et bouquet d’oranger, souliers blancs,
moire fine,
Satin blanc ; tout est blanc dans
ce lit de jasmin.
Première communion
Blanc des guimpes fermées, voile de
communiante,
Surplis, encens, hostie, tous les blancs
de l’autel,
Et la voix douce et pure, enfant blonde
qui chante,
Les blanches litanies de la Reine du
Ciel,
Pour le chaste hyménée d’un cœur de communiante.
Pierres et gemmes
Cassure de l’albâtre et feux du diamant,
Nacre, perle et camée, puretés
cristallines
Ou laiteuses de gemmes, éther
incandescent ;
Chatoiement du mica, nuances opalines,
Larme immortalisée, feux blancs du
diamant.
Chair de femme
Lèvres tendres des seins, chair molle de
la femme,
Dans l’écume et l’or clair, sortie de
l’océan,
Énervante caresse et merveilleuses
gamme,
De la peau, lis trompeur, neige qui
brûle et sent
L’écume et le rayon dans une chair de
femme.
Fleurs blanches
Blancheur de Floréal qui rit dans les
grands prés :
Aubépine des haies, œillet blanc,
pâquerette,
Le pâle nénuphar, naïade des marais,
Et le muguet de Mai, la mignonne
clochette,
Et le grand lis altier, et la reine des
prés.
Geisha
La rieuse geisha, coquette Japonaise,
Agite son ombrelle et son éventail
blancs,
Se pâme au clair de lune avec des
frissons d’aise,
Et pare son peignoir aux larges plis
flottants,
De chrysanthèmes blancs ; coquette
Japonaise.
Fil de la Vierge
Du voile de Marie, dans la blancheur de
Mai,
Filigrane d’argent par la rosée qui
perle,
Se tend dans le sentier d’aubépine
embaumé,
Sous les premiers rayons, au chant
joyeux du merle,
Le blanc fil de la Vierge aux blancs
matins de Mai.
Baptême
Mais plus blanc que ces blancs, que le
lis et l’opale,
Est le voile qui pare un enfant
nouveau-né,
Que l’on porte au baptême, et blancheur
sans égale
La petite âme blanche, ignorant le
péché,
Plus blanche que la neige, et le lis, et
l’opale…
Variante pour la Japonaise
Les blancs pigeons de la déesse en fol
essaim
Vont, dans une envolée de plumes,
blanche et chaude,
Se poser tout près d’Elle, et chercher
dans sa main
L’offrande qu’Elle apporte à la blanche
pagode
Á la sœur des Rayons brillant en riche
essaim.
2/1903 – Rostov s. Don
LIBERTÉ
Ainsi que ce cheval sans maître,
Sans selle ou bride, poil au vent,
Ne s’arrêtant quand il veut paître
Qu’au sein de l’océan mouvant
Des steppes à l’herbe si haute
Qu’elle lui vient jusqu’au poitrail
Et qu’il surgit quand il en saute,
Comme un Pégase de vitrail ;
Libre sultan de mille reines,
Suzerain de l’immensité,
Ivre d’espace dans les plaines…
O bien suprême, liberté !
Oh ! Vivre ainsi que lui, sans
maître,
Soi seul être son propre roi,
Partir au loin pour disparaître,
Seul avec toi !...
1902 – Caucase
SOUFFLE DU SOIR
Parfois quand vient le soir, un souffle
de mystère
Semble flotter dans l’air,
délicieusement,
Haleine insaisissable, exquisément
légère,
Comme un bruit d’aile fine, à peine un
frôlement.
Tout se tait. L’âme écoute, et, les paupières closes,
Laisse au regard des yeux parler celui
du cœur…
Un parfum très subtil : On dirait
que des roses
Ont entrouvert là-bas, comme un baiser
de sœur
Délicat et discret, leur corolle
tremblante
Humide de rosée, et qu’un souffle câlin,
Une brise du sud s’est prise,
frémissante,
Á caresser, dans le clair soleil du
matin.
Puis, chargée de l’arôme aux suaves
ivresses,
Elle a repris sa course, en sylphe qui
s’enfuit,
Gardant le doux parfum, tout vibrant de
tendresses,
Pour l’apporter ici, dès qu’est venue la
nuit.
Et dans un grand frisson qui fait
trembler sa lèvre,
L’exilé que caresse ainsi l’esprit du
soir,
Sent à son front brûler une soudaine
fièvre,
Et son cœur tressaillir, et son sang
s’émouvoir…
1903 – Tch.
CE QUE J’AIME
Loin de toit, mon aimée, j’évoque ton
visage
Incertain, dans un rêve, et je cherche à
revoir
Tes traits, et préciser, de ce charmant
mirage
La forme, vague ainsi que le rêve d’un
soir ;
Quand mille lampes d’or, lucioles
lointaines,
Tour à tour, là-haut, s’allument dans
les cieux.
Á voir leur fol essaim de brillantes
phalènes,
Ce que j’aime le mieux, chère, ce sont
tes yeux.
J’aime ta gorge blanche, comme aussi
l’ovale pur
De ton visage aimé ; la forme un
peu sévère
Du menton et des yeux ; le front
sans un pli dur ;
Et du nez délicat cette courbe légère
Allant bien au teint brun, donnant la
vision
Du type d’Israël, qu’un peu de soleil
dore,
Atténué pourtant, exquise
illusion :
C’est, je crois ton profil si beau qu’en
toi j’adore.
J’aime à voir tes cheveux,
délicieusement,
Séparés en bandeaux de mode italienne,
Encadrer ton visage
harmonieusement ;
Et j’aime tout autant que rien ne les
retienne
Sur les tempes, partout, rebelles
échappant
Au doigt qui vainement essaie de les
refaire ;
Ou bien en natte encore, ayant l’air
d’une enfant.
Ce sont tes cheveux bruns, chérie, que
je préfère.
J’aime à voir l’éclat blanc de tes dents
dans un rire
Et des lèvres aimées le gracieux
contour,
Rose, comme la source où l’aurore se
mire
Légère, puis brûlant sitôt que vient le
jour ;
La pourpre de leur chair meurtrie par la
tendresse
S’avive aussi, plus chaude en un baiser
plus fort :
C’est ta bouche que j’aime en toi
jusqu’à l’ivresse,
Tentante comme un fruit où je boirais la
mort…
Je t’aime toute enfin ; mais
plus que toutes choses :
Plus que ton beau corps souple et tout
vibrant d’amour,
Qui frémit dans mes bras ; plus que
tes lèvres roses,
Où les miennes pourtant s’oublieraient
tout un jour,
Plus que tes beaux yeux bruns dont la
caresse même,
Si tendre, verse à l’âme un instant de
bonheur :
Plus que tout, mon amour, sais-tu ce
qu’en toi j’aime ?
Ce que j’aime le mieux, mon aimée, c’est
ton cœur.
Plus que l’ordre élégant et coquet qu’on
admire,
Moi, j’aime l’abandon de te cheveux
épars ;
Plus que la bouche aussi, j’adore le
sourire ;
Plus que les yeux aimés, j’en aime le
regard ;
J’aime quand tu me dis : Je t’aime,
et que ta lèvre
Tremble et brûle, baisante et baisée
tour-à-tour,
Versant et recevant l’ardente et douce
fièvre :
Ce que j’aime surtout, en toi, c’est ton
amour.
Décembre 1902 - Caucase
ROSÉE
Quand la terre brûlée par de longs jours
sans eau,
De soif mourante, fume, au soleil
implacable
Qui la ronge, séchant jusqu’au tremblant
roseau.
L’arbre meurt, la fleur tombe et le sol
est de sable…
Si sur cette agonie s’élève un vent
soudain,
Non pas un vent de sud traversant l’air
torride,
Mais quelque brise fraîche, ailée, du
ciel d’airain
Passant, en éventail léger au sol
aride ;
Que là-bas, loin encore, avance en
flocon gris,
Le nuage attendu pendant ces heures
lourdes ;
Comme en rêve, incertaine, émue d’avoir
compris,
La terre se réveille en mille rumeurs
sourdes…
La fleur se redresse et tend vers le
ciel clair
La corolle expirante, et l’arbre sent
renaître
La sève ranimée par la fraîcheur de
l’air ;
Et la rosée divine à la terre rend
l’être.
Ainsi, quand sur une âme a passé le
malheur,
A soufflé, desséchant, plus d’un vent de
misère,
Et qu’en ce cœur ronge – la suprême
douleur, –
Par le doute, il n’est rien qui dise
encore : Espère !
Puisqu’il a désappris le délicieux recours
Á la prière même, à cette rosée fraîche
D’où viendra donc enfin le suprême
secours
A ce cœur délaissé que le doute
dessèche ?...
Vienne avec un sourire et la main qui se
tend,
D’un regard apaisant pour ce cœur en
détresse,
Un bon ange : Aussitôt comme la
fleur reprend,
La vie revient à l’âme en un peu de
tendresse.
LE COFFRET
C’est un riche coffret, de mode très
ancienne,
Aux ferrures d’argent très pur, mais
tout bruni,
Et dont le fin velours brodé de
valencienne
Est usé sur les bords et par endroits
terni.
Retrouvé tout au fond d’un meuble de
famille,
Par une jeune espiègle, enfant aux yeux
rieurs,
Avec un rire clair, fusant en joyeux
trille,
Il est bientôt ouvert par les doigts
fureteurs.
Comme un oiseau léger, la main de
l’indiscrète
Preste, et pourtant sans hâte, erre, et
tourne au hasard
Les vieux papiers jaunis, et la boîte
secrète
Aux tendresses gardées ; rien
n’échappe au regard.
Et railleuse d’abord, la fillette
examine
Ces lettres du passé, ces choses
d’autrefois,
Relit des bouts de phrase en souriant,
mutine,
Et ces fleurs desséchées et ces tendres
émois.
De tout cela, très doux, un parfum vague
émane,
Subtilisé dans l’air, chypre mêlé
d’iris,
Une odeur d’ancien temps, de rose qui se
fane,
Essence de Cythère et bouquets de
Chloris.
Dentelles embaumées fleurant la
bergamote,
Gants tout imprégnés d’ambre et sachets
d’oliban,
Evoquant ce Jadis qui dansait la
gavotte,
Gracieux et poudré, dans un salon
d’antan.
L’enfant que le parfum troublant du
coffre enivre
Ouvre un petit écrin d’aspect
mystérieux ;
Il lui semble sentir tout ce passé
revivre,
Respirer doucement d’un souffle
harmonieux.
Deux portraits très anciens, noués d’un
ruban rose,
Et, - délicatement, défait le nœud
coquet
Dont la soie est pâlie, - Le regard bleu
se pose
Sur les deux médaillons en or et bois
laqué.
L’un est connu, ma foi ! C’est
elle, c’est l’aïeule
Morte de l’an passé ; c’est sa
croix d’or massif,
Ce crêpe pour celui qui l’avait laissée
seule,
Et ses cheveux d’argent, et son beau
front pensif.
Mais l’autre ? Quel est donc ce
fier et doux visage ?
Le front est blanc et pur ; et le
regard rêveur,
Des yeux de velours brun reflètent le
mirage
De jeunesse sans fin et d’éternel
bonheur.
Sur sa joue délicate, en fine
porcelaine,
Ombrée d’un peu de rose, en entrelacs
légers,
Parant superbement son front de
châtelaine,
Se déroulent, bouclés, ses cheveux noirs
de jais.
Le cou gracile et frais, à la ligne
impeccable,
Est vierge de bijoux ; un fichu de
linon
Á la mode du temps, de grâce inimitable,
Délicat et coquet, s’y croise à la
Ninon.
Les yeux bleus de l’enfant se voilent
d’une larme,
Et son cœur bat plus fort, avec un
serrement.
Elle a compris soudain : Le
portrait qui la charme
Est celui de l’aïeule encore en son
printemps.
Pour la première fois, le douloureux
mystère
De la jeunesse morte en pleurant les
désirs,
L’oppresse ; et, replaçant les
portraits de grand’ mère,
Elle referme, émue, le coffre aux
souvenirs.
Raismes – 12. VIII. 1903
Souffles d’Âmes
Jacques Henri Prévost
- Poèmes pour l’An 2000 Page 9
- Un petit
conte de Noël Page 41
- Tirés à
part Page 47
Fernand Prévost (fils)
- Par les matins d’Argent Page 63
Fernand Prévost (père)
- Printanières Page 85
Souffles d’Âmes
Ce recueil rassemble quelques poèmes
écrits par des membres d’une même famille pendant plus d’un siècle. Vous y
trouverez certains des miens, d’autres de mon père, et d’autres, plus nombreux
encore, de mon grand-père. Les styles différents reflètent l’influence de leur
époque. Cela montre combien la culture et la langue française ont évolué
pendant cette courte période. Mais, au-delà de ces évolutions, un poème reste
un poème.
Jacques Henri Prévost - Poèmes pour l’An 2000
- Un petit conte de Noël
- Tirés à part
Fernand Prévost
(fils) - Par les matins d’Argent
Fernand Prévost (père) - Printanières