Jacques Henri Prévost

                         

 

 

Et chaque Amour, enfin

 

Incarnatus Tome 3

 

Vers une spiritualité contemporaine



 

 

 

 

 

 

Jacques Henri Prévost

 

 

 

INCARNATUS

 

 

Tome 1 -  Lentement vers la Lumière

 (Aux sources de l'ésotérisme occidental)

 

Tome 2 -  Bien nombreux les chemins.
 (Mythes traditionnels et exotiques)

 

Tome 3 -  Et chaque amour, enfin

(Vers une spiritualité contemporaine)

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

Du même auteur

 

Le Ciel, la Vie, le Feu
Le Pèlerin d’éternité

L’Univers et le Zoran

L’Argile et l’Âme

Prolo Sapiens

Lentement vers la Lumière

Bien nombreux les Chemins

Et chaque Amour enfin

Recueil de cuisine végétarienne
Mon cancer et Moi
Le sourire malicieux de l’Univers

 

 

 

 

 

                         


 

 

 

 

Jacques Henri Prévost

 

 

 

 

Et chaque Amour enfin

 

 

Incarnatus - Tome 3

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

©  Jacques Prévost –Cambrai -  France

Jacques Henri Prévost

 

 

 

Et chaque Amour enfin

 

 

Vers une spiritualité contemporaine

 

 

TABLE DES MATIERES

 

                                                           

15 - Un temple à l’esprit, et à la liberté
25 - Orphistes et Pythagoriciens

47 - La Divine Comédie de Dante
65 - Robert Fludd et la Rose+Croix.
79 - L'origine des Rose+Croix
91 - L’Homme triple
115 - Le Cosmos est-il vivant ?

137 - La Vie mystérieuse
147 - Amour et Désir chez les Théosophes
161 - Krishnamurti et l’inconcevable « Otherness »

199 - Jung - Du livre rouge à la Fleur d'or
243 - L'illusion de la connaissance
269 - La Kundalini et les Chakras


 

 

 

Les autres tomes

 

Tome 1

 

 

 Aux sources de l’ésotérisme occidental

 

 

Les appels de la Lumière.
Les dieux grecs.
Les Ennéades de Plotin.
Les enseignements d’Hermès Trismégiste.
Les antiques religions à Mystères.
La religion des Romains.
La Gnose et les Gnostiques.
De la Gnose aux Cathares.
De Giodano Bruno à l’Univers vivant.
Béguines et Cathares des Flandres.
La Foi des Cathares.


 

 

Les autres tomes

 

Tome 2

 

 Mythes traditionnels et exotiques

 

 

Mille chemins sur la montagne
Réminiscence et réincarnation selon Platon
Le Mythe de l’Arche de Noé
Le Mythe de la Quête du Graal
La Bagavad Gita dans l’Indouisme
Les derviches tourneurs Soufi
Contes persans et soufi
Zoroastre et les Pârsis.
 Le Bardo Thodol tibétain
Le Tao të King en Chine
Le Cao Dai indochinois

Le Shintô japonais
Le Jaïnisme

Le Vaudou

 

 





 

 

 

 

 

 

 

Tome 3

 

 

 

Vers une spiritualité  contemporaine

 



 

 

Un temple à l’Esprit et à la Liberté

 

 

Sans commencement, sans fin,
sans passé et sans avenir,
l’esprit transcende le temps

et l’espace,

sans cause ni contingence.
Il réside dans le seul  présent
et trouve son essence
et sa totalité dans le travail
qu’il accomplit sur lui-même.

 

 

Nous sommes tous, en tant qu’hommes, plongés dans une réflexion fondamentale. Nous constatons que la religiosité, l’inspiration artistique, et la recherche scientifiques sont des réponses toutes personnelles à la perception d’un manque. Elles expriment le besoin d’assouvir une faim non satisfaite. Exprimées dans des formes différentes, ces  élans, ces espoirs, ou ces ressouvenances d’un état de meilleure satisfaction semble être une caractéristique constante attachée à la nature humaine. Cherchant à établir ou rétablir son bonheur, l’Homme-individu base la conduite de sa vie sur le type de recherche, d’expression sensible, de religiosité, ou de foi, qui correspond à sa propre nature. Après tous les enseignements tirés du passé, nous constatons que diverses démarches plus modernes constituent aussi des illuminations, des flambées fortuites de connaissance. Elles éclairent alors un domaine caché réservé aux seuls humains conscients. Issus de la même source, ces éclaircissements de la conscience semblent bien pouvoir prendre plusieurs chemins. Plusieurs moteurs très différents ont fourni l’énergie nécessaire pour faire émerger ces révélations jusqu’au niveau d’une expression consciente exprimable.

 

Comme pour toutes les théories scientifiques, religieuses ou philosophiques, la diversité des contenus et des expressions utilisées démontre également que les instruments mentaux utilisés pour faire passer l’illumination intérieure au niveau conscient ne sont pas très adéquats. Une question importante se pose, celle de de savoir à quel niveau de conscience notre être intime est assoiffé de connaissance ou d’absolu.  Le corps met constamment en oeuvre des machineries variées qui remontent au début de l’aventure des vivants. Notre appareillage mental est aussi composé de divers mécanismes mis en place par l’évolution. L’homme doté de conscience est la forme actuelle, le dernier avatar de l’espèce, mais les fonctions primitives qu’il intègre n’ont pas disparu dans les abîmes du temps.

 

La soif de connaissance et la faim de Dieu sont irrationnelles.

 

On peut aisément comprendre que tous les efforts conceptuels pour atteindre la connaissance totale, (ou la Divinité)  par une construction intellectuelle théorique et raisonnable, soient vains et voués à l’échec. En fait, cette  soif d’absolu est en relation avec les niveaux inconscients les plus archaïques du mental. Elle a cependant des implications métaphysiques fort importantes. Si on l’admet, il faut corrélativement accepter que la construction de l’Homme par l’évolution, y compris l’émergence de sa conscience et de son intelligence, résulte de la réalisation d’un plan antérieur, étranger et extérieur, lequel atteindrait maintenant le point où ce moteur doit être activé. Cela signifierait que l’existence humaine a une cause qui a fixé son but au début des temps et de la vie, bien avant qu’apparaissent la corporéité et le conscient.

 

La prise de conscience qu’un plan surnaturel peut être en oeuvre et nous impliquer activement prend une signification presque brutale. Ce choc résulte du contact inattendu avec une altérité inconnue, ce qu’il est convenu d’appeler le sacré. La tradition hébraïque, par exemple, a été amenée à traiter cet aspect, et le Livre du Zohar décrit les multiples précautions que le Dieu hébraïque a du prendre en descendant au niveau de la matière pour accomplir sa création. Au-delà des descriptions théoriques, conceptuelles et imagées des littérateurs, demeure un vécu difficile, celui du contact effectif avec le Tout-autre inconnu et surtout la perception expérimentale de la réalité de cette altérité absolue.

La raison humaine se refuse à faire naître du néant les choses dont elle constate l’existence sans cause dans son référentiel expérimental. Irrationnellement, ce qui est un comble, la raison postule qu’elles sont les manifestations d’un acte primordial, donc d'une sorte de dieu, quel que soit le mot ou la description imaginaire qu'on en fait. Il se tiendrait à l’origine du Monde et de son fonctionnement indéfiniment détruit et reconstruit au fil du temps. Et la pensée élabore à ce sujet diverses hypothèses, mécaniques, métaphysiques ou religieuses, se donnant des postulats incontournables, ou des dieux, à moins qu’il ne s’agisse de mystérieuses révélations.

Le langage de la vérité est simple.

(Sénèque - Lettres à Lucilius).

Gardant la sage parole de Sénèque à l'esprit, et penchons-nous donc sur ces diverses images de la réalité, idoles construites dans le mental par la pensée, pour apaiser, quand c’est  possible, la mortelle inquiétude humaine.  

Dans l'Antiquité, les dieux résidaient dans la nature et ils étaient soumis à ses lois, tout comme les hommes. Ils personnifiaient des forces et objets naturels, la foudre ou l'océan, le soleil et la lune, et ils éprouvaient tous les appétits, les pulsions et les passions du Monde, l'amour, la colère, la vengeance et la haine. Les Anciens ne se préoccupaient guère de la situation et du genre d'êtres qui précédaient le Monde.

Le dieu des Hébreux était fort différent. « A l'origine, dit la Bible, Dieu fit le Ciel et la Terre ». Dieu est ici personnifié et projeté hors du Monde. Il en est le créateur et le maître qui en fixe seul le destin. "Nul ne connaît le dernier jour, dit Jésus, pas même le Fils. Seul le Père le connaît". Ce que ce Père attend du Monde devient tout à fait mystérieux. Il est interdit aux Hébreux de représenter leur dieu qui conserve pourtant bien des caractères humains. Il est le seigneur souverain du "Peuple élu", attentif et exigeant, exclusif et jaloux, coléreux et souvent cruel. Il est encore, nous dit la Bible, la source de tout bien et de tout mal, et il fit l'Homme "à son image et à sa ressemblance". Ces antiques concepts caractérisant le Dieu biblique ont été intégrés dans notre culture judéo-chrétienne, et ils sous-tendent toujours notre pensée sans que nous en ayons clairement conscience.

Dans l'ancien Iran, les Parsu, (les Perses), distinguaient les déva du jour et ceux de la nuit. Pour Zoroastre, Ahura Mazda, le créateur unique, a engendré un esprit double qui s’est manifesté sous deux formes jumelles, la Justesse et l'Erreur. Elles devinrent ensuite la Lumière d'En-Haut et les Ténèbres d'En-Bas. Ces Seigneurs du Bien et du Mal sont engagées dans un conflit perpétuel dans lequel l'Homme est impliqué car il est appelé à choisir de reconstruire son unité originelle. Au 3ème siècle ces idées engendrèrent le manichéisme, une importante religion dualiste qui dura mille ans et qui marqua la pensée religieuse médiévale de la Baltique à la Méditerranée, des Cathares aux sages de la Chine ancienne.

Avant même notre ère, ce concept manichéen influença tout le Monde antique y compris les Juifs Esséniens. Précurseurs du Christianisme, ils attendaient la fin du Monde et le combat eschatologique entre les Esprits de la Lumière, l'Armée de Dieu, et les Esprits des Ténèbres, les Fils de Bélial. Élus parmi les élus, les Esséniens se sentaient appelés à conduire la rénovation du Monde et la fondation de la nouvelle Jérusalem. Nous conservons aussi, bien évidemment, dans notre inconscient, cette division métaphysique radicale entre les forces du Bien et du Mal, entre les Esprits de Lumière et ceux des Ténèbres.

C'est partiellement sur ces bases que s’est construit le Christianisme, (issu du Judaïsme). Il apportait plusieurs nouvelles révolutions de pensée. La plus importante est l'irruption actuelle du Fils de Dieu dans le Monde créé. Le Dieu des Juifs est créateur, fondamentalement extérieur à la création tandis que le Christ, ému par les souffrances humaines, s'incarne dans un corps d'homme et vient ici-bas partager leurs souffrances et racheter les fautes qui les ont séparés. Le sacrifice magnifié devient ans le Catholicisme, porteur de mérite, et son partage conduit au salut des âmes, après la mort, et  la vie éternelle dans le royaume de Dieu.

Pour les Juifs traditionalistes, cette révolution religieuse était insupportable. Le Christianisme dut s’en séparer et entreprit la conquête trop souvent intolérante et violente du monde. Plus tard, l'Islam fit de même avec la volonté de soumettre à Dieu l'humanité toute entière. Les Hermétistes égyptiens et les Gnostiques s'emploièrent alors à préserver les traditions antiques, répétant que dans l'Homme, double par nature, coexistent un être naturel mortel et un esprit originel immortel. Ces idées dites hérétiques furent durement  combatues. Associées aux convictions imposées, elles sont pourtant restées dans notre inconscient et nous assistons actuellement à leur renouveau. Hélas, les conflits d'idéologies engendrent toujours de mortels combats d'hommes, des persécutions, des souffrances, des meurtres et bien du sang versé.

D'autres chercheurs ont eu une approche métaphysique de la réalité, bien différente des conceptions religieuses. Quatre cents ans avant notre ère, Platon, le grand philosophe grec, disait que notre monde impermanent n'est que le reflet changeant du monde fixe des Idées Essentielles ordonnées autour du Juste, du Beau et du Bon. Beaucoup de concepts actuels proviennent des penseurs antiques. Citons le Logos, (principe du devenir), l'Illimité, (caractère unique de la matière), le "Corps Tombeau", (prison de l'âme humaine), le Cosmos, (appellation de l'univers), le Microcosme, (l'homme image et modèle du Monde), l'Esprit ou Intellect, (organisateur de la matière), les Atomes ou les Quatre éléments, (considérés comme constituants les corps), le Hasard et la Nécessité, l'Amour et la Haine, régisseurs de Nature, etc..

Les scientifiques contemporains ont une toute autre approche. Ils rejettent radicalement les concepts traditionnels de la création du Monde et de l'Homme. Ils éloignent dans un lointain passé les mystères des origines, sans pour autant les expliquer, et donnent au temps et à l'espace des dimensions immenses qui s'accroissent encore au fil des recherches. La matière se complexifie également dans l'infiniment grand et l'infiniment petit. Cependant la vraie nature de la vie garde toujours l'essentiel de ses secrets. L’information répand librement et largement, ces théories modernes concernant les origines de l'univers, des galaxies et des étoiles, l'histoire de la Terre et celle de la vie dans tous ses aspects y compris l'apparition et l'évolution de l'Homme, et ses sociétés, religions et civilisations.

Il ne faut pas oublier l'action des artistes de toutes époques et disciplines, qui renvoient danss leurs œuvres leurs visions personnelles d'un monde idéalisé qu'ils voudraient montrer. Tous les matériaux apportés par les philosophes, les artistes et les scientifiques s'intègrent à notre mental et structurent notre pensée. Nous avons ainsi en nous beaucoup d’idées cristallisées et inconscientes. Elles se fondent sur tous les vieux postulats disponibles dans notre réserve mentale. Nos croyances religieuses traditionnelles ou celles de la pensée métaphysique rationalisante, nous amènent à vouloir comprendre et décrire la genèse de toutes choses.

En Occident un préalable souvent nécessaire est celui d'un être primordial, d'un acte de création et d'une source de vie. Nous avons donc inventé un dieu plus ou moins trinitaire avecr les formes et les caractéristiques qui répondent à ces besoins. Chaque société humaine a fait de même, en tous lieux et toutes époques, et les représentations divines et leurs cultes ont différé d'une civilisation à l'autre. Les fondements du Monde ne changent pas, ni l'Homme, mais les pensées et les mœurs évoluent dans le temps et l'espace en relation avec l'étendue et la nature des connaissances ou des convictions. Ces concepts  fondent aussi les images et les mots nécessaires à la pensée et à l'échange dans notre époque. Ces instruments actualisés, ou ces représentations culturelles de la réalité permettent de communiquer, mais  sans vraiment éclairer les profonds mystères des origines. Ils atténuent l'inquiétude existentielle en proposant des réponses momentanément acceptables.

Pour supporter ces angoissantes inconnues, nous projetons sur le mystère essentiel extérieur, tantôt  un imaginaire culturel d'un dieu incarné recevant inévitablement forme et couleur humaine, tantôt une repésentation mathématique et rationalisé de théories scientifiques de plus en plus éthèriques et immatérielles. Et nous projetons aussi sur le troublant mystére existentiel intérieur un reflet mouvant et imparfait, de ces captivantes idoles intellectuelles. Alors ne demeure que la beauté trompeuse des images associées à leurs brillants reflets, illusion magnifiée dans les milliards de reflets des milliards de cerveaux de milliards d'hommes. La matière subtile de la pensée est à ce point flexible et malléable que nous la modelons mentalement à volonté et à plaisir, y compris en la forme illusoire de certitudes, de croyances, et de faux dieux idéaux qui nous masquent, en tous lieux, la nature véritable du Monde.

C'est de cette illusion chatoyante dont je voudrais faire prendre conscience. Il faut essayer de voir dans sa véritable emprise cette tentatrice embellie par son reflet et réfléchie de cercle en cercle jusqu'à l'infini comme l'est la pensée partagée. Nous bâtissons, nous-mêmes dans notre propre mental, une représentation actualisée et illusoire de la réalité totale,  qui nous éloigne de la vraie connaissance. Ici et maintenant, le Temple de Vie c'est l'Homme. C’'est en chacun de nous que l'Esprit construit la conscience humaine, actuellement et à l'instant. L'éternité se vit au présent, et l'éternel présent de l'Esprit agit dans l'instant même où vous lisez ces lignes. Aux vents aléatoires du destin, (ou des projets divins), l’Univers navigue avec l'humanité vers des terres et des ports inconnus.

 

« Homme, Connais-toi toi même ! »

      (D’après Le Ciel, la Vie, le Feu - Ouvrage de l'auteur)

 

                            


 


                                                

 

CHAPITRE 2

                                        

Orphistes et Pythagoriciens

 

 

 

Il y a beaucoup d'analogies entre le poète Orphée qui est une figure mythologique, et le philosophe Pythagore, véritable personnage historique qui vécut cinq siècles avant notre ère. Ils ont en commun d'être à la base de deux philosophies mystiques, l’Orphisme et le Pythagorisme, qui partagent des croyances et des pratiques similaires. Leurs partisans croient en l’immortalité de l’âme emprisonnée dans le corps, et leurs pratiques visent à l’aider dans sa future existence après la mort. L’Orphisme proposait aux fidèles des rites mystiques et des règles ascétiques de vie. Les Orphistes étaient végétariens et rejetaient toute violence, y compris les sacrifices sanglants. L'enseignement de leurs Mystères proposait de rompre le cycle perpétuel de l'incarnation et de la souffrance, et leurs rites funéraires permettaient à l'initié de s'affranchir des liens du corps, de trouver son chemin dans les enfers, d'être reconnu par les Divinités Infernales, et par le souvenir de ses origines célestes, de se joindre à la race bienheureuse. L'Orphisme originel ne semble pas avoir enseigné la réincarnation ou la métempsycose (la transmigration des âmes personnelles telle qu'elle est exposée dans le mythe d'Er chez Platon), mais plutôt la palingénésie, (le retour périodique et éternel des mêmes événements avec un retour à la vie éventuellement sous d'autres formes d'existence, père et fils par exemple, comme chez les stoïciens). Pour les Pythagoriciens, par contre, l’âme personnelle revient dans un corps nouveau selon les vertus ou les vices de sa vie précédente. Le corps est donc une prison où l’âme expie ses fautes antérieures. C’est donc une réincarnation (métempsychose). Les réincarnations successives permettent la purification progressive de l’âme, puis sa libération. Les Pythagoriciens étaient également végétariens et pacifistes. Leur métaphysique proposait aussi une explication scientifique de l’univers. Pythagore croyait à l’universalité principielle des nombres dont la combinaison expliquait toute existence. ll est le précurseur de la science actuelle et de ses applications modernes. Il aurait inventé le mot "philosophie", (de 'philos' qui aime et 'sophia' la sagesse). Les philosophes présocratiques, dont les Orphistes et les Pythagoriciens, ont fondé la pensée scientifique par leurs intuitions, validées par nos sciences actuelles, et leurs théories sur la survie de l'âme sont à la base de toutes les grandes religions sotériologiques (de salut) occidentales. Orphée et Pythagore ont aussi laissé des traces dans nos arts et lettres modernes.

 
Orphée, poète initiateur

 

L’Orphisme était un courant religieux de la Gréce_antique. Il nous est connu au travers des textes divers et par des vestiges funéraires dont Les Lamelles d'or et autres découvertes. On situe ses origines au moins à 560_av._J.-C. Les dernières œuvres « orphiques » datent du Ve_siècle de notre ère. L'orphisme se présente comme un courant mystique tel que la pensée grecque en avait développé à partir du IVe_siècle_av._J.-C.. Son nom provient d'Orphée, un poète et initiateur mythique. Notre connaissance de l'Orphisme demeure incomplète et chargée de mystère. Dans le très ancien mythe d'Orphée, la descente du poète aux Enfers à la recherche d'Eurydice, donna naissance à une théologie véritablement initiatique. La doctrine orphique est sotériologique (religion de salut). Originellement souillée, l'âme est condamnée à un cycle de réincarnations que l'initiation peut seule rompre pour lui permettre de rejoindre le divin. Dans cette doctrine, Orphée n'est pas adoré, il est seulement vénéré et demeure un homme, en marge des dieux. Par certaines de ses pratiques, particulièrement le végétarisme et le refus des sacrifices sanglants, l’Orphisme paraît contester la religion grecque traditionnelle. La religion est fondée sur une cosmogonie et une théogonie très particulières. La divinité principale est ici Phanès, (autrement nommé Éros, ou Protogonos). Issu de l'éclosion de "l’œuf cosmique", Phanès-Éros est à l’origine de tout. Créateur du soleil et de la lune, ils est aussi père de la nuit. Dans le panthéon orphique, on retrouve Zeus et surtout Dionysos, un divinité singulière, exubérante et excentrique à laquelle les Orphistes rendent un culte particulier. C'est l'un de ces cultes à Mystères qui préparaient l'arrivée du monothéisme. Les confréries orphiques étaient présentes dans la Grèce antique et le monde romain. Il semble qu'il ait existé des sortes de prêtres, les orphéotélestes, des prosélytes assez douteux critiqués par Platon.

 

La cosmogonie orphique postule une unité originelle qui est brisée puis restaurée sous le règne de Dionysos. Elle est donc en désaccord avec la cosmogonie classique d'Hésiode qui part du surgissement de la béance primitive (le Chaos originel) pour aboutir à l'ordre divin placé régi par Zeus. Selon l'Orphisme, au commencement est Nyx, la Nuit ténébreuse, la Primordiale. Elle est aux côtés de Chaos, Tartare et Erèbe. Dans cet abîme de noirceur, Nuit revêtit la forme d'un oiseau aux ailes sombres et déposa un Oeuf d'argent, un Oeuf "clair", non fécondé, dans le sein gigantesque des ténèbres. Puis, sous l'action du Temps infini, l'Oeuf se brisa, laissant surgir Phanès aux ailes d'or, un être extraordinaire, androgyne, d'une blancheur éclatante, et que l'on nomme aussi "Éros",  "Protogonos" ou "Eriképaios". Phanès est donc né de l'oeuf primordial quand il a été séparé en deux par Chronos, le temps, et Ananké, la nécessité impérieuse. La partie supérieure de l'oeuf est devenu le ciel tandis que la partie inférieure devenait la terre. Le nom de "Phanès", (le Lumineux), rappelle qu'en premier il éclaira le monde en révélant ce qui était dissimulé dans l'Oeuf. Protogonos, (le Premier-né), indique son antériorité, sa primauté en tant qu'être manifesté. "Eriképaios", (le Puissant), c'est la force créatrice. Eros, (l'Amour), s'unissant à Chaos dans l'obscurité du Tartare, et fécondant en quelque sorte les Ténèbres de sa clarté, il amène les principes de Ciel et de Terre qui étaient au fond de l'Oeuf à s'unir, démarrant alors le processus de Création. Jaillissant de l'Oeuf primordial où se trouvait la "semence du Vivant", Phanés, dans sa splendeur, apparut à l'univers entouré d'un Serpent et portant les têtes animales, du Bélier, du Taureau et du Lion. Une autre version dit que ce sont Okéanos et Téthys qui se trouvaient au fond de l'Oeuf, et subirent les premiers l'influence de l'Amour.

 

Toutes les cosmogonies voisines orphiques postulent une unité originelle brisée ultérieurement rétablie sous le règne de Dionysos, et ce thème de la réunification, de la reconstitution, ou de la réconciliation, fait le lien entre elles. Le mythe orphique de Dionysos peut être considéré comme constitutif de l'Orphisme. Phanés-Éros offrit finalement l'empire du monde à Zagréus, première incarnation de Dionysos, un des enfants de Zeus. Les autres Titans, jaloux, le charmèrent avec des miroirs, le démembrèrent, le firent bouillir et rôtir, puis le dévorèrent. Horrifié, Zeus foudroya les Titans meurtriers. De leurs cendres naquirent les hommes marqués par cette double origine. De la cendre des Titans provient leur constante propension au mal, mais l'énergie divine et d'amour du bien provenant de Dionysos subsiste en eux comme une étincelle. Zeus fit  ensuite renaître Dionysos de son coeur sauvé par Athéna. Cependant, sa mère Perséphone, interdit que l'homme, marqué de la faute des Titans, gagna le monde divin. Elle le condamna à errer de vie charnelle en vie charnelle, oublieux de son origine divine. L'orphisme professe une démarche de purification de l'Homme, chez qui le divin se combine avec le titan qui est une souillure. Le mythe central de l'Orphisme est bien celui de la mise à mort de Dionysos. Les Titans orphiques sont-ils identiques à ceux d'Hésiode, les douze enfants d'Ouranos et Gaïa ? Pour ne pas choquer le public mais aussi pour subvertir de l'intérieur la religion civique grecque les Orphiques utilisaient des appellations classiques comme Dionysos, Orphée, Zeus, les Titans, ou Perséphone, avec un sens parfois différent. La Perséphone orphique ressemble à la Reine des Enfers habituelle. Pour les Orphiques, mais elle est aussi ici la mère de Dionysos lequel n'est donc pas celui d'Euripide (Sémélé  "les Bacchantes"). De même, il faut bien distinguer le doux poète amoureux du mythe "Orphée et Eurydice" et l'Orphée orphique, bien plus politique. Le mythe romanesque montre un Orphée héroïque et souffrant recherchant son épouse jusqu'aux lieux infernaux, tandis que l'Orphisme se place sous sa protection tutélaire essentiellement parce qu'il est un initié revenu des Enfers, et qu'il peut donc servir à en proclamer les mystères.

 


Du Mythe d'Orphée à la Religion orphique

 

L'orphisme né en Grèce à partir du sixième siècle avant JC est un mouvement religieux qui aurait été instauré par Orphée, un personnage légendaire qui vécut avant Homère. Orphée était selon la tradition un demi-dieu, fils de la Muse Calliope et du roi Œagre (ou du dieu de la beauté et des arts Apollon). Originaire de Thrace, il charmait de sa musique les animaux sauvages et même les êtres inanimés et est souvent décrit comme un enchanteur qui émerveillait tout le monde par ses chants et ses poésies. Orphée avait reçu sa lyre des mains d'Apollon et y avait ajouté deux cordes pour en faire un instrument incomparable. Il était très amoureux de sa femme, (une dryade), la douce Eurydice. Mordue au mollet par une vipère lors d'une marche en forêt juste après son mariage, Eurydice en mourut, laissant Orphée inconsolable. Il descendit aux Enfers pour réclamer son Eurydice au dieu Hadès. Arrivant au fond des enfers, il se mit à jouer de sa lyre et endormit ainsi le monstrueux Cerbère, ce chien à trois têtes qui en garde l'entrée, et les Euménides (ou Furies), les terribles Erinyes, Mégère, Alecto et Tisisphone, hideuses déesses ailées de la justice et de la vengeance aux chevelures de serpents. Sa musique émut aussi Hadès, le dieu des Enfers, qui libéra enfin Eurydice à condition qu'Orphée ne regarde pas sa femme ni ne lui parle avant d'être arrivé à la surface de la terre. Mais Orphée, n'entendant plus les pas de sa bien-aimée, inquiet de savoir si elle était toujours là, se retourna, rompant l'engagement et perdant définitivement Eurydice. Orphée, fou de chagrin, erra dans les bois et jura de ne plus aimer aucune femme. Il mourut massacré par des femmes jalouses, (les Bacchantes), qui jetèrent sa tête dans le fleuve Hébros (actuellement la Maritza). Sa tête dériva sur les eaux en chantant jusqu'à Lesbos. Les Muses affligées enterrèrent ses membres au pied du mont Olympe. Déposée dans le temple d'Apollon, sa lyre devint la constellation du même nom. En punition,  nous dit Ovide, les Bacchantes furent attachées au sol puis métamorphosées en arbres.

 

L'Orphisme, fondé sur une cosmogonie d'inspiration orientale, se présente en réaction contre un système qui associe le religion et la politique. L'Orphisme croit en la réincarnation. L'âme est enfermée dans le corps mortel en punition du meurtre originel commit par les Titans, dont l'homme est partiellement issu. Vouée à la réincarnation perpétuelle dans un corps humain ou animal, elle est prisonnière du "cercle de génération" (proche de la roue des renaissances bouddhique). Mais comme le Christianisme, l'Orphisme est une religion de salut (sotériologique). les Orphistes enseignent qu'une vie vertueuse, consacrée au bien et à la purification, peut supprimer l'empreinte titanesque de l'homme, libérant ainsi l'essence divine provenant de Dionysos, lui permettant alors une meilleure réincarnation. Et, certaines âmes ayant atteint la "pureté orphique" ne réincarneraient plus devenant immortelles. Les pratiquants de l'Orphisme vivaient à l'écart de la cité, ils refusaient le "phonos", le meurtre comme le sacrifice sanglant rituel de la religion officielle, et passaient pour des asociaux peu fréquentables. L'Orphisme professait que cette vie ascétique et mystique ne pouvait briser le cycle des réincarnations que si le pratiquant y ajoutait de nombreux rites et obligations, telles le végétarisme et l'abstinence. Il ne devait pas porter de vêtement en laine, s'habiller de blanc, (assez usuel à l'époque), et ne jamais approcher un cadavre. Après la mort, le défunt descend traditionnellement aux Enfers, devant Hadès où il est jugé sur sa vie passée. Les trois juges lui attribuent le type de corps mérité pour la prochaine incarnation. Avant celle-ci, les âmes impures doivent boire l'eau du fleuve Léthé pour oublier Hadès et les réincarnations précédentes. Les âmes sauvées évitent cette  eau d'oubli afin d'accéder à l'immortalité. Revenu des Enfers, Orphée incarne le modèle, le premier des "initiés", qui révèle aux hommes les arcanes mystérieuses menant à l'immortalité.

 

Les initiations orphiques étaient essentiellement dédiées à Dionysos, dieu associé aux célèbres mystères d'Eleusis. Les initiations associaient une ascèse stricte, des jeûnes et de la musique. Cette combinaison menait à l'état de transe, plongeant le participant dans l'extase mystique et le progrès spirituel. Au fil du temps, persécuté par la prêtrise grecque classique, l'Orphisme tomba en discrédit. Son enseignement devint plus secret et plus hermétique, et ses maîtres constituèrent des groupes d'initiés de plus en plus restreints. L'Orphisme fut un courant mystique majeur de l'occident. Comme le bouddhisme oriental, les fidèles orphistes avaient atteint un niveau fort élevé de spiritualité, en posant des notions ésotériques fondamentales comme la réincarnation et le cycle des renaissances, et en formulant des exigences purificatrices basiques comme le végétarisme, la non violence, etc.. En son temps, l'Orphisme a établi les bases de la future spiritualité grecque, en initiant le champ de recherche des présocratiques. Il a enseigné comment tenter de vivre à la fois la relation au corporel et au divin, les deux faces de la double nature humaine. l'orphisme constituait une véritable école initiatique qui a fortement influencé les écoles philosophiques ultérieures, le pythagorisme, le platonisme, le stoïcisme et le néo-platonisme. Présent dans la société gréco-romaine vers la fin du paganisme, l'Orphisme y préparait l'émergence du christianisme. D'ailleurs,  sur les tombes du début de l’ère chrétienne, la figure du Christ est souvent traitée à l'image d’Orphée. Cette filiation réapparut pendant la Renaissance à Florence, par la publication de l'Hymne Orphique, un recueil de 87 ou 88 hymnes, invoquant chacun une divinité païenne. Son d'origine est incertaine, et il avait été mis à l'index par le clergé au moyen âge. On voit qu'à la Renaissance, Orphée devint le symbole du renouveau des arts et de la connaissance, inépuisable source d'inspiration pour de  nombreux artistes.

 

La fraternité de Pythagore et sa doctrine

 

L'Orphisme se fondait sur la divinité de Dionysos et son mythe. Contrairement à Orphée, qui était un romantique poète mythique, Pythagore fut un personnage historique bien réel. C'était un savant philosophe grec, ésotériste, thaumaturge qui vécut au 6ème siècle avant J. C.. Né à Samos il mourut à 83 ans à Métaponte en Calabre lors d’une révolte populaire. Pythagore était un personnage assez mystérieux qui n'écrivait rien, et sa pensée n'était guère connue que par une tradition orale fort confidentielle. (On lui rapporte cependant une description du Monde en vers dite « Les Vers d’Or »). Sa pensée nous est parvenue au travers de textes néo-pythagoriciens des débuts de l’ère chrétienne, retranscrits par les néo-platoniciens. Pour Pythagore, le principe du Monde, c’est le nombre. Se fondant sur l’idée que le Cosmos obéit à des harmonies numériques, l’École Pythagoricienne a cherché à percer les mystères existentiels par l’étude des nombres et elle fut, par là même, à l’origine de la musicologie. Pythagore était un philosophe mathématicien, ésotériste, qui se voulait réformateur religieux et passait même pour être magicien. Il aurait été initié vers l’âge de 18 ans et faisant son apprentissage à Lesbos auprès d’un sage du nom de Phérécyde de Syros, prédicateur et magicien, qui lui aurait révélé que les âmes sont éternelles, et que l’Homme a deux âmes, l’une terrestre, l’autre d’origine divine. Il aurait beaucoup voyagé et rencontré des mages, des sages et des philosophes, en Phénicie ou en Syrie. Il serait arrivé en Egypte vers 547 avant J. C., résidant à Memphis et à Thèbes, où il étudia l’astronomie, la géométrie, et s’initia aux mystères égyptiens dans des écoles initiatiques où il apprit notamment la doctrine de la Résurrection d’Osiris. Pythagore se réfugia à Crotone en Sicile, lors de la conquête perse de sa province d'origine, l'Ionie. Il y établit sa doctrine sur la figure centrale d'Apollon, dieu resplendissant du Soleil, des Arts et des Lettres. Contrairement aux prudents et secrets Orphiques, Pythagore eut rapidement dans la ville une activité politique. Devenu célèbre, il y édicta rapidement des lois.

                      

La communauté de Crotone (l'école de Pythagore) fut d'abord une fraternité philosophique, religieuse et scientifique proche de l’Orphisme. Elle devint ensuite un ordre initiatique recherchant un pouvoir plus ou moins occulte. Ses 300 élèves administrèrent correctement la cité, et leur gouvernement constitua, dit Diogène Laërce, une véritable aristocratie. Pythagore se voulait "philosophe", un mot qui couvrait, à l'époque, un champs de connaissance bien plus large qu'aujourd'hui. Il enseignait que le principe des choses est la "monade", (l'unité primordiale, divine source des nombres). De la monade sortit la dyade, matière indéterminée dont la monade, est le maître et la cause. De la monade parfaite et de la dyade indéterminée sont venus les nombres. Des nombres viennent les points, des points les lignes, des lignes les surfaces et des surfaces les volumes. Des volumes proviennent tous les corps perceptible composés de quatre éléments : l’eau, le feu, la terre et l’air qui, assemblés de diverses façons, créent le Monde lequel est animé, spirituel, sphérique, et porte en son milieu la Terre, qui est ronde et habitée sur toute sa surface. Il y a donc des Antipodes où tout ce qui chez nous est en bas, là-bas est en haut. Il y a sur la terre de l’ombre et de la lumière, du froid et du chaud, du sec et de l’humide. L’air terrestre est immobile et insalubre, et tout ce qu’il baigne est mortel. L’air supérieur, toujours en mouvement, est pur et sain, et tout ce qu’il baigne est immortel, donc divin. Le soleil, la lune et les autres astres sont des dieux, puisque en eux prédomine l’élément chaud, qui est principe de vie. La lune tire sa lumière du soleil. Les hommes sont proches des dieux, puisqu’ils ont part à l’élément chaud, et c’est pourquoi les dieux s'intéressent à eux. Tout est soumis au destin, qui est le principe ordonnant l’univers. Les rayons du soleil traversent l’air et l’eau jusque dans les profondeurs de la terre et ils y créent la vie. Tout être qui participe à la chaleur est vivant, c’est pourquoi les plantes aussi sont vivantes. Cependant certains êtres n’ont pas d'âme.

 

L’âme diffère de la vie. Parcelle d’un élément immortel, elle est en soi immortelle. Les animaux s’engendrent grâce au sperme qui est une goutte de cervelle contenant une vapeur chaude. Dans la matrice, cette goutte fournit la lymphe, l’humeur et le sang, d’où naissent les nerfs, les chairs, les os, les cheveux et tout le corps. La vapeur chaude produit l’âme et la sensation. Ce sperme forme un foetus en quarante jours et, selon les lois de l’harmonie, en sept à dix mois, l’enfant est achevé. Il a en lui toutes les raisons de vie auxquelles il est lié selon les lois de l’harmonie. Pythagore divise l’âme humaine en trois parties : la représentation, le principe vital, et l’esprit. Les animaux ont la représentation et le principe vital, seul l’homme a l’esprit. L’âme étend son principe du coeur au cerveau. La partie résidant dans le coeur est le principe vital, l’esprit et la représentation siègent dans le cerveau. La partie intelligente de l’âme est immortelle, le reste est périssable. L’âme se nourrit du sang, les paroles sont des souffles de l’âme. Les liens de l’âme sont les veines, les poumons et les nerfs. Hermès est l’intendant des âmes des défunts. Il conduit les âmes pures vers le plus haut des cieux, et les sépare des impures que les Furies enchaînent par des liens indissolubles. L’air est  rempli d’âmes que l’on appelle démons et héros qui envoient aux hommes les songes et les signes de la maladie et de la santé, de même aux animaux. C’est pour s'en préserver qu’existent les purifications religieuses et les expiations. C’est l’âme qui a le plus de pouvoir dans l'homme, en bien ou en mal. Les hommes sont heureux quand ils ont une bonne âme, ils ne sont jamais en repos, et leur vie est un perpétuel changement. La justice et la vertu sont des harmonies, comme la santé, le bien total et la divinité. Il faut adorer les dieux avec des paroles de respect, dans un vêtement blanc et avec un corps pur. La pureté s’obtient par le moyen des purifications, des ablutions, des aspersions, du fait de n’avoir pas eu de contact avec un mort, avec une femme, ou avec toute autre souillure, et de s’abstenir des viandes d’animaux morts, de rougets, de mulets de mer, d’oeufs, d’oiseaux nés d’oeufs, de fèves et de tout ce qu'interdisent ceux qui ont la charge de célébrer les rites.

 

Comme les adeptes d'Orphée, Pythagore interdisait d’offrir aux dieux des victimes sanglantes, et disait qu’on ne devait faire ses dévotions qu’à un autel sur lequel le sang ne coulait point. Il ne voulait pas que l’on prît les dieux à témoin par serment, disant que l’on devait s’efforcer d’être par soi-même digne de foi. Il fallait honorer les vieillards, car ce qui vient dans le temps est plus digne d’honneur que le reste, comme, dans le monde, le lever est plus important que le coucher ; dans le temps, le début que la fin ; et dans la vie, la naissance que la mort. De même il fallait estimer davantage les dieux que les demi-dieux, les demi-dieux que les hommes, et chez les hommes, les parents plus que les autres. Il fallait être sociable, de façon à ne pas faire de ses amis des ennemis et à se faire un ami d’un ennemi. Il ne fallait rien croire à soi seul. Il fallait venir en aide à la loi et lutter contre l’illégalité. Il ne fallait faire de mal ni à un arbre qui n’en fait point, ni à un animal qui ne nuit pas. La pudeur et la piété consistent à ne pas rire avec excès et à ne pas être sévère à l’excès. Il faut éviter d’être trop gras, ne pas voyager trop ni trop peu, exercer sa mémoire, ne rien dire ni faire par colère, il ne faut pas respecter toutes les sortes de divination. Quant à la vie après la mort, on a vu que l'orphisme défendait une forme de palingénésie (retour systématique à une forme quelconque de vie). Le pythagorisme croit plus précisément en la transmigration des âmes, c'est-à-dire à la métempsycose d'une âme individuelle, ce qui est différent. La théorie du corps-tombeau, qui dit que le corps (sôma) est un tombeau (sêma) pour l'âme n'est pas orphique, mais pythagoricienne.

 

La sagesse et la philosophie, disait Pythagore sont deux choses fort différentes. La sagesse est la science réelle, la connaissances des choses immortelles, éternelles, efficientes par elles mêmes. Les êtres qui ne font que participer de celles-ci ne sont appaelés êtres qu’en corrolaire de cette participation. Ils sont matériels, corporels, sijets à génération et à corruption.Ils ne sont pas formellement des êtres, ne pouvant être ni biern connus, ni bien définis, parce qu’ils sont momentanés dans leurs états et inachevés. Il n’y a pas de sagesse relative à eux. La science des êtres réels entraîne nécessairement la science des êtres équivoques. Celui qui travaille à acquérir la première s’appellera « philosophe ».

"Le philosophe, disait-il, n'est pas un sage, mais un ami de la sagesse. La Philosophie s'occupe de la connaissance de tous les êtres dont les uns s'observent toujours et partout, et les autres moins souvent et certains seulement en des cas particuliers. Les premiers sont l'objet de la science générale, la philosophie première, les seconds sont l'objet des sciences particulières. Celui qui sait résoudre tous les êtres en un seul et même principe, et tirer de ce seul et unique principe tout ce qui est, est le seul Sage véritable. L'objectif de la philosophie est d'élever l'âme de la terre vers le ciel, pour connaître Dieu, et lui ressembler. On parvient à cette fin par la vérité, l'étude des êtres éternels et immuables. Il faut cependant que l'âme soit libérée et purifiée, qu'elle s'amende, qu'elle aspire aux choses utiles et divines et que la jouissance lui en soit accordée, qu'elle ne craigne pas la dissolution du corps, que l'éclat des incorporels ne l'éblouisse pas, qu'elle n'en détourne pas sa vue, qu'elle ne se laisse pas enchaîner par les liens des passions, qu'elle lutte contre tout ce qui tend à  la ramener vers les choses corruptibles, et qu'elle soit infatigable et immuable dans sa lutte.

 

On n'obtiendra ce degré de perfection que par la mort philosophique, la cessation de la relation de l'âme avec le corps, ce qui suppose que l'on se connaît soi-même, que l'on est convaincu que l'esprit est emprisonné dans une demeure qui lui est étrangère, que sa prison et lui sont des êtres très distincts, qu'il est d'une nature tout à fait différente, que l'on s'exerce à se recueillir, ou à séparer son âme de son corps, à l'affranchir de ses affections et de ses sensations, à  l'élever au-dessus de la douleur, de la colère, de la crainte, de la cupidité, des besoins, des appétits, et à l'accoutumer tellement aux choses analogues à sa nature, que l'âme agisse ainsi séparément du corps, l'âme étant toute à  son objet, et le corps agissant d'un mouvement automatique et mécanique sans la participation de l'âme, l'âme ne consentant ni ne se refusant à aucun de ses impulsions vers les choses qui lui sont propres. Cette mort philosophique n'est pas une chimère. Les hommes habitués à une forte contemplation l'éprouvent pendant des intervalles assez longs. Alors ils ne sentent plus l'existence de leur corps et peuvent être blessés sans s'en apercevoir. Ils ont profondément oublié leur corps et tout ce qui l'environnait et l'aurait affecté dans une autre situation. L'âme libérée par cet exercice existera en elle-même. Elle s’élèvera vers Dieu et sera toute à la contemplation des choses éternelles et divines.

 

Les Pythagoriciens et nous

 

Les Pythagoriciens, dans l'acception courante, sont les philosophes qui se réclament de ce que l'on attribue à Pythagore, sachant bien qu'on sait fort peu de choses sur sa pensée propre. On lui prête certainement beaucoup de concepts qui lui sont étrangers,antérieurs ou postérieurs. Les philosophes présocratiques formaient des sectes assez fermées plus ou moins mystiques, d'autant plus pour les Pythagoriciens chez qui l'aspect mystico religieux était essentiel. On distingue plusieurs familles selon leurs époques : Les Pythagoriciens présocratiques, successeurs du maître. Ils sont caractérisés par des préoccupations autant mystiques et religieuses que scientifiques. Ils se singularisaient aussi par leurs réflexions mathématiques. On distingue trois groupes selon l'ancienneté, les plus anciens, puis les Pythagoriciens moyens, enfin les très nombreux Pythagoriciens récents, souvent cités par Platon. Les Néo-Pythagoriciens qui leur ont succédé ont développé une vision plus mystique du Pythagorisme. Ce "Néo Pythagorisme" est un courant philosophique et ésotérique, commençant au 1er siècle avant JC à Rome et à Alexandrie (en Égypte hellénistique), divisé en plusieurs écoles, avec des éléments empruntés à Platon et Aristote. Ses chefs de file sont Jamblique, néoplatonicien romain, auteur de la "Collection des dogmes pythagoriciens" à l’origine de notre connaissance actuelle des travaux de  Pythagore, ainsi que Porphyre, Hiérocles et Plutarque, l'auteur d’une "Histoire des philosophes" importante contribution à notre connaissance de la philosophie grecque. Le Néo-pythagorisme avec à sa suite le Néoplatonisme furent redécouverts ensuite au Moyen Age et à la "Renaissance" (qui en tire d’ailleurs son nom puisque ce sont ses concepts qui renaissent alors), surtout grâce aux écrits arabes traduits du grec en arabe dans les bibliothèques d’orient puis repris de l’arabe au latin par des savants arabes comme Avicenne, Averroès à Cordoue et le juif Maïmonide, en Andalousie,  De très nombreux documents ont malheureusement été détruits ou perdus dans des incendies accidentels ou criminels comme la grande bibliothèque d’Alexandrie, par des guerres ou par les obscurantismes copte et islamique suivis par l'action de l’Inquisition.

 

Le mythe dionysiaque disait que les Titans firent bouillir la chair du dieu assassiné avant de la mettre en broche, ce qui renversait la logique du sacrifice rituel traditionnel signifiant par là qu'ils niaient le courant de la civilisation en la remontant, passant du bouilli, forme avancée de la cuisson, au rôti, bien plus proche du cru primitif. C'est d'ailleurs cette inversion volontaire du rituel qui irrita Zeus plus encore que le meurtre lui même. C'est sans doute dans l'orphisme qu'il faut rechercher l'origine du mythe du sacrifice sanglant et l'anthropophagie potentielle qu'il implique, plus particulièrement encore dans l'éventualité de la métempsycose. Il s'agissait bien de se prévenir de toute alimentation carnée puisqu'elle impliquait un préalable sacrificiel. Mais dans la Grèce antique, la mise en cause du sacrifice sanglant rituel et de la consommation communautaire de la viande sacrificielle ébranlait les fondations civiles de la polis. C'est très évident lorsque l'on prend en compte la rôle éminent du sacrifice traditionnel qui voulait attirer la bienveillance des dieux tutélaires et garantir la sécurité de la cité. Le rituel était extrêmement codifié. Il commençait par la sacralisation de l'offrande marquée par "l'immolation" de l'animal, (son blanchiment avec une bouillie de farine "mola" et d'eau). Dès lors, dévolue et ainsi sacrée, la victime ne pouvait plus être touchée que par le sacrificateur patenté qui la mettait à mort et prélevait la part des dieux, (le sang et la fressure, coeur, poumons et rate). Et ce n'est qu'après la consumation complète de cette part sur l'autel que la chair restante était profanée par un prêtre puis débitée et partagée entre les assistants. Tout cela prenait un temps bien plus considérable que la simple offrande de grains ou de fruits pratiquée par les pythagoriciens ou les orphistes Leurs principes comportaient d'autres obligations, mais le principal défi à l'ordre de la Cité demeurait donc le végétarisme, ce qui les faisait qualifier d'asociaux. Ce préjugé semble parfois persister dans la société actuelle.

 

La communauté pythagoricienne était une confrérie, une fraternité philosophique, religieuse et scientifique, voisine de l'orphisme. Elle comprenait  plusieurs degrés initiatiques et hiérarchiques, comme beaucoup ordres initiatiques actuels. Les femmes et les étrangers pouvaient y être admis mais rien ne devait être révélé aux profanes, "les gens du dehors". Au premier degré initiatique, on trouvait les postulants, choisis arbitrairement par la hiérarchie. Le second degré est formé par les néophytes qui subissaient une période de probation de trois années et devaient faire preuve de persévérance, et du désir d'apprendre. Lorsqu'ils étaient acceptés, ils prononçaient un serment de silence. au troisième degré, les auditeurs recevaient un enseignement oral de cinq ans qui devait être mémorisé. Les auditeurs se tenaient silencieusement devant le rideau dissimulant Pythagore. Ils devaient mettre leurs biens en commun. ces trois premiers grades, postulants, néophytes et auditeurs formaient le groupe inférieur des "exotériques", les novices. Les "mathématiciens" formaient le quatrième et dernier degré. Ils devenaient des ésotériques, accédant à la connaissance intérieure et cachée. Ils pouvaient voir Pythagore derrière le rideau.

 

Leur formation utilisait des symboles avec démonstration. Ils auraient été spécialisés dans plusieurs fonctions, les "vénérables", s'occupant de religion, les "politiques", qui s'intéressaient aux lois et aux affaires humaines, tant dans la communauté que dans la cité, les "contemplatifs" qui étudiaient l'arithmétique, la musique, la géométrie ou l'astronomie, et les "physiciens" ou naturalistes, appliqués aux sciences plus concrètes, la géographie, la médecine, la mécanique, la grammaire ou la poésie. Outre le végétarisme, d'autres obligations et rites s'imposaient dans la fraternité, sacrifices non sanglants et sans feu, culte du naturel, farine, miel, fruits, fleurs et autres produits de la terre, purifications, ablutions et aspersions et onctions lustrales, respect de soi-même, examen de conscience quotidiens, continence sexuelle, "exercices de mémoire", "chants et musique", lecture partagée, gymnastique, athlétisme, promenade collective, danse, port de vêtements de lin blanc, utilisation de  signes de reconnaissance (le pentagramme)et de symboles (la tétraktys).

Pythagore conceptualisa l’idée qu’il existe une harmonie universelle et une mathématique sacrée à l’œuvre dans l’univers. Il donna ainsi les fondements de la pensée ésotérique. Avec la révélation écrite de sa pensée par les Néoplatoniciens, l'ésotérisme naît en Occident, vers le 3ème siècle après JC, dans la Gnose et l’Hermétisme. Les Gnostiques disent que l’existence terrestre résulte d’une chute originelle, et que seule la connaissance initiatique, la Gnose, (du grec gnôsis), permet de prendre conscience de la nature divine présente en l'homme. L'Hermétisme affirme que « Tout ce qui est en bas est comme ce qui est en haut », et donc qu’il existe des analogies entre la partie et le tout, entre le microcosme et le macrocosme.

 

L’ésotérisme se manifeste par vagues successives. La Gnose et l’Hermétisme sont redécouvertes à la Renaissance, à Florence, à travers des textes antiques tels "Poïmandrès" dans le Corpus Hermeticum, du légendaire Hermès Trismégiste, (C'étaitt en fait une oeuvre collective de la fin de l’Antiquité). Au siècle dit des Lumières, l’ésotérisme n'est plus qu’un contre courant face à la pensée scientifique et à la philosophie rationalisante dominantes. L’imaginaire et la pensée symbolique n’ont alors plus de place. L’homme occidental s’arrache à la Nature qui n'est plus qu'un monde d’objets observables. L'ésotérisme irrationnel est pourtant rapidement de retour avec "l’illuminisme" fondé par le savant suédois Emmanuel Swedenborg, puis le "magnétisme" de Franz Mesmer. Des sociétés secrètes initiatiques préexistantes réapparaissent au grand jour. La Rose-Croix est l’une des premières. Un texte apparu en 1614 dans le royaume de Habsbourg révélait l’existence d’une fraternité d’adeptes, chargée de transmettre les enseignements du chevalier Christian Rosenkreutz. Le mythe rose-croix serait inspiré par celui des Templiers. La Franc-maçonnerie provient directement des Rose-Croix. Au Moyen Âge, les maçons bâtisseurs de cathédrales détenaient la connaissance des symboles, et celle de la dimension ésotérique du christianisme. Quand on n'en construisit plus, les connaissances ésotériques se perdirent et on en organisa la transmission dans des cercles d’initiés. Le "Romantisme" relança ensuite et momentanément l'ésotérisme. Celui du milieu du 19ème recueillait tous les ésotérismes antérieurs, de l’Antiquité aux romantiques, mais s'en démarquait en acceptant le progrès et en tentant d'unir la religion et la science dans un savoir unique.

 

Cet ésotérisme nouveau prit plusieurs visages comme celui de "l’occultisme" d'Eliphas Levi ou "le spiritisme" des sœurs Fox qui prétendaient être en contact avec les morts. Le médium français Allan Kardec réintroduisit l’idée de la réincarnation et dans la seconde moitié du 19ème siècle, de grand esprits comme Victor Hugo, Claude Debussy , Verlaine ou Oscar Wilde, faisaient tourner les tables. Papus fonda le Martinisme, et Péladan et de Gaïta, l'ordre Kabbalistique de la Rose Croix qui eut grand succès. En 1875, la comtesse russe Helena Blavatsky fonda avec le colonel Olcott, la Société Théosophique. Elle prétendait tenir ses enseignements de maîtres spirituels rencontrés au Tibet (où elle n'alla jamais). Le théosophe Rudolf Steiner créa en 1912 son propre mouvement, l’Anthroposophie. Là, le monde et l’homme se répondent à travers un jeu de correspondances subtiles. Steiner donna des applications pratiques à sa pensée, dans la médecine, l’économie, l’éducation, etc.. Les sociétés ésotériques sortirent fort affaiblies des grandes guerres mondiales. Les élites avaient été dévorées par le matérialisme, et tous les mouvements de spiritualité avaient été brisés. Cependant, la Rose-Croix d'Or réapparaît à Haarlem, aux Pays Bas. Vers 1960 une tentative de ré-enchantement du monde renaît avec la vague New Age qui voudrait unir la psychologie occidentale à la spiritualité orientale en reliant l’homme au cosmos.

 

Comme les ésotérismes qui le précèdent, cette nouvelle religiosité est plus tournée vers l’avenir que vers le passé. Elle annonce l’entrée dans l'Âge du Verseau, signe qui symboliserait l’avènement d’une religion universelle humaniste. Grâce aux puissants mass médias, le New Age diffuse les idées de l’ésotérisme dans la société globale, bien au-delà des cercles d’initiés. On peut y voir le retour (ou la permanence) de l’ésotérisme dans nos sociétés modernes comme le signe d'un besoin de magie et d’irrationnel. On peut aussi y trouver une tentative de rééquilibrage chez l’homme occidental moderne entre ses fonctions imaginatives et rationnelles, les polarités logiques et intuitives de son cerveau. Ne faudrait-il pas admettre, comme le rappelle Edgar Morin, que pour vivre une vie pleinement humaine, l’être humain a autant besoin de raison que d’amour et d’émotion, de connaissance scientifique que de mythes, besoin d'une existence plus poétique, ou ressent-il ici la marque d'un mystérieux appel.

 

 


 

 


 

CHAPITRE 3

                                        

La divine comédie de Dante

 

 

Introduction

 

 

La "Commedia" a été écrite par le florentin Dante Alighieri, vers 1307. On la décrit souvent comme une grande oeuvre lyrique et ésotérique. C'est surtout un roman d'amour, celui d'un amour immense et désespéré. Dante a déçu la femme qu'il aimait éperdument et elle est morte avant qu'il ait pu la reconquérir. Son dernier espoir est de rejoindre son âme au Paradis pour obtenir son pardon et retrouver son amour. Dante raconte donc ce rêve d'un voyage imaginaire au travers du monde des morts. Guidé d'abord par Virgile qui représente sa raison puis par Béatrice qui est son âme divine, Dante va passer de l'enfer au purgatoire puis au paradis. Ces trois sections partitionnent une œuvre importante où l'on rencontre de nombreux personnages symbolisant les divers vices ou vertus. Le texte détaille les châtiments ou les récompenses reçues. On voit que le livre peut admettre des interprétations variées. Il illustre bien les climats philosophiques, scientifiques, religieux et  politiques de la fin du 13e siècle.


Dante en son temps

 

Dante était un écrivain italien qui naquit à Florence en 1265 et mourut à Ravenne en 1321. Il fut le premier à écrire en italien et non plus en latin. Ce n'était pas un contemplatif mais bien un politicien convaincu, ardemment engagé dans la guerre civile successorale et dynastique qui opposait les Guelfes, partisans du Pape Alexandre III, aux Gibelins qui soutenaient l'Empereur Frédéric II (Barberousse). Il participa même personnellement aux combats. Á Florence, il parvint à la magistrature suprême en 1300. En 1301 Dante fut envoyé à Rome en ambassade auprès du Pape Boniface VIII. Mais les Guelfes, politiquement dominants, étaient alors divisés en deux clans férocement rivaux, Blancs, (modérés) et Noirs, (extrémistes).

 

Dans l'ordre chronologique, Dante produisit les livres suivants : Vita Nova (Vie renouvelée), Rime (Rimes), Convivio (Banquet), De Vulgari Eloquentia (De l'éloquence en langue vulgaire), Monarchia (Monarchie), Epistole (Épîtres), Egloge (Églogues), Questio de Aqua et Terra (Querelle de l'Eau et de la Terre). Son dernier ouvrage est le plus célèbre, La Commedia, ( Introduzione, l'Inferno, Il Purgatorio, Il Paradiso. L'immense poème qu'est "la Divine Comédie" comporte une introduction suivie de 99 chants versifiés (tercets), constituant une séquence de trois parties complémentaires, l'Enfer, le Purgatoire et le Paradis, (cent chants au total). On attribue aussi à Dante Il Fiore e Il Detto d'Amore. (La Fleur et le discours d'Amour).

 

Avec l'aide de Boniface VIII,  les Noirs prirent le dessus et abusèrent cruellement de leur victoire. Lourdement condamné et incapable de payer l'amende imposée, Dante, qui était Guelfe blanc, était formellement menacé du bûcher s'il revenait à Florence. Il demeura donc prudemment à Rome puis se réfugia à Vérone et enfin à Ravenne où il mourut en 1321 de la malaria. Il se considéra toujours comme un exilé car il ne revint jamais en sa ville. Il se consacra d'abord à l'écriture puis changea d'option politique, soutenant dorénavant les Gibelins. Comme les autres ouvrages écrits pendant cette période difficile de sa vie, la "Commedia" reflète partiellement les mortelles rivalités et la terrible violence des conflits politiques de l'époque.

 

Les premiers livres de Dante

 

Vous lirez partout que Dante, (Durante degli Aligheriri), le fils aîné d'Alighiero di Bellincione et de Gabriella degli Abati, était un très grand poète. Vous n'éprouverez cependant aucun plaisir à la lecture de ses ouvrages originaux. Car Dante écrivait en toscan, un ancien langage obsolète depuis bien longtemps. Vous n'aurez donc accès qu'à des traductions qui dégradent l'oeuvre originale. Par ailleurs, une grande partie des textes de Dante est versifiée dans une forme très formelle et très concise qu'aucune traduction ne peut fidèlement reproduire. Et surtout, le contexte culturel et politique qui a inspiré les textes nous est devenu parfaitement étranger. On y trouve en effet de très nombreuses références mythologiques, historiques et religieuses complètement oubliées et même beaucoup de règlements de comptes politiques. Aujourd'hui ces livres nous tomberaient des mains. Je crois qu'il est indispensable, pour les reconnaître, de recourir humblement aux analyses des commentateurs. C'est maintenant ce que je vous propose d’essayer de faire ensemble.

 

En 1292, Dante écrit son premier ouvrage, la Vita nuova.  C'est une petite autobiographie comprenant 35 poèmes et 42 chapitres en prose. Écrit en toscan ancien (langue dite vulgaire, au sens de populaire, par rapport au latin traditionnel), le livre apparaît novateur. Dès les premières lignes, Dante évoque l'étonnant personnage de Béatrice, (Bice di Folco Portinari), qui va inspirer tout le livre. Alors qu'il n'avait que neuf ans, il a croisé par hasard une petite fille. Vêtue de rouge et parée comme tous les Florentins de qualité en ces temps, elle n'avait que huit ans. Dante a cru voir un ange. Neuf années passent avant qu'il la rencontre pour la seconde fois. Jeune fille toute vêtue de blanc, elle lui adresse "un doux salut". Ébloui, Dante met à écrire de nombreux sonnets au point d'intriguer ses amis. Pour tromper leur curiosité, il feint de s'intéresser à d'autres dames. Dorénavant, Béatrice refusera son salut. Elle épousera Simone de Bardi et mourra jeune. Et Dante écrira Vita nuova, cette grande poésie lyrique qui fait de Béatrice un ange descendu du ciel.

 

Dante produisit la Vita nuova deux ans après la mort énoncée de Béatrice. Mais les commentateurs ne semblent pas certains que la réalité fut celle que Dante décrivit. On ne sait pas vraiment si cette Béatrice fut l'objet d'un amour éperdu, d'un rêve ou d'un délire ou bien qu'elle ait été un moyen littéraire génial, imaginé pour émouvoir le lecteur. Réel ou fictif, ce personnage a inspiré de nombreux peintres, de Giotto à Dali. D'innombrables tableaux représentent la relation de Dante avec Béatrice, tout autant dans la Vita nuova que dans la Divine Comédie. Elle a aussi inspiré un opéra de Godard et beaucoup de compositeurs de musique et autres artistes divers. La composition de l'ouvrage est assez curieuse, faisant alterner des poèmes et des parties en prose. Il semble qu'originellement, cette prose exposait l'histoire des amours déçues de Dante. La frustration liée à la mort de Béatrice stimula l'imagination de l'auteur. Il intégra à l'ouvrage tous les longs poèmes sublimant ses souvenirs, en y ajoutant des explications quant à leurs structures et leurs contenus.

 

Le second livre en toscan de Dante, "Le Banquet", (Convivio), est très important. L'auteur a pris conscience du désir de connaissance qu'ont tous les hommes. Il se propose de satisfaire cette faim et construit son ouvrage comme un banquet de savoir offert aux chercheurs. On y trouve une succession de mets philosophiques à thèmes, sous forme de longs poèmes suivis d'explications en prose bien plus longues encore. Dante aimait expliquer systématiquement la signification précise de chaque détail de son travail. Ce qui paraît précieux dans ce Banquet, ce sont justement ces explications qui exposent l'essentiel du contexte culturel, moral, religieux, politique et scientifique de l'époque. Le premier chant est cosmogonique. Comme chez Aristote, la Terre est le centre de l'Univers. Elle est entourée de neuf cieux, de la Lune, de Mercure, de Vénus (contenant l'épicycle cause des écarts orbitaux), du Soleil, de Mars, de Jupiter, de Saturne, des Étoiles, puis du ciel Cristallin de Ptolémée. Au dessus est l'Empyrée, lieu de séjour divin, le ciel de lumière des Catholiques.

 

Dante décrit ensuite les moteurs animant ces cieux, ces innombrables ensembles d'intelligences que les païens appelaient dieux et que Platon nommaient Idées. Plus ils sont proches de Dieu et plus ils sont puissants. Ils se répartissent en trois hiérarchies, chacune de trois ordres, d'abord les Anges, les Archanges, et les Trônes,  puis les Dominations, les Vertus et les Principautés, et enfin les Puissances, les Chérubins, et au sommet les Séraphins. Cette organisation reflèterait celle de la Majesté divine en ses trois aspects doctrinaux du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Et Dante poursuit ses exposés dans la même veine, assimilant aux sept premiers cieux les sept sciences raisonnables classiques, au premier la Grammaire, puis la Dialectique, la Rhétorique, l'Arithmétique, la Musique, la Géométrie et l'Astrologie. Au ciel des Étoiles, il place la Physique et la Métaphysique, et enfin, tout en haut, la Théologie. Tout cela est justifié dans le détail par de longs discours et de multiples références aux traditions mythologiques et aux travaux des plus grands philosophes. 

 

Ainsi vont les chants dans ce banquet de thèmes, traitant, entre autres et par exemple, des mouvements circulaires du Soleil et de la Terre d'après les philosophes, des inclinations du corps et de l'âme en fonction de leur nature minérale, animales ou spirituelle, ou des attraits des bonnes et mauvaises actions. Dante traitera aussi des structures de la société politique et civile médiévale, du rôle de la Noblesse, de la légitimité du pouvoir impérial et des interventions de l'Église et du Pape. Il évoquera des sujets abstraits, tantôt  positifs tels la raison, le discernement, ou l'éthique, tantôt négatifs comme l'arrogance, l'irrespect, ou l'incivisme. Il parlera aussi du Droit et de la Logique, des Arts, des richesses et de la cupidité, de la vérité et autres vertus. Mais Dante n'oublie pas Béatrice qui revient souvent dans le texte pour conforter les arguments relatifs à l'amour, à la beauté, à la noblesse, ou la vertu. On voit se mettre en place au fil des pages le personnage de la Dame sainte, envoyée de Dieu dans la future Commédia sur laquelle Dante travailla si longtemps.

 

En 1304, Dante commençait le "Banquet", important traité en toscan qui devait compter quinze chapitres. Mais il n'en écrivit que quatre et laissa l'ouvrage inachevé. Á la même époque, il travaillait aussi  sur un grand traité en latin, "De vulgari eloquentia", une étude des dialectes vulgaires qui semblait porter ses espoirs de contribuer à l'unification de la future langue italienne. Il abandonna aussi cette oeuvre avant de l'avoir achevée. Peut-être travaillait-il déjà sur la "Commédia" dont on date la mise en route vers  1307. Un peu après 1313, il fait paraître un autre traité en latin, "De Monarchia", qui propose la monarchie universelle comme le parangon des systèmes politiques, seul capable, à son avis, de réaliser la sécurité et le bonheur des hommes. Ce livre qualifié d'hérétique sépare l'autorité temporelle de l'empereur et l'autorité spirituelle du pape. Sa mise à l'index durera jusque 1881. On peut encore évoquer "Questio de aqua et terra",  autre court traité en latin, et deux "églogues" qui sont des florilèges de poèmes bucoliques. On a aussi ultérieurement recueilli des poèmes dans "Rime" et des lettres dans "Epistole", publiés de façon posthume.

 

Dans le début des années 1300, Dante entreprend la Commedia (qui devient la Divine Comédie en 1555) qui est dédiée à Virgile. C'est son chef-d'oeuvre et il y travaillera jusqu'en 1321. L'ouvrage est rédigé en toscan, la madre lingua, ce langage local qui deviendra "l'italien". L'oeuvre comporte trois parties divisées chacune en trente-trois chants. Elle compte au total quatorze mille deux cents vers. La versification utilise la terza rima. Dans ces tercets de trois vers, le premier rime avec le troisième, et le second appelle les première et troisième rimes du tercet suivant. Dante écrit d'abord "l'Enfer", vers 1307. Il y place tous ses ennemis dans des situations horribles. Il ajoute "le Purgatoire" vers 1316 et achève enfin le livre avec "le Paradis" en 1321, juste avant sa mort. La "Commédia" relate le voyage imaginaire que Dante entreprend pour rejoindre Béatrice, la femme qu'il aimait et qui est morte et qu'il a idéalisée comme un ange de Dieu. Le livre commence de façon abrupte. Le poète se met en route le 8 avril de l'an 1300, jour du Vendredi Saint, et il se trouve égaré dans une vallée profonde où il est menacé par trois bêtes féroces. Alors paraît Virgile qui vient l'aider.

 

Á l'image d'Ulysse et d'Orphée mais en compagnie d'un guide, Dante va passer les portes du séjour des morts, et traverser les neuf cercles du puits de l'Enfer, puis les neuf niveaux de la montagne du Purgatoire. Il retrouvera enfin Béatrice qui le mènera jusqu'aux sommets des neuf domaines du Paradis. Dans l'univers de Dante, il y a trois mondes. La terres est en bas, dans le monde matériel. Elle est entourée des neuf cieux décrits dans le "Banquet", conformément aux théories de l'époque. Le trône de Satan est situé en son centre. Juste en dessous commence le puits de l'Enfer. C'est une immense et horrible cavité conique, de plus en plus large avec un orifice au fond. C'est par là que Dante et Virgile sortiront pour revenir vers la montagne du Purgatoire dans une île inconnue de l'Océan. Lorsqu'ils seront au sommet, ils pourront percevoir les autres mondes et l'Empyrée. Au delà, c'est le flamboyant domaine de Dieu et des neuf groupes de puissances spirituelles animant les cieux. (Déjà décrites dans le Banquet, ce sont les anges chrétiens ou les dieux antiques). Et, au voisinage de Dieu, est la blanche Rose Mystique, le coeur du Paradis, le magnifique domaine des Élus.

 

On ne peut pas aborder l'ouvrage sans avoir intégré cette conception triplement ternaire de l'Univers "dantesque". Sachez qu'il est parfois représenté sous une forme humaine dont l'Empyrée est la tête et le Purgatoire, l'orifice inférieur (voir). Complexe et lyrique, la Divine Comédie  est une véritable "somme" des connaissances et des concepts issus du Moyen-Âge. Elle éclaire l'époque sur bien des plans, philosophique, politique, sociétal, théologique et scientifique, en particulier cosmogonique. C'est aussi une révélation du rôle particulièrement pesant tenu par la religion avec les contestations violentes que cela appelle. On y rencontre de nombreux personnages inspirés par la mythologie antique et l'histoire classique mais aussi par la société contemporaine et les amitiés et inimitiés du poète. Ils personnifient les vices et les vertus des hommes et reçoivent récompense ou châtiment. Le livre est une allégorie de la voie salutaire qui passe par la purification des âmes.  Il a inspiré beaucoup d'artistes tels Botticelli, Michel-Ange, Blake, Delacroix, Doré, et même Dali et Claudel, (ce que j'essaierai d'illustrer), ou encore des musiciens comme Rossini, Schumann et Liszt.

 

Le puits de l'Enfer de Dante

 

L'Enfer de Dante a la forme d'un entonnoir composé de neuf zones concentriques. Plus on s'enfonce, plus grande est la souffrance des damnés. Chaque cercle est régi par un Démon mythologique. Il y a un haut enfer pour ceux qui on cédé aux passions et un bas enfer destiné aux vrais méchants. Au seuil de l'Enfer, on trouve le vestibule effrayant des lâches et des esprits neutres que des taons et des guêpes tourmentent cruellement. Là coule l'Achéron, fleuve grec mythique qui borde le noir empire. Prié par Virgile, le nautonier Charon accepte de faire traverser Dante. Les deux pèlerins entrent dans le premier cercle, les Limbes, qui sont un lieu paisible mais de grande tristesse. On n'y trouve que des personnes sans espérance car elles n'ont pas été baptisées. Dante y rencontre les patriarches bibliques tels Adam, Noé, Moïse, Abraham et le roi David, il croise aussi les héros mythiques antiques comme Orphée, Hector, Énée, César et même Saladin, ainsi que les philosophes célèbres, Socrate, Platon, Démocrite, Hippocrate, ou des savants, Ptolémée, Galien, Averroès, et bien d'autres. Sans s'attarder longtemps en ces lieux, Virgile conduit Dante au second cercle gardé par Minos.

 

Dans le second cercle les luxurieux sont emportés et secoués sans trêve dans les tourbillons d'un violent ouragan. Dante y voit Sémiramis et Cléopâtre, Hélène et Pâris, le bouillant Achille et le tendre Tristan, et tant d'autres fervents de plaisirs sensuels. Il voit aussi passer des membres de sa famille, Francesca Malatesta qui fit son amant de Paul, son beau-frère. Chagriné par le sort pénible de ses parents, Dante perd connaissance et se laisse glisser dans le troisième cercle. Ce lieu est gardé par Cerbère, une monstrueuse bête à quatre bras et trois têtes qui déchire les esprits des gourmands sur qui s'abattent des pluies, des neiges et grêles perpétuelles. Ayant évité les terribles crocs, Virgile et Dante descendent dans le quatrième cercle, domaine régi par le terrible Pluton. Deux troupes s'y affrontent sans cesse, s'y heurtant avec une extrême violence. Ce sont avares et prodigues, toujours en quête de plus d'or à amasser ou à dépenser. Les plus avides sont les clercs, les papes et les cardinaux, mais les politiques les approchent  de bien des façons. Ainsi une nation domine quand une autre languit, quoiqu'il leur fut donné même espoir. Mais il faut poursuivre et passer les marais du Styx.

 

Je ne citerai pas tous les concitoyens que Dante a rencontrés dans le bas enfer. Sachons seulement qu'il descendit dans le huitième cercle sur le dos d'un monstre horrible, Géryon. Ce cercle complexe comprend dix Malebolges, de grands gouffres concentriques où sont précipités les fraudeurs et trompeurs de toute nature. La première bolge contient les séducteurs nus fouettés par des démons. Dans la seconde, les flatteurs et adulateurs baignent dans la fiente humaine. La suivante est réservée aux simoniaques qui ont vendu les services de l'Église. Plantés à l'envers dans des trous, des flammes brûlent leurs pieds. On y voit les papes Boniface VIII et Nicolas III, et l'Empereur Constantin. Dans la quatrième bolge, les devins marchent la tête en arrière sans voir où leurs pas les mènent.  Les prévaricateurs et les trafiquants sont jetés dans la poix bouillante de la cinquième bolge et piqués de crocs. Fuyant les démons menaçants, Dante rencontre les hypocrites de la sixième qui portent de lourds chapes de plomb doré. Il reconnaît parmi eux  des Chevaliers de Bologne qui se laissèrent corrompre. Et sur le sol, Caïphe et ceux qui condamnèrent le Christ sont crucifiés, liés à trois pieux.

 

La fosse suivante est celle des voleurs, remplie de serpents. Leur morsure réduit en cendres la victime qui renaît aussitôt tel un Phénix, et leur étreinte retourne le corps comme un gant. Dans la huitième bolge, des flammes dévorent les conseillers perfides dont Ulysse qui proposa le grand cheval de la perte de Troie. Et dans le neuvième gouffre, ceux qui apportent les schismes et les discordes sont à leur tour coupés et divisés. C'est la vision catholique intégriste de Mahomet ouvert du ventre au menton et du visage d'Ali fendu au sabre. Dante y trouve quelques familiers dont Bertrand de Born portant en main sa tête coupée. La dernière bolge contient les alchimistes et les falsificateurs de tous ordres. Reste le Puits des Géants avec Antée déposant Dante dans le Cocyte, le cercle glacé des traîtres. C'est le fond de l'enfer. Ce dernier cercle comprend quatre parts. Les lacs gelés enserrent ceux qui ont trahi, dans la Caïnie, leurs parents, dans l'Anténore, leur cité, dans la Ptolemaïe, leurs hôtes ou leurs partis, et dans la Judaïe, leurs bienfaiteurs. Dante y rencontre Lucifer (Dité) qui pleure. Ses trois têtes dévorent Judas, Brutus et Cassius. Enfin, Virgile et Dante sortent aux antipodes.


La montagne du Purgatoire

 

Sortis de l'Enfer, Dante et Virgile abordent une plage escarpée, au pied du Mont du Purgatoire, à l'antipode de Jérusalem. Le concept de ce lieu intermédiaire est apparu au cours du Moyen-Âge, surtout après le Xe siècle. Les âmes des pécheurs repentis doivent y souffrir pour expier leurs fautes et se purifier avant de monter progressivement  vers le Paradis. Dans la Divine Comédie, le Mont du Purgatoire comporte un parvis, "l'Antépurgatoire", suivi des sept corniches des sept péchés capitaux. L'entrée est gardée par Caton d'Utique qui préféra la mort à la servitude. Plusieurs groupes d'âmes demeurent indéfiniment au pied de la montagne. Ce sont celles des Chrétiens qui n'ont pas reçu le  pardon sacramentel de l'Église, tels les excommuniés repentants, les insouciants morts sans confession, ceux qui connurent une mort violente, et les princes qui négligèrent la religion en raison de leur charge. Dante reconnaît beaucoup d'ombres célèbres dont des Guelfes florentins assassinés. Il n'y a ni cri ni gémissement dans le Purgatoire. L'atmosphère est chargée de chants et de musique, et l'aspect est agréablement coloré. Cependant, le Mont est protégé par un mur gardé par des Anges.

 

Dante s'endort. Á son réveil, il entend des cantiques et se présente à la porte du Purgatoire.  Un ange la garde et marque sept fois Dante au front avec son épée puis il ouvre la porte avec deux clefs, d'argent puis d'or.  Dante et Virgile traversent un chaos rocheux et entrent sur la première corniche où les orgueilleux travaillent à leur purification. Ils marchent courbés vers la terre avec de lourdes charges sur les reins. Les murs sont sculptés d'incitations à l'humilité et l'on entend chanter. (Il y a beaucoup de chants dans la traversée du Purgatoire). Un ange efface une première marque sur le front de Dante et le guide vers l'escalier menant à la corniche de Caïn. Ce sont ici les envieux qui se tiennent contre la montagne car ils ont les paupières cousues. Rien ne tentant plus leur vision, ils n'aspirent qu'à la lumière.  Ils pleurent et l'ange chante pendant qu'ils récitent les litanies des saints. Un autre ange lumineux ouvre la voie vers la troisième corniche obscurcie de fumée. Dans cette nuit se dénouent les noeuds de la colère. Ce chant XVII évoque bien des conflits dont celui du Pape avec l'Empereur. Et Dante et Virgile philosophent et théorisent sur le libre arbitre et l'amour.

 

Alors que le soir descend, Virgile et Dante atteignent la quatrième corniche, celle des négligents et des paresseux méprisables. Menés par des récitants, leurs ombres en grand nombre courent sans cesse pour apprendre le zèle et la diligence. Dante s'endort là et rêve d'une impudique sirène.  Au réveil, ils gagnent la corniche suivante où les avares et les prodigues gisent liés, face contre terre, étant ainsi punis de la cupidité qui les empêchait de regarder le ciel. Se trouvait là Midas qui changeait tout en or et en mourut d'inanition, et Crassus dont la bouche goûta l'or fondu, et aussi Charles de Valois qui pilla les Florentins en feignant d'aider Boniface. Puis voici que le sol tremble lorsque des âmes pardonnées passent du Purgatoire au Paradis en chantant Gloria in excelcis Deo. S'avance alors l'ombre du poète Stace qui vivait sous Titus. Il vient d'être libéré et désire les accompagner. L'ange efface la sixième marque sur le front de Virgile et ouvre la porte de la sixième corniche. En ce chant XXIII, sur ce chemin, les arbres portent des fruits savoureux rendus inaccessibles pour la punition des gourmands, pâles et décharnés, souffrant la soif et la faim sous leurs branches.

 

Un escalier mène à l'étroite et dernière corniche. De la roche jaillissent des flammes et l'on entend chanter des hymnes. Les âmes des luxurieux purgent leurs débordements dans cette ardeur qui toujours brûle et jamais ne consume, et l'ange impose ce chemin brûlant. Dante, Virgile et Stace souffrent donc la morsure du feu et gagnent le sommet du Mont. En compagnie de Dame Mathelda, ils remontent le cours du Léthé et contemplent la procession mythique de l'Église accueillant les pécheurs repentis. Virgile s'en va et Dante aperçoit Béatrice sur l'autre rive. Il a souvent trahi son souvenir, ce dont témoigne le rêve de la sirène. Tandis qu'il pleure et que chantent les anges, elle exige qu'il s'en accuse solennellement. Vaincu, Dante se repent, s'évanouit puis se réveille dans les eaux du Léthé dont Mathelda le tire. Elle lui donne cette eau qui efface le souvenir des péchés commis. Menée par un Griffon, la procession l'entoure mais le char de l'Église devient monstre pour symboliser sa dérive due à la cupidité du pape et des des prélats. Et Béatrice fait boire à Dante l'eau de l'Eunoé qui fait souvenir des bonnes actions, puis elle le mène ainsi purifié vers le Paradis.

 

La Rose blanche du Paradis

 

Purifié par le feu et l'eau, Dante a enfin retrouvé Béatrice et s'en va en sa compagnie vers le Paradis. Ce pourrait être la fin heureuse du rêve et du roman. Dante a autre chose à dire. Il a conçu un ouvrage composé de cent chants répartis en trois parties. Dans la troisième, il va nous décrire le séjour divin et nous en donner la vision des Chrétiens de son époque. Les concepts utilisés ne nous étant plus familiers, ils nécessitent quelques explications. Comme l'Enfer et le Purgatoire, le Paradis est conçu sur neuf niveaux concentriques, (comme les sephiroths). La Terre est au centre de l'univers dantesque. Le gouffre de l'enfer est à l'intérieur et le mont du purgatoire à sa surface. Autour de la Terre, s'étagent les différents ciels du Cosmos dans lesquels sont placés les hommes sans péchés en fonction de leurs mérites. Le dixième ciel est l'Empyrée. Il ouvre vers le domaine de Dieu qui règne en son centre. Autour de lui siègent les puissances qui animent et régissent hiérarchiquement l'univers. Au coeur du Paradis, dans l'intimité de l'amour divin, il y a un lieu circulaire resplendissant, semblable à une immense fleur mystique, la Rose Blanche, ou Rose Céleste éternelle, le séjour béni des Élus.

 

Le premier Ciel est celui de la Lune, géré par les Anges. Il accueille les âmes des hommes qui n'ont pas réussi à accomplir leurs voeux. La lumière divine faiblissant à chaque ciel traversé, elle arrive atténuée à ce niveau. Et pourtant, les âmes qui s'y tiennent sont tellement illuminées que les yeux mortels de Dante peinent à les voir. Piccarda que son frère sortit par la force du cloître chante pour lui l'Ave Maria. C'est l'intellect, dit Béatrice, qui donne des formes humaines à Dieu et aux Anges qui n'en ont point, et c'est la volonté qui pousse des hommes comme Jephté ou Agamemnon à accomplir des voeux stupides malgré qu'ils aient reçu de Dieu le libre arbitre. Puis elle guide Dante vers le Ciel de Mercure. Mené par les Archanges, c'est le lieu d'accueil des âmes des hommes qui ont fait leur devoir et celles des valeureux combattants dont des Guelfes qui furent de braves compagnons de Dante. Ils ressemblent à des ombres claires dans un vêtement de lumière. Dante comprend les raisons du bannissement d'Adam et apprend que l'âme de l'homme vit éternellement parce qu'elle a été directement crée par Dieu. Puis, la lumière grandit encore, et Béatrice et Dante s'élèvent jusqu'au Ciel de Vénus.

 

Les archontes du troisième Ciel sont les Principautés. La lumière s'accroît mais les ombres humaines sont ici enveloppées d'une lumière colorée plus vive encore, au point qu'on ne les distingue plus guère. Ce Ciel est peuplé par les âmes des hommes qui ont beaucoup aimé et dont la vertu d'amour s'est finalement tournée vers Dieu, (Il peut s'agir de la fraternité des Fedeli d'Amore, Dante et Cavalcanti en étant initiés). Il est le dernier, (selon Ptolémée), où se perçoit encore l'ombre de la Terre. Le Ciel du Soleil attire ensuite Dante jusqu'à lui. Ses régents sont les Puissances de la 2ème hiérarchie angélique. En ce chant Xe, les esprits sont sans ombre. Ils sont répartis en deux rondes de douze étincelles dansantes de pure lumière, l'une de Dominicains, l'autre, de Franciscains, conduites par Thomas et Bonaventure qui blâment les dérives de leurs ordres. Le Ciel de Mars est celui des Vertus. Les esprits bienheureux y  forment une rouge croix lumineuse avec au coeur l'image fugitive du Christ.  Les Dominations harmonisent le Ciel de Jupiter qui accueille les esprits des princes et des rois justes et sages. Devant Béatrice et Dante, (pour Barberousse), leurs flammes s'ordonnent en forme d'aigle impérial.

Au chant XXI, Dante atteint le 7e Ciel, celui de Saturne, conduit par les Trônes. Il est comme un cristal d'où s'élève un escalier d'or dont on ne voit pas la fin. Les saintes lumières des esprits contemplatifs trouvent ici le silence qu'elles recherchent. Á travers divers dialogues imaginaires, Dante s'exprime sur la prédestination et critique l'avilissement des hommes d'église. Voici alors que s'ouvre le Ciel des Étoiles dont le Chérubins règlent la marche. Dante en fait le lieu triomphal de l'imagerie médiévale du Christ et le la Vierge. Les anges chantent l'antienne "Regina Coeli" et toutes les étoiles déversent leur lumière sur la vision de Marie et de  Jésus qui s'élèvent dans le ciel. Dante doit prouver qu'il est bon chrétien. Il répond à Pierre, Jacques et Jean par les paroles du Credo catholique, (et c'est l'occasion d'invectiver les papes).  Béatrice lui présente alors la première âme, celle d'Adam qui pécha par orgueil.  La lumière augmente encore. Dans le Ciel du Premier Mobile, celui des Séraphins, toutes les hiérarchies angéliques tournent comme des roues lumineuses autour de l'éblouissante image de Dieu, et le pur rayonnement divin parvient directement en ce seuil de l'Empyrée.

Fait de lumière pure, l'Empyrée est le domaine de Dieu, des anges et des saints. Dante découvre ici l'éblouissante Rose Céleste. "En la forme d'une rose blanche se montrait à moi la sainte milice que dans son sang le Christ épousa. L'ange qui volant voit et chante la gloire de celui qui l'enamoure, et la bonté qui la créa si excellente, comme un essaim d'abeilles qui tantôt se plonge dans les fleurs, tantôt retourne là où son travail prend de la saveur, descendait dans la grande fleur qui s'orne de tant de feuilles, et de là remontait où son amour toujours séjourne. Leurs faces étaient de flamme vive, leurs ailes d'or, et le reste, d'une telle blancheur qu'il n'est point de neige qui l'égale. Lorsque dans la fleur de siège en siège ils descendaient, ils y versaient de la paix et de l'ardeur qu'ils produisent en eux en agitant leurs ailes". Béatrice regagne sa place, auprès de Rachel, et Bernard qui fonda Clairvaux explique la Rose Mystique. Adam, à droite, est le père spirituel de ceux qui crurent que le Christ viendrait. Pierre, à gauche, est le père spirituel de ceux qui croient qu'il est venu. Dante ne désire plus que ce que Dieu veut, et la Vierge Marie intercède pour qu'il obtienne la Suprême Béatitude. Dante aura donc sa place au sein de la Rose.


E finita la comedia

Ainsi finit La Divine Comédie de Dante Alighieri

Et ici, commence notre réflexion, car le second aspect de l'oeuvre, son message ésotérique, ne se révèle que lorsqu'on en a terminé la lecture.

En effet, c'est en homme vivant et à partir de ce Monde que Dante effectue son voyage. Dans l'Enfer et le Purgatoire, il prend conscience des altérations de l'âme causées par les actes accomplis ici-bas. Puis, lavé par le Feu et par l'Eau, il est admis à prendre un chemin salutaire dont les étapes successives l'amèneront jusqu'à la Rose dans un abandon total à la seule volonté divine.

 


 

 

CHAPITRE 4

Robert Fludd
et la Rose-Croix.

 

 

Robert Fludd est un écrivain anglais, né dans le Kent au milieu du 16e siècle. Il fut élevé dan l'anglicanisme, et, d'abord soldat, quitta rapidement les armes pour s'intéresser aux diverses sciences, à la philosophie et à la théologie. Il voyageait beaucoup et visita la France, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie, y rencontrant bien des savants et des hommes illustres avec lesquels il s'entretenait volontiers, s'instruisant auprès d'eux. De retour en Angleterre, il entra au Christ Church College et, après plusieurs refus, obtint finalement en 1605 le grade de Docteur en Médecine, puis il s'établit à Londres. Fludd lisait beaucoup et se repaissait des idées de  Paracelse, Cornélius Agrippa et surtout des écrits d'Hermés Trismégiste auquel il se réfère dans la plupart de ses ouvrages. Car Robert Fludd écrivait abondamment, en particulier pour exposer le vaste système philosophique qu'il avait conçu et qui se fondait sur sa très grande érudition. Ce système  panthéiste assez mystique combinait les éléments recueillis dans les traditions néo-platoniciennes, hébraïques, gnostiques et kabbalistiques, jusqu'à flirter avec l'hylozoïsme. Tout en restant traditionnellement chrétien, Fludd y exposait les grands principes de plusieurs sciences parallèles, (alchimie, astrologie et géomancie), disciplines grâce auxquelles il prétendait avoir obtenu des connaissances et des résultats extraordinaires. Dans la création divine, il distinguait le Macrocosme (et ses Astres), du Microcosme humain. Il aurait aussi été l’un des initiateurs de la Maçonnerie écossaise et membre influent de la société secrète des Rose-Croix,  fondant son action sur l’enseignement initiatique de la mystérieuse Fraternitas Rosae Crucis.

 

 

Les théories de Robert Fludd

Trente ans après la naissance de Giordano Bruno en Italie, un curieux personnage, Robert Fludd, naissait en 1574 à Milgate House, en Angleterre où il fut élevé dans l’anglicanisme. Admis au Saint John’s College d’Oxford, il y fut un étudiant sérieux dans la plupart des domaines enseigné. Il y entra en contact avec des hermétistes et découvrit de nombreux ouvrages de tendances hermétiques, kabbalistiques et alchimiques. l'Angleterre était beaucoup plus tolérante aux idées nouvelles que l'Italie ou la France. Il étudia la médecine puis entreprit un voyage de six ans en France, en Espagne, en Italie, en Allemagne, entre autres. Rentré en Angleterre, il obtint le grade de Docteur en Médecine tout en continuant à lire les ouvrages des alchimistes, kabbalistes et hermétistes. Il  correspondit avec les plus grands hermétistes de son temps et semble avoir été en contact avec les Rose-Croix. A partir de 1617, Fludd publia de nombreux ouvrages scientifiques ou hermétistes, des traités d’astrologie, de médecine, d’alchimie, et des écrits philosophiques ou théosophiques qui témoignent de l’extrême étendue de ses connaissances ésotériques. Il aurait été (C'est controversé), en Grande-Bretagne, l’instructeur de la société secrète des Rose-Croix, dont l’influence sur la formation de la Maçonnerie écossaise est connue, et son système théosophique semble être fondé sur l’enseignement initiatique de la mystérieuse Fraternitas Rosae Crucis. La métaphysique de Fludd est dualiste. Deux principes régissent l’univers : Dieu et le Diable. Les deux royaumes sont en lutte perpétuelle. Mais Fludd s’interrogeait quant à la nature de Dieu. Est-il présent dans le Monde ou bien est-il en dehors ? Comme celui de Bruno, le Dieu de Fludd est un dieu qui s’exprime dans la création mais demeure transcendant, caché aux hommes et infiniment bon. Fludd dit que Dieu et sa création ne font qu’un, le monde étant un reflet de la divinité, et donc Dieu et le monde sont deux aspects d’une même réalité. Nous découvrons ainsi chez Fludd un parallélisme évident avec l’Hermétisme rosicrucien, qui mêle obscurément la gnose et la mystique à la pratique matérielle.

Dans le système de Fludd, au commencement, c’est à dire au principe des choses, il y a une Unité pure, infinie, totale, inconnaissable, qui est le Néant primordial. Cette Monade unique et simple, n’est rien, mais peut devenir tout en potentialité. Ce Dieu, inconnu, s’est révélé à lui-même à partir du Néant avant de créer le temps et le monde. Donc, pour s’exprimer, la Monade ( ou Père), s’est retirée d’une partie d’elle-même. De ce retrait, furent ainsi créées la Ténèbre ou Mère) qui comprend toutes les possibilités, celles du mal et du bien. Nous sommes bien en présence d’un Dieu androgyne contenant deux principes, l’un masculin, le Père, lumière non exprimée et la Mère, principe féminin, la Ténèbre. La Création provient de la séparation de la Lumière et de la Ténèbre, (du Père et de la Mère). La Lumière s’est ensuite manifestée sous la forme du Fils. Et la création s’opère à partir de la matière première qui est la Ténèbre. Lors de la Création, le Verbe avait créé les Anges et parmi ces derniers Lucifer. Celui-ci voulu devenir l’égal de Dieu et dans son orgueil défia la divinité avant d’être précipité des Cieux. On est ici devant une synthèse des mythes bibliques et manichéens, au delà du dualisme platonicien corps-esprit. Le Créateur donna alors naissance à Adam, doté d’une double nature. Le corps adamique, androgyne, fut formé à partir de la terre (d’où le nom d’Adam, rouge en hébreu) puis Dieu sépara Eve d’Adam et la lui donna pour femme. Tentée par le Serpent, Eve tenta à son tour Adam et ils goûtèrent aux fruits de l’Arbre de la Connaissance du bien et du mal. Pour cette faute, ils furent chassés de l’Éden, mais Dieu conserva toutefois à Adam une étincelle de Lumière divine afin qu’il puisse s'y « réintégrer ».  La Nature fut également corrompue par le péché originel. Il est dit que la création charnelle humaine n’est qu’une imitation de la Création divine. Mais la Rédemption, alchimique en essence, sera accomplie par le Christ, second Adam, qui par son sacrifice montre la Voie menant à la Vie Eternelle.

                                              

Il existe donc deux principes en Dieu, le principe positif et centrifuge, la Voluntas et un principe négatif, centripète, la Noluntas. Ces deux principes peuvent être rapprochés à la Lumière et à la Ténèbre alchimiques. L’univers est composé de l’union de ces deux principes. On peut le réduire à trois mondes : le monde archétype (la divinité), le macrocosme (le monde) et le microcosme (l’homme).  A l’image de l’univers, l'homme est aussi composé d'une âme, d'un esprit et d'un corps.  L’échelle des corps est une échelle des âmes qui sont faites à des degrés variables d’intensité de la Lumière divine. Tout être, tout objet a une âme, même la pierre qui parait inerte. La vision préchrétienne de Fludd est presque gnostique.  Dieu est partout et en toutes choses, l’univers n’étant qu’un reflet de la divinité et Dieu seul a la puissance de vie ou de mort. Comme l’homme, l’univers aussi a une âme. Fludd se pose bien en défenseur du concept d’Anima Mundi, d’Âme du Monde, si cher aux alchimistes et aux gnostiques, dont la vision est à rapprocher des doctrines panthéistes. L’homme est une image, en modèle réduit, du Grand Monde, donc de Dieu, et les dix Sephiroth ont leur correspondance au sein de l’homme, la Kabbale se posant ici en inspiratrice de Fludd. Selon lui, la connaissance hermétique s’obtient par l’illumination divine transcendant la raison. Cette science qui est avant tout théosophie, (science de Dieu), puise en Lui à la source même de toute Sagesse et Vérité. Le Christ en est l’incarnation. L'homme originel avait de Dieu et de l’Univers, une connaissance intuitive parfaite qui préserva en Adam une étincelle de lumière et qui lui donnait la connaissance du secret des choses terrestres et divines. Cette sapience (ou sagesse) sera transmise de génération en génération par une suite ininterrompue d’Illuminés, dévoués aux Mystères, aboutissant ainsi jusqu’à nous. C'est cette Connaissance (ou  Sagesse) qui permet à l’homme de désir de retourner à la Source Première, ce qui est un concept permanent des Rose-Croix.

 

 

Citations tirées des deux traités traduits en français

 

"En ce monde inférieur, Dieu ordonne, et les Astres exécutent. S'il en était ainsi, qui oserait nier que la  "Mens" des animaux, et à plus forte raison celle des hommes n'est pas soumise à l'ordonnance divine. ce n'est toutefois pas en ce sens que je comprends que la "Mens" humaine est en quelque façon soumise à l'opération des Astres, attendu que sa nature est bien plus divine que celle des Astres. Il est possible, cependant, que le "Spiritus", ce véhicule sur lequel cette Mens est transportée ../.. participe aux changements célestes ../.. et que par conséquent, il l'entraîne comme un char entraîne ses voyageurs".

 

Robert Fludd - (Traité d'Astrologie)

 

"L'Âme d'un corps en est la lumière principale, et elle y domine préférablement à toutes les autres puissances. Elle se conduit comme le Soleil au milieu de notre système. Elle est donc, précisément, la Soleil du Microcosme qui dirige, au moyen de ses rayons vivifiants, le corps tout entier".

 

Robert Fludd - (Traité de Géomancie)

 

"Le corps humain se comporte vis à vis de l'âme comme un esclave envers on maître. car le maître peut envoyer son esclave ici où là sans que celui-ci perçoive en aucune façon l'intention de son maître".

 

Robert Fludd - (Traité de Géomancie)

 

"De même que les rapports des astres entre eux, les rapports des âmes ont des conséquences ici bas, car les âmes sont des invisibles foyers de lumière et émettent des rayons qui établissent des communications entre elles".

 

Robert Fludd - (Traité de Géomancie)

 

Robert Fludd a exposé tout son système dans un ouvrage en latin,"Utriusque Cosmi Tractatus" resté inachevé et qui devait être divisé en deux parties, le Traité du Microcosme et le Traité du Macrocosme. On trouve dans celui-ci un Traité de Métaphysique, un Traité d'Ontologie générale, un Traité de Géomancie (ou astrologie terrestre), et  un Traité d'Astrologie générale. Seuls les deux derniers, très techniques , ont été traduits en françaais (BNF). L'auteur est un métaphysicien kabbaliste, matérialiste et panthéiste qui exclut toute intervention volontaire de Dieu dans la Nature, laquelle aurait évolué en donnant naissance à un "Agent Universel" subdivisé en quatre éléments structurés comme une immense pyramide à base carrée, et tout l'univers comme toute de ses parties, tout corps et tout système jusqu'à l'atome est constitué de même. car selon le principe d'Hermés Trismégiste énoncé dans la Table d'Emeraude, "Tout ce qui est en bas es comme ce qui est en haut, et tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas pour faire le miracle de toute chose". Selon ce traité, l'astrologie considère les corps célestes ou Astres  comme des corps vivants, et leurs groupes, ou systèmes de planètes tournant autour d'un centre, comme des êtres. C'est d'ailleurs l'hypothèse d'Herschell, "Au lieu d'être isolées dans l'espace infini, toutes les étoiles dépendent les unes des autres,  font partie d'un vaste ensemble soumis à une loi déterminée et dans lequel chacune agit sur les autres en même temps qu'elle subit leurs actions, ensemble, qui par conséquent, change et évolue, constituant en réalité quelque chose de vivant". L'auteur déclare : "Nous ne pouvons plus nous arrêter à chercher une définition de la vie en prenant pour base l'organisation, nous devons admettre que cette vie s'étend à la moindre molécule qui existe, nous devons donc arriver à l'hylozoïsme. Et nous trouvons la preuve de cette nouvelle conception dans le quatrième état de la matière, l'état radiant".

Robert Fludd imaginait un esprit primordial et universel dont découleraient tous les autres. L'âme en ferait partie. Dans le macrocosme, cet esprit serait doué d'un double "mouvement", ou pulsion, constituant sa vertu magnétique (attractive). Dans tous les corps, cet esprit modifié se retrouverait doué d'un "mouvement" analogue. Quand il part du centre, il y a attraction, et quand il revient vers le centre, il y a répulsion. Chaque corps terrestre aurait un astre particulier (un serviteur de Dieu) lui correspondant et chaque homme aurait donc aussi son astre personnel. Fludd, comme Paracelse, considérait chaque homme pris isolément comme un petit monde (microcosme), à l'image du "macrososme", le grand monde, (C'est d'ailleurs un concept que conservent encore aujourd'hui les Rose-Croix). Cette entité possède une vertu attractive particulière, qu'il nomme" magnetica virtus microcosmica". Le microsome est soumis aux mêmes lois que celles du macrocosme, rayonnant à partir ou vers son centre. Dans les impressions positives, le coeur se dilate poussant cette vertu vers le dehors, et dans les impressions négatives, il se contracte en les dirigeant vers l'intérieur. Comme la Terre, le corps humain aurait des pôles et des courants variés. Il possèderait plusieurs axes polaires dont le plus important sépare la droite de la gauche. Le côté droit serait positif et le gauche négatif. Ils contrôlent leurs effluves par deux courants qui se croisent en se modérant. Fludd, quoique médecin, n'hésitait pas à impliquer les organes physiologiques dans ses théories. Le foie, (la vésicule biliaire), serait le point central des rayons du pôle austral, attirant les esprits et produisant gaieté, chaleur et vie. La rate, à l'opposé, serait le centre des rayons du pôle boréal, attirant les sucs grossiers de la terre et produisant les vapeurs noires qui resserrent le cœur, causent les ennuis, la tristesse, la mélancolie et parfois la mort. Fludd distinguait également un magnétisme positif et un magnétisme négatif susceptibles de régir les relations entre les personnes et leur mutuelle sympathie ou antipathie, la conséquence en étant l'hypothèse que les maladies puissent être guéries ou transmises par l'action d'un individu sur un autre.

Vitalisme et animisme

Á l'opposé de la pensée scientifique mécaniste moderne, un renouveau issu de la philosophie antique est apparu aux 17ème et 18ème siècles, le "vitalisme", dont demeurent encore quelques partisans. Plus ou moins issu des travaux d'Hippocrate ou d'Aristote, le vitalisme est recentré sur l'Homme total et affirme le caractère irréductible de la vie et du vivant. Il postule qu'un principe fondamental et unique fonde tous les phénomènes du vivant. C'est un mouvement de pensée fort modéré qui se garde de positions doctrinales mais prône la prise en compte de ce que l'on appelle généralement alors «Principe vital», ou  «Force vitale» ou même «Entéléchie». Ce principe est plus une affirmation de résistance ou de d'opposition aux explications mécanistes qu'une véritable réponse au problème. Au XVIIIe siècle, l'école de Montpellier a vivement illustré cette doctrine, en particulier sous l'influence de Paul-Joseph Barthez en 1775 (Nouveaux éléments de la science de l'homme). Elle proposait "un principe vital" distinct de la matière et qui l'anime. Ce "principe vital" existerait en chaque individu en se distinguant tout à la fois de l'âme pensante et des propriétés physico-chimiques du corps. C'est lui qui gouvernerait les phénomènes de la vie. Le vitalisme a été vivement combattu par Diderot, un ardent matérialiste qui, comme Buffon, voyait dans la vie une propriété physique de la matière. Diderot a dénoncé les thèses vitalistes où il voyait percer une sorte d'animisme apparenté à l'hylozoïsme des stoïciens antiques. En ce sens le vitalisme comprend l'animisme comme une de ses espèces, ou comme un complément. Rappelons que l'animisme soutient qu'une seule et même âme est en même temps principe de la pensée et de la vie organique. Les vitalistes refusent généralement les théories métaphysiques qui prétendent expliquer ce qu'est la vie et d'ou elle provient, une réserve prudente qui distingue des animistes.

Quelques citations vitalistes remarquables

J'appelle principe vital de l'homme la cause qui produit tous les phénomènes de la vie dans le corps humain. Le nom de cette cause est assez indifférent et peut être pris à volonté. Si je préfère celui de principe vital, c'est qu'il présente une idée moins limitée que le nom d'impetum faciens, que lui donnait Hippocrate, ou autres noms par lesquels on a désigné la cause des fonctions de la vie.

Paul-Joseph Barthez (Nouveaux éléments de la science de l'homme 1778)

La vie, au moins morphogénétique, n'est pas un arrangement spécialisé d'événements inorganiques ; la biologie n'est donc pas une physique ou une chimie appliquées : la vie est quelque chose à part, et la biologie est une science indépendante. ... il y a quelque chose à l'œuvre dans la vie qui porte en soi sa propre fin.

Hans Driesch (1867-1941)

La vie est avant tout une tendance à agir sur la matière brute. Elle est une poussée à l'intérieur de la matière, une tentative d'infuser le déterminisme physique avec la liberté de la conscience.

Henri Bergson 1859 – 1961

Il se pourrait bien que l'être vivant, loin d'échapper aux lois physiques, mette en jeu d'autres lois de la physique, encore inconnues, mais qui, une fois révélées, feront tout autant partie intégrante de cette science

Erwin Schrödinger (1887 - 1961)

À l'intérieur de la cellule, divers facteurs échappant aux dogmes de la biologie moléculaire font qu'une même séquence d'ADN constituant un gène peut être à l'origine de plusieurs protéines différentes. Il faut également renoncer à la vision mécaniste simpliste selon laquelle l'ADN serait à l'origine de la vie. Dans l'état actuel des connaissances, il faut plutôt soutenir que c'est la cellule qui, pour assurer sa reproduction, a créé l'ADN. (Barry Commoner).

Il existe alors plusieurs thèses métaphysiques fondées sur la présence d'une force directrice et  créatrice au sein de la matière. Si l'on admet que ce principe vital, a une existence distincte de l'âme pensante, on est dans le vitalisme qui postule la présence de  deux âmes bien distinctes et donc de deux principes spirituels dans l'humain. Mais si l'on accepte l'idée que cette force se confond avec avec l'âme pensante, c'est  à dire avec le principe spirituel du sentiment et de la pensée, on devient animiste. Au début du 20ème siècle, Bergson postula que la la vie possédait un élan propre et autonome, et il développa le concept d'élan vital, ce qui était une position philosophique vitaliste même s'il intégrait à sa réflexion les découvertes scientifiques de son temps. La vie aurait en elle une force et un élan, un moteur et une direction conduisant les espèces vers la réalisation de leurs parangons. Plus tard, Claude Bernard  montra qu'il y a dans tout vivant une idée directrice et créatrice qui ne peut s'expliquer par le simple "mécanisme". Pouvait on dépasser ce point et admettre que cette force directrice et créatrice n'était pas distincte des organes corporels et qu'elle se confondait avec cette matière même qui les formait ? Ce fut la position de l'organicisme qui prétendit que la matière n'est pas passive et inerte et qu'elle est aussi une force même si l'on peut distinguer la matière brute, (mue selon les lois de la mécanique), et la matière vivante, (mue selon les lois de la vie). Mais les vitalistes ne pouvaient concevoir que l'âme pensante, dont les attributs essentiels sont la pensée et la conscience, puisse construire et organiser son propre corps sans en avoir conscience. L'animisme prétendait qu'il y a, dans la vie intellectuelle des mouvements souvent inaperçus et que l'âme pensante peut donc agir tantôt consciemment, tantôt inconsciemment, l'attribut essentiel de l'âme n'étant pas la pensée, mais l'effort.

L'animisme, du latin animus, originairement esprit, puis âme) est la croyance en une âme, une force vitale, animant non seulement les êtres humains, mais également les animaux et les éléments naturels (pierres, arbres, vent...). La pensée animiste s'exprime généralement dans des doctrines religieuses (comme le Shintô japonais ou le Vaudou), enseignant que ces âmes de la matière ou ces esprits supérieurs, comme également ceux des défunts ou de divinités animales, peuvent agir sur le monde et se manifester activement ici-bas, de manière bénéfique ou maléfique, et qu'il convient donc de leur vouer un culte. Mais, beaucoup d'entre nous s'adressent à leurs proches décédés ou même aux étoiles de leur ciel astrologique pour obtenir aide ou protection, ce qui est évidemment une démarche assez proche de l'animisme. La plupart des biologistes modernes critiquent ou refusent les propositions vitalistes ou animistes en s'appuyant sur les découvertes de la science moderne et les avancées de la génétique et de la biologie moléculaire. Jacques Monod, en particulier, les a critiquées dans son livre "Le hasard et la nécessité (1970)" en qualifiant le vitalisme de Bergson de (vitalisme métaphysique) aux consonances poétiques. De son coté, Ernst Mayr dans son "Histoire de la Biologie (1984)", déclare que depuis plus de cinquante ans, le vitalisme est tombé en désuétude chez les biologistes. La condamnation du vitalisme par la science semble donc fort sévère, et pourtant, à en croire Georges Canguilhem, le vitalisme serait, en tant que position de principe, quasi irréfutable, si bien que quelques philosophes contemporains soutiennent encore cette doctrine. Rappelons aussi que le pape Pie X a condamné le vitalisme en 1907 dans l'encyclique Pascendi Dominici Gregis et que  le cardinal Poupard a confirmé le 3 février 2000 à l’occasion du 400ième anniversaire de la mort  de Giodano Buno que sa condamnation pour hérésie restait pleinement motivée. L'intolérance demeure donc l'un des fondements des positions du du Saint-Siège.


 


 

 

CHAPITRE 5

                                        

L’origine des Rose+Croix

 

 

 

La Rose-Croix des 16ème et 17ème siècles.

 

 

Les symboles de la rose et de la croix - L'association des symboles est très ancienne. Déjà en 1265, Jean de Meung reprend le Roman de la Rose commencé par Guillaume de Lorris. Le livre devient une encyclopédie traitant des origines du monde, de la nature, de l'art, de l'astronomie, de la  religion et de la morale. Il préconise aussi le retour à la simple vie chrétienne. Au delà des symboles, la source peut être à rechercher auprès du Graal, le secret le plus mystérieux du Moyen-Âge. Il s'est imposé à la conscience intérieure d'une époque éprise de spiritualité et d'élévation car il évoquait pureté et révélation, sacrifice et guérison parfaite. Les plus anciennes versions de la légende datent 1150 à 1220. Dans la Divine Comédie de Dante, vers 1320, le huitième ciel du paradis est décrit comme le ciel étoilé des Rose-Croix. Certains auteurs placent l'origine des Rose-Croix chez les Amis de Dieu de l'Île Verte à Strasbourg. Au 14ème siècle, Rulman Merswin, issu d’une famille de banquiers strasbourgeois, y acquiert un ancien couvent bénédictin. L’Île Verte de Strasbourg devient un centre spirituel où se développe la spiritualité des "Gottesfreunde", Amis de Dieu ou Chevaliers johannites, (La présence ecclésiale dans le couvent de l’Ile Verte est confiée à l’Ordre des Chevaliers hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem). C'est une maison de refuge où peuvent se retirer tous les hommes honnêtes et pieux, laïcs ou ecclésiastiques, chevaliers, écuyers et bourgeois, qui désirent fuir le monde et se consacrer à Dieu sans entrer dans un ordre monastique. Puis, Rulman Merswin et les Amis de Dieu se trouvent en relation avec un personnage mystérieux qui va les guider dans la voie spirituelle par une série d'écrits, parmi lesquels on peut citer Le Livre du maître de la Sainte Ecriture, Le Livre des Cinq hommes qui décrit la société idyllique du "Haut Pays". Ce Maître intérieur guide les initiés, non plus en ce monde-ci, mais dans les contrées de l'au-delà du monde. Il se pourrait aussi que la fondation de l’Ordre des Rose-Croix implique Paracelse, médecin et alchimiste, né en Suisse vers 1493. Dés 1536, il utilise les symboles de la rose et de la double croix lorraine, et il prédit la venue d’Elias-Artista, l’Esprit radiant, ambassadeur du Paraclet et personnification future de l’Ordre. L'origine effective de la Fraternité prestigieuse des Rose-Croix reste cependant assez mystérieuse.

 

Les traditions ésotériques - En Occident, au 16ème siècle, époque de la manifestation publique des Rose-Croix, les sources de l’ésotérisme rassemblent diverses traditions, gnostiques, hermétistes et néoplatoniciennes, alchimistes, kabbalistes, mazdéistes, cathares ou même manichéennes, autochtones comme celle du Graal, issues de l'Essénisme comme celles des premiers docteurs de l’Eglise, ainsi qu'un courant transmis par les Druzes. Les Rose-Croix semblent alors avoir enfin réussi à réaliser une large synthèse de ces multiples traditions inspirées. Puisant à leurs immenses richesses spirituelles, la philosophie de la Fraternité s'en est grandement enrichie et elle s'est élevée au dessus des dogmes contraignants des diverses religions extérieures. Il demeure cependant important de situer la première et principale manifestation publique du mouvement dans son arrière plan historique qui est alors clairement l'époque de la Réforme, et dans le contexte de la Guerre de Trente Ans et des Guerres de Religion. Au 16ème siècle, les armes de Luther portent une rose percée d'une croix. Valentin Andreae s'en inspire pour créer ses propres armes, une croix encadrée de quatre roses. Pour nous, ce siècle-là est celui de la Renaissance et des débuts de la Science moderne. C'est pourtant la crise religieuse, la Réforme et toutes ces terribles guerres qui marquent profondément les cœurs et les esprits de l'époque.

 

La permanence du mouvement de protestation - La "Réforme" est le mouvement religieux d’où est né le protestantisme. Il était annoncé par les Vaudois, cruellement persécutés, par les idées de Wyclif, ou par le sort de Jean Hus, condamné et brûlé par traîtrise. Il faut comprendre que, dès le début du Christianisme, la transformation progressive et autoritaire des dogmes a continuellement suscité des protestations des divers mouvements réformateurs. On en trouve la trace dans le premier concile, celui de Nicée, dont le "canon" montre déjà de la méfiance à l'égard des "Cathares, les purs", qui appellent les fidèles au respect des enseignements évangéliques. Tout au long de son histoire, oubliant ses propres martyrs, l'Eglise combat cruellement tous ceux qui contestent l'évolution contraignante et continue de sa conception du Christianisme, et elle les accuse d'hérésie, tels les Gnostiques, les Ariens, les Manichéens, les anéantissant par le martyre et par le feu comme, au 13ème siècle, les nouveaux Cathares. Au 16ème siècle, cette impulsion protestataire amène une partie de la chrétienté à se détacher de l’Église romaine, en rejetant ses dogmes et l’autorité du pape. Les réformateurs et Luther espéraient que l’Eglise rétablirait le christianisme des origines, en le débarrassant des multiples adjonctions qui l’avaient altéré. Mais Luther est excommunié en 1520. La rupture consommée, le luthéranisme séparé se répand en Allemagne, malgré l’opposition de Charles Quint. Il prévaut au Brandebourg, en Hesse, en Saxe, au Wurtemberg et dans la plupart des villes libres. Les luthériens présentent leur Confession de foi à la diète et l'on admet alors que chaque prince peut imposer sa religion à ses sujets, à la Paix d’Augsbourg, en 1555.

 

Le Calvinisme - Le Lutherianisme s'était répandu dans les pays baltes et scandinaves. Avec Zwingli, un mouvement analogue mais indépendant naît en Suisse. Calvin en fixe les principes et le calvinisme se répand en France malgré l’opposition royale. En 1559, deux mille églises adoptent la Confession de foi de la Rochelle, rédigée par Calvin. La fin du 16ème siècle est marquée par les terribles "Guerres de Religion", et la Saint-Barthé­lemy. En 1599, l’édit de Nantes d'Henri IV accorde provisoirement aux protestants le droit de célébrer leur culte. La Réforme calviniste se répand alors en Hongrie, au Palatinat, aux Pays-Bas et en Écosse. En 1534, un autre protestantisme apparaît en Grande-Bretagne. Henri VIII détache l’Eglise d’Angleterre de Rome et l’Acte de Suprématie la soumet à l'autorité royale. Depuis l’Angleterre, une Réforme "puritaine" se répand ensuite jusque dans le Nouveau Monde.

 

Les Manifestes de la Rose-Croix - En 1614, la paix religieuse étant provisoirement rétablie, deux manifestes sont publiés. Ce sont la Gloire de la Fraternité, (la fameuse Fama Fraternitatis, et de la Confession des Frères Rose-Croix). Ils exposent la doctrine de la Fraternité des Rose-Croix qui préconise une réforme générale de l’Humanité. On suppose d'abord qu'ils sont l'œuvre du pasteur protestant de Strasbourg, Valentin Andreae,  qui publie ensuite de nombreuses autres œuvres dont les plus importantes sont les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz et Christianopolis. Plus tard, les manifestes seront considérés comme une œuvre collective. Sédir nous dit que "Jean-Valentin Andrea (1586-1654), fut un des hommes les plus savants de son temps. Son grand-père Jacob était ami proche de Luther. Il avait été un illustre théologien, l'un des auteurs de la Formule de Concorde. On le surnomma d'ailleurs le second Luther." Andrea étudia au séminaire de Tubingen. Il acquit une rare culture dans les langues anciennes et modernes, les mathématiques, les sciences naturelles, l'histoire, la géographie, la généalogie et la théologie, et laissa une œuvre considérable. Il subit l'influence de Jean Arndt (1555-1621), grand prédicateur mystique, et de ses amis, Christophe Besold et Wilhelm Wense, dont la vie voulait être une imitation de Jésus-Christ. Ils prêchaient, contre le dogmatisme et le ritualisme de l'Église, la nécessité d'une vie toute d'esprit et d'amour, la droiture, la lutte contre les tendances mauvaises, l'intégrité de l'esprit, l'austérité des mœurs, la charité, la justice, affirmant que seule une vie sainte permet l'entrée dans le cœur humain du Saint-Esprit qui unit l'homme à Dieu et lui confère ses dons. Ils reprenaient dans leur prédication l'enseignement de saint Paul sur le vieil homme qui doit être crucifié avec le Christ pour ressusciter avec le Christ".

 

Les Ouvrages R+C originaux - Sur ces principes, Jean-Valentin Andrea établit un remarquable programme de renouvellement et de conversion pour son Eglise. Quand parurent les manifestes de la Rose-Croix, il publia "Les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz". On ne sait pas vraiment qui a composé la Fama et la Confessio. Ces écrits ne sont pas l'oeuvre d'un seul auteur et ils expriment les idées et les espérances d'une collectivité. La Reformation, la Fama, la Confessio, ainsi que les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz sont les seules manifestations écrites originales des Rose-Croix. Ce sont les premiers ouvrages où l'on trouve le nom de la Fraternité et ils furent souvent réimprimés et traduits. Le frontispice de la Fama Fraternitatis proclame «Allgemeine und general Reformation, der ganzen weiten Welt» (Réformation universelle et générale du vaste monde entier). Les trois livres s'inscrivent évidemment dans un prolongement de l'œuvre de Martin Luther qui n'avait jamais caché son accord avec les thèses pré-rosicruciennes (l'explication qu'il donne de son sceau le prouve). Il s'agit donc d'une mission évangélisatrice répétant celle du Christ. Elle fait suite à la tentative de Luther et de ses prédécesseurs catholiques pour réformer le christianisme par l'intérieur. La Confessio s'affirme résolument protestante et les Noces chymiques condamnent symboliquement Rome avant l'affirmation de la nouvelle ère et l'instauration d'un nouveau royaume.

 

La Guerre de Trente Ans - Deux ans après l'appel de la R+C, un conflit de pouvoir amène les protestants de Bohème à projeter deux gouverneurs catholiques à travers la fenêtre de la Salle du Conseil de Prague. Une terrible guerre commence. La "guerre de Trente Ans" ravage l'Allemagne et la Bohême. Les populations protestantes sont impitoyablement massacrées par les troupes impériales. Un tiers des habitants disparaît. Les états luthériens échappent à l'anéantissement grâce à l'intervention tardive de la France catholique de Richelieu, secourant politiquement les protestants pour freiner l'extension autrichienne. Les bourgs sont en cendres, les campagnes sont ravagées, la soldatesque rançonne les villes, et les épidémies déciment les derniers survivants affamés.

 

La relance de la Rose-Croix - Après la paix de 1648, l'appel R+C de 1615 est repris par les populations meurtries et désemparées. Il est relayé et démultiplié dans l'espoir de dépasser les haines aveugles et les grands malheurs nés de la guerre, en réunifiant la Chrétienté comme l’avaient voulu les premiers réformateurs. Les livres Rose-Croix sont interdits par les Catholiques, et leur détention est parfois punie de mort. Néanmoins, la publication hollandaise des trois manifestes alimente une énorme floraison mystique surtout en Allemagne où neuf cents opuscules les reprennent jusqu'au 18ème siècle. Avec les Pays-Bas, c'est toujours le pays dans lequel l'activité rosicrucienne est la plus marquée. Jean-Valentin Andreae, indigné par les abus que les enthousiastes faisaient des principes de  la Rose-Croix, décida de se retirer du mouvement, mais il déclara dans "Turris Babel" «Je quitte maintenant la Fraternité, mais je ne quitterai jamais la véritable fraternité chrétienne qui sous la croix perçoit les roses et évite les souillures du monde ». Il publia Invitation à la Fraternité du Christ en 1617, puis Description de la République de Christianopolis, en 1619, un programme d'une Union chrétienne où il reprenait les thèses de la Fama et de la Confessio.

 

Les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz - Cet ouvrage paru sans nom d'auteur, en 1616. Jean-Valentin Andreae, dans son Autobiographie, déclare qu'il composa ce livre vers 1601, alors qu'il avait quinze ans. Voici ce que Sédir dit du livre:

 

"Dans sa lettre, ce traité est un exposé de l'œuvre métallique (alchimique), assez détaillé ; dans son esprit, il décrit la montée de l'âme, de degrés en degrés, vers l'illumination. Ce livre est attribué à Christian Rosencreutz qui l'aurait écrit en 1459. Il raconte, en sept journées, le mariage du roi, puis sa décollation et enfin sa résurrection.  C'est sur une invitation que le roi lui adresse d'assister à ses noces que Rosencreutz se met en route, dans le sentiment profond de son indignité. En souvenir du Christ, il noue en croix un ruban rouge sur sa robe de bure ; il pique quatre roses à son chapeau et prend comme viatique du pain, du sel et de l'eau.

 

A l'entrée de la forêt il distingue trois voies : une courte, mais dangereuse ; la seconde qui est la voie royale réservée aux élus et la troisième, agréable mais très longue. Il est prévenu qu'une fois choisi le chemin, il ne pourra plus revenir en arrière. Il demande à Dieu, qui lui fait prendre le second chemin. Celui-ci le mène au château royal construit sur une montagne. Un personnage lui demande son nom, et il répond : Frère de la Rose-Croix rouge. Les nombreux candidats aux noces du roi sont pesés. Rosencreutz est le plus pur. Il est reçu avec tous les honneurs, et on lui remet la Toison d'Or ornée d'un Lion volant.  Quant aux intrus, une coupe leur est donnée, remplie du breuvage d'oubli avant qu'ils soient chassés, avec l'ordre de ne plus revenir au château du roi pendant leur vie.

 

 Suivent d'autres épreuves symboliques ; et la représentation d'une comédie en sept actes. Devant la reine est un gros livre renfermant toute la science réunie dans le château. Les élus sont au nombre de neuf et ils tiennent chacun une bannière portant une croix rouge. Enfin le devoir est notifié aux élus de penser à Dieu et de travailler pour sa gloire et pour le bien des hommes. Ensuite le couple royal est décapité, ainsi que quatre rois et reines présents. Les six personnes sont ensevelies et leur sang est recueilli dans un vase d'or. Le Maure qui a procédé à l'exécution est décapité à son tour et sa tête rapportée dans un linge. Il est dit aux élus que : « la vie de tous ces êtres est entre leurs mains et qu'ils doivent garder une fidélité plus forte que la mort ». La nuit, les six cercueils sont emportés par des navires. Les élus assistent aux funérailles symboliques des souverains et sont invités à chercher le médicament qui rendra la vie aux rois et aux reines décapités. De longues opérations alchimiques sont décrites.

 

Le roi et la reine ressuscitent. Ils travailleront avec les élus au triomphe de Dieu. Le roi nomme ceux-ci « chevaliers de la Pierre d'Or », avec le pouvoir d'agir sur l'ignorance, la pauvreté et la maladie. Quant à Rosencreutz, il aura encore d'autres épreuves à surmonter avant d'arriver au terme. Il lui a été dit : Tu as reçu plus que les autres ; efforce-toi donc de donner davantage également. La signature de chacun est demandée, et notre héros écrit : La plus haute science est de ne rien savoir. Frère Christian Rosencreutz  - Chevalier de la Pierre d'Or. "Fin de citation"

 

Dans le récit des Noces Chymique, le fondateur légendaire de la Rose-Croix, Christian, invité aux noces de Sponsus et de Sponsa, (l’époux et l’épouse), rêve également qu’il est enfermé au fond d’un puits ou d’une tour dont il sort à l’aide d’une corde lancée de l’extérieur. Il se met ensuite en route et traverse la forêt. C'est en cherchant à aider une colombe combattue par un corbeau, qu'il trouve son chemin et il est alors guidé vers le château royal.

 

Le sens des Noces Alchymiques - Les descriptions contenues dans le récit ont pu être interprétées comme des indications précieuses pour la réalisation du Grand œuvre alchimique. Nous savons cependant que les alchimistes étaient fondamentalement des métaphysiciens ésotéristes. La poursuite du Grand œuvre était seulement pour eux le symbole du chemin nécessaire à la réalisation de l’indispensable transfiguration de l’âme, prélude à la résurrection de l’Homme véritable, la figure divine originelle. Là est le sens caché et véritable des Noces Alchymiques de Christian Rose-Croix, ouvrage qui répète sous une forme différente le message médiéval de la Quête du Graal par Perceval le Gallois. Les véritables écoles spiritualistes rosicruciennes poursuivent aujourd’hui encore dans le Monde l’œuvre initiatique qui conduit à cette connaissance. Leur enseignement témoigne toujours d’une inspiration rosicrucienne authentique et vivante. Elles adaptent leur message ésotérique permanent aux temps et aux lieux où il est prononcé. Dans notre civilisation, elle vont s’appuyer sur les traditions chrétiennes tout en expliquant le sens caché des mythes et des écritures.   

 

Les Rose-Croix en France - A Paris, en 1622, une affiche est placardée qui proclame: "Nous, Deputez du Collège principal des Frères de la Roze-Croix, faisons séjour visible et invisible en ceste ville, par la grâce du Très Haut vers qui se tourne le coeur des justes. Nous monstrons et enseignons sans liures ny marques à parler toutes sortes de langues des païs où voulons estre, pour tirer les hommes nos semblables d'erreur et de mort.» Une autre affiche suit: « S'il prend envie à quelqu'un de nous voir par curiosité seulement, il ne communiquera jamais avec nous mais, si la volonté le porte réellement et de fait à s'inscrire sur le registre de nostre confraternité, nous, qui jugeons les pensées, luy ferons voir la verité de nos promesses, tellement que nous ne mettons point le lieu de nostre demeure, puisque les pensées, iointes à la volonté reelle du lecteur, seront capables de nous faire cognoistre à luy et luy à nous. ». Les affiches eurent un retentissement considérable mais leurs auteurs sont inconnus. En 1624, le Père François Garasse demande pour les Rose-Croix "la roue et le gibet".



 

 

CHAPITRE 6

                                        

L’Homme Triple

 

CHAPITRE 22 - L'Homme Triple

 

 

Les Trois Centres de Conscience.

 

 

 

Lorsque nous imaginons notre stature corporelle, nous nous représentons mentalement la perception intuitive que nous avons de notre corps. Nous en construisons un schéma théorique en positionnant l'intellect dans la tête, au plus près de l'observateur conscient que nous suscitons, puis nous hiérarchisons en plaçant l'affectivité dans le thorax, et les manifestations instinctives dans le bassin. Nous disposons ainsi d'une image compréhensible et exprimable. Elle est seulement pratique car, dans la physiologie effective, il semble que les divers centres de "conscience" soient tous situés dans le système cérébro-spinal. C'est le mental qui a appris à les projeter ailleurs. Chez l'embryon, tout le corps semble se construire par des bourgeonnements issus de la tête, elle même développée à partir de la cellule germinale.

 

Cette cellule provient de la démultiplication ininterrompue de la protocellule originelle. Née avec la vie, sautant de corps en corps, elle a donc vécu des milliards d'années, et potentiellement immortelle, elle inventa un jour le sexe et le plaisir, la douleur et la mort. Pendant ce temps immense, le corps s'est perfectionné, établissant d'abord en lui même un premier niveau de connaissance et d'action, une image du Soi dans le Soi, un reflet intérieur de l'état physique associé à la mise au point d'un système homéostatique assurant la régulation des fonctions biologiques essentielles. Au stade suivant, c'est le reflet du milieu extérieur, l'image du Monde dans le Soi, qui entre dans le champ de la connaissance sensorielle. Au stade actuel, c'est le reflet de l'être propre en interaction avec l'environnement, c'est l'image du Soi dans le Monde, qui accède à la conscience.

 

Ainsi, l'infinitésimale et fragile cellule originelle a franchi des milliers de millions d'années et

traversé des millions de millions de dangers pour aboutir à la construction de notre actuel corps vivant. Elle a lentement mis au point des systèmes ultra sophistiqués pour assumer la fabrication de cet organisme extraordinairement complexe ainsi que les moyens d'en assurer la survie et la progression. Et quand, à travers la conscience raisonnable, la vie ouvre enfin les yeux sur un fragment de réalité, c'est pour découvrir l'absurde inexorabilité de la mort. L'intelligence humaine se heurte à cette situation incompréhensible tout comme elle se heurte au problème rémanent du bien et du mal. L'homme conscient va donc en chercher des explications au travers de la métaphysique ou de la religion. Cette recherche de la compréhension des causes premières, des fins dernières, ou du bien et du mal, démarque l'être humain du reste du monde vivant. Sur le plan intellectuel, elle aboutit en particulier à un clivage entre deux théories inconciliables, le "Théisme" et le "Panthéisme", toutes deux basées sur des postulats indémontrables par la raison.

 

La Triplicité du Microcosme.

 

Dans l'Antiquité, on supposait que les dieux et les hommes suivaient les lois du Monde selon leur nature propre, mortelle pour les Hommes, immortelle pour les Dieux. À partir de Moïse, et d'abord chez les Hébreux, une conception différente s'établit. Le Monde avait été créé à partir du Néant par un être primordial tout puissant, extérieur à la nature. Cette affirmation constitue la base du "Théisme" qui établit la cause première, Dieu, en dehors du Monde dont il est le Souverain Créateur, (Bible). L'autre postulat, hérité des Anciens, place les causes premières à l'intérieur du Monde, donc Dieu dans l'Homme et l'Homme dans Dieu, dans une unification universelle.

 

Je n'établirai pas de comparaison critique entre ces deux systèmes de pensée, sachant qu'aucun des deux ne résout tous les problèmes. Je me propose simplement de présenter ici un fragment de la pensée panthéiste, l'idée de la triplicité humaine, vers laquelle on trouve d'ailleurs des convergences évidentes dans le Théisme quoique les conclusions en soient généralement différentes. J'établirai un seul raisonnement fondamental (qui n'est d'ailleurs pas de moi). "Je suis une conscience, et par là même, je prouve qu'il y a de la conscience dans l'univers". Peut-on aller plus loin sans mettre en œuvre un imaginaire personnel ?

 

Les religions théistes posent actuellement leur conception des origines du Monde sur l'idée d'une trinité divine composée d'un Père créateur, extérieur au Monde, d'un Verbe, acteur de l’existence, et d'un Esprit, source de Vie. L'enseignement ésotérique puise aux mêmes sources antiques mais ne rejette pas Dieu à l'extérieur du Monde, l'introduisant donc au cœur de l'Homme. A partir de sa conception triple de l'Homme, manifestation incarnée de l'idée divine, l'ésotérisme présente donc aussi un triple concept de l'Inconnaissable Esprit Divin.

 

La triplicité de ce concept partagé s'établit probablement à partir de la triple structure du système cérébro-spinal avec ses trois cerveaux successifs empilés et interconnectés pilotant les diverses fonctions du corps. L'auto-analyse, intelligente ou intuitive, amène ainsi l'Homme à concevoir qu'il est construit sur une structure ternaire. Les ésotéristes panthéistes élargissent ce concept de triplicité humaine et en font une image reflétant dans la réalité terrestre la conception intellectuelle triple qu'ils ont du divin. L'Homme est à l'image de Dieu, "Microcosmos" et "Microthéos" au sein du divin "Macrocosmos". Voir par exemple à ce sujet, les Hermétistes.

 

Tout cela est difficile à commenter et surtout à illustrer. C'est pourquoi je propose de mener ce travail en cheminant le long de la voie des fleurs vivantes, l'art IKEBANA des bouquets japonais. Nous regarderons tout particulièrement ceux issus de l'École Ohara, construits en échelonnant harmonieusement, de haut en bas, trois éléments, SHU, le ciel, FUKU, l'homme, et KYAKU, la terre, symboles possibles de notre réflexion.

 

On y trouve même une réalisation particulièrement remarquable et esthétique, l'artiste ayant imaginé de tripler chaque élément symbolique, réalisant ainsi une composition très originale, puisque triplement triple.


La Source Originelle.

 

 

De même qu'à l'origine du corps, il y a la cellule primordiale, la tête et ses prolongements vertébraux, à l'origine du Monde et des vivants, il y a l'être, l'existence, la matière et la vie lesquels sont les sources de toutes les choses et connaissances essentielles et de tous les moteurs de subsistance, de permanence et de reproduction. Ces forces, ces matériaux, ces instructions de construction, ces pulsions primordiales et ces savoirs fondamentaux sont enfouis au plus profond de nous, inaccessibles à la conscience raisonnable. Nous les analysons comme des éléments techniques utiles à la construction de l'appareil existentiel et à son fonctionnement. Nous ne réalisons pas que tous ces facteurs sont des manifestations actives et actuelles des éternels principes originels de l'existence et de la vie.

 

A ce niveau de la réflexion, nous devons être très attentifs. Nous sommes ici dans le système de pensée panthéiste. Nous ne parlons donc pas seulement de matière ou de corporéité ni de représentation mentale. Nous parlons de l'Être unitaire primordial, inconnu, total, absolu qui nous inclut et qui donc se manifeste en nous-mêmes. Nous essayons de comprendre qu'à l'origine, à la source véritablement fondatrice de notre être propre dans tous ses caractères, il y a une idée créatrice essentielle, éternellement agissante et vivante, l'Idée permanente de l'Homme que nous sommes, originellement conçue dans l'Intelligence Créatrice, (quelle que soit la nature véritable de cette entité, cause première du Monde), et manifestée dans notre corporéité. Par notre être total propre, hors du Monde et du temps, nous lui restons constamment reliés, mais nous sommes cependant limités par cette manifestation existentielle, corporelle, temporelle et consciente qui est notre personnalité mortelle actuelle. L'existence du mal complique encore la réflexion.

 

En Occident, la pensée panthéiste adopte souvent les concepts gnostiques tels qu'on les trouve dans la philosophie du "Nouvel Âge". C'est, par exemple, un démiurge, créateur imparfait, qui aurait créé ce monde temporel et ces corps mortels qui portent cependant en eux les étincelles divines immortelles descendues du royaume originel. Traditionnellement, dans l'imaginaire habituel de notre pensée, et sans réaliser ce que nous faisons et de quoi nous parlons, nous construisons une forme conceptuelle pour évoquer la base originelle. Nous l'appelons souvent "le Dieu Père" mais d'autres la désignent comme "la Mère originelle", ou même "la Nature". Là est l'illusion fondamentale. Nous avons quitté le contact intuitif avec la réalité matérielle originelle et nous l'avons remplacée par une construction mentale, une image symbolique inversée qui place loin de nous, dans les cieux, notre origine biologique et terrestre. Cette sorte d'idole se rencontre souvent dans les textes dits "Sacrés" ou les Temples.

 

C'est pourtant la matière primordiale qui est conceptuellement la plus proche de la réalité de l'origine. Elle est d'abord manifestée dans l'existence matérielle et vivante du corps biologique, car l'homme pensant émerge de la vie, qui s'enracine dans la matière dont la source est dans l'Être primordial. Comprenons cependant qu'il n'y a aucune raison de placer cette forme conceptuelle, artificielle et imparfaite, cette idole fondamentale, symbolique et fragmentaire, en haut ou en bas, ou à la tête d'une quelconque hiérarchie. Dans la triple image mentale de l'essence universelle, il n'y a ni haut ni bas, et ni fonction première ou dernière. Inclinée vers la terre, la branche KYAKU est nécessaire, mais l'harmonie du bouquet réside dans sa globalité.

 

 

La Conscience émergente.

 

 

Dans le bouquet japonais, la branche SHU s'élance toujours ardemment vers le ciel. Je vous propose d'y voir ici le symbole d'une autre source puissante de la vitalité humaine, la poursuite vivante par l'idiomorphon (la forme humaine idéale), du projet divin, du but inconnu fixé à l'espèce au terme "téléonomique" de son évolution. Cette branche pourrait donc représenter la partie "cérébrale"  de la découverte de l'Univers par l'Homme, sachant bien qu'il s'agit également de la perception intuitive de l'outre Monde, et l'image de gauche en est une évidente illustration. C'est le développement de son cerveau qui fait émerger l'humain hors du terreau de l'animalité. Dans cette émergence apparaissent la conscience et la liberté du comportement qui forment la "Personne", image particulière de la cause première. Au sein de l'intellect, la pensée gnostique panthéiste sépare ici deux outils : d'une part la raison qui permet d'accéder au savoir analytique matériel, (c'est à dire à l'avoir), d'autre part l'intelligence qui permet d'accéder à la connaissance globale et supra terrestre, (c'est à dire à l'être). Á travers les illusions du Monde, l'intellect global doit ainsi permettre d'accéder à la véritable réalité et au sens profond et caché de la vie terrestre, moyen de la restauration des caractères divins initiaux de la Personne des origines, intemporelle et immortelle.

 

Dans la pensée panthéiste, il n'est qu'un Être primordial, inconnu, total, absolu qui nous inclut. Nous essayons ici de comprendre qu'au terme déterminant l'évolution de notre être propre, il y a une manifestation simplement différente de la même force essentielle éternellement vivante, qui est l'Idée de la Personne Humaine. Cette manifestation agit pour que chaque Personne devienne conforme à ce que son devenir fut et demeure conçu par l'Intelligence Universelle (quelle que soit la nature de cette entité). L'Homme lui reste relié dans son être total, mais, dans son aspect terrestre (donc dans le nôtre), il a maintenant découvert les admirables facultés de son corps et les capacités de son multiple cerveau. Ébloui et captivé par les splendeurs de la nature, les plaisirs et les richesses du Monde, il veut tout posséder, tout savoir, tout dominer, de l'atome à l'univers, et tout maîtriser, y compris la vie et la mort. Animé par ces pulsions de pouvoir et de possession, d'orgueil et de domination, utilisant sa raison, l'Homme travaille à remodeler les sociétés et à réorganiser le monde selon ses désirs. Il invente des sciences et des arts, des philosophies et même des religions, et il élabore des théories et des doctrines pour expliquer tous les aspects cachés du monde. Á ce sujet, voir les constructions mentales des Néoplatoniciens, admirables mais vraiment complexes.

 

Mais la Personne dispose aussi de son intelligence propre, cet outil de contact direct avec l'Intelligence Universelle. En l'utilisant, elle peut enfin comprendre le plan qui la concerne. La révélation reçue par les panthéistes établit qu'en se détachant consciemment des illusions du Monde et des désirs de possession et de domination, l'Homme se délivre de tous les liens qui l'enchaînent, tant à la vie terrestre qu'à la mort du corps de chair. En abandonnant les pulsions visant à conquérir l'avoir, il permet l'émergence ou la reconstruction d'un nouvel Être totalement libre, d'une entité disposant des caractères divins originels et du corps transfiguré de la Personne intemporelle et immortelle des origines.

 

Traditionnellement et toujours dans l'imaginaire de notre pensée, nous bâtissons un nouveau concept pour évoquer cette autre manifestation de la puissance originelle. Les anciens Grecs l'appelaient le "Noûs" mais nous disons souvent "l'Intellect" ou, par erreur, "l'Esprit". Là réside une illusion nouvelle. Nous avons lâché la réalité biologique et neuronale de notre conscience vivante, raisonnable et intelligente. Nous l'avons de nouveau remplacée par un reflet mental utilitaire, par autre image symbolique, vaporeuse ou éthérée qui figure, dans un milieu inconnu assez flou, tout le destin prochain de notre devenir terrestre. Dans le mystère de l'avenir, c'est la matière cérébrale qui nous semble être la plus apte à contenir cette représentation, et c'est pourquoi nous tendons à poser l'intellect au sommet de nos facultés.

 

Cependant, il n'y a toujours aucune raison de placer ce concept au-delà ou en deçà, au-dessous ou au-dessus, ou dans une hiérarchie quelconque, car il ne demeure dans la triple essence humaine nul espace entre l'alpha et l'oméga de l'être. Dressée vers le ciel, la branche SHU nous paraît nécessaire, mais l'harmonie du bouquet IKEBANA persiste à résider dans sa globalité.


Le Cœur et le Sang.

 

Le bouquet IKEBANA s'équilibre autour du centre de sa composition. C'est l'objet central FUKU, symbolisant l'homme, qui lui donne toute sa valeur artistique et émotive. Ainsi semble-t-il en être, tout au moins à notre niveau de perception, des hommes de la Terre quand ils acceptent leur état. Car, sur les fondations exposées ci-dessus, d'autres manifestations du principe originel définissent les spécificités des différentes formes vivantes et leurs comportements. L'espèce humaine est issue d'une façon quelconque de l'animalité. Elle partage donc les caractères et les modes relationnels des mammifères, ceux pratiqués par les anthropoïdes en général, ou ceux des divers humanoïdes présents ou passés, en particulier. Au niveau de la conscience ordinaire, des pulsions puissantes régissent les comportements habituels et tendent à satisfaire les dévorants désirs liés à l'affectivité. Elles expriment les besoins relationnels des divers individus composant les groupes, les espèces, ou les commensaux variés qui partagent le même environnement, ainsi que toutes les actions, réactions, et tous les sentiments qu'ils inspirent. Ces réactions d'amour et de haine, de plaisir et de souffrance, d'exploitation et de dévouement régissent l'essentiel des relations naturelles entre les individus, les sociétés ou les espèces, y compris chez les hommes. Mais d'autres facteurs peuvent aussi agir puissamment sur notre émotivité, comme l'art et la musique, par exemple. C'est qu'il existe en nous d'autres facultés, tel le sens de l'esthétique ou de l'harmonie, des canaux nouveaux qui conduisent à des spécificités humaines non partagées.

 

En ce qui nous concerne, en liaison avec l'émergence de la "Personne", image particulière reflétant intérieurement la "Totalité universelle", l'émotion, ordinairement provoquée par un objet extérieur, peut aussi être éveillée par la perception mentale de l'Idée créatrice originelle lorsqu'elle se manifeste dans la pensée. Comme toute émotion, celle-ci provoque une réaction cardiaque et un mouvement sanguin, comme si le sang était porteur de la sensibilité personnelle du sujet. La pensée panthéiste fait alors de ce cœur palpitant le siège de la manifestation de l'Être originel dans l'âme humaine. Elle considère cet organe comme la porte d'entrée de l'appel intérieur fait à chaque homme pour qu'il se libère des chaînes pénibles de la vie terrestre et qu'il réalise maintenant sa destinée d'accès à la spiritualité et à l'intemporalité. Il faut d'ailleurs signaler à ce niveau une particularité un peu surprenante des doctrines et religions théistes. Comme le polythéisme antique, elles enseignent l'irruption dans le réel d'entités conceptuelles immatérielles (dieux ou anges), qui n'appartiennent pas à la création mais qui viennent agir pour aider l'homme dans sa vie terrestre, (Telle l'incarnation du Verbe, dans le Catholicisme). C'est intellectuellement analogue à l'image représentative d'un mythe qui prendrait vie et sortirait de son cadre pour rencontrer son concepteur.

 

Cette évidente difficulté n'existe pas dans la pensée panthéiste moderne qui professe l'unité du Monde dont la source créatrice est partout et en tout, se manifestant donc dans la matière, dans l'homme, dans sa pensée, et tout particulièrement ici, dans son cœur où lui semblent résider la force auto libératrice originelle : le Christ intérieur. "Mon cœur contient tout", dit Ibn Arabi soufi, un gnostique musulman. L'homme ressent douloureusement en son cœur les tumultes engendrés par de perpétuels combats. Car l'opposition des contraires caractérise tous les aspects de ce Monde que les gnostiques appellent donc "dialectique". Chaque choix effectué entre le bien ou le mal, la paix ou la guerre, la haine ou l'amour, engendre un nouveau conflit. Cette situation devient intolérable à qui en prend conscience et commence à se souvenir du Monde originel. Car la pensée panthéiste gnostique affirme qu'il existe aussi une dialectique qui oppose la violence et la mort (qui régissent la Terre), à la vie éternelle et à l'amour universel (qui règnent dans le Royaume originel).

 

C'est donc sur le chemin de la transformation de l'être et du retour à l'état originel que s'ouvre la porte du cœur, complétant ainsi le triple symbole panthéiste signifiant le véritable sens de la vie humaine. Mais il n'y a aucune raison de placer cette nouvelle représentation conceptuelle en avant, en arrière, ou au centre d'une hiérarchie quelconque, car il n'y a toujours dans la triple essence humaine nul espace entre l'alpha et l'oméga de l'être. Au cœur IKEBANA, la fleur FUKU a pris sa place, mais l'harmonie réside encore en la globalité.

 

Le Triple Temple.

 

Tout en développant de façon trinitaire les aspects à travers lesquels la pensée panthéiste décrit le Monde et l'Homme, j'ai insisté sur l'unité indissociable qui réunit les trois images conceptuelles utilisées. Selon les doctrines, les ésotéristes usent d'autres modèles, des constructions basées sur les chiffres sept ou dix ou douze, par exemple. L'important est de comprendre que cette pensée postule fondamentalement l'unité absolue du Monde, de l'atome à l'univers, du créateur à la créature, de l'origine aux fins ultimes, et de l'individu à l'humanité entière. Elle se fonde sur la certitude qu'il n'existe qu'une seule et unique réalité, unissant l'Homme, l'Univers et Dieu, que tous les autres aspects du Monde sont parfaitement illusoires, et que la personnalité individuelle s'inscrit donc toujours dans l'unité de l'humanité tout entière.

C'est en lui-même, qu'à l'origine, ce Dieu unique différencie les mondes et les esprits vierges qui vont expérimenter la matière. Ce n'est pas une expérience facile mais l'éternité est disponible. Les esprits inconscients vont s'enfoncer dans le chaos originel. Au cours de la descente, l'émergence de la vie dans la matière inerte puis celle de la conscience dans les corps vivants devraient permettre de réaliser l'Idée divine, l'incarnation des esprits dans des corps matériels vivants, des "Microcosmes" bâtis au modèle de l'Univers. Mais les expériences sont variées et parfois périlleuses. Originellement libres, certains esprits vont s'égarer, dont ceux des hommes. Alors se forme le monde que nous connaissons, le monde "dialectique" des gnostiques, régi par l'opposition des contraires. Et il faudra que chaque esprit immortel, enfermé dans un corps humain mortel, se délivre de ses chaînes matérielles, de ses cristallisations, de son karma personnel et ancestral, pour reprendre librement le chemin de l'incarnation spirituelle, la reconstruction de son propre "Microcosme", de la véritable réalité de son être personnel, tel que voulu pour lui seul, de toute éternité, par Dieu, au sein de la globalité de la communauté humaine.

 

L'esprit incréé, seul l'esprit peut l'engendrer. De nature divine, engendré non pas créé, l'homme originel est et demeure immortel. Vivant dans un corps biologique, c'est dans cette vie naturelle même qu'il peut retrouver ses pouvoirs si l'homme animal qui l'héberge accepte par amour la transformation nécessaire, la transfiguration du corruptible en incorruptible, du plomb vil en or pur. L'Homme ne se fait pas lui-même, disait-on au Moyen Âge. Il est fait par la matière qu'il travaille et par la lumière qui l'éclaire. C'est cela, semble-t-il, que les anciens Alchimistes découvraient un jour, non pas dans leurs cornues comme d'abord ils l'espéraient en éprouvant inlassablement le sel, le soufre et le mercure, mais en eux-mêmes, tout au terme de leur longue recherche de la pierre philosophale. Car la pierre n'opérait qu'en présence d'un peu d'or, symbole de la présence effective de l'Esprit divin, et préalable nécessaire à la transmutation. Puisse chacun trouver, en soi-même, sa propre pierre de métamorphose et aller maintenant son chemin personnel de transfiguration.

 

Les ésotéristes nous disent que par amour, la Divinité descend depuis l'Esprit pur vers chaque homme en revêtant la matière, puis que, par amour aussi, l'Homme s'élève depuis sa corporéité vers Dieu en libérant son propre Esprit.Je synthétiserai ces idées en disant que pour les panthéistes gnostiques chrétiens, c'est l'amour total qui constitue le feu de l'alchimie ultime, laquelle transforme alors le corps de l'homme en triple temple du divin Microcosme. L'éternel Esprit incréé des origines est "l'Amour Même". Il s'exprime en donnant vie et connaissance, et ce don d'amour éternel ne peut se réaliser dans la solitude. L'Esprit divin engendre donc nécessairement "l'Autre", l'Homme spirituel immortel qui est une conscience vivante. Engendré par l'Esprit d'amour et non pas créé, l'Homme révélé rayonne naturellement la force de la vie et la clarté de la connaissance sur toute l'humanité. Cet impératif comportemental de fraternité universelle détermine donc l'orientation majeure du travail intérieur des ésotéristes gnostiques qui, conscients de la double nature de leur être terrestre, vont associer l'ardeur de l'amour insufflé par l'Esprit divin intérieur à la douceur de la compassion puisée dans leur périssable nature humaine.

 

Comme il faut bien que j'arrête quelque part cette présentation générale de la pensée panthéiste et gnostique, je terminerai ici en utilisant un dernier symbole ternaire et en vous priant maintenant de vous attarder un instant sur cette magnifique illustration d'artiste représentant ce corps humain ainsi triplement et spirituellement transfiguré.

 

 

 

COMPLEMENTS

 

 

L'HERMETISME
(Extrait d'Asclépius)

 

 

L'Homme, dit Hermès, peut retrouver son immortalité et sa place dans le royaume originel s'il réussit la transmutation de son corps mortel. Le pouvoir du Démiurge s'efface. Il cède la première place à l'Homme primordial.

 

Lumière et vie, voilà ce qu'est le Dieu et Père.(...). (...)Voilà pourquoi, seul de tous les êtres, l'Homme est double, mortel de par le corps, immortel de par l'Homme essentiel (...).

 

L'Hermétisme jette sur le Monde un regard résolument positif. Dieu est la Vie même, intellect et amour actif. Un démiurge distinct a construit l'univers et son peuplement, autant que les sphères du zodiaque qui fixent le destin.

 

Bien qu'il soit immortel et qu'il ait pouvoir sur toutes choses, l'Homme subit la condition des mortels, soumis qu'il est à la destinée.(...). (Poïmandres).

 

(...) Quant à l'Homme, de vie et de lumière qu'il était, il se changea en âme et en intellect, la vie se changeant en âme, la lumière se changeant en intellect, (...). (Poïmandres)

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(...) Parmi tous les genres d'êtres, ceux qui sont pourvus d'une âme ont des racines qui parviennent jusqu'à eux de haut en bas. En revanche, les genres des êtres sans âme épanouissent leurs rameaux à partir d'une racine qui pousse de bas en haut. Certains êtres se nourrissent d'aliments de deux sortes, d'autres, d'aliments d'une seule sorte. Il y a deux sortes d'aliments, ceux de l'âme et ceux du corps, les deux parties dont se compose le vivant.(...). (Asclépius).

 

L'Homme qui se connaît, connaît aussi le monde,(...) Il révère l'image de Dieu, sans oublier qu'il en est la seconde image, car Dieu a deux images, le monde et l'homme.(...). (Asclépius).

 

 

Au commencement, il y eut Dieu et Hylé, (la matière). Le Souffle, (Pneuma-l'Esprit), était (...) dans la matière mais non pas de la même façon (...) qu'étaient en Dieu les principes dont le Monde a tiré son origine. (...) Dieu qui est toujours, Dieu éternel, ne peut être engendré, ni n'a pu l'être. Telle est donc la nature de Dieu, qui toute entière est issue d'elle même. (...).

 

Quant à Hylé, (la nature matérielle), et au Souffle, bien qu'ils soient manifestement inengendrés, ils ont en eux le pouvoir et la faculté naturelle de naître et d'engendrer. (...). Voici donc en quoi se résume toute la qualité de Hylé (la matière), elle est capable d'engendrer bien qu'elle soit elle-même inengendrée. Or, s'il est de la nature de la matière d'être capable d'enfanter, il en résulte que cette matière est tout aussi capable d'enfanter le Mal. Cependant, le Dieu suprême a pris d'avance ses précautions contre le Mal, de la façon la plus rationnelle qui se pût, quand il a daigné gratifier les âmes humaines d'intellect, de science, et d'entendement. En effet, c'est par ces facultés, (...) et par elles seules, que nous pouvons échapper aux pièges, aux ruses, et aux corruptions du mal. (...) car toute science humaine a son fondement dans la souveraine bonté de Dieu. (...).

 

Quant au Souffle, c'est lui qui procure et entretient la vie dans tous les êtres du monde lequel obéit, comme un organe ou un instrument, à la volonté du Dieu suprême. (...). C'est du Souffle que Dieu remplit toutes choses, l'insufflant en chacune d'entre elles selon la mesure de sa capacité naturelle. (Hermès Trismégiste - Asclépius).

 

 

LES NEOPLATONICIENS
(JAMBLIQUE)

 

 

1 - La connaissance des dieux est à part, séparée de toute opposition. Elle ne consiste pas dans le fait qu’on la concède maintenant ou qu’elle prend naissance. De toute éternité, elle coexistait dans l’âme en une forme unique.

 

2 - Conçois donc comme du limon tout le corporel, le matériel, l’élément nourricier et générateur, ou toutes les espèces matérielles de la nature qu’emportent les flots agités de la matière, tout ce qui reçoit le fleuve du devenir et retombe avec lui, ou la cause primordiale, (préalablement installée en guise de fondement), des éléments et de toutes leurs puissances. Sur ces bases, le Dieu auteur du devenir, de la nature entière, de toutes les puissances élémentaires, lui qui est supérieur à celles-ci et s’est révélé dans sa totalité sorti de lui-même et rentré en lui-même, immatériel, incorporel, surnaturel, inengendré, indivis, préside à tout cela et enveloppe en lui-même l’ensemble des êtres. (../..).

 

3 - Avant les êtres véritables et les principes universels il y a un Dieu qui est l’Un, le Tout Premier même par rapport au Dieu et Roi premier. Il demeure immobile dans la solitude de sa singularité. Aucun intelligible, en effet, ne s’enlace à lui, ni rien d’autre. Il est établi comme modèle du Dieu qui est à soi-même un père et un fils, et est le Père unique du vrai Bien, car il est le plus grand, premier, source de tout, base des êtres qui sont les premières Idées intelligibles. A partir de ce Dieu Un se diffuse le Dieu qui se suffit, c’est pourquoi il est à soi-même un père et un principe car il est principe et dieu des dieux, monade issue de l’un, antérieure à l’essence et principe de celle-ci. (../..).

 

4 - D’après les conceptions hermétiques, l’homme a deux âmes. L’une est issue du Premier Intelligible, et elle participe aussi à la puissance du démiurge. L’autre est introduite en nous à partir de la révolution des corps célestes. C’est en celle-ci que se glisse l’âme qui voit Dieu, (la précédente). Les choses étant ainsi, celle qui descend des mondes, (... célestes, la fatalité inscrite dans le Zodiaque), en nous, accompagne la révolution de ces mondes, tandis que l’âme issue de l’Intelligible, présente en nous selon le mode propre à l’intelligible, est supérieure au cycle des naissances. C’est par elle que, délivrés de la fatalité, nous remontons vers les dieux intelligibles. (...).

 

Prologue de l'Évangile de Jean

 

Jeannine SOLOTAREFF a publié une exégèse de l'Evangile de Jean, réalisée par Paul DIEL.

Celui-ci estime que le texte originel de cet Evangile a probablement été modifié au cours des siècles. Les versets 6-7-8-9-15 auraient subi des translocations qui les ont remontées depuis leur place initiale pour les amener vers le début du prologue. Cette opération aurait transformé en dogme la valeur initialement symbolique du Prologue. Or, il est bien établi que ce texte majeur est fondateur du dogme principal de la religion catholique. (Le symbolisme dans l'Evangile de Jean - Paul Diel - Jeannine Solotareff - (Ed. Payot & Rivages - 1983)

 

Voyez ci-dessous le texte reconstruit dans la forme proposée par ces auteurs. Les numéros sont ceux des versets dans leur ordre canonique habituel. Un second tableau, sur la page suivante,  présente les interprétations des auteurs.

 

 

Le Prologue de l’Ėvangile de Jean revisité

 

Partie 1.

( 1) Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu.

( 2) Il était au commencement auprès de Dieu.

( 3) Par lui tout a paru, et sans lui rien n’a paru de ce qui est paru.

 

Partie 2.
( 4) En lui était la vie et la lumière des hommes.

( 5) Et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie.

(10) Il (le Verbe) était dans le monde et le monde par lui a paru et le monde ne l’a pas connu.

(11) Il est venu parmi les siens et les siens ne l’ont pas accueilli.

(12) Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu. A ceux qui ont foi en son nom.

(13) Qui ne sont pas nés du sang ni d’un vouloir de chair ni du vouloir d’un homme, mais de Dieu.

 

Partie 3.

(14) Et le Verbe est devenu chair et il a dressé sa tente parmi nous et nous avons contemplé sa gloire, gloire comme celle que tient de son père un fils unique plein de grâce et de vérité.

(16) Car de sa plénitude, nous avons reçu et grâce pour grâce.

(17) Car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.

(18) Dieu, personne ne l’a jamais vu, le Fils Unique qui est dans le sein du Père, celui-là l’a fait connaître.

 

Partie 4.

( 6) Il y eut un homme envoyé de Dieu, son nom était Jean.

( 7) Il vint en témoignage pour témoigner au sujet de la lumière, afin que tous par lui fussent
amenés à la foi.

( 8) Celui-là n’était pas la lumière, mais il devait témoigner au sujet de la lumière.

( 9) C’était la lumière, la véritable qui illumine tout homme en venant dans le monde.

(15) Jean témoigne à son sujet et n’a cessé de crier: «C’est celui dont j’ai dit « Celui qui vient après moi a existé avant moi, car avant moi il était »..


L’explication du Prologue selon Paul DIEL

 

 

 

Lorsque ces versets sont replacés dans l’ordre cohérent proposé par Paul DIEL, on remarque que le texte comporte quatre parties distinctes.

 

 

·        La première partie est métaphysique et parle clairement du mystère appelé Dieu et de ses rapports avec le Verbe, source des manifestations existentielles. (Versets 1,2,3).

 

·        La seconde partie nous dit ce que sont les rapports entre le Verbe et l’Homme, et nous explique le vrai sens de la vie. (Versets 4,5,10,11,12,13).

 

·        La troisième partie, et elle seule, parle de l’Homme Jésus, appelé Fils de Dieu ou Verbe incarné. (Versets 14,16,17,18).

 

·        La dernière partie enfin, nous expose la mission de Jean. (Versets 6,7,8,9,15).

 

 

Percevez-vous bien toute la portée de l’observation de Paul DIEL ?

 

Mesurez-vous les conséquences de cette toute petite remise en ordre des versets du Prologue sur les fondements mêmes du catholicisme ?

 

L’interprétation traditionnelle du Prologue est dogmatique. Dieu y est défini comme un être réel qui se tient hors u Monde, dans la transcendance où il accompagné du Verbe et de l’Esprit.

L’espoir de l’humanité repose sur la bonté de ce Dieu personnel, attaché à juger les hommes, et qui a fini par envoyer le Verbe, personnage réel, lequel a pris la forme humaine de Jésus.

 

 

Paul DIEL propose une exégèse symbolique. Dieu est un symbole imaginé par l’homme pour exprimer son angoisse devant les mystères auxquels il est confronté. Jésus est considéré comme l’incarnation du sens de la vie appelé symboliquement « Verbe ».

L’espoir de l’humanité repose la capacité évolutive de l’homme de se délivrer de sa vaniteuse angoisse. Jésus est le Christ incarné car il a pleinement accompli cet idéal. C’est seulement en ce sens que Jésus est le Fils divin qui porte l’espoir évolutif des hommes.

 

 

LA DIVINE ORIGINE

"Incréé ne peut mourir"

 

Citations extraites de la conclusion du livre de Marie BALMARY - Dieu n'a pas créé l'homme.

.

 

-         Si la créature n'est pas le dernier mot de l'humain, si l'homme et la femme sont incréés, incréables, s'ils deviennent sujets, (le mot, chez cet auteur, ne désigne jamais l'inféodé mais prend toujours le sens grammatical. C'est le terme gouvernant le verbe, celui qui dit JE lorsqu'il parler à l'autre, et même à Dieu), en sortant du moi-esclave sans perdre la loi de leur relation, s'ils s'éveillent en leur rencontre et engendrent des fils d'homme incréés eux aussi, la question de la mort apparaît sous un autre jour.

 

-         La mort, dit Marie BALMARY, est alors une nouvelle à deux versants : Mauvaise  nouvelle pour la créature, puisqu'elle lui signifie son néant, elle est bonne nouvelle pour l'incréé. Pour lui, elle est promesse. Promesse qu'il ne demeurera pas immergé dans la condition de l'après-Eden.

 

-         Comme le dit YHWH, rappelle-t-elle, (Au chapitre 6 de la genèse, verset 3), dans une phrase difficile à traduire parce que plus difficile encore à penser : "Mon esprit ne durera pas (ou ne plaidera pas ou ne jugera pas) dans l'humain pour toujours. Dans leur égarement, il est chair; ses jours seront de cent vingt ans."

 

-         (…/…) J'entends ici que "l'esprit de Je", l'esprit incréé qui parle en l'homme à la première personne, ne restera pas pour toujours dans le terrien, (celui qui a été créé mâle et femelle). "Leur égarement", c'est qu'ils s'égarent l'un l'autre. Est-ce l'esprit qui devient chair lorsqu'ils se perdent ainsi ? (.../...).

-         (.../...) L'être qui parle en première personne, homme et femme, n'est pas de la création mais de l'esprit qui vient en leur rencontre. Cet esprit demeurera en l'humain le temps qu'il dise "Je", le temps qu'il dise "Tu". Puis il traversera la mort.

 

-         Incréé ne peut mourir !


 


 

 

 

 

 

CHAPITRE 7

                                        

Le cosmos est-il vivant ?

 

 

Le concept matérialiste de l'Univers mécanique.

 

La philosophie matérialiste conventionnelle décrit le Cosmos comme une construction mécanique dont le fonctionnement sera progressivement expliqué par la Science. Quoique les principales théories cosmogoniques restent actuellement incompatibles, ce concept a progressivement envahi notre représentation intellectuelle et spirituelle de l'Univers.

" L'univers est une machine, la vie est aléatoire et fonctionne de façon mécanique, et l'homme, issu de ces machineries, est lui même une machine".

Ces principes généraux simplistes sont interprétés par les différentes disciplines pour poser les postulats particuliers servant de bases des diverses théories et idéologies cosmogoniques. On les retrouve, érigés en dogmes ou en mythes, tant chez les scientifiques que chez les philosophes et même chez les religieux du monde entier. De tous temps, les chercheurs ont tenté d'imaginer d'où provenaient l'univers, la vie, ou l'homme. L'apparition de nouveaux modèles est cependant suffisamment rare pour que l'on se penche un peu sur leurs berceaux. Nous constatons, par exemple, que le cosmos se transforme de lui-même et change continuellement comme les êtres vivants.

Le Cosmos vivrait-il ?

Cette question est rarement formulée de façon aussi simple et directe. C'est pourquoi, en fonction de formulations floues, incomplètes ou orientées, elle reçoit généralement des réponses partielles et limitées. Pourtant, ces idées complexes convergent d'une certaine façon avec les conceptions métaphysiques antiques ou modernes du Panthéisme qui considère que le Cosmos et sa cause originelle sont confondus dans une seul Être.

"La nature n'est qu'un seul être. (Spinoza)"

 

De nouveaux modèles de l'Univers apparaissent.

Les difficultés rencontrées par les scientifiques pour réaliser une unification réelle des diverses théories cosmogoniques actuelles ont ouvert la voie à diverses idées nouvelles. Une néo-métaphysique connue mais un peu restreinte, est appelée "l'hypothèse Gaïa". Originellement élaborée sur des bases scientifiques, elle ne concerne qu'une partie de notre toute petite planète, la Terre. Elle envisage que la biosphère constituerait un seul et gigantesque organisme animé disposant des mécanismes régulateurs convenables pour assurer les équilibres nécessaires à son autoconservation, c'est-à-dire à sa survie. On constate, tout au moins dans la formulation que j'en ai faite, qu'on reste ici dans le dogme matérialiste et mécanique dont j'ai parlé. À priori, le genre de vie attribuée à la biosphère semblerait être de nature assez automatique, son fonctionnement étant assuré par des auto régulations.   

La recherche de  modèles nouveaux d'univers génère des hypothèses plus générales, relatives au Cosmos entier, et plus strictement scientifiques. Elles tentent d'intégrer différents phénomènes rebelles aux formulations de l'univers einsteinien. Des chercheurs russes ont formulé le concept d'un espace vivant, constitué d'un champ informationnel dont l'énergie temps serait une propriété originelle surgissant partout instantanément. Selon le Pr. Vlail Kaznatcheyev, toute l'évolution de l'Univers procède activement de cet espace vivant cosmique. Pour le Pr. David BOHM, le monde matériel n’est qu’un aspect de la réalité, un hologramme. La matrice qui le génère n’est accessible ni à nos sens, ni à la science. La réalité n’est pas un assemblage d’objets séparés mais un processus de plénitude en état de changement constant. L'espace contiendrait une énorme quantité d’énergie qui engendre le monde phénoménal. Cette transformation qu'il appelle "holomouvement" serait la source même de l'existence et de la vie.

Le physicien philosophe Jean Charon considère que la matière et l'esprit sont les deux faces inséparables du réel. L'univers est un être vivant, jusque dans chacune de ses particules, et il est également raisonnable même si les formes lointaines ou étrangères de cette raison nous échappent généralement. Les choses ne sont que l'image que nous en donne maintenant et actuellement notre esprit, c'est pourquoi notre conscience progresse avec le temps. L'univers nous apparaît ondes ou particules, à la fois continu et discontinu.  Chaque particule (éon) présente à la fois un aspect matériel, actuel, porteur de ses propriétés physiques, et un autre aspect, dans un autre espace-temps, qui porte ses propriétés spirituelles. Comme l'univers, nous serions faits à la fois de matière et d’esprit tout en constituant pourtant une unité, un hologramme du réel.

Une autre théorie propose une structure fractale de l’univers. L’apparent désordre cosmique serait composé, à tous les niveaux, de structures homologues à différentes échelles, emboîtées les unes dans les autres comme des poupées russes. Cet univers fractal serait régi par des lois véritables, celles du hasard et du chaos. La structuration hypothétique du réel sur un mode fractal ne permet pas de présupposer l’existence d’un principe ou d’un modèle de référence qui expliquerait les mystères du monde. L’océan n’attend pas la référence d’une formule pour occuper la ligne mouvante des côtes fractales du continent. C’est bien au contraire le contour fractal qui émerge par lui-même de la rencontre mouvante, hasardeuse et chaotique de la terre et de l’eau. En serait-il de même pour l’univers qui émergerait par lui-même de rencontres inconnues.

Les idées actuelles ont favorisé l'émergence de nouveaux mythes religieux ou l'adaptation des doctrines antiques à la pensée moderne.  Voyez, à ce sujet, Teilhard de Chardin : " Le monde se présente à nous, non pas seulement comme un système en mouvement mais comme un système en état de devenir et de développement, ce qui est tout autre chose ".  On rejoint ici les croyances préchrétiennes. Pour les Egyptiens antiques, l'inanimé n'existait pas,et tout l'univers, y compris l'homme, est la manifestation multiforme de forces plus ou moins conscientes en action dans le Monde. Au début de notre ère et alors que le monothéisme est déjà installé, les néoplatoniciens d'Alexandrie déclarent encore : " les planètes sont les corps des dieux ". (Jamblique). On trouvera également en annexe le rappel des théories hérétiques de Giordano Bruno.

Vous avez trouvé plus haut une citation de Spinoza. Il pensait que Dieu et la Nature sont une seule et même chose et Dieu comprend une infinité de genres d’être. C'est que que pensait déjà Giordano Bruno, brûlé au 16ème siècle. Cette forme de pensée est ce que l'on appelle le Panenthéisme. À notre époque, le mouvement du New Age reprend ces idées. Il est généralement considéré comme holistique, panthéiste et même panenthéiste. Cela veut dire qu'il conçoit l'Homme, le Monde et Dieu de façon globalisante et unitaire, tout étant Dieu, et même tout étant en Dieu, même si ce mot n'est pas toujours utilisé.  Ce point de vue spiritualiste reste un mouvement de fond puissant qui, quoique diffus, demeure aujourd'hui présent et fort influent comme le prouvent  le développement considérable d'écoles de pensée, le nombre de films ou de livres qui prônent les valeurs, les théories et les pratiques qu'il propose, et les pratiques répandues de médecines alternatives.

L'Hypothèse Gaïa.

L'hypothèse Gaïa a été formulée en 1969 par le britannique James Lovelock, chimiste de l'atmosphère, inventeur, et ancien conseiller de la NASA, et par sa collaboratrice, la microbiologiste Lynn Margulis. La biosphère de la Terre, l'énorme masse de matière vivante qui en couvre la surface, constituerait un seul et gigantesque organisme disposant de tous les mécanismes régulateurs convenables pour assurer automatiquement les équilibres planétaires nécessaires à son autosuffisance et à son autoconservation, c'est-à-dire à sa survie. Cette théorie scientifique a secondairement provoqué une vague de réflexions philosophiques et religieuses lorsque l'idéologie écologique atteignit le New Age. Elle a même remis en question les idées courantes concernant l'évolution de la vie terrestre ainsi que le rôle de l'homme dans les changements climatiques et environnementaux.

Qu'est-ce que l'hypothèse Gaïa ?

James Lovelock travaillait pour la NASA au projet Viking qui tentait de déterminer si la vie était possible sur Mars. Il voulait trouver ce qui assurait la persistance de la vie sur Terre. Spécialiste de l'atmosphère, il se convainquit que la cause en était dans la composition de l'atmosphère terrestre et le fragile équilibre de ses composants, oxygène, azote, hydrogène, méthane et autres éléments.

Constatant la permanence de cet équilibre, il en déduisit qu'il se restaurait de lui même et affirma que «l'on peut considérer tout l'éventail de la matière vivante sur Terre, depuis la baleine jusqu'au virus, depuis le chêne jusqu'à l'algue, comme constituant une seule entité vivante, capable de manipuler l'atmosphère terrestre dans le but de répondre à ses besoins globaux et dotée de facultés et de capacités qui se situent bien au-delà de celles de ses parties constituantes» - (Lovelock, 1979: 9).


L'hypothèse Gaïa s'enracine aussi dans les convictions des Amérindiens

Nous sommes une partie de la Terre,
 et elle fait partie de nous.
 Les fleurs parfumées sont nos soeurs.
 Le cerf, le cheval, le grand aigle,
Ce sont nos frères.
 Les crêtes rocheuses,
Les sucs dans les prés,
 La chaleur du poney,
 Eet l'homme,
 tous appartiennent à la même famille.
 Nous savons au moins ceci :
 La Terre n'appartient pas à l'Homme,
 C'est l'Homme qui appartient à la Terre.
 Toutes les choses se tiennent.

                      (Chef Seattle- Tribu Duwamish)   

L'espace vivant et le flux générateur
de David Bohm.

Des chercheurs russes ont imaginé un espace vivant, un champ informationnel dont l'énergie temps serait une propriété surgissant partout instantanément. Selon le professeur Vlail Kaznatcheyev, toute l'évolution de l'Univers, dès le big-bang, prend son origine dans cet espace vivant cosmique. Pour le Pr. David BOHM, le monde matériel n’est qu’un aspect de la réalité et la matrice qui le génère n’est accessible ni à nos sens, ni à la science. David Bohm était un scientifique exceptionnel. Il s'est pourtant mis en marge de la communauté scientifique qui lui semblait  donner plus d'importance à la compétition qu'à la pensée originale. Reconnu cependant comme un scientifique de premier ordre, il attira même l'attention d'Einstein.  S'orientant vers le mysticisme dans les années 50, Bohm s'établit à l'université de Londres. En relation suivie avec KRISNAMURTI et proche ami du Dalaï-Lama, il pressentait que la physique quantique pouvait déboucher sur la découverte de niveaux cachés de la réalité. Pour cet astrophysicien, l’Univers serait un immense hologramme, chacun de ses éléments enfermant l'essence de la totalité de l’Univers. Le Cosmos pourrait être une structure infinie d’ondes où tout est lié à tout, et où être et non-être, esprit et matière, ne seraient que des manifestations différentes d’une seule réalité profonde animée d’un flux permanent de transformations créatrices, la Vie. La mort même pourrait alors être une transformation énergétique et  non pas un anéantissement. Gigantesque illusion, l'univers serait un hologramme.

Après David Bohm, ses concepts ont été élargis et repris dans des disciplines différentes par d'autres chercheurs. Le neurologue K. Pribram, par exemple, a constaté que le cerveau doit recevoir et décoder des masses énormes d'informations. Voir, sentir, entendre sont d'abord des paquets d'ondes que le cerveau doit traiter avant que les résultats de ces calculs complexes soient perçus par la conscience comme étant des images, des odeurs ou des sons réels. Il a alors pensé que ce décodage suivait un processus holographique, permettant à une énorme quantité d’informations d’être stockée dans un volume infime. Le cerveau reconstruirait une " réalité concrète " en interprétant ces signaux et en interposant ensuite des filtres mémoriels pour que notre conscience ne soit pas submergée par les informations. Certains observateurs pensent maintenant que les travaux de David Bohm et de Karl Pribram fournissent un modèle de la conscience humaine qui permet d'explique l'existence des phénomènes paranormaux qui seraient des aperçus d'une réalité plus profonde. Nos cerveaux construiraient une image irréelle du concret et la réalité objective n'existerait pas. Le monde matériel serait bien une illusion, ainsi que la perception de nous-mêmes en tant qu'êtres physiques existant effectivement dans le Monde.

Qu'est-ce qu'un hologramme

Un hologramme est une image tridimensionnelle provenant de l’enregistrement des interférences de deux ondes l’une directement issue d’une source, l’autre ayant été diffusée par l’objet. Très différent d’une photographie, il a l'étonnante propriété que chacune de ses parties puisse reconstituer l’image d'ensemble de l'objet. Dans un hologramme, chaque partie est dans le tout et le tout est dans chaque partie. L’ensemble des informations concernant l’objet est enregistré en chaque point de l’hologramme. Celui-ci peut donc être brisé, chaque morceau conservant sa capacité de reproduction totale. L'hologramme peut également être observé sous plusieurs angles comme l'objet initial, comme dans l'exemple de démonstration accessible par le lien ci-dessous. Cette découverte permet une représentation élargie et nouvelle de la réalité qui est proche de l'idée antique, ésotérique et panthéiste de l'homme à la fois "microcosmos" et "microthéos".

La particule porteuse d'esprit
Jean Emile CHARON

Jean Emile Charon était un physicien français mondialement connu. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, essais et articles scientifiques ou de philosophie scientifique.(L’être et le verbe, L’Ésprit, cet inconnu,  J’ai vécu quinze milliards d’années, Mort voici ta défaite, l’Esprit et la Science, Etc..). Après sa mort, ses dernières notes furent publiées sous forme de testament spirituel sous le titre "Et le divin dans tout ça ?". Il était l'un des physiciens qui se sont mis à parler de l’esprit et de la conscience en disant que nous sommes faits de matière et d’esprit et qu'il est donc nécessaire d’avoir sur le problème de l’Esprit des notions aussi scientifiques que celles que l'on a sur la Matière.

Jean Charon disait que le monde n’est pas inerte et que l’Univers est entièrement vivant. "Je crois que l'Univers est sacré, mais je sens que l’objectif de cet Univers est de se faire connaître d’abord". Sa priorité était d'expliquer comment est faite la Matière, qu'il appelait " la psychomatière ", considérant qu'elle est à la fois matière et esprit. Pour cela, il a proposé un modèle représentant à la fois la partie Matière et la partie Esprit, l'éon, un élément matériel qui serait porteur de l’Esprit et  de la conscience. Il pensait aussi que la vision mécaniste du Monde était en train de changer. On a d'abord pensé le monde créé par Dieu. Ensuite, on a pensé que le monde fait par Dieu était un monde de Matière. On arrive aujourd'hui à l'étape d'un monde fait de Matière et aussi d’Esprit, et l'on découvre que cet Univers est entièrement vivant. "À mon avis,disait-il, c’est la grande découverte de notre époque. On est au sein d’un Univers immense, et c’est un Univers vivant et raisonnable.".

Dans la pensée de Jean Charon, nous sommes faits d’une partie réelle, entropique, qui se défait à la mort, et d’une autre partie, qui est l’esprit, imaginaire au sens mathématique du terme, qu’il qualifie de néguentropique et qui  ne peut pas régresser. Mais il ne faut pas diviser les choses. On est les deux à la fois, matière et esprit, comme tout l'univers. C’est inséparable, et c'est cela l’unité. La mort demeurera un mystère tant qu'on ne saura pas ce qu’est exactement la vie ni comment les particules vivantes se forment jusqu'à constituer un être organisé. À la mort du vivant, il subsiste quelque chose qui rayonne à l’échelle du cosmos entier. Dans ses livres, Jean Charon explique comment il a développé ce modèle, fait à la fois de réel et d’imaginaire, pour faire comprendre que les choses sont à la fois ce qu’elles sont et qu’elles sont aussi leur contraire. Nous vivons dans un Univers contemporain. Le passé reste le passé, le futur reste le futur, mais au présent nous sommes une partie de cet Univers qui a le même âge que nous. Cette position rompt évidemment avec la conception ultra matérialiste du Big Bang et pose l'hypothèse d'un univers en perpétuelle création.

La relativité complexe de Jean Charon, constituerait un prolongement de la relativité générale d'Einstein. Nous voyons qu'elle conduit à un "nouveau modèle" concernant la nature des particules formant toute la matière. Chaque particule, appelée "éon", (électrons et quarks), posséderait à la fois, un "dehors" porteur de ses caractéristiques physiques, et un "dedans" contenant ses propriétés spirituelles et situé dans un autre espace-temps, un espace miroir. Ce micro-univers, rempli de lumière nouménale à néguentropie croissante, présenterait des propriétés psychiques, disposerait d'une liberté de comportement, et mémoriserait de façon cumulative toutes les expériences vécues depuis son origine. Notre mémoire acquise et notre mémoire innée seraient de la sorte accumulées dans les multiples éons constituant notre corps. Notre Soi serait associé au psychisme de ces particules dont certaines, venant d'autres parties de l'univers, existeraient depuis le début du Monde. Toute l'humanité vivrait ainsi en nous.

Chaque éon pourrait être considéré comme un 'hologramme, un reflet, de l'univers entier. C'est en ces éons que notre esprit serait contenu. Les particules étant éternelles, notre esprit existerait depuis le début de l'univers et, après la mort, continuerait à participer à son devenir. Au fur et à mesure de l'évolution de l'univers, avec l'accumulation de l'expérience existentielle et vécue, l'expansion de la mémoire "éonique" construirait une complexité croissante des structures et du psychisme. Les éons conscients piloteraient les transformations physiques, chimiques, organiques et mentales nécessaires, tant à l'intérieur des corps vivants que dans tout l'univers. Tous les éons, les êtres et les choses seraient un jour reliés et en harmonie avec la totalité de l'univers.

Le concept de l'univers fractal

Une autre théorie propose une structure fractale de l’univers.  Il faut nécessairement expliquer rapidement ce que l’on entend par la notion de fractale.  On définit communément une longueur comme une grandeur à une seule dimension, parcourue dans un seul sens. On passe à la surface en y ajoutant une seconde dimension qui est la largeur. De même un volume est caractérisé par trois dimensions. Voyons donc l’exemple de la longueur de la ligne de côte, qui sépare la terre et la mer. Lorsque l’on veut mesurer sa longueur avec une seule dimension, on se trouve confronté à une impossibilité pratique. Quoique l’on ait affaire ici à un élément naturel bien évidemment structuré et organisé, sa longueur change selon l’échelle à laquelle se fait l’examen. Plus on augmente la précision, plus la longueur s’accroît. Plus on tient compte des détails, telles les baies, puis les criques, puis les anfractuosités, le contour des galets et des grains de sable, plus la mesure s’altère et devient imprécise et mouvante. On peut cependant mathématiquement exprimer cette caractéristique en disant que la valeur tend vers un nombre de dimensions plus grand que UN, puisqu’on n’obtient pas une véritable mesure de longueur, mais moins grand que DEUX, puisqu’il ne s’agit pas d’une surface.

Il s’agit donc d’un nombre fractionnaire de       dimensions, d'où l’appellation de " fractal ".

D’une certaine façon, l’apparent désordre cosmique est organisé à tous les niveaux. Il semble composé de structures analogues à différentes échelles, successivement emboîtées les unes dans les autres comme des poupées russes. Comme les côtes de nos océans, cet univers fractal est fini, mais ses limites connaissables semblent à jamais hors de portée. On peut parler des lois hasardeuses du chaos, mais ce ne sont que des mots humains dépourvus de sens réel.  C’est notre seule petite raison humaine qui présuppose l’existence d’un cadre référentiel préalable. La structuration hypothétique du réel sur un mode fractal ne permet aucunement de présupposer l’existence d’un principe ou d’un modèle de référence qui resterait à découvrir pour expliquer les mystères du monde.  Le contour fractal des côtes marines émerge par lui-même de la rencontre mouvante, hasardeuse et chaotique de la terre et de l’eau.


On découvre aujourd’hui que l’univers est probablement à la fois chaotique et fractal.

Les mathématiciens ont découvert de nombreuses formules qui régissent des courbes fractales et les graphistes les utilisent pour générer des images surprenantes qu'on trouve maintenant à profusion sur le web. Ces images  ne sont pas seulement virtuelles. Ce sont des représentations d'objets mathématiques qui participent de la partie invisible de l'univers, habituellement inaccessible à nos sens. Elles sont des fenêtre qui permettent d'entre ouvrir cet aspect caché et d'accéder à un aspect particulier de la Réalité Totale.

Les fractales peuvent être considérées sous leur seul aspect esthétique. Pour cela, des liens vous sont proposés ici et sur la page de liens du site. Mais l'hypothèse d'un univers fractal ouvre aussi sur une dimension métaphysique de grande portée. Si l'univers entier est bâti sur un mode fractal, chaque réalité du monde contient alors une réalité intérieure, à la fois analogue et différente, et elle ouvre aussi sur une réalité plus grande. Chaque chose dans une autre chose, chaque vie dans une autre vie disait le Zohar, à l'origine est le seul mystère. La caractéristique d'une structure fractale est d'être homologue à elle même, en tout point particulier et à toute échelle d'examen, comme une cote maritime ou une montagne. Plus on regarde de près, plus les longueurs ou les surfaces augmentent. Mais la réalité demeure inchangée. La réalité fractale est homologue à elle même, en tout point particulier. Un élément complexe reste complexe et un élément vide reste vide à toute échelle d'examen. L'essentiel des propriétés structurelles est conservé, qu'on les examine en détail ou en général.

Dans cet ordre d'idées, et pour passer de la science à la philosophie, on peut citer Oken, (Ockenfuss), le plus célèbre des philosophes dits "de la nature". Il proposa le concept d'un organisme universel permettant de retrouver dans le monde et la vie les lois de la philosophie transcendantale. Oken essaya de donner à ces idées une rigueur scientifique. Son idée générale est celle d'un panthéisme universel, d'un plan de l'univers réalisant l'unité divine par l'infinité de ses formes. A la base de ce panthéisme systématique préfigurant un univers fractal, on trouve une unité logique divine qui se répète infiniment en se diversifiant jusque dans les plus infimes détails pour constituer le monde matériel. Tous les êtres représentent donc Dieu, (macrocosmique). Et chaque être microcosmique particulier manifeste l'émergence des qualités des êtres supérieurs suivants tout en résumant en lui celles des êtres inférieurs dépassés. Cette continuité est la manifestation de l'activité divine. Dans cette vision, l'oeuvre d'Oken apparaît comme l'application du système de la monadologie de Leibniz au vaste domaine des sciences de la nature.

Le caractère fractal de l'univers pourrait s'étendre à toutes ses propriétés, bien au delà de la physique. Élargissons donc la réflexion et méditons, ( si nous l'osons, car cela va changer notre vision spirituelle  ), sur les implications métaphysiques de l'application de ce concept aux questions relatives à l'existence et au néant, à la vie et la mort, à l'intelligence et à la raison, au bien et au mal, et jusque à l'incarnation humaine et à l'idée de Dieu.Les fractales sont invisiblement liées aux aspects cachés du Monde. Ainsi, les formes étranges des images fractales pourront peut-être faire percevoir intuitivement ces lois mystérieuses et fondamentales à l'oeuvre tout autour de nous. Pour illustrer ces idées, j'ai choisi deux images créées par Kerry Mitchell. Leur auteur m'a permis de vous les présenter et je vous invite à visiter son site qui contient de vraies merveilles.

La théorie des Univers parallèles

La théorie des Univers parallèles ou multiples fut introduite par le physicien américain Hugh Everett en 1957. Il s'agit d'une sorte de réinterprétation de la mécanique quantique qui essaye d'éliminer des problèmes conceptuels comme celui posé par l'expérience du chat de Schrödinger. D'après cette théorie, le chat de Schrödinger ne se trouve pas dans une superposition d'états. Il y a en fait deux chats, l'un vivant, l'autre mort, qui font partie de deux Univers différents. Ceci est possible car, lorsque nous lui imposons le choix entre un chat mort et un chat vivant, l'Univers se divise en deux. Naissent alors deux Univers parallèles qui sont absolument identiques, si ce n'est que l'un contient un chat vivant et l'autre un chat mort. Dans chacun de ces Univers, le chat est dans un état bien défini et le concept un peu absurde d'un animal ni mort ni vivant n'est plus nécessaire.Finalement, lorsque nous ouvrons la boite et observons son contenu, nous sélectionnons l'un des deux Univers qui devient alors notre monde réel. A ce moment, les deux Univers parallèles se découplent et deviennent totalement indépendants l'un de l'autre. Si nous découvrons que le chat est mort, nous pouvons nous rassurer en imaginant qu'il existe un Univers parallèle où le chat est vivant.

Le paradoxe EPR

La théorie des Univers parallèles propose une interprétation élégante du paradoxe EPR qui ne fait pas appel au mystérieux concept de non-séparabilité. Lorsque les deux photons sont émis par l'atome, l'Univers est soumis à un choix quant à leurs directions. Il va donc se diviser en une multitude d'Univers parallèles. Dans chacun de ces Univers, les photons ont des directions bien définies et celles-ci sont opposées pour des raisons de symétrie. Plus tard, lorsque nous capturons l'un des deux photons, nous sélectionnons l'un de ces Univers multiples. Or, dans l'Univers ainsi choisi, la trajectoire de l'autre photon est déjà déterminée à l'avance. Il sera donc détecté dans la direction opposée au premier, sans pour autant avoir besoin d'échanger une quelconque information.

Le choix des constantes fondamentales

La notion d'Univers parallèle permet de réinterpréter le problème de la sélection des constantes fondamentales. Au moment de sa naissance, l'Univers est confronté à de nombreux choix. Il doit par exemple décider de la valeur de la constante de gravitation ou de la masse de l'électron. D'après la théorie de Hugh Everett, l'Univers de divise lors de chacun de ces choix. Naissent ainsi une multitude d'Univers parallèles caractérisés chacun par un ensemble donné de constantes fondamentales.

La grande majorité de ces Univers est incapable de donner naissance à la vie. Certains sont dotés d'une force de gravitation trop intense ou d'une interaction électromagnétique trop faible et ainsi de suite. Néanmoins, une petite fraction de ces Univers se révèle apte au développement de la vie. C'est en particulier le cas du nôtre. En adoptant ce point de vue, le réglage des constantes fondamentales n'a plus rien de miraculeux. La vie n'est pas née car notre Univers unique était réglé de façon magique. Elle est apparue car nous sommes dans l'un des rares Univers parallèles capables de lui donner naissance. Remarquons pour finir que cette interprétation de la mécanique quantique n'est pas unanimement acceptée. Son principal défaut est d'être invérifiable. Elle fait exactement les mêmes prédictions que l'interprétation traditionnelle et il ne sera donc probablement jamais possible de départager les deux points de vue.

© Texte Olivier Esslinger 2003-2005 - Le site d'Olivier Esslinger Reproduction du texte à fins non commerciales autorisée moyennant mention de la source

GIORDANO BRUNO
(1548-1600)

Giordano Bruno est probablement le plus grand penseur du 16e siècle. Il proposa des concepts très nouveaux et très déstabilisants pour l'époque. Ce cosmologue voulait comprendre l’univers physique et concilier l'astronomie de Copernic avec la philosophie néoplatonicienne et mystique de Plotin. Il aboutit alors à une vision panthéiste du Monde, dans laquelle tout est Dieu et Dieu est tout.

Bruno conçoit la matière comme divine, à la façon de Teilhard de Chardin. Annonçant la relativité d'Einstein, il dit qu'il n’y a pas de fixité dans l’Univers infini. C'est le thème central de sa philosophie. Dans l’espace, il n’existe ni lieux privilégiés, ni directions, ni qualités absolues. Son aspect matériel est simplement celui du monde spirituel manifesté, expliqué, " déployé ", alors que le monde divin reste invisible, caché, " implié ". C'est également très proche des théories holographiques de David Bohm.

Dieu et l’Univers, dit Bruno, sont deux aspects de la même et seule réalité qui est la Substance " originelle et universelle, identique pour tout " et pénétrant toute matière. Le monde est un. Cet être unique et éternel, de potentialité infinie, se manifeste par des apparences fugitives et diverses. L’Être, la Nature, Dieu, la matière sont une seule et même chose. Il n’y a pas d’artisan extérieur ou au-dessus. Toutes les choses sont mues par une âme qui vivifie les êtres de l’intérieur et qui contrôle leur nature, leur spontanéité, leur vie.

Cette vision moniste du Monde coûta cher à Bruno. Emprisonné et torturé pendant de longues années, il fût finalement brûlé publiquement après qu'on lui eut arraché cette langue qui avait professé ces "mensonges". Et, avant de le mener au bûcher,, on enfonça dans sa gorge ensanglantée une planchette sur laquelle un écrit rectifiait ses erreurs.

Pourtant, pour Bruno, la vérité est déduite à partir de postulats et de principes intellectuels. Quoique ses idées soient modernes par leur liberté, leur ampleur et leur audace, sa méthode de vérification reste prisonnière de la scolastique médiévale.

Le point de vue spiritualiste

Spinoza pensait que Dieu et la Nature sont une seule et même chose et que Dieu comprend une infinité de genres d’être. Cette forme de pensée va au-delà du panthéisme, c'est ce que l'on appelle le Panenthéisme. À notre époque, et d'une façon générale, le mouvement de pensée du New Age relaie cette pensée. Il est considéré comme holistique, panthéiste et même panenthéiste. Cela veut dire qu'il conçoit l'Homme, le Monde et Dieu de façon globalisante et unitaire, tout étant Dieu, et même tout étant en Dieu. Au delà de tous les aspects illusoires du monde sensible, il n'y a qu'une seule réalité ultime et spirituelle, à l'image du ""brâhman" de l'hindouisme.

Il faut comprendre que cette pensée est en opposition totale avec la pensée religieuse judéo-chrétienne fondamentale qui postule l'absolue séparation du Dieu créateur transcendant et de ses créatures, qu'elles soient spirituelles ou matérielles. Il est évident que ces deux visions sont et demeureront inconciliables. Le Nouvel Âge annonce aussi que l'élévation du niveau de la conscience humaine s'accompagnera de la paix internationale, de la fin du racisme, de la pauvreté, de la maladie, de la faim et de la guerre. C'est la transformation spirituelle propre à chacun des individus qui permettra celle de l'humanité. C'est en changeant soi-même que l'on peut changer le monde car on ne peut changer le tout sans en changer chacune des parties.

Les New Agers estiment que toutes les religions se valent et ne portent généralement sur elles aucun de jugements de valeur. Certains courants de cette libre pensée nouvelle interprètent les mythes chrétiens traditionnels de façon globalisante et panenthéiste en les reliant aux diverses religions antiques ou modernes. Les idéologies théistes, et particulièrement toutes les intolérantes religions dites "du Livre", ont jadis conquis le monde par la parole, mais aussi, et bien trop souvent, par la violence, le fer et le feu. Dans la souffrance des hommes, elles ont remodelé ou même effacé les civilisations millénaires et les pensées antiques et elles ont pour un temps établi leurs empires sur le monde. Il est évident que les idées panthéistes et tolérantes du Nouvel Âge peuvent paraître menacer leurs hégémonies. Nous voyons bien, hélas, que la violence, l'esprit de conquête religieuse et l'intolérance ne demandent qu'à renaître, si même elles ont jamais cessé.

En fait, le New Age constitue le phénomène religieux le plus significatif du 20ème siècle. C'est un mouvement de fond puissant qui, quoique diffus, reste aujourd'hui présent et fort influent comme le prouvent le nombre des ouvrages dans les rayons des librairies spécialisées et les pratiques répandues de médecines alternatives. On constate également un développement considérable d'écoles de pensée, de littératures, de films de cinéma, de programmes télévisés et de sites Web qui prônent les valeurs, les théories et les pratiques qu'il propose. 

Comme la Gnose antique dont il semble incarner un retour, le New Age, est d'abord une libre façon de penser et de regarder le monde. Face aux critiques, il tente parfois de se définir et de se structurer, mais cette démarche est contre sa nature, laquelle est autonome dans son principe même. Le mouvement a donc changé d'aspect mais les idées du New Âge se sont largement répandues dans le Monde et dans l'astral de la Terre. En s'appuyant sur la soif de connaissance et la faim de Dieu qui sommeillent au cœur de chacun, c'est dorénavant dans l'anonymat et le silence qu'elles travaillent à la transformation des hommes.



 

 

CHAPITRE 8

                                        

La vie mystérieuse

 

 

 

Réflexions préliminaires

 

 

 

L'absolu n'a besoin de rien. - Antonin Artaud

 

Connaître, ce n'est point démonter, ni expliquer,
c'est accéder à la vision. -
 Saint-Exupéry
 

Les convictions sont des prisons. - Nietzsche
 

Une âme se mesure à la dimension de son désir.  - Flaubert
 

Dieu n'est qu'un mot rêvé pour expliquer le monde. - Lamartine
 

Il n'y a pas de modèle pour qui cherche ce qu'il n'a jamais vu. - Paul Eluard
 

Toute aventure humaine, quelque singulière qu'elle paraisse,
engage l'humanité entière. -
 Jean-Paul Sartre
 

La plus belle chose que nous puissions éprouver,
 c'est le mystère des choses. -
Albert Einstein
 

Le bien et le mal doivent leur origine à l'abus de quelques erreurs. - Paul Eluard

 

L'homme est libre; mais il trouve sa loi dans sa liberté même. - Simone de Beauvoir
 

La matière est réelle parce qu'elle est une expression de l'esprit. - Marcel Proust

 

Celui qui ne sait pas ce que c'est que la vie,
comment saura-t-il ce que c'est que la mort ? -
Confucius

 

La grande difficulté est de comprendre comment un être,
quel qu'il soit, a des pensées. -
Voltaire
 

La pensée ne commence qu'avec le doute. - Roger Martin du Gard
 

Souviens-toi que chacun ne vit que le présent, cet infiniment petit. - Marc Aurèle

 

La science consiste à oublier ce qu'on croit savoir,
et la sagesse à ne pas s'en soucier. -
 Charles Nodier

 

On pense à partir de ce qu'on écrit et pas le contraire. - Aragon

La vérité est comme le Soleil.
Elle fait tout voir et ne se laisse pas regarder.

Victor Hugo
 

On ne peut oublier le temps qu'en s'en servant. - Baudelaire
 

Ne crois pas que ta vérité puisse être trouvée par quelque autre. - André Gide

La vie est un travail qu'il faut faire.  Alain

 

 

Autres citations métaphysiques

En général nous avons des possessions parce qu'en dehors d'elles nous n'avons rien : nous sommes des coques vides, nous ne possédons pas. Nous remplissons nos vies de meubles, de musique, de connaissances, de ceci ou cela. Et cette coque fait beaucoup de bruit, et ce bruit nous l'appelons vivre, et avec cela nous sommes satisfaits.

 

Jiddu Krishnamurti

 

 

Le beaucoup savoir apporte l'occasion de plus douter.

 

 Montaigne - Extrait des Essais 

 


 

Mon corps est-il « moi » ? Il est silencieux et inerte, mais je sens la pleine force de ma personnalité, et j'entends même la voix du « moi » au fond de mon être. Je suis donc un esprit  qui transcende le corps. Le corps meurt, mais l'esprit, transcendant le corps, ne peut être touché par la mort. Ce qui veut dire que je suis un esprit immortel.

 

Ramana Maharshi - Philosophe et mystique hindou.

 

 

L'âme est aussi un feu magique, et son image ou forme est créée dans la lumière (par la force de son propre feu et de sa propre lumière) émanant du feu magique; et pourtant celle-ci est une image véritable de chair et de sang, mais non pas dans son état original.

 

 Jacob Boehme - Gnostique Chrétien
(Du Sang et de l'Eau de l'Âme) 

 

 

L'Esprit se réfléchit dans le mental et dans tout. C’est la lumière de l’esprit qui rend le mental sensible. Tout est expression de l’Esprit; les entendements sont autant de miroirs. Ce que vous appelez amour, crainte, haine, vertu et vice ne sont que des réflexions de l’Esprit. Lorsque le miroir est défectueux, l’image est mauvaise.

 

Vivekânanda - (Jnana Yoga, notes d’une causerie).


 

Origine du concept d'un créateur divin

 

De tous temps, en tous lieux,
 les hommes se sont posés les  mêmes questions.
D'où venons-nous et où allons nous ?
 Pourquoi l'existence et non pas le néant ?
Notre vie a-t-elle un sens et lequel ?
Qu'est-ce que la vie, où conduit la mort ?
Qu'en est-t-il du bien et du mal ?

Aux tout petits hommes que nous sommes, la vie, le monde, l'univers entier, se présentent à nos yeux avec des structures imbriquées et des fonctionnalités mystérieusement organisées d'une façon tellement admirable qu'elles semblent avoir été pensées, voulues et mises en place par un organisateur suprêmement adroit et intelligent. Et pourtant, les questions essentielles restent posées. Certains d'entre nous ont tenté d'y apporter des réponses à l'aide de la science, de la philosophie, ou de la religion. Les savants ont fait des mesures et des calculs et ils ont proposé des théories toujours provisoires. Les philosophes ont réfléchi et médité et ils ont élaboré des hypothèses contradictoires. Les religieux ont écouté les révélations de leurs coeurs et les paroles des prophètes et ils ont ritualisé des doctrines innombrables.

Généralement, dans la vie courante, les hommes ne s'attardent guère sur ces difficultés. Les réponses traditionnelles que les chercheurs proposent leur conviennent. Il suffit qu'elles s'inscrivent de façon acceptable dans le cadre mental que leurs organes sensoriels ont construit pour présenter à leur conscience une image compréhensible du Monde. Là est le vrai problème. Parce que les hommes désirent tout comprendre, il leur est nécessaire de bâtir une représentation intelligible de tous les aspects et de tous les facteurs inhérents à l'existence, l'espace, la vie, le destin, le passé, l'avenir, l'origine et les fins dernières. Ainsi se profile la trame de tous les mythes racontant le début et la fin de cette Terre, la création des choses, des vivants et des hommes, ou, par exemple, l'hypothèse de la faute à expier pour expliquer la mort, et la promesse d'un rachat pour l'espérance d'un bonheur sans fin.

Tout cela n'étant pas à la portée des perceptions des petits hommes, il faut bien imaginer cet organisateur du monde, lui  donner forme et le dénommer. Le plus souvent, on parlera d'un dieu ou de plusieurs, ou du hasard et du chaos, ou même des fluctuations d'un vide originel. Il y a beaucoup d'images possibles, mais peu de possibilités structurellement raisonnables. En effet, ou bien la cause originelle est extérieure au monde, ou bien elle est dans le monde. Or, il ne semble pas actuellement possible, expérimentalement ou rationnellement, de trancher. On peut choisir de croire en l'une ou l'autre hypothèse avec des arguments scientifiques ou métaphysiques, mais c'est fondamentalement un choix, un acte de foi, dont la motivation est le plus souvent culturelle. Une autre attitude est d'accepter humblement de faire face au Mystère. Alors, pour le penseur qui fait ce choix, ce Mystère immense va devenir l'unique réalité.


Le bagage historique et culturel

 

Tu as entendu dire que l’on pouvait voler avec des ailes, mais non que l’on puisse voler sans ailes.
 Tu as entendu dire que l’on peut savoir avec l’intelligence, mais non que l’on puisse savoir sans l’intelligence.

Zhuangzi - co-fondateur présumé du Taoïsme

 

Venons-en d'abord au travail exploratoire des scientifiques.  Sans revenir sur les théories dépassées, nous disposons, au stade actuel, de représentations du Monde inintelligibles pour le commun des mortels. L'écoulement du temps depuis son origine s'exprime en milliards d'années. Ceci qui ne dit rien à l'homme ordinaire, non plus que l'étendue d'un espace en perpétuelle et hypothétique expansion. Comment représenter un continuum universel avec de nombreuses dimensions repliées sur elles mêmes si ce n'est par des expressions mathématiques absconses. La cosmogonie scientifique ne concerne pourtant que les aspects purement physiques de l'univers matériel actuel. Les natures de la vie et du psychisme, entre autres inconnues,  ne sont pas encore théorisées. La science n'imagine guère la nature de ce qui pouvait être avant l'apparition de la matière et du temps. Elle entrevoit un éventuel "milieu" d'énergie pure, un vide équilibré agité de fluctuations aléatoires, une entité perpétuelle énigmatique, épisodiquement instable, donnant naissance à l'univers. Pour l'instant, l'approche purement scientifique ne répond guère à nos questions ordinaires.
Rappelons que dans le cadre métaphysique, l'homme inventa d'abord le culte des ancêtres et des dieux qu'il plaça dans la nature. Les Égyptiens apportèrent les idées de vie éternelle et de multiplicité des enveloppes humaines. Les antiques "Upanishad" de l'Inde enseignaient déjà  l'immortalité du Soi, la réincarnation et le Karma, et la séparation entre la matière et l'esprit. En Israël, l'évolution de la pensée transforma progressivement le couple tribal Yahô-Anat en un Dieu unique YHWH, extérieur et créateur du Monde, donnant ensuite à l'homme liberté et responsabilité.  En Perse, on divisa le monde d'Ahura-Mazda entre Lumière et Ténèbres, Bien et Mal. En Chine, le manque d'amour devint la cause première du mal. En ces temps où la philosophie et la science ne se distinguaient guère, les philosophes grecs firent de l'esprit, la cause première d'un univers immuable et vivant. Ils inventèrent aussi les notions de principe et d'illimité, et bien d'autres choses dont la rondeur de la Terre et l'atome. Platon distingua le monde essentiel des formes du monde existentiel des manifestations. Aristote voulut les réunir, et les Stoïciens affirmèrent leur scepticisme en commençant à douter du vrai pouvoir des dieux.

Au cours des siècles suivants, les chercheurs ont beaucoup travaillé sur toutes ces idées qu'ils ont reformulé de bien des façons jusqu'à servir de base à de nombreux développements philosophiques tout autant qu'à l'apparitions des doctrines de nouvelles religions. Le Christianisme se sépara du Judaïsme traditionnel tandis que les divers cultes antiques glissaient des cultes à mystères jusqu'au syncrétisme gnostique. Le Judaïsme se maintint face à l'Islam naissant. Tous les impérialismes idéologiques engagèrent des luttes de conquête acharnées. Le Christianisme s'imposa en Europe et l'Islam conquit le Moyen Orient. La philosophie se confondit souvent avec la théologie. Les civilisations mésoaméricaines furent détruites. Le contrôle de la pensée s'exacerba et devient inquisitorial pour longtemps. La métaphysique innovante fût parfois un exercice rare et périlleux et l'on brûla, entre autres, Giordano Bruno en 1600.  De terribles guerres de religion ravagèrent l'Europe, dépeuplant des régions entières jusqu'au 17ème siècle. Même en 1766, au siècle dit "des lumières", le chevalier de la Barre fut torturé puis brûlé après qu'on lui eut arraché la langue, comme Bruno,  pour avoir gardé son chapeau devant une procession de capucins.

Que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime mieux obéir à Dieu qu'aux hommes,  et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?

 (VOLTAIRE - Dictionnaire philosophique, article Fanatisme)

Malgré tous ces dangers, la pensée occidentale se libéra peu à peu des carcans scolastiques. De la "Renaissance" jusqu'à nos jours, de Leonard de Vinci à Victor Hugo, de nouveaux créateurs transformèrent les arts et les lettres. Après Descartes, Pascal, Leibniz ou Spinoza, des chercheurs tels Voltaire, Diderot et d'Alembert présentèrent des conceptions variées de Dieu et rédigèrent leur Grande Encyclopédie. La représentation de l'univers changea, ouvrant vers une nouvelle compréhension du Monde.  Dans cette liberté recréée, les nouveaux penseurs, les philosophes et les scientifiques modernes bâtirent cette image du Monde que nous connaissons. Il n'est plus maintenant possible de d'exposer brièvement l'étendue actuelle du savoir humain, mais on peut encore prendre conscience de ses limites. Comprenons déjà que le réel demeure voilé, pour bien longtemps encore, et les sciences d'aujourd'hui restent liées à la métaphysique et à la  spiritualité.

Il est important de constater le très grand nombre de théories scientifiques, de mythes cosmogoniques, de philosophies passionnantes et de doctrines religieuses attachantes qui sont apparues au cours des âges. Elles ont brillé pour un temps, puis elles ont été remplacées. Mais, sans que nous en ayons conscience, comme un bagage habituel que l'on croit indispensable, dans les recoins secrets de notre cerveau, elles demeurent et marquent à chaque instant toutes nos pensées et nos comportements. Pouvons-nous poser enfin ce bagage ?


 

 

 

 

CHAPITRE 9



Amour et Désir chez les Théosophes

 

 

 

L’Amour, ce mot merveilleux est souvent utilisé de façon instinctive sans que nous ayons réellement réfléchi à la signification qu’il doit prendre dans notre propos d’homme véritablement éveillé. Je proposerai donc plusieurs textes successifs et indépendants pour élargir progressivement le contexte de réflexion. Une façon première d'approcher la question consiste à comparer l'évolution de l'amour à la croissance de l'homme, à la façon des anciens Grecs. A son début, l'amour n'est que désir et se borne à vouloir prendre. Plus tard, il commence à partager et l'on peut espérer qu'il ne soit plus un jour que don total.

 

 

Une première approche se fonde sur l’acquisition progressive de la sagesse du cœur. La réflexion sur les différents sens du merveilleux mot "Amour", repose sur une comparaison avec un être en évolution passant par des âges successifs. Pourtant, même dans ce bas monde temporel de la dialectique, comprenons que tout être procède de l'Unique Origine, et que tout être participe donc, d’une quelconque façon, à la vivante réalité suprême.

 

Les trois âges de l'Amour

 

 

Le premier âge de l'amour ressemble au premier âge de l'enfant.  Au début, il n'a pas conscience de ce qui se passe. Il a besoin de nourriture et il en reçoit de ses parents, jusqu'à satiété. Et puis, à un moment donné, parfois très tardivement, il prend conscience qu'il est nourri. Il comprend un jour que cette nourriture est un don gratuit fait par quelqu'un qui l'aime. Avec cette prise de conscience du grand don de vie, quelque chose de nouveau naît. Á ce niveau, le chercheur de vérité prend conscience qu'une nourriture spirituelle lui est aussi donnée, et qu'il peut maintenant inspirer le souffle de l'Esprit Divin.  C'est le temps de l'Incarnation.

 

Le second âge de l'amour est plus tardif et souvent plus durable.  L'enfant se nourrit vraiment longtemps des dons parentaux, et la situation peut lui paraître naturellement pérenne. Mais un travail se fait en secret, au fil du temps et au fond du cœur, pour modifier ce point de vue. La conscience mûrit lentement et un nouvel éveil se produit. L'enfant devient un jour adolescent. Il sait dorénavant qu'il a des amis et des frères, et il partage plus volontiers ce qu'il reçoit. Le chercheur comprend alors qu'il ne peut plus seulement inspirer le souffle de l'Esprit. Devenu prêtre, il doit aussi maintenant l'expirer au bénéfice d'autrui. C'est le temps de l'Initiation.

 

Le troisième âge de l'amour reste à venir pour la plupart des hommes.  Ce n'est plus l'âge du partage mais celui du don sans retour. C’est l’âge adulte des fils divins qui répandent ensemble, dans tout l’univers et tout à la fois, les lumières de la conscience, les immenses forces de la vie, et les grâces infinies de l’Amour. Ces dons qu’ils répandent, c’est maintenant en eux-mêmes, dans la nature de leur filiation divine, qu’ils les puisent. Dans notre conception trinitaire et chrétienne du Monde, c’est alors que se confondent, en chaque être accompli, le Père, le Fils et l’Esprit, dont le même souffle anime éternellement tous les êtres vivants. C'est le temps de la Divinisation.

 

L'Amour et l'Homme incréé

 

Chez les Théosophes, un second mode d’approfondissement ouvre la réflexion sur la place de l’Esprit au sein de cette Unicité divine qu’il est important de maintenir constamment présente dans le champ de la pensée, quoique le développement analytique de celle-ci nécessite d’en éclater les aspects, (par exemple de façon dualiste ou  trinitaire).

 

 

L'Homme incréé, seul l'Esprit Incréé peut l'engendrer.

En décrivant de façon trinitaire les aspects du Monde, il faut insister sur l'unité indissociable qui réunit les trois images conceptuelles utilisées. Il est important est de comprendre que cette pensée postule fondamentalement l'unité absolue du Monde, de l'atome à l'univers, du créateur à la créature, de l'origine aux fins ultimes, et de l'individu à l'humanité entière. L’intellect humain fonctionne en fragmentant les choses pour en examiner séparément les aspects. Mais il n'existe qu'une seule et unique réalité, unissant l'Homme, l'Univers, et Dieu. Tous les autres aspects du Monde sont illusoires, et la personnalité individuelle s'inscrit toujours dans l'unité de l'humanité entière. Selon la pensée panthéiste banalisée par les Théosophes du début du siècle, Steiner, Heindel, Blawatski, et autres, c'est en lui-même, qu'à l'origine, ce Dieu unique différencie les mondes et les esprits vierges qui vont expérimenter la matière. C’est une expérience difficile, mais l'éternité est disponible. Les esprits inconscients vont d’abord s'enfoncer dans le chaos originel. Au cours de cette lente descente, l'émergence de la vie dans la matière inerte, puis celle de la conscience dans les corps vivants devraient permettre de réaliser progressivement l'Idée divine, l'incarnation des esprits dans des corps matériels vivants, des "Microcosmes", bâtis au modèle de l'Univers.

Mais les expériences sont variées et parfois périlleuses. Originellement libres, certains esprits vont s'égarer, dont ceux des hommes. Alors se forme le Monde que nous connaissons, le monde "dialectique" des Gnostiques, régi par l'opposition des contraires. Et il faudra que chaque esprit immortel, emprisonné dans un corps mortel, se délivre de ses chaînes matérielles, de ses cristallisations, de son karma personnel et ancestral, pour reprendre librement le chemin de l'incarnation spirituelle, la reconstruction de son propre "Microcosme", véritable réalité de son être personnel, tel que pensé et voulu pour lui seul, de toute éternité, par Dieu, au sein de la globalité humaine. Il est ici utile d’examiner ce concept d’idée divine, sans oublier que nous essayons de comprendre ce que sont l’Esprit et l’Amour. L’acte de création n’est pas encore un acte d’amour. Les Néoplatoniciens avaient compris que la force créatrice consiste en un retournement de l’être vers lui-même. Partant du créateur, l’acte créateur en produit une sorte de reflet. C’est ce reflet de lui-même qui relie le créateur à l’objet créé. Ainsi, les Hermétistes égyptiens enseignaient qu’à l’origine, l’Homme, enfant divin fait à l’image du Père, se pencha sur la Nature et vit sa propre image reflétée dans les eaux. Ébloui par cette beauté, il l’attribua à la Nature, l’aima, et se perdit en elle.

 

Parlons maintenant de l’Amour spirituel, une manifestation particulière de la divinité unique que nous considérons cependant humainement de façon ternaire. Pour les panthéistes chrétiens, l'éternel Esprit des origines est donc incréé. C’est "l'Amour Même" qui s'exprime en donnant vie et connaissance, et ce don éternel ne peut se réaliser dans la solitude. Cela le différencie de l’acte créateur. Puisqu’il ne peut se retourner vers Soi-même, l'Esprit divin engendre nécessairement "l'Autre". Non pas créé, mais engendré par cet Esprit d'amour, l'Homme spirituel immortel est une conscience vivante qui rayonne naturellement la force de la vie et la clarté de la connaissance. Engendré par l’Esprit, l'Homme originel est immortel. Incréé mais associé à un corps biologique naturel, il doit réaliser, dans la vie terrestre, la transmutation du corruptible en incorruptible, du plomb vil en or pur. Dans l’amour, la Divinité descend de l'Esprit pur vers chaque homme, en revêtant la matière, et dans l’amour, l'Homme s'élève de sa corporéité vers Dieu, en libérant sa propre nature divine. Cette perspective détermine l'orientation majeure du travail intérieur des Gnostiques. Conscients de leur double nature, ils associent l'ardeur de l'amour insufflé par l'Esprit divin intérieur à la douceur de la compassion puisée dans leur périssable nature humaine.

 

La troisième approche proposée est encore plus complexe au niveau métaphysique. Il s’agit ici d’explorer des domaines mentaux plus fondamentaux intégrant l’influence des acquis culturels sur les fondements de l’inconscient humain.

 

 

La naissance de l’Autre dans l'Esprit

 

 

Nous savons que l’Homme, comme tous les vivants, est un être de désir. Ses comportements visent fondamentalement à satisfaire ses appétits dont la source la plus profonde est finalement un besoin d’éternité. Dans cette recherche, l’autre apparaît comme un moyen pour y parvenir. Cet « autre » est généralement perçu comme « objet » supportant la projection du désir qu’il peut potentiellement satisfaire. Précisons ici que la nature des appétits évoqués est multiple, (conservation ou reproduction évidemment, mais aussi avidité, pouvoir, volonté de puissance et autres). Lorsqu’elle existe, la relation à l’autre s’établit donc d’abord comme un rapport de désirant à désiré. Cette perception s’assimile à un acte créateur. Le désirant construit dans son mental, éventuellement à son insu, une image de l’autre limitée à son éventuelle utilité. Même lorsque cette perception s’établit dans le cadre d’une relation amoureuse, elle se fonde encore sur la base plus ou moins consciente de la satisfaction pressentie du désir. Le sujet effectue donc bien un retournement sur lui-même. Il projette en effet les caractères de ses attentes personnelles sur l’autre, et il le voit comme un moyen de les satisfaire. En cela, il le crée en lui, (au plan imaginaire), comme un « objet » dont il est « sujet », gouvernant l’activité. Á ce niveau, il n’y a pas de place pour l’amour.

 

Tous les vivants terrestres en sont à ce point d’incarnation de l’âme dans la matière, y compris l’homme naturel. Les comportements altruistes peuvent faire illusion, mais ce sont des exigences induites par les instincts de survie collective propres à l’espèce humaine comme aux autres animaux. Au niveau d’une analyse intellectuelle intègre de l’Univers, nous devons considérer qu’une cause première inexorable a créé, en reflet d’elle même, l’existence, puis la vie, puis l’intelligence. Cet âpre premier état de création révèle un aspect fondamentalement violent de la Force initiale mystérieuse que nous appelons « Dieu » en alléguant qu’elle a produit l’Homme et le Monde. Nous constatons que l’irrésistible violence de cette force créatrice s’exerce aussi dans le cosmos, et son ardeur semble universelle. Notre culture répugne à ce terrible concept d’un dieu en adéquation avec l’observation, et elle en renvoie la source vers d’autres causes, (polythéisme, Satan, péché d’Adam, etc..). Dans les limites humaines d’une réflexion libérée, nous pourrions considérer que cette rudesse caractériserait un premier aspect d’une entité divine bipolaire. Une infinie douceur équilibrerait cette rigueur par un second aspect d’importance équivalente. On pourrait être tenté d’y voir deux faces « mâle » et « femelle » de Dieu. C’est une approche anthropique inadaptée.

 

Un second aspect universel apparaît donc dans notre représentation mentale fragmentaire de l’Être, le concept d’un immense « Esprit d’Amour ». Cet aspect de l’Être ne crée aucun objet en reflet de lui-même, mais il engendre. Cet "Amour Même" ne peut pas se retourner sur lui-même. Il en naît nécessairement « l’Autre », non plus seulement à l’image du créateur, mais à la ressemblance du géniteur. Entre les deux faces divines, la différence est essentielle. Fils et filles de l’Esprit, tous ces « Autres », (dont les Hommes), ont hérité de Sa nature. Ce sont des « sujets » gouvernant librement leurs destins, des esprits incréés éternels associés à des corps créés matériels et périssables. Né de l’Esprit, en cet aspect, l’Homme agit librement comme l’enfant agit séparément de ses parents. Il peut choisir le Bien ou le Mal, la libération du karma ou le servage. Á chaque âme engendrée, l’Esprit confère sa divine essence et « l’altérité » qui toujours manque à la simple créature « objet ». Cette filiation spirituelle nous oblige à reconnaître l’altérité des autres hommes et leur faculté de refuser d’être « objets » d’un quelconque désir. Alors, ils naissent « autres» dans notre mental, et la fraternité apparaît dans l’universel Esprit. Fils et Filles de « l’Amour Même », nous ne sommes pas ce « Père ». Nous sommes « autres » mais nous l’accompagnons sur son chemin d’éternité.

 

La pensée théosophiste a été publiée au début du vingtième siècle. La dernière approche de cette étude propose d'en tenter une reformulation en l'accordant avec les avancées récentes de la science afin de l'éclairer à la lumière des concepts actuels.

 

Essai de reformulation théosophiste

 

Les concepts philosophiques nés dans la Grèce antique constituent encore aujourd'hui les bases de notre civilisation occidentale. Le système de Platon, par exemple, synthétise plusieurs doctrines comme celles de Socrate, d’Héraclite, de Parménide, et de Pythagore. Il prétend que les êtres perpétuellement changeants qui peuplent notre monde sont des copies impermanentes de modèles universels, fixes et immuables, situés le Monde invisible des "Formes" ou des "Idées", lesquelles existent par et en elles-mêmes. Les âmes les ont aperçues, à l’origine, et en ont gardé réminiscence. Même prisonnières de corps matériels impurs, les âmes éternelles peuvent reconnaître les pures "Idées" dont elles ont souvenir, et elles désirent escalader le ciel pour retourner les contempler. Citons aussi Démocrite qui pensait que la nature, née du hasard et de la nécessité, était éternelle, incréée, et sans finalité, et qui appela l’homme Microcosme. Puis s'établit un concept assimilant l'être humain à un résumé complet du Cosmos, (Macrocosme), avec une corrélation parfaite entre les parties. C'est le Microcosme des Théosophes.

 

La métaphysique des Théosophes, des Anthroposophes, et celle des Rose Croix de Max Heindel, postulent qu'à l'origine, le "Grand Être", ou "Monade universelle", différencie, en soi-même, non pas hors de soi-même, des vagues de vie spirituelles, des légions successives d'esprits inexpérimentés. Reflets du Grand Être, ces "monades" individuelles peuvent accéder à la conscience de leur nature divine en expérimentant la réalité. (Leibniz en fait des entités essentielles individualisées "sans fenêtres", douées d'appétits, de perceptions et de  mémoire). Elles doivent traverser des cycles cosmiques en commençant par s'incarner dans la matière dense. Pendant cette "Involution", la monade accède à la conscience de soi et élabore l'appareil de manifestation de son individualité. Lorsque le point bas, le nadir de la matérialité, est atteint, la monade a complété son exploration du Monde. Elle a pris conscience de sa véritable nature et la seconde période commence. Cette "Évolution" nécessite un changement d'état. Elle va lui permettre de remonter progressivement vers l'omniscience divine en développant sa propre réalité.

 

Comme tous les initiateurs, les Théosophes ont bâti des doctrines complexes pour communiquer leurs intuitions. Ce n'est pas l'objet de cette étude qui porte sur les fondements. La Gnose était à l'origine une façon de penser le Monde et s'accordait parfaitement avec les religions. La persécution regroupa les Gnostiques, les amenant à formaliser leurs convictions. Ils furent les premiers théologiens de la Chrétienté. Ils enseignent encore que le moi spirituel humain (inconscient) est une partie altérée de Dieu emprisonnée dans la matière. Mais l’Homme peut devenir conscient de son essence divine. La révélation gnostique n'est pas acquise par la raison  mais donnée par un appel intérieur de l'Esprit. Elle énonce que l'esprit humain s'incarne dans la chair, (involution), et y demeure tant qu'il n'a pas compris sa nature véritable. Il remonte ensuite vers la divinité, (évolution). D'autres concepts s'ajoutent. Le Monde résulterait de l'union des contraires, tels l'Univers et le Néant, la Vie et la Mort, le Bien et le Mal, le Positif et le Négatif, etc.. On retrouve ces fondements dans la pensée gnostique.

 

Il est donc conséquent que les Théosophes distinguent deux aspects antagonistes dans les fondements du Monde, et que les groupes religieux qui en sont issus professent le dualisme de la Création. Cependant, dans le cadre panthéiste général qui caractérise la Gnose, il n'existe qu'une seule réalité ultime. C'est la perception humaine qui en oppose les différentes manifestations. Au nadir de l'incarnation, la prise de conscience doit faire disparaître ces oppositions illusoires. Avec l'acquisition de l'intellect, l'Homme microcosmique semble approcher de ce point. L'intellect permet de découvrir ce qui est caché à partir de ce qui est connu. Dans l'expérimentation de la matière, il reste encore beaucoup de mystères. Ici et dans cet essai, nous utiliserons l'intellect pour éclairer cet inconnu à la lumière des concepts théosophistes gnostiques. On pourrait légitimement choisir d'autres méthodes ou éclairages. Cependant, dans la recherche sincère de l'unité de son être, le chercheur solitaire doit se libérer des à prioris doctrinaux. Sa démarche doit donc aussi accepter d'intégrer intelligemment l'observable.

 

 

Évangile de Marie-Madeleine - L'intellect

 


Pierre dit à Marie: "Soeur, nous savons que le Maître t'a aimée différemment des autres femmes. Dis-nous les paroles qu'Il t'a dites, dont tu te souviens et dont nous n'avons pas la connaissance...".

 

Marie leur dit : "Ce qui ne vous a pas été donné d'entendre, je vais vous le dire: j'ai eu une vision du Maître, et je Lui ai dit: «Seigneur, je Te vois aujourd'hui dans cette apparition».  II répondit : «Bienheureuse, toi qui ne te troubles pas à ma vue. Là où est l'intellect, là est le trésor.»  Alors, je Lui dis: «Seigneur, dans l'instant, celui qui contemple Ton apparition, est-ce par l'âme qu'il voit ? Ou par l'esprit ?». Le Maître répondit: Ni par l'âme ni par l'esprit ; mais l'intellect étant entre les deux, c'est lui qui voit et c'est lui qui [...] (révèle ?)»

 

L'évangile de Marie-Madeleine, (1er texte du codex de Berlin), est un texte gnostique des apocryphes du Nouveau Testament, découvert en 1896 à Akhmin en Égypte dans une tombe chrétienne. Il est écrit dans un dialecte copte et sa traduction ne s'est achevée que vers 1950.

 

Á l'origine, disent les Théosophes, le Grand Être (Dieu) différencie en lui-même des vagues successives d'esprits vierges qui s'incarnent pour expérimenter la matière. Dans cette l'involution, ils prennent conscience de leur nature, véritable puis évoluent vers l'état divin. Dans le présent, ils en sont à des degrés différents de réalisation, et certains commencent l'involution quand d'autres ont terminé l'évolution. L'état du Monde et celui de l'Homme reflètent cette situation. Les novices du chaos tentent de construire les instruments adéquats, (les corps vivants). Les plus compétents peuvent intervenir pour les aider. Ainsi en est-il également sous notre Soleil. Á l'origine, des esprits y ont commencé l'exploration en transformant la matière inerte en matière vivante. C'est dans le pouvoir de leur nature divine. Les vivants ne sont pas les produits de la création, ils en sont les outils. Mais les esprits organisateurs agissent avec les moyens et dans le champ qu'ils maîtrisent. Dans l'involution, les moyens sont des corps dotés d'âmes, et le champ  d'action est la Force de vie dont le grand moteur est le Désir.

 

Les corps animés sont donc les appareils biologiques, "les véhicules", que les esprits construisent pour expérimenter la matière. En ce qui concerne notre la vague de vie, lorsque la planète Terre a été suffisamment refroidie, ce travail de construction a entrepris la production de molécules auto-réplicantes. Ces éléments furent contenus dans des alvéoles isolées évoluant en cellules fermées contenant des chromosomes indépendants capables d'en mémoriser et d'en piloter la structure. L'ARN puis l'ADN furent inventés. Les vivants appareils transformèrent la Terre, se multipliant en épuisant les éléments naturels constitutifs des protéines. Stoppés sur le chemin, les monades firent alors des choix terribles, inventant la gueule et les membres, les dents et les griffes, la prédation et la mort. Puis vint la conquête des eaux et de  la terre, avec l'invention des poissons et des batraciens, des reptiles et des dinosaures, des oiseaux et des mammifères, et celle de l'Homme, la plus récente,

Fondamentalement, les activités, les comportements de tous ces êtres sont  établis sur une immense variété de peurs et de désirs

 

La Théosophie dit qu'en ce monde, les monades construisent des véhicules pour explorer la matière. Ces appareils biologiques sont les corps vivants. Ils sont progressivement perfectionnés grâce à des moyens divers comme les lois de l'hérédité et de la sélection. Ce travail est en cours depuis plus de deux milliards d'années, mais le temps n'a pas de valeur. C'est une immense illusion. Le temps apparaît quand quelqu'un regarde une pendule. Avant que la conscience naisse dans l'Homme, personne ne regardait aucune pendule. Le temps est une perception de l'âme liée au déploiement de la conscience. Il en est d'ailleurs atrocement de même de la souffrance et de la mort. Le fauve ne se soucie pas de ce qu'il inflige à sa proie. Il se procure simplement les protéines dont il a besoin. Mais dans l'âme humaine, à notre niveau d'involution, un début de compassion commence à apparaître. L'espèce reste cependant prédatrice, exploitant la chair animale et la misère humaine. Bien des esprits, enfermés dans leur immaturité, demeurent primitifs. Chez quelques autres, naît une faculté nouvelle.

 



 

 

 

CHAPITRE 10

                                        

Krishnamurti et l’inconcevable »Othernesss »

 

 

Introduction

 

Jiddu Krishnamurti naquit en 1895 à Madanapalle aux Indes anglaises dans une famille de la caste des brahmanes. Il était le huitième enfant et reçut le nom de Krishnamurti signifiant en sanscrit "la forme, ou la manifestation de Krisna". De de santé fragile, il avait 10 ans quant mourut sa mère. En 1909, à 14 ans, à Adyar, avec son frère Nityananda, il recontra  C.W. Leadbeater un membre de la Société théosophique, qui employait son père. Leadbeater prétendit avoir découvert que la destinée du garçon était d'être sur terre le véhicule de l’« instructeur du monde », le « Lord Maitreya » que les Théosophes attendaient. Afin de réaliser ce projet, Leadbeater et d'Annie Besant (qui dirigeaient à cette époque la Société Théosophique), obtinrent du père  que la garde légale des deux enfants leur soit confiée, et, pour protéger son identité gardée secrète, Krisnamurti fut  appelé « Alcyone ». En 1911, Annie Besant emmena Krishnamurti et son frère à Londres où il rencontra des personnes qui prirent en charge l'éducation et l'occidentalisation des deux frères. Il aurait vécu en 1922, une expérience « transformatrice » qu'il baptisa "the process" « le processus » qu'il qualifia lui-même d'éveil spirituel, et qui semble avoir changé sa vie. Il dit avoir alors ressenti une « Présence », une « bénédiction », une « immensité », un « état Autre » (Otherness) et un sens du « sacré » auxquels il fit souvent référence en ces termes dans son enseignement, en particulier dans ses « carnets » et qu'il évoqua tout au long de sa vie. En 1925, la mort de son frère l'ébranla fortement, et  il commença à contester les directives reçues jusqu'à décider, en août 1929, de dissoudre l'organisation mondiale, établie en 1913, pour le soutenir et qui avait été appelée « l'Ordre de l'Étoile du Matin ».  Il se mit alors à voyager à travers le monde pour exposer avec un grand succès ses idées qui l'opposaient aux religions et à tous les gourous. À partir de 1950, il vécut en partie à Paris, et en 1953,  son premier ouvrage y fut publié En 1980, il redéfinit les grandes lignes de sa philosophie dans une déclaration connue sous le nom « le cœur des enseignements ». Il affirma à son entourage que son expérience intérieure, le fameux « processus », avait avait pris une force nouvelle, que ce mouvement avait atteint la « source de toute énergie » et qu'il ne restait en lui qu'«un espace incroyable et une immense beauté ». En 1981, à la suite d'une grippe,  il commença à évoquer le thème de la mort dans ses écrits et ses conférences, mais continua à donner environ 120 conférences par an jusqu'à sa mort. Son mode de vie était austère et rigoureux, il ne fumait pas, ne buvait pas d'alcool ni de café et faisait un exercice physique régulier. À 90 ans, il s’adressa aux Nations unies au sujet de la paix et de la conscience et  reçut la Médaille de Paix de l'ONU pour l'année 1984. Son dernier entretien public eut lieu à Madras, en Inde, en janvier 1986, peu de temps avant sa mort. Il avait demandé que personne ne soit désigné ou ne se désigne comme son représentant, interprète ou porte-parole et  que ses résidences ne deviennent pas des lieux de pèlerinage et qu'aucun culte ne soit développé à partir de son œuvre ou de sa personne. Il mourut d'un cancer du pancréas, en février 1986, à Ojai, en Californie.

Toute autorité, disait Krisnamurti, particulièrement dans le domaine de la pensée,
est destructrice, et est une mauvaise chose.
Les leaders détruisent leurs adeptes et les adeptes détruisent les leaders.
Vous devez être votre propre enseignant et votre propre disciple.
Vous devez mettre en doute tout ce que l'homme a accepté comme valable ou nécessaire.
Mais ayant réalisé que nous ne pouvions dépendre d'aucune autorité extérieure,
il reste l'immense difficulté à rejeter l'autorité intérieure de nos petites opinions,
nos propres savoirs, nos idées et nos idéaux.

A cette époque, il n'y avait ni radio ni télévision et les seuls médias de communication utilisés étaient l'écrit et la parole. Les penseurs du moment écrivaient abondemment et étaient  beaucoup lus quoique étant souvent en concurrence entre eux. Ils parcouraient le monde entier et donnaient de très nombreuses conférences publiques très entendues. Leurs livres, encore disponibles, font preuve d'un mode de pensée fort élaboré et précis, caractéristique de cette civilisation de l'écrit, à l’opposé des conceptions simplifiées et floues, liées à l'actuelle et superficielle civilisation de l'image.  La doctrine de la Société Théosophique d'Helena Blavatsky s'appuyait sur les enseignements de la philosophie occulte des premiers Rose-Croix, des philosophes médiévaux (qui s'appelaient aussi Théosophes), et sur l'étude de la mystique indienne et des religions orientales. Un nouvel groupe, l'ordre Kabbalistique de la Rose-Croix avait d'ailleurs été fondé en 1887, à Paris, par le Marquis Stanislas de Guaita qui prônait un spiritualisme exaltant la tradition chrétienne conduisant à l'avènement du royaume de Dieu. L'Ordre réunissait des hommes actifs très connus, dont Péladan, cofondateur, et Papus qui déclarait que ce courant rosicrucien synthétisait trois traditions, le Gnosticisme, (Cathares, Vaudois, et Templiers dont dérivent les Maçons), les moines catholiques, et enfin les divers initiés (Hermétistes, Alchimistes, Kabbalistes). On trouvait parmi eux Debussy et Erik Satie (qui écrivit des Sonneries des Rose-Croix pour accompagner le rituel). Guaita était aussi écrivain et poète (Les Oiseaux de passage, 1881, La Muse noire, 1883, Rosa Mystica, 1885). (La Rosa Mystica de Gaita est disponible à la Bibliothèque Universitaire de la faculté de Lettres de Nancy 2, en édition originale). En 1890 Péladan créa le Tiers Ordre de la Rose-Croix, une section catholique et mondaine qui rassemblait cent soixante-dix artistes célèbres. Il organisa même des salons qui attirèrent jusqu’à vingt-deux mille visiteurs. Stanislas de Guaita mourut à 36 ans, en 1897, mais, à la lecture des lignes précédentes, on peut juger de l'intérêt que provoquaient  alors ces diverses sociétés philosophiques.

Les Théosophes travaillaient à la résolution du problème fondamental " Comment peut-on s’élever à la connaissance des mondes supérieurs ". Après le décès de Mme Blavatsky le 8_mai" 1891 à Londres, la protectrice de Krisnamurti, Annie Besant, succéda au Colonel Olcott à la tête de la Société théosophique de 1907 à 1933. Malgré les incidences liées à la guerre de 14/18, elle donna au mouvement une réputation mondiale Sa contribution à la lutte pour l'indépendance de l'Inde fut également remarquable. La Théosophie élaborait alors une " Cosmologie Anthroposophique ", fondée sur la prééminence de L’Homme Originel dans la genèse de l'Univers. Dans cette théorie, l’Homme est bien plus qu'une simple créature biologique car les Théosophes lui donnent une véritable dimension divine. Ils l’associent au Logos créateur en lui attribuant une immense importance cosmique. La Société Théosophique avait engagé une campagne intensive destinée à promouvoir le futur "instructeur du monde" rôle auquel elle préparait Krisnamurti. Leurs chefs avaient fondé «L’Ordre de l’Etoile d’Orient», afin de regrouper tous les spiritualistes qui attendaient la venue d’un grand Instructeur. Ils désignèrent Krishnamurti, qui n'avait que 15 ans, comme Chef de l’Ordre. Un journal, «Le Journal de l’étoile» devait informer les milliers de membres dans les différents pays du monde.  Le Journal de l'Etoile exposait comme suit la raison d’être de l’Ordre: «Cet ordre a été fondé pour unir ceux qui - qu'ils soient ou non membres de la S. T. - croient à la venue prochaine d'un grand Instructeur spirituel, qui viendra aider l'humanité. L’on espère que ses membres pourront, sur le plan physique, faire quelque chose pour préparer l'opinion publique à cette venue, pour créer une atmosphère de sympathie et de révérence, et qu'ils pourront, sur les plans supérieurs, s'unir afin de former un instrument dont Il pourra se servir. L'Ordre fut fondé à Bénarès, Lieu de l’Illumination du Bouddha, le 11/01/1911, avec  des administrateurs dans chaque pays.

Citation d'une parole de Lord Bulwer-Lytton, (dans son roman Zanoni), par Helena Petrona von Rottenstern Hahn, beaucoup plus connue sous son nom de femme, Mme Blavatsky, dans son livre »Isis dévoilée, (1877).

Le miroir de l’âme ne peut refléter en même temps
 la terre et le ciel, et l’un s’efface dés que l’autre s’y montre. (Zanoni).

L'évolution de la Société déplaisait énormément à un membre éminent, Rudolf Steiner, au point qu'il décida alors de la quitter et de créer son propre mouvement. C’est à cette époque que Krishnamurti commença à tenir des conférences publiques. Alors que les chefs de la Société Théosophique voyaient en lui le futur Instructeur, capable de regrouper les différents courants spirituels du monde et leurs adhérents dans un grand courant commun, Krishnamurti affirmait sa propre personnalité. Il ne «s’opposait» pas aux idées des autres, ni à l’éducation reçue, mais il n’acceptait rien remettant tout en question. Il voyait avec lucidité les méfaits de la croyance aveugle et voulait déjà découvrir par lui-même. Cependant, le 11 août, en l'absence de Krishnamurti, tandis que le deuxième Camp de l'Étoile se tenait à Ommen, dans le vaste domaine d'Eerde, Mme Besant fit une stupéfiante déclaration «Notre réunion, ce matin, dit-elle, présente un caractère spécial qui n'a pas été prévu au moment où le programme a été rédigé, avec cette différence qu'il n'y aura pas de discussion... Cette réunion, vous ai-je dit, n'était pas prévue... Et maintenant, par ordre du Roi (le Roi du Monde), j'ai à vous communiquer son message et aussi quelques messages de N. S. Maitreya (le Christ) et de ses Frères puissants (les Maîtres)... Ce qui est ici proclamé par moi, l'est donc par ordre du Roi que je sers... etc..» Et elle annonça que le Grand Instructeur allait enfin se manifester, qu'il avait définitivement élu Krishnamurti comme véhicule et choisi ses douze apôtres. De son coté, Krishnamurti se détachait progressivement de l'influence théosophique, mais, sans le dire clairement, il a quand même laissé penser qu'il était l'Instructeur des Mondes, sans vraiment le confirmer ni  aussi le contredire ensuite.  C’est seulement deux ans plus tard, durant l’été 1929, au camp d'Ommen, qu'il prononça un mémorable discours, dans lequel  il déclara ne pas être le «Messie» attendu, puis décida de dissoudre l'organisation mondiale établie en 1913 pour le soutenir, l'étonnant « Ordre de l'Étoile du Matin ». Le dernier lien avec la société théosophique fut rompu avec la mort d'Annie Besant, sa mère adoptive, en 1933. Krishnamurti passa le reste de sa vie à faire des conférences où il exposait sa vision personnelle de la spiritualité et de l'amélioration de soi.

 

LA DISSOLUTION DE L'ORDRE DE L'ÉTOILE,
UNE DÉCLARATION DE J. KRISHNAMURTI

 

Extrait du livre «Krishnamurti et l'unité humaine»:
Carlo SUARÈS, Editions Adyar – Paris, 1962

 

«Ce matin, nous allons discuter la dissolution de l'Ordre de l'Étoile. Beaucoup vont être contents, d'autres en seront affligés. Mais il ne s’agit pas ici de joie ni de tristesse, puisque cette dissolution est inévitable, comme je vais vous le démontrer. La vérité est un pays sans chemins, que l'on ne peut atteindre par aucune route, quelle qu'elle soit: aucune religion, aucune secte. Tel est mon point de vue: et je le maintiens d'une façon absolue et inconditionnelle. La vérité, étant illimitée, inconditionnée, inapprochable par quelque sentier que ce soit, ne peut pas être organisée. On ne devrait donc pas créer d'organisations qui incitent les hommes à suivre un chemin particulier. Si vous comprenez bien cela dès le début, vous verrez à quel point il est impossible d'organiser une croyance. Une croyance est une question purement individuelle, et vous ne pouvez ni ne devez l'organiser.»

 

«Qui apporte la vérité?»
«Je ne veux pas de spectateurs,
Je ne veux pas de disciples,
 Je ne veux ni louanges ni admiration d’aucune sorte…
Je veux être le compagnon,
non le maître.»

 

Rudolf Steiner était un penseur autrichien né en 1861. Étudiant à Vienne, docteur en philosophie et diplômé en diverses sciences, il admirait l’œuvre scientifique de Goethe dont il inspira. (Il fonda ultérieurement le Goetheanum prés de Bâle).  Il voulait ouvrir un chemin de connaissance vers la spiritualité universelle, la Gnose. Il dirigea un magazine littéraire, et fonda avec Marie de Rivers, un journal Lucifer et Gnosis.  Il publiait, inspiré par Goethe et par l’hermétisme des Rose-Croix. La Société Théosophique de Berlin lui fit donner des conférences et il y rencontra Annie Besant qui le nomma en 1905 secrétaire général de la section allemande de l’association.

Steiner affirmait que l’Homme, (Être spirituel), est plus ancien que tous les vivants sur Terre. Il se serait détaché d’un être cosmique originel dont il conserve pourtant une particule microcosme portant en elle l’univers dans sa totalité. Steiner professait que les problèmes essentiels ne peuvent être résolus tant que l’on demeure réfractaire à la connaissance des mondes suprasensibles. Il acceptait de rénover le Christianisme aux sources du Bouddhisme, mais refusait de suivre Annie Besant dans ses critiques de Jésus, ses convictions spirites, et ses recherches des réincarnations hindoues du Christ et de Bouddha. Lorsque Krisnamurti fut présenté comme cette réincarnation, Steiner se sépara des Théosophes et fonda sa propre doctrine, l’Anthroposophie. L’Homme ordinaire ayant perdu la connaissance de son rôle originel, cette connaissance, l’Anthroposophie, doit l’aider à reprendre sa véritable place au sein du Cosmos. Elle se propose de l’éduquer et de le guérir, d’harmoniser en lui l’être matériel (ou corps physique), et l’être spirituel intérieur. L’Anthroposophie voit dans le Christ le centre véritable de l’histoire terrestre. Rudolf Steiner exerça une profonde influence par le rayonnement de sa personnalité et l’enseignement de sa pensée qui fit de nombreux adeptes. La doctrine eut des prolongements avec la fondation de plusieurs écoles.

Steiner publia une centaine d’ouvrages et prononça plus de six mille conférences écrites. Il professait l’existence d’un univers invisible et de mondes suprasensibles, la réincarnation, l’existence de rythmes cosmiques auxquels L’Homme est relié. Il enseignait l’expérience mystique permettant de retrouver en soi la présence du divin. Selon ses théories occultistes, l’homme possède trois natures, le corps physique, le corps astral, et l’esprit. Steiner assurait que le corps astral dispose d’organes subtils, ou chakras, en forme de roues ou de fleurs. La morale des adeptes actuels de la doctrine occulte de Steiner repose encore sur les cinq principes essentiels qui sont la maîtrise des pensées, le pouvoir sur les volitions, l’égalité d’âme devant le plaisir ou la douleur, la positivité dans les jugements, l’absence de prévention dans les conceptions de l’existence.

 

Processus et "Otherness"

 

En 1910, à l'âge de 16 ans, Jiddhu Krishnamurti publie une première plaquette intitulée «Aux pieds du Maître», signée Alcyone, et préfacée par Annie Besan. Les enseignements qui s'y trouvent, dit-elle, lui furent donnés par son Maître, lorsqu'il le préparait pour l'Initiation, .../...Cette œuvre d'Alcyone, est sa première offrande au monde. Voici ce qu'on pouvait y lire. «Dans le monde entier, il n'y a que deux sortes de gens: ceux qui ont la Connaissance et ceux qui ne l'ont pas, et cette connaissance seule importe. La religion d'un homme, sa race à laquelle il appartient, ce sont là des choses sans importance; ce qui importe réellement c'est cette connaissance, la connaissance du plan de Dieu relatif aux hommes. Car Dieu a un plan, et ce plan c'est l'évolution../...Si cet homme est du côté de Dieu, il importe peu qu'il se dise hindou, bouddhiste, chrétien ou mahométan, ou qu'il soit Indien, Anglais, Chinois ou Russe. Ceux qui sont avec Dieu savent pourquoi ils s'y trouvent, ils savent ce qu'ils ont à faire, et ils essayent de l'accomplir. Tous les autres ignorent encore ce qu'ils devraient faire; aussi agissent-ils souvent en insensés.../... Ils poursuivent l'illusoire au lieu du réel et, tant qu'ils n'ont pas appris à distinguer ces deux choses, ils ne sont pas du côté de Dieu. Et c'est ainsi que le discernement est le premier pas à faire. Cependant, même quand le choix est fait, il faut te souvenir qu'il y a bien des variétés dans le réel et dans l'illusoire et qu'il faut encore savoir distinguer le bien du mal, ce qui est important de ce qui ne l'est pas, ce qui est utile de ce qui est inutile, ce qui est vrai de ce qui est faux, ce qui est égoïste de ce qui est désintéressé. Il ne devrait pas être difficile de choisir entre le bien et le mal, car ceux qui veulent suivre le Maître sont déjà décidés à se rallier au bien, à tout prix. Mais l'homme et son corps sont deux, et la volonté de l'homme n'est pas toujours en accord avec les désirs du corps. Lorsque ton corps désire quelque chose, arrête-toi et réfléchis; est-ce réellement toi qui as ce désir?» .../... «Car tu es Dieu et tu ne veux que ce que Dieu veut; mais il faut que tu descendes au plus profond de toi-même pour trouver Dieu en toi et que tu écoutes Sa voix qui est ta voix.» .../... «Apprends à discerner le Dieu qui est dans tous les êtres et dans toutes les choses, quelque mauvais qu'ils soient ou paraissent être. ».../... «Dis-toi: «Ce que l'homme a fait, l'homme peut le faire. Je suis un homme, mais je suis aussi le Dieu qui est dans l'homme; je puis faire telle chose et je veux la faire».

Deux citations de J. KRISHNAMURTI relatives au "processsus". 

Extrait du livre «Carnets de Krishnamurti»: Trad. française - Editions du Rocher - Paris - 1988.

Ojaï - le 29 juin - «Pression et tension d'une douleur aigüe comme si une opérations se déroulait dans les profondeurs du corps. Aucun acte de volonté personnelle, si subtil soit-il ne peut les provoquer. Pendant un certain temps, on (J. K. ndlr) a apporté une observation délibérée, approfondie. Après avoir essayé de la provoquer par diverses conditions extérieures, la solitude par exemple, rien ne s'est produit. Tout ceci n'est pas nouveau...».

Gstaad - 20 juillet - «Processus particulièrement intense hier après -midi. En attente dans la voiture, perte de conscience presque totale de ce qui se passait à l'extérieur. L'intensité augmentant jusqu'à devenir presque insupportable, il fallut s'allonger.
Heureusement quelqu'un était présent...».

Un livre de Marie Lutyens nous conte les derniers jours de Krinamurti ravagé par un cancer, et qui déclarait : "Tant que ce corps est en vie... Je reste l'Instructeur. K [c'est-à-dire lui-même] est ici, comme sur l'estrade... Je reste à la tête de tout: des écoles, des Fondations... J'en suis toujours la tête. Je veux que ce soit très, très clair. Tant que le corps est en vie, K est ici. Je le sais parce que j'ai eu tout le temps des rêves merveilleux. - Non, pas des rêves, ce qui vient, quoique cela puisse être." Il affirmait encore : "Je leur disais ce matin - pendant soixante-dix ans, cette super-énergie - non, cette immense énergie, cette immense intelligence s'est servie de ce corps. Je ne crois pas que les gens se rendent compte de l'énergie fantastique, de l'intelligence qui est passée par ce corps - un moteur de douze cylindres. Pendant soixante-dix ans - ce qui fait pas mal de temps - et maintenant, le corps n'en peut plus. Personne, à moins que le corps n'ait été préparé avec beaucoup de soin, protégé et tout cela - personne ne peut comprendre ce qui a traversé ce corps. Personne. Qu'ils ne prétendent pas le contraire. Personne. Je le répète: personne, parmi nous ni dans le public, ne sait ce qui s'est passé. Je sais qu'ils ne le savent pas. Et maintenant, après soixante-dix ans, c'est arrivé à son terme. Mais pas cette intelligence, cette énergie - d'une certaine manière, elle est là chaque jour et surtout la nuit. Après soixante-dix années, le corps n'en supporte pas davantage. Il ne peut pas. Les Indiens ont toutes ces fichues suppositions à ce sujet - que vous irez, que le corps va - tout cela n'a pas de sens. Vous ne trouverez jamais un corps comme celui-ci, ni cette suprême intelligence agissant dans un tel corps, non, jamais plus, pendant des centaines d'années. Vous ne verrez plus jamais cela. Quand il partira, cela s'en ira. Il ne reste aucune conscience après le départ de cette conscience-là, de cet état-là. Ils prétendront tous, ou ils essaieront d'imaginer qu'ils peuvent entrer en contact avec cela. Peut-être le feront-ils, plus ou moins, s'ils vivent l'enseignement. Mais personne ne l'a fait. Personne. Et voilà. C'est ainsi."Rappelons que les Théosophes croyaient, en fait, que l'Instructeur serait une entité spirituelle qui serait venu «adombrer» [= investir de sa présence] le corps de Jiddu Krishnamurti. Le raapprochement des deux paragraphes montre bien Krishnamurti avait bien accepté la mission d'Instructeur du Monde proposée par  Charles Leadbeater, et qu'en fonction de "l'Altérité" qui l'habitait, il la revendiquait, qu'il en était fier et même jaloux . Ce qu'il a refusé en dissolvant l'Ordre de l'Etoile, c'est la forme institutionnelle et quasi religieuse que les Théosophes entendaient donner à cette action.

Deux citations de J. KRISHNAMURTI  relatives à "l'Otherness"

Extrait du livre «Carnets de Krishnamurti»: Trad. française - Editions du Rocher - Paris - 1988.

Gstaad le 20. «Éveillé tôt ce matin, pour vivre cette bénédiction. Le corps fut contraint de s'assoir devant cette clarté, cette beauté. Plus tard dans la matinée, assis sur un banc au bord de la route, elle se fit sentir dans son immensité».

Gstaad le 23. «Aujourd'hui, éveil très matinal accompagné d'une sensation d'immense puissance, de beauté, d'incorruptibilité. C'était une perception immédiate et non le produit d'une expérience antérieure.../... conscience d'une présence absolument pure en laquelle il ne pourrait rien exister qui puisse se détériorer. Son immensité dépassait la compréhension cérébrale ou le souvenir.. L'expérience d'un tel état est d'une immense importance. Il était là, illimité, intouchable, impénétrable».

Il me semble qu'intimement convaincu d'être effectivement investi de cette mission d'instructeur (du Monde ?), et , quoiqu'il se défendit constamment d'être un maître à penser ou un "gourou", Krishnamurti entreprit donc de diffuser mondialement sa pensée telle qu'il la résuma plus tard dans son texte de 1980 « Le cœur des enseignements ». Dans ce court exposé fondé sur une citation propre de 1929,  il affirmait que « la Vérité est un pays sans chemins ». "L'acquisition de cette « vérité » (qu'il appelait aussi « l'art de voir »), disait-il,  ne peut se faire au travers d'aucune organisation, d'aucun crédo, d'aucun dogme, prêtre ou rituel, ni à travers aucune philosophie ou une quelconque technique psychologique".  Krishnamurti se disait aussi libre de toute nationalité (comme de toute culture ou religion) parce que selon lui, l'attachement à la nationalité, à une culture ou à une religion provoque la séparation qui est à son tour à l'origine des conflits, et affirmait nettement l'inanité de tous les dogmes et de toutes les doctrines. Il exprima ces convictions de façon récurrente tout le long de sa vie et dans tous ses ouvrages, conférences et dialogues. Pour bien marquer que c'était en fonction de cette mission et non pas à titre personnel qu'il s'exprimait, lorsqu'il avança en âge, il donnait le plus souvent son avis en parlant de lui même à la troisième personne. (Il disait par exemple, "le conférencier' pense ceci... et non pas "Je" pense). On trouve un autre aspect fort important dans l'œuvre de Krisnamurti, tout particulièrement dans ses "Carnets" écrits en 1961. Il y évoque la présence en lui même d'une entité qu'il appelle "Otherness", un terme parfois traduit en français par "Altérité", traduction à mon avis imparfaite parce qu'elle n'évoque pas assez le caractère étrange de la chose, au sens propre d'étranger au connu. Cette "Étrangeté" qu'il appelait aussi "Immensité" ou même "Bénédiction" l'envahissait fréquemment en s'accroissant constamment. Elle serait apparue en même temps mais indépendamment d'un autre état qu'il nommait Processus", à la fois phénomène physiologique et expérience spirituelle, vécu pour la première fois en 1922, puis périodiquement subi pendant quarante ans, en fréquente corrélation avec "l'Otherness", et généralement accompagné de douleurs aigües et persistantes dans la tête et le dos, affection qui contrairement à l'autre diminua d'intensité avec le temps.

Citation de J. KRISHNAMURTI  relative à "l'Otherness"

Extrait du livre «Carnets de Krishnamurti»: Trad. française - Editions du Rocher - Paris - 1988.

Gstaad le 18. «Le "processus" s'est maintenu pendant la plus grande partie de la nuit, assez intensément. Quelle résistance  le corps ! Tout l'organisme était secoué: réveil ce matin avec des tremblements de tête.  Ce matin, la chambre était emplie de ce sacré si étrange. Doué d'un grand pouvoir pénétrant, il emplissait chaque recoin de l'être, nettoyant et transformant tout en sa propre substance.  L'autre personne l'a aussi ressenti. C'est la chose que chaque être désire le plus au monde, mais elle lui échappe du fait de ce même désir. Dans cette quête, le moine, le prêtre, le sanyasi, torturent leur corps et leur esprit, mais ce sacré leur échappe, car il ne peut être acheté. Le sacrifice, la vertu non plus que la prière, ne peuvent susciter cet amour. Cette vie, cet amour, ne peuvent exister par le moyen de la mort. Toute recherche, toute quête doivent cesser, totalement. La vérité ne peut être exacte, car ce qui est mesurable n'est point vérité. Seul ce qui n'est pas vivant est mesurable, sa hauteur peut être trouvée

La corrélation semble assez évidente entre, d'une part le phénomène physiologique, que Krishnamurti appelle "Processus", et d'autre part "l'Otherness", cette manifestation (pour ne pas dire cette "possession"),  d'une entité étrangère à sa personnalité. Quoique les deux états aient été parfois ressentis de façon distincte, à des moments différents, il semble que les douloureux épisodes de processus aient eu le plus souvent pour effet de préparer son cerveau  à la manifestation imminente de ce qu'il appelait une immensité bénie. On peut supposer que Krishnamurti supportait patiemment cette pénible préparation parce qu'il attendait la bénédiction qu'elle annonçait. Il n'est pourtant pas possible de dire que l'une ou l'autre aient été nécessaires, conjointes ou séparées, dans l'élaboration de l'œuvre qu'il nous a laissée, ou qu'elles en soient la cause ou l'explication.  C'est cette œuvre, étonnante en elle même, que nous allons maintenant étudier.  Cependant, auparavant quelques questions peuvent être néanmoins posées.

 

Rappelons par exemple, qu'en dépit de l'immense intérêt de son enseignement, il a semblé acquis que Krishnamurti était intimement convaincu d'être effectivement investi d'une grandiose mission d'instructeur (du Monde ?). Comment a-t-il pu réagir en apprenant que ce personnage si hautement prédestiné allait banalement mourir d'un simple cancer du pancréas. Par ailleurs, nous savons qu'il conseillait constamment à ses interlocuteurs de prendre une conscience claire de la fragmentation de leur intellect qui constituait, à ses yeux, le principal obstacle à l'épanouissement de leur personnalité profonde. Mais, on a pu imaginer que cette étrange "Otherness" qui l'habitait pouvait être un fragment inconscient de sa propre pensée. Et si elle ne l'était pas, si elle était effectivement une entité bénie étrangère à ce monde dans lequel nous résidons aussi, quelle pouvait être la nature de cette "immensité", et qu'est elle devenue lorsque son "véhicule terrestre" a cessé de vivre.

 

La fragmentation de l'esprit

 

Le cerveau, dit Krishnamurti, est constamment en activité et produit continuellement la pensée. Et cette pensée est une activité fort mobile, qui passe sans cesse  d'un objet à un autre comme on peut le constater en observant attentivement son fonctionnement. La mobilité de la pensée est à l'origine d'une fragmentation extrême de la personnalité. Et chacun de ces fragments peut, à un instant donné et en fonction des circonstances, manifester son autorité propre en limitant notre liberté de comportement. Si l'on veut accéder à la véritable liberté, il est donc très important de comprendre comment le cerveau construit la pensée puisque, en effet, la liberté implique l'extirpation complète de toute autorité intérieure. Cette liberté, dit Krishnamurti, va de pair avec la discipline et il précise qu'il utilise ce mot dans son acception étymologique.

En effet, l'origine vient du latin disciplina, dérivé de discipulus (« disciple »), lui-même dérivé de discere (« apprendre »). Il s'agit donc ici de l'attitude mentale qui permet d'apprendre et non pas de l'état d'esprit qui suit par contrainte un certain modèle d'action conforme à une idéologie ou une croyance. « L'esprit qui observe, qui apprend, voyant directement "ce qui est", n'interprète pas "ce qui est" selon son désir, ou son conditionnement ». Dans son sens ordinaire, « se discipliner» implique qu'il existe une entité qui se conforme à un modèle. C'est un processus dualiste qui implique la volonté pour contrôler la conduite en s'opposant à l'action actuelle. Un tel état, dit Krihsnamuti, produit un conflit qui engendre la souffrance. « La discipline imposée par les  parents, la société, les religions, signifie "conformisme" et entraîne la révolte. La véritable discipline (discere) consiste à connaître et non à se conformer ». « Prenons donc conscience de notre conditionnement intérieur, du résultat de l'autorité, du conformisme à un modèle, à la tradition, à la propagande, à ce que d'autres ont pu dire, à notre propre expérience accumulée ou à celle de notre race ou de notre famille. Là où il y a autorité, l'esprit n'est jamais libre de découvrir ce qu'il y a à découvrir, quelque chose d'intemporel, de totalement neuf ».  « Mais peut-on découvrit si l'on est réellement affranchi de toute autorité. cela exige une très grande lucidité. De cette clarté jaillit une action qui n'est pas fragmentaire, qui n'est  divisée ni religieusement ni politiquement, une action totale ».

Citations de J. KRISHNAMURTI  relatives à la nature de la pensée.

Extrait du livre «L'Impossible Question»
Traduction  française -

9 août 1970 - « Il y a un état intemporel et par conséquent infiniment vaste. C'est une chose merveilleuse si vous la trouvez. Je pourrais poursuivre mais la description n'est pas la chose décrite. Il vous reste à apprendre tout ceci en vous observant vous-même.  Aucun livre, aucun instructeur ne peut vous aider. Ne dépendez de personne, ne recherchez pas les organisations spirituelles, il faut apprendre tout ceci par soi-même. Alors l'esprit pourra découvrir des choses incroyables. Mais pour cela, il faut que n'existe plus aucune fragmentation.../.. Pour un tel esprit, il n'y a plus de temps, et tout le concept de la vie et de la mort prend un sens tout à fait différent ».   

21 juillet 1970 - « Quand vous vous trouvez devant un danger immédiat, il y a une action instantanée. Votre action n'est alors ni graduelle ni analytique, elle est immédiate et totale. Quand vous voyez le danger de l'analyse, de la soif de puissance, de la remise au lendemain, de toutes ces fragmentations,  quand vous voyez ce danger, non pas seulement verbalement mais véritablement, physiquement et psychologiquement, alors il y a une action immédiate et totale, celle d'une révolution instantanée».

Un être humain, dit Krishnamurti, dans l'acception habituelle du terme, n'est pas un "individu", car le mot "individu" signifie "indivisible". L'individu est celui qui n'admet aucune division intérieure, qui est non fragmenté, qui est entier, sain, équilibré. "Entier" dans ce sens signifie aussi "sacré". Depuis notre naissance jusqu'à notre mort, nous sommes toujours, d'une certaine façon, en état de lutte, en conflit. Dans nos rapports extérieurs, mais aussi intérieurement, il y a toujours tension et affrontement. Chacun recherche son propre plaisir ou poursuit sa propre ambition, son propre accomplissement, et cela constitue le Monde. En fait, ce que nous appelons vivre est un chaos conflictuel constant au sein duquel nous voudrions être créateurs. Aucune beauté ne peut résulter d'un conflit. Nous voudrions analyser les causes de ces conflits mais l'analyse n'est jamais complète. L'analyse implique toujours la division (au moins entre l'analyseur et la chose analysée). Elle aboutit à la mise en évidence de nombreux fragments, et l'analyseur devient un censeur. Est-il possible d'observer les choses sans le moi, sans le censeur, sans juger ni comparer, sans rapport avec le passé et l'accumulation de souffrances et de passions qui constituent ce moi qui, toujours, se tient en arrière plan. Il est assez facile d'observer le monde de cette façon, mais arriverons-nous à nous regarder nous-mêmes avec le même détachement, la même objectivité, en totale abstraction de l'observateur intérieur. Krishnamurti affirme que l'on peut alors découvrir qu'il est possible de vivre sans aucun conflit. Si l'on comprend que le conflit est causé par la division entre l'observateur et la chose observée, on réalise alors une immense révolution intérieure, et cette seule et unique révolution entraîne une toute autre manière de vivre. De plus, nous ne pouvons pas nous dissocier du Monde, car nous somment conditionnés par notre culture, notre éducation, l'économie du monde, ses conflits religieux et ses guerres. Certains, les moines par exemple, ont essayé de s'en  retirer mais ils demeurent néanmoins le résultat du monde. Nous ne pouvons pas nous isoler du Monde car nous ne vivons pas seulement dans le Monde, en fait, nous sommes le Monde. La véritable question est : Pouvons nous vivre dans ce Monde sans qu'il y ait toutes ces  divisions et ces luttes de pouvoir absurdes ?

Citation de J. KRISHNAMURTI  relatives à "la liberté de l'esprit"

Extrait du livre «Carnets»: Traduction  française - Marie Bertrande Marauger

23 janvier 1962 - Delhi. Inde - « Le passé et l’inconnu ne peuvent se rencontrer. Aucun acte, quel qu’il soit, ne peut les rassembler. Aucun pont ne les relie, aucun chemin n’y conduit. Ils ne se sont jamais rejoints et ne se joindront jamais. Le passé doit cesser pour que puisse être cet inconnaissable, cette immensité ».

 

L'esprit, le cerveau humain,  cherche à résoudre les problèmes auxquels il est confronté comme si ils n'avaient aucun rapport les uns avec les autres. La  pensée, par sa nature, par sa structure traite toujours séparément des fragments isolés tels que le "moi", le "mien", "nous","eux", la religion, la politique et autres choses. Donc, en nous servant de la pensée, nous n'obtiendrons jamais qu'une réponse partielle qui n'engendrera que confusion et souffrances nouvelles. L'observateur est le penseur. La pensée peut se séparer d'elle même sous forme de penseur et d'expérimentateur, et même se scinder en soi supérieur, (l'atman ou l'âme p. ex.),  et moi inférieur. Cela reste la pensée. Elle est la réactivation des souvenirs accumulés dans la mémoire concernant des expériences vécues, qu'elles soient les nôtres ou communes à l'humanité. La pensée n'est donc qu'un rappel du passé. Elle peut modeler le présent ou se projeter dans l'avenir pour imaginer le futur, elle le fait toujours en partant du passé où elle a ses racines. La vérité  de l'être n'est pas un objet d'expérimentation pour la pensée car  la vérité est hors du temps. La pensée dont le temps est la substance ne peut ni la rechercher ni la saisir. Le cerveau est en activité constante et  puise dans la mémoire du passé pour construire la pensée dans le présent. Pour cela le cerveau a besoin d'ordre et il réordonne continument la mémoire même s'il doit reconstruire les souvenirs pour les rendre tolérables.

 

Les rêves de la nuit servent surtout à cela. La pensée s'organise autour d'un centre qui est un assemblage de souvenirs. Ce centre, c'est la conscience.  Cette conscience, "le Moi" s'efforce de se dilater en s'identifiant à toutes sortes d'idéaux, (la nation, la famille, la culture, la religion, et..). Il y donc a un espace intérieur limité où se meut la conscience, et une espace extérieur auquel elle tente d'accéder. Cependant, quelles que soient les limites nouvelles, elles demeurent des limites, et le centre y reste toujours enfermé. Tant qu'il existe un centre, l'observateur, le penseur, quoiqu'il tente pour élargir son champ de conscience, reste dans sa prison. Nous vivons dans cette prison, nous pouvons la rendre plus vaste mais elle reste une prison. Il faudrait donc arrêter cette constante activité du cerveau  pour neutraliser le centre et approcher la vérité.

 

La Méditation, la Peur et le Désir

 

Pour arrêter la pensée, la méditation dans l'acception habituelle du terme  n'est d'aucun secours car elle ne fait que renforcer le centre en analysant et contrôlant la pensée et en l'orientant sur des thèmes convenus. « La véritable méditation, dit Krishnamurti, est l'une des choses les plus importantes de la vie. Pour découvrir ce qu'est cette méditation véritable, il est nécessaire d'absolument s'affranchir de toute concentration et de toute autorité psychologique. Lorsqu'il y a un centre à partir duquel on regarde les choses, l'espace est extrêmement limité, mais sans ce centre, dit-il, sans le "moi" tel que la pensée le construit en permanence, il y a un espace immense. Sans cet espace, il n'y a pas d'ordre, pas de clarté, pas de compassion. La concentration suppose toujours une résistance, et donc l'effort et la division, car se concentrer implique de diriger l'énergie vers un objectif particulier. Lorsque l'on se concentre, on rejette toutes les pensées incidentes. On se place donc hen position de résistance. La conscience véritablement libérée ne demande pas d'effort et n'exerce aucun choix. Elle consiste simplement à être pleinement conscient de ce que l'on observe. Observer de cette façon, sans être l'observateur/censeur, permet d'obtenir la "vision pénétrante", c'est à dire l'intelligence qui se sensibilise à la réalité des choses. Dans l'état de conscience claire qui est la base de la véritable méditation, on ne privilégie aucune pensée, il n'y a pas de concentration, et l'on est simplement totalement conscient de la chose observée. Cette conscience totale engendre "l'attention véritable". Quand on est profondément et authentiquement attentif à quelque chose, il n'y a plus de centre, plus de "moi". La conscience est vidée de son contenu et libérée de l'emprise du passé. La méditation est une qualité d'attention dans laquelle nul enregistrement n'intervient. Un tel état d'esprit apporte un silence absolu parce que la pensée a momentanément pris fin. Le temps est aboli et il y a un mouvement silencieux d'une nature entièrement nouvelle. La religion prend alors un sens complètement différent. Ce que l'on appelle religion, y compris les croyance, les espoirs, le désir de sécurité promise dans l'au delà, etc... tout cela résulte de la pensée.. .Ce n'est pas vraiment de la religion, ce n'est que le mouvement de la pensée... La véritable religion n'est possible qu'en échappant au bruissement constant de la pensée, car ce qui est saint, ce qui est sacré, ce qui est vérité exige le silence complet, celui qui apparait quand le cerveau lui même a remis la pensée à sa juste place... Et, issu de ce silence immense, il y a ce qui est sacré ».

 

CitationS de J. KRISHNAMURTI 
relatives à la méditation

Extrait du livre «Plénitude de la vie» : Traduction française par Colette Joyeux

- « Une des composantes de la méditation est l'élimination totale de tout conflit, intérieur et extérieur. Pour éliminer le conflit, il faut comprendre ce principe de base que, psychologiquement, l'observateur n'est autre chose que la chose observée... Quand il n'y a pas de division entre l'observateur et l'observé, il ne reste que la chose qui est    ».

 - « Le silence a besoin d'espace, d'espace dans la totalité de la structure de la conscience. Il n'y a pas d'espace dans la structure de notre conscience, telle qu'elle est parce qu'elle est peuplée de peurs envahissantes ... Quand vient le silence, il y a l'espace intemporel immense ; c'est alors seulement qu'il devient possible d'approcher ce qui est l'éternel, le sacré ».

 

Pour apprendre, nous comprenons que le cerveau doit être libéré du passé, mais nous vivons continuellement dans ce rappel du passé qui constitue la pensée. Nous constatons cette contradiction et nous avons peur de la dépasser. Nous voyons et nous avons peur de voir. Nous nous raccrochons au passé parce que la vie change constamment. Nous ne nous sentons pas en sécurité dans ce changement continuel et l'activité de la pensée engendre alors la peur. Nous avons tous bien des raisons d'avoir peur, peur de la mort inévitable, ou d'une douleur à venir, peur de la violence menaçante ou de la misère inquiétante ou peur de voir révélé un secret ou un incident fâcheux. La peur est causée par la pensée qui évoque un évènement passé ou imagine qu'il puisse se reproduire dans l'avenir. Nous avons souffert et nous craignons de voir revenir la douleur. Il y a aussi des peurs inconscientes qui jouent dans notre vie un rôle bien plus important encore que les peurs apparentes. Évidemment nous voudrions réprimer ces peurs ou nous en évader, ce qui engendre un conflit. Nous faisons appel à la volonté pour nous y opposer ou y mettre fin par un mouvement contraint de la pensée. En tentant de fuir la peur, on ne fait alors que l'augmenter, car ce mouvement de la pensée ne peut aboutir qu'à quelque chose encore issu d'elle même. Peut-on mettre fin à cette activité de la pensée qui donne naissance à la peur, non pas à une seule peur mais à ces peurs innombrables qui hantent la vie des hommes. Peut-on y mettre fin naturellement, aisément, sans effort. Il n'est pas possible de répondre avant d'avoir attentivement examiné la recherche que nous faisons tous du plaisir, parce que le plaisir va de pair avec la peur. La moralité sociale repose sur le plaisir par son immoralité même. Nous pouvons craindre d'être privés du plaisir. Beaucoup d'idéologies et de religions  prétendent qu'il  faut soigneusement s'en garder, c'est une absurdité totale, mais nous ne pouvons cependant vivre une vie de plaisir en étant quitte de la peur. Et si le plaisir escompté nous est refusé, nous sommes frustrés et mécontents, donc en souffrance. Le plaisir et la peur dépendent réciproquement l'une de l'autre, ce sont les deux faces de la même pièce. Sans cesse, la pensée recherche, maintient ou évite la peur. Elle produit aussi le plaisir donnant des aliments à ce qui lui a été agréable. En comprenant le mouvement de pensée lié au plaisir, nous allons aussi comprendre la joie qui est bien autre chose.

Citations de J. KRISHNAMURTI
relatives à la peur et au plaisir

Extrait du livre «L'impossible question»: 26 juillet 1970 - « Pour la plupart d'entre nous, la peur est une compagne constante. Que l'on en soit conscient ou non, elle est là, dissimulée dans quelque sombre recoin de l'esprit, et nous nous demandons s'il est possible pour l'esprit d'être entièrement et totalement libéré de ce fardeau... Un sentiment de peur engendre toutes sortes d'activités malfaisantes, non seulement psychologiquement et nerveusement, mais encore extérieurement. Alors surgit tout le problème de la sécurité, physique autant que psychologique.

Extrait du livre « L'éveil de l'intelligence » - 4 août 1971 - «  Je suis tout le contenu de mon propre esprit, ce contenu c'est ma conscience. Ce contenu c'est l'expérience, le savoir, la tradition, l'éducation, le père angoissé, la mère harassante... Tout cela, c'est le contenu qui fait le "moi". Ai-je bien conscience de ce contenu, et sinon, que vais-je faire ?...Si nous ne pouvons pas connaître le contenu de notre conscience, comment pouvons nous dire "j'ai raison" ou "j'ai tort", "ceci est bon" ou "cela est mal". ».

Il faut bien saisir la différence qui existe entre la perception intelligente d'un danger immédiat et l'action de la peur engendrée par une pensée issue de la mémoire. Face au danger imminent, l'intelligence réagit instantanément par une action appropriée, l'affrontement, l'évitement ou la fuite, par exemple. L'agent actif est alors l'intelligence, non plus la peur. Quand survient une peur, observons bien s'il s'agit d'une peur réelle signalant un vrai danger ou si c'est une pensée projetant un contenu de la mémoire. Il est indispensable d'avoir de la mémoire, mais quand la pensée en use pour provoquer la peur, la situation est toute autre. Notre esprit est attaché au passé, nous dépendons toujours de quelque chose que nous ne voulons pas voir cesser, d'un proche, d'un conjoint, d'une famille d'une maison, d'une croyance, d'un dieu, d'un groupe, d'un pays, voire parfois d'une drogue ou d'une boisson. Nous ne voulons pas perdre tout cela. Nous en sommes dépendants. Nous sommes ce que nous possédons. Toutes ces dépendances servent à remplir le vide immense qui est en nous. Nous avons donc peur, peur de le découvrir, d'être seul, et nous remplissons ce vide, cette solitude, avec des objets plaisants, des idées, des personnes, des habitudes ou des croyances. Mais, quand nous percevons réellement la vérité de ce vide immense en nous mêmes, la peur de ce vide surgit avec violence. Une partie de l'esprit prend conscience qu'une autre partie de lui même souffre, de la solitude en particulier. C'est à dire qu'il y a une division, une fragmentation, et tant qu'elle perdurera, il y aura une réaction d'évasion. L'esprit se plait à fonctionner dans des habitudes, il s'y sent en sécurité. Mais il n'y a pas de sécurité ni de permanence pour aucun vivant dans le monde, sauf pour un temps relatif. Or, nous sommes le monde, et il n'y donc absolument pas de sécurité psychologique pour nous. Nous tentons de la trouver au sein d'un groupe ou d'une communauté, dans une nationalité une idéologie ou une religion. Mais, en voyant cela d'une façon claire et lucide, nous nous pouvons discerner le caractère fallacieux de ces divisions et nous prendre à douter. C'est que notre intelligence perçoit le fait que tous ces efforts sont des inventions de la pensée qui n'amènent que des divisions dont elles forment elles mêmes toute la substance. Cette intelligence active se révèle alors être la source d'une complète et totale sécurité.


Citations de J. KRISHNAMURTI  relatives à la liberté
Extrait du livre « L'impossible question »
- 4 août 1970 -

« Il y a des attachements psychologiques superficiels et il en est qui se dissimulent dans les couches les plus profondes de notre être. Demandons nous dans quelle mesure  et à quelle profondeur nous sommes attachés à telle tradition dans les recoins les plus cachés de notre esprit...Comprenons que faute d'être libérés de tout ceci, nous serons toujours en proie à la peur, et qu'un esprit apeuré est incapable de voir les choses comme elles sont, pour enfin les transcender. ».

Extrait du livre « L'éveil de l'intelligence »
14 janvier 1968 –

« Je ne sais pas si vous avez fait cette expérience avec vous-mêmes : prenez un bâton, mettez le sur votre cheminée et, tous les jours, faites lui cadeau d'une fleur et répétez n'importe quoi: "Coca Cola", "Amen", "Om", n'importe quel mot fera l'affaire. Si vous le faites, au bout d'un mois vous allez voir combien ce bâton est devenu sacré. Vous vous êtes identifiés à ce bâton, cette pierre ou ce fragment d'idée, et vous en avez fait quelque chose de saint, de sacré. Mais il ne l'est pas... L'image du temple n'est pas plus sainte que le bâton ou le rocher au bord de la route. Il est donc très important de découvrir ce qui est véritablement sacré et si cela existe. ».

Faute de résoudre ce problème de la peur et du plaisir, la souffrance est inévitable, pas seulement la nôtre mais celle du Monde. Savons-nous ce qu'est la douleur du Monde ? Non pas extérieurement, toutes ces guerres, ces crimes et méfaits en tous genres, mais intérieurement, l'immense solitude de l'homme, les grandes frustrations, le manque général d'amour. Face à ce problème crucial, nous sommes sans réponse. L'esprit qui s'est penché avec intensité sur la complexité du problème a cependant perçu comment la pensée entretient la peur en même temps que le plaisir. Il ne dit plus qu'il faut mettre fin à la peur et au plaisir, il est devenu plus sensitif et plus intelligent. Krishnamurti disait qu'il y a dans le cerveau un extraordinaire faiseur d'images qui peut représenter à peu près n'importe quoi, aussi bien concernant les représentations du réel que celles du domaine que nous appelons "l'imaginaire", comme les idéologies ou les religions. Par "images", il faut évidemment comprendre des constructions mentales figurant le sujet concerné. Le cerveau construit en permanence ces "images" en fonction de nos craintes ou de nos espoirs, et l'esprit les utilise selon les circonstances. Ces constructions mentales remplacent l'observation attentive d'un sujet par le rappel d'un ensemble mémorisé dans le passé. Elles alimentent la pensée en flux continu ce qui économise beaucoup de temps et d'effort. Mais ces images sont souvent figées et rarement objectives. Celles que nous avons de nous mêmes où des choses que nous aimons sont généralement fortement magnifiées et celles des autres bien moins positives. Au fil des rencontres ou des circonstances, certaines représentations peuvent être dégradées, (Krishnamurti dit "blessées"). Cela engendre des frustrations et parfois une grande souffrance. Nous craignons donc le retour éventuel de cette souffrance. Cela gouvernera notre futur comportement en évitant d'en évoquer les causes ou même en les refoulant hors du champ du conscient. L'usage mécanique des images mémorisées dont l'ego est le centre altère souvent nos jugements et les relations que nous engageons avec autrui, or la qualité de cette relation constitue le fondement même non pas du plaisir mais de la joie véritable.

 

L'amour, la compassion, le chagrin, la mort.

 

Krishnamurti a une approche intéressante de l'amour. L'amour est-il le plaisir dont il dit qu'il est le prolongement d'un incident porté par un mouvement de le pensée. L'amour est-il le rappel de souvenirs liés au passé ? L'amour est-il lié à la sexualité ? L'amour est-il l'attachement à une personne ? Si l'amour est cela d'une façon quelconque, il est relié au passé et passe le renforcement du moi. c'est mon plaisir, mes souvenirs, ma femme, mon mari, ma maison, mon bien, etc.. non pas le vôtre. Alors, l'amour ne serait que le plaisir que l'on retire de cette possession, né du désir. Ce genre d'amour n'est pas l'amour dont nous voulons parler. L'amour véritable est un état d'esprit qui n'est pas lié au souvenir, C'est quelque chose d'immédiat mais il semble qu'il puisse être parfois relié à la souffrance. Il nous faut donc examiner quelle est la nature de cette relation de l'amour à la souffrance. L'amour serait-il une élaboration de la pensée et quelle place tient la pensée dans cette relation de l'amour à la souffrance ? Si l'amour n'est pas le fait de la pensée, l'action que dicte l'amour est différente de l'action dictée par la souffrance. En avoir la vision pénétrante permet de vérifier que l'on ne fuit pas, qu'on n'a pas besoin de consolation, qu'on n'a pas peur d'être seul ou isolé, ce qui signifie qu'on a l'esprit libre et vacant. La souffrance en tant qu'expression du moi disparait alors, et l'on découvre qu'il est possible d'aimer sans l'ombre d'une souffrance. La pensée n'est pas l'amour. La pensée n'est pas non plus la compassion car la compassion n'est jamais le produit de la pensée. Elle est l'intelligence qui, lorsqu'elle se met en œuvre, agit et il n'y a plus désormais dans cette action que la perception du mouvement intemporel. Et c'est bien cela, l'amour véritable. Il est dans l'instant présent et non dans le souvenir de l'amour passé, ou dans l'espoir de l'amour futur, car c'est un état d'esprit complètement étranger au temps. L'amour, ce sentiment prodigieux, n'appartient absolument pas au temps. L'amour est toujours neuf, toujours nouveau. L'amour apporte la joie et le bonheur. Lorsqu'on a cette qualité d'amour extraordinaire, sachons que, dans cette qualité même, réside l'intelligence suprême. Alors, ce n'est  plus nous-mêmes, c'est cette intelligence cosmique qui agit dans la relation à autrui, et c'est une modification fondamentale au sein de la société monstrueuse que nous avons bâtie.

Citations de J. KRISHNAMURTI
relatives à l'amour et à la mort
Extraites du livre « Plénitude la vie »

 « L'amour est la passion, qui est compassion. Sans cette passion et cette compassion, qui ont une intelligence propre, on n'agit que dans un cadre limité; toutes nos actions sont restreintes. Là où règne la compassion, cette action est totale, complète, irrévocable. ».

Á Pine Cottage, dans la vallée d'Ojai -« Est-il possible, pendant que l'on vit, de mourir, c'est-à-dire de parvenir à sa fin, de n'être rien du tout ? Est-il possible, en vivant dans ce monde où tout "devient" de plus en plus (ou "devient" de moins en moins) où tout est un processus d'escalades, de réussites, de succès, est-il possible, dans un tel inonde, de connaître la mort ? Est-il possible d'achever chaque souvenir ? (Il ne s'agit pas des souvenirs des faits : de l'adresse de votre domicile, etc.). Est-il possible de mettre fin à chaque attachement intérieur, à une sécurité psychologique, à tous les souvenirs que nous avons accumulés, emmagasinés, et où nous puisons notre sécurité et notre bonheur ? Est-il possible de mettre fin à tout cela, ce qui veut dire mourir chaque jour pour qu'un renouveau puisse avoir lieu demain ? Ce n'est qu'alors que l'on connaît la mort pendant que l'on vit. Ce n'est qu'en cette mort, en cette fin, en cet arrêt de la continuité, qu'est le renouveau, la création de ce qui est éternel. ».

« L'esprit peut-il regarder en face quelque chose dont il ne sait rien. ». Il faut regarder en face, dit Krishnamurti,  une des choses les plus importantes de la vie, notre mort inéluctable dont nous ne savons absolument rien.  Toutes les civilisations, les anciennes comme les modernes, ont voulu la maitriser, en imaginant une sorte d'immortalité ou de vie après la mort. la vérité est que nous n'en savons rien si ce n'est qu'un jour notre existence terrestre doit prendre fin. Nous avons peur de prendre fin et cette peur nous empêche de regarder en face ce qu'est la mort. Nous savons seulement qu'elle est la fin du corps physique qui va être détruit et que le cerveau, le sanctuaire de la mémoire et l'organe de la pensée, va mourir aussi. Voilà ce qu'est la mort. Quand l'organisme meurt, la pensée qui est un processus matériel meurt avec lui. La pensée, qui crée continument toute la structure du moi, rejette cette vision d'anéantissement, imaginant alors qu'il existe un autre monde. Sachons que cet autre monde n'est qu'un autre mouvement de la pensée. Mais si l'esprit est capable de se libérer chaque jour de tout l'esclavage des attachements terrestres et des multiples désirs lancinants, jusqu'à ce qu'ils cessent vraiment d'exister, alors, nous vivons une vie pleine de vigueur d'énergie et de conscience, nous voyons toute la beauté de la terre et aussi la disparition instantanée de tout cela lorsque vient la mort. Vivre réellement avant la mort, c'est vivre avec la mort, et donc vivre dans un univers intemporel. On vit une vie dans laquelle tout ce qu'on acquiert est constamment en train de prendre fin, de sorte qu'il y a un formidable mouvement et qu'on ne reste pas en un point fixe.  Il ne s'agit pas ici d'un concept. C'est en invitant la mort, qui signifie la fin de tout ce qui nous appartient, c'est en mourant à tout cela chaque jour, à chaque minute, que l'on découvrira un état aux dimensions intemporelles dans lequel le mouvement, qui est pour nous le temps, n'est plus. Cela signifie que la conscience s'est vidée de son contenu, en sorte qu'il n'y a plus de temps. Le temps est aboli, voilà ce qu'est la mort. » 

Citations de J. KRISHNAMURTI  relatives à la mort
Extraites du livre « l'éveil de l'intelligence »

 « La pensée et  sa soif de sécurité ont fait de la mort quelque chose de séparé d'elle-même. Elle s'est construite en tan qu'instrument de survie, et elle a créé l'immortalité dans la personne de Jésus, ou ceci, ou cela. La pensée est incapable de contempler sa propre mort Quand elle s'y efforce, elle projette sans cesse autre chose, un point de vue plus large, à partir duquel elle semble se regarder. Celui qui s'imagine mort, s'imagine comme étant vivant et se contemplant lui-même comme étant mort. ».

Extrait du dernier journal à Pine Cottage,
dans la vallée d'Ojai 
 - 30 mars 1984

« Si vous comprenez la nature de la mort, vous n'aurez pas à indiquer que tout meurt, que la poussière retourne à la poussière, mais, sans aucune peur, vous leur expliquerez doucement la mort. Vous leur ferez sentir que vivre et mourir ne font qu'un, ne sont qu'un seul mouvement qui ne commence pas à la fin de la vie après cinquante, soixante ou quatre-vingt-dix ans, mais que la mort est comme cette feuille. Voyez les hommes et les femmes âgés, comme ils sont décrépits, perdus, malheureux, comme ils sont laids. Serait-ce qu'ils n'ont pas compris ce que signifie vivre ou mourir ? Ils ont utilisé la vie, s'en sont servis, l'ont gaspillée dans le conflit sans fin qui ne fait qu'exercer et fortifier la personne, le moi, l'ego. Nous passons nos jours en conflits et malheurs de toutes sortes, parsemés d'un peu de joie et de plaisir, mangeant, buvant, fumant, dans les veilles et le travail incessant. Et, à la fin de notre vie, nous nous trouvons face à cette chose qu'on appelle la mort et dont on a peur. Et l'on pense qu'elle pourra toujours être comprise et ressentie en profondeur. » .

Krishnamurti assure qu'en dessous du flux continu d'images qui constitue la pensée, il existe un courant beaucoup plus profond qui est celui du chagrin. Il y a un million d'années que l'homme vit avec le chagrin. Le chagrin est un fleuve puissant dont les remous alimentent la création d'images en affleurant la surface. Il est une tristesse encore plus profonde que le chagrin de la pensée. Cette tristesse universelle résulte du constat d'une  grande ignorance dont l'homme ne parvient pas à sortir. Nous avons conscience du désastre universel de l'humanité, du perpétuel  retour de guerres et de la pauvreté, et des persécutions mutuelles que s'infligent les gens, et cela nous laisse un grand sentiment d'absurdité. Lorsque nous avons une ision pénétrante de la détresse profonde de l'humanité, de cet immense réservoir de tristesse, cette prise de conscience libère une immense énergie que la tristesse emprisonnait, et qui est un courant encore plus profond. Cette immense énergie n'est pas pas la source de la compassion, elle est la compassion même. Et, au delà de la compassion, il y a quelque chose de sacré, qui est sans limite et sans mouvement. La pensée, produit de la mémoire, donc du temps, est limitée, finie, fragmentée. On ne peut pas comparer à la pensée ce que nous découvrons ici, car c'est quelque chose de vivant qui n'est pas lié au temps. Ce n'est accessible qu'à l'homme qui s'est délivrée des images et du faiseur d'images, à celui qui va au delà de tout, en mourant à tout. Et donc, la relation au sacré passe par la vision pénétrante l'intelligence et la compassion. Ayez une vision pénétrante de tout cela. Mettez vous à l'œuvre avec cette intelligence qui n'est pas celle d'un brillant sujet, cette intelligence qui n'appartient ni à vous ni à moi, mais avec l'intelligence universelle. Avancez plus encore, et avec cette intelligence globale, cosmique, ayez la vision pénétrante  de la tristesse profonde  de l'humanité. De cette vision naît la compassion. Creusez encore cette compassion. Alors, il y a quelque chose de sacré, hors de toute atteinte de la main de l'homme -intact au sens où l'esprit, les désir, les exigences, les prières, les chicanes perpétuelles ne l'ont pas touché. Et c'est peut-être là l'origine de toute chose dont l'homme a fait mauvais usage, l'origine de tout, de toute la matière, de toute l'humanité. ».

"The Core of the Teachings" (Copyright ©1980 Krishnamurti Foundation Trust Ltd. )

Traduction de Marc Marciszever (GREK) de "The Core of the Teachings" (Copyright ©1980 Krishnamurti Foundation Trust Ltd. ) La déclaration suivante, qui contient l’essence des enseignements, a été rédigée par Krishnamurti lui-même le 21 octobre 1980.

« Le cœur des enseignements de Krishnamurti est contenu dans la déclaration qu’il fit en 1929, lorsqu’il dit : La vérité est un pays sans chemin. L’homme ne peut l’atteindre par le biais d’aucune organisation, d’aucun credo, d’aucun dogme, d’aucun prêtre, d’aucun rituel, ni par le biais d’aucune connaissance philosophique ou d’aucune technique psychologique.
Il doit la découvrir dans le miroir de la relation, dans la compréhension des contenus de son propre esprit, par l’observation et non pas par l’analyse intellectuelle ou la dissection introspective.

L’homme a bâti en lui-même des images comme une barrière de sécurité, sécurité religieuse, sécurité politique, sécurité personnelle. Elles se manifestent sous la forme de symboles, d’opinions, de croyances.

Le fardeau de ces images domine la pensée de l’homme, ses relations et sa vie quotidienne. Ces images sont les causes de nos problèmes car elles divisent les hommes entre eux. Sa perception de la vie est façonnée par les concepts déjà présents dans son esprit Le contenu de sa conscience est toute son existence. Ce contenu est commun à toute l’humanité. L’individualité est le nom, l’apparence et la culture superficielle qu’on acquiert par la tradition et par le milieu. La singularité de l’homme ne réside pas dans ce qui est superficiel, mais dans le fait de pleinement se libérer du contenu de sa conscience, qui est commun à tout le genre humain. Donc, l’homme n’est pas un individu. ».

« La liberté n’est pas une réaction ; la liberté n’est pas un choix. C’est l’homme qui prétend que parce qu’il a le choix il est libre. La liberté est pure observation sans direction, sans peur de la sanction et de la récompense. La liberté est sans cause ; la liberté n’est pas au terme de l’évolution de l’homme, mais dès le premier pas de son existence. Dans l’observation, on commence à découvrir le manque de liberté. La liberté est découverte dans la présence sans choix (choiceless awareness) à notre existence et à nos activités quotidiennes. La pensée est le temps. La pensée naît de l’expérience et du savoir qui sont inséparables du temps et du passé. Le temps est l’ennemi psychologique de l’homme. Notre activité repose sur le savoir et par conséquent sur le temps, ce qui fait que l’homme est toujours esclave du passé. La pensée est toujours limitée, et donc nous vivons constamment dans le conflit et la lutte. Il n’y a pas d’évolution psychologique. » .

« Quand l’homme devient conscient du mouvement de ses propres pensées, il voit la division entre le penseur et la pensée, entre l’observateur et l’observé, entre l’expérience et celui qui fait l’expérience. Il découvre que cette division est une illusion. Seulement alors y a-t-il pure observation, qui est une vision pénétrante (insight) sans la moindre ombre du passé ou du temps. Cette vision pénétrante atemporelle provoque une mutation radicale de l’esprit. » .

« La négation totale est l’essence du positif. Quand il y a négation de toutes ces choses que la pensée a psychologiquement provoquées, alors seulement y a-t-il amour, qui est compassion et intelligence. »

Entretien avec Krishnamurti avec Carlo Suarès,
Revue Planète 1964
.

Ainsi, nous voici devant un des problèmes majeurs : la mort. Pour comprendre cette question, non pas verbalement mais en fait, je veux dire pour pénétrer en toute réalité le fait de la mort, on doit se débarrasser de tout concept, de toute spéculation, de toute croyance à son sujet, car toute idée que l’on peut avoir là-dessus est engendrée par la peur. Si nous sommes sans peur, vous et moi, nous pouvons poser correctement la question de la mort. Nous ne nous demanderons pas ce qui arrive « après », mais nous explorerons la mort en tant que fait. Pour comprendre ce qu’est la mort, toute mendicité tâtonnante dans les ténèbres doit cesser. Sommes-nous, vous et moi, dans cette disposition d’esprit qui ne cherche pas à savoir ce qu’il y a « après la mort », mais qui se demande ce qu’est la mort? Voyez-vous la différence? Si l’on se demande ce qu’il y a « après », c’est parce que l’on ne se demande pas ce que c’est. Et sommes-nous en condition de nous poser cette question? Peut-on réellement se demander ce qu’est la mort tant que l’on ne se demande pas ce qu’est la vie? Et est-ce se demander ce qu’est la vie, tant qu’on a des notions, des idées, des théories au sujet de ce qu’elle est? Quelle est la vie que nous connaissons? Nous connaissons l’existence d’une conscience qui se débat sans cesse dans toutes sortes de conflits intérieurs et extérieurs. Déchirée dans ses contradictions, cette existence est contenue dans le cercle de ses exigences et de ses obligations, des plaisirs qu’elle recherche et des souffrances qu’elle fuit. Nous sommes entièrement absorbés par un vide intérieur que l’accumulation de possessions matérielles ou mentales ne peut jamais combler. Dans cet état, la question de ce qu’est la mort ne peut pas se poser, parce que la question de ce qu’est l a vie ne se pose pas. L’existence que nous connaissons est-elle la vie? De même, les explications: résurrection des morts, réincarnation, etc., proviennent-elles d’une connaissance de la mort? Elles ne sont que des projections d’idées que l’on se fait au sujet du fragment d’existence que l’on appelle vie. Mourir à la structure psychologique avec laquelle on s’identifie ; mourir à chaque minute, à chaque journée, à chaque acte que l’on fait, mourir à l’immédiat du plaisir et à la durée de la peine, et savoir tout ce qui est impliqué dans ce mourir ; alors on est apte à poser la question : qu’est-ce que la mort? On ne discute pas avec la mort corporelle. Et pourtant, seuls ceux qui savent mourir d’instant en instant peuvent éviter d’entreprendre avec la mort un impossible dialogue. En cette mort perpétuelle est un perpétuel renouveau, une fraîcheur qui n’appartient pas au monde de la continuité dans la Durée. Ce mourir est création. Création est mort et amour.  ».


 

 

 

 

CHAPITRE 11

 

                                        

Jung – Du livre rouge à la Fleur d’or

 

 

Introduction

 

 

 

Carl G. Jung naquit le 26 juillet 1875 en Suisse, et mourut le 6 juin 1961. Son père était un pasteur luthérien allemand qui lui enseigna le latin, et sa mère assez dépressive était férue de spiritisme. Après une adolescence difficile, voire douloureuse, Carl Jung s'intéressa à la philosophie, à la littérature médiévale, aux sciences naturelles et à la religion, puis devint assistant à la clinique psychiatrique de l’université de Zurich et s'y familiarisa avec le milieu psychiatrique. Il rencontra Freud en 1907, mais leurs approches divergentes de la psychologie les fit se séparer en 1910. Carl Jung se maria en 1903 avec Emma Rauschenbach avec laquelle il eut cinq enfants. Elle était également psychothérapeute et l'auteur de "Animus-Anima" et de "La légende du Graal".  Pour approfondir ses recherches et préparer son activité de psychiatre, Carl Jung voyagea souvent ce qui lui permit de connaître les États Unis et la pensée indienne, les Indiens d'Arizona et du nouveau Mexique, la Texas et la Nouvelle Orléans, Il se rendit aussi au Maghreb et en Ouganda où il découvrit le système religieux des Hopis, fondé sur la prédominance du soleil, puis il visita l'Égypte et le Soudan, les tribus du Kenya, l'Inde et y étudia la pensée orientale. Chercheur passionné, il écrivait beaucoup et on lui doit de nombreux ouvrages en particulier sur "l'inconscient collectif", "le concept d'individuation"," Psychologie et alchimie", puis l'apparition surprenante de la "synchronicité" étudiée avec von Pauli et les ouvrages traitant de la symbolique alchimique. Il fonda de son vivant deux centres de recherches, "La société suisse de psychologie pratique, en 1945" et "l'Institut C.G. Jung, en 1948" à Küsnacht où il résidait.

 

Jung rencontra Freud  à Vienne, et exprima son accord sur l'importance du transfert dans le traitement des désordres psychiques. Il adhéra d'abord aux positions de Freud. Leur relation se consolida à partir de 1907 et les deux hommes échangèrent près de 360 lettres en huit années. Cependant, dès leurs premières rencontres, un désaccord apparut concernant la primauté donnée par Freud aux facteurs sexuels. Jung en parla dans son livre "Ma vie" : "J'ai encore un vif souvenir de Freud me disant : "Mon cher Jung, promettez-moi de ne jamais abandonner la théorie sexuelle. C'est le plus essentiel ! Voyez-vous, nous devons en faire un dogme, un bastion inébranlable." Je lui demandai : "Un bastion - contre quoi ?" Il me répondit: "Contre le flot de vase noire de l'occultisme !" Ces mots "bastion" et "dogme" choquèrent Jung, car ils  lui semblaient révéler une volonté personnelle de puissance. Ce choc altéra leur amitié. Jung comprit qu'il ne pourrait jamais adopter la position de Freud qui semblait entendre par "occultisme" tout ce que la philosophie, la religion et la parapsychologie naissante pouvaient dire de l'âme. Or, c'était justement cet "occultisme" que Jung voulait comprendre et explorer. « Mon âme, où es-tu? M’entends-tu? Je parle, je t’appelle, es-tu là ? », écrit-il en 1913 au bord du lac de Zurich. Les idées de deux hommes divergèrent donc progressivement, et Jung devait dire plus tard au Dr Bernhard Baur-Celio : " Mais il est encore une chose que je voudrais vous dire : Ce qu'on appelle exploration de l'inconscient dévoile en fait et en vérité l'antique et intemporelle voie initiatique.../.. Seul un "chevalier" risquera "la queste et l'aventiure".  Rien ne disparaît définitivement, c'est l'effrayante découverte de tous ceux qui ont ouvert cette porte.  Mais l'angoisse primordiale est si grande../.. qu'on n'a rien vu derrière cette porte../.. Cette porte, toute banale, ouvre sur un étroit sentier../.. que bien peu seulement ont suivi,../.. qui mène au secret de la métamorphose et du renouveau. " .

 

Pour Jung, le facteur religieux est une composante-même de l'inconscient qui ne peut se réduire à la simple  sublimation des pulsions sexuelles. L'inconscient ne se compose pas uniquement du passé refoulé, mais il contient les germes de toute activité créatrice. C'est une sorte de matrice, douée d'autonomie et d'action spontanée sur le conscient, capable de modifier et renouveler la personnalité entière. En observant silencieusement les rêves des patients, Jung découvrait en œuvre,  le processus d'émergence de "l'individuation". Il retrouvait aussi la marque de ce processus et de ces images dans les mythologies et légendes et dans les religions de toutes les cultures et époques de l'humanité. C'est surtout dans l'alchimie que Jung retrouva une base historique accréditant ses hypothèses d'inconscient collectif et d'archétypes. En 1913 Jung présenta au XVIIe Congrès international de médecine, à Londres, une nouvelle approche qu'il nomma la "psychologie analytique", pour la distinguer de la "psychanalyse de Freud" et de la "psychologie des profondeurs d'Eugène Bleuler". Jung y suggérait de libérer la théorie psychanalytique de son "point de vue exclusivement sexuel" en se focalisant sur un nouveau point de vue énergétique  développé par Henri Bergson. Jung y fit ensuite une intervention intitulée "Contribution au problème des types psychologiques", une nouvelle typologie de la personnalité qui était une autre façon de se démarquer de Freud. Cette conférence mit fin à la relation entre Jung et Freud, qui y vit une trahison et écrivit à Jung en octobre 1913 pour entériner leur rupture "../.. Par conséquent, je propose que nous abandonnions nos relations personnelles complètement".

 

Á partir des années 1926 et 1927, en raison de sa notoriété croissante, Jung est affilié à un groupe d'analystes berlinois, dirigé par Robert Sommer et Wladimir Eliasberg, nommé Société médicale allemande de psychothérapie (Deutsche Psychoanalystiche Gesellschaft), et qui a pour but de fédérer les perspectives freudiennes, jungienne et adlérienne. Il est nommé membre d'honneur en 1930. En 1939, quoique démissionnaire, Jung fut nommé président de la Société médicale générale de psychothérapie qui devient ensuite l'Institut Göring. Installé en Suisse avant la guerre de 1940, Jung y avait écrit un ouvrage attirant l'attention sur la dangerosité de l'Allemagne. Quoique le livre ait été censuré, après guerre, eten raison de son passé, Jung n'évita pas d'être suspecté de sympathie pour les nazis. On apprit pourtant ensuite que durant la Seconde Guerre mondiale, il avait été recruté sous le nom d'« agent 488 » par les services secrets alliés et qu'il avait activement agi pour faire passer des fuyards juifs vers la Suisse. En 1944, à la suite d'un infarctus, il vécut, semble-t-il,  une NDE (Near Death Experience), une expérience de mort imminente dont il disait qu'une force invisible l'avait obligé à "revenir sur terre". C'est peut être à la suite de ces expériences que Jung dirigea sa pensée dans le domaine ésotérique. Jung y produisit des œuvres majeures dont les deux tomes de "Mysterium conjuntionis", les "Commentaires sur le Mystère de la Fleur d'or", et le fameux "Livre rouge" qui n'était au départ qu'un ensemble de six petits cahiers noirs, soigneusement calligraphiés et illustrés à la main, un recueil personnel et intime non destiné à être publié, et qui s'enrichit ensuite superbement en deux parties ("Liber novus" et "Liber secundus"). Ce sont essentiellement toutes ces recherches ésotériques qui seront présentées dans cette étude.

"Ce n'est pas moi qui me crée moi-même, bien au contraire. J'adviens à moi-même."(C.G. JUNG)

 

Le moi et l'inconscient

 

Jung étudiait la psychologie humaine et plus particulièrement l’inconscient, domaine psychique inaccessible à la pensée consciente. Il  acceptait bien  la notion freudienne d'inconscient personnel, un corpus de matériaux et d'éléments de la vie du sujet passés ou refoulés sous le seuil de la conscience. Jung postulait qu'outre cet inconscient personnel, il existait un autre inconscient, commun à l'ensemble des hommes. Le contenu de cet autre inconscient consisterait en diverses conformations psychiques préétablies indépendamment du vécu individuel. Jung pensait que ce second corpus pouvait pathologiquement se doter  d'une certaine autonomie. Il rappelait aussi que la vie psychique est une démarche orientée vers une fin. Pour réaliser cette finalité une confrontation consciente avec tous les contenus de l'inconscient lui semblait nécessaire. Chaque individu est évidemment un être particulier mais il est aussi un être social. Chacun naît avec des possibilités fort différenciées de vie personnelle et sociale, qui lui donnent sa valeur propre. Jung a donc étudié les techniques de cette différenciation personnelle par la prise en compte chez ses patients des rêves et des fantasmes qui avaient constitué chez lui les fondements de sa propre expérience. Il a constaté qu'en général, les conflits engendrés par une tension psychique se résolvaient par une régulation consciente et raisonnable, mais qu'une distorsion pathologique pouvait entraîner un transfert vers un objet de substitution ou se manifester par des fantasmes ou rêves révélateurs. Jung pensait qu'en étudiant ces manifestations, le psychanalyste pouvait en faire remonter l'élément causal au niveau conscient. Il a découvert que c'était effectivement possible pour les contenus de l'inconscient personnel, mais cela ne l'était pas pour ceux de l'autre corpus qui était donc de nature différente (comme p .e. le concept de Dieu), partagés par des groupes ou collectivités humaines, et il a appelé ce second corpus "inconscient collectif".

 

Réfléchissant en thérapeute, Jung imagina que les désordres psychiques provenaient d'une assimilation de l'inconscient personnel  (vécu) ou importé (collectif), dans la personnalité, un processus qui a des conséquences. Jung distinguait deux profils réactifs typiques: l’extraverti tourné vers les autres et l’introverti tourné vers lui-même. Lorsque le sujet se laisse dominer par son inconscient au détriment du son état conscient, il en vient à perdre son équilibre psychique. Le conscient défaillant serait remplacé par l’activité automatique de l’inconscient. L’extraverti réagira de façon active et l’introverti de façon réactive. Selon Jung, trois types de réactions peuvent alors apparaitre : 1. Le conscient peut être capable de comprendre et d’intégrer les contenus de l’inconscient et la situation va évoluer favorablement. 2. L’inconscient prend le dessus sur le conscient provoquant un état psychotique. 3. Un état intermédiaire s'établit sans compréhension réelle de la situation, ce qui crée un conflit bloquant toute possibilité d’évolution. Il est  important de reconnaître ce qui vient de l'individuel et du collectif. La différenciation rigoureuse de la psyché collective est une nécessité pour éviter la dissolution de l’individuel dans le collectif, laquelle peut provoquer une identification à une entité ou un personnage symbolique, historique ou imaginaire. Jung désigne sous le nom de "persona" le fragment de la psyché collective sur lequel l’individu peut vouloir se calquer en sacrifiant une part de son caractère personnel. Chez les anciens la "persona" désignait le masque des comédiens. « Ce masque de la "persona" dissimule ainsi une partie de la psyché collective et l’illusion de l’individualité ». Le choix du masque n’est pas neutre, il correspond à une partie du soi imprégnée dans l’inconscient.

 

Quand le sujet perd ses structures conscientes, l’inconscient personnel ou collectif prend la direction de l’être. Lorsqu’un individu subit la confusion de ses domaines conscients et inconscients, il imagine avoir surmonté son conflit moral (du bien et du mal) et avoir dominé ses difficultés. Il faut, et c'est important, inclure ici différentes convictions ou héritages, religieux, politiques, ethniques ou sociétaux. Le sujet se sent choisi ou supérieur, « ressemblant à Dieu, d'une certaine façon ». Jung appelle cela « l’inflation psychique ». Pour illustrer l'idée, il évoque l’identification d'individus à leurs poste ou leurs fonction en s’en attribuant les qualités. Celui qui s’identifie à sa psyché collective accepte cette inflation. Il se sent détenteur de la "vérité". Cela peut provoquer l'orgueil, la mégalomanie,  un comportement charismatique ou  prophétique. L’accès à la psyché collective induit un renouveau agréable que l'on voudra conserver, mais les vrais prophètes, dit Jung, sont rares et s'en défendent. Une autre façon consiste à devenir disciple de l'envoyé, (La vertu sans le poids du rôle). Si le sujet adhère aux contenus inconscients, cela peut produire une paranoïa ou une schizophrénie. S'il les rejette totalement, il peut être exclu de sa communauté. Il convient donc de reconstituer la persona altérée. Cela peut parfois se faire de façon régressive surtout lorsque le sujet a subi la chute de son statut social et qu'il reconstitue à ce niveau inférieur l’équilibre de sa personnalité. On connait l'exemple récent et vrai de l'empereur de Chine devenu jardinier du palais. La reconstitution régressive de la persona peut aussi faire suite à  un transfert : Le transfert est un moyen inconscient reportant les désirs inconscients du patient sur le thérapeute. Il faut savoir que la rupture brutale d’un transfert peut déclencher une rechute aussi grave que le mal initial.

 

Le Moi conscient s'identifie d'abord avec la persona. L'ancien masque du comédien indiquait son rôle dans la pièce. Le masque issu de la persona veut convaincre les autres et nous-mêmes que notre être est individuel : il n'en est rien, il s'agit d'un simple artifice. L'identification au rôle social ou honorifique participe à la constitution de la persona. Jung affirme que la persona n’a pourtant rien de réel, elle n’est qu’un compromis entre l’individu et la société. Le masque que revêt l’individu dissimule la part de psyché collective assimilée et donne l’illusion de l’individualité, mais « personne ne peut retrancher arbitrairement de l'inconscient la force agissante et créatrice ».  Jung souligne que : «l'énergie de l'inconscient ne peut être soustraite à celui-ci que très partiellement../.. il renferme et constitue lui-même la source de la libido dont émanent les éléments psychiques qui font notre vie ». La spontanéité inconsciente est la marque essentielle de la pensée créatrice.  L'inconscient a une activité autonome. Jung emploie le terme "d'imago" pour illustrer les images intrapsychiques que suscitent les êtres qui entourent un individu, comme de l'influence des parents sur les réactions de l'enfant. l'image inconsciente des parents devient active et dynamique au conscient lorsque ces derniers viennent à mourir. Plus le champ de la conscience est limité, plus les manifestations inconscientes lui apparaîtront extérieures. Á un niveau supérieur de développement du conscient, ces "imagines" (pluriel d'imago), s'inscriront entre le conscient et l'inconscient. Demeurant autonomes, elles entreront dans le conscient et pourront constituer une source d'inspiration, de prémonitions ou "d'information surnaturelles". En mûrissant, l’adolescent refoulera les influences reçues et « les imagines parentales », personnelles et collectives, dans son inconscient d’adulte. Ici apparaissent les notions « d'anima et d'animus ».

 

 

L'individuation

 

 

L'homme hérite d’images virtuelles qui, dit Jung,  « sont comme le sédiment de toutes les expériences vécues par la lignée ancestrale ; elles en sont le résidu structurel, non les expériences elles-mêmes ». Le masculin est adapté au féminin. Chez l'adolescent les "imagines parentaux" vont faire place à l’imago de la "femme compagne". Selon Jung, pour caractériser son genre, en devenant adulte l’homme refoule alors tout trait féminin personnel. Il choisirait donc sa compagne en fonction de sa propre féminité inconsciente refoulée, "l'imago de la femme" qu'il porte en lui. « C’est pourquoi l’homme dans le choix de la femme aimée, succombe souvent à la tentation de conquérir précisément la femme qui correspond le mieux à sa nature inconsciente. ». Ainsi sous le couvert du mariage idéal et exclusif, l’homme chercherait la protection de sa mère. Dans l'enfance, elle assurait sa sécurité et le protégeait des dangers et des terreurs nocturnes. La séparation d'avec la mère, en tant que réceptacle de l’anima du fils, constituerait donc un tournant évolutif dans la vie de l’individu. Dans la persona de l'adolescent devenant adulte, son image idéale du mâle, vient s'intégrer une «  faiblesse  féminine » un manque ressenti que Jung appelle l’anima (l'âme en latin). L’homme perçoit bien que l'anima, cette faiblesse de son conscient, l'empêche d'être le parangon de virilité qu'il affiche. Cela entraîne un complexe d’infériorité que sa femme, dit malicieusement Jung, ne manquera pas d'exploiter. Chez la femme: l’élément de compensation revêt un caractère masculin. Jung l'appelle animus, mais il souligne la grande difficulté de son étude. Il lui est déjà difficile de décrire complètement l’anima, et pour l’animus,  il avoue qu'il a bien des difficultés pour décrire quelque chose qui ne lui appartient pas. « L’anima et l’animus ne sont pas des notions métaphysiques mais bien empiriques, qu'il convient donc d'approfondir. ».

Le père, avec sa fonction protectrice, constitue le réceptacle de la persona de l’enfant. Il rend socialement légitime l’être grandissant tandis la mère assure la pérennité d’appartenance au groupe., d'où les dégâts que provoque la carence d’un père ou d’une mère. On a vu que l'anima, (l'animus chez la femme) s'opposait à la persona. « Tout ce qui est inconscient est projeté ». Chez l'homme, l'anima est projetée sur une femme, qui se voit attribuer toute une série de qualités qui en réalité appartiennent au sujet. Les femmes sont des êtres « à part », dit Jung. Elles disposeraient d’un conscient différent de l’homme, et leur animus serait la source d’opinions très solides, et de fermes aprioris. « Chez la femme, dit-il, les choses se présentent sous un jour différent », l'animus « est quelque chose comme une assemblée ../.. de porteurs de l'autorité ../..  qui émettent des jugements "raisonnables" inattaquables ». « L'animus est une manière de condensation de toutes les expériences accumulées par la lignée ancestrale au contact de l'homme ../..  mais pas seulement cela, l'animus est aussi un être créateur, une matrice../. ». Et si chez l’homme l’anima apparaît sous les traits idéalisé d’une femme, d'une Circé ou d'une Calypso, chez la femme l’animus apparaît sous les traits d’une pluralité de porteurs de l’autorité qui tiennent des raisonnements inattaquables. Alors que l'anima est la source d'humeurs, l'animus est la source d'opinions.  Une femme possédée par son animus est en grand danger de perdre sa féminité tout l'anima de l'homme risque de le rendre efféminé. L'animus sera tout aussi fréquemment projeté que l'anima. Les hommes sur lesquels l’animus est le plus susceptible de se projeter seront les plus aptes à servir de réceptacle. Les opinions de l’animus seront toujours de nature collective, donc, aux yeux de l’homme, quelque chose de suprêmement irritant. Toute amusante qu'elle soit, la partialité de Jung est ici, me semble-t-il, assez révélatrice de ses problèmes conjugaux.

L'individuation, (de in-divis, celui qui n’est pas divisé, celui qui est en processus de re-conjonction des opposés séparés), permet à l'être humain de devenir réellement ce qu'il est au plus profond de lui-même, c'est à dire de la réalisation du Soi. Jung disait que : « L'individuation n'a d'autre but que de libérer le Soi des fausses enveloppes de la persona, et de la force suggestive des images inconscientes ». Ce processus spontané se déroule généralement de manière souterraine. Il commence par la nécessaire différenciation entre le Moi et l'inconscient. Il passe donc par la confrontation entre ces deux composantes de la psyché et doit aboutir à ce que le conscient devienne son principe directeur en se positionnant au centre de sa personnalité globale. « L'homme qui a conscience de ce qu'est son principe directeur sait avec quelle autorité indiscutable ce principe dispose de notre vie. ». « Si les contenus collectifs demeurent inconscients, l'individu, empêtré dans les mille liens qui le rattachent aux autres individus chez qui ils sont également inconscients, demeure inconsciemment confondu avec eux. Il ne s'est pas différencié. Il ne s'est pas individué. Il n'est pas un individu. ». « Ce qu'il faut entendre par le centre de la personnalité ../.. n'est peut-être pas aisément compréhensible../.. Imaginons-nous le conscient avec son centre qui est le Moi dans sa confrontation avec l'inconscient; cette confrontation entraîne un processus d'assimilation de l'inconscient. Nous pouvons nous représenter cette assimilation comme une manière de rapprochement entre le conscient et l'inconscient à la suite duquel le centre de la personnalité globale ne coïncidera plus avec le Moi, mais sera figuré par un point qui se trouvera à mi-chemin à mi-chemin entre le conscient et l'inconscient. ». Selon Jung, l'individuation se confond ave l'idéal chrétien originel du Royaume des Cieux "qui est en nous." L'idée de base sur laquelle s'est édifié cet idéal est que l'action et le comportement justes ne peuvent résulter que de la droiture d'esprit et d'un état d'âme sain, et qu'il ne saurait y avoir de guérison et d'amélioration du monde qui ne prennent leur point de départ dans l'individu ».


MYSTERIUM CONJUNCTIONIS
 - Le mystère de la conjonction ( des extrêmes) –

AVERTISSEMENT

JUNG pensait fermement que les alchimistes avaient découvert empiriquement et bien avant les psychiatres modernes les problèmes posés dans la psyché humaine par les déséquilibres éventuellement advenus entre les conscient et l'inconscient. Il a publié l'état de ses recherches dans des traités énormes et très documentés, dont je vais m'efforcer de vous faire partager l'esprit. Je dois néanmoins informer le lecteur qu'il est très difficile de condenser en quelques lignes un travail de cette importance. Qu'ils veuillent bien excuser les éventuels manques ou omissions, sachant que chacun des paragraphes qui suivent représentent cinquante à cent pages du texte de JUNG.

 

Mysterium conjunctionis Tome 1 -  (Les symboles)

 

Le Mystère de la conjonction des opposés.

 

« Ce serait une impardonnable erreur, disait Jung, de ne voir dans le courant de pensée alchimique, ../.. que des opérations de cornues et de fourneaux. Certes, l'alchimie a aussi ce côté, et c'est dans cet aspect qu'elle  constitua les débuts tâtonnants de la chimie exacte. Mais l'alchimie a aussi un côté vie de l'esprit qu'il faut se garder de  sous-estimer, un côté psychologique dont on est loin d'avoir tiré tout ce qu'il y a à en tirer. Il existe une "Philosophie alchimique", précurseur titubant de la psychologie la plus moderne. Dans l'ombre de l'inconscient est caché un trésor, le "Trésor difficile à atteindre", caractérisé tantôt par une perle brillante, tantôt, comme dit Paracelse, par un "Mysterium", ce qui indique quelque chose de fascinant par excellence. Ce sont les possibilités d'une vie et d'un progrès spirituels ou symboliques qui constituent le but dernier, mais inconscient, de la régression. ». Jung a présenté l'important ouvrage qu'il a consacré au rapprochement de la psychologie moderne avec l'alchimie médiévale comme une série d'études sur la séparation et la réunion des opérations psychiques dans l'alchimie. Il y a travaillé pendant dix ans avec sa collaboratrice , Mme M. L. von Franz. Le livre commence par la présentation des composants de la conjonction et de la dualité alchimique des opposés, des symboles qui l’expriment et de leur signification psychologique. « L'essentiel de l'art alchimique, dit Jung, consiste en la séparation et la dissolution d'une part, la réunion et la coagulation d'autre part (Solve et coagula). ». La situation est analogue dans la psychologie et dans l'alchimie. On est en présence d'un état initial dans lequel des tendances ou forces opposées sont en lutte, et l'on doit ensuite engager un processus capable de ramener ces éléments à l'unité. Il faut réunir les deux époux, (sponsus et sponsa). Dans les deux cas, d'ailleurs, la situation de départ est obscure, et il convient d'en découvrir d'abord la nature, la (Materia prima). La suite, qui n'est pas plus facile, consistera à confronter les opposés en visant à en réaliser l'union durable.


MYSTERIUM CONJUNCTIONIS

- C. J JUNG -

 
Exemple de la complexité d'interprétation du texte.

Extrait du tome 1 -chapitre 3  " l'Orpheline et la Veuve"
 Albin Michel - 1956

« Sache que tu possèdes un corps qui perce les corps, une nature qui contient la nature, une nature qui se réjouit de la nature. qui est appelée à coup sûr "tyriaque" des philosophes, car, comme la vipère, lorsqu'elle conçoit, coupe la tête du mâle dans l'ardeur de son plaisir, meurt en enfantant et se trouve coupée par le milieu. Ainsi l'humidité lunaire concevant la lumière solaire qui lui convient, tue le soleil et meurt elle-même, en enfantant la progéniture des philosophes; et les deux parents, en mourant, transmettent leur âme à leur fils et périssent. Et les parents sont la nourriture de leur fils. ».  -   NDLR-  Le thyriaque est un  anti-poison essentiellement à base d'opium.

Jung cite des couples d'opposés, chaleur/froid, humidité/sécheresse, vie/mort, esprit/âme, licorne/cerf, etc, qui se présentent souvent dans une structure quaternaire (les quatre éléments, les quatre âges de l'homme), sorte de croix symbolique. La signification du Mercure (spititus mercurii), en fait le principe unificateur synthétisant l'union des couples d’opposés dans ce "quaternio", en relation avec un arrière-plan chrétien. La double quaternité, l'octoade, combinant la croix simple à la croix dite de St André, représente la totalité, à la fois céleste et terrestre, spirituelle et corporelle, qui se trouve dans l'inconscient. « C'est, à n'en pas douter dit Jung, le microcosme, l'Adam mystique, l'homme primordial. C'est pourquoi, dit-il encore, dans le Gnosticisme, non seulement le "Père de Tout" est décrit comme ni masculin ni féminin mais qu'il est aussi appelé le "fond" ou "l'abîme". En sa forme physique (materia prima), le Mercure serait donc  l'homme primordial dissous dans le monde matériel, et en sa forme sublimée, la totalité restaurée de cet "Anthropos" triomphant. ». Dans la littérature alchimique, on trouve les symboles de "l'Orphelin et de la Veuve". Selon Hermès Trismégiste, le terme "Orphelin" désignerait la pierre philosophale, ainsi qualifiée en raison de sa singularité. La "Veuve" serait alors la matéria prima, la mère de la pierre, le principe alchimique féminin, Sponsa l'épouse, qui est aussi la Lune obscure, au rôle toujours néfaste ou destructeur. Elle est le symbole alchimique paradoxal de la lumière qui luit dans la nuit, mais qui blesse aussi le Soleil, rôle réalisé dans l'éclipse. Dans la tradition chrétienne, constamment présente chez Jung, la Veuve est l'Église et l'obscurcissement du Soleil, (le Lion, le Soleil intérieur), montre qu'il s'avilit à cause de la chair. Chez les Manichéens, la roue hydraulique inventée par le Fils du Père vivant, le Rédempteur, pour racheter les âmes de hommes, correspond à la "Rota" des alchimistes, et Mani, l'esclave,  était bien le Fils de la Veuve puisque racheté à quatre ans par une riche veuve, il ne connut jamais ses parents.

Pour unifier les opposés, l'alchimie doit les contempler simultanément et les rapprocher, ce qui est paradoxal. La tâche première de l’alchimie visait à mettre en harmonie l’arrière-plan féminin et maternel de la psyché masculine avec l’esprit. Le but était d’effacer le péché originel, ce que tout son art tendait à réaliser. Jung présente ensuite la doctrine alchimique des "scintillae" les "étincelles de l'âme". Ce terme d’étincelle de  l'âme, ou "scintilla", a été utilisé par Maître Eckhart, Héraclite et Simon le Mage, ainsi que dans les textes alchimiques qui la décrivent comme 'l’archaeus', le centre igné de la terre, (mâle et femelle à la fois). « Les étincelles de l'âme du Monde étaient déjà dans la chaos, dans la prima materia au commencement du monde. ». On parle ici de l'âme du monde, mais le texte affirme que ces étincelles sont multiples. On entre alors dans un développement fort intéressant. Les alchimistes considèrent que l'opposition existant entre le masculin et le féminin est majeure. Jung la compare au conflit incestueux décrit par Freud, en référence au péché originel et à l’opposition de nature entre la matière et l’esprit. Le but de l’alchimie est l’unification, celui du second est la discrimination. Le mythe alchimique du roi des mers exprime son double projet : découvrir l’or caché dans la matière et faire renaître la lumière, et donc, par la connaissance, de délivrer l'âme du corps pneumatique hors la corruption de la chair. La volonté chrétienne est de restaurer l’état originel d’innocence par l'ascétisme, la vie monastique et, plus tard, par le célibat des prêtres. Elle est donc tout à l'opposé de l’esprit alchimique. Par l'image symbolique du mariage (purement mystique) de "sponsus" (le Christ) et "sponsa" (l’Église), le Christianisme propose une solution purement spirituelle. L'alchimie lui oppose le mariage alchimique, (physique par nature), la conjonction du Soleil et de la Lune, (une solution conceptuellement presqu'incestueuse). Jung explique que ces deux tentatives échoueront parce que l’opposition des sexes doit être résolue dans l’âme de l’homme. Mais qu'entend ici Jung par l'âme de l'homme ?


MYSTERIUM CONJUNCTIONIS - C. J JUNG
Extrait du tome 1 - " la personnification des opposés"
 Albin Michel - 1956

« Il n'y a rien d'étonnant en soi à ce que l'inconscient se manifeste sous la forme de projections et de symboles, puisque c'est la seule manière dont il puisse être perçu. Mais il n'en va pas de même, semble-t-il, de la conscience. La conscience, en tant que quintessence de ce qui est clairement saisi, paraît être dépourvue de tout ce qui est requis pour une projection. Celle ci n'est pas, bien entendu, un phénomène arbitraire, mais c'est un évènement qui s'impose "de l'extérieur" à la conscience, une apparence de l'objet où le sujet ne discerne pas qu'il est lui-même la source lumineuse dont la clarté fait briller le réflecteur qu'est la projection.  ».

 

 

Extrait du livre de Jung "Commentaires sur le mystère de la fleur d'or" -  Albin Michel -

Fragment de l'avant propos de Michel Cazenave.

 

« Il est un thème, particulièrement, sur lequel je voudrais insister, qui est la notion d'âme. A passer à côté, on passerait tout autant à côté ../.. du nœud central de toute l'expérience et de toute l'œuvre de JUNG. L'âme, pour lui, on le sait, désigne  la "globalité" de la psyché humaine, c'est-à-dire dans une conjonction majeure des opposés, de l'inconscient et de la conscience. Ce qui revient à dire qu'elle est le tiers inclus en même temps qu'elle maintient les séparations opérées.  ».

Les personnages alchimiques de ce drame sont l'Homme et la Femme, le Roi et la Reine, le Soleil et la Lune (sol et luna).  Le Moi perçoit le Soleil comme une entité bénéfique et génératrice, qualités projetées sur l’homme et l’univers. L'alchimie en fait un élément unique, source souveraine du pouvoir, à partir duquel on peut produire de l’or. Il a aussi un côté sombre, parfois nuisible. Son image est le symbole du drame matériel et psychologique qu'est le retour à la matière originelle, la prima materia. La mort du Soleil est donc nécessaire au retour à l’innocence. On constate ici encore la différence entre la dynamique alchimique ascendante (montant des ténèbres matérielles vers la lumière spirituelle) et la descente chrétienne du royaume céleste vers la terre. Les projections alchimiques reflètent l'opposition conscient/inconscient, symbolisée par le Soleil et la Lune. Le Soleil est vu comme une projection du Moi, la condition indispensable à la conscience. Jung distingue le concept du soi, atman supra personnel, totalité du conscient et de l’inconscient, et le moi, atman personnel, point de référence central de l’inconscient (ou "miroir" de l’inconscient). Le soufre alchimique (sulfur), source et fin de tout vivant, serait la prima materia du Soleil et le compagnon de la Lune. Sa nature psychique est double: ignée et corrosive, guérisseuse et purificatrice, corporelle et spirituelle, terrestre et occulte. Il consume et purifie. On l’identifie au diable et d’autre part au Christ. Ill est synonyme de la mystérieuse substance de transmutation. On retrouve le concept jungien du Soi défini comme la totalité humaine, plus grand que le moi conscient et contenant ce moi, l’ombre personnelle et l’inconscient collectif. Les alchimistes mettent en évidence l’existence psychique de l’ombre, opposée et compensatrice du conscient, image positive et structure cachée de la psyché. Le soufre symboliserait le dynamisme impulsif issu de l’ombre et de "l’anthropos" présents dans l’inconscient.

MYSTERIUM CONJUNCTIONIS - C. J JUNG

 Extrait du tome 1 - " luna" - Albin Michel - 1956

« L'homme ne peut reconnaître son anima que sous une forme projetée : Il en va de même de la femme et de son soleil obscur. Si son eros est en ordre, son soleil ne sera pas alors trop sombre et le porteur de la projection signifiera peut-même une compensation utile, mais si elle n'est pas d'accord avec son eros ../.. l'obscurité de son soleil correspond à une personne masculine possédée par l'anima sécrétant une esprit inférieur aussi grisant qu'un fort alcool. .. /.. Le soleil obscur de la psychologie féminine est en rapport avec l'imago paternelle puisque le père est bien le premier porteur de l'image de l'animus. Il donne un contenu et une forme à cette image virtuelle car il est, grâce à son logos,  la source de "l'esprit" pour sa fille. ../.. L'esprit qui est profitable à la femme n'est pas un pur intellect, mais plus que cela : C'est une attitude, un esprit dans lequel on vit. ».

Contrepartie du soleil et deuxième terme de la conjonction, la lune alchimique est froide, humide, sombre, féminine, corporelle et passive. Jung expose son rôle dans le mystère des transformations, à la lumière des textes alchimiques. « La Lune est la sœur ou la fiancée, la mère ou l'épouse du Soleil. Elle est aussi le vase du soleil et le réceptacle de toutes choses (et en particulier du Soleil), parce qu'elle reçoit et verse la puissance du ciel. ». Elle permet la conception de la semence du Soleil, dan la quintessence, dans le ventre et la matrice de la nature. Si le Soleil engendre l'or, la Lune est aussi "l'argent" qui est un symbole de l'arcane "Lune". La croyance en l'influence de la lune sur la germination conduit à l'étrange conception alchimique que la lune  serait elle même une plante, une sorte de mandragore. Chez la femme, la lune correspond à la conscience et la soleil à l'inconscient, en relation avec la présence du genre opposé dans l'inconscient (anima chez l'homme, animus chez la femme). La Lune apparaît dans une position désavantageuse par rapport au Soleil ce qui souligne ses aspects néfastes. Selon Jung, cette caractérisation de la Lune montre que les alchimistes concevaient l’union du Soleil (le conscient) et de la Lune (l’inconscient) comme dangereuse et produisant des animaux symboliques venimeux, des prédateurs, ou des oiseaux de proie. Il compare le rôle alchimique de la Lune à celui de la Vierge Marie et de l’Église car, de par sa position entre les choses célestes éternelles et la sphère terrestre et sublunaire, elle partage les souffrances de la Terre. La symbolique alchimique associe souvent le Chien à l'image de la Lune, comme le Lion à celle du Soleil. Les figurations animales révèlent la volonté alchimique de souligner l'existence d'appétits sensuels dans la psyché humaine.

L'étude détaillée des propriétés du sel clôt le 1er tome du "Mysterium connjunctionis". Dans l'alchimie, le sel est associé au symbolisme lunaire. Cet élément très important est le symbole de la puissance arcane. L'amertume du sel et de la mer connote la corruption et l'imperfection de la partie de l'univers qui demeure dans le chaos. De même que l'esprit du chaos est indispensable à l’ordre alchimique, l’inconscient est essentiel au fonctionnement équilibré de l’esprit humain. Dans la pensée alchimique l’âme s’élève jusqu'au le royaume de l’esprit mais ne trouve pas le salut avant de redescendre dans le centre de la terre. Cette montée et cette descente représentent la réalisation des opposés psychiques, ce qui entraîne leur intégration et l’accomplissement total de la personnalité. La montée et la descente à travers les sphères planétaires son,t interprétées comme la réunion des énergies inférieures et supérieures. Dans le Gnosticisme chrétien cette transformation symbolique commence par une descente puis s'opère par l’ascension qui s’ensuit (la résurrection). Dans la théorie alchimique le processus se déroule donc en sens contraire. Le sel alchimique est généralement associé à l’âme. C'est une substance transcendante qui coagule et transforme bien d’autres substances. Comme l’âme du monde,  il pénètre toutes les substances. Il est aussi associé à la figure du Christ (également identifié à l’âme du monde, la substance créatrice). Cette dualité de l’amertume et de la sagesse dans la signification du sel  pourrait exprimer le conflit interne de la psyché. Pour Jung, il semble que les alchimistes aient eu une bien meilleure compréhension de cette symbolique conflictuelle que ne l’ont eue plus tard les Chrétiens ; ils ont reconnu le côté sombre de la psyché et du monde tandis que l’Eglise continue d'exiger une sorte d’aveuglement lié à son dogme, en déniant à l’ombre sa place dans l’ordre du monde.

Mysterium conjunctionis  tome 2 - (L'union du Roi et de la Reine)
Le Mystère de la conjonction des opposés.

 

Le symbole du Roi, du couple royal et de la royauté expriment souvent une figure archétypique, y compris dans l'image chrétienne du Christ Roi. C'est du Roi que découlent la vie et la prospérité des sujets. Le symbole de la Trinité peut y être associé. Dans la littérature alchimique la plus reculée, le Roi est identifié au Soleil, au Dieu Père, ou même à l’Or philosophique (qui se révèle lorsque l’âme se libère du corps). Les textes ultérieurs le présentent comme un facteur de perfectionnement par sa naissance ou sa renaissance, ce qui sous-entend sa mort préalable. Comme la psyché masculine dont il est l'image, le Roi a un coté obscur qui affaiblit son rayonnement. Le roi doit être sacrifié et mourir. Il ressuscitera avec une force nouvelle. C'est par la mort que l'identification au Dieu Père est définitivement confirmée. L’idée de l'épuisement du Roi dans le péché, puis de sa mort est fort ancienne. On la retrouve aussi dans le mythe du Graal. Finalement son coeur se dissout en eau. Dans les écrits anciens, la dissolution dans l'eau (aqua permanens), était déjà considérée comme un phénomène spirituel plus que physique, union psychique des deux opposés. Dans les textes ultérieurs, la renaissance conduit à un état moral et spirituel supérieur au delà d'une transformation simplement physique. Afin de pénétrer dans le royaume de Dieu, le Roi doit retourner à l’état initial et chaotique de "massa confusa", où tous les éléments sont en conflit. L'alchimie dépeint la métamorphose du Roi qui passe d'un état imparfait à une nature saine, parfaite, intégrale et incorruptible. La séparation a lieu dans l’isolement. Une phase de mort et de décomposition complète précède la renaissance. Ce paradoxe comme de nombreux autres caractérisent la pensée alchimique, attachée au principe de la bipolarité des choses. Psychologiquement le vieux Roi est identifié à la conscience, et son anima redevient créatrice quand il se renouvelle. La psychologie n'est pas contrainte comme l'alchimie d'expliquer les phénomènes psychiques en termes théologiques; elle peut donc faire entrer les figurations religieuses dans le domaine des éléments psychiques sans toucher à leur contenu théologique.

 

MYSTERIUM CONJUNCTIONIS - C. J JUNG 

Extrait du tome 2- " la métamorphose du Roi"
Albin Michel - 1982
Allegoria Merlini (citée parJung)

« Le Roi demanda à être placé dans une chambre chaude où il pourrait, en  transpirant, éliminer l'eau (qu'il avait demandée).  Cependant, lorsque ses serviteurs ouvrirent la porte e la chambre, il gisait comme mort. On appela les médecins égyptiens et alexandrins../.. Les Égyptiens déchirèrent alors le Roi en tout petits morceaux,  broyèrent ceux-ci, les mélangèrent avec leurs médecines "humidifiantes" ../.. et remirent le Roi dan la chambre chaude, comme auparavant. Au bout de quelques temps, ils le sortirent n'ayant plus qu'un faible reste de vie.  Voyant cela, les spectateurs éclatèrent en lamentations. Hélas ! le Roi est mort ! Les médecins les rassurèrent disant qu'il était simplement endormi../.. Quand ils le sortirent une nouvelle fois, il était réellement mort. Mais les médecins dirent. Nous l'avons tué afin qu'il devienne meilleur et le plus fort dans le monde après sa résurrection../... Après cela, les Alexandrins tuent à leur tour le Roi, découpent le corps qu'ils traitent avec des sels et de l'huile, passent le tout au feu, le fondent, puis filtrent le liquide. Et le Roi revient à la vie de nouveau, encore plus ardent au combat.  ».

Au premiers temps du Christianisme, la figure du Christ reflétait l'archétype primordial de l'homme intérieur. Mais, pour les Gnostiques, "l’Anthroposs",  est l'homme accompli, non pas le rédempteur. La finalité des épreuves décrites dans l'alchimie diffère de celles de la passion du Christ. Le but du sacrifice alchimique, c'est la propre rédemption du Soi, symbole d'un combat psychique pour atteindre la totalité.  Jung fait souvent référence à l'arrière plan chrétien de la culture occidentale. Il étudie évidemment les croyances de l’alchimie et du Christianisme dans les aspects de la psychologie médicale et du conflit entre conscient et inconscient.  Il établit que certains patients ont des besoins spirituels qui impliquent l’analyste au plan théologique. Jung voit, dans la renaissance du Roi, le symbole de l’intégration de la psyché consécutive à l’acceptation consciente des contenus inconscients, or, le symbole féminin de la Lune/mère renvoie à la Vierge/mère dans le domaine psychologique inconscient des Chrétiens. Il envisage les croyances alchimiques et  chrétiennes avec un regard de psychologue thérapeute, concernant le conflit entre le conscient et l'inconscient. La compréhension en profondeur du symbolisme archétypique contenu dans le dogme chrétien est fort utile lorsque le patient montre un intérêt évident pour les problèmes religieux ; ses besoins spirituels exigent alors que l’analyste s’implique dans des questions purement théologiques. Jung évoque aussi l'idée étonnante d'un Christ symboliquement androgyne, unissant en sa personne, (en son âme), comme Adam, le masculin et le féminin, en une unité indissoluble. Comme la mort et la renaissance du Roi, la figure du Christ représente alors la réunion du conscient et de l’inconscient, dans laquelle une totalité unifiée est constituée.  « Les faits montrent, dit Jung, que l'union de éléments antagonistes est une expérience irrationnelle que l'on peut tranquillement qualifier de mystique, à condition d'entendre par ce terme une expérience que l'on est en droit de réduire à rien d'autre et à laquelle on ne doit en aucune manière refuser l'authenticité. ».

MYSTERIUM CONJUNCTIONIS - C. J JUNG

Extrait du tome 2- " le rotundum, tête et cerveau"
 - Albin Michel - 1982

 « Le concept de psychisme n'existait pas au Moyen Âge, dans le sens où nous l'employons aujourd'hui. Disons même qu'il n'est pas aisé à l'homme cultivé de notre époque de comprendre la réalité du psychisme ou la réalité de l'âme. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que le Moyen Âge ait éprouvé des difficultés plus grandes encore à concevoir quelque chose d'intermédiaire entre "l'esse in re" (être en réalité),et "l'esse in intellectu solo" (être dans l'intellect seul). La solution était l'être " métaphysique". L'alchimiste se trouvait donc en quelque sorte dans l'obligation de formuler ses données quasi chimiques en termes métaphysiques. ».

Tout comme le conscient et l'inconscient apparaissent opposés l'un à l'autre, mais s'unissent en fait dans l'humain, les figures du Roi et de la Reine constituent une espèce d'unité. La Reine correspond à l'anima et le Roi à l'esprit, celui-ci dominant toutefois le conscient. L’aspect négatif de la reine (l’anima/inconscient) n'apparaît qu'à travers l’influence qu’elle exerce sur le sujet conscient, en soutenant et renforçant le Moi au détriment de la persona. Il en est de même des figures mythiques d’Adam et Eve quand elles expriment la relation des opposés. Adam est l’arcane, (la substance mystérieuse et transformatrice), "la materia prima", l'argile originelle. Il est l'homme intérieur primordial, que la kabbale appelle "Adam Kadmon". Chez les Gnostiques, dit Jung, il symbolise la relation amoureuse entre le "noûs" et la "physis". Symbole du Soi, il représente la totalité de la psyché, manifestant par là même la divinité cachée. La tradition judaïque en fait la première des huit incarnations du vrai prophète, la dernière étant le Christ.  Mystère du monde, Adam aurait reçu de Dieu la parfaite connaissance des choses naturelles. Néanmoins, sa nature est double. D'une part créature parfaite, plus rayonnante que le Soleil, il est aussi de nature obscure et terrestre, d'où son nom (adamah = la terre). C'est aussi le vieil Adam qui réunit les aspects purs et impurs de l’univers. Il doit se renouveler, mais, dit Jung, tandis que dans les mythes et doctrines la réalisation parfaite de l'unité psychique parait être une fin accessible, cette union psychique idéale n’est jamais atteinte dans le domaine du réel. Il existe diverses représentations symboliques de la tête et du cerveau dans les symbolismes alchimiques et chrétiens. Dans l’alchimie, la substance arcane, le corps rond, le cerveau, le siège de forces infernales aussi bien que divines, est associé à l’or. Et dans le Cantique des cantiques, le noir visage de la Sulamite se dore comme le Soleil et sa sombre chevelure luit comme la Lune lorsqu'elle rencontre le Bien Aimé, signifiant ici la fusion du sponsus et de la sponsa en un état parfait, une figure unique, l'enfant du Soleil et de la Lune.

La conjonction alchimique, dit Jung, est sans aucun doute l'image primitive de ce que nous appelons aujourd'hui "combinaison chimique".  Mais les anciens adeptes lui donnaient un autre sens. Quand ils parlaient d'une union des deux natures, au sujet d'un alliage de métaux ou d'un amalgame, ils pensaient à une aventure amoureuse engendrant un "composé spirituel". La conjonction alchimique exprimait une conception universelle du monde tant intérieur qu’extérieur de l’homme. La description alchimique du commencement du monde peut aussi représenter l’état primitif de la conscience au seuil de sa différentiation en affects représentés par les quatre éléments. Chaque archétype y représente un aspect du Moi, centre premier symbolisé dans l’alchimie par la pierre ou le Microcosme. Le symbolisme alchimique de la mort volontaire et de la réunion des opposés correspond au processus d’individuation en psychothérapie. La dissolution et la séparation des composants figurant ici une dissociation de la personnalité qui est perçue comme une sorte de mort. L’étape suivante de l’individuation, la réunion de l’esprit et du corps, est symbolisée par la figure des noces alchimiques. L'homme qui vient à connaître cette totalité doit traduire cette improbable réunion dans la réalité par la connaissance de soi qui permet de savoir qu’on est plutôt que qui on est. De ce savoir surgira la connaissance de Dieu, des autres êtres et de l’univers. Pour y accéder, l’alchimiste prépare le "caelum" permettant d'obtenir la "quintessence", une substance supposée signifier le royaume du ciel sur terre. L'alchimiste imaginait librement cette magique et mystérieuse procédure chimique. La préparation du "caelum "figurait la projection de contenus psychiques sur des substances chimiques. La finalité de ce rite était la recréation du principe de vie, ce qui, en psychologie correspond au processus d‘individuation. La méditation alchimique, une confrontation avec l’ombre, n'est pas philosophique ou religieuse. Elle correspond à la mise en relation psychique avec l’inconscient. La conception alchimique de la connaissance de soi correspond à sa définition en psychologie. On y parvient au moyen d’une union des contraires d’où jaillit un troisième terme au-delà des opposés.


MYSTERIUM CONJUNCTIONIS - C. J JUNG

Extrait du tome 2
 " La vision alchimique de l'union des opposés."
 Albin Michel - 1982
Physica Trismegisti, de Dorn (citée parJung)

« Au commencement, Dieu a créé Un monde. Il l'a divisé en le nombre Deux : le ciel et la terre. Á l'intérieur est caché un troisième principe médiateur, l'unité originelle qui participe des extrêmes. Ceux ci ne peuvent rien être sans le troisième, et ce dernier ne peut rien être sans les deux autres. Ce troisième principe est l'unité originelle du monde, "le vinculum sacrati matrimonii" (le lien du mariage sacré). Mais la division en deux était nécessaire "pour faire passer le monde unique de l'état de potentialité dance lui de réalité". La réalité consiste en une multiplicité de choses. Mais Un n'est pas encore un nombre. Deux est le premier nombre avec lequel commence la pluralité et donc la réalité.  ».

Jung cite Dorn qui disait que l'esprit ( animus) qui  doit s'unir à l'âme dans l'unio mentalis l'appelait spiraculum æternæ (souffle de vie éternelle,  signifiant ainsi qu'il était une fenêtre sur l'éternité, tandis que l'âme, organe de cet esprit, avait de son côté le corps pour instrument. Les alchimistes avaient vu dans cette union mentale dominée par l'esprit, un premier degré de la conjonction, qui en compte évidemment plusieurs. Ils l'appelaient monoculus (homme à un seule jambe), et symbolisaient la seconde étape par l'image des "noces chymiques" que l'on retrouve chez Christian Rozenkreutz. Elles s'accomplissaient dans l'athanor (ou fourneau cosmique), un processus qui se préparait religieusement.  Le second degré de la conjonction, disait Dorn, consiste en ce que l'unio mentalis (union dominée par l'esprit) est de nouveau unie au corps, et ce n'est qu'à partir de là que peut être atteinte la conjonction parfaite, l'union avec "l'unus mundus", qui signifie le retour au premier jour de la création quand le monde potentiel participait encore au Un divin. Voila "l'unus mundus de Dorn. La pensée qu'il exprime est celle d'une conjonction universelle. Jung traduit cela par une identification de l'Atman personnel avec l'Atman supra-personnel, et du Tao individuel avec le Tao universel. La réalisation d'une totalité devenue consciente qui peut paraître insurmontable à la psychologie moderne, semblait alors magiquement accessible aux adeptes se projetant dans une morale et une métaphysique différentes (univers anthropocentrique). Les alchimistes symbolisaient la dernière étape de la conjonction par la production de la "pierre", (achèvement du second degré), cette union finale recréant le monde indifférencié d’avant la création. Il s'agit pour nous de l'union de l'inconscient libéré intégré avec l'inconscient collectif, une conception étrangère à l’esprit occidental. De même que l'on n'a jamais produit la merveilleuse "pierre philosophale", on n'attendra probablement jamais une réelle totalité psychique. Probablement désireux d'appuyer historiquement ses propres théories, Jung voulait désigner la psychologie comme le successeur philosophique de l’alchimie en montrant que les deux écoles travaillaient à l’union harmonieuse des opposés. Il ajoutait cette démarche à l'étude du Taoïsme et de la vieille alchimie chinoise entreprise vingt ans plus tôt,  et nous exposons cet autre aspect de son travail dans le prochain chapitre.


Le Mystère de la Fleur d'Or

Le "Commentaire sur le Mystère de la Fleur d'Or" ne constitue pas le couronnement de la part ésotérique de l'œuvre de Jung, mais pourrait bien en être l'un des fondements. C'est en effet en 1928 que Richard Wilhem, un missionnaire protestant en Chine, demanda à son ami de faire un commentaire psychologique sur une traduction du Yi King qu'il se proposait de publier. Le psychiatre se passionna pour le traité qui confortait sa propre réflexion, et il entreprit aussitôt de le mettra à la portée des esprits occidentaux. Il étudiait depuis quinze ans les processus de l'inconscient collectif et ne trouvait pas de comparaisons historiques valables pour épaules ses thèses. Les seuls analogies gnostiques qui auraient pu l'aider n'avaient guère laissé de traces que dans les lointains et douteux rapports des hérésiologues chrétiens. Le texte de Wilhem l'aida à sortir de cet embarras. Il n'y vit au début qu'un texte taoïste. Quand il en découvrit plus tard le caractère alchimique, il perçut que l'alchimie médiévale constituait le chaînon qu'il cherchait entre la Gnose et sa propre approche moderne de l'inconscient collectif. Jung ressentait profondément l'étrangeté de ce texte chinois, mais il ne s'agissait pas pour lui, de substituer une approche orientale empirique à la stricte méthode occidentale de recherche scientifique de la connaissance. Il pensait puéril de tourner le dos à la science et de se borner à imiter pitoyablement les méthodes supposées mener à l'extase orientale. La Théosophie lui paraissait exemplaire de cette méprise. La méthode ne devrait être qu'un chemin car tout dépend de celui qui l'utilise. Avouons simplement, disait-il, que nous comprenons mal l'immense portée psychologique du détachement du Monde professé dans le Yi King, ce livre qui fonde la trame millénaire de la pensée et de la sagesse chinoise. L'intellect devient un ennemi de l'âme quand il veut capter le lumineux héritage de l'esprit. Et il en demeure incapable puisque l'esprit vivant intègre toujours le coeur et que c'est unitairement qu'il aspire au dépassement des limitations humaines.

Jung appelle "l'inconscient collectif" le substrat commun que la psyché possède au-delà des distinctions culturelles ou sociales, de même que le corps humain révèle une anatomie commune par de-là toutes les différences ethniques Cette psyché inconsciente ne contient aucun contenu susceptible de devenir conscient, mais des dispositions instinctives communes à toute l'humanité. Elles suffisent pour répondre aux besoins d'une nature relativement constante. Plus la conscience et la volonté deviennent autonomes, plus cet inconscient se trouve renvoyé à l'arrière plan. Finalement, la psyché peut en arriver à une sorte de liberté prométhéenne engendrant parfois un déséquilibre dangereux. C'est un peu le sens des paroles du Yi King: "Lorsque le Yang atteint sa plus grande puissance, la force obscure du Ying croît à l'intérieur de lui, car à midi la nuit commence, le Yang se brise et devient Ying". La tradition chinoise n'a jamais  séparé violemment les opposés mais conseillait au contraire de les concilier. C'est la "nirdvandra" des Hindous, la voie libre d'opposés. Que faire pour prendre cette libre voie? Un vieil adepte prétendait que "Si l'homme de travers utilise le moyen juste, le moyen juste opère de travers". En tant que médecin, disait Jung, autant que j'ai pu m'en rendre compte, les malades qui réalisaient ces progrès libérateurs ne faisaient rien; ils laissaient simplement les choses advenir. Le "laisser advenir", l'action non agissante est ainsi devenue pour Jung, la clé qui ouvre les portes menant à la voie. "Dans le domaine psychique, disait-il, il faut pouvoir laisser advenir". C'est un art véritable, souvent incompris. L'encombrant conscient des Européens ne cesse d'intervenir, de nier, de corriger, et la tentation d'agir est chez eux, constante. Il vaut mieux accueillir tout ce qui arrive avec l'élargissement de la conscience que cette acceptation apporte. Et il est infiniment plus simple d'imiter cette voie chinoise du "laisser advenir" en effectuant le retournement d'attitude qui convient.

L'unification des opposés à un niveau supérieur n'est pas, selon Jung, une affaire rationnelle ni une question de volonté, mais un processus psychique de développement qui s'exprime par des symboles. Ces productions de l'imagination (souvent des pensées), peuvent aussi se traduire par des dessins, essentiellement sous formes de "mandalas", des cercles plus ou moins magiques. Ce sont des images en forme de fleurs, de croix, ou de roues, souvent caractérisées par le chiffre quatre ou la croix. Dans le mystère de la fleur d'or du grand Tao,  la fleur est la lumière et la lumière est le Tao.  La fleur peut être représentée vue d'en haut comme un ornement, ou latéralement comme une fleur sur une plante. Les mandalas la représentent donc avec une structure concentrique de luminosité croissante de la périphérie obscure jusqu'au centre, la bulle germinale, la lumière blanche centrale, le "visage", le point créateur.  C'est tout l'ensemble allant de l'obscurité à la lumière qui représente le Tao. Le symbolisme de cette progression est évident : l'obscur enfante le lumineux, l'inconscient devient conscient sous l'effet d'un processus de vie et de croissance. Ainsi naît, dit Jung, l'unification de la conscience et de la vie. La nature humaine et la conscience (sing) sont symbolisées par la lumière dont l'intensité va croissant. Leur caractère est Yang. A la vie (ming) correspond l'extension progressive de l'image. Son caractère est Yin. Le mandala réunit les deux dans une évidente harmonie. Il faut ici noter que dans la culture orientale, la progression se fait toujours à partir du centre.  Le Tao est donc mouvement. D'ailleurs le graphisme qui sert à l'écrire réunit deux caractères, le premier signifiant la "Tête", et le second, le verbe "aller", le tout pouvant être interprété comme le "chemin conscient". Remarquons aussi que la forme circulaire exprime l'idée de circulation. la roue tourne, le soleil est vivifié, dit Jung, le Tao commence à opérer, l'action s'inverse en non-agir et le centre soumet les puissances périphériques.

Lors de la rencontre avec le conscient, l'action de l'inconscient collectif peut entraîner la dissolution de la conscience. Cela explique la présence d'un cercle protecteur dans le mandala. Les contenus inconscients activés sont assimilés par le conscient en prenant la forme d’idées. Il est fort dangereux de nier l’existence de l’inconscient, tant pour l’individu conduit à la névrose, que pour les nations ainsi menées aux pires psychoses collectives.  les concepts d’animus et d’anima de Jung diffèrent des homologues présentés par Wilhelm. Le conscient que Wilhelm traduit par "animus", rendu par le caractère  "houen", est le principe masculin (Yang), une âme de souffle supérieure qui s’élève après la mort, en devenant "chen", esprit ou dieu. Il appelle "anima", "po" le principe féminin (Yin) qui descend après la mort, devenant "kouei", génie ou parfois fantôme. Cette séparation post mortem montre que la philosophie chinoise reconnaissait deux facteurs distincts mais unis dans la psyché humaine. "Bien qu'à l'origine, ils soient une seule chose dans une essence unique, opérante et véritable, ils sont deux dans la résidence du créateur". Pour clarifier les choses, Jung, embarrassé, propose se substituer le terme Logos à celui de cet animus masculin qui illustre les caractéristiques universelles et impersonnelles de la psyché masculine contrastant nettement avec l’anima feminin. Pour l'animus de la psyché féminine, il utiliserait le mot "Eros". Le "Logos" signifierait la différentiation, la clarification, la discrimination et la séparation, et l’Eros, l’entrelacement et la relation. Le Tao tout entier croît à partir de l'individu. La confusion primitive d’indifférenciation entre le sujet et l’objet ne peut être résolue tant que l'on conserve une identification avec ses parents, ses affect et préjugés, et sa résolution exige que l’on tienne compte autant des exigences de l’inconscient que du conscient. La conscience occidentale n'est en aucune manière universelle, elle est historiquement, religieusement et géographiquement conditionnée. Jung voudrait donc que ses recherches sur la psyché contribuent à jeter un pont de compréhension intérieure et spirituelle entre l'Orient et l'Occident.

Dans un discours prononcé à la mémoire de son ami Wilhelm ainsi que dans la préface de l'édition anglaise de son livre, et parlant des oracles du Yi King, Jung aborda un sujet qui lui est cher et qu'il appelle "Principe de synchronicité".  C'est un thème qu'il a par ailleurs approfondi avec son ami Wolfgang von Pauli, physicien autrichien spécialiste en mécanique quantique et prix Nobel de physique. Paoli et Jung souhaitaient explorer les ponts entre la physique fondamentale et la psychologie. En 1952, ils produisirent en commun un ouvrage intitulé "Synchronicité comme principe de connexions a-causales", livre dans lequel ils schématisaient les quatre lois fondamentales de l'unus mundus (l'unique monde).  En dépit de l'éloignement de leurs disciplines, ils parvinrent à cette déclaration commune : « La psyché et la matière sont régies par des principes communs, neutres, qui ne sont pas, en soi, identifiables. ». La synchronicité est alors déterminée comme ce qui manque pour aboutir à une compréhension unitaire de la psyché et de la physis. Jung a défini la synchonicité sur deux plans en distinguant d'abord les phénomènes repérés dans sa pratique parce qu'ils étaient porteurs de sens pour les sujets concernés. L'autre plan considéré était celui de la coïncidence d'un état psychique avec un état éloigné dans le temps. Dans les deux cas, aucune relation causale ne pouvait être trouvée. Jung avait donc avancé dès 1897 que "l'âme peut être conçue comme une intelligence indépendante du temps et de l'espace". La notion de synchronicité est manifeste, y compris sur le plan psychique, quand deux évènements apparaissent clairement liés entre eux, mais de de façon acausale (sans  qu'aucun soit consécutif à l'autre). Au fil des développements de Jung, ceci aboutit au "Principe de Mach" qui énonce que "La totalité de l'univers est présente à chacun de ses endroits et à chacun de ses moments".  « Bien moins qu'une abstraction, le temps serait donc plutôt un "continuum concret"  renfermant des conditions fondamentales pouvant se manifester simultanément dans un parallélisme acausal. ».


Le Livre Rouge

 

En 1913, un peu avant la première guerre mondiale, Jung, déjà bien connu comme psychiatre, connaît une période dépressive. Âgé d'environ 38 ans, sa vie et ses recherches sont marquées par le doute et la quête de sens. C’est au cours de cette période difficile, qu’il commence à rédiger son Livre Rouge. Le Livre Rouge rassemble les notes et les dessins les plus intimes que C. G. Jung aient réalisés. Il témoigne des tensions qui l’habitent à l’époque et documente sa confrontation avec l’inconscient, qui s’accompagnera parfois de rêves terrifiants et d’expériences personnelles douloureuses. Pendant seize ans, il consignera ces rêves et ces fantasmes dans un volume qu’il illustrera lui-même.  Ce qui s'est alors passé été interprété de diverses façons, comme une maladie créative, une descente aux enfers, un combat avec la folie, une sublimation narcissique, une transcendance, une crise de la quarantaine ou une perturbation interne reflétant les souffrance engendrée par la guerre. Quoi qu'il en soit, il apparait que Jung se soit alors égaré dans le chaos de sa propre psyché. Il était hanté par de sombres visions et entendait des voix intérieures l'interpeller. Il s'inquiétait de ces vivions parfois horribles et se sentait selon ses propres termes, "menacé par une psychose» ou «gagné par la schizophrénie." Il dira plus tard de cette période de sa vie, de ce qu'il appelait "confrontation avec l'inconscient", qu'il se sentait comme drogué à la mescaline. Il a décrit ses visions comme provenant d'un "flux incessant" qu'il comparait à une chute continue de pierres sur sa tête, d'orages, de lave en fusion. "J'ai eu souvent à m'accrocher à la table", rappelait-il, "pour ne pas m'effondrer.".

Le Livre Rouge est de journal de bord de la traversée entreprise par Jung dans les profondeurs de sa psyché, le compte-rendu extraordinaire de sa "confrontation personnelle avec l'inconscient". Cette phase cruciale de sa vie, durant laquelle il nota tous ses rêves et  ses visions, allait aboutir à ce qui sera l'essence même de son œuvre. L'exploration extrême des profondeurs et le débat avec l'inconscient seront pour lui la source d'inspiration fondamentale de sa volonté d'essayer de déchiffrer la complexité de la psyché, ainsi qu'un puissant moteur pour la réalisation de ce projet. S'il avait été un patient psychiatrique ordinaire, Jung aurait été poussé à ignorer ce qui se passait dans sa tête, mais, en tant que psychiatre, il a plutôt tenté de faire tomber le mur séparant son moi rationnel de son psychisme. Pendant environ six ans, Jung a voulu empêcher son esprit conscient de bloquer ce que son inconscient voulait lui montrer. Entre les rendez-vous avec ses patients, après le dîner avec sa femme et ses enfants, quand il avait un peu de liberté, Jung s'asseyait dans son bureau et laissait survenir en lui les pensées et hallucinations, (qu'il appelait "imaginations actives"), afin, disait-il, "de saisir les fantasmes qui s'agitaient en ses profondeurs". Il écrivit plus tard dans son livre Souvenirs, rêves et pensées :  "Je savais que je devais me laisser sombrer avec elles vers le bas". Ce qu'il écrivait alors n'avait plus le détachement ni l'impartialité habituelle de ses rigoureux  essais universitaires sur la psychiatrie. Ces écrits devenaient une sorte de jeu fantasmagorique mené par le désir qu'avait Jung tout à la fois de tracer une voie hors de son marécage intérieur, mais aussi d'en ramener une partie des richesses découvertes.

 

En effet, Jung enregistrait tout ce qu'il percevait.  Il d'abord tout noté dans une série de six petits cahiers noirs. Il a ensuite analysé ses phantasmes et les a explicités en les reportant dans un style prophétique et solennel dans un grand livre relié en cuir rouge. Le livre détaille sans pudeur ni honte le long voyage psychédélique parcouru dans son propre esprit, une progression vaguement homérique faite de rencontres avec des gens étranges qui se déroulent dans un curieux décor onirique. Écrit en allemand, il comprend 205 grandes pages pleines de calligraphies élaborée et d'images peintes qui sont en fait des tableaux extraordinairement détaillés et très richement colorés. L'ouvrage final ressemble étonnement à un manuscrit du 15e ou 16e siècle. Il a fallu d'innombrables heures de travail pour recopier le texte original à l'encre de Chine en écriture gothique sur du parchemin, et l'enluminer de lettrines et de cabochons, en insérant les gouaches entre les pages. Jung a travaillé sur son livre, qu'il appelait simplement "le Livre Rouge" pendant seize années, c'est à dire bien longtemps après la fin de sa crise existentielle, mais il ne l'a jamais terminé. En 1930, il décida soudain de l'interrompre au milieu même d'une phrase. Cependant, il s'en inquiétait souvent, se demandant si sa publication éventuelle serait comme ayant un caractère scientifique par ses pairs ou bien s'il valait mieux l'oublier dans un tiroir. Jung demeurait pourtant sans équivoque à cet égard. "Toutes mes œuvres, toute mon activité créatrice, on s'en souviendra plus tard, est venue de ces fantasmes initiaux et de ces rêves". En fait, Jung a gardé le Livre rouge soigneusement enfermé dans un placard de sa maison de Küsnacht dans la banlieue de Zurich. Quand il est mort en 1961, il n'avait pas laissé d'instructions précises sur ce qu'il fallait en faire.

 

ll se pourrait au Jung ait trouvé l'une de ses sources d'inspiration dans le Livre rouge de HERGEST dont le manuscrit conservé à Oxford,est le premier texte évoquant le Graal.

Liber novus & Liber secundus

 

 

Le Livre Rouge comprend plusieurs parties qui s'enchaînent : "Le "Liber Novus" dévoile la crise vécue par Jung qui craignait même la folie. Apparait ensuite le personnage d'Elie qui deviendra Philémon.  Dans le "Liber Secundus", son cheminement intérieur semble se complexifier et s'apaiser. Dieu réapparait, Jung revient vers le christianisme et les religions, et commence à donner un sens nouveau à sa vie. Il retrouve progressivement la voie de son unification. Il y a de très nombreuses illustrations dans le Livre Rouge, sous de multiples formes et formats. Jung écrit et peint difficilement sur des parchemins et au début, dans le Liber Novus, ses dessins sont un peu maladroits et de petits formats. Dans le Liber Secundus, la seconde partie du Livre Rouge, les illustrations sont plus nombreuses, les dessins deviennent réalistes et s'agrandissent en pleine page. Certaines images illustrent ou reformulent les idées du texte, mais d'autres en sont éloignées ou sans rapport évident avec lui. C'est que Jung choisissait alors de laisser venir a lui l'inspiration artistique du moment. Dix-huit pages présentent de beaux mandalas en couleurs, inspirés de ceux du Tibet, avec des thèmes plus ou moins "gnostiques", et des caractères runiques.  Á la fin du livre second, Jung écrit: "Il faut que je reprenne les choses à un moment du Moyen-âge, à l’intérieur de moi-même (…) "Je dois repartir aux débuts, à ce moment où les moines ermites ont disparu". Il dit aussi :"Les années durant lesquelles j'étais à l'écoute des images intérieures constituèrent l'époque la plus importante de ma vie, au cours de laquelle toutes les choses essentielles se décidèrent. Car c'est là que celles-ci prirent leur essor et les détails qui suivirent ne furent que des compléments, des illustrations et des éclaircissements. Toute mon activité ultérieure consista à élaborer ce qui avait jailli de l'inconscient au long de ces années et qui tout d'abord m'inonda". Ce fut la matière première pour l'œuvre d'une vie.

Jung lui-même a longtemps hésité à publier son livre. Il en a retravaillé occasionnellement le texte, comme s'il envisageait une parution, et il a aussi consulté des amis ou des proches à ce sujet, mais il n'en n'a rien fait et n'a pas laissé d'instructions avant sa mort, se bornant à demander que le Livre Rouge, son manuscrit si somptueusement calligraphié et orné,  demeure dans la famille. Les héritiers ont protégé le "trésor familial" dans un coffre-fort, sans même en autoriser la consultation. C'est finalement l'universitaire britannique Sonu Shamdasani qui a su convaincre les héritiers que le risque d'une édition non-autorisée existait et qu'il conseillait d'autoriser d'en faire une édition soignée, respectueusement traduite et annotée. Cette idée a finalement été acceptée par la famille de Jung,  d'où la parution en 2009 des versions allemande et anglaise. Une édition française est maintenant disponible. Le Livre Rouge (Liber Novus) demeure une pièce majeure de l'œuvre de Carl Gustav Jung, élaborée entre 1914 et 1930. Une troisième partie du Livre rouge, reprise d'un manuscrit non calligraphié a été retrouvée dans les archives de Jung. Il y dialoguait avec les morts. Cela permit de redécouvrir l'un des textes les plus étranges de Jung, "les Sept Sermons aux Morts"  qui a été intégrée à l'édition sous le sous-titre "Épreuves". L'exemplaire original du Livre Rouge a été exposé au musée Guimet, en 1971,  dans le cadre de "l'exposition Le Livre Rouge de C.G. Jung". Tous ces textes et illustrations autorisent un nouveau regard le cheminement et le travail et du psychanalyste qui était aussi un artiste de talent. Jung a également peint sur un parchemin distinct un grand mandala superbe et complexe qu'il a intitulé "Système du Monde dans sa Totalité" et qui symbolise l'ordre général du monde dans ses différentes fonctions et tensions opposées, représentant à la fois le microcosme de la psyché humaine et son insertion dans le macrocosme cosmique.  Mais Jung n'était pas que peintre et dessinateur. Il y avait plusieurs de ses sculptures de pierre dans le jardin de sa maison de Küsnacht dont les murs de la tour était décorée de tableaux tirés de son livre

Citations de Carl Jung

 

Il est bien difficile d'être simple.

Sans émotions, il est impossible de transformer
 les ténèbres en lumière et l'apathie en mouvement

Qui regarde dehors rêve. Qui regarde à l'intérieur se réveille.

Ce n'est pas en regardant la lumière qu'on devient lumineux,
 mais en plongeant dans son obscurité.

La clarté ne naît pas de ce qu'on imagine le clair
, mais de ce qu'on prend conscience de l'obscur.

Les gens feront n'importe quoi, peu importe l'absurdité,
 afin d'éviter de faire face à leur propre âme

La chose la plus terrifiante, c'est de s'accepter soi-même.

Soyez ce que vous avez toujours été.

Il ne s'agit pas d'atteindre la perfection, mais la totalité.

En chacun de nous existe un autre être
 que nous ne connaissons pas.
 Il nous parle à travers le rêve et nous fait savoir
qu'il nous voit bien différent
 de ce que nous croyons être


Les rêves

 

En fait, les rêves sont des produits de l'âme inconsciente;

ils sont spontanés, sans parti pris,

soustraits à l'arbitraire de la conscience.

Ils sont pure nature, et, par conséquence,

d'une vérité naturelle et sans fard;

c'est pourquoi ils jouissent d'un privilège sans égal

pour nous restituer une attitude conforme

à la nature fondamentale de l'homme,

si notre conscience s'est éloignée de ses assises

et embourbée dans quelque ornière ou quelque impossibilité.

-

Méditer ses rêves, c'est faire un retour sur soi-même.

Au cours de ces réflexions,

la conscience du moi ne médite pas sur elle seule;

elle s'arrête aux données objectives du rêve

comme à une communication ou à un message

provenant de l'âme inconsciente et unique de l'humanité.

On médite sur le Soi et non sur le Moi,

sur ce soi étranger qui nous est essentiel, qui constitue notre socle

et qui, dans le passé, a engendré le moi;

il nous est devenu étranger, car nous nous le sommes aliéné

en suivant les errements de notre conscience."

-

C-G Jung





 

 

 

 

CHAPITRE 12

 

                                        

L’illusion de la connaissance

 

 

Introduction

 

 

Un jour ou l’autre, la finalité de l’existence humaine apparaît comme le seul problème réellement essentiel posé à la curiosité de l'esprit. Les mêmes questions fondamentales se posent aux chercheurs de tous les temps, suscitant les mêmes incertitudes. Que suis-je ? D’où suis-je ? Où suis-je ? Où vais-je ? Ces questions existentielles concernent finalement la vie et la mort, ou l’origine de l’être et son destin. S'y ajoutent les problèmes éthiques et moraux de la cause et de la nature du mal. L'Homme est doté d’un puissant instinct d’exploration qui le pousse inlassablement à transformer l’inconnu en connu. Devant le mystère de l’être et de l’origine, à travers les mystères de la vie et du destin, il va vers les autres mystères de la mort et de la fin des temps, cherchant toujours désespérément un peu plus de connaissance et de compréhension. La science, la religion, la philosophie fournissent des réponses qui restent décevantes. Le cœur, la raison, et l’intelligence n’y trouvent pas leur compte. Il n’y a pas de vérités absolues, mais seulement des assemblages diversifiés de compréhensions fragmentaires et beaucoup de questions sans réponses. Tous les cheminements restent individuels, incertains et pénibles. Mille voies, dit-on, mènent au Bouddha. Cent mille tournent en rond et ne mènent nulle part, car il n'est pas de vérité absolue. Il n'y a que des vérités multiples, relatives et partielles. Chacun a donc sa propre vérité qui ne vaut que pour lui et ne peut être imposée à autrui. Ma propre recherche n'a pas de valeur générale et ne sera probablement pas partageable. Elle est simplement l’expression difficile d’un effort personnel de cheminement vers un peu de clairvoyance. Il s’agit de la recherche de ma propre raison d’être, et n'est qu'un témoignage. Si les mêmes inquiétantes questions vous assaillent, vous pouvez choisir de vous étourdir et de les éviter. Sachez que cet évitement sera inutile. Lorsque ce chemin a été pris, le cavalier mental vous mènera inlassablement vers son but, votre vie durant. Un jour, pour vous aussi, il faudra faire face et engager, pour votre propre compte, la quête de votre propre Graal. Vous userez de divers moyens, de la métaphysique, de  l’ésotérisme, de l’intuition, du mysticisme, ou de la pensée scientifique. Vous mènerez vos réflexions sur l’émergence spontanée de l’intelligence à partir de la seule matière ou vous préférerez croire à l’action d’une puissance extérieure intervenant à l’origine. Vous penserez peut être qu’un Être originel s’est manifesté dans le Monde, puis dans la vie et dans l’Homme, afin d’y réaliser un accomplissement et une élévation pour lesquels la Terre et l’univers sont des moyens utiles. Ou bien, vous penserez que l’Homme a été placé dans ce même Monde, afin d’y jouer un rôle prédéterminé. Vous pourrez aussi imaginer que l’univers est né d’un accident du vide, et qu’il évolue inexorablement vers son extinction et sa fin. Quoique vous engagiez, vous rencontrerez toujours les dogmatismes implacables des multiples intégrismes et vous vous heurterez aux acharnés défenseurs des théories acceptées. Toutes les approches doctrinaires demeureront irréductibles en dépit de votre prise de conscience de la nature fragmentaire de la connaissance, de la valeur relative des arguments présentés et des réels efforts de rapprochement des tenants respectifs. Il vous faudra aussi rester à distance d'engagements trop entiers vers  les hypothèses tentatrices que vous rencontrerez inévitablement. Dans le chemin de votre développement personnel, vous serez seul et vous n’avancerez que si vous préservez votre absolue liberté de pensée.

La quête de vérité passe nécessairement par la pensée libre.


Percevoir le Monde

 

Notre quête de vérité est toujours exercée par notre intelligence et notre raison, à partir des de nos sens. Il convient donc de commencer par examiner la qualité de ces fonctions, si déterminantes dans la réussite de son objet. La réflexion sur la nature du monde, s'établit d'abord à partir des perceptions et du témoignage de nos sens. Cette mise en œuvre des instruments sensoriels n'est pas particulière aux êtres doués de raison. Chaque vivant l'effectue parce qu'elle est essentielle à sa vie. Comprenons que ces outils ne sont pas essentiellement des instruments de connaissance, mais des équipements de survie. Ils ne sont pas braqués vers des objets à connaître, ni spécifiquement adaptés à leur découverte ou à la détermination de leurs caractéristiques. Ils sont, tout au contraire, conformés par les particularités physiologiques des sujets à protéger, édifiés à partir de leurs modes de vie ou de leurs besoins, et adaptés à leurs facultés. Les informations transmises par nos sens sont donc mal adaptés à notre recherche. Lorsqu'ils détectent des stimuli correspondant à leur rôle particulier, les organes émettent des signaux à destination du centre nerveux central. Ces signaux sont seulement des signaux. Ils ne sont pas une représentation fidèle du réel car les organes n'utilisent qu'une très petite partie des indices disponibles. De plus, les sens fonctionnent généralement en coopération et non pas isolément. Ils présentent au cerveau des synthèses collectives, élaborées en termes d'utilité vitale, et non pas une abondance chaotique d'informations brutes, difficilement exploitable dans l'instant. Des reflets internes sophistiqués sont construits par notre cerveau sur la base des données provenant à la fois de notre mémoire et de nos divers sens (limités). Ce sont des objets complexes, purement mentaux, non pas des représentations exactes de la réalité. Cela reste vrai quelles que soient les techniques et les instruments utilisés pour augmenter la précision de l'examen, qui ne constituent, en fait, que des prolongement ou des compléments des organes sensoriels initiaux.

 

Nos organes des sens sont essentiellement des appareils physiologiques spécialisés construits pour détecter la présence d'objets conditionnant notre survie dans le monde extérieur. Ils émettent des signaux pour en informer le entre nerveux central. D'autres êtres vivant utilisent des sens différents, avec des organes parfois très éloignés des nôtres, émettant des signaux dont nous ignorons parfois la nature. Avec des images de la réalité bien différentes de la perception humaine, ils répondent tout aussi bien à leur objectif essentiel, à savoir la survie des individus et des espèces. Á l'évidence, nos sens nous donnent une image assez infidèle de la réalité. Chez l’Homme, le centre nerveux central est localisé dans le cerveau. Il a acquis un développement particulier qui permet un examen conscient de l’image synthétique construite par le mental pour représenter l’environnement du sujet. Par ailleurs, le mental humain est également capable de construire d’autres structures synthétiques imagées dont le rôle est de représenter des objets immatériels ou abstraits. J'ai tenté de montrer combien ces images réfléchies du Monde sont parfois incomplètes, souvent illusoires et, par nature, toujours mécaniques et artificielles. Elles sont accessibles au conscient mais elles sont fabriquées par le mental à partir des signaux transmis par les organes des sens ou par des données extraites des banques mémorielles, ou par une combinaison des sources. D'une certaine façon, elles nous sont livrées par l'artisan mental, un double intérieur, (serviteur  et parfois maître redoutablement trompeur). C'est cet auxiliaire qui présente à notre conscient la représentation du réel. Nous voyons très évidemment qu'il s'agit là d'une imagerie systématique et organisée. La représentation du réel est purement mentale. Il s'agit toujours d'un objet représentatif construit de façon synthétique, à partir des signes abstraits, émis dans l'instant par les différents organes sensoriels, externes et internes, combinés dans le même temps avec d'autres signes abstraits puisés dans la mémoire.

 

Actuellement, la vie sur Terre occupe trois empires distincts. Le premier et le second sont proches de nous dans l’espace et éloignés dans les principes. Les êtres vivants qui les habitent sont des procaryotes. Ils ont une forme corporelle élémentaire et une structure assez simple, ce qui ne veut pas dire que leur fonctionnement ne soit pas complexe. Les fonctions de la vie sont toujours compliquées. Les nombreux habitants du premier empire sont les bactéries, connues pour leur comportement gênant. (Les virus sont probablement des bactéries affectées d'une évolution régressive). Ceux du second empire sont les archées. Très répandues, elles peuplent les lieux les plus inhospitaliers du monde, tels les sources brûlantes, les acides, les salines, les eaux glacées, les liquides organiques. Les archées sont probablement plus anciennes que les bactéries, mais quelques chercheurs pensent qu’elles proviennent de l’évolution de celles-ci. La caractéristique principale de ces deux populations primitives est d’utiliser des véhicules corporels formés d’une seule cellule sans noyau. On les appelle procaryotes. Elles ont la faculté de se reproduire à grande vitesse par simple division clonée, en formant deux cellules identiques à l’originelle. En principe, les procaryotes ne meurent que par accident. Ils sont potentiellement immortels. Si les procaryotes disposaient de nourriture en quantité suffisante comme dans le passé, le monde entier serait envahi en quelques jours. Les premiers organismes multicellulaires ressemblaient à de simples sacs munis d’une ouverture banale servant à la fois aux fonctions de nutrition et d’élimination. Quelques embranchements animaux suivent encore ce schéma primitif. Ce sont les diploblastiques. Ils sont construits en utilisant seulement deux feuillets générateurs d’organes, l’un intérieur, l’autre extérieur. Tous les diploblastiques sont acéphales et privés de cerveau. Et cependant, ils fonctionnent et prospèrent à merveille. On imagine difficilement comment ils se représentent le monde et en mémorisent les aspects.

 

Le cerveau, objet complexe

 

Le troisième empire des vivants est celui des eucaryotes, dont nous faisons partie. Les cellules de leurs corps comportent un noyau contenant des chromosomes. L’empire des eucaryotes compte quelques principautés et trois grands royaumes très différents, celui des végétaux, celui des champignons, et celui des animaux qui est aussi celui des hommes. Les eucaryotes se reproduisent lentement en utilisant des mécanismes compliqués. Ils construisent généralement des véhicules corporels complexes. Ces organismes sont formés par l’association de nombreuses cellules spécialisées. Les eucaryotes se nourrissent souvent aux dépens d’autres êtres vivants. Ils ont fait une découverte fort importante. Ils ont appris à programmer leur propre mort pour en faire un facteur accélérateur de l’évolution. Au cours des âges, cette évolution a conduit à l’apparition d’une très grande variété de formes et d’espèces, que nous observons encore aujourd’hui.  Les eucaryotes utilisent plus d’information que les procaryotes, mais n'utilisent pas leurs sens pour cela. Ils ont mis au point des mécanismes très élaborés pour le stockage et le transfert de cette information. Ils ont également inventé des moyens extrêmement nombreux et complexes pour se reproduire, pour conduire leur évolution à travers les âges, et pour assurer leur adaptation aux transformations subies par leur milieu de vie. Ces inventions nécessaires nous apparaissent surprenantes, voire terrifiantes. Entre autres choses, ce sont les os, le bois, le sang, la sève, la peau, les feuilles, les yeux, les dents, les fleurs, les griffes, le sexe, le plaisir et la souffrance, la conscience et l’amour, la vieillesse et la mort. Tous ces moyens d’action sont inscrits dans les programmes qui font fonctionner les corps des eucaryotes depuis leur origine lorsqu’ils ont pris le long chemin qui mène à ce jour.   L’existence des eucaryotes associe toujours la vie et la mort. La mort programmée est une invention de la vie.

 

C’est l’acquisition d’un troisième feuillet intermédiaire dans la cellule embryonnaire, le mésoderme, qui a permis l’apparition chez les métazoaires triploblastiques de potentialités nouvelles, aboutissant à la formation d’organes individualisés assumant une fonction précise. La "céphalisation", la constitution d'une tête contenant le système nerveux central, n’apparaît que chez les triploblastiques. Elle débouche sur plusieurs types d’organisation. Chez les arthropodes, le cerveau est fait de parties distinctes, anatomiquement séparées, très spécialisées, aboutissant à un comportement automatique très mécanique. L’adaptation aux contraintes de l’environnement se fait par le jeu des mutations et de la sélection naturelle. Chez les vertébrés, le cerveau comprend aussi des centres multiples, mais ils sont beaucoup plus intégrés. Certains comportements demeurent automatiques et innés, mais le comportement général est beaucoup plus plastique. Il autorise des apprentissages d’adaptation individuelle qui réduisent le poids des mutations sélectives. Chez l’homme l’intégration plus complète permet  des opérations mentales très complexes. Les facultés individuelles d’adaptation sont encore plus larges et s’appuient sur des artifices mécaniques ou intellectuels. Sur la base d’observations attentives, nous pouvons donc raisonnablement croire que nous partageons avec beaucoup d’espèces animales la faculté de représenter mentalement la nature des éléments repérés dans le réel extérieur, leur interaction avec l’observateur, et les conséquences prévisibles de cette interaction, tout au moins en matière de survie. Cette faculté est organisée dans un système permettant de combiner entre eux les signaux de diverses sortes représentant ces différents éléments. Bien évidemment l’efficacité globale du système dépend étroitement de la capacité de mémorisation disponible.

 

Le rapport entre le volume du cerveau et le reste du corps est beaucoup plus élevé chez l'homme que chez les animaux les plus proches, et la complexité de son organisation est bien plus grande. L’analyse combinatoire nous démontre que le nombre de combinaisons possibles croit énormément quand s'accroît que le nombre des éléments mis en œuvre. On démontre que cette efficacité est liée à la fois au nombre de cellules nerveuses spécialisées présentes dans la matière cérébrale et au nombre de connections neuroniques établies simultanément entre ces cellules. Par rapport aux animaux, ces deux nombres sont très significativement plus élevés chez l’homme, ce qui lui donne une capacité opérationnelle considérablement plus importante. On estime qu’un cerveau humain dispose d'environ cent milliards de neurones. C’est un chiffre tellement énorme que sa signification réelle nous échappe complètement. Sachant simplement que cent mille neurones meurent chaque jour à partir de l'enfance, et qu'il nous en reste encore plus de quatre-vingt-dix milliards à la fin de notre vie. Toutes ces cellules sont reliées entre elles par des milliers, voire des dizaines de milliers d’interconnexions. La vie a donc élaboré des moyens réellement extrêmement sophistiqués pour que le cerveau puisse exploiter une telle quantité fantastique d’informations. Le cerveau humain semble être l'objet le plus complexe que l'on puisse trouver sur la Terre. Il est devenu capable d'activer volontairement les contenus de la mémoire du passé, probablement inconsciente chez les animaux, et de les combiner pour imaginer l'avenir. Se posant par la conscience dans l'éternel instant présent, entre le passé à jamais disparu et l'avenir qui n'est pas encore, l'Homme a inventé le temps et l'a fait entrer dans le Monde.

 

Si on prend en compte les milliards d'hommes doués de ces merveilleux cerveaux qui peuplent la planète, concevons que l'humanité dans son ensemble constitue une entité remarquable et  tout à fait exceptionnelle. Si elle arrive un jour à réaliser son unité, la richesse des possibilités offertes aux aux hommes sera incommensurable, mais il s'agira toujours, cependant,  de moyens de survie détournés en outils de connaissance J'ai abondamment développé ces questions dans d'autres études auxquelles on pourra se reporter. Je reviendrai néanmoins dans le prochain chapitre sur les limites, voire les insuffisances, des moyens qu'utilisent les organes pour informer le mental de la situation environnante. Je me bornerai à quelques exemples pour ne pas trop encombrer l'exposé, et je commencerai ce rappel par l'organe de la vision. Il n’est pas actuellement établi que l'œil n’ait pu apparaître qu’au stade complet d’efficacité. Ce genre de raisonnement conduirait au rejet de la théorie de l’évolution et de l'idée de maturation progressives des organes des sens, ainsi qu'à l’adoption du principe d’une mutation subite. Il faudrait qu'ait été ainsi mis en place un instrument immédiatement utilisable parce que parfaitement achevé. Cette opération miraculeuse n’est pas très plausible. La difficulté de raisonnement reste réelle, jusqu’à ce que l’on comprenne qu’elle réside seulement dans un préjugé. Celui-ci consiste à considérer l’organe comme un appareil destiné à donner une image fidèle du monde extérieur, comme le fait une chambre noire de photo. Il est alors défini comme un moyen d’exploration et de connaissance des objets voisins. Cela n’est pas du tout la fonction primordiale d’un organe sensoriel en général, ni de l’œil en particulier. Comme tous les organes sensoriels l’œil originel n’était absolument pas un outil d’exploration du réel. Il était destiné à percevoir et à transmettre des indices permettant aux êtres vivants d’adapter leur comportement  de survie immédiat en utilisant des stimuli fournis par des événements extérieurs. En l’occurrence l’œil doit spécifiquement détecter des indices lumineux, des flux de photons. Avec d'autres particules la vision aurait été très différente.

 

Tous ces yeux si différents

 

Dés lors que l'œil remplit le rôle de détecteur d'indices lumineux vitaux, il n’a pas besoin d’être un appareil optique parfait. Beaucoup d'êtres vivants utilisent des yeux fort rudimentaires. Les araignées ont plusieurs paires d'yeux de focales différentes et les insectes des yeux à facettes. Les coquillages usent de multiples ocelles minuscules au bord de leur coquille. Sous quelle forme ces êtres perçoivent-ils le Monde ? Dès que l'organe apporte une capacité complémentaire, il augmente les chances de survie de son porteur, et il est statistiquement sélectionné. A l’origine de la formation  d'un organe simplement détecteur, une seule cellule un peu photosensible a pu ajouter aux signes provenant de la coopération des autres sens actifs, un indice nouveau, faible peut-être, mais suffisant pour augmenter significativement l’adéquation du comportement du bénéficiaire aux conditions extérieures. Ultérieurement, si le bénéfice d’adéquation en était suffisant, le perfectionnement a suivi en utilisant le même processus sélectif d’évolution progressive. Il fallait cependant que cette première cellule sensible apparaisse avec une fréquence et une constance suffisante pour apporter les bases d’une sélection statistique, et que les messages génétiques nécessaires à sa reproduction à l’identique, soient reconnus et utilisables. Au fil du temps, cette transformation ne peut se faire que dans le cadre de la coopération des organes déjà actifs, et seulement lorsque l’apport très mineur d’un détecteur nouveau encore imparfait peut présenter un intérêt supplémentaire quelconque en raison des circonstances du moment. Pour de nombreux êtres vivants, en raison de conditions initiales actuelles, cet intérêt est trop faible pour entraîner une transformation importante. Les choses restent alors en l’état, et l’organe reste au niveau minimal des performances utiles à la survie de l’espèce en cause.

 

L’étude de quelques fonctions de l’œil montre les limites l’approche du réel, même lorsque que l'on use d'instruments dans une démarche (détournée) d’exploration. L’œil différencie des indices dans l'environnement en examinant divers facteurs, luminosité, couleur, forme, relief, orientation spatiale, mouvement, grandeur, conformité à un modèle, etc.. L'action est reliée à l’activité synchrone d’autres sens associés qui apportent des informations complémentaires. La coopération diffère selon la fonction et l’utilité. En fait, les sensations sont d'abord des phénomènes psychophysiologiques engendrés par l’excitation conjointe de l’organe considéré et des compléments. Le percept correspondant est un objet purement mental sans véritable référence à la chose réelle dont il signale simplement la présence. La notion purement mentale du percept n’est pas facile à saisir. Prenons par exemple la couleur des objets. L’œil concentre optiquement le flux de photons incidents sur des photorécepteurs disposés sur la rétine. Chez l’homme, les photorécepteurs sont de deux types, les bâtonnets sensibles aux faibles flux, et les cônes, moins nombreux, utilisés pour la vision diurne des détails et de la couleur. Les photorécepteurs répondent par une activité électrochimique amplificatrice extrêmement rapide. Les cônes réagissent au choc des photons, lorsque ceux-ci soient absorbés par les pigments qui les garnissent. Selon les caractéristiques de ces pigments, une toute petite fenêtre est ouverte dans le très large spectre électromagnétique solaire. Ce qui passe est appelé lumière visible. La fenêtre est variable selon les espèces animales, modifiant évidemment la perception de l’aspect des objets. Chez l'homme, elle associée à trois pigments répartis dans trois groupes de cônes sensibles au bleu, au vert, et au rouge, entre 400 nm (ultraviolet proche), et 750 nm (infrarouge proche). Les combinaisons des réactions des trois types de cônes au flux de photons déclenchent la perception des couleurs. Les daltoniens n'ont que deux types de cônes, les pigeons et les perruches en ont cinq.  Beaucoup d'animaux ne voient pas les couleurs, mais les serpents voient l'infrarouge, et les abeilles l'ultraviolet plus la polarisation de la lumière.

 

La vision des couleurs est fort diversifiée. Les mâles des singes écureuils d’Amérique sont dichromates et des femelles tri chromates ou tétra chromates comme quelques femmes humaines. Malgré ces proches particularités féminines, il nous est impossible d’imaginer les couleurs inconnues qu'implique la séparation de fréquences. Elle induit discriminations comparables à celles du vert, du rouge, et du bleu. Ce sont d'autres couleurs, pour nous inconnaissables, non expérimentables, donc inimaginables. La couleur ne traduit pas une propriété propre aux objets, elle est une faculté propre à l'examinateur. Les mondes colorés diffèrent selon les espèces et selon les gens, en relation avec la variété de leurs cônes rétiniens. Peut-on même penser que tel rouge, vert, ou bleu, demeure le même rouge, vert, ou bleu, pour chacun ? L'intervention de l’œil sur la couleur des choses va plus loin. Un papier reste blanc, une feuille reste verte, quand le ciel est bleu à midi ou rouge le soir, quand change le flux lumineux objectif. La vision corrige la perception isolée en fonction de la couleur des flux incidents globaux. Il y a un blanc du midi et un blanc du soir. Les mêmes corrections s'appliquent aux couleurs réfléchies par les objets voisins. De même, la ligne de contour n'existe pas. Une fonction particulière de l'œil la fait apparaître, si bien que l'on dessine d'un simple trait le contour inexistant des objets représentés. Le renforcement des contrastes au voisinage de leur limite, aide à cette génération. Le système visuel retraite aussi les informations relatives à la situation verticale du sujet observé. Il en modifie les dimensions apparentes selon l'angle d'élévation sur l'horizon. Le soleil ou la lune paraissent plus gros à l'horizon qu'au zénith. Il est évident que l'éloignement des astres reste fixe. L'effet d'élévation s'applique quelle que soit la distance. Un objet situé à cinq mètres paraît très prés, à quelques pas. Á trois mètres, en hauteur ou en profondeur, il semble déjà dangereusement éloigné. Á l'horizontale, les choses gardent leur vraie taille et leur proximité. Vues du haut d'un immeuble de trente mètres, elles sont miniaturisées.

 

Associé aux zones spécialisées du cerveau, l'œil modifie certains stimuli. Il efface, par exemple, l'existence des taches aveugles, ces zones de pénétration des nerfs optiques dans la rétine qui sont dépourvues de photorécepteurs. Cet aveuglement assez important génère pourtant un manque dans le champ visuel, mais il n'est pas présenté pas au conscient. Le trou dû aux taches aveugles n'est pas perçu du tout. Une opération corrective inconsciente continue, extrêmement complexe, est opérée pour remplir ce vide et pour raccorder sans faille cet artifice au reste de l’image. Cette opération globale est une interpolation de surface. De façon analogue, les images fournies par chaque œil présentent de faibles différences de perspective ou de largeur de champ. Le système visuel les utilise pour décrire le relief. Une seule image est perçue avec une profondeur. Si les deux images présentent des différences plus marquées, (position particulière, sujet en mouvement ou obstacle masquant), le système visuel les fusionne en assemblant les deux morceaux. Les zones floues ou incomplètes sont ignorées et l'image composite est automatiquement reconstruite en gommant la partie douteuse. Si l'on considère l'œil comme un simple appareil optique, une question se pose. Pourquoi et comment l'image que nous percevons reste-t-elle stable lors des mouvements exploratoires de la tête et des yeux ? L'image donnée par un appareil optique bouge lorsque l'objectif change d'orientation. Celle qui est perçue par l'œil reste fixe. Cela montre bien que l'image perçue est un objet purement mental lequel est stable en soi. Il intègre des signes qui lui parviennent des divers organes sensitifs et des banques de mémoire. Dans les diverses zones de l'image, en particulier à la périphérie, il y a un échange constant entre des signaux de l'œil et ceux de la mémoire sensorielle immédiate. Quand un objet change de place ou quitte un instant le champ visuel, il n'est pas gommé de l'objet mental global. Il y conserve ses propriétés, sa forme et sa localisation spatiale, même hors du champ visuel et derrière la tête. Il reste mentalement caractérisé et positionné. Les signaux transmis sont alors entièrement mémoriels. On voit bien le travail de transformation effectué par le système visuel qui applique sa méthode inconsciemment et systématiquement, y compris aux astres du ciel.

 

Ce fonctionnement mécanique de la vision, concerne probablement celui des autres organes des sens. Pensez à la perfection achevée de l’oreille et de l’odorat, ou à la sensibilité extraordinaire du toucher. Les organes de la perception des sons mériteraient un développement analogue à la vision. Évoquons aussi le système d'écholocation des chauves-souris qui explorent l'environnement dans l'obscurité, sans être gênées par la proximité de leurs congénères car chacune utilise sa fréquence personnelle d'émission. Les dauphins et d'autres cétacés en font autant en eau profonde. La représentation donnée par la détection des échos d'ultrasons n'est pas forcément différente de celle qui nous est donnée par la détection des flux réfléchis de photons. Il me semble tout à fait possible que cette représentation sonique des caractéristiques géométriques de l'espace engendre des perceptions mentales analogues à celles provoquées par nos perceptions visuelles. On pourrait envisager un objet mental d'origine acoustique ressemblant très fortement à l'objet mental d'origine optique. Il pourrait avoir des couleurs, des textures, et des reliefs ultrasonores, dont la perception ne différerait en rien de celle des équivalents lumineux. Chaque animal distinguerait alors son propre terrain de chasse coloré dans sa couleur sonore particulière. Pensons aussi à l'électro sensibilité des poissons torpilles. Il existe un indice d'une telle possibilité de généralisation de la forme des signaux transmis. Il est donné par la nature de la perception des informations concernant la direction de la position d'un objet donné. Le même type d’information est émis à destination du mental par des organes très différents concourant à sa détection. La perception de la direction est la même quelle que soit l’origine de l’analyse effectuée. La source est constamment localisée dans l’espace, quel que soit l’organe exploratoire, (vue, toucher, ouïe, odorat). L’objet mental global construit intègre une information " position " toujours identique qu'on peut qualifier d'essentielle. L'objet mental essentiel ne dépend pas de l'organe utilisé. Dans le théâtre mental, il tient, au moins optiquement, le rôle du réel, mais en est-il une réelle représentation ?

 

Penser et Voir

 

Lorsque nous utilisons l'un de nos organes sensoriels pour chercher une chose dont nous avons une image mentale précise, un objet égaré, un visage perdu dans la foule, nous n'examinons pas en détail tout ce que nous voyons. Nous posons une sorte de filtre sur notre appareil détecteur que nous laissons opérer la recherche, par lui-même, de façon quasi inconsciente, quel que soit l'organe utilisé. Cela nous permet de suivre une conversation dans le brouhaha, de reconnaître une voix dans un groupe, ou un instrument dans l'orchestre, de trouver à tâtons tel objet dans l'obscurité, etc.. Il nous est donc possible de présélectionner consciemment les seuls signaux dont nous autorisons la transmission inconsciente au mental. Et si l'image mentale préalable est fausse, nous serons incapables de retrouver l'objet cherché. Nous créons alors dans le cerveau  une association de fantasmes, de symboles. Ils sont reliés, d'une part, à la réalité extérieure par les messages virtuels relayant les signaux sensoriels envoyés par le corps. Ils reflètent aussi, d'autre part, l'organicité intérieure, chimique et mentale dont émanent des messages mémoriels complémentaires ou suppléants. C'est aussi comme cela que fonctionne notre constante recherche de connaissance. La pensée est toujours un assemblage de perceptions actuelles avec la mémoire du passé. Même lorsque nous observons notre propre corps, l'observateur que nous sommes se projette d'un certaine façon à l'extérieur de l'objet de l'examen, ce qui peut ici sembler paradoxal. Le véritable problème dans la démarche de recherche est posé par ce fonctionnement mécanique de la pensée, bien évidemment assujettie tout à la fois aux limitations des organes des sens et aux possibilités de mémorisation des expériences héritées ou vécues, et donc au passé. Il semble, de ce fait, difficile d'imaginer la véritable réalité présente des objets essentiellement inaccessibles à l'expérience.

 

Comprenons que nous n'observons jamais un objet extérieur mais toujours sa représentation symbolique, un objet intérieur purement mental, constitué par un assemblage synthétique de signaux sensoriels, culturels et mémoriels. Il est constamment limité au champ de l'expérience sensorielle par les bornes de nos sens, comme il est limité au champ de la connaissance intellectuelle par les possibilités actuelles de notre cerveau. L'expérience du réel est extrêmement limitée car, au sein du cosmos immense, nous n'avons accès expérimentalement qu'à l'espace intérieur ridiculement réduit de notre propre corps. Nous ne pouvons consciemment explorer qu’une infime fraction de cet infime espace. Tout le champs observable est à l'extérieur, et ce que nous en percevons n'est qu'un reflet léger et déformé. L'Univers réel est l'immense objet global dont nous nous tentons d'approcher la connaissance. Au sein du Réel immense et non expérimentable, matériel et immatériel, connu et inconnu, visible et invisible, nous n'avons accès qu'à une insignifiante partie de l'être total. Nous ne pouvons explorer consciemment que ce que nous représentons électriquement dans notre intellect, c'est-à-dire une minuscule fraction de cet absolu. Tout comme l'aspect purement matériel de ce que que nous appelons "Univers", tous les autres aspects sont à l'extérieur, et nous n'en comprenons que des reflets légers, fragmentaires et déformés. La forme et la nature de ces reflets sont déterminées par les particularités de nos organes sensoriels, (particulièrement notre vue), et les possibilités de combinaisons de nos cerveaux. C'est donc à l'Univers total que nous donnons la forme et la couleur humaines. Il est pourtant de notre nature, donc très naturel et très normal, de trouver cette représentation artificielle et limitée du monde, crédible, performante et satisfaisante.

 

Il est difficile, et pourtant fort important, de comprendre intimement (et d'accepter) que le passé est disparu à jamais et que l'avenir n'est pas déterminé. Tous les évènements passés ont eu lieu dans le présent d'alors, et  l'avenir n'est que la projection d'un possible présent futur. Dans la réalité  véritable, il n'y a toujours que l'immanence du présent. En fait, le temps n'existe que dans le mental de l'Homme. C'est une notion intellectuelle qui est liée à sa capacité de mémorisation et qui disparaît quand se ferment ses yeux. Cela concerne encore plus fortement toutes les blessures et les chagrins vécus dans le passé. Toutes ces mémorisations, vécues ou héritées culturellement ou spécifiquement, constituent ce que l'on peut appeler un corps de souffrance. Ce contenu mental globalisé et partiellement refoulé intervient fréquemment dans la détermination de notre humeur et l'expression de notre personnalité qui s'y identifie. Une souffrance actuelle est vécue dans l'instant présent, c'est donc une réalité physique ou mentale qui peut aussi se charger de déchirantes frustrations associées. Elle peut être très vive et nous marquer fort profondément. c'est ce qui est arrivé pour les souffrances passées qui ne sont plus cependant subies au présent. Dans la réalité immédiate, elles sont seulement un simple contenu de la mémoire. Leur rappel réactive au présent la trace mémorielle de blessures vécues dans un  passé maintenant disparu, qui ont pu altérer notre personnalité jusqu'à s'y intégrer profondément. Cette perception dépassée d'un présent qui n'est plus constitue une charge karmique que l'on peut déposer. Quand nous comprenons  cela, notre regard sur ces souffrances passées change profondément. Notre vie même peut en être transformée.

 

La pensée est un assemblage de perceptions actuelles en relation avec la mémoire de perceptions passées. Nous pouvons contrôler la place qu'y occupe chaque partie. Quand nous observons ou ressentons intensément quelque chose, la mémoire intervient très peu, le passé se retire. Dans la réflexion, c'est le contraire, le passé prend toute la place et le présent recule. La véritable exploration du réel devrait donc exclure le recours à la pensée (toujours soutenue par la mémoire). L'invention naît dans le présent, non pas dans le passé. Il faut également être très conscient des conséquences des techniques de méditation, tout au moins en tant que moyen de connaissance. Au sens propre, méditer c'est fixer la pensée sur un objet précis, et donc penser intensément, (en faisant appel à la concentration et à la mémoire). La méditation (dans cette acception) me semble assurément pouvoir gêner la perception du réel, mais il y a d'autres acceptions du mot. L'observation intense, dit Krisnamurti, et l'attention soutenue peuvent seules apporter de la connaissance nouvelle. Le regard que la Science porte sur l'immense Univers, sur l'histoire du Monde et celle des hommes, apparaît essentiellement fondé sur l'usage que nous faisons de nos yeux et de notre capacité à représenter optiquement l'image des choses. Qu'en serait-il si nous disposions de sens différents comme tous ces poissons dits "électriques" qui, en milieu obscur, génèrent un champ électrique afin de détecter leurs proies, percevoir l'environnement, et communiquer avec leur congénères. Quoique ayant beaucoup changé au fil des siècles, la représentation scientifique actuelle du Monde peut satisfaire l'intellect et les appétits humains de savoir (qui sont un désir d'appropriation universelle). Ainsi mêle-t-on le temps et l'espace dans une seule image de l'Univers. Cette forme de connaissance est une illusion. L'image représente toujours le passé. Á l'instant même de la vision, ce qui est vu n'est déjà plus, à jamais disparu dans le perpétuel renouveau du Monde.

 

Nous explorons l'univers matériel dans un voisinage limité en exploitant ce que nos yeux et nos cerveaux nous ont appris. Notre représentation de l'univers est essentiellement fondée sur le sens de la vision. Elle est donc partielle, partiale, et assez illusoire et la grandeur même de l'immense univers matériel est incompréhensible. La représentation de sa réalité ne signifie rien pour la raison humaine ordinaire et les plus grands astrophysiciens avouent que sa véritable nature et son origine leur échappent complètement. Bien des hypothèses scientifiques, métaphysiques ou religieuses ont été imaginées, évoquant même la coexistence de multiples univers dans un même espace, la matière étant essentiellement constituée de vide peuplé d'infimes parcelles d'énergie condensée. D'autres formes (devrais-je dire natures) de mondes peuvent coexister dans cet univers si mal connu. La musique est un exemple d'une porte différente, ouverte sur un autre monde et sans rapport avec la perception visuelle. L'univers du musicien n'est pas celui du physicien. Construit sur d'autres bases sensorielles, le Monde musical présente une autre réalité. Il a ses lois propres, ses modes, ses harmonies et ses dissonances, et des possibilités infinies de développements et de découvertes que montrent les travaux de l'IRCAM, par exemple ou les timbres étonnants des synthétiseurs. Je parle ici de la musique qui parle à l'âme, non pas de celle qui secoue les corps (pour laquelle il faudrait trouver un autre mot). Paradoxalement, le vraie musique ressemble au silence ; comme la méditation véritable, elle arrête un temps la pensée. La beauté n'est jamais perçue que dans le silence du mental. La poésie aussi peut ouvrir soudainement un chemin. L'exaltation artistique reste cependant confortée par l'éducation culturelle des participants. C'est que, tout en arrière plan, dans les perceptions les plus intenses, une certaine influence mémorisée du passé peut encore persister. Les arts ne font qu'entre ouvrir la porte. Gombrich dit que "l'art n'existe pas, il n'y a que des artistes". Ils seraient alors des initiateurs, presque des prêtres.

 

Une autre vison ?

 

Dans les différents mondes mentalement créés par les hommes, il faut introduire tous les innombrables cosmogonies religieuses ou philosophiques élaborées dans tous les âges de la Terre et sous tous ses cieux. Pour tous leurs fidèles, ces univers mystiques ou  révélés sont aussi réels que le cosmos spatiotemporel des physiciens, et certains affirment qu'il est possible que leurs croyances et leurs pratiques puissent collectivement donner naissance à des entités extracorporelles dites égrégores, des formes pensées qui influencent les raisonnements et les comportements individuels. Ces agrégats vivants d'énergie psychique ont besoin d'être nourris pour ne pas faiblir et disparaître. Leur puissance dépend de la "masse" psychique mobilisée par leurs nourriciers, (églises, partis politiques, etc..). Pour un penseur comme Richard Dawkins, la sphère des sociétés et des cultures humaines parait être  exploitée par ces parasites d'une nouvelle sorte qu'il appelle des "mèmes", les diverses théories ou idéologies qui  envahissent implacablement la planète et ont déjà prouvé, hélas, leur terrible capacité de nuisance. Dans un ouvrage connu, "Le gène égoïste", il considère que la biosphère, l'ensemble des organismes vivants, est le moyen d'exploitation mis en oeuvre par les mystérieux micro organismes que sont les gènes intra cellulaires afin de coloniser la matière pour se reproduire et se développer indéfiniment. Ils auraient inventé tous les mécanismes des vivants, la vie organique, la dévoration, la reproduction, la sélection des plus aptes, la souffrance et la mort programmée. Les gènes, dit-il, sont totalement insensibles et indifférents, ils se contentent d'exister.  Certaines personnes croient aux fantômes, à la magie ou aux fées. Dans "Les enseignements d'un sorcier Yaqui", Carlos Castaneda, un anthropologue américain, dit avoir eu la preuve que dans la foule qu'il côtoyait, se tenaient des êtres en forme d'hommes qui cependant ne l'étaient pas.

 

"Nous imaginons voir ce que nous connaissons", dit Gombrich. Notre perception du Monde dépend de notre vision sensorielle constamment corrigée par le regard intérieur relaté à la mémoire de l'expérience passée ( l'influence de la pensée). Elle est toujours faussée et il faut prendre conscience de cette entrave lorsque l'on entreprend une recherche quelconque. La pensée fonctionne de manière automatique  et lorsque le cerveau s'avère momentanément libre, la pensée l'oriente immédiatement sur un sujet quelconque puisé dans la réserve mémorielle et le met au travail avec l'ensemble des données disponibles, conscientes ou inconscientes. Le cerveau est donc activé en permanence sans qu'on puisse arrêter ce fonctionnement automatique et continu, démarche pourtant indispensable pour accéder à une connaissance nouvelle, quel que soit d'ailleurs le champs de la recherche. Ceux qui ont essayé savent que la difficulté est très grande car l'effort même de l'indispensable contrôle volontaire est une activité de la pensée. Cependant, dit Krisnamurti, l'observation intense et l'attention soutenue peuvent être des solutions. C'est la voie qu'il a exploré, tout au moins au début de sa recherche car, plus tard, avec l'entraînement, la liaison se fit plus directe. Quel que soit le moyen utilisé, arrêter la pensée signifie stopper le fonctionnement automatique, ce mécanisme mental qui recycle continuellement les contenus de la mémoire, conscients ou inconscients. On peut tenter une opération volontaire visant à rejeter les éléments  qui l'alimentent ou l'agressent continuellement, qu'ils aient été vécus dans une réalité existentielle, imprimés par le milieu culturel, ou hérités spécifiquement. Ce rejet des contenus karmiques  issus du passé va priver le mental de ses matériaux habituels et la seule perception qui demeure accessible est alors celle d'un désert total, (ce qui est bien le résultat visé).

 

 

Nous avons consciemment suscité ce désert en rejetant les contenus issus du passé. Quant elle survient, la connaissance détruit instantanément les certitudes et les illusions du mental mais la conscience d'être persiste, comme le soleil brille sur les déserts terrestres qui bordent l'océan. On ne fait pas lever le soleil en attendant l'aube, et les nouveaux contenus ne sont jamais conquis mais concédés, par grâce, d'une source inconnue, fortuitement et seulement dans l'âme. Plusieurs fois, j'ai pu recevoir ces dons étranges. D'autres chercheurs ont vécu la même expérience, chacun de façon différente, et j'ai tenté vainement d'en parler. Il ne s'agit pas d'une vision exprimable en images mais d'une perception directe. Les mots, construits pour le partage d'un savoir commun, manquent pour décrire cet incommunicable. Il est difficile (et peut être indécent) d'exposer ouvertement une révélation intime et personnelle, très justement parce qu'elle est intime et personnelle. En témoignage, j'essaierai toutefois d'en dire quelques mots (peut être sacrilèges). La première de ces perceptions date de plusieurs années.  Ce fut celle d'un énorme et fort dangereux torrent d'énergie qui me traversait irrésistiblement. Je comprenais que s'opposer c'était mourir. Cela dura une minute interminable. Bien longtemps plus tard, je fus soudain enveloppé d'un flot de douceur indescriptible, de tendresse et d'amour, sentant pourtant qu'y demeurer serait fatal. La troisième perception fut celle d'une liberté totale sur tous les plans, tant physiques que karmiques. Pendant des années j'ai essayé de comprendre la signification de ces vécus. Á l'instant où j'écris, il m'est enfin donné de les relier. Je crois que j'y perçois le plan de l'Homme. Hors du néant, il est à l'origine une bouffée de violente énergie devenant source d'amour et de compassion. Le chemin est la liberté, et l'évolution l'accomplit dans l'immense océan des possibles en traversant la souffrance et la mort. En ce moment présent, j'y perçois tout à la fois l'Être, la Vie, et l'Amour. Et pourtant, devant  l'océan je demeure, et j'attends ce qu'apportera la marée prochaine.

 

 

Commentaires.

Au delà de la vie, de la mort, et du Monde,
Au delà des consciences, au delà du destin,
Et du temps qui s'enfuit,
l'Être premier demeure.
De Lui émanent toutes choses,
Chacune procédant d'une autre,
Chaque vie dans une autre vie,
Chaque savoir dans un autre savoir,
Chaque forme d'être dans le plus grand Être,
Chaque simple partie dans la seule Unité,
Chaque souffle d'esprit dans le plus grand Esprit,
Et chaque amour enfin dans l'éternel Amour.

En vérité, amis, maintenant je vous dis,
 Je crois, qu'avant que fut le temps, je suis.

 

CHAPITRE 13

                                        

La Kundalin et les Chakras

 

 

Introduction

 

Les mots "Kundalini" et Chakras" sont des termes issus du sanscrit. Ils relèvent, dans la tradition indienne non orthodoxe, de la doctrine du "Yoga kundalini upanishad". Le Kundalini Yoga fut notamment introduit en Europe par les conférence données par Carl Gustav Jung.  C'est l'une des 22 écoles de traditionnelles de yoga. Il vise à réaliser l'éveil de la conscience par la maîtrise de l'énergie primordiale qui est présente en chaque être humain. C'est elle qui est précisément nommée "kundalini", anciennement Shatki (dans le tantrisme). Elle est représentée sous la forme d'un serpent enroulé trois fois et demi sur lui-même et lové au bas de la colonne vertébrale. La pratique du kundalini yoga conduirait à l'éveil de la Kundalini et constituerait la voie royale pour parvenir à l'extinction du cycle des perpétuelles réincarnations. Le déploiement de la Kundalini conduirait à l'éveil spirituel et à la plus haute conscience de soi. La force vitale (ou divine) de la kundalini éveillée monterait la long de la colonne vertébrale depuis le sacrum jusqu'à la fontanelle en harmonisant un à un chacun des sept chakras rencontrés.  Les Chakras (roues ou disques) désignent dans cette tradition des centres spirituels ou points de jonction énergétiques  localisés dans le corps. Il y aurait sept chakras principaux situés sur la colonne vertébrale et des dizaines milliers de chakras secondaires ailleurs. On peut visualiser ces centres énergétiques comme des fleurs ou des roues attachées à cet axe central et les considérer comme de véritables instruments énergétiques, générant leurs propres fréquences et tournant plus ou moins rapidement, le plus lent étant celui du bas, le plus rapide celui de la couronne. Chaque Chakra contrôlerait certaines fonctions spécifiques dans l’existence physique (sens, parties et fonctions du corps, glandes endocrines) énergétique, émotionnel, psychologique, mental et spirituel, et se trouverait en relation vibratoire avec un élément, une couleur, un son, un Mantra, une note de musique, des huiles essentielles, des minéraux, une planète, un métal. On distingue ainsi (de haut en bas) les principaux chakras et leurs rôles. Rappelons ici, qu'en principe, la kundalini monte de bas en haut.

 

7 / Chakra Sahasrara ou chakra de la couronne chakra, (au dessus de tête) :

 « chakra 1000 rais », conscience, divinité, rapport avec Dieu.

 

6 / Chakra Ajna ou chakra du troisième œil, (au centre du front, entre les yeux) :

« chakra des savoirs », Pardon, intelligence, intuition, vision, rêves, perception, discernement.

 

5 / Chakra visuddha ou chakra de la gorge (sur la gorge, ou l'épine cervicale) : 

« chakra extraordinairement pur », Communication, expression.

 

4 / Chakra Anahata ou chakra du coeur (au niveau du coeur, des poumons, de l'épine thoracique, des bras et des mains) :

« chakra indestructible », Courage, compassion, amour, rémission, rapports avec l’Art.

 

 3 / Chakra Manipurakaou chaka du plexus solaire (sur le plexus solaire, à la colonne lombaire) :

 Paix, estime, confiance en soi, énergie, transformation.

 

2 /  Chakra Svadhisthana ou chakra sacré (au sacrum, aux hanches, à l'os pubien) :

Connaissance,mouvement, vitalité, créativité.

 

1 / Chakra  muladhara ou chakra de base (au perinée, aux jambes et aux pieds :

  «chakra racine», Innocence, sagesse, confiance, sûreté.

 

Prolégomènes

 

Malgré l'intérêt conceptuel ou eidétique que peuvent susciter les théories présentées, il est important que le lecteur garde en éveil tout son sens critique. Sachez, par exemple, que la mythologie védique du Yoga semble associer la glande pinéale tantôt au "Chakra Ajna" (souvent assimilé au 3ème œil), tantôt au "Chakra Sahasrara" ou (chakra de la couronne), situé au sommet du crâne. Or, la fonction de la glande pinéale fut fort tardivement identifiée. Cette difficulté explique sans doute les nombreuses spéculations physiologiques autant que métaphysiques qui ont entouré son rôle supposé dans la pensée.

René Descartes considérait qu'elle était "le siège" de l'âme, et cette affirmation a influencé bien des pensées métaphysiques et religieuses ; cela reste même vrai aujourd'hui. Descartes croyait, entre autres idées quant à son rôle, que la glande pinéale était le seul organe cérébral à n'être pas conjugué, c'est-à-dire à n'être pas formé d'un couple d'organes symétriques par rapport au plan sagittal. Les outils d'examen ont progressé, le rôle de l'organe est mieux connu, et les études histologiques actuelles montrent que la glande pinéale est bien un organe conjugué dont les deux hémisphères ont presque fusionné.
 
 Rappelons ici que Descartes professait ardemment un dualisme substantiel distinguant la nature spirituelle de l'âme, (la res cogitans), opérant dans le champs de ce qu'il appelait "la pensée", et la nature physique du corps, (la res extensa), définie par une notion géométrique "d'étendue". Dès lors que Descartes a écarté cette distinction (qu'il estimait cependant fondamentale), en tentant de localiser l'âme dans sa liaison avec le corps, son argumentation s'est ultérieurement affaiblie et il apparut qu'il s'était trompé.
 
 Les développements suivants exposent des théories spiritualistes fondées sur la localisation de la plupart des aptitudes et capacités transcendantes humaines dans des organes conceptuels précisément décrits qui ont cependant bien moins d'évidence existentielle que la pinéale de René Descartes. Il appartient à chaque lecteur d'user de ses propres facultés de discrimination et de sérieusement méditer sur le sujet pour déterminer s'il peut accepter de croire, ou non, en la réalité des représentations exposées.

 


 

Les sept corps

 

Les chakras sont des organes suprasensibles qui appartiennent au corps astral. Selon la théorie occultiste du Septénaire, vulgarisée par les Théosophes dès la fin du 18e siècle, le corps astral est l'un des sept corps dont les êtres humains sont constitués. Superposé au corps physique et au corps éthérique, il se compose de forces et de substances empruntées au plan astral. Perceptible grâce à la vision clairvoyante ou troisième œil, ce corps entoure les êtres vivants et il est animé d'une sorte d'aura parcourue de courants colorés et lumineux qui reflète leur état psychique. Dans l'hindouisme, dans certaines Upanishad, dans le Yoga et dans le Védânta, en particulier, il est fait mention de plusieurs "fourreaux", "gaines", "enveloppes" (koshas) constituant divers "corps". Selon la philosophe néoplatonicienne, en particulier chez Jamblique (vers 320) et Proclos, l'être humain a trois constituants : le corps, les «véhicules, enveloppes ou tuniques» (okêmata), de nature éthérée (l'éther du ciel), ou astrale (les souffles des planètes, Soleil, Lune, etc.),  et enfin l'âme, qui est pur esprit. Rappelons qu'Helena Blavatsky, Annie Besant  et d'autres auteurs de la Société Théosophique ont présenté divers schémas du septénaire humain. Dans La Clé de la Théosophie, afin de décrire la double nature mortelle et immortelle de l'homme, Helena Blavatsky, fait référence à la conception platonicienne de l'âme en trois parties (Noüs,  Psyché, Soma) et à la constitution septénaire comme étant un déploiement de cette conception ternaire. La Clé de la Théosophie la met en correspondance avec les quatre éléments (terre, eau air, feu) et les quatre règnes. Le septénaire se divise donc en deux groupes : un ternaire ou triade (triangle) qui représente la partie atemporelle, divine et transcendante en l'Homme, et un quaternaire (carré) qui représente la partie mortelle et matérielle.

 

 

 

La Théosophie postule un principe éternel qui est toute chose et tout être, présent en toute chose et tout être. L’univers en est la manifestation, comme Esprit et Matière, l’un et l’autre étant les deux pôles opposés du principe unique inconnu. Ils coexistent mais ne peuvent être séparés l’un de l’autre. En se manifestant, l’Esprit-Matière se différencie sur sept plans, la substance y étant toujours la même mais se densifiant d’un plan à l’autre. Ainsi compris, l’univers entier est vivant, conscient et intelligent sur tous les plans, bien qu’obscurci au niveau le plus bas. L’homme est donc un esprit enfermé dans la matière, (spirituelle en essence). Il est une image en miniature de l’univers qui se manifeste lui même en sept différenciations. L'homme peut être décrit comme un être septuple. Âtman, l'Esprit, se tient au sommet, puis, au plus près de l’esprit, vient l’âme spirituelle, Buddhi, qui est relié à Manas, le mental. Ces trois principes supérieurs constituent la véritable trinité pensante impérissable, l’entité humaine réelle, vivant ici bas dans les véhicules appropriés. En dessous de cette trinité, il existe une quaternité plus dense, ordonnée en qualité, le plan des désirs et des passions, partagé avec le règne animal, puis la vitalité brute, qui se manifeste comme énergie et mouvement. Plus dense encore, le double ou corps astral qui est le plan ou modèle du corps physique qui règle son organisation biologique et assure son apparence. Enfin, on trouve le corps physique, perceptible aux sens. Ces quatre principes inférieurs (désirs, vitalité, corps astral et corps physique) constituent la partie transitoire, périssable, de l’homme, l'instrument abandonné à la mort puis reconstruit dans les réincarnations. C’est la trinité permanente qui constitue l’homme réel, l’individualité qui passe en acquérant de l’expérience à chaque nouvelle naissance, l'unité Âme-Esprit vivante.

 

Alice Bailey a explicité dans " Un Traité sur les Sept Rayons", ce concept des sept champs de manifestation divine qu'Héléna Blavatsky a introduit dans la Théosophie sous l'appellation de rayons. Leur cosmologie en donne une explication fort complexe que l'on peut tenter de résumer comme suit. En tant que partie du Plan divin initial, la "Vie Une" était en quête d’expansion. A l’origine, cette "Vie Une" s’exprimait sous les trois aspects de Vie, Qualité et Apparence, ou bien (Monade, Âme et Personnalité) ou encore (Volonté, Amour et Intelligence). Les sept rayons constituent la différenciation initiale de cette triplicité divine. Á partir des trois rayons majeurs, quatre rayons mineurs sont émanés pour révéler la nature septuple de la divinité. Cependant, et c'est là un point fondamental, les sept émanations, issues du noyau énergétique originel, sont sept aspects en interrelation permanente d’un même tout. « Chacun des rayons majeurs enseigne une forme de vérité à l’humanité, qui est son unique contribution », écrit Alice Bailey, « mais c’est uniquement au niveau de leur combinaison, que nous comprenons vraiment la nature de l’Unique, de la Divinité ». Le développement ultérieur de la doctrine a pu apparaître comme un système construit autour du nombre sept. Certains commentateurs ont ironisé en disant que les Théosophes étaient tombés amoureux du chiffre sept. Il semble que les Théosophes aient pu s'inspirer de la structure sensible du monde ou de la cosmologie occulte antique, (tels les védantas) ou même des sept Esprits devant le Trône de Dieu décrits dans l'Evangile de Jean. Remarquons ici que les scientifiques modernes qui décrivent un univers fractal, homologue à lui même à tous les niveaux, conçoivent un système assez semblable à celui des Théosophes. Le fondement n'est pas le choix du nombre, mais essentiellement l'affirmation de l'interaction permanente des multiples aspects de la manifestation divine. Tout acte engagé l'est à tous les niveaux..

 

Les chakras sont des organes suprasensibles invisibles et cependant comparables à des fleurs de lotus. Ils appartiennent au corps astral qui est le plan, le double et le modèle du corps physique dont il règle l'organisation biologique et le fonctionnement apparent. La plus ancienne mention connue des chakras se trouve dans les dernières Upanishad (plus spécifiquement, le Brahma Upanishad et le Yogatattva Upanishad). Les "chakras" ("roues" en sanskrit) y sont décrits comme étant nos centres énergétiques, et ils sont à la base de la médecine ayurvédique qui les a nommés "nadis" et en dénombre symboliquement soixante douze mille, répartis sur tout le corps. Il y aurait cependant sept chakras majeurs, décrits comme une colonne lumineuse (colonne d'argent)  montant de la base de la colonne vertébrale jusqu'au sommet de la tête. On les associe à certaines couleurs et autres éléments. Selon la tradition indienne, l’énergie circule d’un chakra à l’autre par des canaux invisibles. Il existe un  canal central, appelé "sushumna" dans les textes védiques. C'est l'axe qui traverse et alimente les chakras majeurs. La sushumna est accompagnée de deux autres canaux qui montent en s'enroulant en spirale autour d'elle, comme figuré par le Caducée, le pingala nadi, ou suryanai, le canal de Soleil, et le ida nandi ou chandrani, le canal de Lune. Ils représentent la bipolarité de l'être. Le souffle vital, remontant du périnée au sommet de la tête, se concentrerait en tourbillonnant dans le sens des aiguilles d’une montre au passage de chacun des chakras qui sont couramment décrits comme des organes vivants. Ils auraient pour fonction la régulation de « l'énergie » entre les différentes parties du corps, et entre le corps, la terre et l'univers, et, en raison de l'interaction fondamentale entre les sept corps, ils seraient liés à la santé et au comportement de l'individu. Il y aurait donc une relation effective entre les chakras du corps astral et le corps physique, et cette relation que le travail spirituel voudrait tenter de sublimer.

 

La Kundalini

 

Depuis la nuit des temps, les anciennes religions asiatiques évoquent une force mystique appelée "Kundalini Satki". Elle est définie comme une énergie primordiale, vitale ou divine selon les auteurs. Le terme sanskrit  Kundalini signifierait « enroulé en spirale ». la Kundalini est d'ailleurs communément décrite sous la forme d'un serpent enroulé trois fois et demi sur lui même et situé au bas de la colonne vertébrale, dans la région du sacrum. Dans les représentations dont nous disposons, on observe cependant que le nombre de spires comme l'orientation peuvent différer ce qui semble montrer que ces détails importent assez peu. La Kundalini peut aussi être localisée ailleurs, parfois à l'extérieur de la figure humaine, et elle est souvent associée à une représentation du soleil ou de la lune. Le serpent qui symbolise la Kundalini, en tant qu'énergie primordiale ou divine, ne doit pas être confondu avec d'autres symboles, serpentins par pure analogie, qui représentent les canaux par lesquels l'énergie circule dans le corps. Rappelons que, selon les textes védiques, il existe un canal central, appelé "sushumna" qui va du sacrum au sommet du crâne, et qui est accompagnée de deux autres canaux qui montent en s'enroulant en spirale autour de lui comme dans le Caducée. La Kundalini Satki, énergie primordiale, vitale et divine, est évidemment unique par essence. Les chercheurs pensent souvent qu'ils doivent s'efforcer d'éveiller leur Kundalini, mais il faut bien comprendre que la Kundalini, n'est jamais vraiment endormie quand elle est l'énergie primordiale, la "chetana" qui anime le corps vivant. Elle est alors appelée "prana-shakti". Lorsque l'on parle d'éveil, il s'agit d'un changement du degré d'activité par lequel l'énergie dispensée va passer du niveau qui assure simplement les fonctions vitales ordinaires à un niveau plus élevé qui impliquera une évolution des sept corps en raison de l'interaction permanente des multiples aspects humains dans l'unicité de la manifestation divine. Par ce changement la "chetana" change de rôle, et de "prana-shakti" devient "Kundalani". Signalons ici que la méthode initiatique du Christianisme ésotérique de Van Rijckenborgh mobilise trois kundalinis, (coeur, bassin, tête).

 

Dans certains textes anciens, la Kundalini est appelée le «Cœur», et il est important de méditer sur ce point. Comme le coeur physiologique remplit une fonction centrale dans le corps physique, la Kundalini éveillée irrigue d'une façon comparable l'ensemble dans lequel elle opère.  De nombreux prétendus guides spirituels proposent des méthodes actives pour éveiller la Kundalini, ce qui signifie en fait apprendre à forcer la "prana-shakti" à changer de nature, ceci par des exercices méditatifs, des disciplines ou des pratiques particulières du yoga. Si l'on y réfléchit, il semble pourtant que cet acte soit presque sacrilège puisqu'on use des outils du corps physique pour contraindre ceux d'un niveau supérieur. Je ressens là, quelque part, un mystérieux danger, comme un tigre féroce aux aguets. Sur ce point aussi, il faudrait longuement réfléchir. La Kundalini doit pouvoir s'éveiller par elle même lorsque les conditions nécessaires sont en place, et monter alors librement pour effectuer son travail de sublimation des chakras. Son identification au cœur de l'être intérieur revêt ici, me semble-t-il, une importance particulière. La véritable préparation est celle de son accueil, et cela implique que la préparation soit accomplie en liaison avec la triade supérieure, et donc dans le mental, Manas. Ainsi, l'accueil de la Kundalini pourra être préparé dans la compréhension la plus intime de ce qui doit être réalisé, (par la connaissance éclairée, au sens gnostique du terme), et l'acceptation consciente de tout ce que cela implique, tout autant pour l'individu en évolution lui même que pour celle de l'humanité entière et de l'Univers avec lesquels il est en interaction permanente à tous les niveaux. Cela veut dire permettre à la force créatrice universelle de passer par le soi en transcendant l'actuelle nature humaine. Alors, de lune qu'elle était éclairant faiblement de ciel de la conscience ordinaire, peut être la Kundalini montera-elle dans sa propre liberté, comme un soleil de lumière illuminant tout l'être dans un flot débordant de paix, de joie, d'amour et de liberté.

 

Les chakras

 

Les chakras sont des organes suprasensibles invisibles qui appartiendraient au corps astral, qui est le double et le modèle du corps physique dont il règle l'organisation et le fonctionnement, et qui est l'enveloppe du corps éthérique (ou corps vital). Les "chakras"  régulent la circulation de l'énergie dans le corps astral. Ils communiquent entre eux et existent en grand nombre, répartis sur tout le corps astral. On décrit sept chakras majeurs, alignés de la base de la colonne vertébrale jusqu'au sommet de la tête. Comparables à des fleurs de lotus, on les associe généralement aux sept couleurs du spectre (dont l'indigo qui a été inventé par une poète français pour composer un bel alexandrin), et on les hiérarchise en relation avec leurs fonctions associées, qualités et défauts. On identifiera donc, de bas en haut, les quatre Chakras de l'existentiel surmontés des trois de l'essentiel, à savoir : 1 / Au périnée, jambes et pieds, « le Chakra racine, chakra muladhara ou chakra de base », de couleur rouge, associé à l'innocence, la sagesse, la confiance, et la sûreté mais aussi aux besoins du corps physique et à ses caractéristiques négatives telles la passion ou la luxure. 2 / Au sacrum, aux hanches, à l'os pubien, « le Chakra sacré, chakra Svadhisthana », de couleur orange, associé à la connaissance, au mouvement, à la vitalité, et à la créativité et négativement à la colère, la menace, et la haine. 3 / Sur le plexus solaire, et à la colonne lombaire, « le Chakra du plexus solaire ou Chakra Manipurakaou », de couleur jaune, associé à la paix, à la générosité, à l'estime de soi, à la confiance, à l'énergie et la transformation et à ses opposés, la peur, la cupidité. 4 /Au niveau du coeur, des poumons, du thorax, des bras et des mains, « le Chakra du coeur aussi dit Chakra indestructible, Chakra Anahata », de couleur verte, associé au courage, à la compassion, à l'amour, à l'indulgence et aux rapports avec l’Art et tous les défauts correspondants. Remarquez que ce chakra du cœur est en contact direct avec les chakras de la triade essentielle.

 

Au dessus des quatre chakras de la quaternité existentielle, et dans le même alignement vertical, on situe les trois chakras de la triade essentielle : 5 / Sur la gorge, ou l'épine cervicale, « le Chakra de la gorge dit Chakra extraordinairement pur, Shakra visuddha », de couleur bleue, associé à la paix, la volonté, l'action, la communication et aux facultés d'expression,mais aussi à la jalousie, l'abus de pouvoir. 6 / Au centre du front, entre less yeux, « le Chakra des savoirs ou chakra du troisième œil, Chakra Ajna », indigo, associé au pardon, à l'intelligence, à l'intuition, àla sagesse, à la vision et aux rêves, à la perception et au discernement, et à l'orgueil et l'arrogance. 7 / Enfin, au dessus de la tête, « le Chakra de la couronne ou chakra des 1000 rais, Shakra Sahasrara », violet, associé à la conscience, à la liberté, à l'infini à la divinité, et aux rapport avec Dieu sans aucune association négative. Au sein de cette triade  se tiennent  Âtman, l'Esprit, au sommet, puis Buddhi, l’âme spirituelle reliée au mental, Manas, les trois principes qui constituent la véritable entité humaine impérissable, vivant actuellement ici bas dans ses véhicules  appropriés. Chez les Théosophes, Annie Besant et plus particulièrement Charles Webster Leadbeater (dans son livre " Les chakras - Centres de force dans l'homme") ont théorisé le rôle des différents chakras ainsi que la transformation effectuée par l'éveil et la montée de la  Kundalini.  L'homme, nous dit Annie Besant,  est l'être dans lequel, quelle que soit la partie de l'univers qu'il habite, l'Esprit le plus élevé et la matière la plus basse sont unis par l'intelligence. C'est donc à ce niveau qu'il faudra séduire "prana-shakti" pour qu'elle devienne "Kundalani", le cœur de l'Homme-Âme. Pour cela, il faut, par l'amour, la méditation et la prière, purifier le temple mental de la violence et de l'inflation de l'ego (qui se manifeste d'ailleurs dans la dangereuse volonté de forcer l'éveil de la kundalini).

 

C. W. Leadbeater, dans son livre, émets de vives inquiétudes quant au danger extrême de cette imprudence, "Je mets très solennellement en garde, dit-il,  tous les étudiants contre un effort quelconque tendant à éveiller ces énergies formidables, sauf sous une direction expérimentée ../... Cette force est une réalité formidable, l'un des grand principes de la nature. Je l'affirme avec toute l'insistance possible, ce n'est pas un jouet ; ce n'est pas une question dont on puisse s'occuper à la légère ../.. Le vieil aphorisme demeure vrai : "Cherchez d'abord le royaume de Dieu et Sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît".Voici la conclusion du livre, que je crois utile de vous faire partager : La conscience de l'homme ordinaire  ne peut encore employer la matière atomique pure, ni dans le corps physique, ni dans le corps astral ; normalement il lui est donc impossible de communiquer consciemment et à volonté entre les deux plans. La vraie manière d'y parvenir est de purifier les deux véhicules jusqu'à ce que la matière atomique étant complètement vitalisée dans chacun, toutes les communications puissent emprunter cette route. Dans ce cas le réseau conserve au plus haut point sa position et son activité sans faire désormais obstacle à une communication parfaite ; en même temps il continue à jouer son rôle particulier, celui d'empêcher tout contact étroit entre des sous-plans inférieurs qui ouvriraient le passage à toutes sortes d'influences indésirables. Voilà pourquoi l'on nous adjure toujours d'attendre, pour développer les facultés psychiques, le moment où elles se manifesteront naturellement, en conséquence du développement de notre caractère ; l'étude de ces centres de force nous en donne l'assurance. Telle est l'évolution naturelle ; c'est la seule méthode sûre, car elle permet à l'étudiant de recueillir tous les avantages et d'éviter tous les dangers. Ce Sentier, nos Maîtres l'ont suivi  jadis ; c'est donc aujourd'hui celui que nous devons suivre.".


 

Jacques Henri Prévost

 

 

INCARNATUS

Tome 1 -  Lentement vers la Lumière

 (Aux sources de l'ésotérisme occidental)

 

Tome 2 -  Bien nombreux les chemins.
 (Mythes traditionnels et exotiques)

 

Tome 3 -  Et chaque amour, enfin

(Vers une spiritualité contemporaine)

 

 

 

Du même auteur

 

Le Ciel, la Vie, le Feu
Le Pèlerin d’éternité

L’Univers et le Zoran

L’Argile et l’Âme

Prolo Sapiens

Lentement vers la Lumière

Bien nombreux les Chemins

Et chaque Amour enfin

Recueil de cuisine végétarienne

Mon cancer et Moi

Le sourire amlicieux de l’Univers

 

 

 

 

 

© Jacques Prévost – Cambrai - France



 




Jacques Henri Prévost

Et chaque Amour enfin

 

Incarnatus – Tome 3

(Vers une spiritualité contemporaine)

Nous projetons sur le mystère cosmique un imaginaire culturel, comme nous projetons sur le mystére intérieur un reflet de nos idoles intellectuelles, illusion magnifiée par les milliards de cerveaux de milliards d'hommes. Nous  modelons la matière subtile de la pensée y compris en la forme illusoire de certitudes, de croyances, et de faux dieux idéaux qui nous masquent, en tous lieux, la nature véritable du Monde. Nous bâtissons une représentation mentale illusoire de la totalité  qui nous éloigne de la vraie connaissance. Ici et maintenant, le Temple de Vie c'est l'Homme. C’'est en chacun de nous que l'Esprit construit la conscience humaine, actuellement et à l'instant. L'éternité se vit au présent, et l'éternel présent de l'Esprit agit dans l'instant même où vous lisez ces lignes. Aux vents aléatoires du destin, (ou des projets divins), l’Univers navigue avec l'humanité vers des terres et des ports inconnus.

Dans ce Tome 3

Un temple à l’esprit, et à la liberté
 Orphistes et Pythagoriciens
La Divine Comédie de Dante
Robert Fludd et la Rose+Croix.
L'origine des Rose+Croix
L’Homme triple
Le Cosmos est-il vivant ?
La Vie mystérieuse
Amour et Désir chez les Théosophes
Krishnamurti et l’inconcevable « Otherness »
Jung - Du livre rouge à la Fleur d'or
L'illusion de la connaissance
La Kundalini et les Chakras