Jacques Henri Prévost

 

Souffles dÂmes


 

 

 


 

 


 

 


 

 

 

Jacques Henri Prévost

 

Souffles d’Âmes

 

 

 

Trois œuvres et trois poètes dans ce recueil :

 

Jacques Henri Prévost - Poèmes pour l’An 2000

 

Fernand Prévost (fils) - Par les matins d’Argent

 

Fernand Prévost (père) - Printanières

 


 

 

 

 

 

 

 

 

Du même auteur

 

Le Ciel, la Vie, le Feu
Le Pèlerin d’éternité

L’Univers et le Zoran

L’Argile et l’Âme

Prolo Sapiens

Lentement vers la Lumière

Bien nombeux les Chemins

Et chaque Amour enfin

Recueil de cuisine végétarienne

 

 

 

 

 

© - Jacques Henri Prévost- Cambrai (France)


 

Quelques mots de présentation

 

 

Parmi toutes les formes prises par l’art des hommes, la poésie et la musique sont celles qui parlent le plus directement à l’être secret et mystérieux endormi au fond du cœur. Etouffé sous nos désirs, assourdi par les agitations du monde, il est assoupi depuis si longtemps que nous avons oublié sa présence et que nous ne l’entendons plus guère. Parfois, cependant, une émotion l’éveille, et nous permet d’entendre un court instant sa voix.

 

Ce recueil rassemble quelques poèmes écrits par des membres d’une même famille pendant plus d’un siècle. Vous y trouverez certains des miens, d’autres de mon père, et d’autres, plus nombreux encore, de mon grand-père. Les styles reflètent l’influence de leur époque. Cela montre combien la culture et la langue française ont évolué. Mais, au-delà de ces évolutions, un poème reste un poème, et de façon surprenante, à cent ns de distance, le thème est parfois le même.

 

On n’écrit pas un poème. Il vient à vous quand son temps est venu. Puissent donc tous ces poèmes, ces mouvements d’âmes, et les illustrations qui les accompagnent dans l’édition illustrée vous émouvoir un peu et vous permettre de réaliser qu’au fond de votre cœur, votre âme, cette créature merveilleuse endormie au plus secret de votre château intérieur attend que d’un poème ou d’une chanson, le souffle d’une autre âme l’éveille.

 


 

 

 

 

Les égyptiennes (Jacques Henri Prévost)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jacques  Henri  PREVOST

 

Poèmes pour l’An 2000

 

 

 


 

 

 

Jacques  Henri  PREVOST

 

Poèmes pour l’An 2000

 

Note sur l’auteur

L’auteur est né en France, à Valenciennes, en 1929, et  s’est intéressé à toutes les grandes interrogations existentielles depuis 1990. Tous ses ouvrages sont librement écrits, minutieusement documentés et aucune information n'est avancée sans avoir été soigneusement recoupée auprès de plusieurs sources. Cependant, de temps en temps son humeur, ou son état d’âme, le pousse à produire un poème. Il l’écrit  sans trop suivre les règles traditionnelles, comme il sent, quand il vient. On n’écrit pas vraiment un poème, surtout pas sur demande ou sur intention. C’est toujours le poème qui vient à soi, en son temps, et soudainement. Il lui faut alors le transcrire très vite avant qu’il s’en aille et soit perdu pour toujours. On revient ensuite sur ce premier jet avec un travail de ciselage pour en faire un vrai poème. Dans cet ouvrage, l’auteur a aussi ajouté à ses propres travaux un petit conte de Noël inédit et quelques extraits d’œuvres antiques qu’il a réécrites pour les actualiser. Puissent-elles plaire sous cette nouvelle forme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

UN LIVRE

 

 

 

Mon livre,

Chaque jour j'en lis quelques mots,

J'ai bien le temps,

Il est si gros.

 

 

Le livre,

Nous en partageons chaque mot,

Moitié plaisir,

Moitié sanglots.

 

 

Un livre,

Lentement vécu mot à mot,

Bientôt fini,

A jamais clos.

 


 

LE LONG CHEMIN

 

 

 

Qu'il est court le chemin de Dieu

Qui mène à l'atome,

Une parole,

Et si long le retour à Dieu

Dans la prison de ce corps d’homme

L’éternité.

 

 

Long chemin de chute et d’erreur,

De désespoir et solitude,

D’obscurité,

Que depuis longtemps je chemine.

Qu’il brûlait haut au ciel du coeur,

L’ancien Soleil,

 

 

Qui brasille encore aujourd’hui,

Dans cette noirceur de mon âme,

Petite étoile.

Je rallumerai dans mon être,

L’astre d’or flambant dans la nuit,

La vraie lumière,

 

 

La fleur d’esprit sur le bois noir.


 

 

 

 

 

 

 

ANGOISSE

 

 

 

Coule la vie, tourne la ronde,

Chaque minute, chaque moment,

S'use le temps,

Infiniment.

 

 

Passe la vie, roule le monde,

Chaque seconde, chaque instant,

Saigne mon temps,

Mortellement.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

SERENITE

 

 

A l'aurore du jour prochain,

La rose neuve de ma vie,

Un-à-un déplie ses pétales,

La beauté de la rose, c'est la joie du rosier.

A jamais je suis le rosier.

 

Sous l'écrasant soleil de Juin,

La rose ouverte de ma vie,

Un-à-un délie ses pétales,

Le parfum de la rose, c'est la voix du rosier.

A jamais je suis le rosier.

 

Dans l'air parfumé du serein,

La rose passée de ma vie,

Un à un oublie ses pétales.

Le destin de la rose, c'est la croix du rosier.

A jamais je suis le rosier.

 

En l'attente du clair matin,

Le nouveau bourgeon de la vie,

Un à un mûrit ses pétales,

Chaque jour une rose, c'est la loi du rosier.

A jamais je suis le rosier.

 

Au delà de la rose, demeure le rosier.


 

 

ÂGE D’AUTOMNE

 

 

La feuille jaunie s’abandonne,

Au vent d’autan qui tourbillonne,

Lorsque l’été est dépassé.

 

Voici pour moi l'hiver qui sonne,

Son arrivée pourtant m'étonne,

Mon temps est donc bien avancé.

 

Il me faut assumer ce doute,

Je vais bientôt quitter la route,

Et basculer dans le fossé.

 

Mais la feuille usée qui s'envole,

Finit toujours sa parabole,

Dans la boue sous la pluie glacée.

 

Tandis que l'esprit qui s'élance,

Croit qu'il va entrer dans la danse,

Des compagnons d'éternité.

 

Là bas attendent ses aînés,

Tous ses amis, tous ses amants,

Tous ses amours, tous ses aimés,

 

A moins,

Qu’ils n’aient été trompés !


 

 

 

 

 

CARAVELLE

 

 

 

Sur l’immense univers,

La caravelle humaine

S’enfuit aux vents furieux du temps.

Je crois qu’elle est sans timonier,

Peut-être a-t-elle un capitaine,

Je crains qu’il soit dément.

 

 

 

Sur l’immense univers,

La caravelle humaine,

Se perd au sein de l’ouragan.

Peut-être a-t-elle un timonier,

J’ai aperçu le capitaine,

Et crains qu’il soit Satan.

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

BLEU

 

 

Une femme, une fleur,

Un sourire, un ciel bleu,

 

 

Une flamme, une ardeur,

Un appel, un aveu,

 

 

Une lèvre, une odeur,

Un regard, un cheveu,

 

 

Une larme, une peur,

Un murmure, un adieu,

 

 

Une femme, une fleur,

Un soupir, un ciel bleu.

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

SOURIRE

 

 

 

 

Sourire seulement des lèvres,

Cela n'est pas vraiment sourire,

Il faut sourire aussi des yeux.

 

 

Sourire seulement des yeux,

Ce n'est pas non plus un sourire,

Il faut sourire aussi du coeur.

 

 

Sourire seulement du coeur,

Cela n'est pas assez sourire,

Il faut sourire aussi des lèvres.


 

 

 

 

LE BRASIER DU MONDE

 

 

 

Dans le brasier du Monde, Tu m'as créé,

Et je naquis pierre,

Et Tu m'as donné l'être et la durée,

Et puis la poussière,

Et Tu as soufflé mes atomes à tous les vents

 de la Terre.

 

Puis dans la boue du Monde, Tu m'as créé,

Et je naquis plante,

Et Tu m'as donné soleil et beauté,

et fleur et semence,

et Tu as soufflé mes atomes à tous les vents

 de la Terre.

 

Dans l'air et l'eau du Monde, Tu m'as créé,

Et je naquis bête,

Et Tu m'as donné l'espace et la joie,

Et la peur au ventre,

Et Tu as soufflé mes atomes à tous les vents

 de la Terre.


 

 

 

 

 

 

 

 

Dans tout le sang du Monde, Tu m'as créé,

Et je suis né l'Homme,

Et Tu m'as donné la science et la main,

L'orgueil et le feu,

Et Tu as soufflé mes désirs à tous les vents

 de la Terre

 

Dans la misère du Monde, Tu m'as créé;

Et naquit mon Âme,

Et Tu m'as donné l'espoir et les larmes,

Et la liberté,

Et Tu as soufflé mes erreurs à tous les vents

de la Terre.

 

Dans tout l'amour du Monde Tu m'as créé

Et s'ouvrit mon cœur,

Tu viens me donner la foi et le doute,

Et la charité,

Mais Tu vas souffler mes atomes à tous les vents
de la Terre.

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

TOUSSAINT

 

 

 

 

Bouquet blanc dans le cimetière,

Rose rouge dans les oeillets blancs,

Bouquet d'amour taché de sang.

 

 

Rose rouge, ou poignard vibrant,

Enfant tombeau, Maman de pierre,

Petit berceau de marbre blanc.

 

 

Rose rouge mon cœur griffant,

Larmes cachées, séchées au vent,

Bouquet blanc dans le cimetière,

 

 

Rouge baiser sur masque blanc.

 

 


 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

INFARCTUS

 

 

 

 

Qu'il était bleu le ciel où je volais,

Et doré le soleil,

Si loin du sol,

Grouillant de formes naines,

D'êtres fangeux,

Gesticulant de haine,

 

 

 

Qu'il était bleu le ciel où j'ai volé,

Et doré le soleil,

Si loin du sol,

Où, blessé, je me traîne,

Tordant vers eux,

Des ailes immenses et vaines.

 

 

 


 

 

L'ANGE

 

 

 

Frisson, douce caresse, souffle léger qui glace,

Ami,

Un ange est là qui nous regarde.

Angoisse, étrangeté.

Un temps,

Il reste là.

C’est l’ange froid,

Ami,

Ce vent, c’est l’ange froid qui passe.

 

 

 

Enfin, il est parti, mais ne sois pas niais,

Ami,

Là-bas, encore, il te regarde,

Tu n’es pas oublié.

Comprend !

Il reviendra.

Cet ange froid,

Ami,

Cet ange là n'oublie jamais.

 


 

LA LIBERTE

 

 

La Liberté,

Ce n'est pas partir, c'est revenir,

Et agir,

Ce n’est pas prendre, c’est comprendre,

Et apprendre,

 

Ce n'est pas savoir, c'est vouloir,

Et pouvoir.

Ce n'est pas gagner, c'est payer,

Et donner.

Ce n'est pas trahir, c’est réunir,

Et accueillir.

 

La Liberté,

Ce n’est pas s’incliner, c’est refuser,

Et remercier,

Ce n'est pas un cadeau, c’est un flambeau,

Et un fardeau

 

Ce n'est pas la faiblesse, c'est la sagesse,

Et la noblesse,

Ce n’est pas un avoir, c’est un devoir,

Et un espoir.

Ce n’est pas discourir, c’est obtenir,

Et  maintenir,

 

Ce n’est pas facile, c’est si fragile,

La Liberté,


 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

MYSTERE

 

 

 

Mystère premier de l'être,

Ignorant de son existence.

Mystère de l'homme animal.

Qui retourne mort au mystère.

 

 

 

Second mystère de l'appel

De l’être intérieur secret.

Mystère des yeux bien ouverts,

Qui contemplent enfin le mystère.

 

 

 

Mystère tiers de la réponse

Du retour vers cet absolu.

Mystère de l'homme réveillé,

Qui porte sa part du mystère.

 


 

PAPILLONS BLANCS

 

 

 

Il fait si beau dehors,

Il fait midi,

Il pleut, il pleure,

Il court, il vit,

Dehors.

 

 

Il chante, il rit,

Il vente, il crie,

Il fait soleil dehors,

Il neige, il lit

Dehors.

 

 

Il souffre, il rêve,

Il aime, il pense,

Il meurt, il prie,

Il fait si beau,

Dehors.

 

 

Dans ma tête,

Il fait nuit.

 

 

NDR –En France on appelle souvent « Papillons Blanc » les enfants handicapés mentaux, parfois aussi  « Enfants Soleil ».

 

 

 

 

 

 

 

CHAQUE MOMENT

 

 

 

Chaque personne est une chance d’être.

 

Chaque conscient est un chemin vivant.

 

Chaque occasion nous permet de renaître.

 

Et chaque instant est le meilleur moment.

 

 


 

 

 

 

TANT DE JOURS !

 

 

 

Temps de promesse,

Temps de paresse,

Tendres matins,

Baisers coquins,

Temps de jeunesse,

Mon amour, ton amour,

Tant de nuits, tant de jours,

Et des jours et des jours d'amour,

 

 

Temps de largesses,

Temps de caresses,

Labeur sans fin,

Enfants calins,

Temps de kermesse,

Mon amour, ton amour,

Tant de nuits, tant de jours,

Et des jours et des jours d'amour,


 

 

 

 

 

 

 

Temps de détresse,

Temps de faiblesse,

Moments chagrins,

Coups du destin,

Temps de tristesse,

Mon amour, ton amour,

Tant de nuits, tant de jours,

Et des jours et des jours d'amour,

 

 

Temps de sagesse,

Temps de tendresse

Pas incertains,

Main dans la main,

Temps de richesse,

Mon amour, ton amour,

Tant de nuits, tant de jours,

Et des jours et des jours d'amour.

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 


 

 

LE VIEUX SOLDAT

 

Sa vieille guerre morte, encore il se souvient, 
Des cruels exploits qu'il retient,
Cachés en sa mémoire et devenus secrets
Et des moments de gloire, revécus en regrets.
Tous ses livres content des batailles.
Il a conservé ses médailles,
Une arme sous son oreiller,
Et son uniforme au grenier.
Il prépare un assaut qui ne surviendra pas. 
Redoutant l'ennemi attaché à ses pas,
Contre ses vieux fantômes, chaque nuit, il combat.
Sa parole est sans âme et ses yeux sans éclat.
Son geste est sans repos mais ces agitations
Sont des masques posés sur gênantes questions. 
Parfois, sa voix défaille et son regard se voile,
Alors, il sort soudain dans la fraîcheur du soir, 
Et restant silencieux sous le pesant ciel noir,
Il feint d'observer les étoiles.

Jacques Prévost (2014 - À l'aube du Verseau - Extraits)

 

 

 

 

 

ELLE A PLEURE, MAMAN

 

 

 

Je sais qu'elle a beaucoup pleuré, Maman,

Quand son mari est mort, lui laissant  quatre enfants.

Ils s'étaient fort aimés juste pendant dix ans.

Elle a beaucoup prié, Maman.

 

Je sais qu'elle a beaucoup pleuré, Maman.

Et la ville a brûlé ; ses enfants dispersés

Cachés dans les buissons, blottis dans les fossés.

Elle a beaucoup prié, Maman.

 

Je sais qu'elle a beaucoup pleuré, Maman,

Les hivers sans charbon, et les mois sans argent,

Pas de beurre ni de sucre, trop peu de pain, souvent.

Elle a beaucoup prié, Maman.

 

Je sais qu'elle a beaucoup pleuré, Maman,

Quand ses fils appelés à des missions guerrières,

Courraient des lieux arides,  ou d'humides rizières.

Elle a beaucoup prié, Maman.


 

 

 

 

 

 

 

Je sais qu'elle a beaucoup pleuré, Maman,

Chaque jour un peu plus, se regardant vieillir,

Avec sur tous ses murs, des photos souvenirs.

Elle a beaucoup prié, Maman.

 

Je sais qu'elle a beaucoup pleuré, Maman.

Sur son amour perdu et ses rêves lâchés,

Sa vie sans avenir, et ses projets gâchés.

Elle a beaucoup prié, Maman.

 

Je ne la verrai plus jamais pleurer, Maman,

Elle n'a ouvert les yeux qu'un seul et court instant.

Elle avait dépassé quatre vingt dix huit ans.

Elle n'a pas pu prier, Maman.

 

Je sais que bien longtemps je pleurerai, Maman,

 

Jacques Prévost (2014 - À l'aube du Verseau - Extraits)


 

LES CRABES

 

 

Prudence en y mettant la main,
Même pour apporter du pain.
On risque fort d’être blessé.

 

Pincer et n’être pas pincé.
Manger, pour n’être pas mangé.
C’est la grande philosophie,
Le véritable sens de la vie
Des crabes, de ce panier.

Même si c’est un familier,
Où un frère. C’est un gibier,
Et les citrons seront pressés.

 

Comment donc les rendre meilleurs ?
Peut-on les transporter ailleurs ?
Faut-il les cuire pour les aimer ?

 

Pincer et n’être pas pincé.
Manger, pour n’être pas mangé.
C’est la grande philosophie,
Le véritable sens de la vie
Des crabes, de ce panier.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un Petit Conte de Noël

 

Je voulais vous raconter cette histoire mystérieuse  pour vous faire découvrir
 les pouvoirs créateurs et magiques de la parole dans l'imaginaire.
Un conte n'est pas écrit pour être lu mais pour être conté,  à voix haute,
(et en alternance si possible), devant quelques amis.

 

 

 

 


Le Miracle du Houx de Noël

 

Ce jour là, dans l’après-midi, Thomas se promenait dans le jardin de son papy. Il n’y venait pas souvent car ses parents habitaient dans une autre ville. Ce n’était pas un jour ordinaire, car c’était le jour de Noël. Il avait neigé la nuit précédente, mais aujourd’hui il faisait beau et le jardin tout blanc étincelait sous le soleil. Thomas aimait bien jouer dans ce jardin lorsqu’il y venait pendant les vacances. Et c’était encore plus amusant dans la neige malgré le froid. Thomas s’amusait à secouer les branches des arbustes pour faire neiger dessous. Mais soudain, il s’arrêta extrêmement surpris. Un grand arbuste enneigé semblait s’agiter tout seul. La neige tombait de ses branches mais on ne voyait personne les toucher. Thomas s’approcha avec prudence et il crut voir plusieurs petits oiseaux bleus frétiller parmi les feuilles. Mais quand il approcha, ils disparurent d’un seul coup et l’arbuste redevint immobile. Thomas courut à la maison pour raconter la chose à son papy. 

 

Tu dois savoir, dit le papy, que nous vivons dans un monde mystérieux, encore plus au temps de Noël. Il contient des choses que l'on voit et que l'on peut toucher mais aussi des choses que l'on ne voit pas et que l'on ne peut pas toucher. Parmi toutes ces choses invisibles, une légende dit qu’il y a des êtres particulièrement étonnants. Il y en a toujours plusieurs qui volettent tout autour de nous, mais sans que l’on puisse les voir ou les toucher. Ce sont les petits mystères. Ils ressemblent à de petits oiseaux bleus, mais pourtant, ce ne sont pas vraiment des oiseaux et ils ne sont pas bleus. Ils apportent la chaleur du Soleil dans nos cœurs et le bleu du ciel dans nos têtes. Et nous pouvons ressentir la douceur de leur présence quand ils essayent de trouver en nous une petite place pour faire leur nid. On est vraiment très heureux dans une maison où se cachent beaucoup de ces petits oiseaux bleus mystérieux, car ils se mêlent les uns aux autres et construisent ensemble une vie heureuse.

 

 

Mais, dit encore le papy, il faut demeurer attentifs et prudents, car parmi toutes les autres choses invisibles de ce monde étrange, on trouve aussi des êtres beaucoup moins agréables. On ne peut non plus les voir ni les toucher, mais on peut néanmoins ressentir l'amertume et même la violence suscitées par leur présence. Ces vilaines créatures sont les ennemis des petits oiseaux bleus. Elles apportent l’agressivité dans nos cœurs et colorent de rouge nos visages. Elles ressemblent à des petits hérissons rouges couverts de piquants, mais ce ne sont pas vraiment des hérissons rouges. Elles nous irritent et s'agitent tout autour de nous en nous agaçant. Elles essayent de chasser les petits oiseaux bleus pour placer leurs graines  ans nos coeurs. Quand ces graines éclosent, elles s’en vont en laissant la maison dévastée. Quand elles arrivent à entrer et trouvent un petit oiseau bleu, elles crachent vers lui leurs graines rondes, et ces petites boules rouges se collent aux ailes des petits oiseaux.

 

Sais-tu donc, mon petit Thomas, que les petits oiseaux bleus ne supportent pas ces graines rouges  sur leur plumage d'azur. Quittant les cœurs glacés et les visages brûlants, ils essayent de retrouver la paix et la lumière dans les jardins d'alentour. Cependant, au temps de Noël, il arrive qu’ils trouvent, comme toi, un petit arbre magique aux feuilles dures couvertes de piquants comme les hérissons. Ce houx est magique. Dans ses feuilles vertes, il porte des petites graines rouges même dans la froideur de l'hiver. Et les petits oiseaux désolés se posent dans les branches de l’arbuste merveilleux. Ils s’agitent et frétillent dans les feuilles raides pour que les graines de hérissons restent piquées dans les épines. Les ailes se nettoient et les petits oiseaux sont libérés. De nouveau revêtus de leur bleu invisible et immaculé, ils essayent alors de revenir dans les tristes maisons des hommes. C'est ainsi qu’à Noël, avec le miracle du houx, ils peuvent parfois retrouver le chemin de leurs coeurs.


 

 

 

 

 

 

 

 


 

Papy, dit Thomas, je ne comprends pas. Dis-moi ce que sont ces petits oiseaux et ces hérissons. Le papy sourit et dit. Les petits oiseaux bleus qui apportent la chaleur du soleil dans nos cœurs et le bleu du ciel dans nos têtes, ce sont les petits bonheurs quotidiens. Les vilains ennemis qui colorent de rouge nos visages et apportent l’agressivité dans nos cœurs, ce sont les odieuses petites colères. Vois-tu, Thomas, le temps des rouges fruits du houx est aussi celui du  retour des petits bonheurs dans le cœur des hommes. C’est le miracle de Noël. Tu crois que ce n'est qu'un conte ! Mais tu as déjà perçu les invisibles présences, douces ou amères, des petits bonheurs bleus ou des rouges colères. Tu as senti la chaleur de leur amour ou le souffle de leur violence. Peut-être qu’aujourd’hui même, un petit bonheur perdu a laissé les graines rouges de ta colère sur les épines de ton propre  jardin secret ? En ce jour  de joie, peut-être qu’ici, en cet instant, il tente d’entrer dans ton petit coeur.

 

Les parents de Thomas écoutaient en souriant. Concernant Thomas, dit le papy, la légende s’arrête ici et il peut retourner au jardin. Pour vous, elle comporte une suite qui réclame vive attention. Les petits oiseaux apportent la chaleur du soleil dans les cœurs et le bleu du ciel dans les têtes, mais ils sont seulement les artisans des petits bonheurs quotidiens. On se sent vraiment bien dans la maison où se tiennent ces aimables oiseaux et il est sage de vouloir construire ensemble une vie heureuse dans un foyer terrestre. Sachez cependant qu’un être encore plus mystérieux doit de manifester en vous. On ressent étrangement sa présence car il est à la fois la glace et le feu, presque mort et à jamais vivant. Il ressemble à l’oiseau Phénix légendaire qui renaissait des cendres de sa propre combustion. Il procède doublement de la Terre et du Ciel. Il n’est aujourd’hui qu’étincelle et peut rayonner comme le Soleil. En ce Noël de renaissance, entendez  le chant du Phénix dans le cœur de votre âme.   

  

Bonne réflexion


 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

Tirés à part

 

 

 

Tirés à part quelques textes

ou poèmes extraits de ses livres

 

Jacques Prévost

(1998 - Poèmes pour l'an 2000 - Extraits)

 

Août 2000

 

 


 

 

 


 

 

 

 

TOI, REVIENS  !

 

 

 

 

Viens,

Viens toi,

Qui que tu sois !

Car notre caravane

N’est pas celle du désespoir.

Viens, viens quand bien même

Tu aurais, par centaines,

Brisé tous tes serments.

Viens. Oui, toi,

Oui, viens,

Reviens,

Reviens toujours !

 

 

(d’après Mawlâna-dja-lâd od-Dîn Rûmî-Soufi).

 


 

 

 

 

HERMES

 

 

Or le Noûs, Père de tous,

Étant Vie et Lumière,

Enfanta un Homme semblable à lui,

Dont il s’éprit comme de son propre enfant.

Car l’Homme était très beau,

Reproduisant l’image de son Père,

Et Dieu lui livra toutes ses œuvres.

 

Alors l’Homme qui avait plein pouvoir

Sur le monde des mortels et les animaux sans raison,

Se pencha à travers l’armature des sphères,

E il fit montre à la Nature d’en bas

De la belle forme de Dieu.


 

 

La Nature sourit d’amour

Car elle avait vu les traits de cette forme

Merveilleusement belle de l’Homme

Se refléter dans l’eau, et son ombre sur la terre.

Pour lui, ayant perçu cette forme à lui semblable

Présente dans la nature et reflétée dans l’eau,

Il l’aima et voulut habiter là.

 

 

 

Ce qu’il voulut, il l’accomplit,

Et il vint habiter la forme sans raison.

Alors la Nature, ayant reçu en elle son aimé

L’enlaça toute et ils s’unirent

Car ils brûlaient d’amour.

 

Et voila pourquoi, seul de tous les êtres,

L’Homme est double, mortel de par le corps,

Immortel de par l’Homme essentiel.


(d’aprés Hermes Trismégiste - Le Pimandre).

 


Ô MOINES !

 

 

Voici, ô moines,

la vérité sainte sur la douleur.

La Naissance est douleur,

la Vieillesse est douleur,

la Maladie est douleur, (...)

 

Les cinq sortes d’objets d’attachement sont douleur.

Les cinq éléments du Moi,

Le corps,

Les sensations,

Les représentations,

Les formations,

Et la connaissance.

 

Voici, ô moines,

La vérité sainte sur l’origine de la douleur.

C’est la soif

Qui conduit de renaissance en renaissance,

Accompagnée

De la convoitise et du plaisir, (...),

 

La soif de plaisir,

La soif d’existence,

La soif d’impermanence.

 

Voici, ô moines,

La vérité sainte sur la suppression de la douleur,

L’extinction de cette soif

Par l’anéantissement complet du désir,

En y renonçant,

En s’en délivrant,

En ne lui laissant pas de place.

 

Voici, ô moines,

La vérité sainte sur le chemin

Qui mène à la suppression de la douleur.

C’est le chemin sacré à huit branches

Qui s’appellent la foi pure,

La volonté pure,

L’application pure,

Les moyens d’existence purs,

La méditation pure.

 

(Paroles de Bouddha)


 

LE ROI CAPTIF

 

 

Dans la splendeur du Monde, il a vu son image,

En bas, et l’a trouvée si belle,

Qu’il s’est, un temps, ravi en elle.

Hélas, anéanti, dans son grand lit d’étoiles,

Il dort, et nous souffrons nos peines,

Et nous mourons chargés de chaînes.

 

 

De sa gloire oubliée, demeure une étincelle,

Un indestructible principe,

Au donjon de l’âme immortelle.

Dans la tour, il perçoit le chant de la Lumière.

Il comprend que l’heure est venue

De lever enfin la paupière.

 

 

Il se souvient des Cieux. Il parle du Royaume,

Il dit qu’il demeure en chaque homme.

Il supplie d’une faible voix.

Il pleure, il rit, il dit qu’en nous, il est en croix.

Il souffre et parle de partage,

Accepté par un libre choix.

 

 

Il a besoin d’un corps, il a besoin d’une âme.

Il voudrait détruire sa prison

Et revenir à sa mission.

Il est l’idée, la vie, il est l’amour, la joie.

Il est la liberté suprême,

L’océan de douceur extrême.

 

 

 

 

Il est l’immensité. Il est l’éternité.

Il est le sablier du temps,

Et la conscience du présent.

Il est, dans l’infini, le maître du destin,

L’innocence sans le chagrin,

La pureté du premier jour.

 

 

Il est la force énorme et l’horizon sans fin.

Il est la clarté du matin.

Tout l’avenir est dans sa main.

Il est la vérité, il est la majesté.

Il aspire à ce qu’il était,

Qu’il veut être, et sera demain,

 

 

Adam Premier, l’Eon divin, le Roi du Monde.

 


 

L’AUTRE

 

 

Jésus, Dionysos,

Divins sauveurs des hommes. Osiris ou Krisna,

Tous ces dieux venus du Cosmos,

Pour dire à tous les hommes, l’universelle saga,

Et révéler l’appel en nous, l’histoire d’Adam,

Que d’autres, en d’autres temps, racontent autrement.

 

Jean est, chez nous, celui

Qui reconnait ce cri dans le désert de l’âme,

Entend les pleurs de l’autre en lui,

Et permet que s’allume, dans son cœur, une flamme.

Puis le Baptiste va. A l’autre il laisse place,

Aprés avoir frayé le chemin de la grâce.

 

L’âme vierge secrète,

Nous l’appelons Marie. Son cœur humain berceau

Accueille ici le nouvel Être,

Enfantant, dans la chair, pour l’Autre, un corps nouveau

Qu’elle chérit, nourrit, et fait grandir en elle,

Et donne, librement, pour une vie nouvelle.

 

Le tout-petit enfant,

A Noël, est l’image de la vraie renaissance,

Le moment du réveil d’Adam,

Si longtemps attendu, l’espoir de délivrance

De l’animalité, et du sang, et des chaines,

Dans notre sombre, et sale, et triste étable humaine.

 

 

 

 

 

Jésus le pèlerin,

C’est l’étonnant miracle de cette incarnation,

Dans chaque homme, sur le chemin,

Etroit et difficile, vers la transmutation,

Par l’éternel Esprit et dans le libre choix

De la mort de son Moi, par amour, mis en croix.

 

Et la résurrection

A l’aube d’or de Pâques, c’est soudain le retour,

D’Adam, la transfiguration,

Du corps en Christ. Et l’étincelle en ce seul jour

Devient brillant soleil. L’Homme éternel renaît

Dans la restauration du Royaume parfait

 

Osiris ou Krisna,

Ces êtres merveilleux ne sont que des symboles,

Jésus, Ba’al, Attis, Bouddha,

Dont nous sommes tentés de faire des idoles.

Ces mythes composés pour nous ouvrir les yeux,

D’autres, en d’autres lieux, les transforment en Dieux.  

 

 


 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

RACINES

 

 

Parmi tous les genres d’êtres,

Ceux qui sont pourvus d’une âme

Ont des racines

Qui leur parviennent de haut en bas.

Mais en revanche,

Tous les genres des êtres sans âme

Épanouissent leurs rameaux

Á partir d’une racine

Qui pousse de bas en haut.

 

Certains êtres se nourrissent

De deux sortes d’aliments,

Et d’autres ne se nourrissent,

Que d’une seule sorte.

Car il y a deux sortes de nourritures

L’une pour l’âme

L’autre pour le corps,

Les deux parties

Dont se compose le vivant.

 

(d’aprés Hermes Trismégiste - Asclépius).


 

LA TERRE

 

 

Lors donc,

Après qu’il eut empli ses mains,

De ce qui existe dans la nature,

Et tenant le tout enclos en ses poings.

« Prends, dit-il,

Ǒ terre sainte,

Toute honorable,

Prends.

Toi qui vas devenir

La génitrice de toutes choses,

Prends donc,

Et ne sois plus seconde en rien ».

Et Dieu,

Ouvrant alors ses mains propices,

En répandit le contenu

Dans la grande fabrique du Monde

 

 

(d’aprés Hermes Trismégiste - Koré Kosmou  -  La Fille du Monde).


 

 

 

 

 

 

 

 

LABEUR

 

 

 

Á la fin du chemin, quand tombera le jour,

 

Nous laisserons ces feux infâmes,

 

Et revêtus du seul amour,

 

Nous rentrerons chez nous, pour reposer nos âmes.

 


 

 

 

 

 

 

CHAQUE AMOUR.

 

 

 

Au delà de la vie, de la mort, et du Monde,

Au delà des consciences, au delà du destin,

Et du temps qui s'enfuit,

L'Être premier demeure.

De Lui émanent toutes choses,

Chacune procédant d'une autre,

Chaque vie dans une autre vie,

Chaque savoir dans un autre savoir,

Chaque forme d'être dans le plus grand Être,

Chaque simple partie dans la seule Unité,

Chaque souffle d'esprit dans le plus grand Esprit,

Et chaque amour enfin dans l'éternel Amour.


 

 

 

 

 

Par les Matins d’Argent

 


 

 

 

 

 

 

Les nids, par Fernand Prévost, (fils)


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Fernand PREVOST (fils)

 

 

Par les matins d’argent

 

 


 

 

 

Fernand Prévost, (fils)

 

Par les Matins d’Argent

 

 

Note sur l’auteur

 

L’auteur de ces quelques poèmes, Fernand Prévost, était mon père. C’était aussi le fils de cet autre Fernand dont vous pouvez lire les poèmes dans ce même recueil. En 1939, il a appris qu’il allait bientôt mourir, et au seuil de la guerre qu’il pressentait, il a voulu laisser à ses jeunes enfants une dernière trace de ses talents d’écrivain de poète et de peintre, et il a écrit et illustré pour eux quelques contes et cahiers de poésie. Soixante-dix années après sa disparition,  j'ai pu retrouver celui-ci, les autres ayant été hélas perdus. J’ai alors voulu rapporter la trace émouvante qu'il nous avait laissée.  

 

 

 


 

 

 

 


 

 

 

AUBADE

 

 

 

Sous la brise qui chiffonne

De l'onde le frais satin;

Le bouleau d'argent frissonne

Au clair matin.

L'oiselet qui chante

M'enchante.

Voici le jour,

Levez-vous, brunette,

Coquette,

Voici  l'amour.

 

Déjà le ciel est tout rose,

Dans les prés le papillon

Lutine la fleur éclose

Dans un rayon.

Le mont sous l'aurore

Se dore.

Voici le jour.

Levez-vous, ma mie

Chérie

Voici l'amour.

 


 

 

 

 

 

 

Au gué suivant sa bergère,

Et secouant son grelot,

La chèvre blanche légère

Passe le flot.

Voici le soleil

Vermeil,

Voici le jour.

Levez-vous, ma belle

Cruelle.

Voici l'amour.

 

 

 

 


 

 

 

MATINES

 

 

Entre les arbres, dans l'ombre,

Une blancheur apparaît.

Le ciel est déjà moins sombre,

C'est l'aube dans la forêt.

 

Dans l'antique monastère,

Frère Jacques, vieux et las,

Quitte sa cellule austère,

En traînant un peu le pas.

 

Sous les arcades disjointes,

Qui tremblent au moindre choc,

Il avance, les mains jointes

Dans les manches de son froc.

 

En la vieille tour branlante

Dont on voit le toit pencher,

Il hausse sa main tremblante

Vers la corde du clocher.


 

 

 

 

 

 

En cascades argentines

Le carillon réveillé

Chante, appelant aux matines

Le novice ensommeillé.

 

A la voix qui les appelle

Entre les murs du couvent,

Les moines à la chapelle

Se rendent d'un cœur fervent.

 

Et l'on entend voltiger

Ainsi qu'un oiseau sautille,

Des cloches le chant léger

Qui dans les airs s'éparpille.

 

 


 

 

 

 

 

 

 


 

LES NIDS

 

 

Aux matins transparents, les nids chantent l'aurore.

Dans les midis joyeux, ils chantent le soleil,

Et quant au soir tombant, la campagne se dore,

Les nids chantent encor l'adieu au jour vermeil.

 

Les nids chantent l'avril quand le printemps murmure,

Dans l'été triomphant, les nids chantent l'essor.

Ils sont le cri vibrant de toute la nature,

Quand rayonne et sourit un ciel d'azur et d'or.

 

Les nids en un concert célèbrent la lumière,

De la création, ils chantent la beauté.

Et le cri de l'oiseau ainsi qu'une prière,

Monte en hymne éperdu vers la divinité.

 

Les nids chantent l'amour à l'âme solitaire,

Au cœur désabusé, les nids chantent l'espoir,

En murmure très doux, comme une source claire,

Qui coule sur la mousse en un bois triste et noir.

 

En quelque sombre jour, bien loin des vertes plaines,

Bien loin des purs sommets, le destin vous bannit,

Dans une rue obscure aux fétides haleines,

Là, sous un très vieux toit, gazouille encor un nid.


 

 

 

 

 


 

 

 

 

OPALE

 

 

Voici l'aube qui naît dans la brume tremblante,

Le ciel d'un gris très tendre a de roses reflets,

Et la mer est laiteuse, et la vague est changeante,

Et des lueurs se jouent sur les pâles galets.

 

Une enfant aux yeux purs apparait sur la grève,

Une robe de neige encadrant sa beauté.

En face de la mer, immobile elle rêve..

Et son cœur tremble un peu devant l'immensité.

 

Et puis elle sourit au doux ciel ingénu

Qui d'un reste de nuit conserve un brouillard vague.

Elle avance rieuse, et son petit pied nu

Effleure en frissonnant l'ourlet blanc de la vague.

 

Soudain la robe tombe, et le temps d'un éclair,

Comme une statue blanche, elle dresse splendide

Sa chaste nudité devant l'horizon clair...

 

Et puis saute, joyeuse, au sein du flot limpide.


 

 

 

 

 


 

 

 

BOUTONS DE ROSES

 

 

 

Dans le jardin fleuri que la lumière dore,

Chante t rit au soleil une enfant au front pur.

Elle va, vient, bondit, fuit et revient encore,

Enivrée de parfums, de rayons et d'azur.

Soudain sa course folle aux bonds désordonnés

La conduit, frémissante, au parterre de roses,

Et la fillette brune aux grands yeux étonnés

S'arrête émerveillée devant les fleurs mi-closes.

 

 

Sous le rayon doré à, la chaude caresse,

Une rose s'entrouvre, avide de tendresse.

Un brillant papillon autour d'elle tournoie.

Trop vite épanouie au soleil qui flamboie,

Elle donne son cœur à l'insecte frivole.

Hélas ! L'amour s'enfuit, le papillon s'envole.

D'autres amants viendront, s'en iront, tour à tour,

Sans guérir le regret de son premier amour,

La laissant simplement plus meurtrie et plus lasse.

 


 

 

 

 

 

 

Et puis le ciel trop lourd se charge de menace,

D'un orage assombri l'orage qui s'élance

Frappe brutalement la rose sans défense,

La laisse pantelante, encor plus affaissée,

Se penchant vers le sol, solitaire et blessée.

Ensuite un limaçon à la bave hideuse

Va, traînant son corps lourd sur la fleur radieuse.

Souillée, déjà flétrie, encore parfumée,

S'effeuille lentement la corolle embaumée.

 

 

Enfin, c'est, vers le soir, l'écroulement subit

Des beaux pétales d'or, de neige ou de rubis,

Que dans un jeu cruel et fou, la brise emporte.

Sous un souffle léger la belle fleur est morte

Éxalant en parfum sa toute petite âme.

 

C'est la vie d'une rose, et celle d'une femme.


 

 

JARDINS D’AVRIL

 

 

 

Ô frais jardins d'avril, que j'aime votre charme,

Lorsqu'une averse même a mouillé vos buissons

Et qu'à chaque rameau se balance une larme,

Et que le pêcher rose est tout plein de frissons.

 

Jardins en féerie lorsque la gelée blanche

Couvre de pierreries les feuillages tremblants,

Diamante les fleurs, et suspend à la branche

Des broderies d'argent aux fils étincelants.

 

Doux jardins de printemps peuplés de violettes

Où l'on voit tout à coup descendre en un rayon,

Chef d'œuvre délicat d'invisibles palettes,

Comme une fleur ailée, le premier papillon.

 

Jacinthes embaumées aux fleurs de porcelaine,

Beaux narcisses dorés, tulipes de satin

Balancent leurs fronts lourds à la brise de plaine

Qui vient jusqu'au parterre aux heures du matin.

 

Que vous avez de grâce, ô jardins de jeunesse,

Où la nature vibre après un long sommeil

Quand la première fleur sourit sous la caresse

Du premier chant d'oiseau et du premier soleil.

 


 

 

 

 


LE CHEVRIER

 

 

 

L'Alpe étincelle et brille à la naissante aurore,

Qui de ses rayons d'or traverse la forêt.

Le sapin triste et noir à leur clarté se dore,

La montagne sourit au soleil qui paraît.

 

Vers le petit vallon monte un chant de clarines.

Des chèvres le troupeau débouche du sentier,

Et capricieusement court aux herbes alpines

A grand peine suivie d'un jeune chevrier.

 

Cependant qu'alentour les chèvres s'éparpillent

Il s'étend sur la mousse, et le front dans la main,

Songe sous le ciel pur, quand soudain ses yeux brillent,

Voici venir son rêve au détour du chemin.

 

Elle a le teint de lis et la lèvre de fraise,

En son visage fin de doux yeux de bleuet.

Elle porte à son front la coiffe tarentaise,

Elle semble une reine, et vit dans un chalet.

 

Gracieuse elle approche, elle sourit et passe..

Et le jeune berger écoute longuement

le bruit du pas léger qui décroît et s'efface

Et puis rêve au regard couleur de firmament.


 

CHANSON BLANCHE

 

 

Dans le berceau le chérubin sommeille,

Mais sur son front un nuage a passé.

Dors sans péril, mon fils, ta mère veille,

Que de ton cœur m'effroi soit effacé,

Que, tout-puissants, caressant ta paupière,

Les doigts légers du sommeil triomphant

D'un songe pur ainsi qu'une prière

Anges du ciel, enchantez mon enfant.

 

Dans le berceau, maintenant il s'éveille,

Mais brusquement, des pleurs brûlent ses yeux,

Sous le chagrin pâlit sa joue vermeille,

S'évanouit son sourire joyeux.

Bébé résiste aux baisers de sa mère,

Tout mon amour, hélas, est impuissant

Pour apaiser cette douleur amère

Anges du ciel, consolez mon enfant.

 

Et le berceau, maintenant s'ensoleille,

Sur chaque chose éclot un rayon d'or.

Bébé, ravi, croit que tout est merveille

Et radieux veut prendre son essor.

Sur son front pur mettez votre lumière

Et devant lui votre bras qui défend.

Parfois trop faible est le cœur d'une mère,

Anges du ciel, protégez mon enfant.

 


LES HIRONDELLES

 

 

En avril, quand de fleurs écloses

Le jardin se peuple à nouveau,

Et qu’en les êtres et les choses

Vibre l'ardeur du renouveau.

Une troupe d'oiseaux paraît

Dans un joyeux battement d'ailes

Et c'est le printemps qui renaît

Quand reviennent les hirondelles.

 

 

De longtemps, Colin, sans espoir,

Aimait la elle Marjolaine,

Sans oser le dire, et ce soir,

Il la rejoint à la fontaine..

Il lui parle, et plonge ses yeux

Au fond des limpides prunelles..

Les garçons sont plus audacieux

Quand reviennent les hirondelles.

 

 

Il flotte un parfum de jeunesse.

Au ciel on voit plus de rayons.

Les fleurs s'ouvrent sous la caresse

De l'aile d'or des papillons.

La nature chante et sourit,

Toutes les femmes sont plus belles.

En les cœurs l'amour refleurit,

Quand reviennent les hirondelles.

 

 

 

 

 

 

 

Un air d’Ukraine  - Fernand Prévost, (père)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Fernand  PREVOST (père)

 

Printanières

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Printanières

 

 

In memoriam

A la mémoire des Cadets du Tsar

 

Tous les artistes qui ont illustré le recueil de poèmes dont sont tirés ces extraits été fusillés sans procès. Ils étaient fils cadets (ou seconds) des grandes familles de la noblesse russe avant 1917. Cela leur valut la mort. Fernand Prévost de Belvaux, le poète, sauva de justesse  sa vie car il était français. C'était leur professeur de langue et c'était aussi mon grand père. Après la guerre de 1914, il revint en France avec ce recueil, un livret relié en cuir noir avec un fermoir et un décor d'argent ciselé. Dans mes souvenirs, il était conservé avec soin dans un écrin protecteur. Interdit aux enfants, on ne le feuilletait qu'avec beaucoup de précautions. Après soixante-dix ans, par chance, il m’est enfin parvenu abimé, disloqué, râpé, et encore plus fragile. Je n'ai pas voulu que son contenu soit à jamais perdu en mémoire des jeunes cadets martyrs. Ils ont alors exprimé leur talent délicat à la simple occasion de l'anniversaire de leur professeur de français. Dans l’édition illustrée  que je voudrais en faire, chaque image sera agrandie pour monter l'élégance et le fini de leur travail. Dans celle-ci, vous accèderez aux textes tellement romantiques des poèmes qui expriment souvent la détresse de mon grand-père exilé. Il y avait en ces temps un piano ou un violon, un musicien, un peintre, ou un poète, dans chaque maison. Telle était notre culture européenne, il y a seulement cent ans, si proche encore, et si loin déjà des tags, des SMS ou du rap. En revoyant ces images et ces textes, je prends conscience du recul culturel subi, et j'avoue parfois ressentir un peu de nostalgie

 

 

 

 

 


SI VOUS CROYEZ

 

Si vous croyez qu’il est facile

De dire : Je veux oublier,

Et de s’essayer, malhabile,

Á plaisanter et babiller...

 

Si vous croyez que l’on peut voir

Sur vos traits un peu de dépit,

Sans qu’aussitôt le désespoir

Ne s’empare du cœur contrit…

 

Si vous croyez que votre main,
Dont la pression souvent enfièvre,

Ne peut pas, baume souverain,

Se poser, douce, sur la lèvre…

 

Si vous croyez que vos beaux yeux

Ne savent pas aussi sourire

Et rendre un cœur moins malheureux

Et l’arrêter dans son délire…

 

Si vous croyez que votre nom

Ne vient pas troubler bien des rêves ;

Qu’un oui de vous, ou bien un non

Ne suffit pas aux heures brèves…

 

Si vous croyez qu’on peut souffrir,

Toujours avoir l’âme en déroute…

Mais qu’un jour on en peut mourir,

Vous ne le croyez pas, sans doute ?

 

 

 

 

FLEURS DE PÊCHERS

 

 

 

Les pêchers sont en fleurs, joie fraîche, gai frisson,

Des blancheurs dans l’éveil de l’aube printanière,

Des gazouillis d’oiseaux vibrant à l’unisson

Chantent d’un ton perlé la symphonie légère

Des fleurs, - blancheur de chairs aux reflets de satin.

L’on dirait que du ciel, par une folle brise,

Un vol de papillons a neigé ce matin,

Gardant, nés de l’aurore, à leur aile qu’irise

Un peu d’azur d’en haut, leur poudre de velours,

Frais duvet qui ressemble à de la veloutine

Dans la rose et l’or clair de l’air, en pluie fine,

Au lever radieux du plus charmant des jours.

 

 


 

 

 

VARIATIONS

 

Rose et fraîche, elle n’est pas celle

Dont on dit en se retournant :

Oh ! Voyez donc comme elle est belle !

Et que l’on admire en passant.

 

Mais sous la paupière mi close,

Si ses yeux s’arrêtent sur vous,

Si son regard troublant se pose,

Quelques instants, frôleur et doux,

 

Alors on veut la voir encore,

Alors on a plus qu’un désir :

Elle est de celles qu’on adore ;

L’on ne veut plus que revenir.

 

Souple et gracieuse en sa pose,

Dans un costume harmonieux,

Un sourire à sa lèvre rose,

De la malice dans les yeux,


 

 

 

 

 

En sa nonchalance traitresse,

Elle trouve la mot hardi,

Et le regard hautain qui laisse

Un don Juan tout étourdi.

 

Mais au clavier, lorsque sans trève,

Pleine de larme sous sa main,

Chante une musique de rêve

Qui bercerait jusqu’à demain,

 

Alors l’ardeur se fait moins vice,

Du regard devenu rêveur,

Et la bouche se tait, pensive,

Pour écouter parler le cœur.


SOIR DE FÊTE.

 

 

 

Á l’éclat des flammes ardentes,

Et dans le bruit grisant du bal ,

Un fau monte à ses joues brûlantes

Et rehausse un teint sans égal.

 

Son beau front blanc, sous sa couronne

D’abondants cheveux presque noirs,

Sans effort apparent lui donne

L’air qu’elle aime en de pareils soirs.

 

Que la robe soit bleue, soit blanche,

Sur fond d’or, gaîne de velours,

Seyant au corsage qui tranche,

Le goût est sûr et fin, toujours.

 

Cambrée dans sa taille bien faite,

Un sourire aux lèvres, frondeur,

Elle est la reine de la fête :

Cela suffit à son bonheur.

 

Elle sait bien que tout l’admire,

Et, suivie par mille regards,

Elle garde son fier sourire

Qui commande tous les égards.


 

 

 

 

 

 

Mais sous ce masque de coquette,

Parfois, au fond de ses beaux yeux,

Se révèle, voilée, discrète,

La tristesse des cœurs soucieux.

 

Ses chers yeux bruns, au regard tendre,

En s’abandonnant un moment,

Font voir, à qui sait les comprendre,

Sans vains apprêtes, tout simplement,

 

L’âme mélancolique et douce,

Cachée sous des dehors trompeurs,

Comme l’eau vive sous la mousse,

Un nid d’oiseau parmi les fleurs.



 

 

 

 


HYMNE

 

Le printemps est dans l’air; partout sa tiède haleine

Éveille un frisson délicieux;

Le printemps est partout sur le mont et la plaine;

Mais il est surtout dans tes yeux.

 

Tes chers yeux bruns, si beaux, qu’un peu de chaleur dore,

Sont bien tendres quand tu veux bien ;

Et de les voir ainsi, très doux, je les adore,

Et cela ne te coûte rien !

 

Quand mon regard se pose, affolé de tendresse,

Sur tes lèvres, plein de désir,

D’y goûter un instant d’incomparable ivresse,

Avant-goût des joies à venir,

 

Je sens qu’n mon cœur gronde une passion farouche,

Et mon sang se presse, brûlant ;

Et je ne veux plus rien que boire à cette bouche,

La vie, l’amour, éperdument.

 

Et tout dans la nature est plein de rêves roses,

De bruit d’abeille et de baiser ;

Comment ne pas t’aimer quand, paupières mi-closes,

Tu t’étends pour te reposer ?

 

J’oublie tout sur la terre en sentant la tiédeur

De ton épaule ou de ton sein,

Et je voudrais mourir en entendant ton cœur

Battre à coups pressés sur le mien…


 

 

 

 

 


 

UN NOM

 

Ton nom est doux et clair ainsi qu’un chant d’oiseau.

Il chante dans mon cœur comme une cantilène,

Air ancien modulé sur un rythme nouveau

Plein de langueur italienne.

 

Leit-motiv éternel de mes pensées du jour,

Il hante mon sommeil et je tressaille en rêve

D’entendre soupirer comme un appel d’amour,

Le nom que je redis sans trêve.

 

Il est doux comme toi, alerte et gracieux,

Pareil à ce beau corps qui me brûle de fièvre,

Il évoque en mon cœur le regard de tes yeux :

Je crois le baiser sur mes lèvres.

 

Il te sied comme tout ce que tu portes, toi !

Comme à ton front si blanc ta chevelure sombre,

Á ta bouche si rose un baiser plein d’émoi,

Á ton clair regard un peu d’ombre.

 

Quand je reste parfois, à m’oublier le soir,

Dans une rêverie mélancolique et tendre,

Si ma pensée se berce à quelque doux espoir,

C’est ton nom que je crois entendre.

 

Lis le donc dans mes vers de ce dernier quatrain,

Écrit, le nom aimé de la plus chère femme,

Lumière de ma vie, qui, dans sa jolie main,

Idole et reine, tient mon âme.


 

 

 


 

ANGOISSE

 

Le temps fuit comme un rêve,

Rêve bleu, gris ou noir,

Sans arrêt et sans trêve,

Le soir succède au soir.

 

Quand j’interroge ton visage,

Et que je regarde tes yeux,

Un doux et décevant mirage,

Pour un instant me rend heureux.

 

En cette heure fugace,

Je vis de mon amour :

Mais bientôt elle passe,

Hélas ! Encore un jour…

 

Oh ! Si je pouvais l’arrêter

Cette heure où je me sens revivre,

Où je ne fais que répéter

Les aveux dont mon cœur est ivre !

 

Mais le sang brûle en vain :

Partir, voir disparaître

L’aimée jusqu’à demain,

La verrai-je ? Peut-être…


 

 

Et je me vois seul dans la nuit,

Et l’âme est lourde de tristesse

L’avenir est noir. Rien ne luit,

L’angoisse me serre et m’oppresse.

 

Demain ! Terrible sphynx,

Fantôme qui déchire,

Et que des yeux de lynx

Mêmes ne sauraient lire !

 

O nuit où je ne puis dormir ;

Où son nom et sa voix m’obsède

Où me poursuit son souvenir ;

Où le rêve insensé me cède !

 

Que me garde le sort ?

La vie, un peu de rose ?

Où bien est-ce la mort

Qui seule, enfin repose ?

 


 

FANTAISIE EN TON MINEUR

 

S’il est vrai qu’il n’est point sur terre

Pour moi de bonheur,

Et que le plus doux mystère

Qui naisse en un cœur,

 

Ne bercera plus mon âme,

Même pour un jour,

D’un doux sourire de femme,

Un rayon d’amour ;

 

S’il est vrai que ma jeunesse

Á jamais a fuit ;

Que ce rêve de tendresse

S’est évanoui,

 

Alors qu’un baiser timide,

Posé sur sa main,

Rend heureux mon cœur avide

Jusqu’au lendemain

 


 

 

 

 

 

 

S’il est vrai que tout s’envole,

Dernière illusion,

Qu’au passé mon cœur immole

Sa chère vision :

 

Avant que le soir arrive,

Et bientôt la nuit,

Il vaut mieux à la dérive,

Sans larmes, sans bruit,

 

S’en aller de la vie belle,

En disant son nom,

Sans murmurer de ce qu’elle

A répondu : Non !

 


 

 

 

 

 


 

 

 

 

ROSES

 

En une amphore au fin contour,

Écloses,

S’épanouissant tour à tour,

Les roses

Aux tons pâles, roses, foncés,

Si belles,

Ouvrent leurs pétales froncés

Et frêles.

Leur vie née de ce matin,

Si brève,

Passera jusqu’à demain,

En rêve,

Embaumant de leur odeur

Exquise

La minute de bonheur

Conquise.

Sur des lèvres au ton pourpré

Plus roses

Que le calice diapré

Des roses,

 

 


 

 

 

 

 

 

 

Où le sang, superbe et pur,

Embrase

D’un trouble puissant et sûr

D’extase.

Mon cœur à qui disent tant

De choses

Ces belles lèvres, pourtant

Bien closes.

O roses, sœurs des amours

Inquiètes,

Fleurs favorites, toujours

Discrètes,

Portez mes vœux, vous qui savez

Ma flamme,

Prenez l’aveu, car vous avez

Une âme.


 

 

 

FANTAISIE

 

 

Un frais bouton de rose-thé

Á l’aube grise est près d’éclore :

Pour épanouir sa beauté,

Il n’attend qu’un regard d’Aurore.

 

Le clair soleil de Floréal,

D’un baiser brûlant la caresse :

La fleur ouvre son sein royal

Plein de désir, prêt à l’ivresse.

 

Mais déjà la brise du soir

Vient d’effleurer la vierge folle :

La corolle s’est laissée choir

Á l’instant sa beauté s’envole.

 

Maintenant, dans l’ombre nocturne,

La rose flétrie va mourir :

Il ne demeure au fond de l’urne,

Que la cendre du souvenir.

 

 


 

 

 

 

BÉMOL ET DIÈSE

 

 

 

Haut et difficile est le but

Et le courage parfois sombre :

L’être entier vibre comme un luth,

Espère ou s’abîme dans l’ombre,

N’attendant que le dernier : chut !

Et s’endormir au gouffre sombre.

 

Haut les cœurs quand le but est grand

Et l’amour fait beaucoup sur terre ;

L’âme s’élève e un instant,

Et l’avenir, sphinx et mystère,

Ne montre pas que le néant :

Et l’heure vient où l’on espère.

 


 

 

 

 

 

 


 

 

L’ŒILLET

 

 

 

La fillette avait pris le missel de l’aïeule

Et les feuillets jaunis tournaient aux doigts légers ;

Distraite, elle rêvait, et, de se sentir seule,

Une mélancolie, des soucis étrangers,

Á son front de seize ans mettaient un peu de brume,

Mais, sur ses lèvres passe un sourire très fin ;

Dans les yeux bleus, rieurs, un éclair gai s’allume,

Et sur la bouche on pose un petit doigt mutin :

Des pages du missel une fleur glisse et tombe,

Un œillet, blanc jadis, à présent desséché,

C’est, dans le livre pieux, comme dans une tombe,

Un peu de vie d’antan et de monde, arraché…

 

La fillette s’en est venue vers la grand’mère,

Et, posant son front blanc, câline, à ses genoux,

Regarde longuement cette tête si chère,

Aux boucles argentées, au regard bleu, si doux ;

Puis, avec un baiser, demande, rougissante,

L’histoire de l’œillet, pris dans le vieux missel

Comme au soleil levant, sur l’herbe chatoyante,

Dans une goutte d’eau s’est pris un coin de ciel.

Un peu de rose monte aux joues de la grand’mère,

Et son regard très doux se pose en souriant

Sur l’enfant répétant sa naïve prière,

Et ses doigts caressants frôlent ce front charmant.


 

C’est si loin, ce passé !... J’avais seize ans, petite,

Seize ans ! Et j’étais belle, et fraîche comme toi ;

Des joues roses aussi, un cœur qui bat plus vite,

Pour un regard, un rien, aussitôt en émoi ;

Et des cheveux très blonds, ma plus belle parure,

Des cheveux d’or léger, volant au moindre vent ;

Pleine de vie, d’entrain, puis, ma foi, de l’allure :

Je connais bien des cœurs qui s’y sont pris souvent ;

Teint de rose et lis ; et des yeux... Vois mes yeux,

Les mêmes, mais plus bleus, pleins de rêve et d’ivresse,

N’ayant, comme les tiens, connu que jours heureux.

C’était un soir de Mai ; dans l’air, une caresse,

 

Vous effleurait les joues, à perdre la raison ;

Un souffle de printemps courait avec la brise,

Et le soleil à peine avait fui l’horizon.

Les fleurs, la nuit qui vient… Oh ! La douceur exquise

De ce beau soir, avec le parfum des lilas

Flottant, léger, dans l’air, tout embaumé, suave…

Et de ce si beau soir, il ne me reste, hélas !

Qu’une fleur desséchée, cet œillet, frêle épave.

 

C’était mois de Marie. Nous allions, toutes deux,

Ma mère et moi, prier tous les soirs à l’église.

Ah ! Que j’étais distraite alors, et je prie mieux

A présent. Mais seize ans… Cette soirée qui grise !

Je remarquais souvent qu’un homme me suivait ;

Oh ! De loin, mais toujours ; jeune, la figure douce ;

Et, derrière un pilier, fidèle, il attendait ;

Son regard m’adorait ; j’avais une secousse

Au cœur, à chaque fois que je voyais ses yeux :

Ils exprimaient si bien cette grande tendresse

Qu’ont seuls les cœurs très purs, le joyau précieux

Que l’on gaspille tant au temps de la jeunesse.

 

Or, ce soir, son regard dans l’ombre me brûlait.

Il nous suivit longtemps, jusqu’à notre demeure ;

Dans la brise du soir, à mi-voix il chantait

Et sa chanson, je me la rappelle à cette heure.

 

« Je veux que la brise du soir

« Te dise que mon âme est ivre.

« Donne à mon cœur un peu d’espoir :

« Un mot de toi me fera vivre.

 

Arrivé près du seuil, il était là tour près :

Je sentis dans la nuit sa main toucher la mienne.

Il y mit cette fleur… Pourquoi faut-il qu’après

Tant d’années disparues, d’un soir je me souvienne ?

Je ne l’ai plus revu ; J’en rêvai, bien des fois,

Et, malgré les chagrins, les plaisirs et le rêve,

Car la vie, ma petite, est faite, tu le vois,

De rose avec du noir, elle donne, elle enlève ;

Malgré tout, j’ai gardé ce frêle souvenir.

Les années ont passé sur cette tête blanche ;

Je sens que c’est bientôt que ma vie va finir ;

Et cependant, vois-tu, mon front ému se penche

Vers cet œillet flétri que j’embrasse souvent.

 

Toute entière au passé, dont revivent les charmes,

L’aïeule s’était tue, l’âme bien loin, rêvant,

Les yeux bleus de l’enfant étaient remplis de larmes.

 


 

 

 

 

 

 

 


FOL ESPOIR

 

 

« Dire à l’heure qui passe, à l’heure exquise et folle

« Qui précède toujours le moment des adieux

« Oh ! Ne fuis pas !... Mais non, la voila qui s’envole,

« Remonte aux cieux ;

 

« Sentir son cœur serré, brûlant dans sa poitrine,

« Battre à grands coups pressés la marche de l’amour

« Rien qu’en frôlant le bout de sa main, douce et fine

« Pour tout un jour ;

 

« Voir en ses beaux yeux bruns, qui disent tant de choses,

« Son âme toute entière en sa mobilité,

« Et la fierté qui dort en ses paupières mi-closes,

« Et la bonté ;

 

« Rêver quand sous ses doigts, sur le clavier d’ivoire

« Pleure un chant de douleur, Mendelssohn ou Chopin,

« S’abandonner encore à la douceur de croire,

« Rêver sans fin ;

 

« Aimer éperdument, avec toute son âme,

« Ne redire qu’un nom, le matin et le soir,

« Et mettre, malgré tout, dans le cœur d’une femme

« Son seul espoir ;

 

« Vivre ainsi, l’âme triste et l’esprit en démence,

« Attendant follement un : oui, de l’avenir,

« Et quand disparaîtra cette frêle espérance,

« Alors, mourir.


 

POURQUOI ?

 

Pourquoi ton regard bleu, comme un rayon d’étoile

Si beau

S’embrume de tristesse, ainsi que traîne un voile

Sur l’eau ?

Pourquoi tes longs cils noirs, doux comme le plus tendre

Velours

Ne laissent que des pleurs sur ta joue se répandre

Si lourds

Ton visage est pareil à celui d’une fille

Du Rhin ;

Tes superbes cheveux, tel sous le soleil brille

L’airain

Roulant en diadème à ton beau front de reine

Plus blanc

Que le mystérieux manteau de la sirène

D’argent

Et de rayons paré, dans l’ivresse d’un rêve

Divin

Qui se déroule et berce et jamais ne s’achève

Sans fin.

De tristesse voilé, ce front si beau se penche :

Des pleurs

Mouillent ces yeux d’un bleu plus pur que la pervenche,

Deux fleurs

Comme la plainte ailée d’une lyre qu’on frôle,

Ta voix

Vibre dans le sanglot d’une âme qui s’envole…

Pourquoi ?...


 

 

 

 

 

TROIS MOTS

 

 

 

Toujours ! Un mot hardi qui défie l’avenir,

Enfermé tout entier dans les plis d’une robe,

Triomphe, espoir et joie de l’amour à  son aube :

Oh, garde au moins le souvenir.

 

Jamais ! Le mot de glace et de deuil rempli d’ombre,

Tombant sinistre et froid sur le cœur éperdu

Qui vibrait de tendresse et bravait l’inconnu ;

Espoir, amour et foi : tout sombre.

 

Mais Dieu nous a laissé, dans sa pitié pour l’être

Qu’il créa faible et nu, le mot sublime et doux

Qui nous permet le rêve, espère malgré tout

Et sourit dans les pleurs : Peut-être.

 

 


 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

DIZAIN

 

 

Où donc est-il sur terre,

Ce lieu de doux oubli ;

Où l’âme encore espère

Et se tait tout ennui.

Où donc es-tu sur terre,

Bienheureuse patrie !

Mon cœur toujours t’espère

Illusion chérie :

Là-bas l’amour sur terre

Et le rêve infini…

 


 

BLESSURE D’ÂME

 

 

« Quand le roi des forêts du Nord, le libre élan,

« D’une balle mortelle a reçu la blessure,

« Il s’arrête d’abord pour se mordre le flanc

« Et sa douleur s’avive avec cette morsure.

« Puis il repart soudain à travers les fourrés,

« Brisant de ses bois durs, en sa course sauvage,

« Arbres morts, jeunes troncs, et rameaux trop serrés ;

« Tout craque, tout s’abat, fauché sur son passage.

« Il va. Son poil est moite, et ses naseaux fumants

« Aspirent l’air glacé ; ses yeux ont un feu sombre ;

« Brusquement, il frissonne, et, sur ses pieds tremblants

« Chancelle, fléchit, tombe, agonise dans l’ombre…

 

« Il est de ces beaux yeux dont les regards très doux,

« De ces lèvres aussi dont les charmants sourires,

« Blessent les cœurs aimants et les rendent plus fous

« Que ne fait une balle et les plus durs martyres.

« Il a suffi parfois d’une pression de main ;

« D’un regard qui vous dit en souriant : « Peut-être » ;

« D’une très douce voix qui vous dit : « à demain ! »

« Pour que vous tressailliez jusqu’au fond de votre être,

« Et ces blessures là, nous les gardons toujours ;

« Mortel et cher poison, bu des yeux d’une femme,

« Il nous brûle les nuits, et nous compte les jours.

« La blessure qui tue, c’est la blessure d’âme.

 


 

 

 

 

AVEU

 

Si je suis assis loin de toi,

Mon regard te fuit et t’évite,

Pour cacher l’invincible émoi

Dont mon cœur, hélas ! palpite ;

 

Mais bientôt, ainsi qu’un aimant,

Tes yeux, ton visage, toi toute,

Attirent mon regard aimant :

Et me voila tout en déroute.

 

Les rires et joyeux propos

Vont bruissant à mon oreille :

Comment pourrais-je être en repos,

Les yeux sur ta lèvre vermeille ?

 

Et si je suis à tes cotés,

Mon cœur bat, mais je me sens vivre,

Et mon sang coule à flots pressés,

Et je deviens tout à fait ivre.


 

 

 

 

 

 

Si je ferme un instant les yeux,

Aussitôt je vois ton visage,

Ton corps aux contours gracieux,

Et je m’affole à ce mirage.

 

Ton nom charmant, doux et léger,

Ton nom, je le dis avec fièvre,

Il me fait l’effet d’un baiser

Qui vient se poser sur ma lèvre.

 

Quand j’effleure ta blanche main

Ta bouche ou ta joue rougissante,

Je garde jusqu’au lendemain

Une âme inquiète et frémissante.

 

Je t’aime : hélas ! Puis-je ravir

De mon cœur ce rêve suprême ?

Je t’aime, et je me sens mourir

De cette passion, mais je t’aime.

 


 

 

 


 

 

 

DEUX YEUX BLEUS.

 

 

Ce sont ses yeux d’un si beau bleu,

Ses beaux yeux d’un bleu de pervenche :

Ils ont mis dans mon cœur en feu

Une passion que rien n’étanche.

 

J’ai perdu mon cœur, c’est certain ;

Mais honni soit qui mal y pense !

Deux yeux bleus l’ont pris ce matin :

Jane, me voici sans défense.

 

J’allais aux champs ; le soleil clair

Riait sur l’herbe encore humide ;

Des chants d’oiseaux montaient dans l’air,

Quand je vis son regard limpide.

 

Ses yeux étaient d’un bleu d’azur :

Pas le moindre petit nuage.

Aucun saphir n’est aussi pur :

Un ciel de juin après l’orage.


 

 

 

 

 

 

 

Ce n’étaient pas ses blonds cheveux

Pareils aux épis d’orge mûre :

Vers ses yeux seuls allaient mes vœux ;

De tout le reste je n’ai cure.

Sa joue était sI fraîche à voir

Comme un duvet de pêche rose…

Ses yeux bleus m’ont ravi l’espoir

Leur regard en maître dispose.

 

Sa lèvre humide, un papillon

La prendrait pour une églantine ;

Il voudrait tout droit, du sillon

Se poser sur sa gorge fine.

 

Mais moi, je ne vois que ses yeux,

Hélas ! et je ne vis sur terre

Que pour ses yeux si bleus, ses yeux,

Et j’y veux chercher le mystère

Qui me fait rêver sur la terre

Et m’y croire tout près des cieux.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

UNE OMBRE…

 

 

Une ombre légère, un rêve qui passe ;

Un rayon d’azur qui bientôt s’efface ;

Un regret d’amour, un élan divin ;

Une coupe amère et la lie du vin ;

Des pleurs, des chants, aussi des sourires,

Plus souvent des brumes et des délires ;

Un printemps qui fuit, un été brûlant,

Un automne triste et doux cependant.

Puis un dur hiver tue ce que l’on aime :

Depuis des siècles, c’est notre vie même.

 

 


 

 

 

NUIT.

 

 

La nuit est sombre

Noyée dans l’ombre

Et mon cœur sombre

Quand vient le soir ;

Empli de brume

Et d’amertume,

Il se consume

En désespoir.

 

Dans la nuit,

L’éclair luit.

Un grand bruit

Gronde ;

Au lointain,

Incertain,

L’œil en vain

Sonde…

 


 


 

 

 


UN AIR D’UKRAINE.

 

 

La blanche clarté des nuits d’Août

Baigne la ville et la plaine :

Là-bas venu je ne sais d’où,

Chante un air léger d’Ukraine.

 

Cela gémit au loin, dans le calme du soir,

Comme un léger sanglot, ou la très douce plainte

D’une âme abandonnée qui renonce à l’espoir

Et conte sa foi morte, illusion éteinte,

Regrets de l’aveu tendre, et du discret amour,

Des baisers échangés à l’heure exquise et folle,

De ce qui fait de l’homme un roi pour tout un jour,

Puis, comme un rêve, passe, à jamais, et s’envole.

 

La blanche clarté des nuits d’Août

Baigne la ville et la plaine

Là-bas venu je ne sais d’où,

Pleure un air léger d’Ukraine.

 

En sons tristes et lents, la mélodie soupire ;

Puis se brise soudain, sur un accord plaintif ;

Il se répète, cesse ; et dans un souffle expire,

Se taît, la strophe émue, dite d’un ton craintif

Un instant elle vibre encore doucement

L’air léger de ce soir exquis de clair de lune

En prolonge à plaisir, harmonieusement,

Les notes éplorées et la tendre infortune.


 

 

 

La blanche clarté des nuits d’Août

Baigne la ville et la plaine

Là-bas venu je ne sais d’où,

Meurt un air léger d’Ukraine.

 

Et l’on n’entend plus rien que le chant d’un grillon

L’esprit rêve, bercé par la musique lente

Morte à présent, tombée quelque part au sillon,

Avec l’âme meurtrie, la ballade dolente

Quelque corde est brisée sans doute au pauvre cœur,

Et l’instrument s’est tu… Le silence a des larmes

Aussi ; la brise pleure. Ecoutez... L’on a peur

Des démons de la nuit, impurs, jeteurs de charmes..

 

La blanche clarté des nuits d’Août

Dort sur la ville et la plaine

Là-bas a fui, je ne sais où,

Le léger chant de l’Ukraine.

 


 

Á LÉLETTE.

 

 

Et maintenant, Lélette,

Notre printemps a fui ;

L’an, à mourir, s’apprête ;

La dernière aube a lui.

 

Les lilas et les roses

Ont paré notre amour ;

Par mille douces choses,

Je t’aurai fait la cour.

 

Mais, rose ou chrysanthème,

La fleur te dit tout bas

Que tout mon être t’aime…

Tu le sais, n’est-ce pas ?

 

Si, dans la tiède haleine

De Mai, dans le soleil,

La gracieuse phalène

D’un printemps sans pareil


 

 

 

 

N’est plus là qui volète,

Les premières ardeurs,

O ma chère Lélette,

Survivent dans les fleurs

 

Que Juin ou Juillet, brûle,

Chère âme, ou que l’hiver

Cingle de sa férule,

Le sapin reste fier ;

 

Tel, dans le temps des roses

Ou celui des frimas,

Le cœur dont tu disposes

Pour toi ne change pas.

 

 

 

 

 

31 décembre 1906 – Fernand Prévost de Belvaux

 


 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

Suite des poèmes de Fernand Prévost

 

Récupérés sur feuilles volantes.


NOSTALGIE.

 

 

Ô Sphinx impénétrable et moqueur, ô Destin,

Ne pourrons-nous jamais dans notre course errante

Nous arrêter enfin, replier notre tente,

La fixer pour toujours au détour du chemin ?

 

Dormant ici ce soir, aimant au gré des routes,

Demain courant là-bas, ne restant nulle part,

Illusions fauchées, les espoirs en déroute,

Nous l’aimons cependant, notre vie de hasard.

 

Mais, superbe et vibrante, elle a ses heures sombres,

Heures d’accablement, tristes jusqu’à la mort,

D’infinie lassitude, où tout entouré d’ombres,

Notre cœur pleure et crie sa plainte et ses remords.

 

Á l’heure nostalgique et douce, et frissonnante,

Où je la vis paraître en ce pays d’exil,

Se dresser et parler à mon âme tremblante,

De mon passé perdu ressaisissant le fil,

 

Ainsi qu’un gracieux fantôme d’autrefois,

Au regard franc et doux, au provoquant sourire

Vibrant de fièvre ardente et des cris dans la voix

Qui me disaient tout bas ce qu’elle n’osait dire.

 

J’oubliais tout alors, sans me lasser d’entendre

De notre langue aimée les sons doux et charmeurs,

La cadence légère, indiciblement tendre,

Vive et gaie comme un chant d’oiseau parmi les fleurs.

 

 

La taille souple et fine, ondoyante et nerveuse,

Semble une tige fine en sa gracilité,

De son buste élégant, la courbe sinueuse

De la fleur a la grâce et la fragilité.

 

De ses cheveux soyeux, l’auréole légère

S’échappe en mousse fine, aux reflets d’or bruni ;

Et sa peau transparente, au gré de l’âme fière,

Devient d’un rose ardent ou d’un blanc tout uni.

 

Le regard a parfois une longue caresse,

Qui frôle, délicate, ainsi qu’un velours noir ;

Les yeux ont un ton chaud qui doucement oppresse,

Pénétrant comme en juin le souffle ardent du soir.

 

 

Presser un court instant cette main si petite,

Des lèvres longuement, y mettre tout un cœur,

Voir briller ses yeux noirs, puis s’en aller bien vite ;

En rêvant au passé, mirage de bonheur.

 

Chimère décevante et rêve insaisissable

Que murmure tout bas la voix du souvenir !

Mais elle ne dure pas la minute ineffable

Et l’instant d’après la voit s’évanouir.

 

Les rimes passionnées aux beautés sensuelles,

Les élans, les sanglots, les cris fous de désir

Sont pour ces corps sans âme : Elles ne sont que belles,

Idoles sans pensées, faites pour le plaisir.


 

 

C’est plus ou moins qu’il faut, pour elle, Eve moderne,

Son être et plus complexe et plus tendre à la fois,

Elle n’a pas l’attrait de cette beauté terne

Qui n’est que dans la forme, inerte et sans émois.

 

Mais elle ! C’est un feu continu qui l’enfièvre,

Flamme perverse et fauve, allumée dans son sein,

Qui fait brûler ses yeux et fait trembler sa lèvre,

Empourpre sa joue pâle à la peau de satin.

 

C’est la liberté même, et fille d’un sol libre,

Qui vibre en elle et brille, étincelle en ses yeux,

Impatiente du joug, et c’est la soif de vivre

Qui donne à tout son être un charme impérieux.

 

Prêt à tout pour lui plaire, étrange charmeresse,

J’attends sa volonté, je cherche son désir,

Car la servir, pour moi, n’est que la douce ivresse,

De revoir et d’aimer mon plus cher souvenir.

 

Octobre 1902 – St : Caucase

 


 

FLEUR D’EXIL.

 

 

Son nom ! Comme un bruit d’aile

Qui bruisserait,

Doux frisson, venu d’elle,

Et s’en irait,

Vers l’exilé, de celle

Qu’il adorait

Dire qu’à lui, fidèle,

On penserait.

 

Les yeux noyés d’ivresse,

Languissamment,

Frôlent, pleins de tendresse,

Tout doucement

L’aimé dont leur caresse,

Fiévreusement,

Etreint le cœur, l’oppresse

Comme un aimant.

 

La bouche frémissante,

Vient se poser,

N’osant plus, fleur tremblante,

Se refuser.

A l’ardeur qui, brûlante,

Va l’embrasser,

Se donne, palpitante,

Dans un baiser.

 

Février 1903 – Samara


 

LILAS

 

 

C’est un soir d’été, c’est un soir de mai,

Je vais doucement, rêvant à ma Jeanne,

La blonde fille qu’autrefois j’aimais :

L’amour nait, grandit, puis bientôt se fane.

Je rêve à celle qu’autrefois j’aimais.

 

Cueillons en marchant les beaux lilas mauves...

Je dis à ces fleurs, à ces doux lilas :

« Où sont à présent ses beaux cheveux fauves ?

« Tout mon être souffre et mon cœur est las.

« Où sont à présent ses beaux cheveux fauves ?

 

« Ce soir je revis mon premier amour,

« Le premier, celui que l’on n’oublie pas.

« Où sont ses yeux bleus, où donc est ce jour

« Où je reçus d’elle, ô mes chers lilas,

« Le premier baiser, où donc est ce jour ?

 

« Un soir j’ai brûlé cette boucle blonde

« Qu’elle me donna, mouillée d’un baiser...

« Brûler ce qui fut pour moi plus qu’un monde !

« Ô mes beaux lilas, comment ai-je osé ?

« Ces cheveux étaient pour moi plus qu’un monde.


 

 

 

 

« Oh, votre parfum va jusqu’à la source

« Où dormait en moi cet amour éteint.

« Lilas, mes lilas, votre odeur m’est douce :

« Elle évoque en moi ce passé lointain…

« A mon cœur meurtri votre odeur est douce.

 

« Ô mes beaux lilas, vos frêles pétales

« Qu’en une caresse effleurent les brises

« Ont un reflet rose et des teintes pâles

« De molle améthyste aux douceurs exquises

« De violette ayant des teintes pâles.

 

« Et ces fins pétales ont aussi leur âme,

« Une âme légère ainsi qu’est une ombre,

« L’ombre qu’eut Ondine en devenant femme ;

« Votre âme est un rêve, en cette heure sombre,

« Le rêve d’une enfant qui devient femme.

 

« Et ce soir votre âme, ô mes beaux lilas,

« Votre âme de rêve a dit à mon âme,

« Son passé, me l’a murmuré tout bas,

« Évoquant un nom, un doux nom de femme,

« Et ce nom, je l’ai répété tout bas.

 

 

Mai 1901 – Gt. de Tambod

 


 

LE VENT DE LA NUIT

 

 

Le vent de la nuit
Dans les bois gémit,

Bruit lugubre et fruit de mort,

Invisible esprit,

Chasse que poursuit

Le cri répété d’un cor.

 

Sur la plaine il passe,

Et bientôt s’efface

Et l’on dirait qu’il s’endort,

Sans laisser de trace

Plus que dans l’espace

Le vaisseau qui vole au port.

 

Mais soudain il clame

Comme le cerf brame

Quand l’amour jaloux le mord :

C’est un bruit de rame,

La plainte d’une âme

Exilée qui prend l’essor.

 

La frégate est bonne,

Mais, des coups qu’il donne,

Va de tribord à bâbord ;

En vain le glas sonne,

Le sort l’abandonne,

L’ouragan est le plus fort.

 

Ô voix de la mer,

Ô la plainte amère

Des flots mourant sur le bord !

Et les pleurs de mère,

La sombre colère

Des déshérités du sort.

 

L’eau s’élève en trombe

Et l’orage gronde :

Tel le feu de vingt sabords

Dont ronfle la bombe :

Et rien qui réponde

Á l’espoir comme aux efforts.

Troupeau qui s’assemble,

Les vagues ensemble,

Comme à l’assaut de Gomorrhe

Se ruent ! Et il semble

Que le vaisseau tremble

Sous le flot qui le dévore ;

 

Le ciel s’emplit d’ombre

Et la nuit est sombre

Comme un manteau qui se tord,

Et le vaisseau sombre

Á pic, et s’effondre

Dans le flot noir qui le mord.

 

Parfois, il murmure

Comme la voix pure

D’une harpe aux cordes d’or,

Et tant qu’elle dure,

Toute la nature

Semble pleurer pour un mort.

 

La clameur s’étale

Soudain en rafale ;

Les chiens hurlent pour les morts

D’entendre son râle

Trainer sur la dalle

Comme à la veillée d’un corps.

 

Il hurle sans trêve,

Pleure sur la grève

Et les rochers nus d’Armor…

Puis soudain s’achève

En un bruit de rêve…

Un soupir, un rien : Tout dort.

 

 

*** (1903)


 

 

LES ERRANTS.

 

 

Où va l’eau du torrent, inégal et rapide,

Roulant à flots pressés, sautant de roc en roc,

Brisant tige et rameau, noyant le sol aride,

Arrachant des débris, partout, au moindre choc ?

Et le rêveur qui jette à cette onde fuyante,

Le chargeant de pensées, un léger brin de fleur

Sait-il bien si, vraiment, la vague tournoyante

Recevra son message et l’écho de son cœur ?

 

La pastoure étendue au fond des grandes herbes,

Mains closes sous sa nuque, aux lourds cheveux plus blonds

Que l’orge et le blé murs, fauchés et mis en gerbes,

Suit d’un œil vague au loin, en légers mamelons,

En longs anneaux roulant comme un serpent se traîne,

La forme fantastique et les tours incessants

Dans l’azur et l’or clair, en gracieuse chaîne,

La Sierra Nevada des nuages errants.

 

Où va le vent qui passe en hurlant dans la steppe,

Chasse invisible aux cris impétueux d’un cor,

Plus sinistre quand l’ombre au ciel jette un crêpe,

Pleurant lugubre et froid comme un souffle de mort ;

Tordant l’arbre isolé, renversant la cabane,

Arrachant l’épi mort, foulant l’épi trop lourd,

Il fuit, revient, repasse, erre autour du kourgane,

Traînant sur ce tombeau en gémissement sourd.


 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

Et repartant soudain comme un loup qui s’enfuit

D’un élan furieux à travers les pacages,

Il poursuit dans l’espace un troupeau d’oies sauvages

Qu’il dépasse bientôt et laisse dans la nuit…

Où vont-ils ces oiseaux, volant dans les ténèbres,

Étrangement pareils à de grands voiles blancs

Qui s’en iraient là-bas pour des apprêts funèbres,

Avec à peine un bruit, dans l’orage, flottants ?

 

 

Où va le loup rôdeur, la prunelle brillante,

Maigre, hérissé, traçant dans la neige un sillon,

Des bois sombres chassé par la faim dévorante,

Cherchant l’homme ou la bête, ou même l’oisillon

Tombe du nid trop frêle, abattu sur la route,

Par un coup de tempête, au hasard du chemin ?

Où va-t-il le loup gris, voyageur qu’on redoute,

Errant en bande ou seul, pèlerin de la faim ?

 


 

 

 

 

 

Et le libre étalon, galopant dans la plaine,

Suzerain de la steppe où broute son sérail,

Où va-t-il écrasant l’arbuste qui le gène

Et l’herbe qui lui vient parfois jusqu’au poitrail ?

Où vont-ils tous ? Où va le nonchalant tzigane

Qui chante en repliant sa tente pour partir,

Plus loin, toujours plus loin, où va la caravane,

Ne s’arrêtant jamais qu’un moment pour dormir.

 

 

Où vont-ils, les errants ? Ils vont où Dieu les mène !

Et qu’importe ! Le ciel a partout même azur ;

Partout l’Eve éternelle est la même sirène

Et l’on cherche partout l’oubli dans le vin pur.

 

*- Kourgane – Tombeau isolé dans la steppe

 

Roskov / Don – 1903

 


 

LE DERNIER DON.

 

L’onde d’argent d’un ruisseau clair

Á ses pieds jasait gaie et vive ;

Muette et belle, elle avait l’air

D’une fleur poussée sur la rive.

 

Son fin poignet, brun comme l’ambre,

Était cerclé d’un anneau d’or ;

Á sa cheville qui se cambre

Brillait un autre cercle encor.

 

Á l’horizon, le soir tombait,

Superbe, en sa pourpre royale ;

Le soleil couchant la nimbait

D’une auréole triomphale.

 

Sur son front pur, en vague sombre,

Les noirs cheveux roulaient, charmants,

Et de ses yeux, noirs diamants,

Scintillait le regard plein d’ombre.

 

Une fleur étrange d’Asie

Se balançait en ses doigts frêles ;

Un papillon de fantaisie

La frôlait gaiement de ses ailes.

 

« Donne-moi la fleur, ma divine,

Dont toi-même sembles la sœur ! »

Dit un étranger qui chemine.

Et la belle donna la fleur.

 

 

 

Il s’est arrêté pour mieux voir

Ce beau visage de déesse,

Et, sentant grandir son espoir :

« Non, je veux plus, enchanteresse !

 

« Donne-moi ta main qui me semble

« La main d’une reine des cieux

« Oh ! Donne-moi ta main qui tremble

« Ainsi qu’un oiseau capricieux !

 

Et quand il a tenu la main,

Les yeux, pleins d’une ardeur nouvelle,

Montant aux lèvres de carmin :

« Non, je veux plus, ma toute belle !

 

« Plus que la main, plus que la fleur…

« Oh ! Ne sois pas si inclémente ;

« Un instant de divin bonheur

« Dort sur ta lèvre frémissante. »

 

Douce à l’étranger qui supplie

Elle donne aussi le baiser :

Lui, sent que sa tendre folie

N’en est pas près de s’apaiser.

 

Son regard était de velours

Sous la paupière frissonnante,

Mi-close, entre ses longs cils lourds ;

Et sa gorge était si tentante :

 

 

 

L’on eût pensé que ses beautés

Avaient mûri grâce au soleil,

Ainsi que deux fruits duvetés,

Deux grenades au ton vermeil.

 

Il s’agenouilla sans rien dire :

Elle comprit sans refuser…

Elle a donné dans un sourire,

Plus que la fleur et le baiser.

 

Traduit de l’Arménien

Moscou – 1902

 

 


 

 

BLANCHEUR (étude)

 

L’église

 

L’église est toute blanche, à Pâques, triomphale,

Dans les fleurs de candeur et les grands voiles blancs,

Comme d’une épousée la robe nuptiale,

Et l’orgue, en hosannah, mêle à des voix d’enfants

La blanche symphonie d’une hymne triomphale.

 

A

 

A, la voyelle blanche, ouverte à l’Idéal,

E, large chant de harpe, eurythmie dorienne,

Sons clairs, en a vibrant, et parfum virginal,

Lis pur, âmes d’enfants, ailes d’anges, sirène,

Chantant la symphonie blanche de l’Idéal.

 

Le lait

 

A pleins bords écumants, blancheur large, s’étale

Le lait vierge, lac pur, flot tiède, créateur,

Sang de l’être au berceau, des lèvres au sein pâle

Puisé, source de vie, onctueuse douceur,

Le lait vierge à pleins bords sa blancheur large étale.

 


 

Le nuage

 

Nappe envolée de quelque autel mystérieux,

Encens blanc qui, là-bas, de l’Orient émane,

Comme d’un sacrifice, ondulant vers les cieux,

Monte en fine vapeur la nuée diaphane,

Voile envolée de quelque esquif mystérieux.

 

Le marbre

 

Blancheur fière, figée, blancheur devenue pierre,

De Paros ou Carrare, en blocs puissants et durs,

Le marbre éblouissant dresse dans la carrière

La masse immaculée dont les tons froids et purs

Sont comme un incendie tout blanc devenu pierre.

 

La lune

 

Blancheur étincelante, au ciel noir de l’hiver,

Monte superbement, tel un flambeau qu’élève

Une invisible main officiant dans l’air…

L’astre aux glaciers d’argent, au front nimbé de rêve,

La blanche lune étincelante aux nuits d’hiver.

 

L’étoile

 

Et  blanche aussi s’allume en un coin de l’espace

Une étoile isolée, luminaire tremblant,

Larme égarée, reflet d’âme morte qui passe,

Rayon d’espoir perdu depuis plus de mille ans,

Feu follet qui s’allume en un coin de l’espace.

La neige

 

La neige sur la plaine et les glaciers d’argent,

Sur la ville qui meurt et la rivière morte,

Est tombée, blanc suaire, et pèse lourdement,

Ouate glacée, sur l’âme, et le rêve grelotte

Triste et nu dans la bise et les glaces d’argent.

 

Pierrot

 

Et blancheur de Pierrot, blancheur de face blême,

Promenant sa farine au beau milieu d’un bal,

Éclat de rire fou sous le nez de carême ;

Et, blafarde ironie, candeur de carnaval,

Âme noire et teint blanc, blancheur de face blême.

 

Le carnaval

 

Blancheur de chère lie, nappes et blanc cristal,

Les œufs battus en neige, oie blanche à la chair fine,

Mousse aimée du Champagne, et vapeur de régal,

Buée blanche, embaumée, crêpes, crème et farine,

Ripaille et chère lie, blancs de nappe et cristal.

 

Mains au clavier

 

Et la blancheur des mains, frôlant le blanc d’ivoire,

Touches pâles, polies sous les doigts fuselés ;

Blancs arpèges, éclos dans la douceur de croire,

Candeurs d’ailes, frissons des trilles modulés,

En Banc majeur, fa dièse, envolés sur l’ivoire.


Chambre de jeune fille

 

Nid blanc, fleurant l’iris, la poudre et le jasmin,

Candeur du lit tout blanc, dentelle et mousseline,

Parure de la vierge, épouse de demain,

Et bouquet d’oranger, souliers blancs, moire fine,

Satin blanc ; tout est blanc dans ce lit de jasmin.

 

Première communion

 

Blanc des guimpes fermées, voile de communiante,

Surplis, encens, hostie, tous les blancs de l’autel,

Et la voix douce et pure, enfant blonde qui chante,

Les blanches litanies de la Reine du Ciel,

Pour le chaste hyménée d’un cœur de communiante.

 

Pierres et gemmes

 

Cassure de l’albâtre et feux du diamant,

Nacre, perle et camée, puretés cristallines

Ou laiteuses de gemmes, éther incandescent ;

Chatoiement du mica, nuances opalines,

Larme immortalisée, feux blancs du diamant.

 

Chair de femme

 

Lèvres tendres des seins, chair molle de la femme,

Dans l’écume et l’or clair, sortie de l’océan,

Énervante caresse et merveilleuses gamme,

De la peau, lis trompeur, neige qui brûle et sent

L’écume et le rayon dans une chair de femme.

 

Fleurs blanches

 

Blancheur de Floréal qui rit dans les grands prés :

Aubépine des haies, œillet blanc, pâquerette,

Le pâle nénuphar, naïade des marais,

Et le muguet de Mai, la mignonne clochette,

Et le grand lis altier, et la reine des prés.

 

Geisha

 

La rieuse geisha, coquette Japonaise,

Agite son ombrelle et son éventail blancs,

Se pâme au clair de lune avec des frissons d’aise,

Et pare son peignoir aux larges plis flottants,

De chrysanthèmes blancs ; coquette Japonaise.

 

Fil de la Vierge

 

Du voile de Marie, dans la blancheur de Mai,

Filigrane d’argent par la rosée qui perle,

Se tend dans le sentier d’aubépine embaumé,

Sous les premiers rayons, au chant joyeux du merle,

Le blanc fil de la Vierge aux blancs matins de Mai.

 

Baptême

 

Mais plus blanc que ces blancs, que le lis et l’opale,

Est le voile qui pare un enfant nouveau-né,

Que l’on porte au baptême, et blancheur sans égale

La petite âme blanche, ignorant le péché,

Plus blanche que la neige, et le lis, et l’opale…

 

Variante pour la Japonaise

 

Les blancs pigeons de la déesse en fol essaim

Vont, dans une envolée de plumes, blanche et chaude,

Se poser tout près d’Elle, et chercher dans sa main

L’offrande qu’Elle apporte à la blanche pagode

Á la sœur des Rayons brillant en riche essaim.

 

2/1903 – Rostov s. Don

 


 

 

 

 

LIBERTÉ

 

 

Ainsi que ce cheval sans maître,

Sans selle ou bride, poil au vent,

Ne s’arrêtant quand il veut paître

Qu’au sein de l’océan mouvant

Des steppes à l’herbe si haute

Qu’elle lui vient jusqu’au poitrail

Et qu’il surgit quand il en saute,

Comme un Pégase de vitrail ;

Libre sultan de mille reines,

Suzerain de l’immensité,

Ivre d’espace dans les plaines…

O bien suprême, liberté !

Oh ! Vivre ainsi que lui, sans maître,

Soi seul être son propre roi,

Partir au loin pour disparaître,

Seul avec toi !...

 

1902 – Caucase

 

 


 

 

SOUFFLE DU SOIR

 

 

Parfois quand vient le soir, un souffle de mystère

Semble flotter dans l’air, délicieusement,

Haleine insaisissable, exquisément légère,

Comme un bruit d’aile fine, à peine un frôlement.

 

Tout se tait.  L’âme écoute, et, les paupières closes,

Laisse au regard des yeux parler celui du cœur…

Un parfum très subtil : On dirait que des roses

Ont entrouvert là-bas, comme un baiser de sœur

 

Délicat et discret, leur corolle tremblante

Humide de rosée, et qu’un souffle câlin,

Une brise du sud s’est prise, frémissante,

Á caresser, dans le clair soleil du matin.

 

Puis, chargée de l’arôme aux suaves ivresses,

Elle a repris sa course, en sylphe qui s’enfuit,

Gardant le doux parfum, tout vibrant de tendresses,

Pour l’apporter ici, dès qu’est venue la nuit.

 

Et dans un grand frisson qui fait trembler sa lèvre,

L’exilé que caresse ainsi l’esprit du soir,

Sent à son front brûler une soudaine fièvre,

Et son cœur tressaillir, et son sang s’émouvoir…

 

1903 – Tch.


 

 

CE QUE J’AIME

 

 

Loin de toit, mon aimée, j’évoque ton visage

Incertain, dans un rêve, et je cherche à revoir

Tes traits, et préciser, de ce charmant mirage

La forme, vague ainsi que le rêve d’un soir ;

Quand mille lampes d’or, lucioles lointaines,

Tour à tour, là-haut, s’allument dans les cieux.

Á voir leur fol essaim de brillantes phalènes,

Ce que j’aime le mieux, chère, ce sont tes yeux.

 

J’aime ta gorge blanche, comme aussi l’ovale pur

De ton visage aimé ; la forme un peu sévère

Du menton et des yeux ; le front sans un pli dur ;

Et du nez délicat cette courbe légère

Allant bien au teint brun, donnant la vision

Du type d’Israël, qu’un peu de soleil dore,

Atténué pourtant, exquise illusion :

C’est, je crois ton profil si beau qu’en toi j’adore.

 

J’aime à voir tes cheveux, délicieusement,

Séparés en bandeaux de mode italienne,

Encadrer ton visage harmonieusement ;

Et j’aime tout autant que rien ne les retienne

Sur les tempes, partout, rebelles échappant

Au doigt qui vainement essaie de les refaire ;

Ou bien en natte encore, ayant l’air d’une enfant.

Ce sont tes cheveux bruns, chérie, que je préfère.

 


 

 

 

 

 

 

J’aime à voir l’éclat blanc de tes dents dans un rire

Et des lèvres aimées le gracieux contour,

Rose, comme la source où l’aurore se mire

Légère, puis brûlant sitôt que vient le jour ;

La pourpre de leur chair meurtrie par la tendresse

S’avive aussi, plus chaude en un baiser plus fort :

C’est ta bouche que j’aime en toi jusqu’à l’ivresse,

Tentante comme un fruit où je boirais la mort…

Je t’aime toute enfin ; mais plus que toutes choses :

Plus que ton beau corps souple et tout vibrant d’amour,

Qui frémit dans mes bras ; plus que tes lèvres roses,

Où les miennes pourtant s’oublieraient tout un jour,

Plus que tes beaux yeux bruns dont la caresse même,

Si tendre, verse à l’âme un instant de bonheur :

Plus que tout, mon amour, sais-tu ce qu’en toi j’aime ?

Ce que j’aime le mieux, mon aimée, c’est ton cœur.

Plus que l’ordre élégant et coquet qu’on admire,

Moi, j’aime l’abandon de te cheveux épars ;

Plus que la bouche aussi, j’adore le sourire ;

Plus que les yeux aimés, j’en aime le regard ;

J’aime quand tu me dis : Je t’aime, et que ta lèvre

Tremble et brûle, baisante et baisée tour-à-tour,

Versant et recevant l’ardente et douce fièvre :

Ce que j’aime surtout, en toi, c’est ton amour.

 

Décembre 1902 - Caucase

 

 

 

 

ROSÉE

 

 

Quand la terre brûlée par de longs jours sans eau,

De soif mourante, fume, au soleil implacable

Qui la ronge, séchant jusqu’au tremblant roseau.

L’arbre meurt, la fleur tombe et le sol est de sable…

 

Si sur cette agonie s’élève un vent soudain,

Non pas un vent de sud traversant l’air torride,

Mais quelque brise fraîche, ailée, du ciel d’airain

Passant, en éventail léger au sol aride ;

 

Que là-bas, loin encore, avance en flocon gris,

Le nuage attendu pendant ces heures lourdes ;

Comme en rêve, incertaine, émue d’avoir compris,

La terre se réveille en mille rumeurs sourdes…

 

La fleur se redresse et tend vers le ciel clair

La corolle expirante, et l’arbre sent renaître

La sève ranimée par la fraîcheur de l’air ;

Et la rosée divine à la terre rend l’être.


 

 

 

 

 

 

 

 

Ainsi, quand sur une âme a passé le malheur,

A soufflé, desséchant, plus d’un vent de misère,

Et qu’en ce cœur ronge – la suprême douleur, –

Par le doute, il n’est rien qui dise encore : Espère !

 

Puisqu’il a désappris le délicieux recours

Á la prière même, à cette rosée fraîche

D’où viendra donc enfin le suprême secours

A ce cœur délaissé que le doute dessèche ?...

 

Vienne avec un sourire et la main qui se tend,

D’un regard apaisant pour ce cœur en détresse,

Un bon ange : Aussitôt comme la fleur reprend,

La vie revient à l’âme en un peu de tendresse.

 

 

 


LE COFFRET

 

 

C’est un riche coffret, de mode très ancienne,

Aux ferrures d’argent très pur, mais tout bruni,

Et dont le fin velours brodé de valencienne

Est usé sur les bords et par endroits terni.

 

Retrouvé tout au fond d’un meuble de famille,

Par une jeune espiègle, enfant aux yeux rieurs,

Avec un rire clair, fusant en joyeux trille,

Il est bientôt ouvert par les doigts fureteurs.

 

Comme un oiseau léger, la main de l’indiscrète

Preste, et pourtant sans hâte, erre, et tourne au hasard

Les vieux papiers jaunis, et la boîte secrète

Aux tendresses gardées ; rien n’échappe au regard.

 

Et railleuse d’abord, la fillette examine

Ces lettres du passé, ces choses d’autrefois,

Relit des bouts de phrase en souriant, mutine,

Et ces fleurs desséchées et ces tendres émois.

 

De tout cela, très doux, un parfum vague émane,

Subtilisé dans l’air, chypre mêlé d’iris,

Une odeur d’ancien temps, de rose qui se fane,

Essence de Cythère et bouquets de Chloris.

 

Dentelles embaumées fleurant la bergamote,

Gants tout imprégnés d’ambre et sachets d’oliban,

Evoquant ce Jadis qui dansait la gavotte,

Gracieux et poudré, dans un salon d’antan.

 

 

 

L’enfant que le parfum troublant du coffre enivre

Ouvre un petit écrin d’aspect mystérieux ;

Il lui semble sentir tout ce passé revivre,

Respirer doucement d’un souffle harmonieux.

 

Deux portraits très anciens, noués d’un ruban rose,

Et, - délicatement, défait le nœud coquet

Dont la soie est pâlie, - Le regard bleu se pose

Sur les deux médaillons en or et bois laqué.

 

L’un est connu, ma foi ! C’est elle, c’est l’aïeule

Morte de l’an passé ; c’est sa croix d’or massif,

Ce crêpe pour celui qui l’avait laissée seule,

Et ses cheveux d’argent, et son beau front pensif.

 

Mais l’autre ? Quel est donc ce fier et doux visage ?

Le front est blanc et pur ; et le regard rêveur,

Des yeux de velours brun reflètent le mirage

De jeunesse sans fin et d’éternel bonheur.

 

Sur sa joue délicate, en fine porcelaine,

Ombrée d’un peu de rose, en entrelacs légers,

Parant superbement son front de châtelaine,

Se déroulent, bouclés, ses cheveux noirs de jais.

 

Le cou gracile et frais, à la ligne impeccable,

Est vierge de bijoux ; un fichu de linon

Á la mode du temps, de grâce inimitable,

Délicat et coquet, s’y croise à la Ninon.


 

 

 

Les yeux bleus de l’enfant se voilent d’une larme,

Et son cœur bat plus fort, avec un serrement.

Elle a compris soudain : Le portrait qui la charme

Est celui de l’aïeule encore en son printemps.

 

Pour la première fois, le douloureux mystère

De la jeunesse morte en pleurant les désirs,

L’oppresse ; et, replaçant les portraits de grand’ mère,

Elle referme, émue, le coffre aux souvenirs.

 

 

Raismes – 12. VIII. 1903

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Souffles d’Âmes

 

 

Jacques Henri Prévost
     - Poèmes pour l’An 2000             Page  9

 

     - Un petit conte de Noël               Page 41

 

     - Tirés à part                                Page 47

       

Fernand Prévost (fils)                      
     - Par les matins d’Argent Page  63


Fernand Prévost (père)
     - Printanières                               Page  85

 



Souffles d’Âmes

 

 

Ce recueil rassemble quelques poèmes écrits par des membres d’une même famille pendant plus d’un siècle. Vous y trouverez certains des miens, d’autres de mon père, et d’autres, plus nombreux encore, de mon grand-père. Les styles différents reflètent l’influence de leur époque. Cela montre combien la culture et la langue française ont évolué pendant cette courte période. Mais, au-delà de ces évolutions, un poème reste un poème.

 

 

 

Jacques Henri Prévost  - Poèmes pour l’An 2000
                                       - Un petit conte de Noël
                      - Tirés à part

Fernand Prévost (fils)  - Par les matins d’Argent


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