Jacques
Henri Prévost
Et chaque Amour, enfin
Incarnatus Tome 3
Vers une spiritualité
contemporaine
Jacques Henri Prévost
INCARNATUS
Tome 1 - Lentement
vers la Lumière
(Aux sources de l'ésotérisme occidental)
Tome 2 - Bien nombreux les
chemins.
(Mythes traditionnels et exotiques)
Tome 3 - Et chaque
amour, enfin
(Vers une spiritualité contemporaine)
Du même auteur
Le Ciel, la Vie, le Feu
Le Pèlerin d’éternité
L’Univers et le Zoran
L’Argile et l’Âme
Prolo Sapiens
Lentement vers la Lumière
Bien nombreux les Chemins
Et chaque Amour enfin
Recueil de cuisine végétarienne
Mon cancer et Moi
Le sourire malicieux de l’Univers
Jacques Henri Prévost
Et chaque Amour enfin
Incarnatus - Tome 3
Copyright
© Jacques Prévost –Cambrai
- France
Jacques
Henri Prévost
Et chaque Amour enfin
Vers une spiritualité
contemporaine
TABLE DES MATIERES
15 - Un
temple à l’esprit, et à la liberté
25 - Orphistes et Pythagoriciens
47 - La Divine Comédie de Dante
65 - Robert Fludd et la Rose+Croix.
79 - L'origine des Rose+Croix
91 - L’Homme triple
115 - Le Cosmos est-il vivant ?
137 - La Vie mystérieuse
147 - Amour et Désir chez les Théosophes
161 - Krishnamurti et l’inconcevable « Otherness »
199 - Jung - Du livre rouge à la Fleur d'or
243 - L'illusion de la connaissance
269 - La Kundalini et les Chakras
Les autres tomes
Tome 1
Aux sources de l’ésotérisme
occidental
Les
appels de la Lumière.
Les dieux grecs.
Les Ennéades de Plotin.
Les enseignements d’Hermès Trismégiste.
Les antiques religions à Mystères.
La religion des Romains.
La Gnose et les Gnostiques.
De la Gnose aux Cathares.
De Giodano Bruno à l’Univers vivant.
Béguines et Cathares des Flandres.
La Foi des Cathares.
Les autres tomes
Tome 2
Mythes traditionnels et
exotiques
Mille chemins
sur la montagne
Réminiscence
et réincarnation selon Platon
Le Mythe de l’Arche de Noé
Le Mythe de
la Quête du Graal
La Bagavad Gita dans l’Indouisme
Les derviches tourneurs Soufi
Contes persans et soufi
Zoroastre et les Pârsis.
Le Bardo Thodol tibétain
Le Tao të King en Chine
Le Cao Dai indochinois
Le Shintô
japonais
Le Jaïnisme
Le Vaudou
Tome 3
Vers une spiritualité contemporaine
Un temple
à l’Esprit et à la Liberté
Sans
commencement, sans fin,
sans passé et sans avenir,
l’esprit transcende le temps
et
l’espace,
sans
cause ni contingence.
Il réside dans le seul présent
et trouve son essence
et sa totalité dans le travail
qu’il accomplit sur lui-même.
Nous sommes tous, en tant qu’hommes, plongés dans une
réflexion fondamentale. Nous constatons que la religiosité, l’inspiration
artistique, et la recherche scientifiques sont des réponses toutes personnelles
à la perception d’un manque. Elles expriment le besoin d’assouvir une faim non
satisfaite. Exprimées dans des formes différentes, ces élans, ces espoirs, ou ces ressouvenances
d’un état de meilleure satisfaction semble être une caractéristique constante
attachée à la nature humaine. Cherchant à établir ou rétablir son bonheur,
l’Homme-individu base la conduite de sa vie sur le type de recherche,
d’expression sensible, de religiosité, ou de foi, qui correspond à sa propre
nature. Après tous les enseignements tirés du passé, nous constatons que
diverses démarches plus modernes constituent aussi des illuminations, des
flambées fortuites de connaissance. Elles éclairent alors un domaine caché
réservé aux seuls humains conscients. Issus de la même source, ces
éclaircissements de la conscience semblent bien pouvoir prendre plusieurs
chemins. Plusieurs moteurs très différents ont fourni l’énergie nécessaire pour
faire émerger ces révélations jusqu’au niveau d’une expression consciente
exprimable.
Comme pour toutes les théories scientifiques,
religieuses ou philosophiques, la diversité des contenus et des expressions
utilisées démontre également que les instruments mentaux utilisés pour faire
passer l’illumination intérieure au niveau conscient ne sont pas très adéquats.
Une question importante se pose, celle de de savoir à quel niveau de conscience
notre être intime est assoiffé de connaissance ou d’absolu. Le corps met constamment en oeuvre des machineries
variées qui remontent au début de l’aventure des vivants. Notre appareillage
mental est aussi composé de divers mécanismes mis en place par l’évolution.
L’homme doté de conscience est la forme actuelle, le dernier avatar de
l’espèce, mais les fonctions primitives qu’il intègre n’ont pas disparu dans
les abîmes du temps.
La soif de connaissance et la faim de Dieu sont irrationnelles.
On peut aisément comprendre que tous les efforts
conceptuels pour atteindre la connaissance totale, (ou la Divinité) par une construction intellectuelle théorique
et raisonnable, soient vains et voués à l’échec. En fait, cette soif d’absolu est en relation avec les niveaux
inconscients les plus archaïques du mental. Elle a cependant des implications
métaphysiques fort importantes. Si on l’admet, il faut corrélativement accepter
que la construction de l’Homme par l’évolution, y compris l’émergence de sa
conscience et de son intelligence, résulte de la réalisation d’un plan
antérieur, étranger et extérieur, lequel atteindrait maintenant le point
où ce moteur doit être activé. Cela signifierait que l’existence humaine a une
cause qui a fixé son but au début des temps et de la vie, bien avant
qu’apparaissent la corporéité et le conscient.
La prise de conscience qu’un plan surnaturel peut être
en oeuvre et nous impliquer activement prend une signification presque brutale.
Ce choc résulte du contact inattendu avec une altérité inconnue, ce qu’il est
convenu d’appeler le sacré. La tradition hébraïque, par exemple, a été amenée à
traiter cet aspect, et le Livre du Zohar décrit les multiples précautions que
le Dieu hébraïque a du prendre en descendant au niveau de la matière pour
accomplir sa création. Au-delà des descriptions théoriques, conceptuelles et
imagées des littérateurs, demeure un vécu difficile, celui du contact effectif
avec le Tout-autre inconnu et surtout la perception expérimentale de la réalité
de cette altérité absolue.
(Sénèque
- Lettres à Lucilius).
(D’après Le Ciel, la Vie, le Feu - Ouvrage de l'auteur)
CHAPITRE 2
Orphistes et
Pythagoriciens
Il y a beaucoup d'analogies entre le poète
Orphée qui est une figure mythologique, et le philosophe Pythagore, véritable
personnage historique qui vécut cinq siècles avant notre ère. Ils ont en commun
d'être à la base de deux philosophies mystiques, l’Orphisme et le Pythagorisme,
qui partagent des croyances et des pratiques similaires. Leurs partisans
croient en l’immortalité de l’âme emprisonnée dans le corps, et leurs pratiques
visent à l’aider dans sa future existence après la mort. L’Orphisme proposait
aux fidèles des rites mystiques et des règles ascétiques de vie. Les Orphistes
étaient végétariens et rejetaient toute violence, y compris les sacrifices
sanglants. L'enseignement de leurs Mystères proposait de rompre le cycle
perpétuel de l'incarnation et de la souffrance, et leurs rites funéraires
permettaient à l'initié de s'affranchir des liens du corps, de trouver son
chemin dans les enfers, d'être reconnu par les Divinités Infernales, et par le
souvenir de ses origines célestes, de se joindre à la race bienheureuse.
L'Orphisme originel ne semble pas avoir enseigné la réincarnation ou la
métempsycose (la transmigration des âmes personnelles telle qu'elle est exposée
dans le mythe d'Er chez Platon), mais plutôt la palingénésie,
(le retour périodique et éternel des
mêmes événements avec un retour à la vie éventuellement sous d'autres formes
d'existence, père et fils par exemple, comme chez les stoïciens). Pour les
Pythagoriciens, par contre, l’âme personnelle revient dans un corps nouveau
selon les vertus ou les vices de sa vie précédente. Le corps est donc une
prison où l’âme expie ses fautes antérieures. C’est donc une réincarnation
(métempsychose). Les réincarnations successives permettent la purification
progressive de l’âme, puis sa libération. Les Pythagoriciens étaient également
végétariens et pacifistes. Leur métaphysique proposait aussi une explication
scientifique de l’univers. Pythagore croyait à l’universalité principielle des
nombres dont la combinaison expliquait toute existence. ll est le précurseur de
la science actuelle et de ses applications modernes. Il aurait inventé le mot
"philosophie", (de 'philos' qui aime et 'sophia' la sagesse). Les
philosophes présocratiques, dont les Orphistes et les Pythagoriciens, ont fondé
la pensée scientifique par leurs intuitions, validées par nos sciences
actuelles, et leurs théories sur la survie de l'âme sont à la base de toutes
les grandes religions sotériologiques (de salut) occidentales. Orphée et
Pythagore ont aussi laissé des traces dans nos arts et lettres modernes.
Orphée, poète initiateur
L’Orphisme était un courant religieux de la Gréce_antique. Il nous est
connu au travers des textes divers et par des vestiges funéraires dont Les
Lamelles d'or et autres découvertes. On situe ses origines au moins à
560_av._J.-C. Les dernières œuvres « orphiques » datent du Ve_siècle
de notre ère. L'orphisme se présente comme un courant mystique tel que la pensée
grecque en avait développé à partir du IVe_siècle_av._J.-C.. Son nom provient
d'Orphée, un poète et initiateur mythique. Notre connaissance de l'Orphisme
demeure incomplète et chargée de mystère. Dans le très ancien mythe d'Orphée,
la descente du poète aux Enfers à la recherche d'Eurydice, donna naissance à
une théologie véritablement initiatique. La doctrine orphique est
sotériologique (religion de salut). Originellement souillée, l'âme est
condamnée à un cycle de réincarnations que l'initiation peut seule rompre pour
lui permettre de rejoindre le divin. Dans cette doctrine, Orphée n'est pas
adoré, il est seulement vénéré et demeure un homme, en marge des dieux. Par
certaines de ses pratiques, particulièrement le végétarisme et le refus des
sacrifices sanglants, l’Orphisme paraît contester la religion grecque
traditionnelle. La religion est fondée sur une cosmogonie et une théogonie très
particulières. La divinité principale est ici Phanès, (autrement nommé Éros, ou
Protogonos). Issu de l'éclosion de "l’œuf cosmique", Phanès-Éros est
à l’origine de tout. Créateur du soleil et de la lune, ils est aussi père de la
nuit. Dans le panthéon orphique, on retrouve Zeus et surtout Dionysos, un
divinité singulière, exubérante et excentrique à laquelle les Orphistes rendent
un culte particulier. C'est l'un de ces cultes à Mystères qui préparaient
l'arrivée du monothéisme. Les confréries orphiques étaient présentes dans la
Grèce antique et le monde romain. Il semble qu'il ait existé des sortes de
prêtres, les orphéotélestes, des prosélytes assez douteux critiqués par Platon.
La cosmogonie orphique postule une unité originelle qui est brisée puis
restaurée sous le règne de Dionysos. Elle est donc en désaccord avec la
cosmogonie classique d'Hésiode qui part du surgissement de la béance primitive
(le Chaos originel) pour aboutir à l'ordre divin placé régi par Zeus. Selon
l'Orphisme, au commencement est Nyx, la Nuit ténébreuse, la Primordiale. Elle
est aux côtés de Chaos, Tartare et Erèbe. Dans cet abîme de noirceur, Nuit revêtit
la forme d'un oiseau aux ailes sombres et déposa un Oeuf d'argent, un Oeuf
"clair", non fécondé, dans le sein gigantesque des ténèbres. Puis,
sous l'action du Temps infini, l'Oeuf se brisa, laissant surgir Phanès aux
ailes d'or, un être extraordinaire, androgyne, d'une blancheur éclatante, et
que l'on nomme aussi "Éros", "Protogonos" ou
"Eriképaios". Phanès est donc né de l'oeuf primordial quand il a été
séparé en deux par Chronos, le temps, et Ananké, la nécessité impérieuse. La
partie supérieure de l'oeuf est devenu le ciel tandis que la partie inférieure
devenait la terre. Le nom de "Phanès", (le Lumineux), rappelle
qu'en premier il éclaira le monde en révélant ce qui était dissimulé dans
l'Oeuf. Protogonos, (le Premier-né), indique son antériorité, sa
primauté en tant qu'être manifesté. "Eriképaios", (le Puissant),
c'est la force créatrice. Eros, (l'Amour), s'unissant à Chaos dans
l'obscurité du Tartare, et fécondant en quelque sorte les Ténèbres de sa
clarté, il amène les principes de Ciel et de Terre qui étaient au fond de
l'Oeuf à s'unir, démarrant alors le processus de Création. Jaillissant de
l'Oeuf primordial où se trouvait la "semence du Vivant",
Phanés, dans sa splendeur, apparut à l'univers entouré d'un Serpent et portant
les têtes animales, du Bélier, du Taureau et du Lion. Une autre version dit que
ce sont Okéanos et Téthys qui se trouvaient au fond de l'Oeuf, et subirent les
premiers l'influence de l'Amour.
Toutes les cosmogonies voisines orphiques postulent une unité originelle
brisée ultérieurement rétablie sous le règne de Dionysos, et ce thème de la
réunification, de la reconstitution, ou de la réconciliation, fait le lien
entre elles. Le mythe orphique de Dionysos peut être considéré comme
constitutif de l'Orphisme. Phanés-Éros offrit finalement l'empire du monde à
Zagréus, première incarnation de Dionysos, un des enfants de Zeus. Les autres
Titans, jaloux, le charmèrent avec des miroirs, le démembrèrent, le firent
bouillir et rôtir, puis le dévorèrent. Horrifié, Zeus foudroya les Titans
meurtriers. De leurs cendres naquirent les hommes marqués par cette double
origine. De la cendre des Titans provient leur constante propension au mal,
mais l'énergie divine et d'amour du bien provenant de Dionysos subsiste en eux
comme une étincelle. Zeus fit ensuite renaître Dionysos de son coeur
sauvé par Athéna. Cependant, sa mère Perséphone, interdit que l'homme, marqué
de la faute des Titans, gagna le monde divin. Elle le condamna à errer de vie
charnelle en vie charnelle, oublieux de son origine divine. L'orphisme professe
une démarche de purification de l'Homme, chez qui le divin se combine
avec le titan qui est une souillure. Le mythe central de l'Orphisme est
bien celui de la mise à mort de Dionysos. Les Titans orphiques sont-ils
identiques à ceux d'Hésiode, les douze enfants d'Ouranos et Gaïa ? Pour ne pas
choquer le public mais aussi pour subvertir de l'intérieur la religion civique
grecque les Orphiques utilisaient des appellations classiques comme Dionysos,
Orphée, Zeus, les Titans, ou Perséphone, avec un sens parfois différent. La
Perséphone orphique ressemble à la Reine des Enfers habituelle. Pour les
Orphiques, mais elle est aussi ici la mère de Dionysos lequel n'est donc pas
celui d'Euripide (Sémélé "les Bacchantes"). De même, il
faut bien distinguer le doux poète amoureux du mythe "Orphée et
Eurydice" et l'Orphée orphique, bien plus politique. Le mythe romanesque
montre un Orphée héroïque et souffrant recherchant son épouse jusqu'aux lieux
infernaux, tandis que l'Orphisme se place sous sa protection tutélaire
essentiellement parce qu'il est un initié revenu des Enfers, et qu'il peut donc
servir à en proclamer les mystères.
Du Mythe d'Orphée à la
Religion orphique
L'orphisme né en Grèce à partir du sixième siècle avant JC est un mouvement
religieux qui aurait été instauré par Orphée, un personnage légendaire qui
vécut avant Homère. Orphée était selon la tradition un demi-dieu, fils de la
Muse Calliope et du roi Œagre (ou du dieu de la beauté et des arts Apollon).
Originaire de Thrace, il charmait de sa musique les animaux sauvages et même
les êtres inanimés et est souvent décrit comme un enchanteur qui émerveillait
tout le monde par ses chants et ses poésies. Orphée avait reçu sa lyre des
mains d'Apollon et y avait ajouté deux cordes pour en faire un instrument
incomparable. Il était très amoureux de sa femme, (une dryade), la douce
Eurydice. Mordue au mollet par une vipère lors d'une marche en forêt juste
après son mariage, Eurydice en mourut, laissant Orphée inconsolable. Il descendit
aux Enfers pour réclamer son Eurydice au dieu Hadès. Arrivant au fond des
enfers, il se mit à jouer de sa lyre et endormit ainsi le monstrueux Cerbère,
ce chien à trois têtes qui en garde l'entrée, et les Euménides (ou Furies), les
terribles Erinyes, Mégère, Alecto et Tisisphone, hideuses déesses ailées de la
justice et de la vengeance aux chevelures de serpents. Sa musique émut aussi
Hadès, le dieu des Enfers, qui libéra enfin Eurydice à condition qu'Orphée ne
regarde pas sa femme ni ne lui parle avant d'être arrivé à la surface de la
terre. Mais Orphée, n'entendant plus les pas de sa bien-aimée, inquiet de
savoir si elle était toujours là, se retourna, rompant l'engagement et perdant
définitivement Eurydice. Orphée, fou de chagrin, erra dans les bois et jura de
ne plus aimer aucune femme. Il mourut massacré par des femmes jalouses, (les
Bacchantes), qui jetèrent sa tête dans le fleuve Hébros (actuellement la
Maritza). Sa tête dériva sur les eaux en chantant jusqu'à Lesbos. Les Muses
affligées enterrèrent ses membres au pied du mont Olympe. Déposée dans le
temple d'Apollon, sa lyre devint la constellation du même nom. En
punition, nous dit Ovide, les Bacchantes furent attachées au sol puis
métamorphosées en arbres.
L'Orphisme, fondé sur une cosmogonie d'inspiration orientale, se présente
en réaction contre un système qui associe le religion et la politique.
L'Orphisme croit en la réincarnation. L'âme est enfermée dans le corps mortel
en punition du meurtre originel commit par les Titans, dont l'homme est partiellement
issu. Vouée à la réincarnation perpétuelle dans un corps humain ou animal, elle
est prisonnière du "cercle de génération" (proche de la roue des
renaissances bouddhique). Mais comme le Christianisme, l'Orphisme est une
religion de salut (sotériologique). les Orphistes enseignent qu'une vie
vertueuse, consacrée au bien et à la purification, peut supprimer l'empreinte
titanesque de l'homme, libérant ainsi l'essence divine provenant de Dionysos,
lui permettant alors une meilleure réincarnation. Et, certaines âmes ayant
atteint la "pureté orphique" ne réincarneraient plus devenant
immortelles. Les pratiquants de l'Orphisme vivaient à l'écart de la cité, ils
refusaient le "phonos", le meurtre comme le sacrifice sanglant rituel
de la religion officielle, et passaient pour des asociaux peu fréquentables.
L'Orphisme professait que cette vie ascétique et mystique ne pouvait briser le
cycle des réincarnations que si le pratiquant y ajoutait de nombreux rites et
obligations, telles le végétarisme et l'abstinence. Il ne devait pas porter de
vêtement en laine, s'habiller de blanc, (assez usuel à l'époque), et ne jamais
approcher un cadavre. Après la mort, le défunt descend traditionnellement aux
Enfers, devant Hadès où il est jugé sur sa vie passée. Les trois juges lui
attribuent le type de corps mérité pour la prochaine incarnation. Avant
celle-ci, les âmes impures doivent boire l'eau du fleuve Léthé pour oublier
Hadès et les réincarnations précédentes. Les âmes sauvées évitent cette
eau d'oubli afin d'accéder à l'immortalité. Revenu des Enfers, Orphée incarne
le modèle, le premier des "initiés", qui révèle aux hommes les
arcanes mystérieuses menant à l'immortalité.
Les initiations orphiques étaient essentiellement dédiées à Dionysos,
dieu associé aux célèbres mystères d'Eleusis. Les initiations associaient une
ascèse stricte, des jeûnes et de la musique. Cette combinaison menait à l'état
de transe, plongeant le participant dans l'extase mystique et le progrès
spirituel. Au fil du temps, persécuté par la prêtrise grecque classique,
l'Orphisme tomba en discrédit. Son enseignement devint plus secret et plus
hermétique, et ses maîtres constituèrent des groupes d'initiés de plus en plus
restreints. L'Orphisme fut un courant mystique majeur de l'occident. Comme le bouddhisme
oriental, les fidèles orphistes avaient atteint un niveau fort élevé de
spiritualité, en posant des notions ésotériques fondamentales comme la
réincarnation et le cycle des renaissances, et en formulant des exigences
purificatrices basiques comme le végétarisme, la non violence, etc.. En son
temps, l'Orphisme a établi les bases de la future spiritualité grecque, en
initiant le champ de recherche des présocratiques. Il a enseigné comment tenter
de vivre à la fois la relation au corporel et au divin, les deux faces de la
double nature humaine. l'orphisme constituait une véritable école initiatique
qui a fortement influencé les écoles philosophiques ultérieures, le
pythagorisme, le platonisme, le stoïcisme et le néo-platonisme. Présent dans la
société gréco-romaine vers la fin du paganisme, l'Orphisme y préparait
l'émergence du christianisme. D'ailleurs, sur les tombes du début de
l’ère chrétienne, la figure du Christ est souvent traitée à l'image
d’Orphée. Cette filiation réapparut pendant la Renaissance à Florence, par
la publication de l'Hymne Orphique, un recueil de 87 ou 88 hymnes, invoquant
chacun une divinité païenne. Son d'origine est incertaine, et il avait été mis
à l'index par le clergé au moyen âge. On voit qu'à la Renaissance, Orphée devint
le symbole du renouveau des arts et de la connaissance, inépuisable source
d'inspiration pour de nombreux artistes.
La fraternité de Pythagore et sa
doctrine
L'Orphisme se fondait sur la
divinité de Dionysos et son mythe. Contrairement à Orphée, qui était un
romantique poète mythique, Pythagore fut un personnage historique bien réel.
C'était un savant philosophe grec, ésotériste, thaumaturge qui vécut au 6ème
siècle avant J. C.. Né à Samos il mourut à 83 ans à Métaponte en Calabre lors
d’une révolte populaire. Pythagore était un personnage assez mystérieux qui
n'écrivait rien, et sa pensée n'était guère connue que par une tradition orale
fort confidentielle. (On lui rapporte cependant une description du Monde en
vers dite « Les Vers d’Or
»). Sa pensée nous est parvenue au travers de textes néo-pythagoriciens
des débuts de l’ère chrétienne, retranscrits par les néo-platoniciens. Pour
Pythagore, le principe du Monde, c’est le nombre. Se fondant sur l’idée que le
Cosmos obéit à des harmonies numériques, l’École Pythagoricienne a cherché à
percer les mystères existentiels par l’étude des nombres et elle fut, par là
même, à l’origine de la musicologie. Pythagore était un philosophe
mathématicien, ésotériste, qui se voulait réformateur religieux et passait même
pour être magicien. Il aurait été initié vers l’âge de 18 ans et faisant son
apprentissage à Lesbos auprès d’un sage du nom de Phérécyde de Syros,
prédicateur et magicien, qui lui aurait révélé que les âmes sont éternelles, et
que l’Homme a deux âmes, l’une terrestre, l’autre d’origine divine. Il aurait
beaucoup voyagé et rencontré des mages, des sages et des philosophes, en
Phénicie ou en Syrie. Il serait arrivé en Egypte vers 547 avant J. C., résidant
à Memphis et à Thèbes, où il étudia l’astronomie, la géométrie, et s’initia aux
mystères égyptiens dans des écoles initiatiques où il apprit notamment la
doctrine de la Résurrection d’Osiris. Pythagore se réfugia à Crotone en Sicile,
lors de la conquête perse de sa province d'origine, l'Ionie. Il y établit sa
doctrine sur la figure centrale d'Apollon, dieu resplendissant du Soleil, des
Arts et des Lettres. Contrairement aux prudents et secrets Orphiques, Pythagore
eut rapidement dans la ville une activité politique. Devenu célèbre, il y
édicta rapidement des lois.
La communauté de Crotone
(l'école de Pythagore) fut d'abord une fraternité philosophique, religieuse et
scientifique proche de l’Orphisme. Elle devint ensuite un ordre initiatique
recherchant un pouvoir plus ou moins occulte. Ses 300 élèves administrèrent
correctement la cité, et leur gouvernement constitua, dit Diogène Laërce, une
véritable aristocratie. Pythagore se voulait "philosophe", un mot qui
couvrait, à l'époque, un champs de connaissance bien plus large qu'aujourd'hui.
Il enseignait que le principe des choses est la "monade", (l'unité
primordiale, divine source des nombres). De la monade sortit la dyade, matière
indéterminée dont la monade, est le maître et la cause. De la monade parfaite
et de la dyade indéterminée sont venus les nombres. Des nombres viennent les
points, des points les lignes, des lignes les surfaces et des surfaces les
volumes. Des volumes proviennent tous les corps perceptible composés de quatre
éléments : l’eau, le feu, la terre et l’air qui, assemblés de diverses façons,
créent le Monde lequel est animé, spirituel, sphérique, et porte en son milieu
la Terre, qui est ronde et habitée sur toute sa surface. Il y a donc des
Antipodes où tout ce qui chez nous est en bas, là-bas est en haut. Il y a sur
la terre de l’ombre et de la lumière, du froid et du chaud, du sec et de
l’humide. L’air terrestre est immobile et insalubre, et tout ce qu’il baigne
est mortel. L’air supérieur, toujours en mouvement, est pur et sain, et tout ce
qu’il baigne est immortel, donc divin. Le soleil, la lune et les autres astres
sont des dieux, puisque en eux prédomine l’élément chaud, qui est principe de
vie. La lune tire sa lumière du soleil. Les hommes sont proches des dieux,
puisqu’ils ont part à l’élément chaud, et c’est pourquoi les dieux s'intéressent
à eux. Tout est soumis au destin, qui est le principe ordonnant l’univers. Les
rayons du soleil traversent l’air et l’eau jusque dans les profondeurs de la
terre et ils y créent la vie. Tout être qui participe à la chaleur est vivant,
c’est pourquoi les plantes aussi sont vivantes. Cependant certains êtres n’ont
pas d'âme.
L’âme diffère de la vie. Parcelle d’un élément immortel, elle est en soi
immortelle. Les animaux s’engendrent grâce au sperme qui est une goutte de
cervelle contenant une vapeur chaude. Dans la matrice, cette goutte fournit la
lymphe, l’humeur et le sang, d’où naissent les nerfs, les chairs, les os, les
cheveux et tout le corps. La vapeur chaude produit l’âme et la sensation. Ce
sperme forme un foetus en quarante jours et, selon les lois de l’harmonie, en
sept à dix mois, l’enfant est achevé. Il a en lui toutes les raisons de vie
auxquelles il est lié selon les lois de l’harmonie. Pythagore divise l’âme
humaine en trois parties : la représentation, le principe vital, et l’esprit. Les
animaux ont la représentation et le principe vital, seul l’homme a l’esprit.
L’âme étend son principe du coeur au cerveau. La partie résidant dans le coeur
est le principe vital, l’esprit et la représentation siègent dans le cerveau.
La partie intelligente de l’âme est immortelle, le reste est périssable. L’âme
se nourrit du sang, les paroles sont des souffles de l’âme. Les liens de l’âme
sont les veines, les poumons et les nerfs. Hermès est l’intendant des âmes des
défunts. Il conduit les âmes pures vers le plus haut des cieux, et les sépare
des impures que les Furies enchaînent par des liens indissolubles. L’air
est rempli d’âmes que l’on appelle démons et héros qui envoient aux
hommes les songes et les signes de la maladie et de la santé, de même aux animaux.
C’est pour s'en préserver qu’existent les purifications religieuses et les
expiations. C’est l’âme qui a le plus de pouvoir dans l'homme, en bien ou en
mal. Les hommes sont heureux quand ils ont une bonne âme, ils ne sont jamais en
repos, et leur vie est un perpétuel changement. La justice et la vertu sont des
harmonies, comme la santé, le bien total et la divinité. Il faut adorer les
dieux avec des paroles de respect, dans un vêtement blanc et avec un corps pur.
La pureté s’obtient par le moyen des purifications, des ablutions, des
aspersions, du fait de n’avoir pas eu de contact avec un mort, avec une femme,
ou avec toute autre souillure, et de s’abstenir des viandes d’animaux morts, de
rougets, de mulets de mer, d’oeufs, d’oiseaux nés d’oeufs, de fèves et de tout
ce qu'interdisent ceux qui ont la charge de célébrer les rites.
Comme les adeptes d'Orphée, Pythagore interdisait d’offrir aux dieux des
victimes sanglantes, et disait qu’on ne devait faire ses dévotions qu’à un
autel sur lequel le sang ne coulait point. Il ne voulait pas que l’on prît les
dieux à témoin par serment, disant que l’on devait s’efforcer d’être par
soi-même digne de foi. Il fallait honorer les vieillards, car ce qui vient dans
le temps est plus digne d’honneur que le reste, comme, dans le monde, le lever
est plus important que le coucher ; dans le temps, le début que la fin ; et
dans la vie, la naissance que la mort. De même il fallait estimer davantage les
dieux que les demi-dieux, les demi-dieux que les hommes, et chez les hommes,
les parents plus que les autres. Il fallait être sociable, de façon à ne pas
faire de ses amis des ennemis et à se faire un ami d’un ennemi. Il ne fallait
rien croire à soi seul. Il fallait venir en aide à la loi et lutter contre
l’illégalité. Il ne fallait faire de mal ni à un arbre qui n’en fait point, ni
à un animal qui ne nuit pas. La pudeur et la piété consistent à ne pas rire
avec excès et à ne pas être sévère à l’excès. Il faut éviter d’être trop gras,
ne pas voyager trop ni trop peu, exercer sa mémoire, ne rien dire ni faire par
colère, il ne faut pas respecter toutes les sortes de divination. Quant à la
vie après la mort, on a vu que l'orphisme défendait une forme de palingénésie
(retour systématique à une forme quelconque de vie). Le pythagorisme croit plus
précisément en la transmigration des âmes, c'est-à-dire à la métempsycose d'une
âme individuelle, ce qui est différent. La théorie du corps-tombeau, qui dit
que le corps (sôma) est un tombeau (sêma) pour l'âme n'est pas
orphique, mais pythagoricienne.
La sagesse et la philosophie, disait Pythagore sont deux choses fort
différentes. La sagesse est la science réelle, la connaissances des choses
immortelles, éternelles, efficientes par elles mêmes. Les êtres qui ne font que
participer de celles-ci ne sont appaelés êtres qu’en corrolaire de cette
participation. Ils sont matériels, corporels, sijets à génération et à
corruption.Ils ne sont pas formellement des êtres, ne pouvant être ni biern
connus, ni bien définis, parce qu’ils sont momentanés dans leurs états et
inachevés. Il n’y a pas de sagesse relative à eux. La science des êtres réels
entraîne nécessairement la science des êtres équivoques. Celui qui travaille à
acquérir la première s’appellera « philosophe ».
"Le philosophe, disait-il, n'est pas un sage, mais un ami de la
sagesse. La Philosophie s'occupe de la connaissance de tous les êtres dont les
uns s'observent toujours et partout, et les autres moins souvent et certains
seulement en des cas particuliers. Les premiers sont l'objet de la science
générale, la philosophie première, les seconds sont l'objet des sciences
particulières. Celui qui sait résoudre tous les êtres en un seul et même
principe, et tirer de ce seul et unique principe tout ce qui est, est le seul
Sage véritable. L'objectif de la philosophie est d'élever l'âme de la terre
vers le ciel, pour connaître Dieu, et lui ressembler. On parvient à cette fin
par la vérité, l'étude des êtres éternels et immuables. Il faut cependant que
l'âme soit libérée et purifiée, qu'elle s'amende, qu'elle aspire aux choses
utiles et divines et que la jouissance lui en soit accordée, qu'elle ne craigne
pas la dissolution du corps, que l'éclat des incorporels ne l'éblouisse pas,
qu'elle n'en détourne pas sa vue, qu'elle ne se laisse pas enchaîner par les
liens des passions, qu'elle lutte contre tout ce qui tend à la ramener
vers les choses corruptibles, et qu'elle soit infatigable et immuable dans sa
lutte.
On n'obtiendra ce degré de perfection que par la mort philosophique, la
cessation de la relation de l'âme avec le corps, ce qui suppose que l'on se
connaît soi-même, que l'on est convaincu que l'esprit est emprisonné dans une
demeure qui lui est étrangère, que sa prison et lui sont des êtres très
distincts, qu'il est d'une nature tout à fait différente, que l'on s'exerce à
se recueillir, ou à séparer son âme de son corps, à l'affranchir de ses
affections et de ses sensations, à l'élever au-dessus de la douleur, de
la colère, de la crainte, de la cupidité, des besoins, des appétits, et à l'accoutumer
tellement aux choses analogues à sa nature, que l'âme agisse ainsi
séparément du corps, l'âme étant toute à son objet, et le corps agissant
d'un mouvement automatique et mécanique sans la participation de l'âme, l'âme
ne consentant ni ne se refusant à aucun de ses impulsions vers les choses qui
lui sont propres. Cette mort philosophique n'est pas une chimère. Les hommes
habitués à une forte contemplation l'éprouvent pendant des intervalles assez
longs. Alors ils ne sentent plus l'existence de leur corps et peuvent être
blessés sans s'en apercevoir. Ils ont profondément oublié leur corps et tout ce
qui l'environnait et l'aurait affecté dans une autre situation. L'âme libérée
par cet exercice existera en elle-même. Elle s’élèvera vers Dieu et sera toute
à la contemplation des choses éternelles et divines.
Les Pythagoriciens et nous
Les Pythagoriciens, dans
l'acception courante, sont les philosophes qui se réclament de ce que l'on
attribue à Pythagore, sachant bien qu'on sait fort peu de choses sur sa pensée
propre. On lui prête certainement beaucoup de concepts qui lui sont
étrangers,antérieurs ou postérieurs. Les philosophes présocratiques formaient
des sectes assez fermées plus ou moins mystiques, d'autant plus pour les
Pythagoriciens chez qui l'aspect mystico religieux était essentiel. On
distingue plusieurs familles selon leurs époques : Les Pythagoriciens
présocratiques, successeurs du maître. Ils sont caractérisés par des
préoccupations autant mystiques et religieuses que scientifiques. Ils se singularisaient
aussi par leurs réflexions mathématiques. On distingue trois groupes selon
l'ancienneté, les plus anciens, puis les Pythagoriciens moyens, enfin les
très nombreux Pythagoriciens récents, souvent cités par Platon. Les
Néo-Pythagoriciens qui leur ont succédé ont développé une vision plus mystique
du Pythagorisme. Ce "Néo Pythagorisme" est un courant philosophique
et ésotérique, commençant au 1er siècle avant JC à Rome et à Alexandrie (en
Égypte hellénistique), divisé en plusieurs écoles, avec des éléments empruntés
à Platon et Aristote. Ses chefs de file sont Jamblique, néoplatonicien romain,
auteur de la "Collection
des dogmes pythagoriciens" à l’origine de notre connaissance
actuelle des travaux de Pythagore, ainsi que Porphyre, Hiérocles et Plutarque,
l'auteur d’une "Histoire des philosophes" importante contribution à
notre connaissance de la philosophie grecque. Le Néo-pythagorisme avec à sa
suite le Néoplatonisme furent redécouverts ensuite au Moyen Age et à la
"Renaissance" (qui en tire d’ailleurs son nom puisque ce sont ses
concepts qui renaissent alors), surtout grâce aux écrits arabes traduits du
grec en arabe dans les bibliothèques d’orient puis repris de l’arabe au latin
par des savants arabes comme Avicenne, Averroès à Cordoue et le juif Maïmonide,
en Andalousie, De très nombreux documents ont malheureusement été
détruits ou perdus dans des incendies accidentels ou criminels comme la grande
bibliothèque d’Alexandrie, par des guerres ou par les obscurantismes copte et
islamique suivis par l'action de l’Inquisition.
Le mythe dionysiaque disait
que les Titans firent bouillir la chair du dieu assassiné avant de la mettre en
broche, ce qui renversait la logique du sacrifice rituel traditionnel
signifiant par là qu'ils niaient le courant de la civilisation en la remontant,
passant du bouilli, forme avancée de la cuisson, au rôti, bien plus proche du
cru primitif. C'est d'ailleurs cette inversion volontaire du rituel qui irrita
Zeus plus encore que le meurtre lui même. C'est sans doute dans l'orphisme
qu'il faut rechercher l'origine du mythe du sacrifice sanglant et
l'anthropophagie potentielle qu'il implique, plus particulièrement encore dans
l'éventualité de la métempsycose. Il s'agissait bien de se prévenir de toute
alimentation carnée puisqu'elle impliquait un préalable sacrificiel. Mais dans
la Grèce antique, la mise en cause du sacrifice sanglant rituel et de la
consommation communautaire de la viande sacrificielle ébranlait les fondations
civiles de la polis. C'est très évident lorsque l'on prend en compte la
rôle éminent du sacrifice traditionnel qui voulait attirer la bienveillance des
dieux tutélaires et garantir la sécurité de la cité. Le rituel était
extrêmement codifié. Il commençait par la sacralisation de l'offrande marquée
par "l'immolation" de l'animal, (son blanchiment avec une bouillie de
farine "mola" et d'eau). Dès lors, dévolue et ainsi sacrée, la
victime ne pouvait plus être touchée que par le sacrificateur patenté qui la
mettait à mort et prélevait la part des dieux, (le sang et la fressure, coeur,
poumons et rate). Et ce n'est qu'après la consumation complète de cette part
sur l'autel que la chair restante était profanée par un prêtre puis débitée et
partagée entre les assistants. Tout cela prenait un temps bien plus considérable
que la simple offrande de grains ou de fruits pratiquée par les pythagoriciens
ou les orphistes Leurs principes comportaient d'autres obligations, mais le
principal défi à l'ordre de la Cité demeurait donc le végétarisme, ce qui les
faisait qualifier d'asociaux. Ce préjugé semble parfois persister dans la
société actuelle.
La communauté
pythagoricienne était une confrérie, une fraternité philosophique, religieuse
et scientifique, voisine de l'orphisme. Elle comprenait plusieurs degrés
initiatiques et hiérarchiques, comme beaucoup ordres initiatiques actuels. Les
femmes et les étrangers pouvaient y être admis mais rien ne devait être révélé
aux profanes, "les gens du dehors". Au premier degré initiatique, on
trouvait les postulants, choisis arbitrairement par la hiérarchie. Le second
degré est formé par les néophytes qui subissaient une période de probation de
trois années et devaient faire preuve de persévérance, et du désir d'apprendre.
Lorsqu'ils étaient acceptés, ils prononçaient un serment de silence. au
troisième degré, les auditeurs recevaient un enseignement oral de cinq ans qui
devait être mémorisé. Les auditeurs se tenaient silencieusement devant le
rideau dissimulant Pythagore. Ils devaient mettre leurs biens en commun. ces
trois premiers grades, postulants, néophytes et auditeurs formaient le groupe
inférieur des "exotériques", les novices. Les
"mathématiciens" formaient le quatrième et dernier degré. Ils
devenaient des ésotériques, accédant à la connaissance intérieure et cachée.
Ils pouvaient voir Pythagore derrière le rideau.
Leur formation utilisait des
symboles avec démonstration. Ils auraient été spécialisés dans plusieurs
fonctions, les "vénérables", s'occupant de religion, les
"politiques", qui s'intéressaient aux lois et aux affaires humaines,
tant dans la communauté que dans la cité, les "contemplatifs" qui
étudiaient l'arithmétique, la musique, la géométrie ou l'astronomie, et les
"physiciens" ou naturalistes, appliqués aux sciences plus concrètes,
la géographie, la médecine, la mécanique, la grammaire ou la poésie. Outre le
végétarisme, d'autres obligations et rites s'imposaient dans la fraternité,
sacrifices non sanglants et sans feu, culte du naturel, farine, miel, fruits,
fleurs et autres produits de la terre, purifications, ablutions et aspersions
et onctions lustrales, respect de soi-même, examen de conscience quotidiens,
continence sexuelle, "exercices de mémoire", "chants et
musique", lecture partagée, gymnastique, athlétisme, promenade collective,
danse, port de vêtements de lin blanc, utilisation de signes de
reconnaissance (le pentagramme)et de symboles (la tétraktys).
Pythagore conceptualisa
l’idée qu’il existe une harmonie universelle et une mathématique sacrée à
l’œuvre dans l’univers. Il donna ainsi les fondements de la pensée ésotérique.
Avec la révélation écrite de sa pensée par les Néoplatoniciens, l'ésotérisme
naît en Occident, vers le 3ème siècle après JC, dans la Gnose et l’Hermétisme.
Les Gnostiques disent que l’existence terrestre résulte d’une chute originelle,
et que seule la connaissance initiatique, la Gnose, (du grec gnôsis),
permet de prendre conscience de la nature divine présente en l'homme.
L'Hermétisme affirme que « Tout ce qui est en bas est comme ce qui est en haut
», et donc qu’il existe des analogies entre la partie et le tout, entre le
microcosme et le macrocosme.
L’ésotérisme se manifeste
par vagues successives. La Gnose et l’Hermétisme sont redécouvertes à la
Renaissance, à Florence, à travers des textes antiques tels
"Poïmandrès" dans le Corpus Hermeticum, du légendaire Hermès
Trismégiste, (C'étaitt en fait une oeuvre collective de la fin de l’Antiquité).
Au siècle dit des Lumières, l’ésotérisme n'est plus qu’un contre courant face à
la pensée scientifique et à la philosophie rationalisante dominantes.
L’imaginaire et la pensée symbolique n’ont alors plus de place. L’homme
occidental s’arrache à la Nature qui n'est plus qu'un monde d’objets
observables. L'ésotérisme irrationnel est pourtant rapidement de retour avec
"l’illuminisme" fondé par le savant suédois Emmanuel Swedenborg, puis
le "magnétisme" de Franz Mesmer. Des sociétés secrètes initiatiques
préexistantes réapparaissent au grand jour. La Rose-Croix est l’une des
premières. Un texte apparu en 1614 dans le royaume de Habsbourg révélait
l’existence d’une fraternité d’adeptes, chargée de transmettre les
enseignements du chevalier Christian Rosenkreutz. Le mythe rose-croix serait
inspiré par celui des Templiers. La Franc-maçonnerie provient directement des
Rose-Croix. Au Moyen Âge, les maçons bâtisseurs de cathédrales détenaient la
connaissance des symboles, et celle de la dimension ésotérique du
christianisme. Quand on n'en construisit plus, les connaissances ésotériques se
perdirent et on en organisa la transmission dans des cercles d’initiés. Le
"Romantisme" relança ensuite et momentanément l'ésotérisme. Celui du
milieu du 19ème recueillait tous les ésotérismes antérieurs, de l’Antiquité aux
romantiques, mais s'en démarquait en acceptant le progrès et en tentant d'unir
la religion et la science dans un savoir unique.
Cet ésotérisme nouveau prit
plusieurs visages comme celui de "l’occultisme" d'Eliphas Levi ou
"le spiritisme" des sœurs Fox qui prétendaient être en contact avec
les morts. Le médium français Allan Kardec réintroduisit l’idée de la réincarnation
et dans la seconde moitié du 19ème siècle, de grand esprits comme Victor Hugo,
Claude Debussy , Verlaine ou Oscar Wilde, faisaient tourner les tables. Papus
fonda le Martinisme, et Péladan et de Gaïta, l'ordre Kabbalistique de la Rose
Croix qui eut grand succès. En 1875, la comtesse russe Helena Blavatsky fonda
avec le colonel Olcott, la Société Théosophique. Elle prétendait tenir ses
enseignements de maîtres spirituels rencontrés au Tibet (où elle n'alla
jamais). Le théosophe Rudolf Steiner créa en 1912 son propre mouvement,
l’Anthroposophie. Là, le monde et l’homme se répondent à travers un jeu de
correspondances subtiles. Steiner donna des applications pratiques à sa pensée,
dans la médecine, l’économie, l’éducation, etc.. Les sociétés ésotériques
sortirent fort affaiblies des grandes guerres mondiales. Les élites avaient été
dévorées par le matérialisme, et tous les mouvements de spiritualité avaient
été brisés. Cependant, la Rose-Croix d'Or réapparaît à Haarlem, aux Pays Bas.
Vers 1960 une tentative de ré-enchantement du monde renaît avec la vague New
Age qui voudrait unir la psychologie occidentale à la spiritualité orientale en
reliant l’homme au cosmos.
Comme les ésotérismes qui le
précèdent, cette nouvelle religiosité est plus tournée vers l’avenir que vers
le passé. Elle annonce l’entrée dans l'Âge du Verseau, signe qui symboliserait
l’avènement d’une religion universelle humaniste. Grâce aux puissants mass
médias, le New Age diffuse les idées de l’ésotérisme dans la société globale, bien
au-delà des cercles d’initiés. On peut y voir le retour (ou la permanence) de
l’ésotérisme dans nos sociétés modernes comme le signe d'un besoin de magie et
d’irrationnel. On peut aussi y trouver une tentative de rééquilibrage chez
l’homme occidental moderne entre ses fonctions imaginatives et rationnelles,
les polarités logiques et intuitives de son cerveau. Ne faudrait-il pas
admettre, comme le rappelle Edgar Morin, que pour vivre une vie pleinement
humaine, l’être humain a autant besoin de raison que d’amour et d’émotion, de
connaissance scientifique que de mythes, besoin d'une existence plus poétique,
ou ressent-il ici la marque d'un mystérieux appel.
CHAPITRE 3
La divine comédie de
Dante
Introduction
La
"Commedia" a
été écrite par le florentin Dante Alighieri, vers 1307. On la décrit souvent
comme une grande oeuvre lyrique et ésotérique. C'est surtout un roman d'amour,
celui d'un amour immense et désespéré. Dante a déçu la femme qu'il aimait
éperdument et elle est morte avant qu'il ait pu la reconquérir. Son dernier
espoir est de rejoindre son âme au Paradis pour obtenir son pardon et retrouver
son amour. Dante raconte donc ce rêve d'un voyage imaginaire au travers du
monde des morts. Guidé d'abord par Virgile qui représente sa raison puis par
Béatrice qui est son âme divine, Dante va passer de l'enfer au purgatoire puis
au paradis. Ces trois sections partitionnent une œuvre importante où l'on
rencontre de nombreux personnages symbolisant les divers vices ou vertus. Le
texte détaille les châtiments ou les récompenses reçues. On voit que le livre
peut admettre des interprétations variées. Il illustre bien les climats
philosophiques, scientifiques, religieux et politiques de la fin du 13e
siècle.
Dante en son temps
Dante était un
écrivain italien qui naquit à Florence en 1265 et mourut à Ravenne en 1321. Il
fut le premier à écrire en italien et non plus en latin. Ce n'était pas un
contemplatif mais bien un politicien convaincu, ardemment engagé dans la guerre
civile successorale et dynastique qui opposait les Guelfes, partisans du Pape
Alexandre III, aux Gibelins qui soutenaient l'Empereur Frédéric II
(Barberousse). Il participa même personnellement aux combats. Á Florence, il
parvint à la magistrature suprême en 1300. En 1301 Dante fut envoyé à Rome en
ambassade auprès du Pape Boniface VIII. Mais les Guelfes, politiquement
dominants, étaient alors divisés en deux clans férocement rivaux, Blancs,
(modérés) et Noirs, (extrémistes).
Dans l'ordre
chronologique, Dante produisit les livres suivants : Vita Nova (Vie
renouvelée), Rime (Rimes), Convivio (Banquet), De Vulgari
Eloquentia (De l'éloquence en langue vulgaire), Monarchia (Monarchie),
Epistole (Épîtres), Egloge (Églogues), Questio de Aqua et
Terra (Querelle de l'Eau et de la Terre). Son dernier ouvrage est le plus
célèbre, La Commedia, ( Introduzione, l'Inferno, Il Purgatorio, Il Paradiso.
L'immense poème qu'est "la Divine Comédie" comporte une
introduction suivie de 99 chants versifiés (tercets), constituant une séquence
de trois parties complémentaires, l'Enfer, le Purgatoire et le Paradis, (cent
chants au total). On attribue aussi à Dante Il Fiore e Il Detto d'Amore.
(La Fleur et le discours d'Amour).
Avec l'aide de
Boniface VIII, les Noirs prirent le dessus et abusèrent cruellement de
leur victoire. Lourdement condamné et incapable de payer l'amende imposée,
Dante, qui était Guelfe blanc, était formellement menacé du bûcher s'il
revenait à Florence. Il demeura donc prudemment à Rome puis se réfugia à Vérone
et enfin à Ravenne où il mourut en 1321 de la malaria. Il se considéra toujours
comme un exilé car il ne revint jamais en sa ville. Il se consacra d'abord à
l'écriture puis changea d'option politique, soutenant dorénavant les Gibelins.
Comme les autres ouvrages écrits pendant cette période difficile de sa vie, la
"Commedia" reflète partiellement les mortelles rivalités et la
terrible violence des conflits politiques de l'époque.
Les premiers livres de Dante
Vous lirez partout que
Dante, (Durante degli Aligheriri), le fils aîné d'Alighiero di Bellincione et
de Gabriella degli Abati, était un très grand poète. Vous n'éprouverez
cependant aucun plaisir à la lecture de ses ouvrages originaux. Car Dante
écrivait en toscan, un ancien langage obsolète depuis bien longtemps. Vous
n'aurez donc accès qu'à des traductions qui dégradent l'oeuvre originale. Par
ailleurs, une grande partie des textes de Dante est versifiée dans une forme
très formelle et très concise qu'aucune traduction ne peut fidèlement
reproduire. Et surtout, le contexte culturel et politique qui a inspiré les
textes nous est devenu parfaitement étranger. On y trouve en effet de très
nombreuses références mythologiques, historiques et religieuses complètement
oubliées et même beaucoup de règlements de comptes politiques. Aujourd'hui ces
livres nous tomberaient des mains. Je crois qu'il est indispensable, pour les
reconnaître, de recourir humblement aux analyses des commentateurs. C'est
maintenant ce que je vous propose d’essayer de faire ensemble.
En 1292, Dante écrit
son premier ouvrage, la Vita nuova. C'est une petite
autobiographie comprenant 35 poèmes et 42 chapitres en prose. Écrit en toscan
ancien (langue dite vulgaire, au sens de populaire, par rapport au latin
traditionnel), le livre apparaît novateur. Dès les premières lignes, Dante
évoque l'étonnant personnage de Béatrice, (Bice di Folco Portinari), qui va
inspirer tout le livre. Alors qu'il n'avait que neuf ans, il a croisé par
hasard une petite fille. Vêtue de rouge et parée comme tous les Florentins de
qualité en ces temps, elle n'avait que huit ans. Dante a cru voir un ange. Neuf
années passent avant qu'il la rencontre pour la seconde fois. Jeune fille toute
vêtue de blanc, elle lui adresse "un doux salut". Ébloui, Dante met à
écrire de nombreux sonnets au point d'intriguer ses amis. Pour tromper leur
curiosité, il feint de s'intéresser à d'autres dames. Dorénavant, Béatrice
refusera son salut. Elle épousera Simone de Bardi et mourra jeune. Et Dante
écrira Vita nuova, cette grande poésie lyrique qui fait de Béatrice un
ange descendu du ciel.
Dante produisit la Vita
nuova deux ans après la mort énoncée de Béatrice. Mais les commentateurs ne
semblent pas certains que la réalité fut celle que Dante décrivit. On ne sait
pas vraiment si cette Béatrice fut l'objet d'un amour éperdu, d'un rêve ou d'un
délire ou bien qu'elle ait été un moyen littéraire génial, imaginé pour
émouvoir le lecteur. Réel ou fictif, ce personnage a inspiré de nombreux
peintres, de Giotto à Dali. D'innombrables tableaux représentent la relation de
Dante avec Béatrice, tout autant dans la Vita nuova que dans la Divine
Comédie. Elle a aussi inspiré un opéra de Godard et beaucoup de
compositeurs de musique et autres artistes divers. La composition de l'ouvrage
est assez curieuse, faisant alterner des poèmes et des parties en prose. Il
semble qu'originellement, cette prose exposait l'histoire des amours déçues de
Dante. La frustration liée à la mort de Béatrice stimula l'imagination de
l'auteur. Il intégra à l'ouvrage tous les longs poèmes sublimant ses souvenirs,
en y ajoutant des explications quant à leurs structures et leurs contenus.
Le second livre en
toscan de Dante, "Le Banquet", (Convivio), est très important.
L'auteur a pris conscience du désir de connaissance qu'ont tous les hommes. Il
se propose de satisfaire cette faim et construit son ouvrage comme un banquet
de savoir offert aux chercheurs. On y trouve une succession de mets philosophiques
à thèmes, sous forme de longs poèmes suivis d'explications en prose bien plus
longues encore. Dante aimait expliquer systématiquement la signification
précise de chaque détail de son travail. Ce qui paraît précieux dans ce
Banquet, ce sont justement ces explications qui exposent l'essentiel du
contexte culturel, moral, religieux, politique et scientifique de l'époque. Le
premier chant est cosmogonique. Comme chez Aristote, la Terre est le centre de
l'Univers. Elle est entourée de neuf cieux, de la Lune, de Mercure, de Vénus
(contenant l'épicycle cause des écarts orbitaux), du Soleil, de Mars, de
Jupiter, de Saturne, des Étoiles, puis du ciel Cristallin de Ptolémée. Au
dessus est l'Empyrée, lieu de séjour divin, le ciel de lumière des Catholiques.
Dante décrit ensuite
les moteurs animant ces cieux, ces innombrables ensembles d'intelligences que
les païens appelaient dieux et que Platon nommaient Idées. Plus ils sont
proches de Dieu et plus ils sont puissants. Ils se répartissent en trois
hiérarchies, chacune de trois ordres, d'abord les Anges, les Archanges, et les
Trônes, puis les Dominations, les Vertus et les Principautés, et enfin
les Puissances, les Chérubins, et au sommet les Séraphins. Cette organisation
reflèterait celle de la Majesté divine en ses trois aspects doctrinaux du Père,
du Fils et du Saint-Esprit. Et Dante poursuit ses exposés dans la même veine, assimilant
aux sept premiers cieux les sept sciences raisonnables classiques, au premier
la Grammaire, puis la Dialectique, la Rhétorique, l'Arithmétique, la Musique,
la Géométrie et l'Astrologie. Au ciel des Étoiles, il place la Physique et la
Métaphysique, et enfin, tout en haut, la Théologie. Tout cela est justifié dans
le détail par de longs discours et de multiples références aux traditions
mythologiques et aux travaux des plus grands philosophes.
Ainsi vont les chants
dans ce banquet de thèmes, traitant, entre autres et par exemple, des
mouvements circulaires du Soleil et de la Terre d'après les philosophes, des
inclinations du corps et de l'âme en fonction de leur nature minérale, animales
ou spirituelle, ou des attraits des bonnes et mauvaises actions. Dante traitera
aussi des structures de la société politique et civile médiévale, du rôle de la
Noblesse, de la légitimité du pouvoir impérial et des interventions de l'Église
et du Pape. Il évoquera des sujets abstraits, tantôt positifs tels la
raison, le discernement, ou l'éthique, tantôt négatifs comme l'arrogance,
l'irrespect, ou l'incivisme. Il parlera aussi du Droit et de la Logique, des
Arts, des richesses et de la cupidité, de la vérité et autres vertus. Mais
Dante n'oublie pas Béatrice qui revient souvent dans le texte pour conforter
les arguments relatifs à l'amour, à la beauté, à la noblesse, ou la vertu. On
voit se mettre en place au fil des pages le personnage de la Dame sainte,
envoyée de Dieu dans la future Commédia sur laquelle Dante travailla si
longtemps.
En 1304, Dante
commençait le "Banquet", important traité en toscan qui devait
compter quinze chapitres. Mais il n'en écrivit que quatre et laissa l'ouvrage
inachevé. Á la même époque, il travaillait aussi sur un grand traité en
latin, "De vulgari eloquentia", une étude des dialectes
vulgaires qui semblait porter ses espoirs de contribuer à l'unification de la
future langue italienne. Il abandonna aussi cette oeuvre avant de l'avoir
achevée. Peut-être travaillait-il déjà sur la "Commédia" dont
on date la mise en route vers 1307. Un peu après 1313, il fait paraître
un autre traité en latin, "De Monarchia", qui propose la monarchie
universelle comme le parangon des systèmes politiques, seul capable, à son
avis, de réaliser la sécurité et le bonheur des hommes. Ce livre qualifié
d'hérétique sépare l'autorité temporelle de l'empereur et l'autorité
spirituelle du pape. Sa mise à l'index durera jusque 1881. On peut encore
évoquer "Questio de aqua et terra", autre court traité
en latin, et deux "églogues" qui sont des florilèges de poèmes
bucoliques. On a aussi ultérieurement recueilli des poèmes dans "Rime"
et des lettres dans "Epistole", publiés de façon posthume.
Dans le début des
années 1300, Dante entreprend la Commedia (qui devient la Divine
Comédie en 1555) qui est dédiée à Virgile. C'est son chef-d'oeuvre et il y
travaillera jusqu'en 1321. L'ouvrage est rédigé en toscan, la madre lingua,
ce langage local qui deviendra "l'italien". L'oeuvre comporte trois
parties divisées chacune en trente-trois chants. Elle compte au total quatorze
mille deux cents vers. La versification utilise la terza rima. Dans ces
tercets de trois vers, le premier rime avec le troisième, et le second appelle
les première et troisième rimes du tercet suivant. Dante écrit d'abord
"l'Enfer", vers 1307. Il y place tous ses ennemis dans des situations
horribles. Il ajoute "le Purgatoire" vers 1316 et achève enfin le
livre avec "le Paradis" en 1321, juste avant sa mort. La
"Commédia" relate le voyage imaginaire que Dante entreprend pour
rejoindre Béatrice, la femme qu'il aimait et qui est morte et qu'il a idéalisée
comme un ange de Dieu. Le livre commence de façon abrupte. Le poète se met en
route le 8 avril de l'an 1300, jour du Vendredi Saint, et il se trouve égaré
dans une vallée profonde où il est menacé par trois bêtes féroces. Alors paraît
Virgile qui vient l'aider.
Á l'image d'Ulysse et
d'Orphée mais en compagnie d'un guide, Dante va passer les portes du séjour des
morts, et traverser les neuf cercles du puits de l'Enfer, puis les neuf niveaux
de la montagne du Purgatoire. Il retrouvera enfin Béatrice qui le mènera
jusqu'aux sommets des neuf domaines du Paradis. Dans l'univers de Dante, il y a
trois mondes. La terres est en bas, dans le monde matériel. Elle est entourée
des neuf cieux décrits dans le "Banquet", conformément aux théories
de l'époque. Le trône de Satan est situé en son centre. Juste en dessous
commence le puits de l'Enfer. C'est une immense et horrible cavité conique, de
plus en plus large avec un orifice au fond. C'est par là que Dante et Virgile
sortiront pour revenir vers la montagne du Purgatoire dans une île inconnue de
l'Océan. Lorsqu'ils seront au sommet, ils pourront percevoir les autres mondes
et l'Empyrée. Au delà, c'est le flamboyant domaine de Dieu et des neuf groupes
de puissances spirituelles animant les cieux. (Déjà décrites dans le
Banquet, ce sont les anges chrétiens ou les dieux antiques). Et, au
voisinage de Dieu, est la blanche Rose Mystique, le coeur du Paradis, le
magnifique domaine des Élus.
On ne peut pas aborder
l'ouvrage sans avoir intégré cette conception triplement ternaire de l'Univers
"dantesque". Sachez qu'il est parfois représenté sous une forme
humaine dont l'Empyrée est la tête et le Purgatoire, l'orifice inférieur (voir).
Complexe et lyrique, la Divine Comédie est une véritable
"somme" des connaissances et des concepts issus du Moyen-Âge. Elle
éclaire l'époque sur bien des plans, philosophique, politique, sociétal,
théologique et scientifique, en particulier cosmogonique. C'est aussi une révélation
du rôle particulièrement pesant tenu par la religion avec les contestations
violentes que cela appelle. On y rencontre de nombreux personnages inspirés par
la mythologie antique et l'histoire classique mais aussi par la société
contemporaine et les amitiés et inimitiés du poète. Ils personnifient les vices
et les vertus des hommes et reçoivent récompense ou châtiment. Le livre est une
allégorie de la voie salutaire qui passe par la purification des âmes. Il
a inspiré beaucoup d'artistes tels Botticelli, Michel-Ange, Blake, Delacroix,
Doré, et même Dali et Claudel, (ce que j'essaierai d'illustrer), ou encore des
musiciens comme Rossini, Schumann et Liszt.
Le puits de l'Enfer de Dante
L'Enfer de Dante a la
forme d'un entonnoir composé de neuf zones concentriques. Plus on s'enfonce,
plus grande est la souffrance des damnés. Chaque cercle est régi par un Démon
mythologique. Il y a un haut enfer pour ceux qui on cédé aux passions et un bas
enfer destiné aux vrais méchants. Au seuil de l'Enfer, on trouve le vestibule
effrayant des lâches et des esprits neutres que des taons et des guêpes
tourmentent cruellement. Là coule l'Achéron, fleuve grec mythique qui borde le
noir empire. Prié par Virgile, le nautonier Charon accepte de faire traverser
Dante. Les deux pèlerins entrent dans le premier cercle, les Limbes, qui sont
un lieu paisible mais de grande tristesse. On n'y trouve que des personnes sans
espérance car elles n'ont pas été baptisées. Dante y rencontre les patriarches
bibliques tels Adam, Noé, Moïse, Abraham et le roi David, il croise aussi les
héros mythiques antiques comme Orphée, Hector, Énée, César et même Saladin,
ainsi que les philosophes célèbres, Socrate, Platon, Démocrite, Hippocrate, ou
des savants, Ptolémée, Galien, Averroès, et bien d'autres. Sans s'attarder
longtemps en ces lieux, Virgile conduit Dante au second cercle gardé par Minos.
Dans le second cercle
les luxurieux sont emportés et secoués sans trêve dans les tourbillons d'un
violent ouragan. Dante y voit Sémiramis et Cléopâtre, Hélène et Pâris, le
bouillant Achille et le tendre Tristan, et tant d'autres fervents de plaisirs
sensuels. Il voit aussi passer des membres de sa famille, Francesca Malatesta
qui fit son amant de Paul, son beau-frère. Chagriné par le sort pénible de ses
parents, Dante perd connaissance et se laisse glisser dans le troisième cercle.
Ce lieu est gardé par Cerbère, une monstrueuse bête à quatre bras et trois
têtes qui déchire les esprits des gourmands sur qui s'abattent des pluies, des
neiges et grêles perpétuelles. Ayant évité les terribles crocs, Virgile et
Dante descendent dans le quatrième cercle, domaine régi par le terrible Pluton.
Deux troupes s'y affrontent sans cesse, s'y heurtant avec une extrême violence.
Ce sont avares et prodigues, toujours en quête de plus d'or à amasser ou à
dépenser. Les plus avides sont les clercs, les papes et les cardinaux, mais les
politiques les approchent de bien des façons. Ainsi une nation domine
quand une autre languit, quoiqu'il leur fut donné même espoir. Mais il faut
poursuivre et passer les marais du Styx.
Je ne citerai pas tous
les concitoyens que Dante a rencontrés dans le bas enfer. Sachons seulement
qu'il descendit dans le huitième cercle sur le dos d'un monstre horrible,
Géryon. Ce cercle complexe comprend dix Malebolges, de grands gouffres
concentriques où sont précipités les fraudeurs et trompeurs de toute
nature. La première bolge contient les séducteurs nus fouettés par des
démons. Dans la seconde, les flatteurs et adulateurs baignent dans la fiente
humaine. La suivante est réservée aux simoniaques qui ont vendu les services de
l'Église. Plantés à l'envers dans des trous, des flammes brûlent leurs pieds.
On y voit les papes Boniface VIII et Nicolas III, et l'Empereur Constantin.
Dans la quatrième bolge, les devins marchent la tête en arrière sans voir où
leurs pas les mènent. Les prévaricateurs et les trafiquants sont jetés
dans la poix bouillante de la cinquième bolge et piqués de crocs. Fuyant les
démons menaçants, Dante rencontre les hypocrites de la sixième qui portent de
lourds chapes de plomb doré. Il reconnaît parmi eux des Chevaliers de
Bologne qui se laissèrent corrompre. Et sur le sol, Caïphe et ceux qui
condamnèrent le Christ sont crucifiés, liés à trois pieux.
La fosse suivante est
celle des voleurs, remplie de serpents. Leur morsure réduit en cendres la
victime qui renaît aussitôt tel un Phénix, et leur étreinte retourne le corps
comme un gant. Dans la huitième bolge, des flammes dévorent les conseillers
perfides dont Ulysse qui proposa le grand cheval de la perte de Troie. Et dans
le neuvième gouffre, ceux qui apportent les schismes et les discordes sont à
leur tour coupés et divisés. C'est la vision catholique intégriste de
Mahomet ouvert du ventre au menton et du visage d'Ali fendu au sabre. Dante y
trouve quelques familiers dont Bertrand de Born portant en main sa tête coupée.
La dernière bolge contient les alchimistes et les falsificateurs de tous
ordres. Reste le Puits des Géants avec Antée déposant Dante dans le Cocyte, le
cercle glacé des traîtres. C'est le fond de l'enfer. Ce dernier cercle comprend
quatre parts. Les lacs gelés enserrent ceux qui ont trahi, dans la Caïnie,
leurs parents, dans l'Anténore, leur cité, dans la Ptolemaïe, leurs hôtes ou
leurs partis, et dans la Judaïe, leurs bienfaiteurs. Dante y rencontre Lucifer
(Dité) qui pleure. Ses trois têtes dévorent Judas, Brutus et Cassius. Enfin, Virgile
et Dante sortent aux antipodes.
La montagne du Purgatoire
Sortis de l'Enfer,
Dante et Virgile abordent une plage escarpée, au pied du Mont du Purgatoire, à
l'antipode de Jérusalem. Le concept de ce lieu intermédiaire est apparu au
cours du Moyen-Âge, surtout après le Xe siècle. Les âmes des pécheurs repentis
doivent y souffrir pour expier leurs fautes et se purifier avant de monter
progressivement vers le Paradis. Dans la Divine Comédie, le Mont du
Purgatoire comporte un parvis, "l'Antépurgatoire", suivi des
sept corniches des sept péchés capitaux. L'entrée est gardée par Caton
d'Utique qui préféra la mort à la servitude. Plusieurs groupes d'âmes demeurent
indéfiniment au pied de la montagne. Ce sont celles des Chrétiens qui n'ont pas
reçu le pardon sacramentel de l'Église, tels les excommuniés repentants,
les insouciants morts sans confession, ceux qui connurent une mort violente, et
les princes qui négligèrent la religion en raison de leur charge. Dante
reconnaît beaucoup d'ombres célèbres dont des Guelfes florentins assassinés. Il
n'y a ni cri ni gémissement dans le Purgatoire. L'atmosphère est chargée de
chants et de musique, et l'aspect est agréablement coloré. Cependant, le Mont
est protégé par un mur gardé par des Anges.
Dante s'endort. Á son
réveil, il entend des cantiques et se présente à la porte du Purgatoire.
Un ange la garde et marque sept fois Dante au front avec son épée puis il ouvre
la porte avec deux clefs, d'argent puis d'or. Dante et Virgile traversent
un chaos rocheux et entrent sur la première corniche où les orgueilleux
travaillent à leur purification. Ils marchent courbés vers la terre avec de
lourdes charges sur les reins. Les murs sont sculptés d'incitations à
l'humilité et l'on entend chanter. (Il y a beaucoup de chants dans la traversée
du Purgatoire). Un ange efface une première marque sur le front de Dante et
le guide vers l'escalier menant à la corniche de Caïn. Ce sont ici les envieux
qui se tiennent contre la montagne car ils ont les paupières cousues. Rien ne
tentant plus leur vision, ils n'aspirent qu'à la lumière. Ils pleurent et
l'ange chante pendant qu'ils récitent les litanies des saints. Un autre
ange lumineux ouvre la voie vers la troisième corniche obscurcie de fumée. Dans
cette nuit se dénouent les noeuds de la colère. Ce chant XVII évoque bien des
conflits dont celui du Pape avec l'Empereur. Et Dante et Virgile philosophent
et théorisent sur le libre arbitre et l'amour.
Alors que le soir
descend, Virgile et Dante atteignent la quatrième corniche, celle des
négligents et des paresseux méprisables. Menés par des récitants, leurs ombres
en grand nombre courent sans cesse pour apprendre le zèle et la diligence.
Dante s'endort là et rêve d'une impudique sirène. Au réveil, ils gagnent
la corniche suivante où les avares et les prodigues gisent liés, face contre
terre, étant ainsi punis de la cupidité qui les empêchait de regarder le ciel.
Se trouvait là Midas qui changeait tout en or et en mourut d'inanition, et
Crassus dont la bouche goûta l'or fondu, et aussi Charles de Valois qui pilla
les Florentins en feignant d'aider Boniface. Puis voici que le sol tremble
lorsque des âmes pardonnées passent du Purgatoire au Paradis en chantant Gloria
in excelcis Deo. S'avance alors l'ombre du poète Stace qui vivait sous
Titus. Il vient d'être libéré et désire les accompagner. L'ange efface la
sixième marque sur le front de Virgile et ouvre la porte de la sixième
corniche. En ce chant XXIII, sur ce chemin, les arbres portent des fruits
savoureux rendus inaccessibles pour la punition des gourmands, pâles et
décharnés, souffrant la soif et la faim sous leurs branches.
Un escalier mène à
l'étroite et dernière corniche. De la roche jaillissent des flammes et l'on
entend chanter des hymnes. Les âmes des luxurieux purgent leurs débordements
dans cette ardeur qui toujours brûle et jamais ne consume, et l'ange impose ce
chemin brûlant. Dante, Virgile et Stace souffrent donc la morsure du feu et
gagnent le sommet du Mont. En compagnie de Dame Mathelda, ils remontent le
cours du Léthé et contemplent la procession mythique de l'Église accueillant
les pécheurs repentis. Virgile s'en va et Dante aperçoit Béatrice sur l'autre
rive. Il a souvent trahi son souvenir, ce dont témoigne le rêve de la sirène.
Tandis qu'il pleure et que chantent les anges, elle exige qu'il s'en accuse
solennellement. Vaincu, Dante se repent, s'évanouit puis se réveille dans les
eaux du Léthé dont Mathelda le tire. Elle lui donne cette eau qui efface le
souvenir des péchés commis. Menée par un Griffon, la procession l'entoure mais
le char de l'Église devient monstre pour symboliser sa dérive due à la cupidité
du pape et des des prélats. Et Béatrice fait boire à Dante l'eau de l'Eunoé qui
fait souvenir des bonnes actions, puis elle le mène ainsi purifié vers le
Paradis.
La Rose blanche du Paradis
Purifié par le feu et
l'eau, Dante a enfin retrouvé Béatrice et s'en va en sa compagnie vers le
Paradis. Ce pourrait être la fin heureuse du rêve et du roman. Dante a autre
chose à dire. Il a conçu un ouvrage composé de cent chants répartis en trois
parties. Dans la troisième, il va nous décrire le séjour divin et nous en
donner la vision des Chrétiens de son époque. Les concepts utilisés ne nous
étant plus familiers, ils nécessitent quelques explications. Comme l'Enfer et
le Purgatoire, le Paradis est conçu sur neuf niveaux concentriques, (comme
les sephiroths). La Terre est au centre de l'univers dantesque. Le gouffre
de l'enfer est à l'intérieur et le mont du purgatoire à sa surface. Autour de
la Terre, s'étagent les différents ciels du Cosmos dans lesquels sont placés
les hommes sans péchés en fonction de leurs mérites. Le dixième ciel est l'Empyrée.
Il ouvre vers le domaine de Dieu qui règne en son centre. Autour de lui siègent
les puissances qui animent et régissent hiérarchiquement l'univers. Au coeur du
Paradis, dans l'intimité de l'amour divin, il y a un lieu circulaire
resplendissant, semblable à une immense fleur mystique, la Rose Blanche, ou
Rose Céleste éternelle, le séjour béni des Élus.
Le premier Ciel est
celui de la Lune, géré par les Anges. Il accueille les âmes des hommes qui
n'ont pas réussi à accomplir leurs voeux. La lumière divine faiblissant à
chaque ciel traversé, elle arrive atténuée à ce niveau. Et pourtant, les âmes
qui s'y tiennent sont tellement illuminées que les yeux mortels de Dante
peinent à les voir. Piccarda que son frère sortit par la force du cloître
chante pour lui l'Ave Maria. C'est l'intellect, dit Béatrice, qui donne des
formes humaines à Dieu et aux Anges qui n'en ont point, et c'est la volonté qui
pousse des hommes comme Jephté ou Agamemnon à accomplir des voeux stupides
malgré qu'ils aient reçu de Dieu le libre arbitre. Puis elle guide Dante vers
le Ciel de Mercure. Mené par les Archanges, c'est le lieu d'accueil des âmes
des hommes qui ont fait leur devoir et celles des valeureux combattants dont
des Guelfes qui furent de braves compagnons de Dante. Ils ressemblent à des
ombres claires dans un vêtement de lumière. Dante comprend les raisons du
bannissement d'Adam et apprend que l'âme de l'homme vit éternellement parce
qu'elle a été directement crée par Dieu. Puis, la lumière grandit encore, et
Béatrice et Dante s'élèvent jusqu'au Ciel de Vénus.
Les archontes du troisième Ciel
sont les Principautés. La lumière s'accroît mais les ombres humaines sont ici
enveloppées d'une lumière colorée plus vive encore, au point qu'on ne les
distingue plus guère. Ce Ciel est peuplé par les âmes des hommes qui ont
beaucoup aimé et dont la vertu d'amour s'est finalement tournée vers Dieu, (Il
peut s'agir de la fraternité des Fedeli d'Amore, Dante et Cavalcanti en étant
initiés). Il est le dernier, (selon Ptolémée), où se perçoit encore
l'ombre de la Terre. Le Ciel du Soleil attire ensuite Dante jusqu'à lui. Ses
régents sont les Puissances de la 2ème hiérarchie angélique. En ce chant Xe,
les esprits sont sans ombre. Ils sont répartis en deux rondes de douze
étincelles dansantes de pure lumière, l'une de Dominicains, l'autre, de
Franciscains, conduites par Thomas et Bonaventure qui blâment les dérives de
leurs ordres. Le Ciel de Mars est celui des Vertus. Les esprits bienheureux
y forment une rouge croix lumineuse avec au coeur l'image fugitive du
Christ. Les Dominations harmonisent le Ciel de Jupiter qui accueille les
esprits des princes et des rois justes et sages. Devant Béatrice et Dante, (pour
Barberousse), leurs flammes s'ordonnent en forme d'aigle impérial.
Au chant XXI, Dante atteint le 7e Ciel, celui de Saturne, conduit par les
Trônes. Il est comme un cristal d'où s'élève un escalier d'or dont on ne voit
pas la fin. Les saintes lumières des esprits contemplatifs trouvent ici le
silence qu'elles recherchent. Á travers divers dialogues imaginaires, Dante
s'exprime sur la prédestination et critique l'avilissement des hommes d'église.
Voici alors que s'ouvre le Ciel des Étoiles dont le Chérubins règlent la
marche. Dante en fait le lieu triomphal de l'imagerie médiévale du Christ et le
la Vierge. Les anges chantent l'antienne "Regina Coeli" et toutes les
étoiles déversent leur lumière sur la vision de Marie et de Jésus qui
s'élèvent dans le ciel. Dante doit prouver qu'il est bon chrétien. Il répond à
Pierre, Jacques et Jean par les paroles du Credo catholique, (et c'est
l'occasion d'invectiver les papes). Béatrice lui présente alors la
première âme, celle d'Adam qui pécha par orgueil. La lumière augmente
encore. Dans le Ciel du Premier Mobile, celui des Séraphins, toutes les hiérarchies
angéliques tournent comme des roues lumineuses autour de l'éblouissante image
de Dieu, et le pur rayonnement divin parvient directement en ce seuil de
l'Empyrée.
Fait de lumière pure, l'Empyrée est le domaine de Dieu, des anges et des
saints. Dante découvre ici l'éblouissante Rose Céleste. "En la forme
d'une rose blanche se montrait à moi la sainte milice que dans son sang le
Christ épousa. L'ange qui volant voit et chante la gloire de celui qui
l'enamoure, et la bonté qui la créa si excellente, comme un essaim d'abeilles
qui tantôt se plonge dans les fleurs, tantôt retourne là où son travail prend
de la saveur, descendait dans la grande fleur qui s'orne de tant de feuilles,
et de là remontait où son amour toujours séjourne. Leurs faces étaient de
flamme vive, leurs ailes d'or, et le reste, d'une telle blancheur qu'il n'est
point de neige qui l'égale. Lorsque dans la fleur de siège en siège ils
descendaient, ils y versaient de la paix et de l'ardeur qu'ils produisent en
eux en agitant leurs ailes". Béatrice regagne sa place, auprès de
Rachel, et Bernard qui fonda Clairvaux explique la Rose Mystique. Adam, à
droite, est le père spirituel de ceux qui crurent que le Christ viendrait.
Pierre, à gauche, est le père spirituel de ceux qui croient qu'il est venu.
Dante ne désire plus que ce que Dieu veut, et la Vierge Marie intercède pour
qu'il obtienne la Suprême Béatitude. Dante aura donc sa place au sein de la
Rose.
E finita la comedia
Ainsi finit La Divine Comédie de Dante
Alighieri
Et ici, commence notre réflexion, car
le second aspect de l'oeuvre, son message ésotérique, ne se révèle que
lorsqu'on en a terminé la lecture.
En
effet, c'est en homme vivant et à partir de ce Monde que Dante effectue son
voyage. Dans l'Enfer et le Purgatoire, il prend conscience des altérations de
l'âme causées par les actes accomplis ici-bas. Puis, lavé par le Feu et par
l'Eau, il est admis à prendre un chemin salutaire dont les étapes successives
l'amèneront jusqu'à la Rose dans un abandon total à la seule volonté divine.
CHAPITRE 4
Robert Fludd
et la Rose-Croix.
Robert Fludd est un écrivain anglais, né dans le Kent au milieu du 16e
siècle. Il fut élevé dan l'anglicanisme, et, d'abord soldat, quitta rapidement
les armes pour s'intéresser aux diverses sciences, à la philosophie et à la
théologie. Il voyageait beaucoup et visita la France, l'Allemagne, l'Espagne et
l'Italie, y rencontrant bien des savants et des hommes illustres avec lesquels
il s'entretenait volontiers, s'instruisant auprès d'eux. De retour en Angleterre,
il entra au Christ Church College et, après plusieurs refus, obtint finalement
en 1605 le grade de Docteur en Médecine, puis il s'établit à Londres. Fludd
lisait beaucoup et se repaissait des idées de Paracelse, Cornélius
Agrippa et surtout des écrits d'Hermés Trismégiste auquel il se réfère dans la
plupart de ses ouvrages. Car Robert Fludd écrivait abondamment, en particulier
pour exposer le vaste système philosophique qu'il avait conçu et qui se fondait
sur sa très grande érudition. Ce système panthéiste assez mystique
combinait les éléments recueillis dans les traditions néo-platoniciennes,
hébraïques, gnostiques et kabbalistiques, jusqu'à flirter avec l'hylozoïsme.
Tout en restant traditionnellement chrétien, Fludd y exposait les grands principes
de plusieurs sciences parallèles, (alchimie, astrologie et géomancie),
disciplines grâce auxquelles il prétendait avoir obtenu des connaissances et
des résultats extraordinaires. Dans la création divine, il distinguait le
Macrocosme (et ses Astres), du Microcosme humain. Il aurait aussi été l’un des
initiateurs de la Maçonnerie écossaise et membre influent de la société secrète
des Rose-Croix, fondant son action sur l’enseignement initiatique de la
mystérieuse Fraternitas Rosae Crucis.
Les théories de Robert Fludd
Trente ans après la
naissance de Giordano Bruno en Italie, un curieux personnage, Robert Fludd,
naissait en 1574 à Milgate House, en Angleterre où il fut élevé dans
l’anglicanisme. Admis au Saint John’s College d’Oxford, il y fut un étudiant sérieux
dans la plupart des domaines enseigné. Il y entra en contact avec des
hermétistes et découvrit de nombreux ouvrages de tendances hermétiques,
kabbalistiques et alchimiques. l'Angleterre était beaucoup plus tolérante aux
idées nouvelles que l'Italie ou la France. Il étudia la médecine puis entreprit
un voyage de six ans en France, en Espagne, en Italie, en Allemagne, entre
autres. Rentré en Angleterre, il obtint le grade de Docteur en Médecine tout en
continuant à lire les ouvrages des alchimistes, kabbalistes et hermétistes.
Il correspondit avec les plus grands hermétistes de son temps et semble
avoir été en contact avec les Rose-Croix. A partir de 1617, Fludd publia de
nombreux ouvrages scientifiques ou hermétistes, des traités d’astrologie, de
médecine, d’alchimie, et des écrits philosophiques ou théosophiques qui
témoignent de l’extrême étendue de ses connaissances ésotériques. Il aurait été
(C'est controversé), en Grande-Bretagne, l’instructeur de la société
secrète des Rose-Croix, dont l’influence sur la formation de la Maçonnerie
écossaise est connue, et son système théosophique semble être fondé sur
l’enseignement initiatique de la mystérieuse Fraternitas Rosae Crucis. La
métaphysique de Fludd est dualiste. Deux principes régissent l’univers : Dieu
et le Diable. Les deux royaumes sont en lutte perpétuelle. Mais Fludd
s’interrogeait quant à la nature de Dieu. Est-il présent dans le Monde ou bien
est-il en dehors ? Comme celui de Bruno, le Dieu de Fludd est un dieu qui
s’exprime dans la création mais demeure transcendant, caché aux hommes et
infiniment bon. Fludd dit que Dieu et sa création ne font qu’un, le monde étant
un reflet de la divinité, et donc Dieu et le monde sont deux aspects d’une même
réalité. Nous découvrons ainsi chez Fludd un parallélisme évident avec
l’Hermétisme rosicrucien, qui mêle obscurément la gnose et la mystique à la
pratique matérielle.
Dans le système de Fludd, au commencement, c’est à dire au
principe des choses, il y a une Unité pure, infinie, totale, inconnaissable, qui
est le Néant primordial. Cette Monade unique et simple, n’est rien, mais peut
devenir tout en potentialité. Ce Dieu, inconnu, s’est révélé à lui-même à
partir du Néant avant de créer le temps et le monde. Donc, pour s’exprimer, la
Monade ( ou Père), s’est retirée d’une partie d’elle-même. De ce retrait,
furent ainsi créées la Ténèbre ou Mère) qui comprend toutes les possibilités,
celles du mal et du bien. Nous sommes bien en présence d’un Dieu androgyne
contenant deux principes, l’un masculin, le Père, lumière non exprimée et la
Mère, principe féminin, la Ténèbre. La Création provient de la séparation de la
Lumière et de la Ténèbre, (du Père et de la Mère). La Lumière s’est ensuite
manifestée sous la forme du Fils. Et la création s’opère à partir de la matière
première qui est la Ténèbre. Lors de la Création, le Verbe avait créé les Anges
et parmi ces derniers Lucifer. Celui-ci voulu devenir l’égal de Dieu et dans
son orgueil défia la divinité avant d’être précipité des Cieux. On est ici
devant une synthèse des mythes bibliques et manichéens, au delà du dualisme
platonicien corps-esprit. Le Créateur donna alors naissance à Adam, doté
d’une double nature. Le corps adamique, androgyne, fut formé à partir de la
terre (d’où le nom d’Adam, rouge en hébreu) puis Dieu sépara Eve d’Adam et la
lui donna pour femme. Tentée par le Serpent, Eve tenta à son tour Adam et ils
goûtèrent aux fruits de l’Arbre de la Connaissance du bien et du mal. Pour
cette faute, ils furent chassés de l’Éden, mais Dieu conserva toutefois à Adam
une étincelle de Lumière divine afin qu’il puisse s'y « réintégrer ». La
Nature fut également corrompue par le péché originel. Il est dit que la
création charnelle humaine n’est qu’une imitation de la Création divine. Mais
la Rédemption, alchimique en essence, sera accomplie par le Christ, second
Adam, qui par son sacrifice montre la Voie menant à la Vie Eternelle.
Il existe donc deux
principes en Dieu, le principe positif et centrifuge, la Voluntas et un
principe négatif, centripète, la Noluntas. Ces deux principes peuvent être
rapprochés à la Lumière et à la Ténèbre alchimiques. L’univers est composé de
l’union de ces deux principes. On peut le réduire à trois mondes : le monde
archétype (la divinité), le macrocosme (le monde) et le microcosme (l’homme).
A l’image de l’univers, l'homme est aussi composé d'une âme, d'un esprit et
d'un corps. L’échelle des corps est une échelle des âmes qui sont faites
à des degrés variables d’intensité de la Lumière divine. Tout être, tout objet
a une âme, même la pierre qui parait inerte. La vision préchrétienne de Fludd
est presque gnostique. Dieu est partout et en toutes choses, l’univers
n’étant qu’un reflet de la divinité et Dieu seul a la puissance de vie ou de
mort. Comme l’homme, l’univers aussi a une âme. Fludd se pose bien en défenseur
du concept d’Anima Mundi, d’Âme du Monde, si cher aux alchimistes et aux
gnostiques, dont la vision est à rapprocher des doctrines panthéistes. L’homme
est une image, en modèle réduit, du Grand Monde, donc de Dieu, et les dix
Sephiroth ont leur correspondance au sein de l’homme, la Kabbale se posant ici
en inspiratrice de Fludd. Selon lui, la connaissance hermétique s’obtient par
l’illumination divine transcendant la raison. Cette science qui est avant tout
théosophie, (science de Dieu), puise en Lui à la source même de toute Sagesse
et Vérité. Le Christ en est l’incarnation. L'homme originel avait de Dieu et de
l’Univers, une connaissance intuitive parfaite qui préserva en Adam une
étincelle de lumière et qui lui donnait la connaissance du secret des choses
terrestres et divines. Cette sapience (ou sagesse) sera transmise de génération
en génération par une suite ininterrompue d’Illuminés, dévoués aux Mystères,
aboutissant ainsi jusqu’à nous. C'est cette Connaissance (ou Sagesse) qui
permet à l’homme de désir de retourner à la Source Première, ce qui est un
concept permanent des Rose-Croix.
Citations tirées des deux traités
traduits en français
"En
ce monde inférieur, Dieu ordonne, et les Astres exécutent. S'il en était ainsi,
qui oserait nier que la "Mens" des animaux, et à plus forte
raison celle des hommes n'est pas soumise à l'ordonnance divine. ce n'est
toutefois pas en ce sens que je comprends que la "Mens" humaine est
en quelque façon soumise à l'opération des Astres, attendu que sa nature est
bien plus divine que celle des Astres. Il est possible, cependant, que le
"Spiritus", ce véhicule sur lequel cette Mens est transportée ../..
participe aux changements célestes ../.. et que par conséquent, il l'entraîne
comme un char entraîne ses voyageurs".
Robert Fludd - (Traité d'Astrologie)
"L'Âme
d'un corps en est la lumière principale, et elle y domine préférablement à
toutes les autres puissances. Elle se conduit comme le Soleil au milieu de
notre système. Elle est donc, précisément, la Soleil du Microcosme qui dirige,
au moyen de ses rayons vivifiants, le corps tout entier".
Robert Fludd - (Traité de Géomancie)
"Le
corps humain se comporte vis à vis de l'âme comme un esclave envers on maître.
car le maître peut envoyer son esclave ici où là sans que celui-ci perçoive en
aucune façon l'intention de son maître".
Robert Fludd - (Traité de Géomancie)
"De
même que les rapports des astres entre eux, les rapports des âmes ont des
conséquences ici bas, car les âmes sont des invisibles foyers de lumière et
émettent des rayons qui établissent des communications entre elles".
Robert Fludd - (Traité de Géomancie)
Robert Fludd a exposé tout son système dans un ouvrage en
latin,"Utriusque Cosmi Tractatus" resté inachevé et qui devait être
divisé en deux parties, le Traité du Microcosme et le Traité du Macrocosme. On
trouve dans celui-ci un Traité de Métaphysique, un Traité d'Ontologie générale,
un Traité de Géomancie (ou astrologie terrestre), et un Traité
d'Astrologie générale. Seuls les deux derniers, très techniques , ont été
traduits en françaais (BNF). L'auteur est un métaphysicien kabbaliste,
matérialiste et panthéiste qui exclut toute intervention volontaire de Dieu
dans la Nature, laquelle aurait évolué en donnant naissance à un "Agent
Universel" subdivisé en quatre éléments structurés comme une immense
pyramide à base carrée, et tout l'univers comme toute de ses parties, tout
corps et tout système jusqu'à l'atome est constitué de même. car selon le
principe d'Hermés Trismégiste énoncé dans la Table d'Emeraude, "Tout ce
qui est en bas es comme ce qui est en haut, et tout ce qui est en haut est
comme ce qui est en bas pour faire le miracle de toute chose". Selon
ce traité, l'astrologie considère les corps célestes ou Astres comme des
corps vivants, et leurs groupes, ou systèmes de planètes tournant autour d'un
centre, comme des êtres. C'est d'ailleurs l'hypothèse d'Herschell, "Au
lieu d'être isolées dans l'espace infini, toutes les étoiles dépendent les unes
des autres, font partie d'un vaste ensemble soumis à une loi déterminée
et dans lequel chacune agit sur les autres en même temps qu'elle subit leurs
actions, ensemble, qui par conséquent, change et évolue, constituant en réalité
quelque chose de vivant". L'auteur déclare : "Nous ne pouvons
plus nous arrêter à chercher une définition de la vie en prenant pour base
l'organisation, nous devons admettre que cette vie s'étend à la moindre
molécule qui existe, nous devons donc arriver à l'hylozoïsme. Et nous trouvons
la preuve de cette nouvelle conception dans le quatrième état de la matière,
l'état radiant".
Robert Fludd imaginait un esprit primordial et universel dont
découleraient tous les autres. L'âme en ferait partie. Dans le macrocosme, cet
esprit serait doué d'un double "mouvement", ou pulsion,
constituant sa vertu magnétique (attractive). Dans tous les corps, cet
esprit modifié se retrouverait doué d'un "mouvement" analogue.
Quand il part du centre, il y a attraction, et quand il revient vers le centre,
il y a répulsion. Chaque corps terrestre aurait un astre particulier (un
serviteur de Dieu) lui correspondant et chaque homme aurait donc aussi son
astre personnel. Fludd, comme Paracelse, considérait chaque homme pris
isolément comme un petit monde (microcosme), à l'image du "macrososme",
le grand monde, (C'est d'ailleurs un concept que conservent encore aujourd'hui
les Rose-Croix). Cette entité possède une vertu attractive particulière, qu'il
nomme" magnetica virtus microcosmica". Le microsome est soumis
aux mêmes lois que celles du macrocosme, rayonnant à partir ou vers son centre.
Dans les impressions positives, le coeur se dilate poussant cette vertu vers le
dehors, et dans les impressions négatives, il se contracte en les dirigeant
vers l'intérieur. Comme la Terre, le corps humain aurait des pôles et des
courants variés. Il possèderait plusieurs axes polaires dont le plus important
sépare la droite de la gauche. Le côté droit serait positif et le gauche
négatif. Ils contrôlent leurs effluves par deux courants qui se croisent en se
modérant. Fludd, quoique médecin, n'hésitait pas à impliquer les organes
physiologiques dans ses théories. Le foie, (la vésicule biliaire), serait le
point central des rayons du pôle austral, attirant les esprits et produisant
gaieté, chaleur et vie. La rate, à l'opposé, serait le centre des rayons du
pôle boréal, attirant les sucs grossiers de la terre et produisant les vapeurs
noires qui resserrent le cœur, causent les ennuis, la tristesse, la mélancolie
et parfois la mort. Fludd distinguait également un magnétisme positif et un
magnétisme négatif susceptibles de régir les relations entre les personnes et
leur mutuelle sympathie ou antipathie, la conséquence en étant l'hypothèse que
les maladies puissent être guéries ou transmises par l'action d'un individu sur
un autre.
Vitalisme et animisme
Á l'opposé de la pensée scientifique mécaniste moderne, un renouveau issu
de la philosophie antique est apparu aux 17ème et 18ème siècles, le "vitalisme",
dont demeurent encore quelques partisans. Plus ou moins issu des travaux
d'Hippocrate ou d'Aristote, le vitalisme est recentré sur l'Homme total
et affirme le caractère irréductible de la vie et du vivant. Il postule qu'un
principe fondamental et unique fonde tous les phénomènes du vivant. C'est un
mouvement de pensée fort modéré qui se garde de positions doctrinales mais
prône la prise en compte de ce que l'on appelle généralement alors «Principe
vital», ou «Force vitale» ou même «Entéléchie». Ce
principe est plus une affirmation de résistance ou de d'opposition aux
explications mécanistes qu'une véritable réponse au problème. Au XVIIIe siècle,
l'école de Montpellier a vivement illustré cette doctrine, en particulier sous
l'influence de Paul-Joseph Barthez en 1775 (Nouveaux éléments de la science
de l'homme). Elle proposait "un principe vital" distinct de la
matière et qui l'anime. Ce "principe vital" existerait en chaque
individu en se distinguant tout à la fois de l'âme pensante et des propriétés
physico-chimiques du corps. C'est lui qui gouvernerait les phénomènes de la
vie. Le vitalisme a été vivement combattu par Diderot, un ardent matérialiste
qui, comme Buffon, voyait dans la vie une propriété physique de la matière.
Diderot a dénoncé les thèses vitalistes où il voyait percer une sorte
d'animisme apparenté à l'hylozoïsme des stoïciens antiques. En ce sens le
vitalisme comprend l'animisme comme une de ses espèces, ou comme un complément.
Rappelons que l'animisme soutient qu'une seule et même âme est en même temps
principe de la pensée et de la vie organique. Les vitalistes refusent
généralement les théories métaphysiques qui prétendent expliquer ce qu'est la
vie et d'ou elle provient, une réserve prudente qui distingue des animistes.
Quelques citations vitalistes
remarquables
J'appelle principe vital de l'homme
la cause qui produit tous les phénomènes de la vie dans le corps humain. Le nom
de cette cause est assez indifférent et peut être pris à volonté. Si je préfère
celui de principe vital, c'est qu'il présente une idée moins limitée que le nom
d'impetum faciens, que lui donnait Hippocrate, ou autres noms par lesquels on a
désigné la cause des fonctions de la vie.
Paul-Joseph Barthez (Nouveaux éléments de la science de
l'homme 1778)
La vie, au moins morphogénétique,
n'est pas un arrangement spécialisé d'événements inorganiques ; la biologie
n'est donc pas une physique ou une chimie appliquées : la vie est quelque chose
à part, et la biologie est une science indépendante. ... il y a quelque chose à
l'œuvre dans la vie qui porte en soi sa propre fin.
Hans Driesch (1867-1941)
La vie est avant tout une
tendance à agir sur la matière brute. Elle est une poussée à l'intérieur de la
matière, une tentative d'infuser le déterminisme physique avec la liberté de la
conscience.
Henri Bergson 1859 – 1961
Il se pourrait bien que l'être vivant, loin
d'échapper aux lois physiques, mette en jeu d'autres lois de la physique,
encore inconnues, mais qui, une fois révélées, feront tout autant partie
intégrante de cette science
Erwin Schrödinger (1887 - 1961)
À l'intérieur de la
cellule, divers facteurs échappant aux dogmes de la biologie moléculaire font
qu'une même séquence d'ADN constituant un gène peut être à l'origine de
plusieurs protéines différentes. Il faut également renoncer à la vision
mécaniste simpliste selon laquelle l'ADN serait à l'origine de la vie. Dans
l'état actuel des connaissances, il faut plutôt soutenir que c'est la cellule
qui, pour assurer sa reproduction, a créé l'ADN. (Barry Commoner).
Il existe alors plusieurs thèses métaphysiques fondées sur la présence
d'une force directrice et créatrice au sein de la matière. Si l'on admet
que ce principe vital, a une existence distincte de l'âme pensante, on est dans
le vitalisme qui postule la présence de deux âmes bien distinctes et donc
de deux principes spirituels dans l'humain. Mais si l'on accepte l'idée que
cette force se confond avec avec l'âme pensante, c'est à dire avec le
principe spirituel du sentiment et de la pensée, on devient animiste. Au début
du 20ème siècle, Bergson postula que la la vie possédait un élan propre et
autonome, et il développa le concept d'élan vital, ce qui était une
position philosophique vitaliste même s'il intégrait à sa réflexion les
découvertes scientifiques de son temps. La vie aurait en elle une force et un
élan, un moteur et une direction conduisant les espèces vers la réalisation de
leurs parangons. Plus tard, Claude Bernard montra qu'il y a dans tout
vivant une idée directrice et créatrice qui ne peut s'expliquer par le simple
"mécanisme". Pouvait on dépasser ce point et admettre que
cette force directrice et créatrice n'était pas distincte des organes corporels
et qu'elle se confondait avec cette matière même qui les formait ? Ce fut la
position de l'organicisme qui prétendit que la matière n'est pas passive et
inerte et qu'elle est aussi une force même si l'on peut distinguer la matière
brute, (mue selon les lois de la mécanique), et la matière vivante, (mue selon
les lois de la vie). Mais les vitalistes ne pouvaient concevoir que l'âme
pensante, dont les attributs essentiels sont la pensée et la conscience, puisse
construire et organiser son propre corps sans en avoir conscience. L'animisme
prétendait qu'il y a, dans la vie intellectuelle des mouvements souvent
inaperçus et que l'âme pensante peut donc agir tantôt consciemment, tantôt
inconsciemment, l'attribut essentiel de l'âme n'étant pas la pensée, mais
l'effort.
L'animisme, du latin animus, originairement esprit, puis âme)
est la croyance en une âme, une force vitale, animant non seulement les êtres
humains, mais également les animaux et les éléments naturels (pierres, arbres,
vent...). La pensée animiste s'exprime généralement dans des doctrines
religieuses (comme le Shintô japonais ou le Vaudou), enseignant que ces
âmes de la matière ou ces esprits supérieurs, comme également ceux des défunts
ou de divinités animales, peuvent agir sur le monde et se manifester activement
ici-bas, de manière bénéfique ou maléfique, et qu'il convient donc de leur
vouer un culte. Mais, beaucoup d'entre nous s'adressent à leurs proches décédés
ou même aux étoiles de leur ciel astrologique pour obtenir aide ou protection,
ce qui est évidemment une démarche assez proche de l'animisme. La plupart des
biologistes modernes critiquent ou refusent les propositions vitalistes ou
animistes en s'appuyant sur les découvertes de la science moderne et les
avancées de la génétique et de la biologie moléculaire. Jacques Monod, en
particulier, les a critiquées dans son livre "Le hasard et la nécessité
(1970)" en qualifiant le vitalisme de Bergson de (vitalisme
métaphysique) aux consonances poétiques. De son coté, Ernst Mayr dans son
"Histoire de la Biologie (1984)", déclare que depuis plus de
cinquante ans, le vitalisme est tombé en désuétude chez les biologistes. La
condamnation du vitalisme par la science semble donc fort sévère, et pourtant,
à en croire Georges Canguilhem, le vitalisme serait, en tant que position de
principe, quasi irréfutable, si bien que quelques philosophes contemporains
soutiennent encore cette doctrine. Rappelons aussi que le pape Pie X a condamné
le vitalisme en 1907 dans l'encyclique Pascendi Dominici Gregis et que le
cardinal Poupard a confirmé le 3 février 2000 à l’occasion du 400ième
anniversaire de la mort de Giodano Buno que sa condamnation pour hérésie restait
pleinement motivée. L'intolérance demeure donc l'un des fondements des
positions du du Saint-Siège.
CHAPITRE 5
L’origine des Rose+Croix
La Rose-Croix des 16ème
et 17ème siècles.
Les
symboles de la rose et de la croix - L'association des symboles est très ancienne. Déjà en 1265,
Jean de Meung reprend le Roman de la Rose commencé par Guillaume de Lorris. Le
livre devient une encyclopédie traitant des origines du monde, de la nature, de
l'art, de l'astronomie, de la religion
et de la morale. Il préconise aussi le retour à la simple vie chrétienne. Au
delà des symboles, la source peut être à rechercher auprès du Graal, le secret
le plus mystérieux du Moyen-Âge. Il s'est imposé à la conscience intérieure
d'une époque éprise de spiritualité et d'élévation car il évoquait pureté et
révélation, sacrifice et guérison parfaite. Les plus anciennes versions de la
légende datent 1150 à 1220. Dans la Divine Comédie de Dante, vers 1320, le
huitième ciel du paradis est décrit comme le ciel étoilé des Rose-Croix.
Certains auteurs placent l'origine des Rose-Croix chez les Amis de Dieu de
l'Île Verte à Strasbourg. Au 14ème siècle, Rulman Merswin, issu
d’une famille de banquiers strasbourgeois, y acquiert un ancien couvent
bénédictin. L’Île Verte de Strasbourg devient un centre spirituel où se développe
la spiritualité des "Gottesfreunde", Amis de Dieu ou Chevaliers
johannites, (La présence ecclésiale dans
le couvent de l’Ile Verte est confiée à l’Ordre des Chevaliers hospitaliers de
Saint Jean de Jérusalem). C'est une maison de refuge où peuvent se retirer
tous les hommes honnêtes et pieux, laïcs ou ecclésiastiques, chevaliers,
écuyers et bourgeois, qui désirent fuir le monde et se consacrer à Dieu sans
entrer dans un ordre monastique. Puis, Rulman Merswin et les Amis de Dieu se
trouvent en relation avec un personnage mystérieux qui va les guider dans la
voie spirituelle par une série d'écrits, parmi lesquels on peut citer Le Livre
du maître de la Sainte Ecriture, Le Livre des Cinq hommes qui décrit la société
idyllique du "Haut Pays". Ce Maître intérieur guide les initiés, non
plus en ce monde-ci, mais dans les contrées de l'au-delà du monde. Il se
pourrait aussi que la fondation de l’Ordre des Rose-Croix implique Paracelse,
médecin et alchimiste, né en Suisse vers 1493. Dés 1536, il utilise les
symboles de la rose et de la double croix lorraine, et il prédit la venue
d’Elias-Artista, l’Esprit radiant, ambassadeur du Paraclet et personnification
future de l’Ordre. L'origine effective de la Fraternité prestigieuse des
Rose-Croix reste cependant assez mystérieuse.
Les
traditions ésotériques -
En Occident, au 16ème siècle, époque de la manifestation publique
des Rose-Croix, les sources de l’ésotérisme rassemblent diverses traditions,
gnostiques, hermétistes et néoplatoniciennes, alchimistes, kabbalistes,
mazdéistes, cathares ou même manichéennes, autochtones comme celle du Graal,
issues de l'Essénisme comme celles des premiers docteurs de l’Eglise, ainsi
qu'un courant transmis par les Druzes. Les Rose-Croix semblent alors avoir
enfin réussi à réaliser une large synthèse de ces multiples traditions
inspirées. Puisant à leurs immenses richesses spirituelles, la philosophie de
la Fraternité s'en est grandement enrichie et elle s'est élevée au dessus des
dogmes contraignants des diverses religions extérieures. Il demeure cependant
important de situer la première et principale manifestation publique du
mouvement dans son arrière plan historique qui est alors clairement l'époque de
la Réforme, et dans le contexte de la Guerre de Trente Ans et des Guerres de
Religion. Au 16ème siècle, les armes de Luther portent une rose
percée d'une croix. Valentin Andreae s'en inspire pour créer ses propres armes,
une croix encadrée de quatre roses. Pour nous, ce siècle-là est celui de la Renaissance
et des débuts de la Science moderne. C'est pourtant la crise religieuse, la Réforme
et toutes ces terribles guerres qui marquent profondément les cœurs et les
esprits de l'époque.
La permanence du mouvement de protestation - La
"Réforme" est le mouvement religieux d’où est né le protestantisme.
Il était annoncé par les Vaudois, cruellement persécutés, par les idées de Wyclif,
ou par le sort de Jean Hus, condamné et brûlé par traîtrise. Il faut comprendre
que, dès le début du Christianisme, la transformation progressive et
autoritaire des dogmes a continuellement suscité des protestations des divers
mouvements réformateurs. On en trouve la trace dans le premier concile, celui
de Nicée, dont le "canon" montre déjà de la méfiance à l'égard des
"Cathares, les purs", qui
appellent les fidèles au respect des enseignements évangéliques. Tout au long
de son histoire, oubliant ses propres martyrs, l'Eglise combat cruellement tous
ceux qui contestent l'évolution contraignante et continue de sa conception du
Christianisme, et elle les accuse d'hérésie, tels les Gnostiques, les Ariens,
les Manichéens, les anéantissant par le martyre et par le feu comme, au 13ème
siècle, les nouveaux Cathares. Au 16ème siècle, cette impulsion protestataire amène une partie
de la chrétienté à se détacher de l’Église romaine, en rejetant ses dogmes et
l’autorité du pape. Les réformateurs et Luther espéraient que l’Eglise
rétablirait le christianisme des origines, en le débarrassant des multiples
adjonctions qui l’avaient altéré. Mais Luther est excommunié en 1520. La
rupture consommée, le luthéranisme séparé se répand en Allemagne, malgré
l’opposition de Charles Quint. Il prévaut au Brandebourg, en Hesse, en Saxe, au
Wurtemberg et dans la plupart des villes libres. Les luthériens présentent leur
Confession de foi à la diète et l'on
admet alors que chaque prince peut imposer sa religion à ses sujets, à la Paix
d’Augsbourg, en 1555.
Le Calvinisme - Le Lutherianisme s'était répandu dans les pays
baltes et scandinaves. Avec Zwingli, un mouvement analogue mais indépendant
naît en Suisse. Calvin en fixe les principes et le calvinisme se répand en
France malgré l’opposition royale. En 1559, deux mille églises adoptent la Confession de foi de la Rochelle,
rédigée par Calvin. La fin du 16ème siècle est marquée par les
terribles "Guerres de Religion", et la Saint-Barthélemy. En 1599,
l’édit de Nantes d'Henri IV accorde provisoirement aux protestants le droit de
célébrer leur culte. La Réforme calviniste se répand alors en Hongrie, au Palatinat,
aux Pays-Bas et en Écosse. En 1534, un autre protestantisme apparaît en
Grande-Bretagne. Henri VIII détache l’Eglise d’Angleterre de Rome et l’Acte de Suprématie la soumet à
l'autorité royale. Depuis l’Angleterre, une Réforme "puritaine" se répand ensuite jusque dans le Nouveau Monde.
Les
Manifestes de la Rose-Croix - En 1614, la
paix religieuse étant provisoirement rétablie, deux manifestes sont publiés. Ce
sont la Gloire de la Fraternité, (la
fameuse Fama Fraternitatis, et de la
Confession des Frères Rose-Croix). Ils exposent la doctrine de la
Fraternité des Rose-Croix qui préconise une réforme générale de l’Humanité. On
suppose d'abord qu'ils sont l'œuvre du pasteur protestant de Strasbourg,
Valentin Andreae, qui publie ensuite de
nombreuses autres œuvres dont les plus importantes sont les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz et Christianopolis. Plus tard, les manifestes
seront considérés comme une œuvre collective. Sédir nous dit que
"Jean-Valentin Andrea (1586-1654), fut un des hommes les plus savants de
son temps. Son grand-père Jacob était ami proche de Luther. Il avait été un
illustre théologien, l'un des auteurs de la Formule
de Concorde. On le surnomma d'ailleurs le
second Luther." Andrea étudia au séminaire de Tubingen. Il acquit une
rare culture dans les langues anciennes et modernes, les mathématiques, les
sciences naturelles, l'histoire, la géographie, la généalogie et la théologie,
et laissa une œuvre considérable. Il subit l'influence de Jean Arndt
(1555-1621), grand prédicateur mystique, et de ses amis, Christophe Besold et
Wilhelm Wense, dont la vie voulait être une imitation de Jésus-Christ. Ils
prêchaient, contre le dogmatisme et le ritualisme de l'Église, la nécessité
d'une vie toute d'esprit et d'amour, la droiture, la lutte contre les tendances
mauvaises, l'intégrité de l'esprit, l'austérité des mœurs, la charité, la
justice, affirmant que seule une vie sainte permet l'entrée dans le cœur humain
du Saint-Esprit qui unit l'homme à Dieu et lui confère ses dons. Ils
reprenaient dans leur prédication l'enseignement de saint Paul sur le vieil
homme qui doit être crucifié avec le Christ pour ressusciter avec le
Christ".
Les Ouvrages R+C originaux - Sur ces principes, Jean-Valentin Andrea établit un
remarquable programme de renouvellement et de conversion pour son Eglise. Quand
parurent les manifestes de la Rose-Croix, il publia "Les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz". On ne sait pas
vraiment qui a composé la Fama et la Confessio. Ces écrits ne sont pas
l'oeuvre d'un seul auteur et ils expriment les idées et les espérances d'une
collectivité. La Reformation, la Fama, la Confessio, ainsi que les Noces
Chymiques de Christian Rosencreutz sont les seules manifestations écrites
originales des Rose-Croix. Ce sont les premiers ouvrages où l'on trouve le nom
de la Fraternité et ils furent souvent réimprimés et traduits. Le frontispice
de la Fama Fraternitatis proclame «Allgemeine und general Reformation, der
ganzen weiten Welt» (Réformation universelle et générale du vaste monde
entier). Les trois livres s'inscrivent évidemment dans un prolongement de
l'œuvre de Martin Luther qui n'avait jamais caché son accord avec les thèses
pré-rosicruciennes (l'explication qu'il donne de son sceau le prouve). Il
s'agit donc d'une mission évangélisatrice répétant celle du Christ. Elle fait
suite à la tentative de Luther et de ses prédécesseurs catholiques pour
réformer le christianisme par l'intérieur. La Confessio s'affirme résolument
protestante et les Noces chymiques condamnent symboliquement Rome avant
l'affirmation de la nouvelle ère et l'instauration d'un nouveau royaume.
La
Guerre de Trente Ans -
Deux ans après l'appel de la R+C, un conflit de pouvoir amène les protestants
de Bohème à projeter deux gouverneurs catholiques à travers la fenêtre de la
Salle du Conseil de Prague. Une terrible guerre commence. La "guerre de
Trente Ans" ravage l'Allemagne et la Bohême. Les populations protestantes
sont impitoyablement massacrées par les troupes impériales. Un tiers des
habitants disparaît. Les états luthériens échappent à l'anéantissement grâce à
l'intervention tardive de la France catholique de Richelieu, secourant
politiquement les protestants pour freiner l'extension autrichienne. Les bourgs
sont en cendres, les campagnes sont ravagées, la soldatesque rançonne les
villes, et les épidémies déciment les derniers survivants affamés.
La
relance de la Rose-Croix
- Après la paix de 1648, l'appel R+C de 1615 est repris par les populations
meurtries et désemparées. Il est relayé et démultiplié dans l'espoir de
dépasser les haines aveugles et les grands malheurs nés de la guerre, en
réunifiant la Chrétienté comme l’avaient voulu les premiers réformateurs. Les
livres Rose-Croix sont interdits par les Catholiques, et leur détention est
parfois punie de mort. Néanmoins, la publication hollandaise des trois
manifestes alimente une énorme floraison mystique surtout en Allemagne où neuf
cents opuscules les reprennent jusqu'au 18ème
siècle. Avec les Pays-Bas, c'est toujours le pays dans lequel l'activité
rosicrucienne est la plus marquée. Jean-Valentin Andreae, indigné par les abus
que les enthousiastes faisaient des principes de la Rose-Croix, décida de se retirer du
mouvement, mais il déclara dans "Turris Babel" «Je quitte maintenant
la Fraternité, mais je ne quitterai jamais la véritable fraternité chrétienne
qui sous la croix perçoit les roses et évite les souillures du monde ». Il
publia Invitation à la Fraternité du
Christ en 1617, puis Description de
la République de Christianopolis, en 1619, un programme d'une Union
chrétienne où il reprenait les thèses de la Fama et de la Confessio.
Les
Noces Chymiques de Christian Rosencreutz - Cet ouvrage paru sans nom d'auteur, en 1616. Jean-Valentin
Andreae, dans son Autobiographie, déclare qu'il composa ce livre vers 1601,
alors qu'il avait quinze ans. Voici ce que Sédir dit du livre:
"Dans sa
lettre, ce traité est un exposé de l'œuvre métallique (alchimique), assez
détaillé ; dans son esprit, il décrit la montée de l'âme, de degrés en degrés,
vers l'illumination. Ce livre est attribué à Christian Rosencreutz qui l'aurait
écrit en 1459. Il raconte, en sept journées, le mariage du roi, puis sa
décollation et enfin sa résurrection.
C'est sur une invitation que le roi lui adresse d'assister à ses noces
que Rosencreutz se met en route, dans le sentiment profond de son indignité. En
souvenir du Christ, il noue en croix un ruban rouge sur sa robe de bure ; il
pique quatre roses à son chapeau et prend comme viatique du pain, du sel et de
l'eau.
A l'entrée de la
forêt il distingue trois voies : une courte, mais dangereuse ; la seconde qui
est la voie royale réservée aux élus et la troisième, agréable mais très
longue. Il est prévenu qu'une fois choisi le chemin, il ne pourra plus revenir
en arrière. Il demande à Dieu, qui lui fait prendre le second chemin. Celui-ci
le mène au château royal construit sur une montagne. Un personnage lui demande
son nom, et il répond : Frère de la Rose-Croix rouge. Les nombreux candidats
aux noces du roi sont pesés. Rosencreutz est le plus pur. Il est reçu avec tous
les honneurs, et on lui remet la Toison d'Or ornée d'un Lion volant. Quant aux intrus, une coupe leur est donnée,
remplie du breuvage d'oubli avant qu'ils soient chassés, avec l'ordre de ne
plus revenir au château du roi pendant leur vie.
Suivent d'autres épreuves symboliques ; et la
représentation d'une comédie en sept actes. Devant la reine est un gros livre
renfermant toute la science réunie dans le château. Les élus sont au nombre de
neuf et ils tiennent chacun une bannière portant une croix rouge. Enfin le
devoir est notifié aux élus de penser à Dieu et de travailler pour sa gloire et
pour le bien des hommes. Ensuite le couple royal est décapité, ainsi que quatre
rois et reines présents. Les six personnes sont ensevelies et leur sang est
recueilli dans un vase d'or. Le Maure qui a procédé à l'exécution est décapité
à son tour et sa tête rapportée dans un linge. Il est dit aux élus que : « la
vie de tous ces êtres est entre leurs mains et qu'ils doivent garder une
fidélité plus forte que la mort ». La nuit, les six cercueils sont emportés par
des navires. Les élus assistent aux funérailles symboliques des souverains et
sont invités à chercher le médicament qui rendra la vie aux rois et aux reines
décapités. De longues opérations alchimiques sont décrites.
Le roi et la reine ressuscitent. Ils travailleront avec les
élus au triomphe de Dieu. Le roi nomme ceux-ci « chevaliers de la Pierre d'Or
», avec le pouvoir d'agir sur l'ignorance, la pauvreté et la maladie. Quant à
Rosencreutz, il aura encore d'autres épreuves à surmonter avant d'arriver au
terme. Il lui a été dit : Tu as reçu plus que les autres ; efforce-toi donc de
donner davantage également. La signature de chacun est demandée, et notre héros
écrit : La plus haute science est de ne rien savoir. Frère Christian Rosencreutz
- Chevalier de la Pierre d'Or. "Fin de citation"
Dans le récit des Noces Chymique, le fondateur légendaire de la Rose-Croix,
Christian, invité aux noces de Sponsus et de Sponsa, (l’époux et l’épouse), rêve également qu’il est enfermé au fond
d’un puits ou d’une tour dont il sort à l’aide d’une corde lancée de
l’extérieur. Il se met ensuite en route et traverse la forêt. C'est en
cherchant à aider une colombe combattue par un corbeau, qu'il trouve son chemin
et il est alors guidé vers le château royal.
Le
sens des Noces Alchymiques
- Les descriptions contenues dans le récit ont pu être interprétées comme des
indications précieuses pour la réalisation du Grand œuvre alchimique. Nous
savons cependant que les alchimistes étaient fondamentalement des
métaphysiciens ésotéristes. La poursuite du Grand œuvre était seulement pour
eux le symbole du chemin nécessaire à la réalisation de l’indispensable
transfiguration de l’âme, prélude à la résurrection de l’Homme véritable, la
figure divine originelle. Là est le sens caché et véritable des Noces
Alchymiques de Christian Rose-Croix, ouvrage qui répète sous une forme
différente le message médiéval de la Quête du Graal par Perceval le Gallois.
Les véritables écoles spiritualistes rosicruciennes poursuivent aujourd’hui
encore dans le Monde l’œuvre initiatique qui conduit à cette connaissance. Leur
enseignement témoigne toujours d’une inspiration rosicrucienne authentique et
vivante. Elles adaptent leur message ésotérique permanent aux temps et aux
lieux où il est prononcé. Dans notre civilisation, elle vont s’appuyer sur les
traditions chrétiennes tout en expliquant le sens caché des mythes et des
écritures.
Les
Rose-Croix en France - A
Paris, en 1622, une affiche est placardée qui proclame: "Nous, Deputez du
Collège principal des Frères de la Roze-Croix, faisons séjour visible et
invisible en ceste ville, par la grâce du Très Haut vers qui se tourne le coeur
des justes. Nous monstrons et enseignons sans liures ny marques à parler toutes
sortes de langues des païs où voulons estre, pour tirer les hommes nos
semblables d'erreur et de mort.» Une autre affiche suit: « S'il prend envie à
quelqu'un de nous voir par curiosité seulement, il ne communiquera jamais avec
nous mais, si la volonté le porte réellement et de fait à s'inscrire sur le
registre de nostre confraternité, nous, qui jugeons les pensées, luy ferons
voir la verité de nos promesses, tellement que nous ne mettons point le lieu de
nostre demeure, puisque les pensées, iointes à la volonté reelle du lecteur,
seront capables de nous faire cognoistre à luy et luy à nous. ». Les affiches
eurent un retentissement considérable mais leurs auteurs sont inconnus. En
1624, le Père François Garasse demande pour les Rose-Croix "la roue et le
gibet".
CHAPITRE 6
L’Homme Triple
CHAPITRE 22 - L'Homme Triple
Les Trois
Centres de Conscience.
Lorsque nous
imaginons notre stature corporelle, nous nous représentons mentalement la perception
intuitive que nous avons de notre corps. Nous en construisons un schéma
théorique en positionnant l'intellect dans la tête, au plus près de
l'observateur conscient que nous suscitons, puis nous hiérarchisons en plaçant
l'affectivité dans le thorax, et les manifestations instinctives dans le bassin.
Nous disposons ainsi d'une image compréhensible et exprimable. Elle est
seulement pratique car, dans la physiologie effective, il semble que les divers
centres de "conscience" soient tous situés dans le système
cérébro-spinal. C'est le mental qui a appris à les projeter ailleurs. Chez
l'embryon, tout le corps semble se construire par des bourgeonnements issus de
la tête, elle même développée à partir de la cellule germinale.
Cette cellule
provient de la démultiplication ininterrompue de la protocellule originelle.
Née avec la vie, sautant de corps en corps, elle a donc vécu des milliards
d'années, et potentiellement immortelle, elle inventa un jour le sexe et le
plaisir, la douleur et la mort. Pendant ce temps immense, le corps s'est
perfectionné, établissant d'abord en lui même un premier niveau de connaissance
et d'action, une image du Soi dans le Soi, un reflet intérieur de l'état
physique associé à la mise au point d'un système homéostatique assurant la
régulation des fonctions biologiques essentielles. Au stade suivant, c'est le
reflet du milieu extérieur, l'image du Monde dans le Soi, qui entre dans le
champ de la connaissance sensorielle. Au stade actuel, c'est le reflet de
l'être propre en interaction avec l'environnement, c'est l'image du Soi dans le
Monde, qui accède à la conscience.
Ainsi,
l'infinitésimale et fragile cellule originelle a franchi des milliers de
millions d'années et
traversé des
millions de millions de dangers pour aboutir à la construction de notre actuel
corps vivant. Elle a lentement mis au point des systèmes ultra sophistiqués
pour assumer la fabrication de cet organisme extraordinairement complexe ainsi
que les moyens d'en assurer la survie et la progression. Et quand, à travers la
conscience raisonnable, la vie ouvre enfin les yeux sur un fragment de réalité,
c'est pour découvrir l'absurde inexorabilité de la mort. L'intelligence humaine
se heurte à cette situation incompréhensible tout comme elle se heurte au
problème rémanent du bien et du mal. L'homme conscient va donc en chercher des
explications au travers de la métaphysique ou de la religion. Cette recherche
de la compréhension des causes premières, des fins dernières, ou du bien et du
mal, démarque l'être humain du reste du monde vivant. Sur le plan intellectuel,
elle aboutit en particulier à un clivage entre deux théories inconciliables, le
"Théisme" et le "Panthéisme", toutes deux basées sur des
postulats indémontrables par la raison.
La Triplicité
du Microcosme.
Dans
l'Antiquité, on supposait que les dieux et les hommes suivaient les lois du
Monde selon leur nature propre, mortelle pour les Hommes, immortelle pour les
Dieux. À partir de Moïse, et d'abord chez les Hébreux, une conception
différente s'établit. Le Monde avait été créé à partir du Néant par un être primordial
tout puissant, extérieur à la nature. Cette affirmation constitue la base du
"Théisme" qui établit la cause première, Dieu, en dehors du Monde
dont il est le Souverain Créateur, (Bible). L'autre postulat, hérité des
Anciens, place les causes premières à l'intérieur du Monde, donc Dieu dans
l'Homme et l'Homme dans Dieu, dans une unification universelle.
Je
n'établirai pas de comparaison critique entre ces deux systèmes de pensée,
sachant qu'aucun des deux ne résout tous les problèmes. Je me propose
simplement de présenter ici un fragment de la pensée panthéiste, l'idée de la
triplicité humaine, vers laquelle on trouve d'ailleurs des convergences
évidentes dans le Théisme quoique les conclusions en soient généralement
différentes. J'établirai un seul raisonnement fondamental (qui n'est d'ailleurs
pas de moi). "Je suis une conscience, et par là même, je prouve qu'il y a
de la conscience dans l'univers". Peut-on aller plus loin sans mettre en
œuvre un imaginaire personnel ?
Les religions
théistes posent actuellement leur conception des origines du Monde sur l'idée
d'une trinité divine composée d'un Père créateur, extérieur au Monde, d'un
Verbe, acteur de l’existence, et d'un Esprit, source de Vie. L'enseignement
ésotérique puise aux mêmes sources antiques mais ne rejette pas Dieu à
l'extérieur du Monde, l'introduisant donc au cœur de l'Homme. A partir de sa
conception triple de l'Homme, manifestation incarnée de l'idée divine, l'ésotérisme
présente donc aussi un triple concept de l'Inconnaissable Esprit Divin.
La
triplicité de ce concept partagé s'établit probablement à partir de la triple
structure du système cérébro-spinal avec ses trois cerveaux successifs empilés
et interconnectés pilotant les diverses fonctions du corps. L'auto-analyse,
intelligente ou intuitive, amène ainsi l'Homme à concevoir qu'il est construit
sur une structure ternaire. Les ésotéristes panthéistes élargissent ce concept
de triplicité humaine et en font une image reflétant dans la réalité terrestre
la conception intellectuelle triple qu'ils ont du divin. L'Homme est à l'image
de Dieu, "Microcosmos" et "Microthéos" au sein du divin
"Macrocosmos". Voir par exemple à ce sujet, les Hermétistes.
Tout
cela est difficile à commenter et surtout à illustrer. C'est pourquoi je
propose de mener ce travail en cheminant le long de la voie des fleurs
vivantes, l'art IKEBANA des bouquets japonais. Nous regarderons tout
particulièrement ceux issus de l'École Ohara, construits en échelonnant
harmonieusement, de haut en bas, trois éléments, SHU, le ciel, FUKU, l'homme,
et KYAKU, la terre, symboles possibles de notre réflexion.
On
y trouve même une réalisation particulièrement remarquable et esthétique,
l'artiste ayant imaginé de tripler chaque élément symbolique, réalisant ainsi
une composition très originale, puisque triplement triple.
La Source Originelle.
De
même qu'à l'origine du corps, il y a la cellule primordiale, la tête et ses
prolongements vertébraux, à l'origine du Monde et des vivants, il y a l'être,
l'existence, la matière et la vie lesquels sont les sources de toutes les
choses et connaissances essentielles et de tous les moteurs de subsistance, de
permanence et de reproduction. Ces forces, ces matériaux, ces instructions de
construction, ces pulsions primordiales et ces savoirs fondamentaux sont
enfouis au plus profond de nous, inaccessibles à la conscience raisonnable.
Nous les analysons comme des éléments techniques utiles à la construction de
l'appareil existentiel et à son fonctionnement. Nous ne réalisons pas que tous
ces facteurs sont des manifestations actives et actuelles des éternels
principes originels de l'existence et de la vie.
A
ce niveau de la réflexion, nous devons être très attentifs. Nous sommes ici
dans le système de pensée panthéiste. Nous ne parlons donc pas seulement de
matière ou de corporéité ni de représentation mentale. Nous parlons de l'Être
unitaire primordial, inconnu, total, absolu qui nous inclut et qui donc se
manifeste en nous-mêmes. Nous essayons de comprendre qu'à l'origine, à la
source véritablement fondatrice de notre être propre dans tous ses caractères,
il y a une idée créatrice essentielle, éternellement agissante et vivante,
l'Idée permanente de l'Homme que nous sommes, originellement conçue dans
l'Intelligence Créatrice, (quelle que soit la nature véritable de cette entité,
cause première du Monde), et manifestée dans notre corporéité. Par notre être
total propre, hors du Monde et du temps, nous lui restons constamment reliés,
mais nous sommes cependant limités par cette manifestation existentielle, corporelle,
temporelle et consciente qui est notre personnalité mortelle actuelle.
L'existence du mal complique encore la réflexion.
En
Occident, la pensée panthéiste adopte souvent les concepts gnostiques tels
qu'on les trouve dans la philosophie du "Nouvel Âge". C'est, par
exemple, un démiurge, créateur imparfait, qui aurait créé ce monde temporel et
ces corps mortels qui portent cependant en eux les étincelles divines
immortelles descendues du royaume originel. Traditionnellement, dans l'imaginaire
habituel de notre pensée, et sans réaliser ce que nous faisons et de quoi nous
parlons, nous construisons une forme conceptuelle pour évoquer la base
originelle. Nous l'appelons souvent "le Dieu Père" mais d'autres la
désignent comme "la Mère originelle", ou même "la Nature".
Là est l'illusion fondamentale. Nous avons quitté le contact intuitif avec la
réalité matérielle originelle et nous l'avons remplacée par une construction
mentale, une image symbolique inversée qui place loin de nous, dans les cieux,
notre origine biologique et terrestre. Cette sorte d'idole se rencontre souvent
dans les textes dits "Sacrés" ou les Temples.
C'est
pourtant la matière primordiale qui est conceptuellement la plus proche de la
réalité de l'origine. Elle est d'abord manifestée dans l'existence matérielle
et vivante du corps biologique, car l'homme pensant émerge de la vie, qui
s'enracine dans la matière dont la source est dans l'Être primordial.
Comprenons cependant qu'il n'y a aucune raison de placer cette forme conceptuelle,
artificielle et imparfaite, cette idole fondamentale, symbolique et
fragmentaire, en haut ou en bas, ou à la tête d'une quelconque hiérarchie. Dans
la triple image mentale de l'essence universelle, il n'y a ni haut ni bas, et
ni fonction première ou dernière. Inclinée vers la terre, la branche KYAKU est
nécessaire, mais l'harmonie du bouquet réside dans sa globalité.
La Conscience émergente.
Dans
le bouquet japonais, la branche SHU s'élance toujours ardemment vers le ciel.
Je vous propose d'y voir ici le symbole d'une autre source puissante de la
vitalité humaine, la poursuite vivante par l'idiomorphon (la forme humaine
idéale), du projet divin, du but inconnu fixé à l'espèce au terme
"téléonomique" de son évolution. Cette branche pourrait donc représenter
la partie "cérébrale" de la
découverte de l'Univers par l'Homme, sachant bien qu'il s'agit également de la
perception intuitive de l'outre Monde, et l'image de gauche en est une évidente
illustration. C'est le développement de son cerveau qui fait émerger l'humain
hors du terreau de l'animalité. Dans cette émergence apparaissent la conscience
et la liberté du comportement qui forment la "Personne", image
particulière de la cause première. Au sein de l'intellect, la pensée gnostique
panthéiste sépare ici deux outils : d'une part la raison qui permet d'accéder
au savoir analytique matériel, (c'est à dire à l'avoir), d'autre part
l'intelligence qui permet d'accéder à la connaissance globale et supra
terrestre, (c'est à dire à l'être). Á travers les illusions du Monde,
l'intellect global doit ainsi permettre d'accéder à la véritable réalité et au
sens profond et caché de la vie terrestre, moyen de la restauration des
caractères divins initiaux de la Personne des origines, intemporelle et
immortelle.
Dans
la pensée panthéiste, il n'est qu'un Être primordial, inconnu, total, absolu
qui nous inclut. Nous essayons ici de comprendre qu'au terme déterminant
l'évolution de notre être propre, il y a une manifestation simplement
différente de la même force essentielle éternellement vivante, qui est l'Idée
de la Personne Humaine. Cette manifestation agit pour que chaque Personne
devienne conforme à ce que son devenir fut et demeure conçu par l'Intelligence
Universelle (quelle que soit la nature de cette entité). L'Homme lui reste
relié dans son être total, mais, dans son aspect terrestre (donc dans le
nôtre), il a maintenant découvert les admirables facultés de son corps et les
capacités de son multiple cerveau. Ébloui et captivé par les splendeurs de la
nature, les plaisirs et les richesses du Monde, il veut tout posséder, tout
savoir, tout dominer, de l'atome à l'univers, et tout maîtriser, y compris la
vie et la mort. Animé par ces pulsions de pouvoir et de possession, d'orgueil
et de domination, utilisant sa raison, l'Homme travaille à remodeler les
sociétés et à réorganiser le monde selon ses désirs. Il invente des sciences et
des arts, des philosophies et même des religions, et il élabore des théories et
des doctrines pour expliquer tous les aspects cachés du monde. Á ce sujet, voir
les constructions mentales des Néoplatoniciens, admirables mais vraiment
complexes.
Mais
la Personne dispose aussi de son intelligence propre, cet outil de contact
direct avec l'Intelligence Universelle. En l'utilisant, elle peut enfin
comprendre le plan qui la concerne. La révélation reçue par les panthéistes
établit qu'en se détachant consciemment des illusions du Monde et des désirs de
possession et de domination, l'Homme se délivre de tous les liens qui
l'enchaînent, tant à la vie terrestre qu'à la mort du corps de chair. En
abandonnant les pulsions visant à conquérir l'avoir, il permet l'émergence ou
la reconstruction d'un nouvel Être totalement libre, d'une entité disposant des
caractères divins originels et du corps transfiguré de la Personne intemporelle
et immortelle des origines.
Traditionnellement
et toujours dans l'imaginaire de notre pensée, nous bâtissons un nouveau
concept pour évoquer cette autre manifestation de la puissance originelle. Les
anciens Grecs l'appelaient le "Noûs" mais nous disons souvent
"l'Intellect" ou, par erreur, "l'Esprit". Là réside une
illusion nouvelle. Nous avons lâché la réalité biologique et neuronale de notre
conscience vivante, raisonnable et intelligente. Nous l'avons de nouveau
remplacée par un reflet mental utilitaire, par autre image symbolique,
vaporeuse ou éthérée qui figure, dans un milieu inconnu assez flou, tout le
destin prochain de notre devenir terrestre. Dans le mystère de l'avenir, c'est
la matière cérébrale qui nous semble être la plus apte à contenir cette représentation,
et c'est pourquoi nous tendons à poser l'intellect au sommet de nos facultés.
Cependant,
il n'y a toujours aucune raison de placer ce concept au-delà ou en deçà,
au-dessous ou au-dessus, ou dans une hiérarchie quelconque, car il ne demeure
dans la triple essence humaine nul espace entre l'alpha et l'oméga de l'être.
Dressée vers le ciel, la branche SHU nous paraît nécessaire, mais l'harmonie du
bouquet IKEBANA persiste à résider dans sa globalité.
Le Cœur et le Sang.
Le
bouquet IKEBANA s'équilibre autour du centre de sa composition. C'est l'objet
central FUKU, symbolisant l'homme, qui lui donne toute sa valeur artistique et
émotive. Ainsi semble-t-il en être, tout au moins à notre niveau de perception,
des hommes de la Terre quand ils acceptent leur état. Car, sur les fondations
exposées ci-dessus, d'autres manifestations du principe originel définissent
les spécificités des différentes formes vivantes et leurs comportements.
L'espèce humaine est issue d'une façon quelconque de l'animalité. Elle partage
donc les caractères et les modes relationnels des mammifères, ceux pratiqués
par les anthropoïdes en général, ou ceux des divers humanoïdes présents ou
passés, en particulier. Au niveau de la conscience ordinaire, des pulsions
puissantes régissent les comportements habituels et tendent à satisfaire les
dévorants désirs liés à l'affectivité. Elles expriment les besoins relationnels
des divers individus composant les groupes, les espèces, ou les commensaux variés
qui partagent le même environnement, ainsi que toutes les actions, réactions,
et tous les sentiments qu'ils inspirent. Ces réactions d'amour et de haine, de
plaisir et de souffrance, d'exploitation et de dévouement régissent l'essentiel
des relations naturelles entre les individus, les sociétés ou les espèces, y
compris chez les hommes. Mais d'autres facteurs peuvent aussi agir puissamment
sur notre émotivité, comme l'art et la musique, par exemple. C'est qu'il existe
en nous d'autres facultés, tel le sens de l'esthétique ou de l'harmonie, des
canaux nouveaux qui conduisent à des spécificités humaines non partagées.
En
ce qui nous concerne, en liaison avec l'émergence de la "Personne",
image particulière reflétant intérieurement la "Totalité universelle",
l'émotion, ordinairement provoquée par un objet extérieur, peut aussi être
éveillée par la perception mentale de l'Idée créatrice originelle lorsqu'elle
se manifeste dans la pensée. Comme toute émotion, celle-ci provoque une
réaction cardiaque et un mouvement sanguin, comme si le sang était porteur de
la sensibilité personnelle du sujet. La pensée panthéiste fait alors de ce cœur
palpitant le siège de la manifestation de l'Être originel dans l'âme humaine.
Elle considère cet organe comme la porte d'entrée de l'appel intérieur fait à
chaque homme pour qu'il se libère des chaînes pénibles de la vie terrestre et
qu'il réalise maintenant sa destinée d'accès à la spiritualité et à
l'intemporalité. Il faut d'ailleurs signaler à ce niveau une particularité un
peu surprenante des doctrines et religions théistes. Comme le polythéisme
antique, elles enseignent l'irruption dans le réel d'entités conceptuelles
immatérielles (dieux ou anges), qui n'appartiennent pas à la création mais qui
viennent agir pour aider l'homme dans sa vie terrestre, (Telle l'incarnation du
Verbe, dans le Catholicisme). C'est intellectuellement analogue à l'image
représentative d'un mythe qui prendrait vie et sortirait de son cadre pour
rencontrer son concepteur.
Cette
évidente difficulté n'existe pas dans la pensée panthéiste moderne qui professe
l'unité du Monde dont la source créatrice est partout et en tout, se
manifestant donc dans la matière, dans l'homme, dans sa pensée, et tout
particulièrement ici, dans son cœur où lui semblent résider la force auto
libératrice originelle : le Christ intérieur. "Mon cœur contient
tout", dit Ibn Arabi soufi, un gnostique musulman. L'homme ressent
douloureusement en son cœur les tumultes engendrés par de perpétuels combats.
Car l'opposition des contraires caractérise tous les aspects de ce Monde que
les gnostiques appellent donc "dialectique". Chaque choix effectué
entre le bien ou le mal, la paix ou la guerre, la haine ou l'amour, engendre un
nouveau conflit. Cette situation devient intolérable à qui en prend conscience
et commence à se souvenir du Monde originel. Car la pensée panthéiste gnostique
affirme qu'il existe aussi une dialectique qui oppose la violence et la mort
(qui régissent la Terre), à la vie éternelle et à l'amour universel (qui
règnent dans le Royaume originel).
C'est
donc sur le chemin de la transformation de l'être et du retour à l'état
originel que s'ouvre la porte du cœur, complétant ainsi le triple symbole
panthéiste signifiant le véritable sens de la vie humaine. Mais il n'y a aucune
raison de placer cette nouvelle représentation conceptuelle en avant, en
arrière, ou au centre d'une hiérarchie quelconque, car il n'y a toujours dans
la triple essence humaine nul espace entre l'alpha et l'oméga de l'être. Au
cœur IKEBANA, la fleur FUKU a pris sa place, mais l'harmonie réside encore en
la globalité.
Le Triple Temple.
Tout
en développant de façon trinitaire les aspects à travers lesquels la pensée
panthéiste décrit le Monde et l'Homme, j'ai insisté sur l'unité indissociable
qui réunit les trois images conceptuelles utilisées. Selon les doctrines, les
ésotéristes usent d'autres modèles, des constructions basées sur les chiffres
sept ou dix ou douze, par exemple. L'important est de comprendre que cette
pensée postule fondamentalement l'unité absolue du Monde, de l'atome à
l'univers, du créateur à la créature, de l'origine aux fins ultimes, et de
l'individu à l'humanité entière. Elle se fonde sur la certitude qu'il n'existe
qu'une seule et unique réalité, unissant l'Homme, l'Univers et Dieu, que tous
les autres aspects du Monde sont parfaitement illusoires, et que la
personnalité individuelle s'inscrit donc toujours dans l'unité de l'humanité
tout entière.
C'est
en lui-même, qu'à l'origine, ce Dieu unique différencie les mondes et les
esprits vierges qui vont expérimenter la matière. Ce n'est pas une expérience
facile mais l'éternité est disponible. Les esprits inconscients vont s'enfoncer
dans le chaos originel. Au cours de la descente, l'émergence de la vie dans la
matière inerte puis celle de la conscience dans les corps vivants devraient
permettre de réaliser l'Idée divine, l'incarnation des esprits dans des corps
matériels vivants, des "Microcosmes" bâtis au modèle de l'Univers.
Mais les expériences sont variées et parfois périlleuses. Originellement
libres, certains esprits vont s'égarer, dont ceux des hommes. Alors se forme le
monde que nous connaissons, le monde "dialectique" des gnostiques,
régi par l'opposition des contraires. Et il faudra que chaque esprit immortel,
enfermé dans un corps humain mortel, se délivre de ses chaînes matérielles, de
ses cristallisations, de son karma personnel et ancestral, pour reprendre
librement le chemin de l'incarnation spirituelle, la reconstruction de son
propre "Microcosme", de la véritable réalité de son être personnel,
tel que voulu pour lui seul, de toute éternité, par Dieu, au sein de la
globalité de la communauté humaine.
L'esprit
incréé, seul l'esprit peut l'engendrer. De nature divine, engendré non pas
créé, l'homme originel est et demeure immortel. Vivant dans un corps
biologique, c'est dans cette vie naturelle même qu'il peut retrouver ses
pouvoirs si l'homme animal qui l'héberge accepte par amour la transformation
nécessaire, la transfiguration du corruptible en incorruptible, du plomb vil en
or pur. L'Homme ne se fait pas lui-même, disait-on au Moyen Âge. Il est fait
par la matière qu'il travaille et par la lumière qui l'éclaire. C'est cela,
semble-t-il, que les anciens Alchimistes découvraient un jour, non pas dans
leurs cornues comme d'abord ils l'espéraient en éprouvant inlassablement le
sel, le soufre et le mercure, mais en eux-mêmes, tout au terme de leur longue
recherche de la pierre philosophale. Car la pierre n'opérait qu'en présence
d'un peu d'or, symbole de la présence effective de l'Esprit divin, et préalable
nécessaire à la transmutation. Puisse chacun trouver, en soi-même, sa propre
pierre de métamorphose et aller maintenant son chemin personnel de
transfiguration.
Les
ésotéristes nous disent que par amour, la Divinité descend depuis l'Esprit pur
vers chaque homme en revêtant la matière, puis que, par amour aussi, l'Homme
s'élève depuis sa corporéité vers Dieu en libérant son propre Esprit.Je
synthétiserai ces idées en disant que pour les panthéistes gnostiques
chrétiens, c'est l'amour total qui constitue le feu de l'alchimie ultime,
laquelle transforme alors le corps de l'homme en triple temple du divin
Microcosme. L'éternel Esprit incréé des origines est "l'Amour Même".
Il s'exprime en donnant vie et connaissance, et ce don d'amour éternel ne peut
se réaliser dans la solitude. L'Esprit divin engendre donc nécessairement
"l'Autre", l'Homme spirituel immortel qui est une conscience vivante.
Engendré par l'Esprit d'amour et non pas créé, l'Homme révélé rayonne
naturellement la force de la vie et la clarté de la connaissance sur toute
l'humanité. Cet impératif comportemental de fraternité universelle détermine
donc l'orientation majeure du travail intérieur des ésotéristes gnostiques qui,
conscients de la double nature de leur être terrestre, vont associer l'ardeur
de l'amour insufflé par l'Esprit divin intérieur à la douceur de la compassion
puisée dans leur périssable nature humaine.
Comme
il faut bien que j'arrête quelque part cette présentation générale de la pensée
panthéiste et gnostique, je terminerai ici en utilisant un dernier symbole
ternaire et en vous priant maintenant de vous attarder un instant sur cette
magnifique illustration d'artiste représentant ce corps humain ainsi triplement
et spirituellement transfiguré.
COMPLEMENTS
L'HERMETISME
(Extrait d'Asclépius)
L'Homme, dit Hermès, peut retrouver son
immortalité et sa place dans le royaume originel s'il réussit la transmutation
de son corps mortel. Le pouvoir du Démiurge s'efface. Il cède la première place
à l'Homme primordial.
Lumière et vie, voilà ce qu'est le Dieu et
Père.(...). (...)Voilà pourquoi, seul de tous les êtres, l'Homme est double,
mortel de par le corps, immortel de par l'Homme essentiel (...).
L'Hermétisme jette sur le Monde un regard
résolument positif. Dieu est la Vie même, intellect et amour actif. Un démiurge
distinct a construit l'univers et son peuplement, autant que les sphères du
zodiaque qui fixent le destin.
Bien qu'il soit immortel et qu'il ait pouvoir sur
toutes choses, l'Homme subit la condition des mortels, soumis qu'il est à la
destinée.(...). (Poïmandres).
(...) Quant à l'Homme, de vie et de lumière qu'il
était, il se changea en âme et en intellect, la vie se changeant en âme, la
lumière se changeant en intellect, (...). (Poïmandres)
.
(...) Parmi tous les genres d'êtres, ceux qui
sont pourvus d'une âme ont des racines qui parviennent jusqu'à eux de haut en
bas. En revanche, les genres des êtres sans âme épanouissent leurs rameaux à
partir d'une racine qui pousse de bas en haut. Certains êtres se nourrissent
d'aliments de deux sortes, d'autres, d'aliments d'une seule sorte. Il y a deux
sortes d'aliments, ceux de l'âme et ceux du corps, les deux parties dont se
compose le vivant.(...). (Asclépius).
L'Homme qui se connaît, connaît aussi le monde,(...)
Il révère l'image de Dieu, sans oublier qu'il en est la seconde image, car Dieu
a deux images, le monde et l'homme.(...). (Asclépius).
Au
commencement, il y eut Dieu et Hylé, (la matière). Le Souffle,
(Pneuma-l'Esprit), était (...) dans la matière mais non pas de la même façon
(...) qu'étaient en Dieu les principes dont le Monde a tiré son origine. (...)
Dieu qui est toujours, Dieu éternel, ne peut être engendré, ni n'a pu l'être.
Telle est donc la nature de Dieu, qui toute entière est issue d'elle même.
(...).
Quant à Hylé,
(la nature matérielle), et au Souffle, bien qu'ils soient manifestement inengendrés,
ils ont en eux le pouvoir et la faculté naturelle de naître et d'engendrer.
(...). Voici donc en quoi se résume toute la qualité de Hylé (la matière), elle
est capable d'engendrer bien qu'elle soit elle-même inengendrée. Or, s'il est
de la nature de la matière d'être capable d'enfanter, il en résulte que cette
matière est tout aussi capable d'enfanter le Mal. Cependant, le Dieu suprême a
pris d'avance ses précautions contre le Mal, de la façon la plus rationnelle
qui se pût, quand il a daigné gratifier les âmes humaines d'intellect, de
science, et d'entendement. En effet, c'est par ces facultés, (...) et par elles
seules, que nous pouvons échapper aux pièges, aux ruses, et aux corruptions du
mal. (...) car toute science humaine a son fondement dans la souveraine bonté
de Dieu. (...).
Quant au
Souffle, c'est lui qui procure et entretient la vie dans tous les êtres du
monde lequel obéit, comme un organe ou un instrument, à la volonté du Dieu
suprême. (...). C'est du Souffle que Dieu remplit toutes choses, l'insufflant
en chacune d'entre elles selon la mesure de sa capacité naturelle. (Hermès
Trismégiste - Asclépius).
LES NEOPLATONICIENS
(JAMBLIQUE)
1 - La connaissance des dieux est à part, séparée de
toute opposition. Elle ne consiste pas dans le fait qu’on la concède maintenant
ou qu’elle prend naissance. De toute éternité, elle coexistait dans l’âme en
une forme unique.
2 - Conçois donc comme du limon tout le corporel, le
matériel, l’élément nourricier et générateur, ou toutes les espèces matérielles
de la nature qu’emportent les flots agités de la matière, tout ce qui reçoit le
fleuve du devenir et retombe avec lui, ou la cause primordiale, (préalablement
installée en guise de fondement), des éléments et de toutes leurs puissances.
Sur ces bases, le Dieu auteur du devenir, de la nature entière, de toutes les
puissances élémentaires, lui qui est supérieur à celles-ci et s’est révélé dans
sa totalité sorti de lui-même et rentré en lui-même, immatériel, incorporel,
surnaturel, inengendré, indivis, préside à tout cela et enveloppe en lui-même
l’ensemble des êtres. (../..).
3 - Avant les êtres véritables et les principes
universels il y a un Dieu qui est l’Un, le Tout Premier même par rapport au
Dieu et Roi premier. Il demeure immobile dans la solitude de sa singularité.
Aucun intelligible, en effet, ne s’enlace à lui, ni rien d’autre. Il est établi
comme modèle du Dieu qui est à soi-même un père et un fils, et est le Père
unique du vrai Bien, car il est le plus grand, premier, source de tout, base
des êtres qui sont les premières Idées intelligibles. A partir de ce Dieu Un se
diffuse le Dieu qui se suffit, c’est pourquoi il est à soi-même un père et un
principe car il est principe et dieu des dieux, monade issue de l’un,
antérieure à l’essence et principe de celle-ci. (../..).
4 - D’après les conceptions hermétiques, l’homme a
deux âmes. L’une est issue du Premier Intelligible, et elle participe aussi à
la puissance du démiurge. L’autre est introduite en nous à partir de la
révolution des corps célestes. C’est en celle-ci que se glisse l’âme qui voit
Dieu, (la précédente). Les choses étant ainsi, celle qui descend des mondes,
(... célestes, la fatalité inscrite dans le Zodiaque), en nous, accompagne la
révolution de ces mondes, tandis que l’âme issue de l’Intelligible, présente en
nous selon le mode propre à l’intelligible, est supérieure au cycle des
naissances. C’est par elle que, délivrés de la fatalité, nous remontons vers
les dieux intelligibles. (...).
Prologue
de l'Évangile de Jean
Jeannine
SOLOTAREFF a publié une exégèse de l'Evangile de Jean, réalisée par Paul DIEL.
Celui-ci estime que le texte originel de cet
Evangile a probablement été modifié au cours des siècles. Les versets
6-7-8-9-15 auraient subi des translocations qui les ont remontées depuis leur
place initiale pour les amener vers le début du prologue. Cette opération
aurait transformé en dogme la valeur initialement symbolique du Prologue. Or,
il est bien établi que ce texte majeur est fondateur du dogme principal de la
religion catholique. (Le symbolisme dans l'Evangile de Jean - Paul Diel - Jeannine
Solotareff - (Ed. Payot & Rivages - 1983)
Voyez ci-dessous le texte reconstruit dans la forme
proposée par ces auteurs. Les numéros sont ceux des versets dans leur ordre
canonique habituel. Un second tableau, sur la page suivante, présente les interprétations des auteurs.
Le
Prologue de l’Ėvangile de Jean revisité
Partie 1.
( 1) Au
commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe
était Dieu.
( 2) Il était
au commencement auprès de Dieu.
( 3) Par lui
tout a paru, et sans lui rien n’a paru de ce qui est paru.
Partie 2.
( 4) En lui était la vie et la lumière des hommes.
( 5) Et la
lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie.
(10) Il (le
Verbe) était dans le monde et le monde par lui a paru et le monde ne l’a pas
connu.
(11) Il est
venu parmi les siens et les siens ne l’ont pas accueilli.
(12) Mais à
tous ceux qui l’ont reçu, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu. A ceux
qui ont foi en son nom.
(13) Qui ne
sont pas nés du sang ni d’un vouloir de chair ni du vouloir d’un homme, mais de
Dieu.
Partie 3.
(14) Et le Verbe
est devenu chair et il a dressé sa tente parmi nous et nous avons contemplé sa
gloire, gloire comme celle que tient de son père un fils unique plein de grâce
et de vérité.
(16) Car de sa
plénitude, nous avons reçu et grâce pour grâce.
(17) Car la
loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.
(18) Dieu,
personne ne l’a jamais vu, le Fils Unique qui est dans le sein du Père,
celui-là l’a fait connaître.
Partie 4.
( 6) Il y eut
un homme envoyé de Dieu, son nom était Jean.
( 7) Il vint
en témoignage pour témoigner au sujet de la lumière, afin que tous par lui
fussent
amenés à la foi.
( 8) Celui-là
n’était pas la lumière, mais il devait témoigner au sujet de la lumière.
( 9) C’était
la lumière, la véritable qui illumine tout homme en venant dans le monde.
(15) Jean
témoigne à son sujet et n’a cessé de crier: «C’est celui dont j’ai dit « Celui
qui vient après moi a existé avant moi, car avant moi il était »..
L’explication
du Prologue selon Paul DIEL
Lorsque ces versets sont replacés dans l’ordre
cohérent proposé par Paul DIEL, on remarque que le texte comporte quatre
parties distinctes.
·
La
première partie est métaphysique et parle clairement du mystère appelé Dieu et
de ses rapports avec le Verbe, source des manifestations existentielles.
(Versets 1,2,3).
·
La
seconde partie nous dit ce que sont les rapports entre le Verbe et l’Homme, et
nous explique le vrai sens de la vie. (Versets 4,5,10,11,12,13).
·
La
troisième partie, et elle seule, parle de l’Homme Jésus, appelé Fils de Dieu ou
Verbe incarné. (Versets 14,16,17,18).
·
La
dernière partie enfin, nous expose la mission de Jean. (Versets 6,7,8,9,15).
Percevez-vous bien toute la
portée de l’observation de Paul DIEL ?
Mesurez-vous les conséquences de cette toute petite
remise en ordre des versets du Prologue sur les fondements mêmes du
catholicisme ?
L’interprétation traditionnelle du Prologue est
dogmatique. Dieu y est défini comme un être réel qui se tient hors u Monde,
dans la transcendance où il accompagné du Verbe et de l’Esprit.
L’espoir de l’humanité repose sur la bonté de ce
Dieu personnel, attaché à juger les hommes, et qui a fini par envoyer le Verbe,
personnage réel, lequel a pris la forme humaine de Jésus.
Paul DIEL propose une exégèse symbolique. Dieu est
un symbole imaginé par l’homme pour exprimer son angoisse devant les mystères
auxquels il est confronté. Jésus est considéré comme l’incarnation du sens de
la vie appelé symboliquement « Verbe ».
L’espoir de l’humanité repose la capacité évolutive
de l’homme de se délivrer de sa vaniteuse angoisse. Jésus est le Christ incarné
car il a pleinement accompli cet idéal. C’est seulement en ce sens que Jésus
est le Fils divin qui porte l’espoir évolutif des hommes.
LA DIVINE ORIGINE
"Incréé
ne peut mourir"
Citations extraites de la conclusion du livre
de Marie BALMARY - Dieu n'a pas créé l'homme.
.
-
Si la créature n'est pas le dernier mot de l'humain, si
l'homme et la femme sont incréés, incréables, s'ils deviennent sujets, (le mot,
chez cet auteur, ne désigne jamais l'inféodé mais prend toujours le sens
grammatical. C'est le terme gouvernant le verbe, celui qui dit JE lorsqu'il
parler à l'autre, et même à Dieu), en sortant du moi-esclave sans perdre la loi
de leur relation, s'ils s'éveillent en leur rencontre et engendrent des fils
d'homme incréés eux aussi, la question de la mort apparaît sous un autre jour.
-
La mort, dit Marie BALMARY, est alors une nouvelle à deux
versants : Mauvaise nouvelle pour la
créature, puisqu'elle lui signifie son néant, elle est bonne nouvelle pour l'incréé.
Pour lui, elle est promesse. Promesse qu'il ne demeurera pas immergé dans la
condition de l'après-Eden.
-
Comme le dit YHWH, rappelle-t-elle, (Au chapitre 6 de
la genèse, verset 3), dans une phrase difficile à traduire parce que plus
difficile encore à penser : "Mon esprit ne durera pas (ou ne
plaidera pas ou ne jugera pas) dans l'humain pour toujours. Dans leur égarement,
il est chair; ses jours seront de cent vingt ans."
-
(…/…)
J'entends ici que "l'esprit de Je", l'esprit incréé qui parle en
l'homme à la première personne, ne restera pas pour toujours dans le terrien,
(celui qui a été créé mâle et femelle). "Leur égarement", c'est
qu'ils s'égarent l'un l'autre. Est-ce l'esprit qui devient chair lorsqu'ils se
perdent ainsi ? (.../...).
-
(.../...)
L'être qui parle en première personne, homme et femme, n'est pas de la création
mais de l'esprit qui vient en leur rencontre. Cet esprit demeurera en l'humain
le temps qu'il dise "Je", le temps qu'il dise "Tu". Puis il
traversera la mort.
-
Incréé ne peut mourir !
CHAPITRE 7
Le cosmos est-il
vivant ?
Le concept matérialiste de l'Univers mécanique.
La philosophie
matérialiste conventionnelle décrit le Cosmos comme une construction mécanique
dont le fonctionnement sera progressivement expliqué par la Science. Quoique
les principales théories cosmogoniques restent actuellement incompatibles, ce
concept a progressivement envahi notre représentation intellectuelle et spirituelle
de l'Univers.
"
L'univers est une machine, la vie est aléatoire et fonctionne de façon
mécanique, et l'homme, issu de ces machineries, est lui même une machine".
Ces principes généraux
simplistes sont interprétés par les différentes disciplines pour poser les
postulats particuliers servant de bases des diverses théories et idéologies
cosmogoniques. On les retrouve, érigés en dogmes ou en mythes, tant chez les
scientifiques que chez les philosophes et même chez les religieux du monde
entier. De tous temps, les chercheurs ont tenté d'imaginer d'où provenaient l'univers,
la vie, ou l'homme. L'apparition de nouveaux modèles est cependant suffisamment
rare pour que l'on se penche un peu sur leurs berceaux. Nous constatons, par
exemple, que le cosmos se transforme de lui-même et change continuellement
comme les êtres vivants.
Le Cosmos vivrait-il ?
Cette question est
rarement formulée de façon aussi simple et directe. C'est pourquoi, en fonction
de formulations floues, incomplètes ou orientées, elle reçoit généralement des
réponses partielles et limitées. Pourtant, ces idées complexes convergent d'une
certaine façon avec les conceptions métaphysiques antiques ou modernes du
Panthéisme qui considère que le Cosmos et sa cause originelle sont confondus
dans une seul Être.
"La
nature n'est qu'un seul être. (Spinoza)"
De nouveaux modèles de l'Univers apparaissent.
Les difficultés
rencontrées par les scientifiques pour réaliser une unification réelle des
diverses théories cosmogoniques actuelles ont ouvert la voie à diverses idées
nouvelles. Une néo-métaphysique connue mais un peu restreinte, est appelée
"l'hypothèse Gaïa". Originellement élaborée sur des
bases scientifiques, elle ne concerne qu'une partie de notre toute petite
planète, la Terre. Elle envisage que la biosphère constituerait un seul et gigantesque
organisme animé disposant des mécanismes régulateurs convenables
pour assurer les équilibres nécessaires à son autoconservation, c'est-à-dire à
sa survie. On constate, tout au moins dans la formulation que j'en ai
faite, qu'on reste ici dans le dogme matérialiste et mécanique dont j'ai parlé.
À priori, le genre de vie attribuée à la biosphère semblerait
être de nature assez automatique, son fonctionnement étant assuré par des auto
régulations.
La recherche de
modèles nouveaux d'univers génère des hypothèses plus générales, relatives au
Cosmos entier, et plus strictement scientifiques. Elles tentent d'intégrer
différents phénomènes rebelles aux formulations de l'univers einsteinien. Des
chercheurs russes ont formulé le concept d'un espace vivant,
constitué d'un champ informationnel dont l'énergie temps serait une propriété
originelle surgissant partout instantanément. Selon le Pr. Vlail Kaznatcheyev,
toute l'évolution de l'Univers procède activement de cet espace vivant
cosmique. Pour le Pr. David BOHM, le monde matériel n’est qu’un aspect
de la réalité, un hologramme. La matrice qui le génère n’est
accessible ni à nos sens, ni à la science. La réalité n’est pas un assemblage
d’objets séparés mais un processus de plénitude en état de changement constant.
L'espace contiendrait une énorme quantité d’énergie qui engendre le monde
phénoménal. Cette transformation qu'il appelle "holomouvement"
serait la source même de l'existence et de la vie.
Le physicien philosophe
Jean Charon considère que la matière et l'esprit sont les deux faces
inséparables du réel. L'univers est un être vivant, jusque dans
chacune de ses particules, et il est également raisonnable même si les formes
lointaines ou étrangères de cette raison nous échappent généralement. Les
choses ne sont que l'image que nous en donne maintenant et actuellement notre
esprit, c'est pourquoi notre conscience progresse avec le temps. L'univers nous
apparaît ondes ou particules, à la fois continu et discontinu. Chaque
particule (éon) présente à la fois un aspect
matériel, actuel, porteur de ses propriétés physiques, et un autre aspect, dans
un autre espace-temps, qui porte ses propriétés spirituelles. Comme l'univers,
nous serions faits à la fois de matière et d’esprit tout en constituant
pourtant une unité, un hologramme du réel.
Une autre théorie
propose une structure fractale de l’univers. L’apparent désordre cosmique
serait composé, à tous les niveaux, de structures homologues à différentes
échelles, emboîtées les unes dans les autres comme des poupées russes. Cet univers
fractal serait régi par des lois véritables, celles du hasard et du
chaos. La structuration hypothétique du réel sur un mode fractal ne permet pas
de présupposer l’existence d’un principe ou d’un modèle de référence qui
expliquerait les mystères du monde. L’océan n’attend pas la référence d’une
formule pour occuper la ligne mouvante des côtes fractales du continent. C’est
bien au contraire le contour fractal qui émerge par lui-même de la rencontre
mouvante, hasardeuse et chaotique de la terre et de l’eau. En serait-il
de même pour l’univers qui émergerait par lui-même de rencontres
inconnues.
Les idées actuelles ont
favorisé l'émergence de nouveaux mythes religieux ou l'adaptation des doctrines
antiques à la pensée moderne. Voyez, à ce sujet, Teilhard de Chardin : "
Le monde se présente à nous, non pas seulement comme un système en mouvement
mais comme un système en état de devenir et de développement, ce qui est tout
autre chose ". On rejoint ici les croyances préchrétiennes. Pour
les Egyptiens antiques, l'inanimé n'existait pas,et tout l'univers, y compris
l'homme, est la manifestation multiforme de forces plus ou moins conscientes en
action dans le Monde. Au début de notre ère et alors que le monothéisme est
déjà installé, les néoplatoniciens d'Alexandrie déclarent encore : "
les planètes sont les corps des dieux ". (Jamblique). On trouvera
également en annexe le rappel des théories hérétiques de Giordano
Bruno.
Vous avez trouvé plus
haut une citation de Spinoza. Il pensait que Dieu et la Nature
sont une seule et même chose et Dieu comprend une infinité de genres d’être.
C'est que que pensait déjà Giordano Bruno, brûlé au 16ème siècle.
Cette forme de pensée est ce que l'on appelle le Panenthéisme. À notre époque,
le mouvement du New Age reprend ces idées. Il est généralement considéré comme
holistique, panthéiste et même panenthéiste. Cela veut dire qu'il conçoit
l'Homme, le Monde et Dieu de façon globalisante et unitaire, tout étant Dieu,
et même tout étant en Dieu, même si ce mot n'est pas toujours utilisé. Ce
point de vue spiritualiste reste un mouvement de fond puissant qui,
quoique diffus, demeure aujourd'hui présent et fort influent comme le
prouvent le développement considérable d'écoles de pensée, le nombre de
films ou de livres qui prônent les valeurs, les théories et les pratiques qu'il
propose, et les pratiques répandues de médecines alternatives.
L'Hypothèse Gaïa.
L'hypothèse Gaïa a été
formulée en 1969 par le britannique James Lovelock, chimiste de l'atmosphère,
inventeur, et ancien conseiller de la NASA, et par sa collaboratrice, la
microbiologiste Lynn Margulis. La biosphère de la Terre, l'énorme masse de
matière vivante qui en couvre la surface, constituerait un seul et gigantesque
organisme disposant de tous les mécanismes régulateurs convenables pour assurer
automatiquement les équilibres planétaires nécessaires à son autosuffisance et
à son autoconservation, c'est-à-dire à sa survie. Cette théorie
scientifique a secondairement provoqué une vague de réflexions philosophiques
et religieuses lorsque l'idéologie écologique atteignit le New Age. Elle
a même remis en question les idées courantes concernant l'évolution de la vie
terrestre ainsi que le rôle de l'homme dans les changements climatiques et
environnementaux.
Qu'est-ce que l'hypothèse Gaïa ?
James Lovelock
travaillait pour la NASA au projet Viking qui tentait de déterminer si la vie
était possible sur Mars. Il voulait trouver ce qui assurait la persistance de
la vie sur Terre. Spécialiste de l'atmosphère, il se convainquit que la cause
en était dans la composition de l'atmosphère terrestre et le fragile équilibre
de ses composants, oxygène, azote, hydrogène, méthane et autres éléments.
Constatant la
permanence de cet équilibre, il en déduisit qu'il se restaurait de lui même et
affirma que «l'on peut considérer tout l'éventail de la matière vivante sur
Terre, depuis la baleine jusqu'au virus, depuis le chêne jusqu'à l'algue, comme
constituant une seule entité vivante, capable de manipuler l'atmosphère
terrestre dans le but de répondre à ses besoins globaux et dotée de facultés et
de capacités qui se situent bien au-delà de celles de ses parties
constituantes» - (Lovelock, 1979: 9).
L'hypothèse
Gaïa s'enracine aussi dans les convictions des Amérindiens
Nous
sommes une partie de la Terre,
et elle fait partie de nous.
Les fleurs parfumées sont nos soeurs.
Le cerf, le cheval, le grand aigle,
Ce sont nos frères.
Les crêtes rocheuses,
Les sucs dans les prés,
La chaleur du poney,
Eet l'homme,
tous appartiennent à la même famille.
Nous savons au moins ceci :
La Terre n'appartient pas à l'Homme,
C'est l'Homme qui appartient à la Terre.
Toutes les choses se tiennent.
(Chef
Seattle- Tribu Duwamish)
L'espace vivant et le flux générateur
de David Bohm.
Des chercheurs russes
ont imaginé un espace vivant, un champ informationnel dont l'énergie temps
serait une propriété surgissant partout instantanément. Selon le professeur
Vlail Kaznatcheyev, toute l'évolution de l'Univers, dès le big-bang, prend son
origine dans cet espace vivant cosmique. Pour le Pr. David BOHM, le monde
matériel n’est qu’un aspect de la réalité et la matrice qui le génère n’est
accessible ni à nos sens, ni à la science. David Bohm était un scientifique
exceptionnel. Il s'est pourtant mis en marge de la communauté scientifique qui
lui semblait donner plus d'importance à la compétition qu'à la pensée
originale. Reconnu cependant comme un scientifique de premier ordre, il attira
même l'attention d'Einstein. S'orientant vers le mysticisme dans les années
50, Bohm s'établit à l'université de Londres. En relation suivie avec
KRISNAMURTI et proche ami du Dalaï-Lama, il pressentait que la physique
quantique pouvait déboucher sur la découverte de niveaux cachés de la réalité.
Pour cet astrophysicien, l’Univers serait un immense hologramme, chacun de ses
éléments enfermant l'essence de la totalité de l’Univers. Le Cosmos pourrait
être une structure infinie d’ondes où tout est lié à tout, et où être et
non-être, esprit et matière, ne seraient que des manifestations différentes
d’une seule réalité profonde animée d’un flux permanent de transformations
créatrices, la Vie. La mort même pourrait alors être une transformation
énergétique et non pas un anéantissement. Gigantesque illusion, l'univers
serait un hologramme.
Après David Bohm, ses concepts
ont été élargis et repris dans des disciplines différentes par d'autres
chercheurs. Le neurologue K. Pribram, par exemple, a constaté que le cerveau
doit recevoir et décoder des masses énormes d'informations. Voir, sentir,
entendre sont d'abord des paquets d'ondes que le cerveau doit traiter avant que
les résultats de ces calculs complexes soient perçus par la conscience comme
étant des images, des odeurs ou des sons réels. Il a alors pensé que ce
décodage suivait un processus holographique, permettant à une énorme quantité
d’informations d’être stockée dans un volume infime. Le cerveau reconstruirait
une " réalité concrète " en interprétant ces signaux et en
interposant ensuite des filtres mémoriels pour que notre conscience ne soit pas
submergée par les informations. Certains observateurs pensent maintenant que
les travaux de David Bohm et de Karl Pribram fournissent un modèle de la
conscience humaine qui permet d'explique l'existence des phénomènes paranormaux
qui seraient des aperçus d'une réalité plus profonde. Nos cerveaux
construiraient une image irréelle du concret et la réalité objective
n'existerait pas. Le monde matériel serait bien une illusion, ainsi que la
perception de nous-mêmes en tant qu'êtres physiques existant effectivement dans
le Monde.
Qu'est-ce qu'un hologramme
Un
hologramme est une image tridimensionnelle provenant de l’enregistrement des
interférences de deux ondes l’une directement issue d’une source, l’autre ayant
été diffusée par l’objet. Très différent d’une photographie, il a
l'étonnante propriété que chacune de ses parties puisse reconstituer l’image
d'ensemble de l'objet. Dans un hologramme, chaque partie est dans le tout et le
tout est dans chaque partie. L’ensemble des informations concernant l’objet est
enregistré en chaque point de l’hologramme. Celui-ci peut donc être brisé,
chaque morceau conservant sa capacité de reproduction totale. L'hologramme peut
également être observé sous plusieurs angles comme l'objet initial, comme dans
l'exemple de démonstration accessible par le lien ci-dessous. Cette découverte
permet une représentation élargie et nouvelle de la réalité qui est proche de
l'idée antique, ésotérique et panthéiste de l'homme à la fois
"microcosmos" et "microthéos".
La particule porteuse d'esprit
Jean Emile CHARON
Jean Emile Charon
était un physicien français mondialement connu. Il est l’auteur de plusieurs
ouvrages, essais et articles scientifiques ou de philosophie scientifique.(L’être et le verbe, L’Ésprit, cet inconnu, J’ai vécu quinze milliards d’années, Mort
voici ta défaite, l’Esprit et la Science, Etc..). Après sa mort, ses
dernières notes furent publiées sous forme de testament spirituel sous le titre
"Et le divin dans tout ça ?".
Il était l'un des physiciens qui se sont mis à parler de l’esprit et de la
conscience en disant que nous sommes faits de matière et d’esprit et qu'il est
donc nécessaire d’avoir sur le problème de l’Esprit des notions aussi
scientifiques que celles que l'on a sur la Matière.
Jean Charon disait que
le monde n’est pas inerte et que l’Univers est entièrement vivant. "Je crois que
l'Univers est sacré, mais je sens que l’objectif de cet Univers est de se faire
connaître d’abord". Sa priorité était d'expliquer comment est faite
la Matière, qu'il appelait " la psychomatière ", considérant
qu'elle est à la fois matière et esprit. Pour cela, il a proposé un modèle
représentant à la fois la partie Matière et la partie Esprit, l'éon, un élément
matériel qui serait porteur de l’Esprit et de la conscience. Il pensait
aussi que la vision mécaniste du Monde était en train de changer. On a d'abord
pensé le monde créé par Dieu. Ensuite, on a pensé que le monde fait par Dieu
était un monde de Matière. On arrive aujourd'hui à l'étape d'un monde fait de
Matière et aussi d’Esprit, et l'on découvre que cet Univers est entièrement
vivant. "À mon avis,disait-il, c’est la grande découverte de notre époque.
On est au sein d’un Univers immense, et c’est un Univers vivant et
raisonnable.".
Dans la pensée de Jean
Charon, nous sommes faits d’une partie réelle, entropique, qui se défait à la
mort, et d’une autre partie, qui est l’esprit, imaginaire au sens mathématique
du terme, qu’il qualifie de néguentropique et qui ne peut pas régresser.
Mais il ne faut pas diviser les choses. On est les deux à la fois, matière et
esprit, comme tout l'univers. C’est inséparable, et c'est cela l’unité. La mort
demeurera un mystère tant qu'on ne saura pas ce qu’est exactement la vie ni
comment les particules vivantes se forment jusqu'à constituer un être organisé.
À la mort du vivant, il subsiste quelque chose qui rayonne à l’échelle du
cosmos entier. Dans ses livres, Jean Charon explique comment il a développé ce
modèle, fait à la fois de réel et d’imaginaire, pour faire comprendre que les
choses sont à la fois ce qu’elles sont et qu’elles sont aussi leur contraire.
Nous vivons dans un Univers contemporain. Le passé reste le passé, le futur
reste le futur, mais au présent nous sommes une partie de cet Univers qui a le
même âge que nous. Cette position rompt évidemment avec la conception ultra matérialiste
du Big Bang et pose l'hypothèse d'un univers en perpétuelle création.
La relativité complexe
de Jean Charon, constituerait un prolongement de la relativité générale
d'Einstein. Nous voyons qu'elle conduit à un "nouveau modèle"
concernant la nature des particules formant toute la matière. Chaque particule,
appelée "éon", (électrons et quarks), posséderait à la fois, un
"dehors" porteur de ses caractéristiques physiques, et un
"dedans" contenant ses propriétés spirituelles et situé dans un autre
espace-temps, un espace miroir. Ce micro-univers, rempli de lumière nouménale à
néguentropie croissante, présenterait des propriétés psychiques, disposerait
d'une liberté de comportement, et mémoriserait de façon cumulative toutes les
expériences vécues depuis son origine. Notre mémoire acquise et notre mémoire
innée seraient de la sorte accumulées dans les multiples éons constituant notre
corps. Notre Soi serait associé au psychisme de ces particules dont certaines,
venant d'autres parties de l'univers, existeraient depuis le début du Monde.
Toute l'humanité vivrait ainsi en nous.
Chaque éon pourrait
être considéré comme un 'hologramme, un reflet, de l'univers entier. C'est en
ces éons que notre esprit serait contenu. Les particules étant éternelles,
notre esprit existerait depuis le début de l'univers et, après la mort,
continuerait à participer à son devenir. Au fur et à mesure de l'évolution de
l'univers, avec l'accumulation de l'expérience existentielle et vécue,
l'expansion de la mémoire "éonique" construirait une complexité
croissante des structures et du psychisme. Les éons conscients piloteraient les
transformations physiques, chimiques, organiques et mentales nécessaires, tant
à l'intérieur des corps vivants que dans tout l'univers. Tous les éons, les
êtres et les choses seraient un jour reliés et en harmonie avec la totalité de
l'univers.
Le
concept de l'univers fractal
Une autre théorie
propose une structure fractale de l’univers. Il faut nécessairement
expliquer rapidement ce que l’on entend par la notion de fractale. On
définit communément une longueur comme une grandeur à une seule dimension,
parcourue dans un seul sens. On passe à la surface en y ajoutant une seconde
dimension qui est la largeur. De même un volume est caractérisé par trois
dimensions. Voyons donc l’exemple de la longueur de la ligne de côte, qui
sépare la terre et la mer. Lorsque l’on veut mesurer sa longueur avec une seule
dimension, on se trouve confronté à une impossibilité pratique. Quoique l’on
ait affaire ici à un élément naturel bien évidemment structuré et organisé, sa
longueur change selon l’échelle à laquelle se fait l’examen. Plus on augmente
la précision, plus la longueur s’accroît. Plus on tient compte des détails,
telles les baies, puis les criques, puis les anfractuosités, le contour des
galets et des grains de sable, plus la mesure s’altère et devient imprécise et
mouvante. On peut cependant mathématiquement exprimer cette caractéristique en
disant que la valeur tend vers un nombre de dimensions plus grand que UN,
puisqu’on n’obtient pas une véritable mesure de longueur, mais moins grand que
DEUX, puisqu’il ne s’agit pas d’une surface.
Il
s’agit donc d’un nombre fractionnaire de dimensions, d'où l’appellation de
" fractal ".
D’une certaine façon,
l’apparent désordre cosmique est organisé à tous les niveaux. Il semble composé
de structures analogues à différentes échelles, successivement emboîtées les
unes dans les autres comme des poupées russes. Comme les côtes de nos océans,
cet univers fractal est fini, mais ses limites connaissables semblent à jamais
hors de portée. On peut parler des lois hasardeuses du chaos, mais ce ne sont
que des mots humains dépourvus de sens réel. C’est notre seule petite
raison humaine qui présuppose l’existence d’un cadre référentiel préalable. La
structuration hypothétique du réel sur un mode fractal ne permet aucunement de
présupposer l’existence d’un principe ou d’un modèle de référence qui resterait
à découvrir pour expliquer les mystères du monde. Le contour fractal des
côtes marines émerge par lui-même de la rencontre mouvante, hasardeuse et
chaotique de la terre et de l’eau.
On découvre aujourd’hui que
l’univers est probablement à la fois chaotique et fractal.
Les mathématiciens ont découvert de nombreuses formules qui régissent
des courbes fractales et les graphistes les utilisent pour générer des images
surprenantes qu'on trouve maintenant à profusion sur le web. Ces images ne sont pas seulement virtuelles. Ce sont des
représentations d'objets mathématiques qui participent de la partie invisible
de l'univers, habituellement inaccessible à nos sens. Elles sont des fenêtre qui permettent d'entre ouvrir
cet aspect caché et d'accéder à un aspect particulier de la
Réalité Totale.
Les fractales peuvent être
considérées sous leur seul aspect esthétique. Pour cela, des liens vous sont
proposés ici et sur la page de liens du site. Mais l'hypothèse d'un univers
fractal ouvre aussi sur une dimension métaphysique de grande portée. Si
l'univers entier est bâti sur un mode fractal, chaque réalité du monde contient
alors une réalité intérieure, à la fois analogue et différente, et elle ouvre
aussi sur une réalité plus grande. Chaque chose dans une autre chose, chaque
vie dans une autre vie disait le Zohar, à l'origine est le seul mystère. La caractéristique d'une structure
fractale est d'être homologue à elle même, en tout point particulier et à toute
échelle d'examen, comme une cote maritime ou une montagne. Plus on regarde de
près, plus les longueurs ou les surfaces augmentent. Mais la réalité demeure
inchangée. La réalité fractale
est homologue à elle même, en tout point particulier. Un élément complexe reste
complexe et un élément vide reste vide à toute échelle d'examen. L'essentiel
des propriétés structurelles est conservé, qu'on les examine en détail ou en
général.
Dans cet ordre d'idées,
et pour passer de la science à la philosophie, on peut citer Oken,
(Ockenfuss),
le plus célèbre des philosophes dits "de la nature". Il proposa le
concept d'un organisme universel permettant de retrouver dans le monde et la
vie les lois de la philosophie transcendantale. Oken essaya de donner à ces
idées une rigueur scientifique. Son idée générale est celle d'un panthéisme
universel, d'un plan de l'univers réalisant l'unité divine par l'infinité de
ses formes. A la base de ce panthéisme systématique préfigurant un univers fractal,
on trouve une unité logique divine qui se répète infiniment en se
diversifiant jusque dans les plus infimes détails pour constituer le monde
matériel. Tous les êtres représentent donc Dieu,
(macrocosmique). Et chaque être microcosmique particulier manifeste
l'émergence des qualités des êtres supérieurs suivants tout en
résumant en lui celles des êtres inférieurs dépassés. Cette continuité est la
manifestation de l'activité divine. Dans cette vision, l'oeuvre d'Oken apparaît
comme l'application du système de la monadologie
de Leibniz
au vaste domaine des sciences de la nature.
Le caractère fractal de
l'univers pourrait s'étendre à toutes ses propriétés, bien au delà de la physique.
Élargissons donc la réflexion et méditons, ( si nous l'osons, car cela va
changer notre vision spirituelle ), sur les implications métaphysiques de
l'application de ce concept aux questions relatives à l'existence et au néant,
à la vie et la mort, à l'intelligence et à la raison, au bien et au mal, et
jusque à l'incarnation humaine et à l'idée de Dieu.Les fractales sont invisiblement
liées aux aspects cachés du Monde. Ainsi, les formes étranges des images
fractales pourront peut-être faire percevoir intuitivement ces lois
mystérieuses et fondamentales à l'oeuvre tout autour de nous. Pour illustrer
ces idées, j'ai choisi deux images créées par Kerry Mitchell.
Leur auteur m'a permis de vous les présenter et je vous invite à visiter son
site qui contient de vraies merveilles.
La théorie des Univers parallèles
La théorie des Univers
parallèles ou multiples fut introduite par le physicien américain Hugh Everett
en 1957. Il s'agit d'une sorte de réinterprétation de la mécanique quantique
qui essaye d'éliminer des problèmes conceptuels comme celui posé par
l'expérience du chat de
Schrödinger. D'après cette théorie, le chat de Schrödinger ne se
trouve pas dans une superposition d'états. Il y a en fait deux chats, l'un
vivant, l'autre mort, qui font partie de deux Univers différents. Ceci est
possible car, lorsque nous lui imposons le choix entre un chat mort et un chat
vivant, l'Univers se divise en deux. Naissent alors deux Univers parallèles qui
sont absolument identiques, si ce n'est que l'un contient un chat vivant et
l'autre un chat mort. Dans chacun de ces Univers, le chat est dans un état bien
défini et le concept un peu absurde d'un animal ni mort ni vivant n'est plus
nécessaire.Finalement, lorsque nous ouvrons la boite et observons son contenu,
nous sélectionnons l'un des deux Univers qui devient alors notre monde réel. A
ce moment, les deux Univers parallèles se découplent et deviennent totalement
indépendants l'un de l'autre. Si nous découvrons que le chat est mort, nous
pouvons nous rassurer en imaginant qu'il existe un Univers parallèle où le chat
est vivant.
Le paradoxe
EPR
La théorie des Univers
parallèles propose une interprétation élégante du paradoxe EPR qui ne fait pas
appel au mystérieux concept de non-séparabilité. Lorsque les deux photons sont
émis par l'atome, l'Univers est soumis à un choix quant à leurs directions. Il
va donc se diviser en une multitude d'Univers parallèles. Dans chacun de ces
Univers, les photons ont des directions bien définies et celles-ci sont
opposées pour des raisons de symétrie. Plus tard, lorsque nous capturons l'un
des deux photons, nous sélectionnons l'un de ces Univers multiples. Or, dans
l'Univers ainsi choisi, la trajectoire de l'autre photon est déjà déterminée à
l'avance. Il sera donc détecté dans la direction opposée au premier, sans pour
autant avoir besoin d'échanger une quelconque information.
Le choix des constantes fondamentales
La notion d'Univers
parallèle permet de réinterpréter le problème de la sélection des constantes
fondamentales. Au moment de sa naissance, l'Univers est confronté à de nombreux
choix. Il doit par exemple décider de la valeur de la constante de gravitation
ou de la masse de l'électron. D'après la théorie de Hugh Everett, l'Univers de
divise lors de chacun de ces choix. Naissent ainsi une multitude d'Univers
parallèles caractérisés chacun par un ensemble donné de constantes
fondamentales.
La grande majorité de
ces Univers est incapable de donner naissance à la vie. Certains sont dotés
d'une force de gravitation trop intense ou d'une interaction électromagnétique
trop faible et ainsi de suite. Néanmoins, une petite fraction de ces Univers se
révèle apte au développement de la vie. C'est en particulier le cas du nôtre. En
adoptant ce point de vue, le réglage des constantes fondamentales n'a plus rien
de miraculeux. La vie n'est pas née car notre Univers unique était réglé de
façon magique. Elle est apparue car nous sommes dans l'un des rares Univers
parallèles capables de lui donner naissance. Remarquons pour finir que cette
interprétation de la mécanique quantique n'est pas unanimement acceptée. Son
principal défaut est d'être invérifiable. Elle fait exactement les mêmes
prédictions que l'interprétation traditionnelle et il ne sera donc probablement
jamais possible de départager les deux points de vue.
© Texte
Olivier Esslinger 2003-2005 - Le site d'Olivier Esslinger Reproduction du texte
à fins non commerciales autorisée moyennant mention de la source
GIORDANO BRUNO
(1548-1600)
Giordano Bruno est
probablement le plus grand penseur du 16e siècle. Il proposa
des concepts très nouveaux et très déstabilisants pour l'époque. Ce cosmologue
voulait comprendre l’univers physique et concilier l'astronomie de Copernic
avec la philosophie néoplatonicienne et mystique de Plotin. Il aboutit alors à
une vision panthéiste du Monde, dans laquelle tout est Dieu et Dieu est tout.
Bruno conçoit la
matière comme divine, à la façon de Teilhard de Chardin. Annonçant la relativité
d'Einstein, il dit qu'il n’y a pas de fixité dans l’Univers infini. C'est le
thème central de sa philosophie. Dans l’espace, il n’existe ni lieux
privilégiés, ni directions, ni qualités absolues. Son aspect matériel est
simplement celui du monde spirituel manifesté, expliqué, " déployé ",
alors que le monde divin reste invisible, caché,
" implié ". C'est également très proche des théories
holographiques de David Bohm.
Dieu et l’Univers, dit
Bruno, sont deux aspects de la même et seule réalité qui est la Substance
" originelle et universelle, identique pour tout " et
pénétrant toute matière. Le monde est un. Cet être unique et éternel, de
potentialité infinie, se manifeste par des apparences fugitives et diverses.
L’Être, la Nature, Dieu, la matière sont une seule et même chose. Il n’y a pas
d’artisan extérieur ou au-dessus. Toutes les choses sont mues par une âme qui
vivifie les êtres de l’intérieur et qui contrôle leur nature, leur spontanéité,
leur vie.
Cette vision moniste du
Monde coûta cher à Bruno. Emprisonné et torturé pendant de longues années, il
fût finalement brûlé publiquement après qu'on lui eut arraché cette langue qui
avait professé ces "mensonges". Et, avant de le mener au bûcher,, on
enfonça dans sa gorge ensanglantée une planchette sur laquelle un écrit rectifiait
ses erreurs.
Pourtant, pour Bruno,
la vérité est déduite à partir de postulats et de principes intellectuels.
Quoique ses idées soient modernes par leur liberté, leur ampleur et leur
audace, sa méthode de vérification reste prisonnière de la scolastique
médiévale.
Le point de vue spiritualiste
Spinoza pensait que
Dieu et la Nature sont une seule et même chose et que Dieu comprend une
infinité de genres d’être. Cette forme de pensée va au-delà du panthéisme,
c'est ce que l'on appelle le Panenthéisme. À notre époque, et d'une façon
générale, le mouvement de pensée du New Age relaie cette pensée. Il est
considéré comme holistique, panthéiste et même panenthéiste. Cela veut dire
qu'il conçoit l'Homme, le Monde et Dieu de façon globalisante et unitaire, tout
étant Dieu, et même tout étant en Dieu. Au delà de tous les aspects illusoires
du monde sensible, il n'y a qu'une seule réalité ultime et spirituelle, à
l'image du ""brâhman" de l'hindouisme.
Il faut comprendre que
cette pensée est en opposition totale avec la pensée religieuse
judéo-chrétienne fondamentale qui postule l'absolue séparation du Dieu créateur
transcendant et de ses créatures, qu'elles soient spirituelles ou matérielles.
Il est évident que ces deux visions sont et demeureront inconciliables. Le
Nouvel Âge annonce aussi que l'élévation du niveau de la conscience humaine
s'accompagnera de la paix internationale, de la fin du racisme, de la pauvreté,
de la maladie, de la faim et de la guerre. C'est la transformation spirituelle
propre à chacun des individus qui permettra celle de l'humanité. C'est en
changeant soi-même que l'on peut changer le monde car on ne peut changer le
tout sans en changer chacune des parties.
Les New Agers estiment
que toutes les religions se valent et ne portent généralement sur elles aucun
de jugements de valeur. Certains courants de cette libre pensée nouvelle
interprètent les mythes chrétiens traditionnels de façon globalisante et
panenthéiste en les reliant aux diverses religions antiques ou modernes. Les
idéologies théistes, et particulièrement toutes les intolérantes religions
dites "du Livre", ont jadis conquis le monde par la parole, mais
aussi, et bien trop souvent, par la violence, le fer et le feu. Dans la
souffrance des hommes, elles ont remodelé ou même effacé les civilisations
millénaires et les pensées antiques et elles ont pour un temps établi leurs
empires sur le monde. Il est évident que les idées panthéistes et tolérantes du
Nouvel Âge peuvent paraître menacer leurs hégémonies. Nous voyons bien, hélas, que
la violence, l'esprit de conquête religieuse et l'intolérance ne demandent qu'à
renaître, si même elles ont jamais cessé.
En fait, le New Age
constitue le phénomène religieux le plus significatif du 20ème
siècle. C'est un mouvement de fond puissant qui, quoique diffus, reste
aujourd'hui présent et fort influent comme le prouvent le nombre des ouvrages
dans les rayons des librairies spécialisées et les pratiques répandues de
médecines alternatives. On constate également un développement considérable
d'écoles de pensée, de littératures, de films de cinéma, de programmes
télévisés et de sites Web qui prônent les valeurs, les théories et les
pratiques qu'il propose.
Comme la Gnose antique
dont il semble incarner un retour, le New Age, est d'abord une libre façon de
penser et de regarder le monde. Face aux critiques, il tente parfois de se
définir et de se structurer, mais cette démarche est contre sa nature, laquelle
est autonome dans son principe même. Le mouvement a donc changé d'aspect mais
les idées du New Âge se sont largement répandues dans le Monde et dans l'astral
de la Terre. En s'appuyant sur la soif de connaissance et la faim de Dieu qui
sommeillent au cœur de chacun, c'est dorénavant dans l'anonymat et le silence
qu'elles travaillent à la transformation des hommes.
CHAPITRE 8
La vie mystérieuse
Réflexions préliminaires
L'absolu n'a
besoin de rien. - Antonin Artaud
Connaître, ce
n'est point démonter, ni expliquer,
c'est accéder à la vision. - Saint-Exupéry
Les convictions
sont des prisons. - Nietzsche
Une âme se mesure
à la dimension de son désir. - Flaubert
Dieu n'est qu'un
mot rêvé pour expliquer le monde. - Lamartine
Il n'y a pas de
modèle pour qui cherche ce qu'il n'a jamais vu. - Paul Eluard
Toute aventure
humaine, quelque singulière qu'elle paraisse,
engage l'humanité entière. - Jean-Paul Sartre
La plus belle
chose que nous puissions éprouver,
c'est le mystère des choses. - Albert
Einstein
Le bien et le mal
doivent leur origine à l'abus de quelques erreurs. - Paul Eluard
L'homme est libre;
mais il trouve sa loi dans sa liberté même. - Simone de Beauvoir
La matière est
réelle parce qu'elle est une expression de l'esprit. - Marcel Proust
Celui qui ne sait
pas ce que c'est que la vie,
comment saura-t-il ce que c'est que la mort ? - Confucius
La grande
difficulté est de comprendre comment un être,
quel qu'il soit, a des pensées. - Voltaire
La pensée ne
commence qu'avec le doute. - Roger Martin du Gard
Souviens-toi que
chacun ne vit que le présent, cet infiniment petit. - Marc Aurèle
La science
consiste à oublier ce qu'on croit savoir,
et la sagesse à ne pas s'en soucier. - Charles Nodier
On pense à partir
de ce qu'on écrit et pas le contraire. - Aragon
La vérité est comme le Soleil.
Elle fait tout voir et ne se laisse pas regarder.
Victor Hugo
On ne peut oublier
le temps qu'en s'en servant. - Baudelaire
Ne crois pas que
ta vérité puisse être trouvée par quelque autre. - André Gide
La vie est un travail qu'il faut faire. – Alain
Autres citations métaphysiques
En général nous avons des
possessions parce qu'en dehors d'elles nous n'avons rien : nous sommes des
coques vides, nous ne possédons pas. Nous remplissons nos vies de meubles, de
musique, de connaissances, de ceci ou cela. Et cette coque fait beaucoup de
bruit, et ce bruit nous l'appelons vivre, et avec cela nous sommes satisfaits.
Jiddu Krishnamurti
Le beaucoup savoir
apporte l'occasion de plus douter.
Montaigne - Extrait des Essais
Mon corps est-il « moi » ? Il est
silencieux et inerte, mais je sens la pleine force de ma personnalité, et
j'entends même la voix du « moi » au fond de mon être. Je suis donc un
esprit qui transcende le corps. Le corps meurt, mais l'esprit,
transcendant le corps, ne peut être touché par la mort. Ce qui veut dire que je
suis un esprit immortel.
Ramana Maharshi - Philosophe
et mystique hindou.
L'âme est aussi un feu magique,
et son image ou forme est créée dans la lumière (par la force de son propre feu
et de sa propre lumière) émanant du feu magique; et pourtant celle-ci est une
image véritable de chair et de sang, mais non pas dans son état original.
Jacob Boehme - Gnostique Chrétien
(Du Sang et de l'Eau de l'Âme)
L'Esprit se réfléchit dans le mental
et dans tout. C’est la lumière de l’esprit qui rend le mental sensible. Tout
est expression de l’Esprit; les entendements sont autant de miroirs. Ce que
vous appelez amour, crainte, haine, vertu et vice ne sont que des réflexions de
l’Esprit. Lorsque le miroir est défectueux, l’image est mauvaise.
Vivekânanda - (Jnana Yoga, notes d’une causerie).
Origine du concept d'un créateur divin
De tous temps, en tous lieux,
les hommes se sont posés les mêmes
questions.
D'où venons-nous et où allons nous ?
Pourquoi l'existence et non pas le néant
?
Notre vie a-t-elle un sens et lequel ?
Qu'est-ce que la vie, où conduit la mort ?
Qu'en est-t-il du bien et du mal ?
Aux tout petits hommes que nous sommes, la vie, le monde,
l'univers entier, se présentent à nos yeux avec des structures imbriquées et
des fonctionnalités mystérieusement organisées d'une façon tellement admirable
qu'elles semblent avoir été pensées, voulues et mises en place par un
organisateur suprêmement adroit et intelligent. Et pourtant, les questions
essentielles restent posées. Certains d'entre nous ont tenté d'y apporter des
réponses à l'aide de la science, de la philosophie, ou de la religion. Les
savants ont fait des mesures et des calculs et ils ont proposé des théories
toujours provisoires. Les philosophes ont réfléchi et médité et ils ont élaboré
des hypothèses contradictoires. Les religieux ont écouté les révélations de
leurs coeurs et les paroles des prophètes et ils ont ritualisé des doctrines
innombrables.
Généralement, dans la vie courante, les hommes ne
s'attardent guère sur ces difficultés. Les réponses traditionnelles que les
chercheurs proposent leur conviennent. Il suffit qu'elles s'inscrivent de façon
acceptable dans le cadre mental que leurs organes sensoriels ont construit pour
présenter à leur conscience une image compréhensible du Monde. Là est le vrai
problème. Parce que les hommes désirent tout comprendre, il leur est nécessaire
de bâtir une représentation intelligible de tous les aspects et de tous les
facteurs inhérents à l'existence, l'espace, la vie, le destin, le passé,
l'avenir, l'origine et les fins dernières. Ainsi se profile la trame de tous
les mythes racontant le début et la fin de cette Terre, la création des choses,
des vivants et des hommes, ou, par exemple, l'hypothèse de la faute à expier
pour expliquer la mort, et la promesse d'un rachat pour l'espérance d'un
bonheur sans fin.
Tout cela n'étant pas à la portée des perceptions des
petits hommes, il faut bien imaginer cet organisateur du monde, lui
donner forme et le dénommer. Le plus souvent, on parlera d'un dieu ou de
plusieurs, ou du hasard et du chaos, ou même des fluctuations d'un vide
originel. Il y a beaucoup d'images possibles, mais peu de possibilités
structurellement raisonnables. En effet, ou bien la cause originelle est
extérieure au monde, ou bien elle est dans le monde. Or, il ne semble pas
actuellement possible, expérimentalement ou rationnellement, de trancher. On
peut choisir de croire en l'une ou l'autre hypothèse avec des arguments
scientifiques ou métaphysiques, mais c'est fondamentalement un choix, un acte
de foi, dont la motivation est le plus souvent culturelle. Une autre attitude
est d'accepter humblement de faire face au Mystère. Alors, pour le penseur qui
fait ce choix, ce Mystère immense va devenir l'unique réalité.
Le bagage historique et culturel
Tu as entendu dire que l’on pouvait voler
avec des ailes, mais non que l’on puisse voler sans ailes.
Tu as entendu dire que l’on peut savoir avec l’intelligence, mais non que
l’on puisse savoir sans l’intelligence.
Zhuangzi - co-fondateur présumé du Taoïsme
Venons-en d'abord au travail exploratoire des
scientifiques. Sans revenir sur les théories dépassées, nous disposons,
au stade actuel, de représentations du Monde inintelligibles pour le commun des
mortels. L'écoulement du temps depuis son origine s'exprime en milliards
d'années. Ceci qui ne dit rien à l'homme ordinaire, non plus que l'étendue d'un
espace en perpétuelle et hypothétique expansion. Comment représenter un
continuum universel avec de nombreuses dimensions repliées sur elles mêmes si
ce n'est par des expressions mathématiques absconses. La cosmogonie
scientifique ne concerne pourtant que les aspects purement physiques de
l'univers matériel actuel. Les natures de la vie et du psychisme, entre autres
inconnues, ne sont pas encore théorisées. La science n'imagine guère la
nature de ce qui pouvait être avant l'apparition de la matière et du temps.
Elle entrevoit un éventuel "milieu" d'énergie pure, un vide équilibré
agité de fluctuations aléatoires, une entité perpétuelle énigmatique,
épisodiquement instable, donnant naissance à l'univers. Pour l'instant,
l'approche purement scientifique ne répond guère à nos questions ordinaires.
Rappelons que dans le cadre métaphysique, l'homme inventa d'abord le culte des
ancêtres et des dieux qu'il plaça dans la nature. Les Égyptiens apportèrent les
idées de vie éternelle et de multiplicité des enveloppes humaines. Les antiques
"Upanishad" de l'Inde enseignaient déjà l'immortalité du Soi,
la réincarnation et le Karma, et la séparation entre la matière et l'esprit. En
Israël, l'évolution de la pensée transforma progressivement le couple tribal
Yahô-Anat en un Dieu unique YHWH, extérieur et créateur du Monde, donnant
ensuite à l'homme liberté et responsabilité. En Perse, on divisa le monde
d'Ahura-Mazda entre Lumière et Ténèbres, Bien et Mal. En Chine, le manque
d'amour devint la cause première du mal. En ces temps où la philosophie et la
science ne se distinguaient guère, les philosophes grecs firent de l'esprit, la
cause première d'un univers immuable et vivant. Ils inventèrent aussi les
notions de principe et d'illimité, et bien d'autres choses dont la rondeur de
la Terre et l'atome. Platon distingua le monde essentiel des formes du monde existentiel
des manifestations. Aristote voulut les réunir, et les Stoïciens affirmèrent
leur scepticisme en commençant à douter du vrai pouvoir des dieux.
Au cours des siècles suivants, les chercheurs ont beaucoup
travaillé sur toutes ces idées qu'ils ont reformulé de bien des façons jusqu'à
servir de base à de nombreux développements philosophiques tout autant qu'à
l'apparitions des doctrines de nouvelles religions. Le Christianisme se sépara
du Judaïsme traditionnel tandis que les divers cultes antiques glissaient des
cultes à mystères jusqu'au syncrétisme gnostique. Le Judaïsme se maintint face
à l'Islam naissant. Tous les impérialismes idéologiques engagèrent des luttes
de conquête acharnées. Le Christianisme s'imposa en Europe et l'Islam conquit
le Moyen Orient. La philosophie se confondit souvent avec la théologie. Les
civilisations mésoaméricaines furent détruites. Le contrôle de la pensée
s'exacerba et devient inquisitorial pour longtemps. La métaphysique innovante
fût parfois un exercice rare et périlleux et l'on brûla, entre autres, Giordano
Bruno en 1600. De terribles guerres de religion ravagèrent l'Europe,
dépeuplant des régions entières jusqu'au 17ème siècle. Même en 1766, au siècle
dit "des lumières", le chevalier de la Barre fut torturé puis brûlé
après qu'on lui eut arraché la langue, comme Bruno, pour avoir gardé son
chapeau devant une procession de capucins.
Que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime mieux
obéir à Dieu qu'aux hommes, et qui, en conséquence, est sûr de mériter le
ciel en vous égorgeant ?
(VOLTAIRE - Dictionnaire philosophique,
article Fanatisme)
Malgré tous ces dangers, la
pensée occidentale se libéra peu à peu des carcans scolastiques. De la
"Renaissance" jusqu'à nos jours, de Leonard de Vinci à Victor Hugo,
de nouveaux créateurs transformèrent les arts et les lettres. Après Descartes,
Pascal, Leibniz ou Spinoza, des chercheurs tels Voltaire, Diderot et d'Alembert
présentèrent des conceptions variées de Dieu et rédigèrent leur Grande
Encyclopédie. La représentation de l'univers changea, ouvrant vers une nouvelle
compréhension du Monde. Dans cette liberté recréée, les nouveaux
penseurs, les philosophes et les scientifiques modernes bâtirent cette image du
Monde que nous connaissons. Il n'est plus maintenant possible de d'exposer
brièvement l'étendue actuelle du savoir humain, mais on peut encore prendre
conscience de ses limites. Comprenons déjà que le réel demeure voilé, pour bien
longtemps encore, et les sciences d'aujourd'hui restent liées à la métaphysique
et à la spiritualité.
Il est important de
constater le très grand nombre de théories scientifiques, de mythes
cosmogoniques, de philosophies passionnantes et de doctrines religieuses
attachantes qui sont apparues au cours des âges. Elles ont brillé pour un
temps, puis elles ont été remplacées. Mais, sans que nous en ayons conscience,
comme un bagage habituel que l'on croit indispensable, dans les recoins secrets
de notre cerveau, elles demeurent et marquent à chaque instant toutes nos
pensées et nos comportements. Pouvons-nous poser enfin ce bagage ?
CHAPITRE 9
Amour et Désir chez les Théosophes
L’Amour,
ce mot merveilleux est souvent utilisé de façon instinctive sans que nous ayons
réellement réfléchi à la signification qu’il doit prendre dans notre propos d’homme
véritablement éveillé. Je proposerai donc plusieurs textes successifs et
indépendants pour élargir progressivement le contexte de réflexion. Une façon
première d'approcher la question consiste à comparer l'évolution de l'amour à
la croissance de l'homme, à la façon des anciens Grecs. A son début, l'amour
n'est que désir et se borne à vouloir prendre. Plus tard, il commence à partager
et l'on peut espérer qu'il ne soit plus un jour que don total.
Une
première approche se fonde sur l’acquisition progressive de la sagesse du cœur.
La réflexion sur les différents sens du merveilleux mot "Amour",
repose sur une comparaison avec un être en évolution passant par des âges
successifs. Pourtant, même dans ce bas monde temporel de la dialectique,
comprenons que tout être procède de l'Unique Origine, et que tout être
participe donc, d’une quelconque façon, à la vivante réalité suprême.
Les trois âges de l'Amour
Le premier âge de l'amour ressemble au premier âge de l'enfant. Au
début, il n'a pas conscience de ce qui se passe. Il a besoin de nourriture et
il en reçoit de ses parents, jusqu'à satiété. Et puis, à un moment donné,
parfois très tardivement, il prend conscience qu'il est nourri. Il comprend un
jour que cette nourriture est un don gratuit fait par quelqu'un qui l'aime.
Avec cette prise de conscience du grand don de vie, quelque chose de nouveau
naît. Á ce niveau, le chercheur de vérité prend conscience qu'une nourriture
spirituelle lui est aussi donnée, et qu'il peut maintenant inspirer le souffle
de l'Esprit Divin. C'est le temps de l'Incarnation.
Le second âge de l'amour est plus tardif et souvent plus durable.
L'enfant se nourrit vraiment longtemps des dons parentaux, et la
situation peut lui paraître naturellement pérenne. Mais un travail se fait en
secret, au fil du temps et au fond du cœur, pour modifier ce point de vue. La
conscience mûrit lentement et un nouvel éveil se produit. L'enfant devient un
jour adolescent. Il sait dorénavant qu'il a des amis et des frères, et il
partage plus volontiers ce qu'il reçoit. Le chercheur comprend alors qu'il ne
peut plus seulement inspirer le souffle de l'Esprit. Devenu prêtre, il doit
aussi maintenant l'expirer au bénéfice d'autrui. C'est le temps de
l'Initiation.
Le troisième âge de l'amour reste à venir pour la plupart des hommes.
Ce n'est plus l'âge du partage mais celui du don sans retour. C’est l’âge
adulte des fils divins qui répandent ensemble, dans tout l’univers et tout à la
fois, les lumières de la conscience, les immenses forces de la vie, et les
grâces infinies de l’Amour. Ces dons qu’ils répandent, c’est maintenant en
eux-mêmes, dans la nature de leur filiation divine, qu’ils les puisent. Dans
notre conception trinitaire et chrétienne du Monde, c’est alors que se confondent,
en chaque être accompli, le Père, le Fils et l’Esprit, dont le même souffle
anime éternellement tous les êtres vivants. C'est le temps de la Divinisation.
L'Amour et l'Homme incréé
Chez
les Théosophes, un second mode d’approfondissement ouvre la réflexion sur la
place de l’Esprit au sein de cette Unicité divine qu’il est important de
maintenir constamment présente dans le champ de la pensée, quoique le
développement analytique de celle-ci nécessite d’en éclater les aspects, (par
exemple de façon dualiste ou
trinitaire).
L'Homme incréé, seul l'Esprit Incréé peut
l'engendrer.
En décrivant de façon trinitaire les aspects du Monde, il faut
insister sur l'unité indissociable qui réunit les trois images conceptuelles
utilisées. Il est important est de comprendre que cette pensée postule fondamentalement
l'unité absolue du Monde, de l'atome à l'univers, du créateur à la créature, de
l'origine aux fins ultimes, et de l'individu à l'humanité entière. L’intellect
humain fonctionne en fragmentant les choses pour en examiner séparément les
aspects. Mais il n'existe qu'une seule et unique réalité, unissant l'Homme,
l'Univers, et Dieu. Tous les autres aspects du Monde sont illusoires, et la
personnalité individuelle s'inscrit toujours dans l'unité de l'humanité
entière. Selon la pensée panthéiste banalisée par les Théosophes du début du
siècle, Steiner, Heindel, Blawatski, et autres, c'est en lui-même, qu'à
l'origine, ce Dieu unique différencie les mondes et les esprits vierges qui
vont expérimenter la matière. C’est une expérience difficile, mais l'éternité
est disponible. Les esprits inconscients vont d’abord s'enfoncer dans le chaos
originel. Au cours de cette lente descente, l'émergence de la vie dans la
matière inerte, puis celle de la conscience dans les corps vivants devraient
permettre de réaliser progressivement l'Idée divine, l'incarnation des esprits
dans des corps matériels vivants, des "Microcosmes", bâtis au modèle
de l'Univers.
Mais les expériences
sont variées et parfois périlleuses. Originellement libres, certains esprits vont
s'égarer, dont ceux des hommes. Alors se forme le Monde que nous connaissons,
le monde "dialectique" des Gnostiques, régi par l'opposition des
contraires. Et il faudra que chaque esprit immortel, emprisonné dans un corps
mortel, se délivre de ses chaînes matérielles, de ses cristallisations, de son
karma personnel et ancestral, pour reprendre librement le chemin de
l'incarnation spirituelle, la reconstruction de son propre
"Microcosme", véritable réalité de son être personnel, tel que pensé
et voulu pour lui seul, de toute éternité, par Dieu, au sein de la globalité
humaine. Il est ici utile d’examiner ce concept d’idée divine, sans oublier que
nous essayons de comprendre ce que sont l’Esprit et l’Amour. L’acte de création
n’est pas encore un acte d’amour. Les Néoplatoniciens avaient compris que la
force créatrice consiste en un retournement de l’être vers lui-même. Partant du
créateur, l’acte créateur en produit une sorte de reflet. C’est ce reflet de
lui-même qui relie le créateur à l’objet créé. Ainsi, les Hermétistes égyptiens
enseignaient qu’à l’origine, l’Homme, enfant divin fait à l’image du Père, se
pencha sur la Nature et vit sa propre image reflétée dans les eaux. Ébloui par
cette beauté, il l’attribua à la Nature, l’aima, et se perdit en elle.
Parlons maintenant de
l’Amour spirituel, une manifestation particulière de la divinité unique que
nous considérons cependant humainement de façon ternaire. Pour les panthéistes
chrétiens, l'éternel Esprit des origines est donc incréé. C’est "l'Amour
Même" qui s'exprime en donnant vie et connaissance, et ce don éternel ne
peut se réaliser dans la solitude. Cela le différencie de l’acte créateur.
Puisqu’il ne peut se retourner vers Soi-même, l'Esprit divin engendre
nécessairement "l'Autre". Non pas créé, mais engendré par cet Esprit
d'amour, l'Homme spirituel immortel est une conscience vivante qui rayonne
naturellement la force de la vie et la clarté de la connaissance. Engendré par
l’Esprit, l'Homme originel est immortel. Incréé mais associé à un corps biologique
naturel, il doit réaliser, dans la vie terrestre, la transmutation du
corruptible en incorruptible, du plomb vil en or pur. Dans l’amour, la Divinité
descend de l'Esprit pur vers chaque homme, en revêtant la matière, et dans
l’amour, l'Homme s'élève de sa corporéité vers Dieu, en libérant sa propre
nature divine. Cette perspective détermine l'orientation majeure du travail
intérieur des Gnostiques. Conscients de leur double nature, ils associent
l'ardeur de l'amour insufflé par l'Esprit divin intérieur à la douceur de la
compassion puisée dans leur périssable nature humaine.
La
troisième approche proposée est encore plus complexe au niveau métaphysique. Il
s’agit ici d’explorer des domaines mentaux plus fondamentaux intégrant
l’influence des acquis culturels sur les fondements de l’inconscient humain.
La naissance de l’Autre dans
l'Esprit
Nous savons que l’Homme,
comme tous les vivants, est un être de désir. Ses comportements visent
fondamentalement à satisfaire ses appétits dont la source la plus profonde est
finalement un besoin d’éternité. Dans cette recherche, l’autre apparaît comme
un moyen pour y parvenir. Cet « autre » est généralement perçu
comme « objet » supportant la projection du désir qu’il peut
potentiellement satisfaire. Précisons ici que la nature des appétits évoqués
est multiple, (conservation ou reproduction évidemment, mais aussi avidité,
pouvoir, volonté de puissance et autres). Lorsqu’elle existe, la relation à
l’autre s’établit donc d’abord comme un rapport de désirant à désiré. Cette
perception s’assimile à un acte créateur. Le désirant construit dans son
mental, éventuellement à son insu, une image de l’autre limitée à son
éventuelle utilité. Même lorsque cette perception s’établit dans le cadre d’une
relation amoureuse, elle se fonde encore sur la base plus ou moins consciente
de la satisfaction pressentie du désir. Le sujet effectue donc bien un
retournement sur lui-même. Il projette en effet les caractères de ses attentes
personnelles sur l’autre, et il le voit comme un moyen de les satisfaire. En
cela, il le crée en lui, (au plan imaginaire), comme un « objet »
dont il est « sujet », gouvernant l’activité. Á ce niveau, il n’y a
pas de place pour l’amour.
Tous les vivants terrestres
en sont à ce point d’incarnation de l’âme dans la matière, y compris l’homme
naturel. Les comportements altruistes peuvent faire illusion, mais ce sont des
exigences induites par les instincts de survie collective propres à l’espèce
humaine comme aux autres animaux. Au niveau d’une analyse intellectuelle
intègre de l’Univers, nous devons considérer qu’une cause première inexorable a
créé, en reflet d’elle même, l’existence, puis la vie, puis l’intelligence. Cet
âpre premier état de création révèle un aspect fondamentalement violent de la
Force initiale mystérieuse que nous appelons « Dieu » en alléguant
qu’elle a produit l’Homme et le Monde. Nous constatons que l’irrésistible
violence de cette force créatrice s’exerce aussi dans le cosmos, et son ardeur
semble universelle. Notre culture répugne à ce terrible concept d’un dieu en
adéquation avec l’observation, et elle en renvoie la source vers d’autres
causes, (polythéisme, Satan, péché d’Adam, etc..). Dans les limites humaines
d’une réflexion libérée, nous pourrions considérer que cette rudesse caractériserait
un premier aspect d’une entité divine bipolaire. Une infinie douceur
équilibrerait cette rigueur par un second aspect d’importance équivalente. On
pourrait être tenté d’y voir deux faces « mâle » et
« femelle » de Dieu. C’est une approche anthropique inadaptée.
Un second aspect universel
apparaît donc dans notre représentation mentale fragmentaire de l’Être, le
concept d’un immense « Esprit d’Amour ». Cet aspect de l’Être ne crée
aucun objet en reflet de lui-même, mais il engendre. Cet "Amour Même"
ne peut pas se retourner sur lui-même. Il en naît nécessairement
« l’Autre », non plus seulement à l’image du créateur, mais à la
ressemblance du géniteur. Entre les deux faces divines, la différence est
essentielle. Fils et filles de l’Esprit, tous ces « Autres », (dont
les Hommes), ont hérité de Sa nature. Ce sont des « sujets »
gouvernant librement leurs destins, des esprits incréés éternels associés à des
corps créés matériels et périssables. Né de l’Esprit, en cet aspect, l’Homme
agit librement comme l’enfant agit séparément de ses parents. Il peut choisir
le Bien ou le Mal, la libération du karma ou le servage. Á chaque âme
engendrée, l’Esprit confère sa divine essence et « l’altérité » qui
toujours manque à la simple créature « objet ». Cette filiation
spirituelle nous oblige à reconnaître l’altérité des autres hommes et leur
faculté de refuser d’être « objets » d’un quelconque désir. Alors,
ils naissent « autres» dans notre mental, et la fraternité apparaît dans
l’universel Esprit. Fils et Filles de « l’Amour Même », nous ne
sommes pas ce « Père ». Nous sommes « autres » mais nous
l’accompagnons sur son chemin d’éternité.
La pensée théosophiste a été publiée au début du
vingtième siècle. La dernière approche de cette étude propose d'en tenter une
reformulation en l'accordant avec les avancées récentes de la science afin de
l'éclairer à la lumière des concepts actuels.
Essai de reformulation théosophiste
Les concepts philosophiques
nés dans la Grèce antique constituent encore aujourd'hui les bases de notre
civilisation occidentale. Le système de Platon, par exemple, synthétise
plusieurs doctrines comme celles de Socrate, d’Héraclite, de Parménide, et de
Pythagore. Il prétend que les êtres perpétuellement changeants qui peuplent
notre monde sont des copies impermanentes de modèles universels, fixes et
immuables, situés le Monde invisible des "Formes" ou des
"Idées", lesquelles existent par et en elles-mêmes. Les âmes les ont
aperçues, à l’origine, et en ont gardé réminiscence. Même prisonnières de corps
matériels impurs, les âmes éternelles peuvent reconnaître les pures
"Idées" dont elles ont souvenir, et elles désirent escalader le ciel
pour retourner les contempler. Citons aussi Démocrite qui pensait que la nature,
née du hasard et de la nécessité, était éternelle, incréée, et sans
finalité, et qui appela l’homme Microcosme. Puis s'établit un concept
assimilant l'être humain à un résumé complet du Cosmos, (Macrocosme),
avec une corrélation parfaite entre les parties. C'est le Microcosme des
Théosophes.
La métaphysique des
Théosophes, des Anthroposophes, et celle des Rose Croix de Max Heindel,
postulent qu'à l'origine, le "Grand Être", ou "Monade
universelle", différencie, en soi-même, non pas hors de soi-même,
des vagues de vie spirituelles, des légions successives d'esprits
inexpérimentés. Reflets du Grand Être, ces "monades"
individuelles peuvent accéder à la conscience de leur nature divine en
expérimentant la réalité. (Leibniz en fait des entités essentielles
individualisées "sans fenêtres", douées d'appétits,
de perceptions et de mémoire). Elles doivent traverser des
cycles cosmiques en commençant par s'incarner dans la matière dense. Pendant
cette "Involution", la monade accède à la conscience de soi et
élabore l'appareil de manifestation de son individualité. Lorsque le point bas,
le nadir de la matérialité, est atteint, la monade a complété son exploration
du Monde. Elle a pris conscience de sa véritable nature et la seconde période
commence. Cette "Évolution" nécessite un changement d'état. Elle
va lui permettre de remonter progressivement vers l'omniscience divine en
développant sa propre réalité.
Comme tous les initiateurs,
les Théosophes ont bâti des doctrines complexes pour communiquer leurs intuitions.
Ce n'est pas l'objet de cette étude qui porte sur les fondements. La Gnose
était à l'origine une façon de penser le Monde et s'accordait parfaitement avec
les religions. La persécution regroupa les Gnostiques, les amenant à formaliser
leurs convictions. Ils furent les premiers théologiens de la Chrétienté. Ils
enseignent encore que le moi spirituel humain (inconscient) est une partie
altérée de Dieu emprisonnée dans la matière. Mais l’Homme peut devenir
conscient de son essence divine. La révélation gnostique n'est pas acquise par
la raison mais donnée par un appel intérieur de l'Esprit. Elle énonce que
l'esprit humain s'incarne dans la chair, (involution), et y demeure tant qu'il
n'a pas compris sa nature véritable. Il remonte ensuite vers la divinité,
(évolution). D'autres concepts s'ajoutent. Le Monde résulterait de l'union des
contraires, tels l'Univers et le Néant, la Vie et la Mort, le Bien et le Mal,
le Positif et le Négatif, etc.. On retrouve ces fondements dans la pensée
gnostique.
Il est donc conséquent que
les Théosophes distinguent deux aspects antagonistes dans les fondements du
Monde, et que les groupes religieux qui en sont issus professent le dualisme de
la Création. Cependant, dans le cadre panthéiste général qui caractérise la
Gnose, il n'existe qu'une seule réalité ultime. C'est la perception humaine qui
en oppose les différentes manifestations. Au nadir de l'incarnation, la prise
de conscience doit faire disparaître ces oppositions illusoires. Avec
l'acquisition de l'intellect, l'Homme microcosmique semble approcher de ce point.
L'intellect permet de découvrir ce qui est caché à partir de ce qui est connu.
Dans l'expérimentation de la matière, il reste encore beaucoup de mystères. Ici
et dans cet essai, nous utiliserons l'intellect pour éclairer cet inconnu à la
lumière des concepts théosophistes gnostiques. On pourrait légitimement choisir
d'autres méthodes ou éclairages. Cependant, dans la recherche sincère de
l'unité de son être, le chercheur solitaire doit se libérer des à prioris
doctrinaux. Sa démarche doit donc aussi accepter d'intégrer intelligemment l'observable.
Évangile
de Marie-Madeleine - L'intellect
Pierre
dit à Marie: "Soeur, nous savons que le Maître t'a aimée différemment des
autres femmes. Dis-nous les paroles qu'Il t'a dites, dont tu te souviens et
dont nous n'avons pas la connaissance...".
Marie leur dit : "Ce qui ne vous a pas été
donné d'entendre, je vais vous le dire: j'ai eu une vision du Maître, et je Lui
ai dit: «Seigneur, je Te vois aujourd'hui dans cette apparition». II répondit : «Bienheureuse, toi qui ne te
troubles pas à ma vue. Là où est l'intellect, là est le trésor.» Alors, je Lui dis: «Seigneur, dans l'instant,
celui qui contemple Ton apparition, est-ce par l'âme qu'il voit ? Ou par
l'esprit ?». Le Maître répondit: Ni par l'âme ni par l'esprit ; mais l'intellect
étant entre les deux, c'est lui qui voit et c'est lui qui [...] (révèle ?)»
L'évangile de Marie-Madeleine, (1er texte du codex
de Berlin), est un texte gnostique des apocryphes du Nouveau Testament,
découvert en 1896 à Akhmin en Égypte dans une tombe chrétienne. Il est écrit
dans un dialecte copte et sa traduction ne s'est achevée que vers 1950.
Á l'origine, disent les Théosophes, le Grand Être (Dieu) différencie en
lui-même des vagues successives d'esprits vierges qui s'incarnent pour
expérimenter la matière. Dans cette l'involution, ils prennent conscience de
leur nature, véritable puis évoluent vers l'état divin. Dans le présent, ils en
sont à des degrés différents de réalisation, et certains commencent
l'involution quand d'autres ont terminé l'évolution. L'état du Monde et celui
de l'Homme reflètent cette situation. Les novices du chaos tentent de
construire les instruments adéquats, (les corps vivants). Les plus compétents
peuvent intervenir pour les aider. Ainsi en est-il également sous notre Soleil.
Á l'origine, des esprits y ont commencé l'exploration en transformant la
matière inerte en matière vivante. C'est dans le pouvoir de leur nature divine.
Les vivants ne sont pas les produits de la création, ils en sont les outils.
Mais les esprits organisateurs agissent avec les moyens et dans le champ qu'ils
maîtrisent. Dans l'involution, les moyens sont des corps dotés d'âmes, et le
champ d'action est la Force de vie dont
le grand moteur est le Désir.
Les corps animés sont donc les appareils biologiques, "les
véhicules", que les esprits construisent pour expérimenter la matière. En
ce qui concerne notre la vague de vie, lorsque la planète Terre a été
suffisamment refroidie, ce travail de construction a entrepris la production de
molécules auto-réplicantes. Ces éléments furent contenus dans des alvéoles
isolées évoluant en cellules fermées contenant des chromosomes indépendants
capables d'en mémoriser et d'en piloter la structure. L'ARN puis l'ADN furent
inventés. Les vivants appareils transformèrent la Terre, se multipliant en
épuisant les éléments naturels constitutifs des protéines. Stoppés sur le
chemin, les monades firent alors des choix terribles, inventant la gueule et
les membres, les dents et les griffes, la prédation et la mort. Puis vint la
conquête des eaux et de la terre, avec l'invention des poissons et des
batraciens, des reptiles et des dinosaures, des oiseaux et des mammifères, et celle
de l'Homme, la plus récente,
Fondamentalement, les activités, les comportements de tous ces êtres
sont établis sur une immense variété de peurs et de désirs
La Théosophie dit qu'en ce
monde, les monades construisent des véhicules pour explorer la matière. Ces appareils
biologiques sont les corps vivants. Ils sont progressivement perfectionnés
grâce à des moyens divers comme les lois de l'hérédité et de la sélection. Ce
travail est en cours depuis plus de deux milliards d'années, mais le temps n'a
pas de valeur. C'est une immense illusion. Le temps apparaît quand quelqu'un
regarde une pendule. Avant que la conscience naisse dans l'Homme, personne ne
regardait aucune pendule. Le temps est une perception de l'âme liée au
déploiement de la conscience. Il en est d'ailleurs atrocement de même de la
souffrance et de la mort. Le fauve ne se soucie pas de ce qu'il inflige à sa
proie. Il se procure simplement les protéines dont il a besoin. Mais dans l'âme
humaine, à notre niveau d'involution, un début de compassion commence à
apparaître. L'espèce reste cependant prédatrice, exploitant la chair animale et
la misère humaine. Bien des esprits, enfermés dans leur immaturité, demeurent
primitifs. Chez quelques autres, naît une faculté nouvelle.
CHAPITRE 10
Krishnamurti et
l’inconcevable »Othernesss »
Introduction
Jiddu Krishnamurti naquit en 1895 à
Madanapalle aux Indes anglaises dans une famille de la caste des brahmanes. Il
était le huitième enfant et reçut le nom de Krishnamurti signifiant en sanscrit
"la forme, ou la manifestation de Krisna". De de santé fragile, il
avait 10 ans quant mourut sa mère. En 1909, à 14 ans, à Adyar, avec son frère
Nityananda, il recontra C.W. Leadbeater un membre de la Société
théosophique, qui employait son père. Leadbeater prétendit avoir découvert que
la destinée du garçon était d'être sur terre le véhicule de
l’« instructeur du monde », le « Lord Maitreya » que les
Théosophes attendaient. Afin de réaliser ce projet, Leadbeater et d'Annie
Besant (qui dirigeaient à cette époque la Société Théosophique), obtinrent du
père que la garde légale des deux enfants leur soit confiée, et, pour
protéger son identité gardée secrète, Krisnamurti fut appelé
« Alcyone ». En 1911, Annie Besant emmena Krishnamurti et son frère à
Londres où il rencontra des personnes qui prirent en charge l'éducation et l'occidentalisation
des deux frères. Il aurait vécu en 1922, une expérience
« transformatrice » qu'il baptisa "the process" « le
processus » qu'il qualifia lui-même d'éveil spirituel, et qui semble avoir
changé sa vie. Il dit avoir alors ressenti une « Présence », une
« bénédiction », une « immensité », un « état
Autre » (Otherness) et un sens du « sacré » auxquels il fit
souvent référence en ces termes dans son enseignement, en particulier dans ses
« carnets » et qu'il évoqua tout au long de sa vie. En 1925, la
mort de son frère l'ébranla fortement, et il commença à contester les
directives reçues jusqu'à décider, en août 1929, de dissoudre l'organisation
mondiale, établie en 1913, pour le soutenir et qui avait été appelée
« l'Ordre de l'Étoile du Matin ». Il se mit alors à voyager à
travers le monde pour exposer avec un grand succès ses idées qui l'opposaient
aux religions et à tous les gourous. À partir de 1950, il vécut en partie à
Paris, et en 1953, son premier ouvrage y fut publié En 1980, il redéfinit
les grandes lignes de sa philosophie dans une déclaration connue sous le nom
« le cœur des enseignements ». Il affirma à son entourage que son
expérience intérieure, le fameux « processus », avait avait pris une
force nouvelle, que ce mouvement avait atteint la « source de toute
énergie » et qu'il ne restait en lui qu'«un espace incroyable et une
immense beauté ». En 1981, à la suite d'une grippe, il commença à
évoquer le thème de la mort dans ses écrits et ses conférences, mais continua à
donner environ 120 conférences par an jusqu'à sa mort. Son mode de vie était
austère et rigoureux, il ne fumait pas, ne buvait pas d'alcool ni de café et
faisait un exercice physique régulier. À 90 ans, il s’adressa aux Nations unies
au sujet de la paix et de la conscience et reçut la Médaille de Paix de
l'ONU pour l'année 1984. Son dernier entretien public eut lieu à Madras, en
Inde, en janvier 1986, peu de temps avant sa mort. Il avait demandé que
personne ne soit désigné ou ne se désigne comme son représentant, interprète ou
porte-parole et que ses résidences ne deviennent pas des lieux de
pèlerinage et qu'aucun culte ne soit développé à partir de son œuvre ou de sa
personne. Il mourut d'un cancer du pancréas, en février 1986, à Ojai, en
Californie.
Toute
autorité, disait Krisnamurti, particulièrement dans le domaine de la pensée,
est destructrice, et est une mauvaise chose.
Les leaders détruisent leurs adeptes et les adeptes détruisent les leaders.
Vous devez être votre propre enseignant et votre propre disciple.
Vous devez mettre en doute tout ce que l'homme a accepté comme valable ou
nécessaire.
Mais ayant réalisé que nous ne pouvions dépendre d'aucune autorité extérieure,
il reste l'immense difficulté à rejeter l'autorité intérieure de nos petites
opinions,
nos propres savoirs, nos idées et nos idéaux.
A cette
époque, il n'y avait ni radio ni télévision et les seuls médias de
communication utilisés étaient l'écrit et la parole. Les penseurs du moment
écrivaient abondemment et étaient beaucoup lus quoique étant souvent en
concurrence entre eux. Ils parcouraient le monde entier et donnaient de très
nombreuses conférences publiques très entendues. Leurs livres, encore
disponibles, font preuve d'un mode de pensée fort élaboré et précis,
caractéristique de cette civilisation de l'écrit, à l’opposé des conceptions
simplifiées et floues, liées à l'actuelle et superficielle civilisation de
l'image. La doctrine de la Société Théosophique d'Helena Blavatsky
s'appuyait sur les enseignements de la philosophie occulte des premiers Rose-Croix,
des philosophes médiévaux (qui s'appelaient aussi Théosophes), et sur l'étude
de la mystique indienne et des religions orientales. Un nouvel groupe, l'ordre
Kabbalistique de la Rose-Croix avait d'ailleurs été fondé en 1887, à Paris, par
le Marquis Stanislas de Guaita qui prônait un spiritualisme exaltant la
tradition chrétienne conduisant à l'avènement du royaume de Dieu. L'Ordre
réunissait des hommes actifs très connus, dont Péladan, cofondateur, et Papus
qui déclarait que ce courant rosicrucien synthétisait trois traditions, le
Gnosticisme, (Cathares, Vaudois, et Templiers dont dérivent les Maçons), les
moines catholiques, et enfin les divers initiés (Hermétistes, Alchimistes,
Kabbalistes). On trouvait parmi eux Debussy et Erik Satie (qui écrivit des Sonneries
des Rose-Croix pour accompagner le rituel). Guaita était aussi écrivain et
poète (Les Oiseaux de passage, 1881, La Muse noire, 1883, Rosa Mystica, 1885).
(La Rosa Mystica de Gaita est disponible à la Bibliothèque Universitaire de la
faculté de Lettres de Nancy 2, en édition originale). En 1890 Péladan créa le
Tiers Ordre de la Rose-Croix, une section catholique et mondaine qui
rassemblait cent soixante-dix artistes célèbres. Il organisa même des salons
qui attirèrent jusqu’à vingt-deux mille visiteurs. Stanislas de Guaita mourut à
36 ans, en 1897, mais, à la lecture des lignes précédentes, on peut juger de
l'intérêt que provoquaient alors ces diverses sociétés philosophiques.
Les
Théosophes travaillaient à la résolution du problème fondamental
" Comment peut-on s’élever à la connaissance des mondes
supérieurs ". Après le décès de Mme Blavatsky le 8_mai" 1891 à
Londres, la protectrice de Krisnamurti, Annie Besant, succéda au Colonel Olcott
à la tête de la Société théosophique de 1907 à 1933. Malgré les incidences
liées à la guerre de 14/18, elle donna au mouvement une réputation mondiale Sa
contribution à la lutte pour l'indépendance de l'Inde fut également
remarquable. La Théosophie élaborait alors une " Cosmologie
Anthroposophique ", fondée sur la prééminence de L’Homme Originel
dans la genèse de l'Univers. Dans cette théorie, l’Homme est bien plus qu'une
simple créature biologique car les Théosophes lui donnent une véritable
dimension divine. Ils l’associent au Logos créateur en lui attribuant une immense
importance cosmique. La Société Théosophique avait engagé une campagne
intensive destinée à promouvoir le futur "instructeur du monde" rôle
auquel elle préparait Krisnamurti. Leurs chefs avaient fondé «L’Ordre de
l’Etoile d’Orient», afin de regrouper tous les spiritualistes qui
attendaient la venue d’un grand Instructeur. Ils désignèrent Krishnamurti, qui
n'avait que 15 ans, comme Chef de l’Ordre. Un journal, «Le Journal de l’étoile»
devait informer les milliers de membres dans les différents pays du monde.
Le Journal de l'Etoile exposait comme suit la raison d’être de l’Ordre:
«Cet ordre a été fondé pour unir ceux qui - qu'ils soient ou non membres de la
S. T. - croient à la venue prochaine d'un grand Instructeur spirituel, qui
viendra aider l'humanité. L’on espère que ses membres pourront, sur le plan
physique, faire quelque chose pour préparer l'opinion publique à cette venue,
pour créer une atmosphère de sympathie et de révérence, et qu'ils pourront, sur
les plans supérieurs, s'unir afin de former un instrument dont Il pourra se
servir. L'Ordre fut fondé à Bénarès, Lieu de l’Illumination du Bouddha, le
11/01/1911, avec des administrateurs dans chaque pays.
Citation
d'une parole de Lord Bulwer-Lytton, (dans son roman Zanoni), par Helena Petrona
von Rottenstern Hahn, beaucoup plus connue sous son nom de femme, Mme
Blavatsky, dans son livre »Isis dévoilée, (1877).
Le
miroir de l’âme ne peut refléter en même temps
la terre et le ciel, et l’un s’efface
dés que l’autre s’y montre. (Zanoni).
L'évolution
de la Société déplaisait énormément à un membre éminent, Rudolf Steiner, au
point qu'il décida alors de la quitter et de créer son propre mouvement. C’est
à cette époque que Krishnamurti commença à tenir des conférences
publiques. Alors que les chefs de la Société Théosophique voyaient en lui
le futur Instructeur, capable de regrouper les différents courants spirituels
du monde et leurs adhérents dans un grand courant commun, Krishnamurti
affirmait sa propre personnalité. Il ne «s’opposait» pas aux idées des autres,
ni à l’éducation reçue, mais il n’acceptait rien remettant tout en question. Il
voyait avec lucidité les méfaits de la croyance aveugle et voulait déjà
découvrir par lui-même. Cependant, le 11 août, en l'absence de Krishnamurti,
tandis que le deuxième Camp de l'Étoile se tenait à Ommen, dans le vaste
domaine d'Eerde, Mme Besant fit une stupéfiante déclaration «Notre réunion, ce
matin, dit-elle, présente un caractère spécial qui n'a pas été prévu au moment
où le programme a été rédigé, avec cette différence qu'il n'y aura pas de
discussion... Cette réunion, vous ai-je dit, n'était pas prévue... Et
maintenant, par ordre du Roi (le Roi du Monde), j'ai à vous communiquer son
message et aussi quelques messages de N. S. Maitreya (le Christ) et de ses
Frères puissants (les Maîtres)... Ce qui est ici proclamé par moi, l'est donc
par ordre du Roi que je sers... etc..» Et elle annonça que le Grand Instructeur
allait enfin se manifester, qu'il avait définitivement élu Krishnamurti comme
véhicule et choisi ses douze apôtres. De son coté, Krishnamurti se détachait
progressivement de l'influence théosophique, mais, sans le dire clairement, il
a quand même laissé penser qu'il était l'Instructeur des Mondes, sans vraiment
le confirmer ni aussi le contredire ensuite. C’est seulement deux
ans plus tard, durant l’été 1929, au camp d'Ommen, qu'il prononça un mémorable
discours, dans lequel il déclara ne pas être le «Messie» attendu, puis
décida de dissoudre l'organisation mondiale établie en 1913 pour le soutenir, l'étonnant
« Ordre de l'Étoile du Matin ». Le dernier lien avec la société
théosophique fut rompu avec la mort d'Annie Besant, sa mère adoptive, en 1933.
Krishnamurti passa le reste de sa vie à faire des conférences où il exposait sa
vision personnelle de la spiritualité et de l'amélioration de soi.
LA DISSOLUTION DE L'ORDRE DE L'ÉTOILE,
UNE DÉCLARATION DE J. KRISHNAMURTI
Extrait du livre «Krishnamurti et l'unité humaine»:
Carlo SUARÈS, Editions Adyar – Paris, 1962
«Ce matin, nous allons discuter la
dissolution de l'Ordre de l'Étoile. Beaucoup vont être contents, d'autres en
seront affligés. Mais il ne s’agit pas ici de joie ni de tristesse, puisque
cette dissolution est inévitable, comme je vais vous le démontrer. La vérité
est un pays sans chemins, que l'on ne peut atteindre par aucune route, quelle
qu'elle soit: aucune religion, aucune secte. Tel est mon point de vue: et je le
maintiens d'une façon absolue et inconditionnelle. La vérité, étant illimitée,
inconditionnée, inapprochable par quelque sentier que ce soit, ne peut pas être
organisée. On ne devrait donc pas créer d'organisations qui incitent les hommes
à suivre un chemin particulier. Si vous comprenez bien cela dès le début, vous
verrez à quel point il est impossible d'organiser une croyance. Une croyance
est une question purement individuelle, et vous ne pouvez ni ne devez
l'organiser.»
«Qui
apporte la vérité?»
«Je ne veux pas de spectateurs,
Je ne veux pas de disciples,
Je ne veux ni louanges ni admiration d’aucune sorte…
Je veux être le compagnon,
non le maître.»
Rudolf
Steiner était un penseur autrichien né en 1861. Étudiant à Vienne, docteur en
philosophie et diplômé en diverses sciences, il admirait l’œuvre scientifique
de Goethe dont il inspira. (Il fonda ultérieurement le Goetheanum prés de Bâle).
Il voulait ouvrir un chemin de connaissance vers la spiritualité universelle,
la Gnose. Il dirigea un magazine littéraire, et fonda avec Marie de Rivers, un
journal Lucifer et Gnosis. Il publiait, inspiré par Goethe et par
l’hermétisme des Rose-Croix. La Société Théosophique de Berlin lui fit donner
des conférences et il y rencontra Annie Besant qui le nomma en 1905 secrétaire
général de la section allemande de l’association.
Steiner
affirmait que l’Homme, (Être spirituel), est plus ancien que tous les vivants
sur Terre. Il se serait détaché d’un être cosmique originel dont il conserve
pourtant une particule microcosme portant en elle l’univers dans sa totalité.
Steiner professait que les problèmes essentiels ne peuvent être résolus tant
que l’on demeure réfractaire à la connaissance des mondes suprasensibles. Il
acceptait de rénover le Christianisme aux sources du Bouddhisme, mais refusait
de suivre Annie Besant dans ses critiques de Jésus, ses convictions spirites,
et ses recherches des réincarnations hindoues du Christ et de Bouddha. Lorsque
Krisnamurti fut présenté comme cette réincarnation, Steiner se sépara des
Théosophes et fonda sa propre doctrine, l’Anthroposophie. L’Homme ordinaire
ayant perdu la connaissance de son rôle originel, cette connaissance,
l’Anthroposophie, doit l’aider à reprendre sa véritable place au sein du
Cosmos. Elle se propose de l’éduquer et de le guérir, d’harmoniser en lui
l’être matériel (ou corps physique), et l’être spirituel intérieur.
L’Anthroposophie voit dans le Christ le centre véritable de l’histoire
terrestre. Rudolf Steiner exerça une profonde influence par le rayonnement de
sa personnalité et l’enseignement de sa pensée qui fit de nombreux adeptes. La
doctrine eut des prolongements avec la fondation de plusieurs écoles.
Steiner
publia une centaine d’ouvrages et prononça plus de six mille conférences
écrites. Il professait l’existence d’un univers invisible et de mondes
suprasensibles, la réincarnation, l’existence de rythmes cosmiques auxquels
L’Homme est relié. Il enseignait l’expérience mystique permettant de retrouver
en soi la présence du divin. Selon ses théories occultistes, l’homme possède
trois natures, le corps physique, le corps astral, et l’esprit. Steiner
assurait que le corps astral dispose d’organes subtils, ou chakras, en forme de
roues ou de fleurs. La morale des adeptes actuels de la doctrine occulte de
Steiner repose encore sur les cinq principes essentiels qui sont la maîtrise
des pensées, le pouvoir sur les volitions, l’égalité d’âme devant le plaisir ou
la douleur, la positivité dans les jugements, l’absence de prévention dans les
conceptions de l’existence.
Processus et "Otherness"
En 1910, à
l'âge de 16 ans, Jiddhu Krishnamurti publie une première plaquette intitulée «Aux
pieds du Maître», signée Alcyone, et préfacée par Annie Besan. Les
enseignements qui s'y trouvent, dit-elle, lui furent donnés par son Maître,
lorsqu'il le préparait pour l'Initiation, .../...Cette œuvre d'Alcyone, est sa
première offrande au monde. Voici ce qu'on pouvait y lire. «Dans le monde
entier, il n'y a que deux sortes de gens: ceux qui ont la Connaissance et ceux
qui ne l'ont pas, et cette connaissance seule importe. La religion d'un homme,
sa race à laquelle il appartient, ce sont là des choses sans importance; ce qui
importe réellement c'est cette connaissance, la connaissance du plan de Dieu
relatif aux hommes. Car Dieu a un plan, et ce plan c'est l'évolution../...Si
cet homme est du côté de Dieu, il importe peu qu'il se dise hindou, bouddhiste,
chrétien ou mahométan, ou qu'il soit Indien, Anglais, Chinois ou Russe. Ceux
qui sont avec Dieu savent pourquoi ils s'y trouvent, ils savent ce qu'ils ont à
faire, et ils essayent de l'accomplir. Tous les autres ignorent encore ce
qu'ils devraient faire; aussi agissent-ils souvent en insensés.../... Ils
poursuivent l'illusoire au lieu du réel et, tant qu'ils n'ont pas appris à
distinguer ces deux choses, ils ne sont pas du côté de Dieu. Et c'est ainsi que
le discernement est le premier pas à faire. Cependant, même quand le choix
est fait, il faut te souvenir qu'il y a bien des variétés dans le réel et dans
l'illusoire et qu'il faut encore savoir distinguer le bien du mal, ce qui est
important de ce qui ne l'est pas, ce qui est utile de ce qui est inutile, ce
qui est vrai de ce qui est faux, ce qui est égoïste de ce qui est désintéressé.
Il ne devrait pas être difficile de choisir entre le bien et le mal, car ceux
qui veulent suivre le Maître sont déjà décidés à se rallier au bien, à tout
prix. Mais l'homme et son corps sont deux, et la volonté de l'homme n'est pas
toujours en accord avec les désirs du corps. Lorsque ton corps désire quelque
chose, arrête-toi et réfléchis; est-ce réellement toi qui as ce désir?» .../...
«Car tu es Dieu et tu ne veux que ce que Dieu veut; mais il faut que tu
descendes au plus profond de toi-même pour trouver Dieu en toi et que tu
écoutes Sa voix qui est ta voix.» .../... «Apprends à discerner le Dieu qui est
dans tous les êtres et dans toutes les choses, quelque mauvais qu'ils soient ou
paraissent être. ».../... «Dis-toi: «Ce que l'homme a fait, l'homme peut
le faire. Je suis un homme, mais je suis aussi le Dieu qui est dans l'homme; je
puis faire telle chose et je veux la faire».
Deux citations de J. KRISHNAMURTI relatives au
"processsus".
Extrait du livre «Carnets de Krishnamurti»: Trad.
française - Editions du Rocher - Paris - 1988.
Ojaï - le 29 juin - «Pression et tension
d'une douleur aigüe comme si une opérations se déroulait dans les profondeurs
du corps. Aucun acte de volonté personnelle, si subtil soit-il ne peut les
provoquer. Pendant un certain temps, on (J. K. ndlr) a apporté une
observation délibérée, approfondie. Après avoir essayé de la provoquer par
diverses conditions extérieures, la solitude par exemple, rien ne s'est
produit. Tout ceci n'est pas nouveau...».
Gstaad - 20 juillet - «Processus
particulièrement intense hier après -midi. En attente dans la voiture, perte de
conscience presque totale de ce qui se passait à l'extérieur. L'intensité
augmentant jusqu'à devenir presque insupportable, il fallut s'allonger.
Heureusement quelqu'un était présent...».
Un livre de
Marie Lutyens nous conte les derniers jours de Krinamurti ravagé par un cancer,
et qui déclarait : "Tant que ce corps est en vie... Je reste
l'Instructeur. K [c'est-à-dire lui-même] est ici, comme sur l'estrade... Je
reste à la tête de tout: des écoles, des Fondations... J'en suis toujours la
tête. Je veux que ce soit très, très clair. Tant que le corps est en vie, K est
ici. Je le sais parce que j'ai eu tout le temps des rêves merveilleux. - Non,
pas des rêves, ce qui vient, quoique cela puisse être." Il affirmait
encore : "Je leur disais ce matin - pendant soixante-dix ans, cette
super-énergie - non, cette immense énergie, cette immense intelligence s'est
servie de ce corps. Je ne crois pas que les gens se rendent compte de l'énergie
fantastique, de l'intelligence qui est passée par ce corps - un moteur de douze
cylindres. Pendant soixante-dix ans - ce qui fait pas mal de temps - et
maintenant, le corps n'en peut plus. Personne, à moins que le corps n'ait été
préparé avec beaucoup de soin, protégé et tout cela - personne ne peut
comprendre ce qui a traversé ce corps. Personne. Qu'ils ne prétendent pas le
contraire. Personne. Je le répète: personne, parmi nous ni dans le public, ne
sait ce qui s'est passé. Je sais qu'ils ne le savent pas. Et maintenant, après
soixante-dix ans, c'est arrivé à son terme. Mais pas cette intelligence, cette
énergie - d'une certaine manière, elle est là chaque jour et surtout la nuit.
Après soixante-dix années, le corps n'en supporte pas davantage. Il ne peut
pas. Les Indiens ont toutes ces fichues suppositions à ce sujet - que vous
irez, que le corps va - tout cela n'a pas de sens. Vous ne trouverez jamais un
corps comme celui-ci, ni cette suprême intelligence agissant dans un tel corps,
non, jamais plus, pendant des centaines d'années. Vous ne verrez plus jamais
cela. Quand il partira, cela s'en ira. Il ne reste aucune conscience après le
départ de cette conscience-là, de cet état-là. Ils prétendront tous, ou ils
essaieront d'imaginer qu'ils peuvent entrer en contact avec cela. Peut-être le
feront-ils, plus ou moins, s'ils vivent l'enseignement. Mais personne ne l'a
fait. Personne. Et voilà. C'est ainsi."Rappelons que les Théosophes
croyaient, en fait, que l'Instructeur serait une entité spirituelle qui serait
venu «adombrer» [= investir de sa présence] le corps de Jiddu Krishnamurti. Le
raapprochement des deux paragraphes montre bien Krishnamurti avait bien accepté
la mission d'Instructeur du Monde proposée par Charles Leadbeater,
et qu'en fonction de "l'Altérité" qui l'habitait, il la revendiquait,
qu'il en était fier et même jaloux . Ce qu'il a refusé en dissolvant l'Ordre de
l'Etoile, c'est la forme institutionnelle et quasi religieuse que les Théosophes
entendaient donner à cette action.
Deux citations de J. KRISHNAMURTI relatives à
"l'Otherness"
Extrait du livre «Carnets de Krishnamurti»: Trad.
française - Editions du Rocher - Paris - 1988.
Gstaad le 20. «Éveillé tôt ce matin, pour
vivre cette bénédiction. Le corps fut contraint de s'assoir devant cette
clarté, cette beauté. Plus tard dans la matinée, assis sur un banc au bord de
la route, elle se fit sentir dans son immensité».
Gstaad le 23. «Aujourd'hui, éveil très
matinal accompagné d'une sensation d'immense puissance, de beauté,
d'incorruptibilité. C'était une perception immédiate et non le produit d'une
expérience antérieure.../... conscience d'une présence absolument pure en
laquelle il ne pourrait rien exister qui puisse se détériorer. Son immensité
dépassait la compréhension cérébrale ou le souvenir.. L'expérience d'un tel
état est d'une immense importance. Il était là, illimité, intouchable,
impénétrable».
Il me semble
qu'intimement convaincu d'être effectivement investi de cette mission
d'instructeur (du Monde ?), et , quoiqu'il se défendit constamment
d'être un maître à penser ou un "gourou", Krishnamurti
entreprit donc de diffuser mondialement sa pensée telle qu'il la résuma plus
tard dans son texte de 1980 « Le cœur des enseignements ». Dans ce
court exposé fondé sur une citation propre de 1929, il affirmait que
« la Vérité est un pays sans chemins ». "L'acquisition de cette
« vérité » (qu'il appelait aussi « l'art de voir »),
disait-il, ne peut se faire au travers d'aucune organisation, d'aucun
crédo, d'aucun dogme, prêtre ou rituel, ni à travers aucune philosophie ou une
quelconque technique psychologique". Krishnamurti se disait aussi
libre de toute nationalité (comme de toute culture ou religion) parce que selon
lui, l'attachement à la nationalité, à une culture ou à une religion provoque
la séparation qui est à son tour à l'origine des conflits, et affirmait
nettement l'inanité de tous les dogmes et de toutes les doctrines. Il exprima
ces convictions de façon récurrente tout le long de sa vie et dans tous ses
ouvrages, conférences et dialogues. Pour bien marquer que c'était en fonction
de cette mission et non pas à titre personnel qu'il s'exprimait, lorsqu'il
avança en âge, il donnait le plus souvent son avis en parlant de lui même à la
troisième personne. (Il disait par exemple, "le conférencier' pense
ceci... et non pas "Je" pense). On trouve un autre aspect fort
important dans l'œuvre de Krisnamurti, tout particulièrement dans ses
"Carnets" écrits en 1961. Il y évoque la présence en lui même d'une
entité qu'il appelle "Otherness", un terme parfois traduit en
français par "Altérité", traduction à mon avis imparfaite parce
qu'elle n'évoque pas assez le caractère étrange de la chose, au sens propre d'étranger
au connu. Cette "Étrangeté" qu'il appelait aussi
"Immensité" ou même "Bénédiction" l'envahissait fréquemment
en s'accroissant constamment. Elle serait apparue en même temps mais
indépendamment d'un autre état qu'il nommait Processus", à la fois phénomène
physiologique et expérience spirituelle, vécu pour la première fois en 1922,
puis périodiquement subi pendant quarante ans, en fréquente corrélation avec
"l'Otherness", et généralement accompagné de douleurs aigües et
persistantes dans la tête et le dos, affection qui contrairement à l'autre
diminua d'intensité avec le temps.
Citation de J. KRISHNAMURTI relative à
"l'Otherness"
Extrait du livre «Carnets de Krishnamurti»: Trad.
française - Editions du Rocher - Paris - 1988.
Gstaad le 18. «Le "processus" s'est
maintenu pendant la plus grande partie de la nuit, assez intensément. Quelle
résistance le corps ! Tout l'organisme était secoué: réveil ce matin avec
des tremblements de tête. Ce matin, la chambre était emplie de ce sacré
si étrange. Doué d'un grand pouvoir pénétrant, il emplissait chaque recoin de
l'être, nettoyant et transformant tout en sa propre substance. L'autre personne l'a aussi ressenti. C'est la
chose que chaque être désire le plus au monde, mais elle lui échappe du fait de
ce même désir. Dans cette quête, le moine, le prêtre, le sanyasi, torturent
leur corps et leur esprit, mais ce sacré leur échappe, car il ne peut être
acheté. Le sacrifice, la vertu non plus que la prière, ne peuvent susciter cet
amour. Cette vie, cet amour, ne peuvent exister par le moyen de la mort. Toute
recherche, toute quête doivent cesser, totalement. La vérité ne peut être
exacte, car ce qui est mesurable n'est point vérité. Seul ce qui n'est pas
vivant est mesurable, sa hauteur peut être trouvée.».
La
corrélation semble assez évidente entre, d'une part le phénomène physiologique,
que Krishnamurti appelle "Processus", et d'autre part
"l'Otherness", cette manifestation (pour ne pas dire cette
"possession"), d'une entité étrangère à sa personnalité. Quoique
les deux états aient été parfois ressentis de façon distincte, à des moments
différents, il semble que les douloureux épisodes de processus aient eu le plus
souvent pour effet de préparer son cerveau à la manifestation imminente
de ce qu'il appelait une immensité bénie. On peut supposer que Krishnamurti
supportait patiemment cette pénible préparation parce qu'il attendait la
bénédiction qu'elle annonçait. Il n'est pourtant pas possible de dire que l'une
ou l'autre aient été nécessaires, conjointes ou séparées, dans l'élaboration de
l'œuvre qu'il nous a laissée, ou qu'elles en soient la cause ou
l'explication. C'est cette œuvre, étonnante en elle même, que nous allons
maintenant étudier. Cependant, auparavant quelques questions peuvent être
néanmoins posées.
Rappelons par
exemple, qu'en dépit de l'immense intérêt de son enseignement, il a semblé
acquis que Krishnamurti était intimement convaincu d'être effectivement investi
d'une grandiose mission d'instructeur (du Monde ?). Comment a-t-il pu
réagir en apprenant que ce personnage si hautement prédestiné allait banalement
mourir d'un simple cancer du pancréas. Par ailleurs, nous savons qu'il
conseillait constamment à ses interlocuteurs de prendre une conscience claire
de la fragmentation de leur intellect qui constituait, à ses yeux, le principal
obstacle à l'épanouissement de leur personnalité profonde. Mais, on a pu
imaginer que cette étrange "Otherness" qui l'habitait pouvait être un
fragment inconscient de sa propre pensée. Et si elle ne l'était pas, si elle
était effectivement une entité bénie étrangère à ce monde dans lequel nous
résidons aussi, quelle pouvait être la nature de cette "immensité",
et qu'est elle devenue lorsque son "véhicule terrestre" a cessé de
vivre.
La fragmentation de l'esprit
Le cerveau, dit
Krishnamurti, est constamment en activité et produit continuellement la pensée.
Et cette pensée est une activité fort mobile, qui passe sans cesse d'un
objet à un autre comme on peut le constater en observant attentivement son
fonctionnement. La mobilité de la pensée est à l'origine d'une fragmentation
extrême de la personnalité. Et chacun de ces fragments peut, à un instant donné
et en fonction des circonstances, manifester son autorité propre en limitant
notre liberté de comportement. Si l'on veut accéder à la véritable liberté, il
est donc très important de comprendre comment le cerveau construit la pensée
puisque, en effet, la liberté implique l'extirpation complète de toute autorité
intérieure. Cette liberté, dit Krishnamurti, va de pair avec la discipline et
il précise qu'il utilise ce mot dans son acception étymologique.
En effet, l'origine vient du
latin disciplina, dérivé de discipulus (« disciple »),
lui-même dérivé de discere (« apprendre »). Il s'agit donc ici
de l'attitude mentale qui permet d'apprendre et non pas de l'état d'esprit qui
suit par contrainte un certain modèle d'action conforme à une idéologie ou une
croyance. « L'esprit qui observe, qui apprend, voyant directement "ce
qui est", n'interprète pas "ce qui est" selon son désir, ou son
conditionnement ». Dans son sens ordinaire, « se discipliner» implique
qu'il existe une entité qui se conforme à un modèle. C'est un processus
dualiste qui implique la volonté pour contrôler la conduite en s'opposant à
l'action actuelle. Un tel état, dit Krihsnamuti, produit un conflit qui
engendre la souffrance. « La discipline imposée par les parents, la
société, les religions, signifie "conformisme" et entraîne la
révolte. La véritable discipline (discere) consiste à connaître et non à
se conformer ». « Prenons donc conscience de notre conditionnement intérieur,
du résultat de l'autorité, du conformisme à un modèle, à la tradition, à la
propagande, à ce que d'autres ont pu dire, à notre propre expérience accumulée
ou à celle de notre race ou de notre famille. Là où il y a autorité, l'esprit
n'est jamais libre de découvrir ce qu'il y a à découvrir, quelque chose
d'intemporel, de totalement neuf ». « Mais peut-on découvrit si l'on est
réellement affranchi de toute autorité. cela exige une très grande lucidité. De
cette clarté jaillit une action qui n'est pas fragmentaire, qui n'est
divisée ni religieusement ni politiquement, une action totale ».
Citations de J. KRISHNAMURTI relatives à la
nature de la pensée.
Extrait du livre «L'Impossible Question»
Traduction française -
9 août 1970 - « Il y a un état intemporel et
par conséquent infiniment vaste. C'est une chose merveilleuse si vous la
trouvez. Je pourrais poursuivre mais la description n'est pas la chose décrite.
Il vous reste à apprendre tout ceci en vous observant vous-même. Aucun
livre, aucun instructeur ne peut vous aider. Ne dépendez de personne, ne
recherchez pas les organisations spirituelles, il faut apprendre tout ceci par
soi-même. Alors l'esprit pourra découvrir des choses incroyables. Mais pour
cela, il faut que n'existe plus aucune fragmentation.../.. Pour un tel esprit,
il n'y a plus de temps, et tout le concept de la vie et de la mort prend un
sens tout à fait différent ».
21 juillet 1970 - « Quand vous vous trouvez
devant un danger immédiat, il y a une action instantanée. Votre action n'est
alors ni graduelle ni analytique, elle est immédiate et totale. Quand vous
voyez le danger de l'analyse, de la soif de puissance, de la remise au
lendemain, de toutes ces fragmentations, quand vous voyez ce danger, non
pas seulement verbalement mais véritablement, physiquement et
psychologiquement, alors il y a une action immédiate et totale, celle d'une
révolution instantanée».
Un être humain, dit
Krishnamurti, dans l'acception habituelle du terme, n'est pas un "individu",
car le mot "individu" signifie "indivisible". L'individu
est celui qui n'admet aucune division intérieure, qui est non fragmenté, qui
est entier, sain, équilibré. "Entier" dans ce sens signifie aussi
"sacré". Depuis notre naissance jusqu'à notre mort, nous sommes
toujours, d'une certaine façon, en état de lutte, en conflit. Dans nos rapports
extérieurs, mais aussi intérieurement, il y a toujours tension et affrontement.
Chacun recherche son propre plaisir ou poursuit sa propre ambition, son propre
accomplissement, et cela constitue le Monde. En fait, ce que nous appelons
vivre est un chaos conflictuel constant au sein duquel nous voudrions être
créateurs. Aucune beauté ne peut résulter d'un conflit. Nous voudrions analyser
les causes de ces conflits mais l'analyse n'est jamais complète. L'analyse
implique toujours la division (au moins entre l'analyseur et la chose
analysée). Elle aboutit à la mise en évidence de nombreux fragments, et
l'analyseur devient un censeur. Est-il possible d'observer les choses sans le
moi, sans le censeur, sans juger ni comparer, sans rapport avec le passé et
l'accumulation de souffrances et de passions qui constituent ce moi qui,
toujours, se tient en arrière plan. Il est assez facile d'observer le monde de
cette façon, mais arriverons-nous à nous regarder nous-mêmes avec le même
détachement, la même objectivité, en totale abstraction de l'observateur
intérieur. Krishnamurti affirme que l'on peut alors découvrir qu'il est
possible de vivre sans aucun conflit. Si l'on comprend que le conflit est causé
par la division entre l'observateur et la chose observée, on réalise alors une
immense révolution intérieure, et cette seule et unique révolution entraîne une
toute autre manière de vivre. De plus, nous ne pouvons pas nous dissocier
du Monde, car nous somment conditionnés par notre culture, notre éducation,
l'économie du monde, ses conflits religieux et ses guerres. Certains, les
moines par exemple, ont essayé de s'en retirer mais ils demeurent
néanmoins le résultat du monde. Nous ne pouvons pas nous isoler du Monde car
nous ne vivons pas seulement dans le Monde, en fait, nous sommes le Monde. La
véritable question est : Pouvons nous vivre dans ce Monde sans qu'il y ait
toutes ces divisions et ces luttes de pouvoir absurdes ?
Citation de J. KRISHNAMURTI relatives à
"la liberté de l'esprit"
Extrait du livre «Carnets»: Traduction
française - Marie Bertrande Marauger
23 janvier 1962 - Delhi. Inde - « Le passé et
l’inconnu ne peuvent se rencontrer. Aucun acte, quel qu’il soit, ne peut les
rassembler. Aucun pont ne les relie, aucun chemin n’y conduit. Ils ne se sont
jamais rejoints et ne se joindront jamais. Le passé doit cesser pour que puisse
être cet inconnaissable, cette immensité ».
L'esprit, le
cerveau humain, cherche à résoudre les problèmes auxquels il est
confronté comme si ils n'avaient aucun rapport les uns avec les autres.
La pensée, par sa nature, par sa structure traite toujours séparément des
fragments isolés tels que le "moi", le "mien",
"nous","eux", la religion, la politique
et autres choses. Donc, en nous servant de la pensée, nous n'obtiendrons jamais
qu'une réponse partielle qui n'engendrera que confusion et souffrances
nouvelles. L'observateur est le penseur. La pensée peut se séparer d'elle même
sous forme de penseur et d'expérimentateur, et même se scinder en soi
supérieur, (l'atman ou l'âme p. ex.), et moi inférieur. Cela reste
la pensée. Elle est la réactivation des souvenirs accumulés dans la mémoire
concernant des expériences vécues, qu'elles soient les nôtres ou communes à
l'humanité. La pensée n'est donc qu'un rappel du passé. Elle peut modeler le
présent ou se projeter dans l'avenir pour imaginer le futur, elle le fait
toujours en partant du passé où elle a ses racines. La vérité de l'être
n'est pas un objet d'expérimentation pour la pensée car la vérité est
hors du temps. La pensée dont le temps est la substance ne peut ni la
rechercher ni la saisir. Le cerveau est en activité constante et puise
dans la mémoire du passé pour construire la pensée dans le présent. Pour cela
le cerveau a besoin d'ordre et il réordonne continument la mémoire même s'il
doit reconstruire les souvenirs pour les rendre tolérables.
Les rêves de
la nuit servent surtout à cela. La pensée s'organise autour d'un centre qui est
un assemblage de souvenirs. Ce centre, c'est la conscience. Cette
conscience, "le Moi" s'efforce de se dilater en s'identifiant
à toutes sortes d'idéaux, (la nation, la famille, la culture, la religion,
et..). Il y donc a un espace intérieur limité où se meut la conscience, et une
espace extérieur auquel elle tente d'accéder. Cependant, quelles que soient les
limites nouvelles, elles demeurent des limites, et le centre y reste toujours
enfermé. Tant qu'il existe un centre, l'observateur, le penseur, quoiqu'il
tente pour élargir son champ de conscience, reste dans sa prison. Nous vivons
dans cette prison, nous pouvons la rendre plus vaste mais elle reste une
prison. Il faudrait donc arrêter cette constante activité du cerveau pour
neutraliser le centre et approcher la vérité.
La Méditation, la Peur et le Désir
Pour arrêter la pensée, la méditation dans l'acception habituelle
du terme n'est d'aucun secours car elle ne fait que renforcer le centre
en analysant et contrôlant la pensée et en l'orientant sur des thèmes convenus.
« La véritable méditation, dit Krishnamurti, est l'une des choses les plus
importantes de la vie. Pour découvrir ce qu'est cette méditation
véritable, il est nécessaire d'absolument s'affranchir de toute
concentration et de toute autorité psychologique. Lorsqu'il y a un centre à
partir duquel on regarde les choses, l'espace est extrêmement limité, mais sans
ce centre, dit-il, sans le "moi" tel que la pensée le
construit en permanence, il y a un espace immense. Sans cet espace, il n'y a pas
d'ordre, pas de clarté, pas de compassion. La concentration suppose toujours
une résistance, et donc l'effort et la division, car se concentrer
implique de diriger l'énergie vers un objectif particulier. Lorsque l'on
se concentre, on rejette toutes les pensées incidentes. On se place donc hen
position de résistance. La conscience véritablement libérée ne demande pas
d'effort et n'exerce aucun choix. Elle consiste simplement à être pleinement
conscient de ce que l'on observe. Observer de cette façon, sans être
l'observateur/censeur, permet d'obtenir la "vision pénétrante", c'est
à dire l'intelligence qui se sensibilise à la réalité des choses. Dans
l'état de conscience claire qui est la base de la véritable méditation, on ne
privilégie aucune pensée, il n'y a pas de concentration, et l'on est simplement
totalement conscient de la chose observée. Cette conscience totale engendre
"l'attention véritable". Quand on est profondément et authentiquement
attentif à quelque chose, il n'y a plus de centre, plus de "moi".
La conscience est vidée de son contenu et libérée de l'emprise du passé. La
méditation est une qualité d'attention dans laquelle nul enregistrement
n'intervient. Un tel état d'esprit apporte un silence absolu parce que la
pensée a momentanément pris fin. Le temps est aboli et il y a un mouvement
silencieux d'une nature entièrement nouvelle. La religion prend alors un sens
complètement différent. Ce que l'on appelle religion, y compris les croyance,
les espoirs, le désir de sécurité promise dans l'au delà, etc... tout cela
résulte de la pensée.. .Ce n'est pas vraiment de la religion, ce n'est que le
mouvement de la pensée... La véritable religion n'est possible qu'en échappant
au bruissement constant de la pensée, car ce qui est saint, ce qui est sacré,
ce qui est vérité exige le silence complet, celui qui apparait quand le cerveau
lui même a remis la pensée à sa juste place... Et, issu de ce silence immense,
il y a ce qui est sacré ».
CitationS
de J. KRISHNAMURTI
relatives à la méditation
Extrait du livre
«Plénitude de la vie» : Traduction française par Colette Joyeux
- « Une des composantes de la méditation est
l'élimination totale de tout conflit, intérieur et extérieur. Pour éliminer le
conflit, il faut comprendre ce principe de base que, psychologiquement,
l'observateur n'est autre chose que la chose observée... Quand il n'y a pas de
division entre l'observateur et l'observé, il ne reste que la chose qui
est ».
- « Le silence a besoin d'espace,
d'espace dans la totalité de la structure de la conscience. Il n'y a pas
d'espace dans la structure de notre conscience, telle qu'elle est parce qu'elle
est peuplée de peurs envahissantes ... Quand vient le silence, il y a l'espace
intemporel immense ; c'est alors seulement qu'il devient possible d'approcher
ce qui est l'éternel, le sacré ».
Pour
apprendre, nous comprenons que le cerveau doit être libéré du passé, mais nous
vivons continuellement dans ce rappel du passé qui constitue la pensée. Nous
constatons cette contradiction et nous avons peur de la dépasser. Nous voyons
et nous avons peur de voir. Nous nous raccrochons au passé parce que la vie
change constamment. Nous ne nous sentons pas en sécurité dans ce changement
continuel et l'activité de la pensée engendre alors la peur. Nous avons tous
bien des raisons d'avoir peur, peur de la mort inévitable, ou d'une douleur à
venir, peur de la violence menaçante ou de la misère inquiétante ou peur de
voir révélé un secret ou un incident fâcheux. La peur est causée par la pensée
qui évoque un évènement passé ou imagine qu'il puisse se reproduire dans
l'avenir. Nous avons souffert et nous craignons de voir revenir la douleur. Il
y a aussi des peurs inconscientes qui jouent dans notre vie un rôle bien plus
important encore que les peurs apparentes. Évidemment nous voudrions réprimer
ces peurs ou nous en évader, ce qui engendre un conflit. Nous faisons appel à
la volonté pour nous y opposer ou y mettre fin par un mouvement contraint de la
pensée. En tentant de fuir la peur, on ne fait alors que l'augmenter, car ce
mouvement de la pensée ne peut aboutir qu'à quelque chose encore issu d'elle
même. Peut-on mettre fin à cette activité de la pensée qui donne naissance à la
peur, non pas à une seule peur mais à ces peurs innombrables qui hantent la vie
des hommes. Peut-on y mettre fin naturellement, aisément, sans effort. Il n'est
pas possible de répondre avant d'avoir attentivement examiné la recherche que
nous faisons tous du plaisir, parce que le plaisir va de pair avec la peur. La
moralité sociale repose sur le plaisir par son immoralité même. Nous pouvons
craindre d'être privés du plaisir. Beaucoup d'idéologies et de religions
prétendent qu'il faut soigneusement s'en garder, c'est une absurdité
totale, mais nous ne pouvons cependant vivre une vie de plaisir en étant quitte
de la peur. Et si le plaisir escompté nous est refusé, nous sommes frustrés et
mécontents, donc en souffrance. Le plaisir et la peur dépendent réciproquement
l'une de l'autre, ce sont les deux faces de la même pièce. Sans cesse, la
pensée recherche, maintient ou évite la peur. Elle produit aussi le plaisir
donnant des aliments à ce qui lui a été agréable. En comprenant le mouvement de
pensée lié au plaisir, nous allons aussi comprendre la joie qui est bien autre chose.
Citations de J.
KRISHNAMURTI
relatives à la peur et au plaisir
Extrait du livre «L'impossible question»: 26 juillet 1970 - « Pour la plupart d'entre
nous, la peur est une compagne constante. Que l'on en soit conscient ou non,
elle est là, dissimulée dans quelque sombre recoin de l'esprit, et nous nous
demandons s'il est possible pour l'esprit d'être entièrement et totalement
libéré de ce fardeau... Un sentiment de peur engendre toutes sortes d'activités
malfaisantes, non seulement psychologiquement et nerveusement, mais encore
extérieurement. Alors surgit tout le problème de la sécurité, physique autant
que psychologique.
Extrait du livre « L'éveil de l'intelligence
» - 4 août 1971 - « Je
suis tout le contenu de mon propre esprit, ce contenu c'est ma conscience. Ce
contenu c'est l'expérience, le savoir, la tradition, l'éducation, le père
angoissé, la mère harassante... Tout cela, c'est le contenu qui fait le
"moi". Ai-je bien conscience de ce contenu, et sinon, que vais-je
faire ?...Si nous ne pouvons pas connaître le contenu de notre conscience,
comment pouvons nous dire "j'ai raison" ou "j'ai tort",
"ceci est bon" ou "cela est mal". ».
Il faut bien saisir
la différence qui existe entre la perception intelligente d'un danger immédiat
et l'action de la peur engendrée par une pensée issue de la mémoire. Face au
danger imminent, l'intelligence réagit instantanément par une action
appropriée, l'affrontement, l'évitement ou la fuite, par exemple. L'agent actif
est alors l'intelligence, non plus la peur. Quand survient une peur, observons
bien s'il s'agit d'une peur réelle signalant un vrai danger ou si c'est une
pensée projetant un contenu de la mémoire. Il est indispensable d'avoir de la
mémoire, mais quand la pensée en use pour provoquer la peur, la situation est
toute autre. Notre esprit est attaché au passé, nous dépendons toujours de
quelque chose que nous ne voulons pas voir cesser, d'un proche, d'un conjoint,
d'une famille d'une maison, d'une croyance, d'un dieu, d'un groupe, d'un pays,
voire parfois d'une drogue ou d'une boisson. Nous ne voulons pas perdre tout
cela. Nous en sommes dépendants. Nous sommes ce que nous possédons. Toutes ces
dépendances servent à remplir le vide immense qui est en nous. Nous avons donc
peur, peur de le découvrir, d'être seul, et nous remplissons ce vide, cette
solitude, avec des objets plaisants, des idées, des personnes, des habitudes ou
des croyances. Mais, quand nous percevons réellement la vérité de ce vide
immense en nous mêmes, la peur de ce vide surgit avec violence. Une partie de
l'esprit prend conscience qu'une autre partie de lui même souffre, de la
solitude en particulier. C'est à dire qu'il y a une division, une
fragmentation, et tant qu'elle perdurera, il y aura une réaction d'évasion.
L'esprit se plait à fonctionner dans des habitudes, il s'y sent en sécurité.
Mais il n'y a pas de sécurité ni de permanence pour aucun vivant dans le monde,
sauf pour un temps relatif. Or, nous sommes le monde, et il n'y donc absolument
pas de sécurité psychologique pour nous. Nous tentons de la trouver au sein d'un
groupe ou d'une communauté, dans une nationalité une idéologie ou une religion.
Mais, en voyant cela d'une façon claire et lucide, nous nous pouvons discerner
le caractère fallacieux de ces divisions et nous prendre à douter. C'est que
notre intelligence perçoit le fait que tous ces efforts sont des inventions de
la pensée qui n'amènent que des divisions dont elles forment elles mêmes toute
la substance. Cette intelligence active se révèle alors être la source d'une
complète et totale sécurité.
Citations de J. KRISHNAMURTI
relatives à la liberté
Extrait du livre « L'impossible question » - 4 août 1970 -
« Il y a des attachements psychologiques
superficiels et il en est qui se dissimulent dans les couches les plus
profondes de notre être. Demandons nous dans quelle mesure et à quelle
profondeur nous sommes attachés à telle tradition dans les recoins les plus
cachés de notre esprit...Comprenons que faute d'être libérés de tout ceci, nous
serons toujours en proie à la peur, et qu'un esprit apeuré est incapable de
voir les choses comme elles sont, pour enfin les transcender. ».
Extrait du livre « L'éveil
de l'intelligence »
- 14 janvier 1968 –
« Je ne sais pas si vous avez fait cette
expérience avec vous-mêmes : prenez un bâton, mettez le sur votre cheminée et,
tous les jours, faites lui cadeau d'une fleur et répétez n'importe quoi:
"Coca Cola", "Amen", "Om", n'importe quel mot
fera l'affaire. Si vous le faites, au bout d'un mois vous allez voir combien ce
bâton est devenu sacré. Vous vous êtes identifiés à ce bâton, cette pierre ou
ce fragment d'idée, et vous en avez fait quelque chose de saint, de sacré. Mais
il ne l'est pas... L'image du temple n'est pas plus sainte que le bâton ou le
rocher au bord de la route. Il est donc très important de découvrir ce qui est
véritablement sacré et si cela existe. ».
Faute de
résoudre ce problème de la peur et du plaisir, la souffrance est inévitable,
pas seulement la nôtre mais celle du Monde. Savons-nous ce qu'est la douleur du
Monde ? Non pas extérieurement, toutes ces guerres, ces crimes et méfaits en
tous genres, mais intérieurement, l'immense solitude de l'homme, les grandes
frustrations, le manque général d'amour. Face à ce problème crucial, nous
sommes sans réponse. L'esprit qui s'est penché avec intensité sur la complexité
du problème a cependant perçu comment la pensée entretient la peur en même
temps que le plaisir. Il ne dit plus qu'il faut mettre fin à la peur et au
plaisir, il est devenu plus sensitif et plus intelligent. Krishnamurti disait
qu'il y a dans le cerveau un extraordinaire faiseur d'images qui peut
représenter à peu près n'importe quoi, aussi bien concernant les
représentations du réel que celles du domaine que nous appelons
"l'imaginaire", comme les idéologies ou les religions. Par "images",
il faut évidemment comprendre des constructions mentales figurant le sujet
concerné. Le cerveau construit en permanence ces "images" en fonction
de nos craintes ou de nos espoirs, et l'esprit les utilise selon les
circonstances. Ces constructions mentales remplacent l'observation attentive
d'un sujet par le rappel d'un ensemble mémorisé dans le passé. Elles alimentent
la pensée en flux continu ce qui économise beaucoup de temps et d'effort. Mais
ces images sont souvent figées et rarement objectives. Celles que nous avons de
nous mêmes où des choses que nous aimons sont généralement fortement magnifiées
et celles des autres bien moins positives. Au fil des rencontres ou des
circonstances, certaines représentations peuvent être dégradées, (Krishnamurti
dit "blessées"). Cela engendre des frustrations et parfois une grande
souffrance. Nous craignons donc le retour éventuel de cette souffrance. Cela
gouvernera notre futur comportement en évitant d'en évoquer les causes ou même
en les refoulant hors du champ du conscient. L'usage mécanique des images
mémorisées dont l'ego est le centre altère souvent nos jugements et les
relations que nous engageons avec autrui, or la qualité de cette relation
constitue le fondement même non pas du plaisir mais de la joie véritable.
L'amour, la compassion, le chagrin,
la mort.
Krishnamurti
a une approche intéressante de l'amour. L'amour est-il le plaisir dont il dit
qu'il est le prolongement d'un incident porté par un mouvement de le pensée.
L'amour est-il le rappel de souvenirs liés au passé ? L'amour est-il lié à la
sexualité ? L'amour est-il l'attachement à une personne ? Si l'amour est cela
d'une façon quelconque, il est relié au passé et passe le renforcement du moi.
c'est mon plaisir, mes souvenirs, ma femme, mon mari, ma maison, mon bien,
etc.. non pas le vôtre. Alors, l'amour ne serait que le plaisir que l'on retire
de cette possession, né du désir. Ce genre d'amour n'est pas l'amour dont nous
voulons parler. L'amour véritable est un état d'esprit qui n'est pas lié au
souvenir, C'est quelque chose d'immédiat mais il semble qu'il puisse être
parfois relié à la souffrance. Il nous faut donc examiner quelle est la nature
de cette relation de l'amour à la souffrance. L'amour serait-il une élaboration
de la pensée et quelle place tient la pensée dans cette relation de l'amour à
la souffrance ? Si l'amour n'est pas le fait de la pensée, l'action que dicte
l'amour est différente de l'action dictée par la souffrance. En avoir la vision
pénétrante permet de vérifier que l'on ne fuit pas, qu'on n'a pas besoin de
consolation, qu'on n'a pas peur d'être seul ou isolé, ce qui signifie qu'on a
l'esprit libre et vacant. La souffrance en tant qu'expression du moi disparait
alors, et l'on découvre qu'il est possible d'aimer sans l'ombre d'une souffrance.
La pensée n'est pas l'amour. La pensée n'est pas non plus la compassion car la
compassion n'est jamais le produit de la pensée. Elle est l'intelligence qui,
lorsqu'elle se met en œuvre, agit et il n'y a plus désormais dans cette action
que la perception du mouvement intemporel. Et c'est bien cela, l'amour
véritable. Il est dans l'instant présent et non dans le souvenir de l'amour
passé, ou dans l'espoir de l'amour futur, car c'est un état d'esprit
complètement étranger au temps. L'amour, ce sentiment prodigieux, n'appartient
absolument pas au temps. L'amour est toujours neuf, toujours nouveau. L'amour
apporte la joie et le bonheur. Lorsqu'on a cette qualité d'amour
extraordinaire, sachons que, dans cette qualité même, réside l'intelligence
suprême. Alors, ce n'est plus nous-mêmes, c'est cette intelligence
cosmique qui agit dans la relation à autrui, et c'est une modification
fondamentale au sein de la société monstrueuse que nous avons bâtie.
Citations de J. KRISHNAMURTI
relatives à l'amour et à la mort
Extraites du livre « Plénitude la vie »
« L'amour est la passion, qui est compassion. Sans cette passion et cette
compassion, qui ont une intelligence propre, on n'agit que dans un cadre
limité; toutes nos actions sont restreintes. Là où règne la compassion, cette
action est totale, complète, irrévocable. ».
Á Pine Cottage,
dans la vallée d'Ojai -«
Est-il possible, pendant que l'on vit, de mourir, c'est-à-dire de parvenir à sa
fin, de n'être rien du tout ? Est-il possible, en vivant dans ce monde où tout
"devient" de plus en plus (ou "devient" de moins en moins)
où tout est un processus d'escalades, de réussites, de succès, est-il possible,
dans un tel inonde, de connaître la mort ? Est-il possible d'achever chaque
souvenir ? (Il ne s'agit pas des souvenirs des faits : de l'adresse de votre
domicile, etc.). Est-il possible de mettre fin à chaque attachement intérieur,
à une sécurité psychologique, à tous les souvenirs que nous avons accumulés,
emmagasinés, et où nous puisons notre sécurité et notre bonheur ? Est-il
possible de mettre fin à tout cela, ce qui veut dire mourir chaque jour pour
qu'un renouveau puisse avoir lieu demain ? Ce n'est qu'alors que l'on connaît
la mort pendant que l'on vit. Ce n'est qu'en cette mort, en cette fin, en cet
arrêt de la continuité, qu'est le renouveau, la création de ce qui est éternel.
».
« L'esprit peut-il
regarder en face quelque chose dont il ne sait rien. ». Il faut regarder en
face, dit Krishnamurti, une des choses les plus importantes de la vie,
notre mort inéluctable dont nous ne savons absolument rien. Toutes les
civilisations, les anciennes comme les modernes, ont voulu la maitriser, en
imaginant une sorte d'immortalité ou de vie après la mort. la vérité est que
nous n'en savons rien si ce n'est qu'un jour notre existence terrestre doit
prendre fin. Nous avons peur de prendre fin et cette peur nous empêche de
regarder en face ce qu'est la mort. Nous savons seulement qu'elle est la fin du
corps physique qui va être détruit et que le cerveau, le sanctuaire de la mémoire
et l'organe de la pensée, va mourir aussi. Voilà ce qu'est la mort. Quand
l'organisme meurt, la pensée qui est un processus matériel meurt avec lui. La
pensée, qui crée continument toute la structure du moi, rejette cette vision
d'anéantissement, imaginant alors qu'il existe un autre monde. Sachons que cet
autre monde n'est qu'un autre mouvement de la pensée. Mais si l'esprit est
capable de se libérer chaque jour de tout l'esclavage des attachements
terrestres et des multiples désirs lancinants, jusqu'à ce qu'ils cessent
vraiment d'exister, alors, nous vivons une vie pleine de vigueur d'énergie et
de conscience, nous voyons toute la beauté de la terre et aussi la disparition
instantanée de tout cela lorsque vient la mort. Vivre réellement avant la mort,
c'est vivre avec la mort, et donc vivre dans un univers intemporel. On vit une
vie dans laquelle tout ce qu'on acquiert est constamment en train de prendre
fin, de sorte qu'il y a un formidable mouvement et qu'on ne reste pas en un
point fixe. Il ne s'agit pas ici d'un concept. C'est en invitant la mort,
qui signifie la fin de tout ce qui nous appartient, c'est en mourant à tout
cela chaque jour, à chaque minute, que l'on découvrira un état aux dimensions
intemporelles dans lequel le mouvement, qui est pour nous le temps, n'est plus.
Cela signifie que la conscience s'est vidée de son contenu, en sorte qu'il n'y
a plus de temps. Le temps est aboli, voilà ce qu'est la mort. »
Citations de J. KRISHNAMURTI relatives à la
mort
Extraites du livre « l'éveil de l'intelligence »
« La pensée et
sa soif de sécurité ont fait de la mort quelque chose de séparé d'elle-même.
Elle s'est construite en tan qu'instrument de survie, et elle a créé
l'immortalité dans la personne de Jésus, ou ceci, ou cela. La pensée est incapable
de contempler sa propre mort Quand elle s'y efforce, elle projette sans cesse
autre chose, un point de vue plus large, à partir duquel elle semble se
regarder. Celui qui s'imagine mort, s'imagine comme étant vivant et se
contemplant lui-même comme étant mort. ».
Extrait
du dernier journal à Pine Cottage,
dans la vallée d'Ojai
- 30 mars 1984 –
« Si vous comprenez
la nature de la mort, vous n'aurez pas à indiquer que tout meurt, que la
poussière retourne à la poussière, mais, sans aucune peur, vous leur
expliquerez doucement la mort. Vous leur ferez sentir que vivre et mourir ne
font qu'un, ne sont qu'un seul mouvement qui ne commence pas à la fin de la vie
après cinquante, soixante ou quatre-vingt-dix ans, mais que la mort est comme
cette feuille. Voyez les hommes et les femmes âgés, comme ils sont décrépits,
perdus, malheureux, comme ils sont laids. Serait-ce qu'ils n'ont pas compris ce
que signifie vivre ou mourir ? Ils ont utilisé la vie, s'en sont servis, l'ont
gaspillée dans le conflit sans fin qui ne fait qu'exercer et fortifier la
personne, le moi, l'ego. Nous passons nos jours en conflits et malheurs de
toutes sortes, parsemés d'un peu de joie et de plaisir, mangeant, buvant,
fumant, dans les veilles et le travail incessant. Et, à la fin de notre vie,
nous nous trouvons face à cette chose qu'on appelle la mort et dont on a peur.
Et l'on pense qu'elle pourra toujours être comprise et ressentie en profondeur.
» .
Krishnamurti
assure qu'en dessous du flux continu d'images qui constitue la pensée, il
existe un courant beaucoup plus profond qui est celui du chagrin. Il y a un
million d'années que l'homme vit avec le chagrin. Le chagrin est un fleuve
puissant dont les remous alimentent la création d'images en affleurant la
surface. Il est une tristesse encore plus profonde que le chagrin de la pensée.
Cette tristesse universelle résulte du constat d'une grande ignorance
dont l'homme ne parvient pas à sortir. Nous avons conscience du désastre
universel de l'humanité, du perpétuel retour de guerres et de la
pauvreté, et des persécutions mutuelles que s'infligent les gens, et cela nous
laisse un grand sentiment d'absurdité. Lorsque nous avons une ision pénétrante
de la détresse profonde de l'humanité, de cet immense réservoir de tristesse,
cette prise de conscience libère une immense énergie que la tristesse
emprisonnait, et qui est un courant encore plus profond. Cette immense énergie
n'est pas pas la source de la compassion, elle est la compassion même. Et, au
delà de la compassion, il y a quelque chose de sacré, qui est sans limite et
sans mouvement. La pensée, produit de la mémoire, donc du temps, est limitée,
finie, fragmentée. On ne peut pas comparer à la pensée ce que nous découvrons
ici, car c'est quelque chose de vivant qui n'est pas lié au temps. Ce n'est
accessible qu'à l'homme qui s'est délivrée des images et du faiseur d'images, à
celui qui va au delà de tout, en mourant à tout. Et donc, la relation au sacré
passe par la vision pénétrante l'intelligence et la compassion. Ayez une vision
pénétrante de tout cela. Mettez vous à l'œuvre avec cette intelligence qui
n'est pas celle d'un brillant sujet, cette intelligence qui n'appartient ni à
vous ni à moi, mais avec l'intelligence universelle. Avancez plus encore, et
avec cette intelligence globale, cosmique, ayez la vision pénétrante de
la tristesse profonde de l'humanité. De cette vision naît la compassion.
Creusez encore cette compassion. Alors, il y a quelque chose de sacré, hors de
toute atteinte de la main de l'homme -intact au sens où l'esprit, les désir,
les exigences, les prières, les chicanes perpétuelles ne l'ont pas touché. Et
c'est peut-être là l'origine de toute chose dont l'homme a fait mauvais usage,
l'origine de tout, de toute la matière, de toute l'humanité. ».
"The Core of the Teachings"
(Copyright ©1980 Krishnamurti Foundation Trust Ltd. )
Traduction de Marc Marciszever (GREK)
de "The Core of the Teachings" (Copyright ©1980 Krishnamurti
Foundation Trust Ltd. ) La déclaration suivante, qui contient l’essence des
enseignements, a été rédigée par Krishnamurti lui-même le 21 octobre 1980.
« Le cœur des enseignements de Krishnamurti est contenu dans la
déclaration qu’il fit en 1929, lorsqu’il dit : La vérité est un pays sans
chemin. L’homme ne peut l’atteindre par le biais d’aucune organisation, d’aucun
credo, d’aucun dogme, d’aucun prêtre, d’aucun rituel, ni par le biais d’aucune
connaissance philosophique ou d’aucune technique psychologique.
Il doit la découvrir dans le miroir de la relation, dans la compréhension des
contenus de son propre esprit, par l’observation et non pas par l’analyse
intellectuelle ou la dissection introspective.
L’homme a bâti en lui-même des images comme une barrière de sécurité,
sécurité religieuse, sécurité politique, sécurité personnelle. Elles se
manifestent sous la forme de symboles, d’opinions, de croyances.
Le fardeau de ces images domine la pensée de l’homme, ses relations et sa
vie quotidienne. Ces images sont les causes de nos problèmes car elles divisent
les hommes entre eux. Sa perception de la vie est façonnée par les concepts
déjà présents dans son esprit Le contenu de sa conscience est toute son
existence. Ce contenu est commun à toute l’humanité. L’individualité est le
nom, l’apparence et la culture superficielle qu’on acquiert par la tradition et
par le milieu. La singularité de l’homme ne réside pas dans ce qui est
superficiel, mais dans le fait de pleinement se libérer du contenu de sa
conscience, qui est commun à tout le genre humain. Donc, l’homme n’est pas un
individu. ».
« La liberté n’est pas une réaction ; la liberté n’est pas un choix.
C’est l’homme qui prétend que parce qu’il a le choix il est libre. La liberté
est pure observation sans direction, sans peur de la sanction et de la récompense.
La liberté est sans cause ; la liberté n’est pas au terme de l’évolution de
l’homme, mais dès le premier pas de son existence. Dans l’observation, on
commence à découvrir le manque de liberté. La liberté est découverte dans la
présence sans choix (choiceless awareness) à notre existence et à nos activités
quotidiennes. La pensée est le temps. La pensée naît de l’expérience et du
savoir qui sont inséparables du temps et du passé. Le temps est l’ennemi
psychologique de l’homme. Notre activité repose sur le savoir et par conséquent
sur le temps, ce qui fait que l’homme est toujours esclave du passé. La pensée
est toujours limitée, et donc nous vivons constamment dans le conflit et la
lutte. Il n’y a pas d’évolution psychologique. » .
« Quand l’homme devient conscient du mouvement de ses propres pensées, il
voit la division entre le penseur et la pensée, entre l’observateur et
l’observé, entre l’expérience et celui qui fait l’expérience. Il découvre que
cette division est une illusion. Seulement alors y a-t-il pure observation, qui
est une vision pénétrante (insight) sans la moindre ombre du passé ou du temps.
Cette vision pénétrante atemporelle provoque une mutation radicale de l’esprit.
» .
« La négation totale est l’essence du positif. Quand il y a négation de
toutes ces choses que la pensée a psychologiquement provoquées, alors seulement
y a-t-il amour, qui est compassion et intelligence. »
Entretien avec Krishnamurti avec Carlo Suarès,
Revue Planète 1964.
Ainsi, nous voici
devant un des problèmes majeurs : la mort. Pour comprendre cette question, non
pas verbalement mais en fait, je veux dire pour pénétrer en toute réalité le
fait de la mort, on doit se débarrasser de tout concept, de toute spéculation,
de toute croyance à son sujet, car toute idée que l’on peut avoir là-dessus est
engendrée par la peur. Si nous sommes sans peur, vous et moi, nous pouvons
poser correctement la question de la mort. Nous ne nous demanderons pas ce qui
arrive « après », mais nous explorerons la mort en tant que fait. Pour
comprendre ce qu’est la mort, toute mendicité tâtonnante dans les ténèbres doit
cesser. Sommes-nous, vous et moi, dans cette disposition d’esprit qui ne
cherche pas à savoir ce qu’il y a « après la mort », mais qui se demande ce
qu’est la mort? Voyez-vous la différence? Si l’on se demande ce qu’il y a «
après », c’est parce que l’on ne se demande pas ce que c’est. Et sommes-nous en
condition de nous poser cette question? Peut-on réellement se demander ce
qu’est la mort tant que l’on ne se demande pas ce qu’est la vie? Et est-ce se
demander ce qu’est la vie, tant qu’on a des notions, des idées, des théories au
sujet de ce qu’elle est? Quelle est la vie que nous connaissons? Nous
connaissons l’existence d’une conscience qui se débat sans cesse dans toutes sortes
de conflits intérieurs et extérieurs. Déchirée dans ses contradictions, cette
existence est contenue dans le cercle de ses exigences et de ses obligations,
des plaisirs qu’elle recherche et des souffrances qu’elle fuit. Nous sommes
entièrement absorbés par un vide intérieur que l’accumulation de possessions
matérielles ou mentales ne peut jamais combler. Dans cet état, la question de
ce qu’est la mort ne peut pas se poser, parce que la question de ce qu’est l a
vie ne se pose pas. L’existence que nous connaissons est-elle la vie? De même,
les explications: résurrection des morts, réincarnation, etc.,
proviennent-elles d’une connaissance de la mort? Elles ne sont que des
projections d’idées que l’on se fait au sujet du fragment d’existence que l’on
appelle vie. Mourir à la structure psychologique avec laquelle on s’identifie ;
mourir à chaque minute, à chaque journée, à chaque acte que l’on fait, mourir à
l’immédiat du plaisir et à la durée de la peine, et savoir tout ce qui est
impliqué dans ce mourir ; alors on est apte à poser la question : qu’est-ce que
la mort? On ne discute pas avec la mort corporelle. Et pourtant, seuls ceux qui
savent mourir d’instant en instant peuvent éviter d’entreprendre avec la mort
un impossible dialogue. En cette mort perpétuelle est un perpétuel renouveau,
une fraîcheur qui n’appartient pas au monde de la continuité dans la Durée. Ce
mourir est création. Création est mort et amour. ».
CHAPITRE 11
Jung – Du livre rouge à
la Fleur d’or
Introduction
Carl G.
Jung naquit le 26 juillet 1875 en Suisse, et mourut le 6 juin 1961. Son père était
un pasteur luthérien allemand qui lui enseigna le latin, et sa mère assez
dépressive était férue de spiritisme. Après une adolescence difficile, voire
douloureuse, Carl Jung s'intéressa à la philosophie, à la littérature
médiévale, aux sciences naturelles et à la religion, puis devint assistant à la
clinique psychiatrique de l’université de Zurich et s'y familiarisa avec le
milieu psychiatrique. Il rencontra Freud en 1907, mais leurs approches
divergentes de la psychologie les fit se séparer en 1910. Carl Jung
se maria en 1903 avec Emma Rauschenbach avec laquelle il eut cinq enfants. Elle était également
psychothérapeute et l'auteur de "Animus-Anima" et de
"La légende du Graal". Pour approfondir ses recherches et
préparer son activité de psychiatre, Carl Jung voyagea souvent ce qui lui
permit de connaître les États Unis et la pensée indienne, les Indiens d'Arizona
et du nouveau Mexique, la Texas et la Nouvelle Orléans, Il se rendit aussi au
Maghreb et en Ouganda où il découvrit le système religieux des Hopis, fondé sur
la prédominance du soleil, puis il visita l'Égypte et le Soudan, les tribus du
Kenya, l'Inde et y étudia la pensée orientale. Chercheur passionné, il écrivait
beaucoup et on lui doit de nombreux ouvrages en particulier sur
"l'inconscient collectif", "le concept
d'individuation"," Psychologie et alchimie", puis l'apparition
surprenante de la "synchronicité" étudiée avec von Pauli et
les ouvrages traitant de la symbolique alchimique. Il fonda de son vivant deux
centres de recherches, "La société suisse de psychologie pratique,
en 1945" et "l'Institut C.G. Jung, en 1948" à Küsnacht où
il résidait.
Jung
rencontra Freud à Vienne, et exprima son accord sur l'importance du transfert
dans le traitement des désordres psychiques. Il adhéra d'abord aux positions de
Freud. Leur relation se consolida à partir de 1907 et les deux hommes
échangèrent près de 360 lettres en huit années. Cependant, dès leurs premières
rencontres, un désaccord apparut concernant la primauté donnée par Freud aux
facteurs sexuels. Jung en parla dans son livre "Ma vie" : "J'ai
encore un vif souvenir de Freud me disant : "Mon cher Jung, promettez-moi
de ne jamais abandonner la théorie sexuelle. C'est le plus essentiel !
Voyez-vous, nous devons en faire un dogme, un bastion inébranlable." Je
lui demandai : "Un bastion - contre quoi ?" Il me répondit:
"Contre le flot de vase noire de l'occultisme !" Ces mots
"bastion" et "dogme" choquèrent Jung, car ils lui
semblaient révéler une volonté personnelle de puissance. Ce choc altéra leur
amitié. Jung comprit qu'il ne pourrait jamais adopter la position de Freud
qui semblait entendre par "occultisme" tout ce que la
philosophie, la religion et la parapsychologie naissante pouvaient dire de
l'âme. Or, c'était justement cet "occultisme" que Jung voulait
comprendre et explorer. « Mon âme, où es-tu? M’entends-tu? Je parle, je
t’appelle, es-tu là ? », écrit-il en 1913 au bord du lac de Zurich. Les idées
de deux hommes divergèrent donc progressivement, et Jung devait dire plus tard
au Dr Bernhard Baur-Celio : " Mais il est encore une chose que je voudrais
vous dire : Ce qu'on appelle exploration de l'inconscient dévoile en fait et en
vérité l'antique et intemporelle voie initiatique.../.. Seul un
"chevalier" risquera "la queste et l'aventiure".
Rien ne disparaît définitivement, c'est l'effrayante découverte de tous ceux
qui ont ouvert cette porte. Mais l'angoisse primordiale est si
grande../.. qu'on n'a rien vu derrière cette porte../.. Cette porte, toute
banale, ouvre sur un étroit sentier../.. que bien peu seulement ont suivi,../..
qui mène au secret de la métamorphose et du renouveau. " .
Pour Jung, le
facteur religieux est une composante-même de l'inconscient qui ne peut se
réduire à la simple sublimation des pulsions sexuelles. L'inconscient ne
se compose pas uniquement du passé refoulé, mais il contient les germes de
toute activité créatrice. C'est une sorte de matrice, douée d'autonomie et
d'action spontanée sur le conscient, capable de modifier et renouveler la
personnalité entière. En observant silencieusement les rêves des patients,
Jung découvrait en œuvre, le processus d'émergence de
"l'individuation". Il retrouvait aussi la marque de ce processus et
de ces images dans les mythologies et légendes et dans les religions de toutes
les cultures et époques de l'humanité. C'est surtout dans l'alchimie que Jung
retrouva une base historique accréditant ses hypothèses d'inconscient collectif
et d'archétypes. En 1913 Jung présenta au XVIIe Congrès
international de médecine, à Londres, une nouvelle approche qu'il nomma la
"psychologie analytique", pour la distinguer de la "psychanalyse
de Freud" et de la "psychologie des profondeurs d'Eugène
Bleuler". Jung y suggérait de libérer la théorie psychanalytique de son
"point de vue exclusivement sexuel" en se focalisant sur un
nouveau point de vue énergétique développé par Henri Bergson. Jung y fit
ensuite une intervention intitulée "Contribution au problème des types
psychologiques", une nouvelle typologie de la personnalité qui était
une autre façon de se démarquer de Freud. Cette conférence mit fin à la
relation entre Jung et Freud, qui y vit une trahison et écrivit à Jung en
octobre 1913 pour entériner leur rupture "../.. Par conséquent, je propose
que nous abandonnions nos relations personnelles complètement".
Á partir des années 1926 et 1927, en raison de sa notoriété croissante,
Jung est affilié à un groupe d'analystes berlinois, dirigé par Robert Sommer et
Wladimir Eliasberg, nommé Société médicale allemande de psychothérapie (Deutsche
Psychoanalystiche Gesellschaft), et qui a pour but de fédérer les
perspectives freudiennes, jungienne et adlérienne. Il est nommé membre
d'honneur en 1930. En 1939, quoique démissionnaire, Jung fut nommé président de
la Société médicale générale de psychothérapie qui devient ensuite l'Institut
Göring. Installé en Suisse avant la guerre de 1940, Jung y avait écrit un
ouvrage attirant l'attention sur la dangerosité de l'Allemagne. Quoique le livre
ait été censuré, après guerre, eten raison de son passé, Jung n'évita pas
d'être suspecté de sympathie pour les nazis. On apprit pourtant ensuite que
durant la Seconde Guerre mondiale, il avait été recruté sous le nom
d'« agent 488 » par les services secrets alliés et qu'il avait
activement agi pour faire passer des fuyards juifs vers la Suisse. En 1944, à
la suite d'un infarctus, il vécut, semble-t-il, une NDE (Near Death
Experience), une expérience de mort imminente dont il disait qu'une force invisible
l'avait obligé à "revenir sur terre". C'est peut être à la suite de
ces expériences que Jung dirigea sa pensée dans le domaine ésotérique. Jung y
produisit des œuvres majeures dont les deux tomes de "Mysterium
conjuntionis", les "Commentaires sur le Mystère de la Fleur
d'or", et le fameux "Livre rouge" qui n'était au
départ qu'un ensemble de six petits cahiers noirs, soigneusement calligraphiés
et illustrés à la main, un recueil personnel et intime non destiné à être
publié, et qui s'enrichit ensuite superbement en deux parties ("Liber
novus" et "Liber secundus"). Ce sont essentiellement
toutes ces recherches ésotériques qui seront présentées dans cette étude.
"Ce n'est pas
moi qui me crée moi-même, bien au contraire. J'adviens à moi-même."(C.G.
JUNG)
Le moi et l'inconscient
Jung étudiait la psychologie humaine et plus particulièrement
l’inconscient, domaine psychique inaccessible à la pensée consciente. Il
acceptait bien la notion freudienne d'inconscient personnel, un corpus de
matériaux et d'éléments de la vie du sujet passés ou refoulés sous le seuil de
la conscience. Jung postulait qu'outre cet inconscient personnel, il existait
un autre inconscient, commun à l'ensemble des hommes. Le contenu de cet autre
inconscient consisterait en diverses conformations psychiques préétablies
indépendamment du vécu individuel. Jung pensait que ce second corpus pouvait
pathologiquement se doter d'une certaine autonomie. Il rappelait aussi
que la vie psychique est une démarche orientée vers une fin. Pour réaliser cette
finalité une confrontation consciente avec tous les contenus de l'inconscient
lui semblait nécessaire. Chaque individu est évidemment un être particulier
mais il est aussi un être social. Chacun naît avec des possibilités fort
différenciées de vie personnelle et sociale, qui lui donnent sa valeur propre.
Jung a donc étudié les techniques de cette différenciation personnelle par la
prise en compte chez ses patients des rêves et des fantasmes qui avaient
constitué chez lui les fondements de sa propre expérience. Il a constaté qu'en
général, les conflits engendrés par une tension psychique se résolvaient par
une régulation consciente et raisonnable, mais qu'une distorsion pathologique
pouvait entraîner un transfert vers un objet de substitution ou se manifester
par des fantasmes ou rêves révélateurs. Jung pensait qu'en étudiant ces
manifestations, le psychanalyste pouvait en faire remonter l'élément causal au
niveau conscient. Il a découvert que c'était effectivement possible pour les
contenus de l'inconscient personnel, mais cela ne l'était pas pour ceux de
l'autre corpus qui était donc de nature différente (comme p .e. le concept
de Dieu), partagés par des groupes ou collectivités humaines, et il a
appelé ce second corpus "inconscient collectif".
Réfléchissant
en thérapeute, Jung imagina que les désordres psychiques provenaient d'une
assimilation de l'inconscient personnel
(vécu) ou importé (collectif), dans la personnalité, un
processus qui a des conséquences. Jung distinguait deux profils réactifs
typiques: l’extraverti tourné vers les autres et l’introverti tourné vers
lui-même. Lorsque le sujet se laisse dominer par son inconscient au détriment
du son état conscient, il en vient à perdre son équilibre psychique. Le
conscient défaillant serait remplacé par l’activité automatique de
l’inconscient. L’extraverti réagira de façon active et l’introverti de façon
réactive. Selon Jung, trois types de réactions peuvent alors apparaitre :
1. Le conscient peut être capable de comprendre et d’intégrer les contenus de
l’inconscient et la situation va évoluer favorablement. 2. L’inconscient prend
le dessus sur le conscient provoquant un état psychotique. 3. Un état
intermédiaire s'établit sans compréhension réelle de la situation, ce qui crée
un conflit bloquant toute possibilité d’évolution. Il est important de
reconnaître ce qui vient de l'individuel et du collectif. La différenciation
rigoureuse de la psyché collective est une nécessité pour éviter la dissolution
de l’individuel dans le collectif, laquelle peut provoquer une identification à
une entité ou un personnage symbolique, historique ou imaginaire. Jung désigne
sous le nom de "persona" le fragment de la psyché collective
sur lequel l’individu peut vouloir se calquer en sacrifiant une part de son
caractère personnel. Chez les anciens la "persona" désignait
le masque des comédiens. « Ce masque de la "persona" dissimule
ainsi une partie de la psyché collective et l’illusion de l’individualité ». Le
choix du masque n’est pas neutre, il correspond à une partie du soi imprégnée
dans l’inconscient.
Quand le
sujet perd ses structures conscientes, l’inconscient personnel ou collectif
prend la direction de l’être. Lorsqu’un individu subit la confusion de ses
domaines conscients et inconscients, il imagine avoir surmonté son conflit
moral (du bien et du mal) et avoir dominé ses difficultés. Il faut, et c'est
important, inclure ici différentes convictions ou héritages, religieux,
politiques, ethniques ou sociétaux. Le sujet se sent choisi ou supérieur,
« ressemblant à Dieu, d'une certaine façon ». Jung appelle cela
« l’inflation psychique ». Pour illustrer l'idée, il évoque
l’identification d'individus à leurs poste ou leurs fonction en s’en attribuant
les qualités. Celui qui s’identifie à sa psyché collective accepte cette inflation.
Il se sent détenteur de la "vérité". Cela peut provoquer
l'orgueil, la mégalomanie, un comportement charismatique ou
prophétique. L’accès à la psyché collective induit un renouveau agréable que
l'on voudra conserver, mais les vrais prophètes, dit Jung, sont rares et s'en
défendent. Une autre façon consiste à devenir disciple de l'envoyé, (La vertu
sans le poids du rôle). Si le sujet adhère aux contenus inconscients, cela peut
produire une paranoïa ou une schizophrénie. S'il les rejette totalement, il
peut être exclu de sa communauté. Il convient donc de reconstituer la persona
altérée. Cela peut parfois se faire de façon régressive surtout lorsque le
sujet a subi la chute de son statut social et qu'il reconstitue à ce niveau
inférieur l’équilibre de sa personnalité. On connait l'exemple récent et vrai
de l'empereur de Chine devenu jardinier du palais. La reconstitution régressive
de la persona peut aussi faire suite à un transfert : Le transfert
est un moyen inconscient reportant les désirs inconscients du patient sur le
thérapeute. Il faut savoir que la rupture brutale d’un transfert peut
déclencher une rechute aussi grave que le mal initial.
Le Moi
conscient s'identifie d'abord avec la persona. L'ancien masque du comédien
indiquait son rôle dans la pièce. Le masque issu de la persona veut convaincre
les autres et nous-mêmes que notre être est individuel : il n'en est rien, il
s'agit d'un simple artifice. L'identification au rôle social ou honorifique
participe à la constitution de la persona. Jung affirme que la persona n’a
pourtant rien de réel, elle n’est qu’un compromis entre l’individu et la
société. Le masque que revêt l’individu dissimule la part de psyché collective
assimilée et donne l’illusion de l’individualité, mais « personne ne peut
retrancher arbitrairement de l'inconscient la force agissante et créatrice
». Jung souligne que : «l'énergie de l'inconscient ne peut être
soustraite à celui-ci que très partiellement../.. il renferme et constitue
lui-même la source de la libido dont émanent les éléments psychiques qui font
notre vie ». La spontanéité inconsciente est la marque essentielle de la pensée
créatrice. L'inconscient a une activité autonome. Jung emploie le terme
"d'imago" pour illustrer les images intrapsychiques que
suscitent les êtres qui entourent un individu, comme de l'influence des parents
sur les réactions de l'enfant. l'image inconsciente des parents devient active
et dynamique au conscient lorsque ces derniers viennent à mourir. Plus le champ
de la conscience est limité, plus les manifestations inconscientes lui
apparaîtront extérieures. Á un niveau supérieur de développement du conscient,
ces "imagines" (pluriel d'imago), s'inscriront entre le
conscient et l'inconscient. Demeurant autonomes, elles entreront dans le conscient
et pourront constituer une source d'inspiration, de prémonitions ou
"d'information surnaturelles". En mûrissant, l’adolescent refoulera
les influences reçues et « les imagines parentales », personnelles et
collectives, dans son inconscient d’adulte. Ici apparaissent les notions « d'anima et
d'animus ».
L'individuation
L'homme
hérite d’images virtuelles qui, dit Jung, « sont comme le sédiment de
toutes les expériences vécues par la lignée ancestrale ; elles en sont le
résidu structurel, non les expériences elles-mêmes ». Le masculin est adapté au
féminin. Chez l'adolescent les "imagines parentaux" vont faire
place à l’imago de la "femme compagne". Selon Jung, pour
caractériser son genre, en devenant adulte l’homme refoule alors tout trait
féminin personnel. Il choisirait donc sa compagne en fonction de sa propre
féminité inconsciente refoulée, "l'imago de la femme" qu'il
porte en lui. « C’est pourquoi l’homme dans le choix de la femme aimée,
succombe souvent à la tentation de conquérir précisément la femme qui
correspond le mieux à sa nature inconsciente. ». Ainsi sous le couvert du
mariage idéal et exclusif, l’homme chercherait la protection de sa mère. Dans
l'enfance, elle assurait sa sécurité et le protégeait des dangers et des
terreurs nocturnes. La séparation d'avec la mère, en tant que réceptacle de
l’anima du fils, constituerait donc un tournant évolutif dans la vie de
l’individu. Dans la persona de l'adolescent devenant adulte, son image idéale
du mâle, vient s'intégrer une « faiblesse féminine » un
manque ressenti que Jung appelle l’anima (l'âme en latin). L’homme
perçoit bien que l'anima, cette faiblesse de son conscient, l'empêche d'être le
parangon de virilité qu'il affiche. Cela entraîne un complexe d’infériorité que
sa femme, dit malicieusement Jung, ne manquera pas d'exploiter. Chez la femme:
l’élément de compensation revêt un caractère masculin. Jung l'appelle animus,
mais il souligne la grande difficulté de son étude. Il lui est déjà difficile
de décrire complètement l’anima, et pour l’animus, il avoue qu'il a bien
des difficultés pour décrire quelque chose qui ne lui appartient pas. « L’anima
et l’animus ne sont pas des notions métaphysiques mais bien empiriques, qu'il
convient donc d'approfondir. ».
Le père, avec sa fonction protectrice, constitue le réceptacle de la
persona de l’enfant. Il rend socialement légitime l’être grandissant tandis la
mère assure la pérennité d’appartenance au groupe., d'où les dégâts que
provoque la carence d’un père ou d’une mère. On a vu que l'anima, (l'animus
chez la femme) s'opposait à la persona. « Tout ce qui est inconscient est
projeté ». Chez l'homme, l'anima est projetée sur une femme, qui se voit
attribuer toute une série de qualités qui en réalité appartiennent au sujet.
Les femmes sont des êtres « à part », dit Jung. Elles disposeraient
d’un conscient différent de l’homme, et leur animus serait la source d’opinions
très solides, et de fermes aprioris. « Chez la femme, dit-il, les choses se
présentent sous un jour différent », l'animus « est quelque chose comme une
assemblée ../.. de porteurs de l'autorité ../.. qui émettent des
jugements "raisonnables" inattaquables ». « L'animus est une manière
de condensation de toutes les expériences accumulées par la lignée ancestrale
au contact de l'homme ../.. mais pas seulement cela, l'animus est aussi
un être créateur, une matrice../. ». Et si chez l’homme l’anima apparaît sous
les traits idéalisé d’une femme, d'une Circé ou d'une Calypso, chez la femme
l’animus apparaît sous les traits d’une pluralité de porteurs de l’autorité qui
tiennent des raisonnements inattaquables. Alors que l'anima est la source
d'humeurs, l'animus est la source d'opinions. Une femme possédée par son
animus est en grand danger de perdre sa féminité tout l'anima de l'homme risque
de le rendre efféminé. L'animus sera tout aussi fréquemment projeté que
l'anima. Les hommes sur lesquels l’animus est le plus susceptible de se
projeter seront les plus aptes à servir de réceptacle. Les opinions de l’animus
seront toujours de nature collective, donc, aux yeux de l’homme, quelque chose
de suprêmement irritant. Toute amusante qu'elle soit, la partialité de Jung est
ici, me semble-t-il, assez révélatrice de ses problèmes conjugaux.
L'individuation, (de in-divis, celui qui n’est pas divisé, celui qui est
en processus de re-conjonction des opposés séparés), permet à l'être humain de
devenir réellement ce qu'il est au plus profond de lui-même, c'est à dire de la
réalisation du Soi. Jung disait que : « L'individuation n'a d'autre but que de
libérer le Soi des fausses enveloppes de la persona, et de la force suggestive
des images inconscientes ». Ce processus spontané se déroule généralement de
manière souterraine. Il commence par la nécessaire différenciation entre le Moi
et l'inconscient. Il passe donc par la confrontation entre ces deux composantes
de la psyché et doit aboutir à ce que le conscient devienne son principe
directeur en se positionnant au centre de sa personnalité globale. « L'homme
qui a conscience de ce qu'est son principe directeur sait avec quelle autorité
indiscutable ce principe dispose de notre vie. ». « Si les contenus collectifs
demeurent inconscients, l'individu, empêtré dans les mille liens qui le
rattachent aux autres individus chez qui ils sont également inconscients, demeure
inconsciemment confondu avec eux. Il ne s'est pas différencié. Il ne s'est pas
individué. Il n'est pas un individu. ». « Ce qu'il faut entendre par le centre
de la personnalité ../.. n'est peut-être pas aisément compréhensible../..
Imaginons-nous le conscient avec son centre qui est le Moi dans sa
confrontation avec l'inconscient; cette confrontation entraîne un processus
d'assimilation de l'inconscient. Nous pouvons nous représenter cette
assimilation comme une manière de rapprochement entre le conscient et
l'inconscient à la suite duquel le centre de la personnalité globale ne
coïncidera plus avec le Moi, mais sera figuré par un point qui se trouvera à
mi-chemin à mi-chemin entre le conscient et l'inconscient. ». Selon Jung,
l'individuation se confond ave l'idéal chrétien originel du Royaume des Cieux
"qui est en nous." L'idée de base sur laquelle s'est édifié
cet idéal est que l'action et le comportement justes ne peuvent résulter que de
la droiture d'esprit et d'un état d'âme sain, et qu'il ne saurait y avoir de
guérison et d'amélioration du monde qui ne prennent leur point de départ dans
l'individu ».
MYSTERIUM CONJUNCTIONIS
- Le mystère de la conjonction ( des
extrêmes) –
AVERTISSEMENT
JUNG pensait fermement que les alchimistes avaient
découvert empiriquement et bien avant les psychiatres modernes les problèmes
posés dans la psyché humaine par les déséquilibres éventuellement advenus entre
les conscient et l'inconscient. Il a publié l'état de ses recherches dans des
traités énormes et très documentés, dont je vais m'efforcer de vous faire
partager l'esprit. Je dois néanmoins informer le lecteur qu'il est très
difficile de condenser en quelques lignes un travail de cette importance.
Qu'ils veuillent bien excuser les éventuels manques ou omissions, sachant que
chacun des paragraphes qui suivent représentent cinquante à cent pages du texte
de JUNG.
Mysterium conjunctionis Tome 1 -
(Les symboles)
Le Mystère de la conjonction des opposés.
« Ce serait une impardonnable
erreur, disait Jung, de ne voir dans le courant de pensée alchimique, ../.. que
des opérations de cornues et de fourneaux. Certes, l'alchimie a aussi ce côté,
et c'est dans cet aspect qu'elle constitua les débuts tâtonnants de la
chimie exacte. Mais l'alchimie a aussi un côté vie de l'esprit qu'il faut se
garder de sous-estimer, un côté psychologique dont on est loin d'avoir
tiré tout ce qu'il y a à en tirer. Il existe une "Philosophie
alchimique", précurseur titubant de la psychologie la plus moderne.
Dans l'ombre de l'inconscient est caché un trésor, le "Trésor difficile
à atteindre", caractérisé tantôt par une perle brillante, tantôt,
comme dit Paracelse, par un "Mysterium", ce qui indique
quelque chose de fascinant par excellence. Ce sont les possibilités d'une vie
et d'un progrès spirituels ou symboliques qui constituent le but dernier, mais
inconscient, de la régression. ». Jung a présenté l'important ouvrage qu'il a
consacré au rapprochement de la psychologie moderne avec l'alchimie médiévale
comme une série d'études sur la séparation et la réunion des opérations
psychiques dans l'alchimie. Il y a travaillé pendant dix ans avec sa
collaboratrice , Mme M. L. von Franz. Le livre commence par la présentation des
composants de la conjonction et de la dualité alchimique des opposés, des symboles
qui l’expriment et de leur signification psychologique. « L'essentiel de l'art
alchimique, dit Jung, consiste en la séparation et la dissolution d'une part,
la réunion et la coagulation d'autre part (Solve et coagula). ». La
situation est analogue dans la psychologie et dans l'alchimie. On est en
présence d'un état initial dans lequel des tendances ou forces opposées sont en
lutte, et l'on doit ensuite engager un processus capable de ramener ces
éléments à l'unité. Il faut réunir les deux époux, (sponsus et sponsa).
Dans les deux cas, d'ailleurs, la situation de départ est obscure, et il
convient d'en découvrir d'abord la nature, la (Materia prima). La suite,
qui n'est pas plus facile, consistera à confronter les opposés en visant à en
réaliser l'union durable.
MYSTERIUM
CONJUNCTIONIS
-
C. J JUNG -
Exemple de la
complexité d'interprétation du texte.
Extrait
du tome 1 -chapitre 3 " l'Orpheline et la Veuve"
Albin Michel - 1956
« Sache que tu possèdes un
corps qui perce les corps, une nature qui contient la nature, une nature qui se
réjouit de la nature. qui est appelée à coup sûr "tyriaque" des
philosophes, car, comme la vipère, lorsqu'elle conçoit, coupe la tête du mâle
dans l'ardeur de son plaisir, meurt en enfantant et se trouve coupée par le milieu.
Ainsi l'humidité lunaire concevant la lumière solaire qui lui convient, tue le
soleil et meurt elle-même, en enfantant la progéniture des philosophes; et les
deux parents, en mourant, transmettent leur âme à leur fils et périssent. Et
les parents sont la nourriture de leur fils. ». - NDLR-
Le thyriaque est un anti-poison essentiellement à base d'opium.
Jung cite des couples d'opposés, chaleur/froid, humidité/sécheresse,
vie/mort, esprit/âme, licorne/cerf, etc, qui se présentent souvent dans une structure
quaternaire (les quatre éléments, les quatre âges de l'homme), sorte de
croix symbolique. La signification du Mercure (spititus mercurii), en fait le
principe unificateur synthétisant l'union des couples d’opposés dans ce "quaternio", en
relation avec un arrière-plan chrétien. La double quaternité, l'octoade,
combinant la croix simple à la croix dite de St André, représente la totalité,
à la fois céleste et terrestre, spirituelle et corporelle, qui se trouve dans
l'inconscient. « C'est, à n'en pas douter dit Jung, le microcosme, l'Adam
mystique, l'homme primordial. C'est pourquoi, dit-il encore, dans le
Gnosticisme, non seulement le "Père de Tout" est décrit comme ni
masculin ni féminin mais qu'il est aussi appelé le "fond" ou "l'abîme".
En sa forme physique (materia prima), le Mercure serait donc
l'homme primordial dissous dans le monde matériel, et en sa forme sublimée, la
totalité restaurée de cet "Anthropos" triomphant. ». Dans la
littérature alchimique, on trouve les symboles de "l'Orphelin et de la
Veuve". Selon Hermès Trismégiste, le terme "Orphelin"
désignerait la pierre philosophale, ainsi qualifiée en raison de sa
singularité. La "Veuve" serait alors la matéria prima, la mère
de la pierre, le principe alchimique féminin, Sponsa l'épouse, qui est
aussi la Lune obscure, au rôle toujours néfaste ou destructeur. Elle est le
symbole alchimique paradoxal de la lumière qui luit dans la nuit, mais qui
blesse aussi le Soleil, rôle réalisé dans l'éclipse. Dans la tradition
chrétienne, constamment présente chez Jung, la Veuve est l'Église et
l'obscurcissement du Soleil, (le Lion, le Soleil intérieur), montre qu'il
s'avilit à cause de la chair. Chez les Manichéens, la roue hydraulique inventée
par le Fils du Père vivant, le Rédempteur, pour racheter les âmes de hommes,
correspond à la "Rota" des alchimistes, et Mani,
l'esclave, était bien le Fils de la Veuve puisque racheté à quatre ans
par une riche veuve, il ne connut jamais ses parents.
Pour unifier les opposés, l'alchimie doit les contempler simultanément et
les rapprocher, ce qui est paradoxal. La tâche première de l’alchimie visait à
mettre en harmonie l’arrière-plan féminin et maternel de la psyché masculine
avec l’esprit. Le but était d’effacer le péché originel, ce que tout son art
tendait à réaliser. Jung présente ensuite la doctrine alchimique des "scintillae"
les "étincelles de l'âme". Ce terme d’étincelle de l'âme, ou
"scintilla", a été utilisé par Maître Eckhart, Héraclite et
Simon le Mage, ainsi que dans les textes alchimiques qui la décrivent comme
'l’archaeus', le centre igné de la terre, (mâle et femelle à la fois). « Les
étincelles de l'âme du Monde étaient déjà dans la chaos, dans la prima
materia au commencement du monde. ». On parle ici de l'âme du monde, mais
le texte affirme que ces étincelles sont multiples. On entre alors dans un
développement fort intéressant. Les alchimistes considèrent que l'opposition
existant entre le masculin et le féminin est majeure. Jung la compare au
conflit incestueux décrit par Freud, en référence au péché originel et à
l’opposition de nature entre la matière et l’esprit. Le but de l’alchimie est
l’unification, celui du second est la discrimination. Le mythe alchimique du
roi des mers exprime son double projet : découvrir l’or caché dans la matière
et faire renaître la lumière, et donc, par la connaissance, de délivrer l'âme
du corps pneumatique hors la corruption de la chair. La volonté chrétienne est
de restaurer l’état originel d’innocence par l'ascétisme, la vie monastique et,
plus tard, par le célibat des prêtres. Elle est donc tout à l'opposé de
l’esprit alchimique. Par l'image symbolique du mariage (purement mystique) de
"sponsus" (le Christ) et "sponsa" (l’Église),
le Christianisme propose une solution purement spirituelle. L'alchimie lui
oppose le mariage alchimique, (physique par nature), la conjonction du Soleil
et de la Lune, (une solution conceptuellement presqu'incestueuse). Jung
explique que ces deux tentatives échoueront parce que l’opposition des sexes
doit être résolue dans l’âme de l’homme. Mais qu'entend ici Jung par l'âme de
l'homme ?
MYSTERIUM
CONJUNCTIONIS - C. J JUNG
Extrait du tome 1 - " la personnification des opposés"
Albin Michel - 1956
« Il n'y a rien
d'étonnant en soi à ce que l'inconscient se manifeste sous la forme de
projections et de symboles, puisque c'est la seule manière dont il puisse être
perçu. Mais il n'en va pas de même, semble-t-il, de la conscience. La
conscience, en tant que quintessence de ce qui est clairement saisi, paraît
être dépourvue de tout ce qui est requis pour une projection. Celle ci n'est
pas, bien entendu, un phénomène arbitraire, mais c'est un évènement qui
s'impose "de l'extérieur" à la conscience, une apparence de
l'objet où le sujet ne discerne pas qu'il est lui-même la source lumineuse dont
la clarté fait briller le réflecteur qu'est la projection. ».
Extrait du livre de Jung
"Commentaires sur le mystère de la fleur d'or" - Albin Michel -
Fragment de l'avant propos de
Michel Cazenave.
« Il est un thème,
particulièrement, sur lequel je voudrais insister, qui est la notion d'âme.
A passer à côté, on passerait tout autant à côté ../.. du nœud central de toute
l'expérience et de toute l'œuvre de JUNG. L'âme, pour lui, on le sait,
désigne la "globalité" de la psyché humaine,
c'est-à-dire dans une conjonction majeure des opposés, de l'inconscient et
de la conscience. Ce qui revient à dire qu'elle est le tiers inclus en
même temps qu'elle maintient les séparations opérées. ».
Les personnages alchimiques de ce drame sont l'Homme et la Femme, le Roi
et la Reine, le Soleil et la Lune (sol et luna). Le Moi perçoit le
Soleil comme une entité bénéfique et génératrice, qualités projetées sur
l’homme et l’univers. L'alchimie en fait un élément unique, source souveraine
du pouvoir, à partir duquel on peut produire de l’or. Il a aussi un côté
sombre, parfois nuisible. Son image est le symbole du drame matériel et
psychologique qu'est le retour à la matière originelle, la prima materia. La
mort du Soleil est donc nécessaire au retour à l’innocence. On constate ici
encore la différence entre la dynamique alchimique ascendante (montant des
ténèbres matérielles vers la lumière spirituelle) et la descente chrétienne du
royaume céleste vers la terre. Les projections alchimiques reflètent
l'opposition conscient/inconscient, symbolisée par le Soleil et la Lune. Le
Soleil est vu comme une projection du Moi, la condition indispensable à la
conscience. Jung distingue le concept du soi, atman supra personnel,
totalité du conscient et de l’inconscient, et le moi, atman personnel,
point de référence central de l’inconscient (ou "miroir" de
l’inconscient). Le soufre alchimique (sulfur), source et fin de tout
vivant, serait la prima materia du Soleil et le compagnon de la Lune. Sa
nature psychique est double: ignée et corrosive, guérisseuse et purificatrice,
corporelle et spirituelle, terrestre et occulte. Il consume et purifie. On
l’identifie au diable et d’autre part au Christ. Ill est synonyme de la
mystérieuse substance de transmutation. On retrouve le concept jungien du Soi
défini comme la totalité humaine, plus grand que le moi conscient et contenant
ce moi, l’ombre personnelle et l’inconscient collectif. Les alchimistes mettent
en évidence l’existence psychique de l’ombre, opposée et compensatrice du
conscient, image positive et structure cachée de la psyché. Le soufre
symboliserait le dynamisme impulsif issu de l’ombre et de
"l’anthropos" présents dans l’inconscient.
MYSTERIUM CONJUNCTIONIS -
C. J JUNG
Extrait du tome 1 - " luna" - Albin Michel - 1956
« L'homme ne peut reconnaître son
anima que sous une forme projetée : Il en va de même de la femme et de son
soleil obscur. Si son eros est en ordre, son soleil ne sera pas alors
trop sombre et le porteur de la projection signifiera peut-même une
compensation utile, mais si elle n'est pas d'accord avec son eros ../..
l'obscurité de son soleil correspond à une personne masculine possédée par l'anima
sécrétant une esprit inférieur aussi grisant qu'un fort alcool. .. /.. Le
soleil obscur de la psychologie féminine est en rapport avec l'imago
paternelle puisque le père est bien le premier porteur de l'image de l'animus.
Il donne un contenu et une forme à cette image virtuelle car il est, grâce à
son logos, la source de "l'esprit" pour sa fille. ../..
L'esprit qui est profitable à la femme n'est pas un pur intellect, mais plus
que cela : C'est une attitude, un esprit dans lequel on vit. ».
Contrepartie du soleil et deuxième terme de la conjonction, la lune
alchimique est froide, humide, sombre, féminine, corporelle et passive. Jung
expose son rôle dans le mystère des transformations, à la lumière des textes
alchimiques. « La Lune est la sœur ou la fiancée, la mère ou l'épouse du
Soleil. Elle est aussi le vase du soleil et le réceptacle de toutes choses (et
en particulier du Soleil), parce qu'elle reçoit et verse la puissance du ciel.
». Elle permet la conception de la semence du Soleil, dan la quintessence, dans
le ventre et la matrice de la nature. Si le Soleil engendre l'or, la Lune est
aussi "l'argent" qui est un symbole de l'arcane "Lune". La
croyance en l'influence de la lune sur la germination conduit à l'étrange
conception alchimique que la lune serait elle même une plante, une sorte
de mandragore. Chez la femme, la lune correspond à la conscience et la
soleil à l'inconscient, en relation avec la présence du genre opposé dans
l'inconscient (anima chez l'homme, animus chez la femme). La Lune apparaît dans
une position désavantageuse par rapport au Soleil ce qui souligne ses aspects
néfastes. Selon Jung, cette caractérisation de la Lune montre que les
alchimistes concevaient l’union du Soleil (le conscient) et de la Lune
(l’inconscient) comme dangereuse et produisant des animaux symboliques
venimeux, des prédateurs, ou des oiseaux de proie. Il compare le rôle
alchimique de la Lune à celui de la Vierge Marie et de l’Église car, de par sa
position entre les choses célestes éternelles et la sphère terrestre et
sublunaire, elle partage les souffrances de la Terre. La symbolique alchimique
associe souvent le Chien à l'image de la Lune, comme le Lion à celle du Soleil.
Les figurations animales révèlent la volonté alchimique de souligner
l'existence d'appétits sensuels dans la psyché humaine.
L'étude détaillée des propriétés du sel clôt le 1er tome du
"Mysterium connjunctionis". Dans l'alchimie, le sel est associé au
symbolisme lunaire. Cet élément très important est le symbole de la puissance
arcane. L'amertume du sel et de la mer connote la corruption et l'imperfection
de la partie de l'univers qui demeure dans le chaos. De même que l'esprit du
chaos est indispensable à l’ordre alchimique, l’inconscient est essentiel au
fonctionnement équilibré de l’esprit humain. Dans la pensée alchimique l’âme
s’élève jusqu'au le royaume de l’esprit mais ne trouve pas le salut avant de
redescendre dans le centre de la terre. Cette montée et cette descente
représentent la réalisation des opposés psychiques, ce qui entraîne leur
intégration et l’accomplissement total de la personnalité. La montée et la
descente à travers les sphères planétaires son,t interprétées comme la réunion
des énergies inférieures et supérieures. Dans le Gnosticisme chrétien cette
transformation symbolique commence par une descente puis s'opère par
l’ascension qui s’ensuit (la résurrection). Dans la théorie alchimique le
processus se déroule donc en sens contraire. Le sel alchimique est généralement
associé à l’âme. C'est une substance transcendante qui coagule et transforme
bien d’autres substances. Comme l’âme du monde, il pénètre toutes les
substances. Il est aussi associé à la figure du Christ (également identifié à
l’âme du monde, la substance créatrice). Cette dualité de l’amertume et de la
sagesse dans la signification du sel pourrait exprimer le conflit interne
de la psyché. Pour Jung, il semble que les alchimistes aient eu une bien
meilleure compréhension de cette symbolique conflictuelle que ne l’ont eue plus
tard les Chrétiens ; ils ont reconnu le côté sombre de la psyché et du
monde tandis que l’Eglise continue d'exiger une sorte d’aveuglement lié à
son dogme, en déniant à l’ombre sa place dans l’ordre du monde.
Mysterium conjunctionis tome 2 -
(L'union du Roi et de la Reine)
Le Mystère de la conjonction des opposés.
Le symbole du Roi, du couple
royal et de la royauté expriment souvent une figure archétypique, y compris
dans l'image chrétienne du Christ Roi. C'est du Roi que découlent la vie et la
prospérité des sujets. Le symbole de la Trinité peut y être associé. Dans la
littérature alchimique la plus reculée, le Roi est identifié au Soleil, au Dieu
Père, ou même à l’Or philosophique (qui se révèle lorsque l’âme se libère du
corps). Les textes ultérieurs le présentent comme un facteur de
perfectionnement par sa naissance ou sa renaissance, ce qui sous-entend sa mort
préalable. Comme la psyché masculine dont il est l'image, le Roi a un coté
obscur qui affaiblit son rayonnement. Le roi doit être sacrifié et mourir. Il
ressuscitera avec une force nouvelle. C'est par la mort que l'identification au
Dieu Père est définitivement confirmée. L’idée de l'épuisement du Roi dans le
péché, puis de sa mort est fort ancienne. On la retrouve aussi dans le mythe du
Graal. Finalement son coeur se dissout en eau. Dans les écrits anciens, la
dissolution dans l'eau (aqua permanens), était déjà considérée comme un
phénomène spirituel plus que physique, union psychique des deux opposés. Dans
les textes ultérieurs, la renaissance conduit à un état moral et spirituel
supérieur au delà d'une transformation simplement physique. Afin de pénétrer
dans le royaume de Dieu, le Roi doit retourner à l’état initial et chaotique de
"massa confusa", où tous les éléments sont en conflit.
L'alchimie dépeint la métamorphose du Roi qui passe d'un état imparfait à une
nature saine, parfaite, intégrale et incorruptible. La séparation a lieu dans
l’isolement. Une phase de mort et de décomposition complète précède la
renaissance. Ce paradoxe comme de nombreux autres caractérisent la pensée
alchimique, attachée au principe de la bipolarité des choses. Psychologiquement
le vieux Roi est identifié à la conscience, et son anima redevient
créatrice quand il se renouvelle. La psychologie n'est pas contrainte comme
l'alchimie d'expliquer les phénomènes psychiques en termes théologiques; elle
peut donc faire entrer les figurations religieuses dans le domaine des éléments
psychiques sans toucher à leur contenu théologique.
MYSTERIUM
CONJUNCTIONIS - C. J JUNG
Extrait
du tome 2- " la métamorphose du Roi"
Albin Michel - 1982
Allegoria Merlini (citée parJung)
«
Le Roi demanda à être placé dans une chambre chaude où il pourrait, en
transpirant, éliminer l'eau (qu'il avait demandée). Cependant,
lorsque ses serviteurs ouvrirent la porte e la chambre, il gisait comme mort.
On appela les médecins égyptiens et alexandrins../.. Les Égyptiens déchirèrent
alors le Roi en tout petits morceaux, broyèrent ceux-ci, les mélangèrent
avec leurs médecines "humidifiantes" ../.. et remirent le Roi
dan la chambre chaude, comme auparavant. Au bout de quelques temps, ils le
sortirent n'ayant plus qu'un faible reste de vie. Voyant cela, les
spectateurs éclatèrent en lamentations. Hélas ! le Roi est mort ! Les médecins
les rassurèrent disant qu'il était simplement endormi../.. Quand ils le
sortirent une nouvelle fois, il était réellement mort. Mais les médecins
dirent. Nous l'avons tué afin qu'il devienne meilleur et le plus fort dans le
monde après sa résurrection../... Après cela, les Alexandrins tuent à leur
tour le Roi, découpent le corps qu'ils traitent avec des sels et de l'huile,
passent le tout au feu, le fondent, puis filtrent le liquide. Et le Roi revient
à la vie de nouveau, encore plus ardent au combat. ».
Au premiers temps du Christianisme, la figure du Christ reflétait
l'archétype primordial de l'homme intérieur. Mais, pour les Gnostiques, "l’Anthroposs",
est l'homme accompli, non pas le rédempteur. La finalité des épreuves décrites
dans l'alchimie diffère de celles de la passion du Christ. Le but du sacrifice
alchimique, c'est la propre rédemption du Soi, symbole d'un combat psychique
pour atteindre la totalité. Jung fait souvent référence à l'arrière plan
chrétien de la culture occidentale. Il étudie évidemment les croyances de
l’alchimie et du Christianisme dans les aspects de la psychologie médicale et
du conflit entre conscient et inconscient. Il établit que certains
patients ont des besoins spirituels qui impliquent l’analyste au plan
théologique. Jung voit, dans la renaissance du Roi, le symbole de l’intégration
de la psyché consécutive à l’acceptation consciente des contenus inconscients,
or, le symbole féminin de la Lune/mère renvoie à la Vierge/mère dans le domaine
psychologique inconscient des Chrétiens. Il envisage les croyances alchimiques
et chrétiennes avec un regard de psychologue thérapeute, concernant le
conflit entre le conscient et l'inconscient. La compréhension en profondeur du
symbolisme archétypique contenu dans le dogme chrétien est fort utile lorsque
le patient montre un intérêt évident pour les problèmes religieux ; ses
besoins spirituels exigent alors que l’analyste s’implique dans des questions
purement théologiques. Jung évoque aussi l'idée étonnante d'un Christ
symboliquement androgyne, unissant en sa personne, (en son âme), comme
Adam, le masculin et le féminin, en une unité indissoluble. Comme la mort et la
renaissance du Roi, la figure du Christ représente alors la réunion du
conscient et de l’inconscient, dans laquelle une totalité unifiée est
constituée. « Les faits montrent, dit Jung, que l'union de éléments
antagonistes est une expérience irrationnelle que l'on peut tranquillement
qualifier de mystique, à condition d'entendre par ce terme une expérience que
l'on est en droit de réduire à rien d'autre et à laquelle on ne doit en aucune
manière refuser l'authenticité. ».
MYSTERIUM
CONJUNCTIONIS - C. J JUNG
Extrait du tome 2- " le rotundum, tête et cerveau"
- Albin Michel - 1982
« Le concept de psychisme
n'existait pas au Moyen Âge, dans le sens où nous l'employons aujourd'hui.
Disons même qu'il n'est pas aisé à l'homme cultivé de notre époque de
comprendre la réalité du psychisme ou la réalité de l'âme. Il n'y a donc rien
d'étonnant à ce que le Moyen Âge ait éprouvé des difficultés plus grandes
encore à concevoir quelque chose d'intermédiaire entre "l'esse in re"
(être en réalité),et "l'esse in intellectu solo" (être dans
l'intellect seul). La solution était l'être " métaphysique".
L'alchimiste se trouvait donc en quelque sorte dans l'obligation de formuler
ses données quasi chimiques en termes métaphysiques. ».
Tout comme le conscient et l'inconscient apparaissent opposés l'un à
l'autre, mais s'unissent en fait dans l'humain, les figures du Roi et de la
Reine constituent une espèce d'unité. La Reine correspond à l'anima et le Roi à
l'esprit, celui-ci dominant toutefois le conscient. L’aspect négatif de la
reine (l’anima/inconscient) n'apparaît qu'à travers l’influence qu’elle exerce
sur le sujet conscient, en soutenant et renforçant le Moi au détriment de la
persona. Il en est de même des figures mythiques d’Adam et Eve quand elles
expriment la relation des opposés. Adam est l’arcane, (la substance mystérieuse
et transformatrice), "la materia prima", l'argile originelle.
Il est l'homme intérieur primordial, que la kabbale appelle "Adam
Kadmon". Chez les Gnostiques, dit Jung, il symbolise la relation
amoureuse entre le "noûs" et la "physis".
Symbole du Soi, il représente la totalité de la psyché, manifestant par là même
la divinité cachée. La tradition judaïque en fait la première des huit
incarnations du vrai prophète, la dernière étant le Christ. Mystère du
monde, Adam aurait reçu de Dieu la parfaite connaissance des choses naturelles.
Néanmoins, sa nature est double. D'une part créature parfaite, plus rayonnante
que le Soleil, il est aussi de nature obscure et terrestre, d'où son nom (adamah
= la terre). C'est aussi le vieil Adam qui réunit les aspects purs et
impurs de l’univers. Il doit se renouveler, mais, dit Jung, tandis que dans les
mythes et doctrines la réalisation parfaite de l'unité psychique parait être
une fin accessible, cette union psychique idéale n’est jamais atteinte dans le
domaine du réel. Il existe diverses représentations symboliques de la tête et
du cerveau dans les symbolismes alchimiques et chrétiens. Dans l’alchimie, la
substance arcane, le corps rond, le cerveau, le siège de forces infernales
aussi bien que divines, est associé à l’or. Et dans le Cantique des cantiques,
le noir visage de la Sulamite se dore comme le Soleil et sa sombre chevelure
luit comme la Lune lorsqu'elle rencontre le Bien Aimé, signifiant ici la fusion
du sponsus et de la sponsa en un état parfait, une figure unique,
l'enfant du Soleil et de la Lune.
La conjonction alchimique, dit Jung, est sans aucun doute l'image
primitive de ce que nous appelons aujourd'hui "combinaison
chimique". Mais les anciens adeptes lui donnaient un autre sens.
Quand ils parlaient d'une union des deux natures, au sujet d'un alliage de
métaux ou d'un amalgame, ils pensaient à une aventure amoureuse engendrant un
"composé spirituel". La conjonction alchimique exprimait une
conception universelle du monde tant intérieur qu’extérieur de l’homme. La
description alchimique du commencement du monde peut aussi représenter l’état
primitif de la conscience au seuil de sa différentiation en affects représentés
par les quatre éléments. Chaque archétype y représente un aspect du Moi, centre
premier symbolisé dans l’alchimie par la pierre ou le Microcosme. Le symbolisme
alchimique de la mort volontaire et de la réunion des opposés correspond au
processus d’individuation en psychothérapie. La dissolution et la séparation
des composants figurant ici une dissociation de la personnalité qui est perçue
comme une sorte de mort. L’étape suivante de l’individuation, la réunion de
l’esprit et du corps, est symbolisée par la figure des noces alchimiques.
L'homme qui vient à connaître cette totalité doit traduire cette improbable
réunion dans la réalité par la connaissance de soi qui permet de savoir qu’on
est plutôt que qui on est. De ce savoir surgira la connaissance de Dieu, des
autres êtres et de l’univers. Pour y accéder, l’alchimiste prépare le "caelum"
permettant d'obtenir la "quintessence", une substance supposée
signifier le royaume du ciel sur terre. L'alchimiste imaginait librement cette
magique et mystérieuse procédure chimique. La préparation du "caelum
"figurait la projection de contenus psychiques sur des substances
chimiques. La finalité de ce rite était la recréation du principe de vie, ce
qui, en psychologie correspond au processus d‘individuation. La méditation
alchimique, une confrontation avec l’ombre, n'est pas philosophique ou
religieuse. Elle correspond à la mise en relation psychique avec l’inconscient.
La conception alchimique de la connaissance de soi correspond à sa définition
en psychologie. On y parvient au moyen d’une union des contraires d’où jaillit
un troisième terme au-delà des opposés.
MYSTERIUM CONJUNCTIONIS - C. J JUNG
Extrait du tome 2
" La vision alchimique de l'union
des opposés."
Albin Michel - 1982
Physica Trismegisti, de Dorn (citée parJung)
«
Au commencement, Dieu a créé Un monde. Il l'a divisé en le nombre Deux
: le ciel et la terre. Á l'intérieur est caché un troisième principe médiateur,
l'unité originelle qui participe des extrêmes. Ceux ci ne peuvent rien être
sans le troisième, et ce dernier ne peut rien être sans les deux autres. Ce
troisième principe est l'unité originelle du monde, "le vinculum
sacrati matrimonii" (le lien du mariage sacré). Mais la division en
deux était nécessaire "pour faire passer le monde unique de l'état de
potentialité dance lui de réalité". La réalité consiste en une
multiplicité de choses. Mais Un n'est pas encore un nombre. Deux
est le premier nombre avec lequel commence la pluralité et donc la réalité.
».
Jung cite Dorn qui disait que l'esprit ( animus) qui doit s'unir à
l'âme dans l'unio mentalis l'appelait spiraculum æternæ (souffle
de vie éternelle, signifiant ainsi qu'il était une fenêtre sur
l'éternité, tandis que l'âme, organe de cet esprit, avait de son côté le corps
pour instrument. Les alchimistes avaient vu dans cette union mentale dominée
par l'esprit, un premier degré de la conjonction, qui en compte évidemment
plusieurs. Ils l'appelaient monoculus (homme à un seule jambe), et
symbolisaient la seconde étape par l'image des "noces chymiques"
que l'on retrouve chez Christian Rozenkreutz. Elles s'accomplissaient
dans l'athanor (ou fourneau cosmique), un processus qui se préparait
religieusement. Le second degré de la conjonction, disait Dorn, consiste
en ce que l'unio mentalis (union dominée par l'esprit) est de nouveau
unie au corps, et ce n'est qu'à partir de là que peut être atteinte la
conjonction parfaite, l'union avec "l'unus mundus", qui
signifie le retour au premier jour de la création quand le monde potentiel
participait encore au Un divin. Voila "l'unus mundus de Dorn. La
pensée qu'il exprime est celle d'une conjonction universelle. Jung traduit cela
par une identification de l'Atman personnel avec l'Atman supra-personnel, et du
Tao individuel avec le Tao universel. La réalisation d'une totalité devenue
consciente qui peut paraître insurmontable à la psychologie moderne, semblait
alors magiquement accessible aux adeptes se projetant dans une morale et une
métaphysique différentes (univers anthropocentrique). Les alchimistes
symbolisaient la dernière étape de la conjonction par la production de la
"pierre", (achèvement du second degré), cette union finale
recréant le monde indifférencié d’avant la création. Il s'agit pour nous de
l'union de l'inconscient libéré intégré avec l'inconscient collectif, une
conception étrangère à l’esprit occidental. De même que l'on n'a jamais produit
la merveilleuse "pierre philosophale", on n'attendra probablement
jamais une réelle totalité psychique. Probablement désireux d'appuyer
historiquement ses propres théories, Jung voulait désigner la psychologie comme
le successeur philosophique de l’alchimie en montrant que les deux écoles
travaillaient à l’union harmonieuse des opposés. Il ajoutait cette démarche à
l'étude du Taoïsme et de la vieille alchimie chinoise entreprise vingt ans plus
tôt, et nous exposons cet autre aspect de son travail dans le prochain
chapitre.
Le Mystère de la Fleur d'Or
Le "Commentaire sur le
Mystère de la Fleur d'Or" ne constitue pas le couronnement de la part
ésotérique de l'œuvre de Jung, mais pourrait bien en être l'un des fondements.
C'est en effet en 1928 que Richard Wilhem, un missionnaire protestant en Chine,
demanda à son ami de faire un commentaire psychologique sur une traduction du
Yi King qu'il se proposait de publier. Le psychiatre se passionna pour le
traité qui confortait sa propre réflexion, et il entreprit aussitôt de le
mettra à la portée des esprits occidentaux. Il étudiait depuis quinze ans les
processus de l'inconscient collectif et ne trouvait pas de comparaisons
historiques valables pour épaules ses thèses. Les seuls analogies gnostiques
qui auraient pu l'aider n'avaient guère laissé de traces que dans les lointains
et douteux rapports des hérésiologues chrétiens. Le texte de Wilhem l'aida à
sortir de cet embarras. Il n'y vit au début qu'un texte taoïste. Quand il en
découvrit plus tard le caractère alchimique, il perçut que l'alchimie médiévale
constituait le chaînon qu'il cherchait entre la Gnose et sa propre approche
moderne de l'inconscient collectif. Jung ressentait profondément l'étrangeté de
ce texte chinois, mais il ne s'agissait pas pour lui, de substituer une
approche orientale empirique à la stricte méthode occidentale de recherche
scientifique de la connaissance. Il pensait puéril de tourner le dos à la
science et de se borner à imiter pitoyablement les méthodes supposées mener à
l'extase orientale. La Théosophie lui paraissait exemplaire de cette méprise.
La méthode ne devrait être qu'un chemin car tout dépend de celui qui l'utilise.
Avouons simplement, disait-il, que nous comprenons mal l'immense portée
psychologique du détachement du Monde professé dans le Yi King, ce livre
qui fonde la trame millénaire de la pensée et de la sagesse chinoise.
L'intellect devient un ennemi de l'âme quand il veut capter le lumineux
héritage de l'esprit. Et il en demeure incapable puisque l'esprit vivant intègre
toujours le coeur et que c'est unitairement qu'il aspire au dépassement des
limitations humaines.
Jung appelle "l'inconscient collectif" le substrat commun que
la psyché possède au-delà des distinctions culturelles ou sociales, de même que
le corps humain révèle une anatomie commune par de-là toutes les différences
ethniques Cette psyché inconsciente ne contient aucun contenu susceptible de
devenir conscient, mais des dispositions instinctives communes à toute
l'humanité. Elles suffisent pour répondre aux besoins d'une nature relativement
constante. Plus la conscience et la volonté deviennent autonomes, plus cet
inconscient se trouve renvoyé à l'arrière plan. Finalement, la psyché peut en
arriver à une sorte de liberté prométhéenne engendrant parfois un déséquilibre
dangereux. C'est un peu le sens des paroles du Yi King: "Lorsque
le Yang atteint sa plus grande puissance, la force obscure du Ying croît à
l'intérieur de lui, car à midi la nuit commence, le Yang se brise et devient
Ying". La tradition chinoise n'a jamais séparé violemment les
opposés mais conseillait au contraire de les concilier. C'est la "nirdvandra"
des Hindous, la voie libre d'opposés. Que faire pour prendre cette libre voie?
Un vieil adepte prétendait que "Si l'homme de travers utilise le moyen
juste, le moyen juste opère de travers". En tant que médecin,
disait Jung, autant que j'ai pu m'en rendre compte, les malades qui réalisaient
ces progrès libérateurs ne faisaient rien; ils laissaient simplement les choses
advenir. Le "laisser advenir", l'action non agissante est
ainsi devenue pour Jung, la clé qui ouvre les portes menant à la voie. "Dans
le domaine psychique, disait-il, il faut pouvoir laisser advenir".
C'est un art véritable, souvent incompris. L'encombrant conscient des Européens
ne cesse d'intervenir, de nier, de corriger, et la tentation d'agir est chez
eux, constante. Il vaut mieux accueillir tout ce qui arrive avec
l'élargissement de la conscience que cette acceptation apporte. Et il est
infiniment plus simple d'imiter cette voie chinoise du "laisser advenir"
en effectuant le retournement d'attitude qui convient.
L'unification des opposés à un niveau supérieur n'est pas, selon Jung,
une affaire rationnelle ni une question de volonté, mais un processus psychique
de développement qui s'exprime par des symboles. Ces productions de
l'imagination (souvent des pensées), peuvent aussi se traduire par des dessins,
essentiellement sous formes de "mandalas", des cercles plus ou moins
magiques. Ce sont des images en forme de fleurs, de croix, ou de roues, souvent
caractérisées par le chiffre quatre ou la croix. Dans le mystère de la fleur
d'or du grand Tao, la fleur est la lumière et la lumière est le
Tao. La fleur peut être représentée vue d'en haut comme un ornement, ou
latéralement comme une fleur sur une plante. Les mandalas la représentent donc
avec une structure concentrique de luminosité croissante de la périphérie
obscure jusqu'au centre, la bulle germinale, la lumière blanche centrale, le
"visage", le point créateur. C'est tout l'ensemble allant de
l'obscurité à la lumière qui représente le Tao. Le symbolisme de cette
progression est évident : l'obscur enfante le lumineux, l'inconscient devient
conscient sous l'effet d'un processus de vie et de croissance. Ainsi naît, dit
Jung, l'unification de la conscience et de la vie. La nature humaine et la
conscience (sing) sont symbolisées par la lumière dont l'intensité va
croissant. Leur caractère est Yang. A la vie (ming) correspond
l'extension progressive de l'image. Son caractère est Yin. Le mandala
réunit les deux dans une évidente harmonie. Il faut ici noter que dans la
culture orientale, la progression se fait toujours à partir du centre. Le
Tao est donc mouvement. D'ailleurs le graphisme qui sert à l'écrire réunit deux
caractères, le premier signifiant la "Tête", et le second, le
verbe "aller", le tout pouvant être interprété comme le "chemin
conscient". Remarquons aussi que la forme circulaire exprime l'idée de
circulation. la roue tourne, le soleil est vivifié, dit Jung, le Tao commence à
opérer, l'action s'inverse en non-agir et le centre soumet les puissances
périphériques.
Lors de la rencontre avec le conscient, l'action de l'inconscient
collectif peut entraîner la dissolution de la conscience. Cela explique la
présence d'un cercle protecteur dans le mandala. Les contenus inconscients
activés sont assimilés par le conscient en prenant la forme d’idées. Il est
fort dangereux de nier l’existence de l’inconscient, tant pour l’individu
conduit à la névrose, que pour les nations ainsi menées aux pires psychoses
collectives. les concepts d’animus et d’anima de Jung diffèrent des
homologues présentés par Wilhelm. Le conscient que Wilhelm traduit par "animus",
rendu par le caractère "houen", est le principe masculin
(Yang), une âme de souffle supérieure qui s’élève après la mort,
en devenant "chen", esprit ou dieu. Il appelle
"anima", "po" le principe féminin (Yin) qui
descend après la mort, devenant "kouei", génie ou parfois
fantôme. Cette séparation post mortem montre que la philosophie chinoise
reconnaissait deux facteurs distincts mais unis dans la psyché humaine. "Bien
qu'à l'origine, ils soient une seule chose dans une essence unique, opérante et
véritable, ils sont deux dans la résidence du créateur". Pour
clarifier les choses, Jung, embarrassé, propose se substituer le terme Logos
à celui de cet animus masculin qui illustre les caractéristiques
universelles et impersonnelles de la psyché masculine contrastant nettement
avec l’anima feminin. Pour l'animus de la psyché féminine, il utiliserait
le mot "Eros". Le "Logos" signifierait la
différentiation, la clarification, la discrimination et la séparation, et l’Eros,
l’entrelacement et la relation. Le Tao tout entier croît à partir de
l'individu. La confusion primitive d’indifférenciation entre le sujet et
l’objet ne peut être résolue tant que l'on conserve une identification avec ses
parents, ses affect et préjugés, et sa résolution exige que l’on tienne compte
autant des exigences de l’inconscient que du conscient. La conscience occidentale
n'est en aucune manière universelle, elle est historiquement, religieusement et
géographiquement conditionnée. Jung voudrait donc que ses recherches sur la
psyché contribuent à jeter un pont de compréhension intérieure et spirituelle
entre l'Orient et l'Occident.
Dans un discours prononcé à la mémoire de son ami
Wilhelm ainsi que dans la préface de l'édition anglaise de son livre, et
parlant des oracles du Yi King, Jung aborda un sujet qui lui est cher et qu'il
appelle "Principe de
synchronicité". C'est un thème qu'il a par ailleurs
approfondi avec son ami Wolfgang von Pauli, physicien autrichien spécialiste en
mécanique quantique et prix Nobel de physique. Paoli et Jung souhaitaient
explorer les ponts entre la physique fondamentale et la psychologie. En 1952,
ils produisirent en commun un ouvrage intitulé "Synchronicité comme principe de connexions a-causales",
livre dans lequel ils schématisaient les quatre lois fondamentales de l'unus mundus (l'unique monde).
En dépit de l'éloignement de leurs disciplines, ils parvinrent à cette
déclaration commune : « La psyché et
la matière sont régies par des principes communs, neutres, qui ne sont pas, en
soi, identifiables. ». La synchronicité est alors déterminée comme ce
qui manque pour aboutir à une compréhension unitaire de la psyché et de la physis. Jung a défini la synchonicité
sur deux plans en distinguant d'abord les phénomènes repérés dans sa pratique
parce qu'ils étaient porteurs de sens pour les sujets concernés. L'autre plan
considéré était celui de la coïncidence d'un état psychique avec un état
éloigné dans le temps. Dans les deux cas, aucune relation causale ne pouvait
être trouvée. Jung avait donc avancé dès 1897 que "l'âme peut être conçue comme une intelligence indépendante du temps et
de l'espace". La notion de synchronicité est manifeste, y compris
sur le plan psychique, quand deux évènements apparaissent clairement liés entre
eux, mais de de façon acausale (sans qu'aucun soit consécutif à l'autre).
Au fil des développements de Jung, ceci aboutit au "Principe de Mach" qui énonce que
"La totalité de l'univers est
présente à chacun de ses endroits et à chacun de ses moments".
« Bien moins qu'une abstraction, le temps serait donc plutôt un "continuum concret"
renfermant des conditions fondamentales pouvant se manifester simultanément
dans un parallélisme acausal. ».
Le Livre Rouge
En 1913, un peu avant la première
guerre mondiale, Jung, déjà bien connu comme psychiatre, connaît une période
dépressive. Âgé d'environ 38 ans, sa vie et ses recherches sont marquées par le
doute et la quête de sens. C’est au cours de cette période difficile, qu’il
commence à rédiger son Livre Rouge. Le Livre Rouge rassemble les notes et les
dessins les plus intimes que C. G. Jung aient réalisés. Il témoigne des tensions
qui l’habitent à l’époque et documente sa confrontation avec l’inconscient, qui
s’accompagnera parfois de rêves terrifiants et d’expériences personnelles
douloureuses. Pendant seize ans, il consignera ces rêves et ces fantasmes dans
un volume qu’il illustrera lui-même. Ce qui s'est alors passé été
interprété de diverses façons, comme une maladie créative, une descente aux
enfers, un combat avec la folie, une sublimation narcissique, une
transcendance, une crise de la quarantaine ou une perturbation interne
reflétant les souffrance engendrée par la guerre. Quoi qu'il en soit, il
apparait que Jung se soit alors égaré dans le chaos de sa propre psyché. Il
était hanté par de sombres visions et entendait des voix intérieures
l'interpeller. Il s'inquiétait de ces vivions parfois horribles et se sentait
selon ses propres termes, "menacé par une psychose» ou «gagné par la
schizophrénie." Il dira plus tard de cette période de sa vie, de ce qu'il
appelait "confrontation avec l'inconscient", qu'il se sentait comme drogué
à la mescaline. Il a décrit ses visions comme provenant d'un "flux
incessant" qu'il comparait à une chute continue de pierres sur sa tête,
d'orages, de lave en fusion. "J'ai eu souvent à m'accrocher à la
table", rappelait-il, "pour ne pas m'effondrer.".
Le Livre Rouge est de journal de
bord de la traversée entreprise par Jung dans les profondeurs de sa psyché, le
compte-rendu extraordinaire de sa "confrontation personnelle avec
l'inconscient". Cette phase cruciale de sa vie, durant laquelle il nota tous
ses rêves et ses visions, allait aboutir à ce qui sera l'essence même de
son œuvre. L'exploration extrême des profondeurs et le débat avec l'inconscient
seront pour lui la source d'inspiration fondamentale de sa volonté d'essayer de
déchiffrer la complexité de la psyché, ainsi qu'un puissant moteur pour la
réalisation de ce projet. S'il avait été un patient psychiatrique ordinaire,
Jung aurait été poussé à ignorer ce qui se passait dans sa tête, mais, en tant
que psychiatre, il a plutôt tenté de faire tomber le mur séparant son moi
rationnel de son psychisme. Pendant environ six ans, Jung a voulu empêcher son
esprit conscient de bloquer ce que son inconscient voulait lui montrer. Entre
les rendez-vous avec ses patients, après le dîner avec sa femme et ses enfants,
quand il avait un peu de liberté, Jung s'asseyait dans son bureau et laissait
survenir en lui les pensées et hallucinations, (qu'il appelait
"imaginations actives"), afin, disait-il, "de saisir les
fantasmes qui s'agitaient en ses profondeurs". Il écrivit plus tard dans
son livre Souvenirs, rêves et pensées : "Je savais que je
devais me laisser sombrer avec elles vers le bas". Ce qu'il écrivait alors
n'avait plus le détachement ni l'impartialité habituelle de ses rigoureux
essais universitaires sur la psychiatrie. Ces écrits devenaient une sorte de
jeu fantasmagorique mené par le désir qu'avait Jung tout à la fois de tracer
une voie hors de son marécage intérieur, mais aussi d'en ramener une partie des
richesses découvertes.
En effet, Jung enregistrait tout
ce qu'il percevait. Il d'abord tout noté dans une série de six petits
cahiers noirs. Il a ensuite analysé ses phantasmes et les a explicités en les
reportant dans un style prophétique et solennel dans un grand livre relié en
cuir rouge. Le livre détaille sans pudeur ni honte le long voyage psychédélique
parcouru dans son propre esprit, une progression vaguement homérique faite de
rencontres avec des gens étranges qui se déroulent dans un curieux décor
onirique. Écrit en allemand, il comprend 205 grandes pages pleines de
calligraphies élaborée et d'images peintes qui sont en fait des tableaux
extraordinairement détaillés et très richement colorés. L'ouvrage final
ressemble étonnement à un manuscrit du 15e ou 16e siècle. Il a fallu d'innombrables
heures de travail pour recopier le texte original à l'encre de Chine en
écriture gothique sur du parchemin, et l'enluminer de lettrines et de
cabochons, en insérant les gouaches entre les pages. Jung a travaillé sur son
livre, qu'il appelait simplement "le Livre Rouge" pendant seize
années, c'est à dire bien longtemps après la fin de sa crise existentielle,
mais il ne l'a jamais terminé. En 1930, il décida soudain de l'interrompre au
milieu même d'une phrase. Cependant, il s'en inquiétait souvent, se demandant
si sa publication éventuelle serait comme ayant un caractère scientifique par
ses pairs ou bien s'il valait mieux l'oublier dans un tiroir. Jung demeurait
pourtant sans équivoque à cet égard. "Toutes mes œuvres, toute mon
activité créatrice, on s'en souviendra plus tard, est venue de ces fantasmes
initiaux et de ces rêves". En fait, Jung a gardé le Livre rouge
soigneusement enfermé dans un placard de sa maison de Küsnacht dans la banlieue
de Zurich. Quand il est mort en 1961, il n'avait pas laissé d'instructions
précises sur ce qu'il fallait en faire.
ll se pourrait au Jung ait trouvé l'une de ses sources
d'inspiration dans le Livre rouge de HERGEST dont le manuscrit conservé à
Oxford,est le premier texte évoquant le Graal.
Liber novus & Liber secundus
Le Livre Rouge comprend plusieurs parties qui
s'enchaînent : "Le "Liber Novus" dévoile la crise vécue
par Jung qui craignait même la folie. Apparait ensuite le personnage d'Elie qui
deviendra Philémon. Dans le "Liber Secundus", son
cheminement intérieur semble se complexifier et s'apaiser. Dieu réapparait,
Jung revient vers le christianisme et les religions, et commence à donner un
sens nouveau à sa vie. Il retrouve progressivement la voie de son unification.
Il y a de très nombreuses illustrations dans le Livre Rouge, sous de multiples
formes et formats. Jung écrit et peint difficilement sur des parchemins et au
début, dans le Liber Novus, ses dessins sont un peu maladroits et de petits
formats. Dans le Liber Secundus, la seconde partie du Livre Rouge, les
illustrations sont plus nombreuses, les dessins deviennent réalistes et
s'agrandissent en pleine page. Certaines images illustrent ou reformulent les
idées du texte, mais d'autres en sont éloignées ou sans rapport évident avec
lui. C'est que Jung choisissait alors de laisser venir a lui l'inspiration
artistique du moment. Dix-huit pages présentent de beaux mandalas en couleurs,
inspirés de ceux du Tibet, avec des thèmes plus ou moins
"gnostiques", et des caractères runiques. Á la fin du livre
second, Jung écrit: "Il faut que je reprenne les choses à un moment du
Moyen-âge, à l’intérieur de moi-même (…) "Je dois repartir aux
débuts, à ce moment où les moines ermites ont disparu". Il dit aussi
:"Les années durant lesquelles j'étais à l'écoute des images intérieures
constituèrent l'époque la plus importante de ma vie, au cours de laquelle
toutes les choses essentielles se décidèrent. Car c'est là que celles-ci
prirent leur essor et les détails qui suivirent ne furent que des compléments,
des illustrations et des éclaircissements. Toute mon activité ultérieure
consista à élaborer ce qui avait jailli de l'inconscient au long de ces années
et qui tout d'abord m'inonda". Ce fut la matière première pour l'œuvre
d'une vie.
Jung lui-même a longtemps hésité à publier son livre. Il en a retravaillé
occasionnellement le texte, comme s'il envisageait une parution, et il a aussi
consulté des amis ou des proches à ce sujet, mais il n'en n'a rien fait et n'a
pas laissé d'instructions avant sa mort, se bornant à demander que le Livre Rouge,
son manuscrit si somptueusement calligraphié et orné, demeure dans la
famille. Les héritiers ont protégé le "trésor familial" dans
un coffre-fort, sans même en autoriser la consultation. C'est finalement
l'universitaire britannique Sonu Shamdasani qui a su convaincre les héritiers
que le risque d'une édition non-autorisée existait et qu'il conseillait
d'autoriser d'en faire une édition soignée, respectueusement traduite et
annotée. Cette idée a finalement été acceptée par la famille de Jung,
d'où la parution en 2009 des versions allemande et anglaise. Une édition
française est maintenant disponible. Le Livre Rouge (Liber Novus) demeure
une pièce majeure de l'œuvre de Carl Gustav Jung, élaborée entre 1914 et 1930. Une troisième partie du Livre rouge, reprise d'un manuscrit non
calligraphié a été retrouvée dans les archives de Jung. Il y dialoguait avec
les morts. Cela permit de redécouvrir l'un des textes les plus étranges de
Jung, "les Sept Sermons aux Morts" qui a été intégrée à l'édition
sous le sous-titre "Épreuves". L'exemplaire original du
Livre Rouge
a été exposé au musée Guimet, en 1971, dans le cadre de
"l'exposition Le
Livre Rouge de C.G. Jung". Tous ces textes et illustrations
autorisent un nouveau regard le cheminement et le travail et du psychanalyste
qui était aussi un artiste de talent. Jung a également peint sur un
parchemin distinct un grand mandala superbe et complexe qu'il a intitulé
"Système du Monde dans sa Totalité" et qui symbolise l'ordre général
du monde dans ses différentes fonctions et tensions opposées, représentant à la
fois le microcosme de la psyché humaine et son insertion dans le macrocosme
cosmique. Mais Jung n'était pas que peintre et dessinateur. Il y avait
plusieurs de ses sculptures de pierre dans le jardin de sa maison de Küsnacht
dont les murs de la tour était décorée de tableaux tirés de son livre
Citations de
Carl Jung
Il est bien difficile d'être simple.
Sans émotions, il est impossible de transformer
les ténèbres en lumière et l'apathie en
mouvement
Qui regarde dehors rêve. Qui regarde à l'intérieur se réveille.
Ce n'est pas en regardant la lumière qu'on devient lumineux,
mais en plongeant dans son obscurité.
La clarté ne naît pas de ce qu'on imagine le clair
, mais de ce qu'on prend conscience de l'obscur.
Les gens feront n'importe quoi,
peu importe l'absurdité,
afin d'éviter de faire face à leur
propre âme
La chose la plus terrifiante,
c'est de s'accepter soi-même.
Soyez ce que vous avez toujours
été.
Il ne s'agit pas d'atteindre la
perfection, mais la totalité.
En chacun de nous existe un autre
être
que nous ne connaissons pas.
Il nous parle à travers le rêve et nous fait savoir
qu'il nous voit bien différent
de ce que nous croyons être
Les rêves
En fait, les rêves sont des
produits de l'âme inconsciente;
ils sont spontanés, sans parti
pris,
soustraits à l'arbitraire de la
conscience.
Ils sont pure nature, et, par
conséquence,
d'une vérité naturelle et sans
fard;
c'est pourquoi ils jouissent d'un
privilège sans égal
pour nous restituer une attitude
conforme
à la nature fondamentale de
l'homme,
si notre conscience s'est
éloignée de ses assises
et embourbée dans quelque ornière
ou quelque impossibilité.
-
Méditer ses rêves, c'est faire
un retour sur soi-même.
Au cours de ces réflexions,
la conscience du moi ne médite
pas sur elle seule;
elle s'arrête aux données
objectives du rêve
comme à une communication ou à un
message
provenant de l'âme inconsciente
et unique de l'humanité.
On médite sur le Soi et
non sur le Moi,
sur ce soi étranger qui nous est
essentiel, qui constitue notre socle
et qui, dans le passé, a engendré
le moi;
il nous est devenu étranger, car
nous nous le sommes aliéné
en suivant les errements de notre
conscience."
-
C-G Jung
CHAPITRE 12
L’illusion de la connaissance
Introduction
Un jour ou
l’autre, la finalité de l’existence humaine apparaît comme le seul problème
réellement essentiel posé à la curiosité de l'esprit. Les mêmes questions
fondamentales se posent aux chercheurs de tous les temps, suscitant les mêmes
incertitudes. Que suis-je ? D’où suis-je ? Où suis-je ? Où vais-je ? Ces
questions existentielles concernent finalement la vie et la mort, ou l’origine
de l’être et son destin. S'y ajoutent les problèmes éthiques et moraux de la
cause et de la nature du mal. L'Homme est doté d’un puissant instinct
d’exploration qui le pousse inlassablement à transformer l’inconnu en connu.
Devant le mystère de l’être et de l’origine, à travers les mystères de la vie
et du destin, il va vers les autres mystères de la mort et de la fin des temps,
cherchant toujours désespérément un peu plus de connaissance et de
compréhension. La science, la religion, la philosophie fournissent des
réponses qui restent décevantes. Le cœur, la raison, et l’intelligence n’y
trouvent pas leur compte. Il n’y a pas de vérités absolues, mais seulement des
assemblages diversifiés de compréhensions fragmentaires et beaucoup de
questions sans réponses. Tous les cheminements restent individuels, incertains
et pénibles. Mille voies, dit-on, mènent au Bouddha. Cent mille tournent en
rond et ne mènent nulle part, car il n'est pas de vérité absolue. Il n'y a que
des vérités multiples, relatives et partielles. Chacun a donc sa propre vérité
qui ne vaut que pour lui et ne peut être imposée à autrui. Ma propre recherche
n'a pas de valeur générale et ne sera probablement pas partageable. Elle est
simplement l’expression difficile d’un effort personnel de cheminement vers un
peu de clairvoyance. Il s’agit de la recherche de ma propre raison d’être, et
n'est qu'un témoignage. Si les mêmes inquiétantes questions vous assaillent,
vous pouvez choisir de vous étourdir et de les éviter. Sachez que cet évitement
sera inutile. Lorsque ce chemin a été pris, le cavalier mental vous mènera
inlassablement vers son but, votre vie durant. Un jour, pour vous aussi, il
faudra faire face et engager, pour votre propre compte, la quête de votre
propre Graal. Vous userez de divers moyens, de la métaphysique, de
l’ésotérisme, de l’intuition, du mysticisme, ou de la pensée scientifique. Vous
mènerez vos réflexions sur l’émergence spontanée de l’intelligence à partir de
la seule matière ou vous préférerez croire à l’action d’une puissance
extérieure intervenant à l’origine. Vous penserez peut être qu’un Être originel
s’est manifesté dans le Monde, puis dans la vie et dans l’Homme, afin d’y
réaliser un accomplissement et une élévation pour lesquels la Terre et
l’univers sont des moyens utiles. Ou bien, vous penserez que l’Homme a été
placé dans ce même Monde, afin d’y jouer un rôle prédéterminé. Vous pourrez
aussi imaginer que l’univers est né d’un accident du vide, et qu’il évolue
inexorablement vers son extinction et sa fin. Quoique vous engagiez, vous
rencontrerez toujours les dogmatismes implacables des multiples intégrismes et
vous vous heurterez aux acharnés défenseurs des théories acceptées. Toutes les
approches doctrinaires demeureront irréductibles en dépit de votre prise de
conscience de la nature fragmentaire de la connaissance, de la valeur relative
des arguments présentés et des réels efforts de rapprochement des tenants
respectifs. Il vous faudra aussi rester à distance d'engagements trop entiers
vers les hypothèses tentatrices que vous rencontrerez inévitablement.
Dans le chemin de votre développement personnel, vous serez seul et vous
n’avancerez que si vous préservez votre absolue liberté de pensée.
La quête de vérité passe nécessairement par la pensée libre.
Percevoir le Monde
Notre quête
de vérité est toujours exercée par notre intelligence et notre raison, à partir
des de nos sens. Il convient donc de commencer par examiner la qualité de ces
fonctions, si déterminantes dans la réussite de son objet. La réflexion sur la
nature du monde, s'établit d'abord à partir des perceptions et du témoignage de
nos sens. Cette mise en œuvre des instruments sensoriels n'est pas particulière
aux êtres doués de raison. Chaque vivant l'effectue parce qu'elle est
essentielle à sa vie. Comprenons que ces outils ne sont pas essentiellement des
instruments de connaissance, mais des équipements de survie. Ils ne sont pas
braqués vers des objets à connaître, ni spécifiquement adaptés à leur
découverte ou à la détermination de leurs caractéristiques. Ils sont, tout au
contraire, conformés par les particularités physiologiques des sujets à protéger,
édifiés à partir de leurs modes de vie ou de leurs besoins, et adaptés à leurs
facultés. Les informations transmises par nos sens sont donc mal adaptés à
notre recherche. Lorsqu'ils détectent des stimuli correspondant à leur rôle
particulier, les organes émettent des signaux à destination du centre nerveux
central. Ces signaux sont seulement des signaux. Ils ne sont pas une
représentation fidèle du réel car les organes n'utilisent qu'une très petite
partie des indices disponibles. De plus, les sens fonctionnent généralement en
coopération et non pas isolément. Ils présentent au cerveau des synthèses
collectives, élaborées en termes d'utilité vitale, et non pas une abondance
chaotique d'informations brutes, difficilement exploitable dans l'instant. Des reflets
internes sophistiqués sont construits par notre cerveau sur la base des données
provenant à la fois de notre mémoire et de nos divers sens (limités). Ce sont
des objets complexes, purement mentaux, non pas des représentations exactes de
la réalité. Cela reste vrai quelles que soient les techniques et les
instruments utilisés pour augmenter la précision de l'examen, qui ne
constituent, en fait, que des prolongement ou des compléments des organes
sensoriels initiaux.
Nos organes
des sens sont essentiellement des appareils physiologiques spécialisés
construits pour détecter la présence d'objets conditionnant notre survie dans
le monde extérieur. Ils émettent des signaux pour en informer le entre nerveux
central. D'autres êtres vivant utilisent des sens différents, avec des organes
parfois très éloignés des nôtres, émettant des signaux dont nous ignorons
parfois la nature. Avec des images de la réalité bien différentes de la
perception humaine, ils répondent tout aussi bien à leur objectif essentiel, à
savoir la survie des individus et des espèces. Á l'évidence, nos sens nous
donnent une image assez infidèle de la réalité. Chez l’Homme, le centre nerveux
central est localisé dans le cerveau. Il a acquis un développement particulier
qui permet un examen conscient de l’image synthétique construite par le mental
pour représenter l’environnement du sujet. Par ailleurs, le mental humain est
également capable de construire d’autres structures synthétiques imagées dont
le rôle est de représenter des objets immatériels ou abstraits. J'ai tenté de
montrer combien ces images réfléchies du Monde sont parfois incomplètes,
souvent illusoires et, par nature, toujours mécaniques et artificielles. Elles
sont accessibles au conscient mais elles sont fabriquées par le mental à partir
des signaux transmis par les organes des sens ou par des données extraites des
banques mémorielles, ou par une combinaison des sources. D'une certaine façon,
elles nous sont livrées par l'artisan mental, un double intérieur,
(serviteur et parfois maître redoutablement trompeur). C'est cet
auxiliaire qui présente à notre conscient la représentation du réel. Nous
voyons très évidemment qu'il s'agit là d'une imagerie systématique et
organisée. La représentation du réel est purement mentale. Il s'agit toujours
d'un objet représentatif construit de façon synthétique, à partir des signes
abstraits, émis dans l'instant par les différents organes sensoriels, externes
et internes, combinés dans le même temps avec d'autres signes abstraits puisés
dans la mémoire.
Actuellement, la vie
sur Terre occupe trois empires distincts. Le premier et le second sont proches
de nous dans l’espace et éloignés dans les principes. Les êtres vivants qui les
habitent sont des procaryotes. Ils ont une forme corporelle élémentaire et une
structure assez simple, ce qui ne veut pas dire que leur fonctionnement ne soit
pas complexe. Les fonctions de la vie sont toujours compliquées. Les nombreux
habitants du premier empire sont les bactéries, connues pour leur comportement
gênant. (Les virus sont probablement des bactéries affectées d'une évolution
régressive). Ceux du second empire sont les archées. Très répandues, elles
peuplent les lieux les plus inhospitaliers du monde, tels les sources
brûlantes, les acides, les salines, les eaux glacées, les liquides organiques.
Les archées sont probablement plus anciennes que les bactéries, mais quelques
chercheurs pensent qu’elles proviennent de l’évolution de celles-ci. La
caractéristique principale de ces deux populations primitives est d’utiliser
des véhicules corporels formés d’une seule cellule sans noyau. On les appelle
procaryotes. Elles ont la faculté de se reproduire à grande vitesse par simple
division clonée, en formant deux cellules identiques à l’originelle. En
principe, les procaryotes ne meurent que par accident. Ils sont potentiellement
immortels. Si les procaryotes disposaient de nourriture en quantité suffisante
comme dans le passé, le monde entier serait envahi en quelques jours. Les
premiers organismes multicellulaires ressemblaient à de simples sacs munis
d’une ouverture banale servant à la fois aux fonctions de nutrition et
d’élimination. Quelques embranchements animaux suivent encore ce schéma
primitif. Ce sont les diploblastiques. Ils sont construits en utilisant seulement
deux feuillets générateurs d’organes, l’un intérieur, l’autre extérieur. Tous
les diploblastiques sont acéphales et privés de cerveau. Et cependant, ils
fonctionnent et prospèrent à merveille. On imagine difficilement comment ils se
représentent le monde et en mémorisent les aspects.
Le cerveau, objet complexe
Le troisième empire
des vivants est celui des eucaryotes, dont nous faisons partie. Les cellules de
leurs corps comportent un noyau contenant des chromosomes. L’empire des
eucaryotes compte quelques principautés et trois grands royaumes très
différents, celui des végétaux, celui des champignons, et celui des animaux qui
est aussi celui des hommes. Les eucaryotes se reproduisent lentement en
utilisant des mécanismes compliqués. Ils construisent généralement des
véhicules corporels complexes. Ces organismes sont formés par l’association de
nombreuses cellules spécialisées. Les eucaryotes se nourrissent souvent aux
dépens d’autres êtres vivants. Ils ont fait une découverte fort importante. Ils
ont appris à programmer leur propre mort pour en faire un facteur accélérateur
de l’évolution. Au cours des âges, cette évolution a conduit à l’apparition
d’une très grande variété de formes et d’espèces, que nous observons encore
aujourd’hui. Les eucaryotes utilisent plus d’information que les
procaryotes, mais n'utilisent pas leurs sens pour cela. Ils ont mis au point
des mécanismes très élaborés pour le stockage et le transfert de cette
information. Ils ont également inventé des moyens extrêmement nombreux et
complexes pour se reproduire, pour conduire leur évolution à travers les âges,
et pour assurer leur adaptation aux transformations subies par leur milieu de
vie. Ces inventions nécessaires nous apparaissent surprenantes, voire
terrifiantes. Entre autres choses, ce sont les os, le bois, le sang, la sève,
la peau, les feuilles, les yeux, les dents, les fleurs, les griffes, le sexe,
le plaisir et la souffrance, la conscience et l’amour, la vieillesse et la
mort. Tous ces moyens d’action sont inscrits dans les programmes qui font
fonctionner les corps des eucaryotes depuis leur origine lorsqu’ils ont pris le
long chemin qui mène à ce jour. L’existence des eucaryotes associe
toujours la vie et la mort. La mort programmée est une invention de la vie.
C’est l’acquisition
d’un troisième feuillet intermédiaire dans la cellule embryonnaire, le
mésoderme, qui a permis l’apparition chez les métazoaires triploblastiques de
potentialités nouvelles, aboutissant à la formation d’organes individualisés
assumant une fonction précise. La "céphalisation", la constitution
d'une tête contenant le système nerveux central, n’apparaît que chez les
triploblastiques. Elle débouche sur plusieurs types d’organisation. Chez les
arthropodes, le cerveau est fait de parties distinctes, anatomiquement
séparées, très spécialisées, aboutissant à un comportement automatique très
mécanique. L’adaptation aux contraintes de l’environnement se fait par le jeu
des mutations et de la sélection naturelle. Chez les vertébrés, le cerveau
comprend aussi des centres multiples, mais ils sont beaucoup plus intégrés.
Certains comportements demeurent automatiques et innés, mais le comportement
général est beaucoup plus plastique. Il autorise des apprentissages
d’adaptation individuelle qui réduisent le poids des mutations sélectives. Chez
l’homme l’intégration plus complète permet des opérations mentales très
complexes. Les facultés individuelles d’adaptation sont encore plus larges et
s’appuient sur des artifices mécaniques ou intellectuels. Sur la base d’observations
attentives, nous pouvons donc raisonnablement croire que nous partageons avec
beaucoup d’espèces animales la faculté de représenter mentalement la nature des
éléments repérés dans le réel extérieur, leur interaction avec l’observateur,
et les conséquences prévisibles de cette interaction, tout au moins en matière
de survie. Cette faculté est organisée dans un système permettant de combiner
entre eux les signaux de diverses sortes représentant ces différents éléments.
Bien évidemment l’efficacité globale du système dépend étroitement de la
capacité de mémorisation disponible.
Le rapport entre le
volume du cerveau et le reste du corps est beaucoup plus élevé chez l'homme que
chez les animaux les plus proches, et la complexité de son organisation est
bien plus grande. L’analyse combinatoire nous démontre que le nombre de
combinaisons possibles croit énormément quand s'accroît que le nombre des
éléments mis en œuvre. On démontre que cette efficacité est liée à la fois au
nombre de cellules nerveuses spécialisées présentes dans la matière cérébrale
et au nombre de connections neuroniques établies simultanément entre ces
cellules. Par rapport aux animaux, ces deux nombres sont très significativement
plus élevés chez l’homme, ce qui lui donne une capacité opérationnelle
considérablement plus importante. On estime qu’un cerveau humain dispose
d'environ cent milliards de neurones. C’est un chiffre tellement énorme que sa
signification réelle nous échappe complètement. Sachant simplement que cent
mille neurones meurent chaque jour à partir de l'enfance, et qu'il nous en
reste encore plus de quatre-vingt-dix milliards à la fin de notre vie. Toutes
ces cellules sont reliées entre elles par des milliers, voire des dizaines de
milliers d’interconnexions. La vie a donc élaboré des moyens réellement
extrêmement sophistiqués pour que le cerveau puisse exploiter une telle
quantité fantastique d’informations. Le cerveau humain semble être l'objet le
plus complexe que l'on puisse trouver sur la Terre. Il est devenu capable
d'activer volontairement les contenus de la mémoire du passé, probablement
inconsciente chez les animaux, et de les combiner pour imaginer l'avenir. Se
posant par la conscience dans l'éternel instant présent, entre le passé à
jamais disparu et l'avenir qui n'est pas encore, l'Homme a inventé le temps et
l'a fait entrer dans le Monde.
Si on prend en compte
les milliards d'hommes doués de ces merveilleux cerveaux qui peuplent la
planète, concevons que l'humanité dans son ensemble constitue une entité remarquable
et tout à fait exceptionnelle. Si elle arrive un jour à réaliser son
unité, la richesse des possibilités offertes aux aux hommes sera
incommensurable, mais il s'agira toujours, cependant, de moyens de survie
détournés en outils de connaissance J'ai abondamment développé ces questions
dans d'autres études auxquelles on pourra se reporter. Je reviendrai néanmoins
dans le prochain chapitre sur les limites, voire les insuffisances, des moyens
qu'utilisent les organes pour informer le mental de la situation environnante.
Je me bornerai à quelques exemples pour ne pas trop encombrer l'exposé, et je
commencerai ce rappel par l'organe de la vision. Il n’est pas actuellement
établi que l'œil n’ait pu apparaître qu’au stade complet d’efficacité. Ce genre
de raisonnement conduirait au rejet de la théorie de l’évolution et de l'idée
de maturation progressives des organes des sens, ainsi qu'à l’adoption du
principe d’une mutation subite. Il faudrait qu'ait été ainsi mis en place un
instrument immédiatement utilisable parce que parfaitement achevé. Cette
opération miraculeuse n’est pas très plausible. La difficulté de raisonnement
reste réelle, jusqu’à ce que l’on comprenne qu’elle réside seulement dans un
préjugé. Celui-ci consiste à considérer l’organe comme un appareil destiné à
donner une image fidèle du monde extérieur, comme le fait une chambre noire de
photo. Il est alors défini comme un moyen d’exploration et de connaissance des
objets voisins. Cela n’est pas du tout la fonction primordiale d’un organe sensoriel
en général, ni de l’œil en particulier. Comme tous les organes sensoriels l’œil
originel n’était absolument pas un outil d’exploration du réel. Il était
destiné à percevoir et à transmettre des indices permettant aux êtres vivants
d’adapter leur comportement de survie immédiat en utilisant des stimuli
fournis par des événements extérieurs. En l’occurrence l’œil doit
spécifiquement détecter des indices lumineux, des flux de photons. Avec
d'autres particules la vision aurait été très différente.
Tous ces yeux si différents
Dés lors que l'œil
remplit le rôle de détecteur d'indices lumineux vitaux, il n’a pas besoin
d’être un appareil optique parfait. Beaucoup d'êtres vivants utilisent des yeux
fort rudimentaires. Les araignées ont plusieurs paires d'yeux de focales
différentes et les insectes des yeux à facettes. Les coquillages usent de
multiples ocelles minuscules au bord de leur coquille. Sous quelle forme ces
êtres perçoivent-ils le Monde ? Dès que l'organe apporte une capacité
complémentaire, il augmente les chances de survie de son porteur, et il est
statistiquement sélectionné. A l’origine de la formation d'un organe
simplement détecteur, une seule cellule un peu photosensible a pu ajouter aux
signes provenant de la coopération des autres sens actifs, un indice nouveau,
faible peut-être, mais suffisant pour augmenter significativement l’adéquation
du comportement du bénéficiaire aux conditions extérieures. Ultérieurement, si
le bénéfice d’adéquation en était suffisant, le perfectionnement a suivi en
utilisant le même processus sélectif d’évolution progressive. Il fallait
cependant que cette première cellule sensible apparaisse avec une fréquence et
une constance suffisante pour apporter les bases d’une sélection statistique,
et que les messages génétiques nécessaires à sa reproduction à l’identique,
soient reconnus et utilisables. Au fil du temps, cette transformation ne peut
se faire que dans le cadre de la coopération des organes déjà actifs, et
seulement lorsque l’apport très mineur d’un détecteur nouveau encore imparfait
peut présenter un intérêt supplémentaire quelconque en raison des circonstances
du moment. Pour de nombreux êtres vivants, en raison de conditions initiales
actuelles, cet intérêt est trop faible pour entraîner une transformation
importante. Les choses restent alors en l’état, et l’organe reste au niveau
minimal des performances utiles à la survie de l’espèce en cause.
L’étude de quelques
fonctions de l’œil montre les limites l’approche du réel, même lorsque que l'on
use d'instruments dans une démarche (détournée) d’exploration. L’œil
différencie des indices dans l'environnement en examinant divers facteurs,
luminosité, couleur, forme, relief, orientation spatiale, mouvement, grandeur,
conformité à un modèle, etc.. L'action est reliée à l’activité synchrone
d’autres sens associés qui apportent des informations complémentaires. La
coopération diffère selon la fonction et l’utilité. En fait, les sensations
sont d'abord des phénomènes psychophysiologiques engendrés par l’excitation conjointe
de l’organe considéré et des compléments. Le percept correspondant est un objet
purement mental sans véritable référence à la chose réelle dont il signale
simplement la présence. La notion purement mentale du percept n’est pas facile
à saisir. Prenons par exemple la couleur des objets. L’œil concentre
optiquement le flux de photons incidents sur des photorécepteurs disposés sur
la rétine. Chez l’homme, les photorécepteurs sont de deux types, les bâtonnets
sensibles aux faibles flux, et les cônes, moins nombreux, utilisés pour la
vision diurne des détails et de la couleur. Les photorécepteurs répondent par
une activité électrochimique amplificatrice extrêmement rapide. Les cônes
réagissent au choc des photons, lorsque ceux-ci soient absorbés par les
pigments qui les garnissent. Selon les caractéristiques de ces pigments, une
toute petite fenêtre est ouverte dans le très large spectre électromagnétique
solaire. Ce qui passe est appelé lumière visible. La fenêtre est variable selon
les espèces animales, modifiant évidemment la perception de l’aspect des
objets. Chez l'homme, elle associée à trois pigments répartis dans trois
groupes de cônes sensibles au bleu, au vert, et au rouge, entre 400 nm
(ultraviolet proche), et 750 nm (infrarouge proche). Les combinaisons des
réactions des trois types de cônes au flux de photons déclenchent la perception
des couleurs. Les daltoniens n'ont que deux types de cônes, les pigeons et les
perruches en ont cinq. Beaucoup d'animaux ne voient pas les couleurs,
mais les serpents voient l'infrarouge, et les abeilles l'ultraviolet plus la
polarisation de la lumière.
La vision des couleurs
est fort diversifiée. Les mâles des singes écureuils d’Amérique sont
dichromates et des femelles tri chromates ou tétra chromates comme quelques
femmes humaines. Malgré ces proches particularités féminines, il nous est
impossible d’imaginer les couleurs inconnues qu'implique la séparation de
fréquences. Elle induit discriminations comparables à celles du vert, du rouge,
et du bleu. Ce sont d'autres couleurs, pour nous inconnaissables, non
expérimentables, donc inimaginables. La couleur ne traduit pas une propriété
propre aux objets, elle est une faculté propre à l'examinateur. Les mondes
colorés diffèrent selon les espèces et selon les gens, en relation avec la
variété de leurs cônes rétiniens. Peut-on même penser que tel rouge, vert, ou
bleu, demeure le même rouge, vert, ou bleu, pour chacun ? L'intervention de
l’œil sur la couleur des choses va plus loin. Un papier reste blanc, une feuille
reste verte, quand le ciel est bleu à midi ou rouge le soir, quand change le
flux lumineux objectif. La vision corrige la perception isolée en fonction de
la couleur des flux incidents globaux. Il y a un blanc du midi et un blanc du
soir. Les mêmes corrections s'appliquent aux couleurs réfléchies par les objets
voisins. De même, la ligne de contour n'existe pas. Une fonction particulière
de l'œil la fait apparaître, si bien que l'on dessine d'un simple trait le
contour inexistant des objets représentés. Le renforcement des contrastes au
voisinage de leur limite, aide à cette génération. Le système visuel retraite
aussi les informations relatives à la situation verticale du sujet observé. Il
en modifie les dimensions apparentes selon l'angle d'élévation sur l'horizon.
Le soleil ou la lune paraissent plus gros à l'horizon qu'au zénith. Il est
évident que l'éloignement des astres reste fixe. L'effet d'élévation s'applique
quelle que soit la distance. Un objet situé à cinq mètres paraît très prés, à
quelques pas. Á trois mètres, en hauteur ou en profondeur, il semble déjà
dangereusement éloigné. Á l'horizontale, les choses gardent leur vraie taille
et leur proximité. Vues du haut d'un immeuble de trente mètres, elles sont
miniaturisées.
Associé aux zones
spécialisées du cerveau, l'œil modifie certains stimuli. Il efface, par
exemple, l'existence des taches aveugles, ces zones de pénétration des nerfs
optiques dans la rétine qui sont dépourvues de photorécepteurs. Cet aveuglement
assez important génère pourtant un manque dans le champ visuel, mais il n'est
pas présenté pas au conscient. Le trou dû aux taches aveugles n'est pas perçu
du tout. Une opération corrective inconsciente continue, extrêmement complexe,
est opérée pour remplir ce vide et pour raccorder sans faille cet artifice au
reste de l’image. Cette opération globale est une interpolation de surface. De
façon analogue, les images fournies par chaque œil présentent de faibles
différences de perspective ou de largeur de champ. Le système visuel les
utilise pour décrire le relief. Une seule image est perçue avec une profondeur.
Si les deux images présentent des différences plus marquées, (position
particulière, sujet en mouvement ou obstacle masquant), le système visuel les
fusionne en assemblant les deux morceaux. Les zones floues ou incomplètes sont
ignorées et l'image composite est automatiquement reconstruite en gommant la
partie douteuse. Si l'on considère l'œil comme un simple appareil optique, une
question se pose. Pourquoi et comment l'image que nous percevons reste-t-elle
stable lors des mouvements exploratoires de la tête et des yeux ? L'image
donnée par un appareil optique bouge lorsque l'objectif change d'orientation.
Celle qui est perçue par l'œil reste fixe. Cela montre bien que l'image perçue
est un objet purement mental lequel est stable en soi. Il intègre des signes
qui lui parviennent des divers organes sensitifs et des banques de mémoire.
Dans les diverses zones de l'image, en particulier à la périphérie, il y a un
échange constant entre des signaux de l'œil et ceux de la mémoire sensorielle
immédiate. Quand un objet change de place ou quitte un instant le champ visuel,
il n'est pas gommé de l'objet mental global. Il y conserve ses propriétés, sa
forme et sa localisation spatiale, même hors du champ visuel et derrière la
tête. Il reste mentalement caractérisé et positionné. Les signaux transmis sont
alors entièrement mémoriels. On voit bien le travail de transformation effectué
par le système visuel qui applique sa méthode inconsciemment et systématiquement,
y compris aux astres du ciel.
Ce fonctionnement
mécanique de la vision, concerne probablement celui des autres organes des
sens. Pensez à la perfection achevée de l’oreille et de l’odorat, ou à la
sensibilité extraordinaire du toucher. Les organes de la perception des sons
mériteraient un développement analogue à la vision. Évoquons aussi le système
d'écholocation des chauves-souris qui explorent l'environnement dans
l'obscurité, sans être gênées par la proximité de leurs congénères car chacune
utilise sa fréquence personnelle d'émission. Les dauphins et d'autres cétacés
en font autant en eau profonde. La représentation donnée par la détection des
échos d'ultrasons n'est pas forcément différente de celle qui nous est donnée
par la détection des flux réfléchis de photons. Il me semble tout à fait
possible que cette représentation sonique des caractéristiques géométriques de
l'espace engendre des perceptions mentales analogues à celles provoquées par
nos perceptions visuelles. On pourrait envisager un objet mental d'origine
acoustique ressemblant très fortement à l'objet mental d'origine optique. Il
pourrait avoir des couleurs, des textures, et des reliefs ultrasonores, dont la
perception ne différerait en rien de celle des équivalents lumineux. Chaque
animal distinguerait alors son propre terrain de chasse coloré dans sa couleur
sonore particulière. Pensons aussi à l'électro sensibilité des poissons
torpilles. Il existe un indice d'une telle possibilité de généralisation de la
forme des signaux transmis. Il est donné par la nature de la perception des
informations concernant la direction de la position d'un objet donné. Le même
type d’information est émis à destination du mental par des organes très
différents concourant à sa détection. La perception de la direction est la même
quelle que soit l’origine de l’analyse effectuée. La source est constamment
localisée dans l’espace, quel que soit l’organe exploratoire, (vue, toucher,
ouïe, odorat). L’objet mental global construit intègre une information "
position " toujours identique qu'on peut qualifier d'essentielle.
L'objet mental essentiel ne dépend pas de l'organe utilisé. Dans le théâtre
mental, il tient, au moins optiquement, le rôle du réel, mais en est-il une
réelle représentation ?
Penser et Voir
Lorsque nous utilisons l'un
de nos organes sensoriels pour chercher une chose dont nous avons une image
mentale précise, un objet égaré, un visage perdu dans la foule, nous
n'examinons pas en détail tout ce que nous voyons. Nous posons une sorte de filtre
sur notre appareil détecteur que nous laissons opérer la recherche, par
lui-même, de façon quasi inconsciente, quel que soit l'organe utilisé. Cela
nous permet de suivre une conversation dans le brouhaha, de reconnaître une
voix dans un groupe, ou un instrument dans l'orchestre, de trouver à tâtons tel
objet dans l'obscurité, etc.. Il nous est donc possible de présélectionner
consciemment les seuls signaux dont nous autorisons la transmission
inconsciente au mental. Et si l'image mentale préalable est fausse, nous serons
incapables de retrouver l'objet cherché. Nous créons alors dans le
cerveau une association de fantasmes, de symboles. Ils sont reliés, d'une
part, à la réalité extérieure par les messages virtuels relayant les signaux
sensoriels envoyés par le corps. Ils reflètent aussi, d'autre part,
l'organicité intérieure, chimique et mentale dont émanent des messages
mémoriels complémentaires ou suppléants. C'est aussi comme cela que fonctionne
notre constante recherche de connaissance. La pensée est toujours un assemblage
de perceptions actuelles avec la mémoire du passé. Même lorsque nous observons
notre propre corps, l'observateur que nous sommes se projette d'un certaine
façon à l'extérieur de l'objet de l'examen, ce qui peut ici sembler paradoxal.
Le véritable problème dans la démarche de recherche est posé par ce
fonctionnement mécanique de la pensée, bien évidemment assujettie tout à la
fois aux limitations des organes des sens et aux possibilités de mémorisation
des expériences héritées ou vécues, et donc au passé. Il semble, de ce fait,
difficile d'imaginer la véritable réalité présente des objets essentiellement
inaccessibles à l'expérience.
Comprenons que nous
n'observons jamais un objet extérieur mais toujours sa représentation
symbolique, un objet intérieur purement mental, constitué par un assemblage
synthétique de signaux sensoriels, culturels et mémoriels. Il est constamment
limité au champ de l'expérience sensorielle par les bornes de nos sens, comme
il est limité au champ de la connaissance intellectuelle par les possibilités
actuelles de notre cerveau. L'expérience du réel est extrêmement limitée car,
au sein du cosmos immense, nous n'avons accès expérimentalement qu'à l'espace
intérieur ridiculement réduit de notre propre corps. Nous ne pouvons
consciemment explorer qu’une infime fraction de cet infime espace. Tout le
champs observable est à l'extérieur, et ce que nous en percevons n'est qu'un
reflet léger et déformé. L'Univers réel est l'immense objet global dont nous
nous tentons d'approcher la connaissance. Au sein du Réel immense et non
expérimentable, matériel et immatériel, connu et inconnu, visible et invisible,
nous n'avons accès qu'à une insignifiante partie de l'être total. Nous ne
pouvons explorer consciemment que ce que nous représentons électriquement dans
notre intellect, c'est-à-dire une minuscule fraction de cet absolu. Tout comme
l'aspect purement matériel de ce que que nous appelons "Univers",
tous les autres aspects sont à l'extérieur, et nous n'en comprenons que des reflets
légers, fragmentaires et déformés. La forme et la nature de ces reflets sont
déterminées par les particularités de nos organes sensoriels, (particulièrement
notre vue), et les possibilités de combinaisons de nos cerveaux. C'est donc à
l'Univers total que nous donnons la forme et la couleur humaines. Il est
pourtant de notre nature, donc très naturel et très normal, de trouver cette
représentation artificielle et limitée du monde, crédible, performante et
satisfaisante.
Il est difficile, et
pourtant fort important, de comprendre intimement (et d'accepter) que le passé
est disparu à jamais et que l'avenir n'est pas déterminé. Tous les évènements
passés ont eu lieu dans le présent d'alors, et l'avenir n'est que la
projection d'un possible présent futur. Dans la réalité véritable, il n'y
a toujours que l'immanence du présent. En fait, le temps n'existe que dans le
mental de l'Homme. C'est une notion intellectuelle qui est liée à sa capacité
de mémorisation et qui disparaît quand se ferment ses yeux. Cela concerne
encore plus fortement toutes les blessures et les chagrins vécus dans le passé.
Toutes ces mémorisations, vécues ou héritées culturellement ou spécifiquement,
constituent ce que l'on peut appeler un corps de souffrance. Ce contenu mental
globalisé et partiellement refoulé intervient fréquemment dans la détermination
de notre humeur et l'expression de notre personnalité qui s'y identifie. Une
souffrance actuelle est vécue dans l'instant présent, c'est donc une réalité
physique ou mentale qui peut aussi se charger de déchirantes frustrations
associées. Elle peut être très vive et nous marquer fort profondément. c'est ce
qui est arrivé pour les souffrances passées qui ne sont plus cependant subies
au présent. Dans la réalité immédiate, elles sont seulement un simple contenu
de la mémoire. Leur rappel réactive au présent la trace mémorielle de blessures
vécues dans un passé maintenant disparu, qui ont pu altérer notre
personnalité jusqu'à s'y intégrer profondément. Cette perception dépassée d'un
présent qui n'est plus constitue une charge karmique que l'on peut déposer.
Quand nous comprenons cela, notre regard sur ces souffrances passées
change profondément. Notre vie même peut en être transformée.
La pensée est un
assemblage de perceptions actuelles en relation avec la mémoire de perceptions
passées. Nous pouvons contrôler la place qu'y occupe chaque partie. Quand nous
observons ou ressentons intensément quelque chose, la mémoire intervient très
peu, le passé se retire. Dans la réflexion, c'est le contraire, le passé prend
toute la place et le présent recule. La véritable exploration du réel devrait
donc exclure le recours à la pensée (toujours soutenue par la mémoire).
L'invention naît dans le présent, non pas dans le passé. Il faut également être
très conscient des conséquences des techniques de méditation, tout au moins en
tant que moyen de connaissance. Au sens propre, méditer c'est fixer la pensée
sur un objet précis, et donc penser intensément, (en faisant appel à la
concentration et à la mémoire). La méditation (dans cette acception) me semble
assurément pouvoir gêner la perception du réel, mais il y a d'autres acceptions
du mot. L'observation intense, dit Krisnamurti, et l'attention soutenue peuvent
seules apporter de la connaissance nouvelle. Le regard que la Science porte sur
l'immense Univers, sur l'histoire du Monde et celle des hommes, apparaît
essentiellement fondé sur l'usage que nous faisons de nos yeux et de notre
capacité à représenter optiquement l'image des choses. Qu'en serait-il si nous
disposions de sens différents comme tous ces poissons dits
"électriques" qui, en milieu obscur, génèrent un champ électrique
afin de détecter leurs proies, percevoir l'environnement, et communiquer avec
leur congénères. Quoique ayant beaucoup changé au fil des siècles, la
représentation scientifique actuelle du Monde peut satisfaire l'intellect et
les appétits humains de savoir (qui sont un désir d'appropriation universelle).
Ainsi mêle-t-on le temps et l'espace dans une seule image de l'Univers. Cette
forme de connaissance est une illusion. L'image représente toujours le passé. Á
l'instant même de la vision, ce qui est vu n'est déjà plus, à jamais disparu
dans le perpétuel renouveau du Monde.
Nous explorons
l'univers matériel dans un voisinage limité en exploitant ce que nos yeux et
nos cerveaux nous ont appris. Notre représentation de l'univers est
essentiellement fondée sur le sens de la vision. Elle est donc partielle,
partiale, et assez illusoire et la grandeur même de l'immense univers matériel est
incompréhensible. La représentation de sa réalité ne signifie rien pour la
raison humaine ordinaire et les plus grands astrophysiciens avouent que sa
véritable nature et son origine leur échappent complètement. Bien des
hypothèses scientifiques, métaphysiques ou religieuses ont été imaginées,
évoquant même la coexistence de multiples univers dans un même espace, la
matière étant essentiellement constituée de vide peuplé d'infimes parcelles
d'énergie condensée. D'autres formes (devrais-je dire natures) de mondes
peuvent coexister dans cet univers si mal connu. La musique est un exemple
d'une porte différente, ouverte sur un autre monde et sans rapport avec la
perception visuelle. L'univers du musicien n'est pas celui du physicien.
Construit sur d'autres bases sensorielles, le Monde musical présente une autre
réalité. Il a ses lois propres, ses modes, ses harmonies et ses dissonances, et
des possibilités infinies de développements et de découvertes que montrent les
travaux de l'IRCAM, par exemple ou les timbres étonnants des synthétiseurs. Je
parle ici de la musique qui parle à l'âme, non pas de celle qui secoue les
corps (pour laquelle il faudrait trouver un autre mot). Paradoxalement, le
vraie musique ressemble au silence ; comme la méditation véritable, elle arrête
un temps la pensée. La beauté n'est jamais perçue que dans le silence du
mental. La poésie aussi peut ouvrir soudainement un chemin. L'exaltation
artistique reste cependant confortée par l'éducation culturelle des
participants. C'est que, tout en arrière plan, dans les perceptions les plus
intenses, une certaine influence mémorisée du passé peut encore persister. Les
arts ne font qu'entre ouvrir la porte. Gombrich dit que "l'art n'existe
pas, il n'y a que des artistes". Ils seraient alors des initiateurs,
presque des prêtres.
Une autre vison ?
Dans les différents mondes
mentalement créés par les hommes, il faut introduire tous les innombrables
cosmogonies religieuses ou philosophiques élaborées dans tous les âges de la
Terre et sous tous ses cieux. Pour tous leurs fidèles, ces univers mystiques
ou révélés sont aussi réels que le cosmos spatiotemporel des physiciens,
et certains affirment qu'il est possible que leurs croyances et leurs pratiques
puissent collectivement donner naissance à des entités extracorporelles dites
égrégores, des formes pensées qui influencent les raisonnements et les
comportements individuels. Ces agrégats vivants d'énergie psychique ont besoin
d'être nourris pour ne pas faiblir et disparaître. Leur puissance dépend de la "masse"
psychique mobilisée par leurs nourriciers, (églises, partis politiques, etc..).
Pour un penseur comme Richard Dawkins, la sphère des sociétés et des cultures
humaines parait être exploitée par ces parasites d'une nouvelle sorte qu'il
appelle des "mèmes", les diverses théories ou idéologies
qui envahissent implacablement la planète et ont déjà prouvé, hélas, leur
terrible capacité de nuisance. Dans un ouvrage connu, "Le gène égoïste",
il considère que la biosphère, l'ensemble des organismes vivants, est le moyen
d'exploitation mis en oeuvre par les mystérieux micro organismes que sont les
gènes intra cellulaires afin de coloniser la matière pour se reproduire et se
développer indéfiniment. Ils auraient inventé tous les mécanismes des vivants,
la vie organique, la dévoration, la reproduction, la sélection des plus aptes,
la souffrance et la mort programmée. Les gènes, dit-il, sont totalement
insensibles et indifférents, ils se contentent d'exister. Certaines
personnes croient aux fantômes, à la magie ou aux fées. Dans "Les
enseignements d'un sorcier Yaqui", Carlos Castaneda, un anthropologue
américain, dit avoir eu la preuve que dans la foule qu'il côtoyait, se tenaient
des êtres en forme d'hommes qui cependant ne l'étaient pas.
"Nous
imaginons voir ce que nous connaissons", dit Gombrich. Notre
perception du Monde dépend de notre vision sensorielle constamment corrigée par
le regard intérieur relaté à la mémoire de l'expérience passée ( l'influence de
la pensée). Elle est toujours faussée et il faut prendre conscience de cette
entrave lorsque l'on entreprend une recherche quelconque. La pensée fonctionne
de manière automatique et lorsque le cerveau s'avère momentanément libre,
la pensée l'oriente immédiatement sur un sujet quelconque puisé dans la réserve
mémorielle et le met au travail avec l'ensemble des données disponibles,
conscientes ou inconscientes. Le cerveau est donc activé en permanence sans
qu'on puisse arrêter ce fonctionnement automatique et continu, démarche
pourtant indispensable pour accéder à une connaissance nouvelle, quel que soit
d'ailleurs le champs de la recherche. Ceux qui ont essayé savent que la
difficulté est très grande car l'effort même de l'indispensable contrôle
volontaire est une activité de la pensée. Cependant, dit Krisnamurti,
l'observation intense et l'attention soutenue peuvent être des solutions. C'est
la voie qu'il a exploré, tout au moins au début de sa recherche car, plus tard,
avec l'entraînement, la liaison se fit plus directe. Quel que soit le moyen
utilisé, arrêter la pensée signifie stopper le fonctionnement automatique, ce
mécanisme mental qui recycle continuellement les contenus de la mémoire,
conscients ou inconscients. On peut tenter une opération volontaire
visant à rejeter les éléments qui l'alimentent ou l'agressent
continuellement, qu'ils aient été vécus dans une réalité existentielle,
imprimés par le milieu culturel, ou hérités spécifiquement. Ce rejet des
contenus karmiques issus du passé va priver le mental de ses matériaux
habituels et la seule perception qui demeure accessible est alors celle d'un
désert total, (ce qui est bien le résultat visé).
Nous avons consciemment suscité ce désert en rejetant les contenus issus
du passé. Quant elle survient, la connaissance détruit instantanément les certitudes
et les illusions du mental mais la conscience d'être persiste, comme le soleil
brille sur les déserts terrestres qui bordent l'océan. On ne fait pas lever le
soleil en attendant l'aube, et les nouveaux contenus ne sont jamais conquis
mais concédés, par grâce, d'une source inconnue, fortuitement et seulement dans
l'âme. Plusieurs fois, j'ai pu recevoir ces dons étranges. D'autres chercheurs
ont vécu la même expérience, chacun de façon différente, et j'ai tenté
vainement d'en parler. Il ne s'agit pas d'une vision exprimable en images mais
d'une perception directe. Les mots, construits pour le partage d'un savoir
commun, manquent pour décrire cet incommunicable. Il est difficile (et peut
être indécent) d'exposer ouvertement une révélation intime et personnelle, très
justement parce qu'elle est intime et personnelle. En témoignage, j'essaierai
toutefois d'en dire quelques mots (peut être sacrilèges). La première de ces
perceptions date de plusieurs années. Ce fut celle d'un énorme et fort
dangereux torrent d'énergie qui me traversait irrésistiblement. Je comprenais
que s'opposer c'était mourir. Cela dura une minute interminable. Bien longtemps
plus tard, je fus soudain enveloppé d'un flot de douceur indescriptible, de
tendresse et d'amour, sentant pourtant qu'y demeurer serait fatal. La troisième
perception fut celle d'une liberté totale sur tous les plans, tant physiques
que karmiques. Pendant des années j'ai essayé de comprendre la signification de
ces vécus. Á l'instant où j'écris, il m'est enfin donné de les relier. Je crois
que j'y perçois le plan de l'Homme. Hors du néant, il est à l'origine une
bouffée de violente énergie devenant source d'amour et de compassion. Le chemin
est la liberté, et l'évolution l'accomplit dans l'immense océan des possibles en
traversant la souffrance et la mort. En ce moment présent, j'y perçois tout à
la fois l'Être, la Vie, et l'Amour. Et pourtant, devant l'océan je
demeure, et j'attends ce qu'apportera la marée prochaine.
Commentaires.
Au delà
de la vie, de la mort, et du Monde,
Au delà des consciences, au delà du destin,
Et du temps qui s'enfuit,
l'Être premier demeure.
De Lui émanent toutes choses,
Chacune procédant d'une autre,
Chaque vie dans une autre vie,
Chaque savoir dans un autre savoir,
Chaque forme d'être dans le plus grand Être,
Chaque simple partie dans la seule Unité,
Chaque souffle d'esprit dans le plus grand Esprit,
Et chaque amour enfin dans l'éternel Amour.
En vérité, amis, maintenant je vous dis,
Je crois, qu'avant que fut le temps, je suis.
CHAPITRE 13
La Kundalin et les
Chakras
Introduction
Les mots "Kundalini" et Chakras" sont des termes issus
du sanscrit. Ils relèvent, dans la tradition indienne non orthodoxe, de la
doctrine du "Yoga kundalini upanishad". Le Kundalini Yoga fut
notamment introduit en Europe par les conférence données par Carl Gustav
Jung. C'est l'une des 22 écoles de traditionnelles de yoga. Il vise à
réaliser l'éveil de la conscience par la maîtrise de l'énergie primordiale qui
est présente en chaque être humain. C'est elle qui est précisément nommée
"kundalini", anciennement Shatki (dans le tantrisme). Elle est
représentée sous la forme d'un serpent enroulé trois fois et demi sur lui-même
et lové au bas de la colonne vertébrale. La pratique du kundalini yoga conduirait
à l'éveil de la Kundalini et constituerait la voie royale pour parvenir à
l'extinction du cycle des perpétuelles réincarnations. Le déploiement de la
Kundalini conduirait à l'éveil spirituel et à la plus haute conscience de soi.
La force vitale (ou divine) de la kundalini éveillée monterait la long de la
colonne vertébrale depuis le sacrum jusqu'à la fontanelle en harmonisant un à
un chacun des sept chakras rencontrés. Les Chakras (roues ou disques)
désignent dans cette tradition des centres spirituels ou points de jonction
énergétiques localisés dans le corps. Il y aurait sept chakras principaux
situés sur la colonne vertébrale et des dizaines milliers de chakras
secondaires ailleurs. On peut visualiser ces centres énergétiques comme des
fleurs ou des roues attachées à cet axe central et les considérer comme de
véritables instruments énergétiques, générant leurs propres fréquences et
tournant plus ou moins rapidement, le plus lent étant celui du bas, le plus
rapide celui de la couronne. Chaque Chakra contrôlerait certaines fonctions
spécifiques dans l’existence physique (sens, parties et fonctions du corps,
glandes endocrines) énergétique, émotionnel, psychologique, mental et
spirituel, et se trouverait en relation vibratoire avec un élément, une
couleur, un son, un Mantra, une note de musique, des huiles essentielles, des
minéraux, une planète, un métal. On distingue ainsi (de haut en bas) les
principaux chakras et leurs rôles. Rappelons ici, qu'en principe, la kundalini
monte de bas en haut.
7 /
Chakra Sahasrara ou chakra de la couronne chakra, (au dessus de tête) :
«
chakra 1000 rais », conscience, divinité, rapport avec Dieu.
6 /
Chakra Ajna ou chakra du troisième œil, (au centre du front, entre les
yeux) :
« chakra
des savoirs », Pardon, intelligence, intuition, vision, rêves, perception,
discernement.
5 /
Chakra visuddha ou chakra de la gorge (sur la gorge, ou l'épine
cervicale) :
« chakra
extraordinairement pur », Communication, expression.
4 / Chakra
Anahata ou chakra du coeur (au niveau du coeur, des poumons, de l'épine
thoracique, des bras et des mains) :
« chakra
indestructible », Courage, compassion, amour, rémission, rapports avec
l’Art.
3 / Chakra Manipurakaou chaka du plexus
solaire (sur le plexus solaire, à la colonne lombaire) :
Paix,
estime, confiance en soi, énergie, transformation.
2
/ Chakra Svadhisthana ou chakra sacré
(au sacrum, aux hanches, à l'os pubien) :
Connaissance,mouvement,
vitalité, créativité.
1 /
Chakra muladhara ou chakra de base (au perinée, aux jambes et aux
pieds :
«chakra
racine», Innocence, sagesse, confiance, sûreté.
Prolégomènes
Malgré l'intérêt conceptuel ou eidétique que peuvent susciter les
théories présentées, il est important que le lecteur garde en éveil tout son
sens critique. Sachez, par exemple, que la mythologie védique du Yoga semble
associer la glande pinéale tantôt au "Chakra Ajna" (souvent assimilé
au 3ème œil), tantôt au "Chakra Sahasrara" ou (chakra de la
couronne), situé au sommet du crâne. Or, la fonction de la glande pinéale fut
fort tardivement identifiée. Cette difficulté explique sans doute les
nombreuses spéculations physiologiques autant que métaphysiques qui ont entouré
son rôle supposé dans la pensée.
René Descartes considérait qu'elle était "le siège" de l'âme,
et cette affirmation a influencé bien des pensées métaphysiques et religieuses
; cela reste même vrai aujourd'hui. Descartes croyait, entre autres idées quant
à son rôle, que la glande pinéale était le seul organe cérébral à n'être pas
conjugué, c'est-à-dire à n'être pas formé d'un couple d'organes symétriques par
rapport au plan sagittal. Les outils d'examen ont progressé, le rôle de
l'organe est mieux connu, et les études histologiques actuelles montrent que la
glande pinéale est bien un organe conjugué dont les deux hémisphères ont
presque fusionné.
Rappelons ici que Descartes professait ardemment un dualisme substantiel
distinguant la nature spirituelle de l'âme, (la res cogitans), opérant dans le
champs de ce qu'il appelait "la pensée", et la nature physique du
corps, (la res extensa), définie par une notion géométrique
"d'étendue". Dès lors que Descartes a écarté cette distinction (qu'il
estimait cependant fondamentale), en tentant de localiser l'âme dans sa liaison
avec le corps, son argumentation s'est ultérieurement affaiblie et il apparut
qu'il s'était trompé.
Les développements suivants exposent des théories spiritualistes fondées
sur la localisation de la plupart des aptitudes et capacités transcendantes
humaines dans des organes conceptuels précisément décrits qui ont cependant
bien moins d'évidence existentielle que la pinéale de René Descartes. Il
appartient à chaque lecteur d'user de ses propres facultés de discrimination et
de sérieusement méditer sur le sujet pour déterminer s'il peut accepter de
croire, ou non, en la réalité des représentations exposées.
Les sept corps
Les chakras sont des
organes suprasensibles qui appartiennent au corps astral. Selon la théorie
occultiste du Septénaire, vulgarisée par les Théosophes dès la fin du 18e
siècle, le corps astral est l'un des sept corps dont les êtres humains sont
constitués. Superposé au corps physique et au corps éthérique, il se compose de
forces et de substances empruntées au plan astral. Perceptible grâce à la
vision clairvoyante ou troisième œil, ce corps entoure les êtres vivants et il
est animé d'une sorte d'aura parcourue de courants colorés et lumineux qui
reflète leur état psychique. Dans l'hindouisme, dans certaines Upanishad,
dans le Yoga et dans le Védânta, en particulier, il est fait mention de
plusieurs "fourreaux", "gaines", "enveloppes" (koshas)
constituant divers "corps". Selon la philosophe néoplatonicienne, en
particulier chez Jamblique (vers 320) et Proclos, l'être humain a trois
constituants : le corps, les «véhicules, enveloppes ou tuniques» (okêmata),
de nature éthérée (l'éther du ciel), ou astrale (les souffles des planètes,
Soleil, Lune, etc.), et enfin l'âme, qui est pur esprit. Rappelons
qu'Helena Blavatsky, Annie Besant et d'autres auteurs de la Société
Théosophique ont présenté divers schémas du septénaire humain. Dans La Clé
de la Théosophie, afin de décrire la double nature mortelle et immortelle
de l'homme, Helena Blavatsky, fait référence à la conception platonicienne de
l'âme en trois parties (Noüs, Psyché, Soma) et à la constitution
septénaire comme étant un déploiement de cette conception ternaire. La Clé
de la Théosophie la met en correspondance avec les quatre éléments (terre,
eau air, feu) et les quatre règnes. Le septénaire se divise donc en deux
groupes : un ternaire ou triade (triangle) qui représente la partie
atemporelle, divine et transcendante en l'Homme, et un quaternaire (carré) qui
représente la partie mortelle et matérielle.
La Théosophie postule
un principe éternel qui est toute chose et tout être, présent en toute chose et
tout être. L’univers en est la manifestation, comme Esprit et Matière, l’un et
l’autre étant les deux pôles opposés du principe unique inconnu. Ils coexistent
mais ne peuvent être séparés l’un de l’autre. En se manifestant, l’Esprit-Matière
se différencie sur sept plans, la substance y étant toujours la même mais se
densifiant d’un plan à l’autre. Ainsi compris, l’univers entier est vivant,
conscient et intelligent sur tous les plans, bien qu’obscurci au niveau le plus
bas. L’homme est donc un esprit enfermé dans la matière, (spirituelle en
essence). Il est une image en miniature de l’univers qui se manifeste lui même
en sept différenciations. L'homme peut être décrit comme un être septuple. Âtman,
l'Esprit, se tient au sommet, puis, au plus près de l’esprit, vient l’âme
spirituelle, Buddhi, qui est relié à Manas, le mental. Ces trois
principes supérieurs constituent la véritable trinité pensante impérissable,
l’entité humaine réelle, vivant ici bas dans les véhicules appropriés. En
dessous de cette trinité, il existe une quaternité plus dense, ordonnée en
qualité, le plan des désirs et des passions, partagé avec le règne animal, puis
la vitalité brute, qui se manifeste comme énergie et mouvement. Plus dense
encore, le double ou corps astral qui est le plan ou modèle du corps physique
qui règle son organisation biologique et assure son apparence. Enfin, on trouve
le corps physique, perceptible aux sens. Ces quatre principes inférieurs
(désirs, vitalité, corps astral et corps physique) constituent la partie
transitoire, périssable, de l’homme, l'instrument abandonné à la mort puis
reconstruit dans les réincarnations. C’est la trinité permanente qui constitue
l’homme réel, l’individualité qui passe en acquérant de l’expérience à chaque
nouvelle naissance, l'unité Âme-Esprit vivante.
Alice Bailey a
explicité dans " Un Traité sur les Sept Rayons", ce concept
des sept champs de manifestation divine qu'Héléna Blavatsky a introduit dans la
Théosophie sous l'appellation de rayons. Leur cosmologie en donne une
explication fort complexe que l'on peut tenter de résumer comme suit. En tant
que partie du Plan divin initial, la "Vie Une" était en quête
d’expansion. A l’origine, cette "Vie Une" s’exprimait sous les
trois aspects de Vie, Qualité et Apparence, ou bien (Monade, Âme et
Personnalité) ou encore (Volonté, Amour et Intelligence). Les sept rayons
constituent la différenciation initiale de cette triplicité divine. Á partir
des trois rayons majeurs, quatre rayons mineurs sont émanés pour révéler la nature
septuple de la divinité. Cependant, et c'est là un point fondamental, les sept
émanations, issues du noyau énergétique originel, sont sept aspects en
interrelation permanente d’un même tout. « Chacun des rayons majeurs enseigne
une forme de vérité à l’humanité, qui est son unique contribution », écrit
Alice Bailey, « mais c’est uniquement au niveau de leur combinaison, que nous
comprenons vraiment la nature de l’Unique, de la Divinité ». Le développement
ultérieur de la doctrine a pu apparaître comme un système construit autour du
nombre sept. Certains commentateurs ont ironisé en disant que les Théosophes
étaient tombés amoureux du chiffre sept. Il semble que les Théosophes aient pu
s'inspirer de la structure sensible du monde ou de la cosmologie occulte antique,
(tels les védantas) ou même des sept Esprits devant le Trône de Dieu décrits
dans l'Evangile de Jean. Remarquons ici que les scientifiques modernes qui
décrivent un univers fractal, homologue à lui même à tous les niveaux,
conçoivent un système assez semblable à celui des Théosophes. Le fondement
n'est pas le choix du nombre, mais essentiellement l'affirmation de
l'interaction permanente des multiples aspects de la manifestation divine. Tout
acte engagé l'est à tous les niveaux..
Les chakras sont des
organes suprasensibles invisibles et cependant comparables à des fleurs de
lotus. Ils appartiennent au corps astral qui est le plan, le double et le
modèle du corps physique dont il règle l'organisation biologique et le
fonctionnement apparent. La plus ancienne mention connue des chakras se trouve
dans les dernières Upanishad (plus spécifiquement, le Brahma
Upanishad et le Yogatattva Upanishad). Les "chakras"
("roues" en sanskrit) y sont décrits comme étant nos centres
énergétiques, et ils sont à la base de la médecine ayurvédique qui les a nommés
"nadis" et en dénombre symboliquement soixante douze mille, répartis
sur tout le corps. Il y aurait cependant sept chakras majeurs, décrits comme
une colonne lumineuse (colonne d'argent) montant de la base de la colonne
vertébrale jusqu'au sommet de la tête. On les associe à certaines couleurs et
autres éléments. Selon la tradition indienne, l’énergie circule d’un chakra à
l’autre par des canaux invisibles. Il existe un canal central, appelé
"sushumna" dans les textes védiques. C'est l'axe qui traverse
et alimente les chakras majeurs. La sushumna est accompagnée de deux
autres canaux qui montent en s'enroulant en spirale autour d'elle, comme figuré
par le Caducée, le pingala nadi, ou suryanai, le canal de Soleil, et le
ida nandi ou chandrani, le canal de Lune. Ils représentent la bipolarité de
l'être. Le souffle vital, remontant du périnée au sommet de la tête, se
concentrerait en tourbillonnant dans le sens des aiguilles d’une montre au
passage de chacun des chakras qui sont couramment décrits comme des organes
vivants. Ils auraient pour fonction la régulation de « l'énergie »
entre les différentes parties du corps, et entre le corps, la terre et
l'univers, et, en raison de l'interaction fondamentale entre les sept corps,
ils seraient liés à la santé et au comportement de l'individu. Il y aurait donc
une relation effective entre les chakras du corps astral et le corps physique,
et cette relation que le travail spirituel voudrait tenter de sublimer.
La Kundalini
Depuis la nuit des
temps, les anciennes religions asiatiques évoquent une force mystique appelée
"Kundalini Satki". Elle est définie comme une énergie
primordiale, vitale ou divine selon les auteurs. Le terme sanskrit Kundalini
signifierait « enroulé en spirale ». la Kundalini est d'ailleurs communément
décrite sous la forme d'un serpent enroulé trois fois et demi sur lui même et
situé au bas de la colonne vertébrale, dans la région du sacrum. Dans les
représentations dont nous disposons, on observe cependant que le nombre de
spires comme l'orientation peuvent différer ce qui semble montrer que ces
détails importent assez peu. La Kundalini peut aussi être localisée ailleurs,
parfois à l'extérieur de la figure humaine, et elle est souvent associée à une
représentation du soleil ou de la lune. Le serpent qui symbolise la Kundalini,
en tant qu'énergie primordiale ou divine, ne doit pas être confondu avec
d'autres symboles, serpentins par pure analogie, qui représentent les canaux
par lesquels l'énergie circule dans le corps. Rappelons que, selon les textes
védiques, il existe un canal central, appelé "sushumna" qui va
du sacrum au sommet du crâne, et qui est accompagnée de deux autres canaux qui
montent en s'enroulant en spirale autour de lui comme dans le Caducée. La Kundalini
Satki, énergie primordiale, vitale et divine, est évidemment unique par
essence. Les chercheurs pensent souvent qu'ils doivent s'efforcer d'éveiller
leur Kundalini, mais il faut bien comprendre que la Kundalini, n'est jamais
vraiment endormie quand elle est l'énergie primordiale, la "chetana"
qui anime le corps vivant. Elle est alors appelée "prana-shakti".
Lorsque l'on parle d'éveil, il s'agit d'un changement du degré d'activité par
lequel l'énergie dispensée va passer du niveau qui assure simplement les
fonctions vitales ordinaires à un niveau plus élevé qui impliquera une
évolution des sept corps en raison de l'interaction permanente des multiples
aspects humains dans l'unicité de la manifestation divine. Par ce changement la
"chetana" change de rôle, et de "prana-shakti"
devient "Kundalani". Signalons ici que la méthode initiatique
du Christianisme ésotérique de Van Rijckenborgh mobilise trois kundalinis,
(coeur, bassin, tête).
Dans certains textes
anciens, la Kundalini est appelée le «Cœur», et il est important de méditer sur
ce point. Comme le coeur physiologique remplit une fonction centrale dans le
corps physique, la Kundalini éveillée irrigue d'une façon comparable l'ensemble
dans lequel elle opère. De nombreux prétendus guides spirituels proposent
des méthodes actives pour éveiller la Kundalini, ce qui signifie en fait
apprendre à forcer la "prana-shakti" à changer de nature, ceci
par des exercices méditatifs, des disciplines ou des pratiques particulières du
yoga. Si l'on y réfléchit, il semble pourtant que cet acte soit presque
sacrilège puisqu'on use des outils du corps physique pour contraindre ceux d'un
niveau supérieur. Je ressens là, quelque part, un mystérieux danger, comme un
tigre féroce aux aguets. Sur ce point aussi, il faudrait longuement réfléchir.
La Kundalini doit pouvoir s'éveiller par elle même lorsque les conditions
nécessaires sont en place, et monter alors librement pour effectuer son travail
de sublimation des chakras. Son identification au cœur de l'être intérieur
revêt ici, me semble-t-il, une importance particulière. La véritable
préparation est celle de son accueil, et cela implique que la préparation soit
accomplie en liaison avec la triade supérieure, et donc dans le mental, Manas.
Ainsi, l'accueil de la Kundalini pourra être préparé dans la compréhension la
plus intime de ce qui doit être réalisé, (par la connaissance éclairée, au sens
gnostique du terme), et l'acceptation consciente de tout ce que cela implique,
tout autant pour l'individu en évolution lui même que pour celle de l'humanité
entière et de l'Univers avec lesquels il est en interaction permanente à tous
les niveaux. Cela veut dire permettre à la force créatrice universelle de
passer par le soi en transcendant l'actuelle nature humaine. Alors, de lune
qu'elle était éclairant faiblement de ciel de la conscience ordinaire, peut
être la Kundalini montera-elle dans sa propre liberté, comme un soleil de
lumière illuminant tout l'être dans un flot débordant de paix, de joie, d'amour
et de liberté.
Les chakras
Les chakras sont des
organes suprasensibles invisibles qui appartiendraient au corps astral, qui est
le double et le modèle du corps physique dont il règle l'organisation et le
fonctionnement, et qui est l'enveloppe du corps éthérique (ou corps vital). Les
"chakras" régulent la circulation de l'énergie dans le corps
astral. Ils communiquent entre eux et existent en grand nombre, répartis sur
tout le corps astral. On décrit sept chakras majeurs, alignés de la base de la
colonne vertébrale jusqu'au sommet de la tête. Comparables à des fleurs de
lotus, on les associe généralement aux sept couleurs du spectre (dont l'indigo
qui a été inventé par une poète français pour composer un bel alexandrin), et
on les hiérarchise en relation avec leurs fonctions associées, qualités et
défauts. On identifiera donc, de bas en haut, les quatre Chakras de
l'existentiel surmontés des trois de l'essentiel, à savoir : 1 / Au périnée,
jambes et pieds, « le Chakra racine, chakra muladhara ou chakra de base », de
couleur rouge, associé à l'innocence, la sagesse, la confiance, et la sûreté
mais aussi aux besoins du corps physique et à ses caractéristiques négatives
telles la passion ou la luxure. 2 / Au sacrum, aux hanches, à l'os pubien, « le
Chakra sacré, chakra Svadhisthana », de couleur orange, associé à la
connaissance, au mouvement, à la vitalité, et à la créativité et négativement à
la colère, la menace, et la haine. 3 / Sur le plexus solaire, et à la colonne
lombaire, « le Chakra du plexus solaire ou Chakra Manipurakaou », de couleur
jaune, associé à la paix, à la générosité, à l'estime de soi, à la confiance, à
l'énergie et la transformation et à ses opposés, la peur, la cupidité. 4 /Au
niveau du coeur, des poumons, du thorax, des bras et des mains, « le Chakra du
coeur aussi dit Chakra indestructible, Chakra Anahata », de couleur verte,
associé au courage, à la compassion, à l'amour, à l'indulgence et aux rapports
avec l’Art et tous les défauts correspondants. Remarquez que ce chakra du cœur
est en contact direct avec les chakras de la triade essentielle.
Au dessus des quatre
chakras de la quaternité existentielle, et dans le même alignement vertical, on
situe les trois chakras de la triade essentielle : 5 / Sur la gorge, ou l'épine
cervicale, « le Chakra de la gorge dit Chakra extraordinairement pur, Shakra
visuddha », de couleur bleue, associé à la paix, la volonté, l'action, la
communication et aux facultés d'expression,mais aussi à la jalousie, l'abus de
pouvoir. 6 / Au centre du front, entre less yeux, « le Chakra des savoirs ou
chakra du troisième œil, Chakra Ajna », indigo, associé au pardon, à
l'intelligence, à l'intuition, àla sagesse, à la vision et aux rêves, à la
perception et au discernement, et à l'orgueil et l'arrogance. 7 / Enfin, au
dessus de la tête, « le Chakra de la couronne ou chakra des 1000 rais, Shakra
Sahasrara », violet, associé à la conscience, à la liberté, à l'infini à
la divinité, et aux rapport avec Dieu sans aucune association négative. Au sein
de cette triade se tiennent Âtman, l'Esprit, au sommet, puis
Buddhi, l’âme spirituelle reliée au mental, Manas, les trois
principes qui constituent la véritable entité humaine impérissable, vivant
actuellement ici bas dans ses véhicules appropriés. Chez les Théosophes,
Annie Besant et plus particulièrement Charles Webster Leadbeater (dans son
livre " Les chakras - Centres de force dans l'homme") ont
théorisé le rôle des différents chakras ainsi que la transformation effectuée
par l'éveil et la montée de la Kundalini. L'homme, nous dit Annie
Besant, est l'être dans lequel, quelle que soit la partie de l'univers
qu'il habite, l'Esprit le plus élevé et la matière la plus basse sont unis par
l'intelligence. C'est donc à ce niveau qu'il faudra séduire "prana-shakti"
pour qu'elle devienne "Kundalani", le cœur de l'Homme-Âme.
Pour cela, il faut, par l'amour, la méditation et la prière, purifier le temple
mental de la violence et de l'inflation de l'ego (qui se manifeste d'ailleurs
dans la dangereuse volonté de forcer l'éveil de la kundalini).
C. W. Leadbeater, dans
son livre, émets de vives inquiétudes quant au danger extrême de cette
imprudence, "Je mets très solennellement en garde, dit-il, tous
les étudiants contre un effort quelconque tendant à éveiller ces énergies
formidables, sauf sous une direction expérimentée ../... Cette force est une
réalité formidable, l'un des grand principes de la nature. Je l'affirme avec
toute l'insistance possible, ce n'est pas un jouet ; ce n'est pas une question
dont on puisse s'occuper à la légère ../.. Le vieil aphorisme demeure vrai :
"Cherchez d'abord le royaume de Dieu et Sa justice, et tout le reste vous
sera donné par surcroît".Voici la conclusion du livre, que je crois
utile de vous faire partager : La conscience de l'homme ordinaire ne
peut encore employer la matière atomique pure, ni dans le corps physique, ni
dans le corps astral ; normalement il lui est donc impossible de communiquer
consciemment et à volonté entre les deux plans. La vraie manière d'y parvenir
est de purifier les deux véhicules jusqu'à ce que la matière atomique étant
complètement vitalisée dans chacun, toutes les communications puissent
emprunter cette route. Dans ce cas le réseau conserve au plus haut point sa
position et son activité sans faire désormais obstacle à une communication parfaite
; en même temps il continue à jouer son rôle particulier, celui d'empêcher tout
contact étroit entre des sous-plans inférieurs qui ouvriraient le passage à
toutes sortes d'influences indésirables. Voilà pourquoi l'on nous adjure
toujours d'attendre, pour développer les facultés psychiques, le moment où
elles se manifesteront naturellement, en conséquence du développement de notre
caractère ; l'étude de ces centres de force nous en donne l'assurance. Telle
est l'évolution naturelle ; c'est la seule méthode sûre, car elle permet à
l'étudiant de recueillir tous les avantages et d'éviter tous les dangers. Ce
Sentier, nos Maîtres l'ont suivi jadis ; c'est donc aujourd'hui celui que
nous devons suivre.".
Jacques Henri Prévost
INCARNATUS
Tome 1 - Lentement
vers la Lumière
(Aux
sources de l'ésotérisme occidental)
Tome 2 - Bien nombreux les
chemins.
(Mythes
traditionnels et exotiques)
Tome 3 - Et chaque
amour, enfin
(Vers une spiritualité contemporaine)
Du même auteur
Le Ciel, la
Vie, le Feu
Le Pèlerin d’éternité
L’Univers et
le Zoran
L’Argile et
l’Âme
Prolo Sapiens
Lentement
vers la Lumière
Bien nombreux
les Chemins
Et chaque
Amour enfin
Recueil de
cuisine végétarienne
Mon cancer et
Moi
Le sourire
amlicieux de l’Univers
© Jacques Prévost – Cambrai -
France
Jacques Henri Prévost
Et chaque Amour enfin
Incarnatus – Tome 3
(Vers une spiritualité contemporaine)
Dans ce Tome 3
Un temple à l’esprit, et à la liberté
Orphistes et Pythagoriciens
La Divine Comédie de Dante
Robert Fludd et la Rose+Croix.
L'origine des Rose+Croix
L’Homme triple
Le Cosmos est-il vivant ?
La Vie mystérieuse
Amour et Désir chez les Théosophes
Krishnamurti et l’inconcevable « Otherness »
Jung - Du livre rouge à la Fleur d'or
L'illusion de la connaissance
La Kundalini et les Chakras