Jacques
Henri Prévost
Lentement vers la Lumière
Incarnatus – Tome 1
Aux sources de
l’ésotérisme occidental
Jacques Henri Prévost
Série incernatus
(En trois tomes)
Lentement vers la Lumière
(Aux sources de l'ésotérisme occidental)
Bien nombreux les Chemins.
(Mythes traditionnels et exotiques)
Et chaque Amour, enfin
(Vers une spiritualité contemporaine)
Du même auteur
Le Ciel, la Vie, le Feu
Le Pèlerin d’éternité
L’Univers et le Zoran
L’Argile et l’Âme
Prolo Sapiens
Lentement vers la Lumière
Bien nombeux les Chemins
Et chaque Amour enfin
Recueil de cuisine végétarienne
Jacques Henri Prévost
Lentement
vers la Lumière
Incarnatus - Tome
1
Copyright
© Jacques Prévost –Cambrai
- France
Jacques
Henri Prévost
Lentement vers la Lumière
Aux sources de
l’ésotérisme occidental
TABLE DES MATIERES
15- Les
appels de la Lumière.
23 - Les dieux grecs.
49 - Les Ennéades de Plotin.
71 - Les enseignements d’Hermès Trismégiste.
97 - Les antiques religions à Mystères.
133 - La religion des Romains.
157 - La Gnose et les Gnostiques.
197 - De la Gnose aux Cathares.
219 - De Giodano Bruno à l’Univers vivant.
239 - Béguines et Cathares des Flandres.
261 - La Foi des Cathares.
Les autres tomes
Tome 2
Mythes traditionnels et
exotiques
Mille chemins
sur la montagne
Réminiscence
et réincarnation selon Platon
Le Mythe de l’Arche de Noé
Le Mythe de
la Quête du Graal
La Bagavad Gita dans l’Indouisme
Les derviches tourneurs Soufi
Contes persans et soufi
Zoroastre et les Pârsis
Le Bardo Thodol tibétain
Le Tao të King en Chine
Le Cao Dai indochinois
Le Shintô
japonais
Le Jaïnisme
Le Vaudou
Les autres tomes
Tome 3
Vers une spiritualité
contemporaine
Un temple à
l’esprit, et à la liberté
Orphistes et Pythagoriciens
La Divine Comédie de Dante
Robert Fludd et la Rose+Croix.
L'origine des Rose+Croix
L’Homme triple
Le Cosmos est-il vivant ?
La Vie mystérieuse
Amour et Désir chez les Théosophes
Krishnamurti et l’inconcevable « Otherness »
Jung - Du livre rouge à la Fleur d'or
L'illusion de la connaissance
La Kundalini et les Chakras
Lentement vers la Lumière
Aux sources de
l’ésotérisme occidental
Les appels
de la Lumière
Nous allons parler dans cet
ouvrage de l'Homme et de la Lumière. Pourquoi l'homme de matière que nous
sommes a-t-il toujours recherché la Lumière ? Qu'est-ce que La lumière ?
Peux-t-on, d'homme de matière, devenir Homme Lumière ? C'est à ces questions
que nous tenterons de répondre en tentant de présenter les visions de divers mouvements
spirituels dans différents temps et
lieux du Monde.
L'homme naturel vit et dépend de la lumière,
tant dans son être propre pour permettre le maintien de son développement que
pour assurer sa subsistance. La vie ne peut être sans la lumière du Soleil.
Mais nous allons ici évoquer non seulement ses besoins de lumière naturelle
mais surtout ceux de la lumière du soleil spirituel, source et principe de
toute connaissance et de toute sagesse.
Il y a bien des façons de chercher la clarté
et d'essayer de répondre aux multiples questions posées par l'origine, la
nature, et le sens de la vie humaine. Beaucoup d'hommes ont consacré leurs vies,
leurs intelligences et leurs imaginations pour tenter de répondre à ces grands
mystères. Ils ont utilisé diverses voies de recherches. Elles ne sont pas antagonistes
car, en partant de leurs propres personnalités, les différents chercheurs
ouvrent des fenêtres différentes sur le même et unique profond mystère des
origines. Il est donc inutile, par exemple, d'opposer la voie de la raison à
celle de l'intuition, et donc d'opposer ainsi la science à la foi.
Actuellement, les sciences nous enseignent
que l'univers naquit un jour d'une source inconnue dans une explosion de
lumière et d'énergie. Elles font naître les mondes dans le flamboiement des
étoiles et racontent une histoire plausible de l'aventure des vivants, de
l'apparition des hommes et de leur ouverture progressive à la connaissance.
Mais les Sciences parlent du "comment", jamais du
"pourquoi". Elles réduisent l'être à sa dimension matérielle et ne
considèrent dans l'homme, tout au moins jusqu'ici, que les seules mécaniques
biologique et psychologique. Elles proposent une approche des origines des
êtres et des choses qui en escamote les causes et ne considèrent que les
effets. Leurs limites sont posées par les connaissances et les possibilités
techniques et conceptuelles de l'époque.
Les théories contemporaines, nombreuses, et
complexes sont parfois contradictoires, mais elles présentent une image de plus
en plus représentative et crédible du déroulement de la naissa+nce énergétique
et lumineuse de l'univers matériel.
Les religions tentent d'accéder aux origines
par d'autres voies que celle de l'analyse et de la raison. Elles découvrent
l'action d'un être tout puissant extérieur à l'Homme. Ainsi, dans leur
recherche de connaissance, les peuples antiques se sont souvent tournés vers le
ciel et le Soleil, cette grande source de lumière et de chaleur qui rayonne sur
la vie. Ainsi naquirent les premières religions antiques fondées pour appeler
sur les hommes les rayons vivifiants du Soleil. La plupart des religions
s'établirent ensuite dans un aspect exotérique. A l'origine, on y trouve des
mythes fondateurs légitimant des doctrines fondamentales auxquelles les fidèles
doivent adhérer. La bonne conduite mènerait à la vie éternelle. Les cultes
ritualisés sont accomplis dans des temples matériels, avec l'aide de prêtres
qui servent de médiateurs entre les hommes et le dieu, source de puissance, de
vie, de connaissance et de lumière.
Cependant, quelques religions n'ont pas
séparé l'Homme et Dieu. Elles considèrent que l'Homme contient une partie
divine, spirituelle et lumineuse, emprisonnée dans son corps de chair. Elles
ont donc essentiellement un aspect ésotérique qui est enseigné aux hommes par
des prêtres initiateurs qui les aident à construire dans leur corps un temple
spirituel intérieur où l'Esprit pourra répandre la connaissance et la lumière.
Ils nous disent qu'il existe en chacun de
nous un soleil intérieur spirituel qui est la source cachée et le fondement des
divers aspects de l'être humain originel, l'Homme de Lumière, et qu'il existe
en réalité deux plans de vie, dont l'un est ordinaire ou matériel, où se
tiennent les vivants et les morts, les hommes de matière, et l'autre est le
plan de vie divin originel, où vivent les hommes de lumière. Ils énoncent que
le monde matériel dans lequel vivent aujourd'hui les hommes, est le reflet
dégradé et inversé du monde originel véritable. Et ils pensent aussi que la
lumière ordinaire qui éclaire les jours et les passions des hommes joue,
ici-bas et imparfaitement, le rôle que la vraie lumière de la connaissance joue
dans le monde impérissable du royaume originel.
Mais comme disait Platon, comment peut-on
chercher ce que l'on ne connaît pas ? Á ce paradoxe dit "de Menon",
la réponse de Platon est claire. Tout ce que connaît notre âme ne peut provenir
de cette vie présente mais de la réminiscence d'une existence antérieure où,
séparée du corps, elle a pu contempler la réalité idéale. Notre âme est
immortelle et a eu commerce avec ce monde mais, jointe accidentellement au
corps, elle a oublié ce qu'elle savait depuis toujours. Connaître, c'est donc
arriver à reconnaître, à se ressouvenir afin de se réapproprier ce savoir passé
que l'âme a toujours eu en elle mais qu'elle ignore posséder.
Le philosophe distinguait
bien les deux aspects du monde. D'une part
celui des apparences, sensible, visible, changeant, insaisissable, et
d'autre part le monde intelligible des Idées éternelles et immuables,
invisible, le lieu du Vrai en soi, du Bien ou de l'Être d'où procèdent toutes
choses. La condition première de l'humanité est l'ignorance. Connaître, accéder
à la lumière, c'est s'arracher de la fascination des ombres et des images
d'illusion et d'ignorance, pour s'élever vers le savoir afin de comprendre la
véritable place des éléments qui constituent le monde et jouir enfin de la contemplation
des pures Idées.
Mais Platon
enseignait également que la Terre est au centre de l'Univers, (théorie du
géocentrisme) et qu'elle est entourée de douze sphères concentriques sur
lesquelles circulent tous les astres qui sont les corps des dieux. Son disciple
le plus connu Aristote (le Stagirite), reprit malencontreusement la vision
géocentrique de Platon, (la Terre est centre du Monde), idée ultérieurement
érigée en "vérité révélée" ou dogme par St Thomas d'Aquin ; et
ce concept entrava le développement de la science, jusqu'au 17è siècle.
Mais il n’y a pas que Platon pour exprimer
cette quête universelle. Beaucoup d’autres chercheurs, ont bien perçu que la
principale difficulté dans cette recherche de lumière et de connaissance est généralement
posée par la nature essentiellement temporelle de l'Homme. Dans l'inconscient
collectif, la lumière côtoie toujours la connaissance et l'origine. L'homme
ordinaire place cette lumière à l'origine ou à la fin des temps mais très
rarement dans le présent.
Tant que l'homme est dans la matière, il demeure
prisonnier du temps et ne peut accéder aux lumières de la connaissance totale.
On voit bien que toutes les tentatives d'explication des profonds mystères de
l'existence prennent toujours en compte les différents aspects de l'écoulement
du temps. Quelles soient-elles, elles ne peuvent contourner le problème. Les
doctrines et théories racontent le passé ou impliquent l'avenir. Nous savons
que l’Esprit souffle où il veut, quand il veut et comme il veut. Il a donc inspiré
des chercheurs en d’autres temps et d’autres lieux. C’est pourquoi, nous avons
construit cet ouvrage en trois parties.Dans la première nous évoquerons les
sources traditionnelles de la spiritualité occidentale et en particulier celles
du Gnosticisme. Nous rapporterons ensuite
quelques illuminations orientales ou
exotiques, et nous évoquerons enfin quelques ouvertures contemporaines dans ce
domaine de la descente de la lumière dans l’âme.
Car une certaine clarté peut pénétrer dans
l'obscurité de la conscience humaine dès que l'on commence enfin à admettre que
le passé et l'avenir n'existent que dans le mental des hommes. Le passé
n'existe plus. L'avenir n'existe pas. Le seul réel est le présent. Seul le
présent nous est donné, renouvelé à chaque instant. Mais, en isolant dans sa
conscience sa propre image particulière de celle du reste du monde cyclique
qu'il habite, l'Homme a fait naître en lui-même une entité nouvelle, l'ego.
Conscient de la mortelle nature du corps physiologique, l'ego s'efforce de
perdurer dans le torrent du temps. Il appelle sans cesse dans la conscience la
mémoire du passé ou la tentation de maîtriser l'avenir.
L'ego occupe la conscience, l'asservit et
l'obscurcit, y faisant constamment miroiter les illusions passées et à venir du
monde naturel qu'il présente comme la seule réalité. Absorbé par la
contemplation et la jouissance de ces images trompeuses, l'Homme oublie que sa
véritable place originelle est hors du temps, dans l'éternel présent. On voit
ici combien il est important de travailler à détacher les chaînes que toutes
les sortes d'habitudes comportementales ont installées dans la personnalité.
Elles ne sont qu'illusions qui nous amarrent au temps, nous aveuglent et nous
ferment l'accès à la lumière et à la connaissance. Il y a si longtemps que
l'être humain est asservi par l'illusion que l'âme peut à peine se manifester
et se faire entendre dans sa prison corporelle.
Cristalisée dans la matière, l’âme tente
depuis des millénaires de s’ouvrir un chemin vers la lumière, mai les siècles
passent et l’opacité du cristal ne cède que lentement. Néanmoins la conscience spirituelle
progresse, siècle après siècle, et vie après vie, son alchimie amollit les
résistances et dissipe progressivement toutes les illusions du Monde. Lentement, la lumière perce ces cristalisations.
Nous sommes, en cet ouvrage, associés à cette
longue et commune recherche de lumière, de clarté et de connaissance. Comme l’ont fait au cours de
siècles passés tous les chercheurs dont nous tenterons d’approcher les visions,
nous cherchons la lumière véritable, la clarté donnée par l'Esprit, et dans ces
conditions, nous ne sommes jamais seuls. Et c'est pour cela que nous pouvons ouvrir
cet ouvrage, avec une grande humilité, par les mots suivants.
"FIAT LUX"
"Que soit
la Lumière véritable"
Et qu'elle ouvre aujourd'hui, en
nos cœurs, la voie de la connaissance !
CHAPITRE 2
Les dieux grecs
Les religions des Grecs et des Romains nous apparaissent souvent très analogues, au point que nous pouvons penser la seconde comme un décalque de la première. Il n'en est rien. En fait, les peuples grecs et romains ont une origine indo-européenne commune qui implique un fond culturel partagé. Lorsque, au début du 2ème millénaire avant J. C., ils ont migré vers des territoires voisins mais différents, ils ont amené avec eux les mêmes antiques fondements religieux. Mais ils les ont ensuite développés dans des contextes locaux distincts, et dans des synthèses plus ou moins réussies avec les croyances indigènes locales. On retrouve donc dans les deux cultures, à la fois des traits communs et d'autres différents. Lorsque les peuples se sont rencontrés, ils ont pu reconnaître les symboles homologues de leurs panthéons respectifs, et ils ont procédé aux rapprochements qui leur semblaient déjà évidents. C'est ainsi qu'aujourd'hui, nous reconnaissons aisément leurs principales doubles figures divines. Ces dieux des Grecs et des Romains n'étaient pas transcendants. Ils habitaient le Monde, comme les Hommes dont ils régentaient la vie. Ils en partageaient les vices et les vertus, mais ils étaient immortels et le plus souvent invisibles. Les deux peuples avaient aussi une approche partagée, beaucoup moins évidente à nos yeux, du concept de divinité. Il faut savoir que, des deux cotés, les dieux secondaires étaient innombrables, peut-être cinquante mille pour les Grecs et vingt à tente mille pour les Romains, selon leurs propres évaluations. Les attributions et fonctions de ces divinités secondes étaient floues et changeantes, évoluant constamment selon les époques et les transformations sociales. Cette flexibilité peut expliquer la tolérance dont ces anciens on pu faire preuve à l'égard des dieux et religions des pays conquis, ainsi que la facilité relative avec laquelle les étranges Cultes à Mystères furent accueillis à Rome, comme ceux d'Isis, de Cybèle, ou de Mithra, et même le Christianisme primitif. Cela facilita également des décisions politiques étonnantes comme la divinisation de la ville de Rome ou celle de certains empereurs. Un autre aspect fort important des religions grecque et romaine est celui de la totale intégration des pratiques religieuses à la vie quotidienne et civile. L'athéisme n'y avait aucune place, et il n'y avait aucune séparation entre des champs d'activités qui nous sont aujourd'hui perçus comme évidemment distincts. Le comportement des citoyens en était donc empreint. Il faut enfin noter l'attention marquée accordée à la divination, à l'haruspicine, et aux présages. Ils guidaient alors de façon assez importante la conduite des affaires de l'état, et même les comportements des armées.
La Crète et Mycènes
Il n'est pas possible de parler de la civilisation grecque au singulier parce
qu'il y a eu plusieurs transformations profondes dans les peuplements et les
croyances des peuples qui se sont établis dans cette péninsule et ses îles
depuis 50 000 ans, bien avant la dernière glaciation. Après celle-ci, on
distingue, dans le monde grec antique, sept périodes successives de
civilisations caractérisées. La période "préhellénique",
(civilisations crétoise, minoenne, ou égéenne), s'étend du 19e au 14e
siècle avant notre ère. La période "achéenne", (civilisation
mycénienne, Guerre de Troie et arrivée des Doriens), va jusqu'au 12e siècle. La
période "homérique", celle du Moyen Âge hellénique, de l'Iliade et de
l'Odyssée remonte jusqu'au 8e siècle. Elle est suivie, jusqu'au 6e siècle, par
la période "archaïque", qui a vu l'expansion des Grecs dans tout le
Bassin méditerranéen, l'Asie Mineure et la "Grande Grèce" d'Italie.
La période "classique" se poursuit jusqu'au 4e siècle avec l'âge d'or
des grands philosophes. Les temps "hellénistiques" suivirent,
jusqu'au 1er siècle avant JC. (domination macédonienne et empire d'Alexandre).
Puis c'est la période "romaine" qui commence en ~ 86 par la prise
d'Athènes par Sylla et qui répand ensuite la culture grecque dans tout le monde
romain pendant le millénaire suivant
Beaucoup d'autres acteurs ont partagé le Monde méditerranéen et influencé les
cultures grecque et romaine, tels les Phéniciens qui fondèrent Carthage, le
Étrusques, les Sardes, les Ombriens, les Samnites et tant d'autres dont
nous évoquerons évidemment les actions
Il y a donc un grand décalage temporel entre les mouvements civilisateurs
grecs successifs et l'expansion de la domination romaine. L'occupation des
environs de la mer Égée débute six mille ans avant notre ère, au néolithique.
La civilisation est d'abord repérable en Crête, où l'on trouve les traces d'un
culte de la Terre Mère. Il y a quatre mille ans, c'est la civilisation dite des
Cyclades et de la Crète, marquée par des relations avec Troie, Chypre et
l'Égypte. Á l'âge du bronze ancien, 25 siècles avant notre ère, l'île de Crète
voit s'épanouir une société évoluée, avec une urbanisation structurée et une
technologie qui produit des objets élaborés et de beaux bijoux de bronze ou
d'or. C'est là que le roi Minos aurait fait construite par Dédale le célèbre
labyrinthe du Minotaure, et c'est là aussi qu'apparaissent les premiers
alphabets grecs appelées linéaires A et B, d'origine indo-européenne, qui
s'écrivaient de gauche à droite comme les nôtres. La Crète minoenne développe
aussi une puissance maritime débouchant sur des échanges commerciaux avec les
pays d'Orient. Cinq siècles plus tard, les villes s'organisent autour de palais
somptueux comme ceux de Mallia, Archanès, Zakros, Phaïstos, et Cnossos où l'on
a découvert des restes de sacrifices d'enfants. L'archéologie a trouvé des
symboles cornus, des haches bifaces d'ornement, et d'autres trésors. Puis, 15
ou 16 siècles avant JC, l'énorme éruption volcanique du Santorin engendra de
gigantesques tsunamis qui dévastèrent la Crète et détruisirent sa flotte. La
ville de Cnossos fut cependant épargnée, mais la civilisation minoenne ne s'en
remit jamais.
D'autres peuples indo-européens avaient migré vers la Grèce, à la fin de
l'âge du bronze, tels les Eoliens les Ioniens et surtout les Achéens qui en
chassèrent les Pélasges. Les Achéens sont des conquérants qui usent de chevaux
et d'armes de bronze. Ils s'installent dans le Péloponnèse vers ~1600, et y
fondent de nombreuses cités-états telles Argos, Tirynthe, Pylos, Sicyone,
Corinthe, Athènes, Thèbes, Orchomène, et surtout Mycènes dont l'influence
devient dominante. Il nous en reste les enceintes cyclopéennes. Sur les bases de
la civilisation minoenne, ils améliorent l’alphabet. Ils pratiquent le commerce
lointain et lancent des expéditions maritimes jusqu’en Grande Bretagne. Leurs
nombreux petits royaumes sont souvent en lutte les uns contre les autres ou
contre un ennemi commun comme dans l’épisode homérique de la guerre de Troie
contre les Hittites. Homère était un poète, non pas un historien. Écrits cinq
cent ans plus tard, ses récits sont imaginaires. La religion mycénienne
préparait celle de la Grèce classique mais privilégiait les divinités
chtoniennes, tout particulièrement à Cnossos, Poséidon, lié aux tremblements de
terre. De nombreux lieux de culte étaient dédiés à des déesses, comme la
"Dame du Labyrinthe" en Crète, ou "Diwia", la Déesse Mère.
Quelques divinités ont été identifiées à Zeus, Héra, Arès, Hermès, Athéna,
Artémis et même Dionysos. Après l'invasion Dorienne, la domination Achéenne
faiblit. L'unité mycénienne rompue, le pays se dépeuple. La civilisation
s'effondre progressivement et les Grecs entrent dans l'oubli pendant les quatre
siècles dits "obscurs" du Moyen Âge grec.
Les Phéniciens, les Hittites, les Étrusques
Le monde mycénien se désagrège alors lentement pour des causes mal
connues. La population diminue fortement et les habitants quittent les
villes et se réfugient dans les campagnes écartées. On a accusé les migrations
Doriennes, mais la région est le siège permanent de fortes turbulences et
d'incessantes guerres de conquête. Les attaques des énigmatiques "Peuples
de la Mer" (qui ne furent mis en échec que par les Égyptiens), ravagent
alors la Phénicie (Liban) et beaucoup d'autres nations méditerranéennes, dont
évidemment Mycènes. Inventeurs de l'alphabet, les Phéniciens sont avantagés par
l'affaiblissement de leur rivale. Ce sont d'habiles navigateurs et des
colonisateurs actifs qui ont fondé de nombreux comptoirs à Chypre, à Malte, en
Sicile, en Sardaigne, et des cités commerciales comme Arvad, Berytos
(Beyrouth), Byblos (Jbei), Ougarit (Lattaquié), Tyr (Sour), Sidon (Saïda), et
même Gadès et Lisbonne en Espagne. En Tunisie, on leur doit surtout Carthage
qui entrera plus tard en rivalité avec Rome. Les dieux phéniciens, d'origine
orientale, sont mystérieux, féroces et redoutés. On y retrouve Baal (El) et
Astarté (Tanit), Melgart, Eshmoun, etc.. Les Grecs puis les Romains ont relaté
leurs cultes cruels comprenant des sacrifices humains (dont ceux d'enfants). La
Phénicie décline au ~5ème siècle sous la pression des Assyriens et des
Babyloniens mais ses puissantes colonies prospèrent tout autour de la Méditerranée,
particulièrement Carthage dont l'influence puissante s'étend rapidement sur
toute l'Ouest de la Méditerranée.
Les Grecs ont beaucoup d'autres voisins qui sont
aussi des rivaux. Parmi eux, on compte les Hittites que la guerre légendaire de
Troie opposa aux Achéens. Á l'époque du déclin mycénien, ce peuple provenant
probablement des plaines de la Volga est installé en Anatolie depuis longtemps
et il a fusionné avec les anciens habitants, les Hattis, dont il a absorbé la
civilisation avancée. L'influence des Hittites est fort importante et se
manifeste par des conflits répétés avec les Égyptiens et les Assyriens. Ils
maîtrisent la production et le forgeage du fer dont ils gardent les techniques
secrètes pendant trois siècles. Ils utilisent de puissants chars de guerre
montés par trois guerriers. Ils disposent d'une l'écriture cunéiforme mais ils
utilisent aussi des hiéroglyphes. Leurs dieux sont nombreux car ils adoptent
les divinités des peuples voisins et les associent aux anciens dieux Hattis ou aux
dieux protecteurs locaux. Il existe des analogies avec les dieux grecs
primordiaux d'Hésiode, mais on a aussi identifié des divinités solaires (UTU),
mâles et femelle, des gardiens de la nature (LAMMA ou KAL), et des dieux
de l'orage parfois représentés par un taureau. Les Hittites pratiquent la magie
et la divination. Leur empire est constitué de royaumes distincts dont les
classes dirigeantes sont subordonnées à l'autorité d'un Roi des rois de droit
divin. Ce prince dirige les armées mais son rôle de Grand Prêtre est
prédominant. L'empire Hittite souffre aussi des attaques menées par les
"Peuples de la Mer". Il en est fort affaibli et est finalement
assimilé par l'Empire Assyrien.
En Italie, à l'époque mycénienne, Rome n'existe pas. La péninsule accueille
divers peuples dont les Étrusques, ou Toscans. Les Étrusques ont établi une
civilisation remarquable, urbaine, assez épicurienne, marquée par l'importance
donnée aux femmes. Les Étrusques ont fondé de nombreuses villes dont Rome,
Cerveteri, les ports d’Alsio et de Pyrgi, Véies, Tarquinia, Arezzo, Cortone,
Chiusi, Volterra, (Velathri), Pérouse, Todi, Orvieto. La religion étrusque est
essentiellement divinatoire. Influencée par l’Orient archaïque, elle diffère
des religions gréco romaines, avec un panthéon organisé en triades divines.
C’est une religion révélée par des génies tel Tagés, et des devineresses comme
Vegoia, chargés de porter un message divin aux hommes. Elle est fondée sur
trois groupes de livres sacrés dont le premier concerne l’extipicine, (techniques
divinatoires liées aux sacrifices). Le second groupe enseigne la divination par
l’observation des éclairs. Onze sortes de foudres sont associées aux dieux
toscans. Le troisième groupe règle la répartition des terres selon un code très
précis, et régit la disposition et l’orientation des édifices. La mort et
l’au-delà constituent des préoccupations majeures des populations étrusques. Le
sang des sacrifices et l’observance des rites permettent d’accéder à une forme
d’immortalité, paradisiaque ou infernale, selon les cas. En réponse aux
inquiétudes face au destin, la religion étrusque vise à maîtriser la
connaissance de l’avenir et de la volonté divine. Elle veut influencer le cours
des choses, en apaisant les dieux par des sacrifices, et en organisant
soigneusement la vie civile.
Cosmogonie classique
et généalogie des dieux grecs
Au ~8e siècle, quatre cents ans après les invasions doriennes, la Grèce
se repeuple. Les cités s'organisent et se dotent de structures militaires
redoutables, les phalanges. L'essor démographique provoque un élan colonisateur
et la fondation de nombreuses villes dans tout le bassin méditerranéen. Entre
autres, les Grecs fondent alors Massalia, (Marseille), et Byzance. Ils
colonisent la Sicile et une partie de l'Italie qu'ils appellent la Grande
Grèce. Ces actions engendrent des conflits tant avec les autochtones
qu'avec les Phéniciens, autres colonisateurs. Les échanges amènent l'usage de
la monnaie. L'alphabet grec reçoit enfin des voyelles et la littérature apparaît.
Bien des textes ont été perdus car les livres étaient copiés à la main en très
peu d'exemplaires, et les grandes bibliothèques qui les rassemblaient ont,
hélas, brûlé. Il nous reste ceux d'Homère qui raconte la légendaire Guerre de
Troie dans "l'Iliade", et le retour d'Ulysse à Ithaque dans
l'Odyssée" (qui aurait eu plusieurs auteurs). L'Iliade évoque un panthéon
régi par Zeus et Héra, avec des dieux très impliquées dans les affaires
humaines. L'épopée oppose les partisans des Grecs, Poséidon, Athéna, Héra, Hermès,
Héphaïstos à ceux des Troyens, Apollon, Arès, Aphrodite, Artémis, et le dieu du
fleuve Scamandre. D'autres divinités y sont également citées telles Thétis.
Curieusement, la religion grecque n'avait ni église ni doctrine, cependant
Hésiode nous a laissé une grande "Théogonie" qui décrit les
débuts du Monde et l'origine des générations successives de dieux dans une
version qui semble bien refléter la tradition la plus communément établie.
Dans la Grèce antique, aucun texte sacré n'exposait l'origine du Monde,
des hommes et des dieux. Diverses théogonies ont pu y prétendre dans une simple
littérature sans réelle valeur doctrinale. Le Théogonie d'Hésiode débute par
une invocation aux Muses bien plus longue que l'exposé sur l'origine du Monde
qui la suit. Les postérités décrites par Homère en diffèrent un peu, (et celles
des Orphistes, beaucoup plus). Cette diversité littéraire n'engendrait pas de
conflits doctrinaux. "Á l'origine, dit Hésiode, était le Chaos, puis Géa
(la Terre) et le ténébreux Tartare, puis Éros, l'Amour. De Gaia et de
l'Érèbe naquit la Nuit qui produisit l'Ether et le Jour. Et Géa engendra
Ouranos, le Ciel à la voûte étoilée. D'Ouranos et de Géa naquirent les douze
Titans, Océan, Coeus, Crios, Hypérion, Japet, Théa, Rhéa, Thémis, Mnémosyne,
Phébé, Téthys, et le terrible Cronos. Géa enfanta encore les Cyclopes Brontès,
Stéropès, Argès, qui n'avaient qu'un œil et forgèrent la foudre pour Zeus.
Ouranos et Géa eurent encore trois effroyables enfant, Cottos, Briarée, Gyas,
géants aux cent bras et cinquante têtes qu'ils cachèrent dans les profondeurs
de la terre. Ce livre conte aussi la légende de Prométhée, la lutte de Zeus
contre les Titans et bien d'autres épisodes qui ne peuvent être résumés ici.
Les Grecs acceptaient ces descriptions littéraires variées des origines. Ainsi,
dans un autre texte, faisaient-ils naître du Chaos béant, les jumeaux Érèbe et
Nuit, celle-ci s’ouvrant comme un œuf cosmique pour donner naissance au Ciel,
Ouranos, et à la Terre, Gaïa, unis par l’Amour primordial, Éros, source de
toute vie terrestre.
On voit, qu'à cette époque, les dieux grecs sont déjà innombrables, et
leurs légendes le sont aussi. La création de l'homme est attribuée soit aux
dieux, soit à Prométhée, fil du Titan Japet, qui façonne la race humaine avec
de l'argile. Mais ces dieux et déesses ont aussi des aventures amoureuses avec
des humains. Il en résulte des héros hybrides, mortels aux pouvoirs surhumains
comme Héraclès, Jason, Thésée, ou Achille fils de Thétis. On a même l'histoire
d'un déluge de neuf jours et neufs nuits provoqué par Zeus pour punir les
hommes de leur impiété et de leurs guerres incessantes. De la terre déserte
n'émerge que le mont Parnasse. Dans leur barque, seront épargnés Deucalion,
fils de Prométhée, et Pyrrha, fille d'Epiméthée et de Pandore. Une voix leur
ordonne de jeter les os de leur mère par-dessus leurs épaules. Il s'agit de
pierres, les os de la Terre, la Mère universelle. Les pierres de Deucalion
deviennent des hommes, celles de Pyrrha, des femmes. La Terre est alors
repeuplée. Succédant aux Titans pour régner sur le Monde, trois Olympiens se
sont partagé l'univers par tirage au sort. Zeus obtint le ciel, Poséidon la
mer, et Hadès le monde des Enfers. Le panthéon des Grecs comporte quatorze
grands dieux. Ils eux séjournent avec Zeus sur le Mont Olympe, gardé par les
Saisons, et ils y connaissent un bonheur parfait, se délectant de nectar et
d'ambroisie. Cependant, certains sont toujours cités comme Zeus, Héra,
Poséidon, Arès, Hermès, Héphaïstos, Athéna, Apollon, et Artémis, tandis que
d'autres sont interchangeables selon les auteurs, par exemple Hestia, Déméter,
Aphrodite, Dionysos et Hadès.
Zeus est le dieu souverain, Père des dieux et des hommes. Il a épousé sa
sœur Héra, déesse du mariage et des femmes. Poséidon, dieu de l'océan règne sur
les eaux, les tremblements de terre et les tempêtes, et fait jaillir les
sources. Hadès est maître du royaume des morts et des richesses souterraines Il
donne aussi la fécondité de la terre, ce qui est démontré par le mythe de
Déméter, dont la fille, Korê, enlevée par Hadès, devient la reine des morts
(Perséphone). Chaque printemps elle retrouve sa mère qui donne les récoltes.
Hestia est la déesse du foyer. On lui présente tout enfant nouveau né. Athéna,
fille de Métis (la Sagesse) est sortie toute armée de la tête de son père Zeus.
Elle protège les arts et à la littérature, la paix et à la raison. Artémis,
sœur jumelle d'Apollon, est la déesse des animaux sauvages et de la chasse.
Vierge, comme Athéna, elle est associée à la vie des femmes et à la lune.
Apollon est le dieu de la musique et de la poésie et l'inventeur de la
médecine. Ses prophéties sont transmises par la Pythie de Delphes. Hermès,
messager des dieux, porte des sandales ailées pour se déplacer dans les airs.
il guide les voyageurs et accompagne les âmes des morts aux Enfers. Arès, fils
de Zeus et d'Héra, est le dieu de la Guerre, assoiffé de sang. Aphrodite, fille
de Zeus et de Dioné, est la déesse de la beauté. Héphaïstos est le dieu des
volcans et du feu, maître du travail des métaux. Dionysos, fils de Zeus et de
Sémélé, a été porté dans la cuisse de Zeus jusqu'à sa naissance. Frappé de
folie par Héra, il est le dieu du vin et de la fertilité et sera associé plus
tard aux doctrines de l'orphisme.
Toute la littérature concernant la mythologie grecque montre bien, qu'à
cette époque tout au moins, la religion grecque n'est ni révélée ni doctrinale.
Elle a une fonction essentiellement sociale et ne distingue absolument pas les
activités civiles et religieuses. Les fidèles entrent en religion à la
naissance et doivent continument observer scrupuleusement les célébrations et
les rites. De grands festivals publics, à la fois politiques et religieux sont
des évènements obligatoires. Ils sont l'occasion de sacrifices, de concours
d'athlétisme, de processions et de représentations théâtrales. D'autres actes
cultuels se pratiquent en privé, dans le cadre familial, tels des offrandes et
libations. Il existe de multiples interdits. De nombreux petits actes rituels
doivent être pratiqués pour attirer la bienveillance des dieux, et des petits
sanctuaires sont élevés un peu partout à cet usage. Les grandes fautes sont le
meurtre et l'offense aux dieux qui risquent de provoquer leur colère. La vengeance
divine concerne la société toute entière et la réparation est donc l'affaire du
peuple entier qui punit très sévèrement les coupables. La religion grecque a
des temples mais pas de clergé. Elle permet cependant des fonctions
particulières comme celles de la Pythie à Delphes ou de les Eumolpides à
Eleusis. Les Grecs s'attendent à être bien traités des dieux s'ils remplissent
correctement leurs devoirs religieux, et ils pratiquent des rites magiques
simplifiés. Les présages et les prophéties ont grande importante. Á l'époque
archaïque, la religion grecque s'intéresse peu à la vie après la mort, ne
laissant prévoir aucune immortalité.
Le mythe de Prométhée et le sacrifice sanglant
Chez les Grecs, le sacrifice sanglant est lié à la légende de Prométhée. À
l’âge d’or mythique, les dieux et les hommes décidèrent de se séparer.
Prométhée fut chargé de partager le monde et d'organiser un repas commun. Le
Titan abattit un bœuf, fondant ainsi le sacrifice sanglant comme mode
relationnel entre les hommes et les dieux. Il en fit deux parts, toutes deux
truquées, l’une agréablement apprêtée camouflant les os dénudés, l’autre
cachant la chair comestible sous un aspect repoussant. Zeus feignit de se
tromper, choisissant les os et laissant la viande aux hommes. Et ceux-ci
demeureront toujours des créatures mortelles, affamées de cadavres, tandis que
les dieux, nourris de fumées, resteront à jamais, immortels et
incorruptibles.
Le sacrifice grec est un acte sacramentel. Accomplir ces rites, c’est
établir un contact avec les dieux par une double commémoration, celle de la
tâche accomplie par le Titan protecteur, et celle de la leçon donnée par Zeus,
que les hommes affirment avoir comprise. En l’accomplissant, les hommes
signifient qu’ils acceptent la place allouée par Zeus, entre les bêtes et les
dieux. Le rite rappelle que les hommes et les dieux sont aujourd’hui séparés,
qu’ils ne vivent ni ne mangent plus ensemble. On ne peut tromper Zeus ni tenter
de s’égaler aux dieux sans devoir en payer le prix qui est l’éloignement du
divin et l’obligation de vivre sur cette terre où rien ne s’obtient sans effort
et où se mêlent toujours la joie et la peine, le Bien et le Mal.
Prométhée est la connaissance universelle. Il prévoit tout. Il en sait
plus que tout dieu ou tout homme mortel et son intelligence est nécessaire à
Zeus. Pour favoriser les hommes, le Titan offense Zeus qui décide alors de
définir plus clairement les rôles respectifs des hommes et des dieux. Les rites
sacrificiels grecs rappellent l'erreur du Titan protecteur et la punition
conséquente. Le sacrifice sanglant prométhéen est donc l'acte rituel
obligatoire le plus important de la religion grecque (et romaine), et il est
intéressant d'en voir les détails. Il commence par la consécration, dite
immolation, de la victime animale qui est accomplie à proximité de l'autel.
Ainsi devient-elle sacrée et intouchable, nourriture irrévocable des dieux.
La victime est ensuite abattue et découpée par un sacrificateur habilité.
On prépare tout d'abord la part des dieux. Le sang, symbole habituel de vie,
est versé sur le brasier de l'autel et l'on y ajoute les autres viscères
sanglants préalablement bouillies, essentiellement la fressure, (cœur, poumons,
foie, rate). Cette part des dieux est entièrement consumée sur le feu. Ensuite
seulement, et en un second temps, on s'occupe de la part des hommes qui ne
peuvent partager la nourriture des dieux. La chair restante est profanée par un
attouchement de l'officiant. Devenue dorénavant impure, elle est partagée entre
les assistants, ou vendue en boucherie, et elle doit être obligatoirement
consommée avec un rituel spécial de préparation.
La consommation obligatoire de cette viande dite de sacrifice, la part
laissée aux hommes, est rituellement rôtie puis bouillie, (à l'inverse de la
part des dieux), en rappel de l'histoire humaine originelle. Cette consommation
parachève le sacrifice. Ce rituel de partage a une signification douloureuse
consacrant la séparation définitive des hommes et des dieux. Elle établit la
supériorité des immortels en même temps que l'infériorité et la sujétion des
mortels. Plus tard, les Orphiques refuseront les sacrifices sanglants et la
consommation de chair animale Ils rejetteront aussi tout ce système
politico-religieux symbolisant l'établissement d'un ordre définitif du Monde,
et ils seront généralement considérés comme des marginaux asociaux.
Plus tard, le Christianisme s'établit dans le monde gréco-romain, et
propose un nouveau rituel évoquant la mort du Christ qui rétablit
l'alliance entre les hommes et Dieu. Elle est gagée par la mort de son Fils,
également fils de l’Homme, immolé par ses pères dans la nature terrestre.
"Prenez et mangez, dit le rituel, car ceci est mon corps, livré pour vous.
Prenez et buvez, car ceci est mon sang, le sang de la nouvelle et éternelle
alliance, qui sera versé pour vous en rémission des péchés". Le pain, part
des hommes est partagé en premier, puis en second le vin, (sang), la part des
dieux. Ce renversement bouleverse les Grecs, signifiant la fin de la
malédiction millénaire car les hommes sont de nouveau invités à manger avec les
dieux.
L'époque
classique ou Siècle de Périclès
Après le sixième siècle, la Grèce connaît de grands bouleversements, tant
politiques que religieux. La période est propice aux invasions. Les Perses de
Cyrus soumettent la Grèce d’Asie mineure. Il y a encore d’autres invasions
comme celle de Darios. (Marathon), puis de Xerxès. Sparte est vaincue aux
Thermopyles. Athènes est également conquise et détruite, puis Thémistocle vainc
enfin les Perses à Salamine. Les Carthaginois et les Étrusques rendent la
Sicile. Athènes monte à son apogée, et reconstruit l’Acropole et le Parthénon.
Elle devient un modèle démocratique puis entre en guerre avec Sparte.
C'est l’époque dite "Siècle de Périclès", le début de la pensée et de
la civilisation grecques classiques, avec le renouveau des sciences et des
arts. (Philosophie, éthique, législation, science politique, poésie, tragédie,
histoire, sculpture, architecture). Beaucoup d’hommes célèbres nous ont laissés
leurs noms et quelques traces de leurs travaux, tels Hésiode, Thalès,
l'astronome philosophe qui aurait énoncé le connais-toi toi-même,
Anaximandre, savant philosophe qui affirmait que le principe matériel unique
était l’Illimité, Pisistrate, Ésope et ses fables, Sappho, Héraclite
d’Éphèse qui fit du Logos, le principe du devenir, Pythagore qui donna à
la philosophie un objectif, celui de libérer l’âme humaine du corps-tombeau,
éleva les mathématiques au rang d’une mystique, et appela le monde Cosmos,
Anacréon, poète inspiré par Dionysos, Xénophane, Parménide qui opposait la
vérité à l'opinion.
Pendant cette période, les penseurs grecs spéculent sur la nature de
l'homme et de l'univers dans une grande liberté intellectuelle, et l'on peut
considérer qu'ils ignorent les dieux ou rejettent leur anthropomorphisme. La
science et la philosophie apparaissent avec bien des noms connus. Xénophane de
Colophon dit que Dieu est le Monde et qu'il est un être vivant. Anaxagore
affirme que l’Esprit ou Intellect est
le principe organisateur de la matière, Pindare, Zénon d’Élée inventeur de la dialectique, Empédocle établit la
théorie des quatre éléments,
imagine les atomes, et conçoit
un Univers régi par l’amour et la
haine, Sophocle, Euripide le tragédien, Protagoras considère que l’homme est la mesure de toute chose,
Critias dit que les religions étaient
inventées pour effrayer les hommes,
Démocrite pense que la nature, née du
hasard et de la nécessité, est éternelle, incréée, et sans finalité, et
appelle l’homme Microcosme, Anaximène
de Millet croit que l'air est la substance primordiale composant tous les
corps, Héraclite d'Ephèse s'oppose aux sacrifices animaux, Cratinos, Hérodote le père de l'Histoire, Xénophon,
guerrier et auteur de "l'Anabase".
On peut aussi évoquer Aristophane et ses comédies satiriques, Arcésilas,
Callimaque, Démosthène l'orateur bègue,
Thucydide, Isocrate, Diogène le
Cynique, Épicure qui disait l'âme faite d'atomes, Euclide à qui l’on
doit probablement les bases de la géométrie, Apollonios de Rhodes, Archimède de
Syracuse, inventeur de génie, Zénon de Cittium, le père du stoïcisme.
Les philosophes grecs poussent donc les dieux hors de la Terre vers un
Monde purement conceptuel. Zeus devient la cause première de toute chose dont
les compagnons divins manifestent les diverses qualités. Mais cela peut être
dangereux. Socrate, fondateur de l’Éthique, veut libérer l’esprit
humain. Il croit en un "daimôn" personnel, une voix
intérieure, guidant ses comportements. Accusé de ne pas reconnaitre les dieux
de la cité, et condamné à mort, il doit finalement boire la cigüe. Il faut
absolument citer ici Platon, né à Athènes, en ~428. Ses concepts basent encore
aujourd’hui beaucoup de théories. Il rencontre Socrate et se lance dans la
philosophie. Platon croit à la transmigration et à l’éternité des âmes. Il
fonde l'Académie et écrit au moins trente-cinq dialogues pour exposer
son système qui synthétise les doctrines de Socrate, d’Héraclite, de Parménide,
et de Pythagore. Les êtres impermanents et changeants, qui peuplent notre monde
visible seraient des copies impermanentes de modèles universels et immuables
situés dans un autre Monde, celui des Formes ou des Idées existantes pour et
par elles-mêmes. Au sommet de ces Essences, Platon place le Bien, le Beau, le
Juste. Les pures Idées ont été aperçues par l’âme, à l’origine. Grâce au vague
souvenir, à la réminiscence, qu’elle en a gardé, l’âme éternelle peut
reconnaître les pures Idées, même lorsqu’elle est prisonnière d’un corps impur.
Et elle désire escalader le ciel pour retourner les contempler
Les travaux du médecin Aristote ont également marqué fortement les suites
de la philosophie classique et la théologie, y compris lors de l'expansion du
Christianisme. Né en Macédoine, Aristote fréquenta l'Académie de Platon
pendant vingt ans, mais il exprima son désaccord avec sa "Théorie des
Idées" et finit par s'en éloigner. Il fut précepteur du jeune Alexandre
(le grand). Revenu à Athènes après sa conquête, il y fonda le Lycée.
Il y écrivit de nombreux ouvrages puis s'en fut mourir dans l'île d'Elbée.
D'abord adepte des idées platoniciennes, il en devint critique affirmé puis
développa un système de pensée dit "Aristotélisme". La philosophie
d'Aristote s'intéresse aux causes des choses et à la logique, et, sur ces plans,
son travail est considérable. Sur le plan scientifique, Aristote nie
l'évolution et affirme l'existence éternelle des genres et des espèce. C'est la
théorie du "fixisme". Il affirme que la Terre est le centre de
l'univers alors qu'Aristarque de Samos sait déjà que la Terre tourne sur
elle-même et qu’elle décrit une orbite autour du Soleil. Aristote professe donc
le "géocentrisme". Ses œuvres furent redécouvertes et traduites au
Moyen Âge, puis Thomas d'Aquin transforma cette philosophie en doctrine officielle
de l'Église Catholique, donnant ainsi naissance à la Scolastique et au
Thomisme. Giordano Bruno mourut sur le bûcher en combattant les idées
d'Aristote. Galilée renia ses convictions et sauva sa vie, mais il finit
prisonnier dans sa propre maison.
Dionysos
et l'Orphisme
D'autres courants se font jour en Grèce à cette époque, dont l'Orphisme
et le culte de Déméter, le plus ancien des cultes à mystère. Les Éleusinies,
les fêtes les plus connues, auraient été institués à l'instigation de
Triptolème, fils de Céréos, qui avait reçu de Déméter la mission de répandre le
blé partout dans le Monde. Elles semblent provenir de cultes agraires primitifs
modifiés en syncrétisme avec des cultes dionysiaques et l’Orphisme. Elles sont
annuellement célébrés dans le Télestrérion d’Éleusis et font participer le
fidèle à la résurrection de l’enfant divin revenu de l’empire de la mort. A
Éleusis, en Septembre, des cérémonies extérieures traditionnelles préparent la
célébration des Mystères. Ces préliminaires ont été souvent décrits et nous
sont relativement connus. Des reliques mystérieuses, (les hiéra sacrées), sont
transportées en procession jusqu’à Athènes et déposées dans un sanctuaire
particulier, l’Eleusinion. Une excommunication solennelle est prononcée contre
les infidèles et les impurs, puis les mystes, (les candidats jugés
dignes), entrent dans la mer pour se purifier. Après quelques jours de retraite
et de jeûne, la procession immense des fidèles et des mystes retourne à
Éleusis, précédée de l’effigie de Iacchos, des hiéra, et des autorités. Les
cérémonies secrètes commencent alors, et nous devons ici avouer notre très
grande ignorance car leurs secrets n'ont jamais été révélés.
En raison de la concordance des mythes orphistes et éleusiniens,
l'Orphisme s’infiltre dans la religion athénienne, et y annonce les cultes à
des Mystères. C’est une religion initiatique à tendance monothéiste marquée.
Elle repose sur les philosophies pythagoricienne, platonicienne (puis
néo-platonicienne) et rassemble diverses doctrines professant l’immortalité de
l’âme et la succession de cycles de réincarnations jusqu’à la purification
définitive. Elle a produit de des cosmogonies diverses s'inspirant d'une idée
de base commune. Le mythe central de l'Orphisme est celui de la mise à mort de
Dionysos par les Titans. On y rencontre les figures connues de la mythologie
d'Hésiode, mais les Orphistes ont savamment détourné ces images. La Perséphone
orphique est toujours la reine des Enfers, mais elle est ici la mère de
Dionysos qui est au centre du mythe. De même l'Orphée d'Eurydice n'est pas
l'Orphée des Orphistes qui se placent sous sa protection parce qu'il est revenu
des Enfers. La cosmogonie hésiodique partait de la béance primitive (Chaos)
pour aboutir à un ordre divin éternel dirigé par Zeus. Les cosmogonies
orphiques postulent une unité originelle, d'abord brisée, ensuite virtuellement
restaurée sous le règne de Dionysos. Ce thème central de réunification, de
reconstitution, ou de réconciliation, relie ces diverses cosmogonies au mythe
orphique fondamental de Dionysos.
Dans l'une des cosmogonies, la mère de Dionysos, Sémélé, était mortelle.
Aimée de Zeus, elle meurt d’effroi pendant sa grossesse, à la vue de la gloire
du dieu. Zeus porte alors l’enfant dans sa cuisse jusqu’à sa naissance. Plus
tard, Éros offre l'empire du monde à Zagreus, première incarnation de Dionysos.
Jaloux et révoltés, les Titans s'emparent de lui et le dévorent. Zeus les
foudroie, et de leurs cendres naissent les hommes, gardant en eux une parcelle
du dieu dévoré. Dans une autre version, c'est Perséphone qui conçoit Zagréus.
Poursuivi par la jalousie de Héra, Zagréus revêt plusieurs apparences. Sous la
forme d'un taureau, il est dévoré par les Titans, mais la déesse Pallas réussit
à préserver son cœur. Zeus foudroie les Titans et absorbe le cœur de son fils
qui, régénéré, devient Iacchos, identifié à Dionysos. Perséphone interdit alors
que l'homme gagne un jour le monde divin, le condamnant à errer sur Terre de
vie en vie, en oubliant son origine divine. Une partie des cendres des Titans a
donné aux hommes la capacité de faire le mal, mais l'autre moitié, porteuse de
la divinité de Dionysos, leur confère une étincelle d'amour. L'Orphisme
professe donc que l'homme a deux parts en lui, l'une proprement divine, dont le
souvenir permet d'accéder de nouveau au monde divin, et l'autre d'audace, de
révolte et de liberté, héritée des Titans, qui lui permet de braver l'ordre
établi.
L'Orphisme propose aux fidèles des rites mystiques, des suites
d’initiations, et des règles ascétiques de vie. Les adeptes sont opposés à
toute violence. Végétariens, ils ne consomment aucune chair. Á travers sa
double naissance, mortelle par sa mère et divine par son père, Dionysos apporte
l’énergie sacrée à la nature ordinaire. Chaque année, il entre en cortège dans
la cité grecque qui l’accueille avec des fêtes bruyantes et colorées. Il se
manifeste différemment dans les Mystères extatiques accessibles aux seuls
initiés. Les diverses légendes concordent. Dionysos ressuscité est ainsi né
deux fois, ce qui est aussi son nom. Les hommes naissent des cendres des Titans
foudroyés. Leur nature est donc animale et matérielle, mais ils recèlent en
leur âme une parcelle du Dieu dévoré. Dans le système théogonique des adeptes
d’Orphée, six générations divines se succèdent en bouclant sur elles-mêmes.
Phanés, (la Lumière originelle), Fils de Zeus et de Métis, est le premier roi
des Dieux, suivi de Nuit, d’Ouranos, de Kronos, et de Zeus, (prononcé Deus par
les Romains et par nous-mêmes). Celui-ci remet enfin son pouvoir au fils, deux
fois né, Dionysos, lequel est aussi le retour eschatologique de Phanés, le
Lumineux des origines. Au delà de ses aspects cycliques, l'Orphisme propose un
mythe universel de salut permettant au fidèle de sauver son âme divine. En
cela, il annonce le Gnosticisme.
Alexandre et la Grèce hellénistique
Les guerres entre Athènes et Sparte donnent finalement la victoire à Sparte,
mais elles affaiblissent la puissance grecque. Á l'Ouest, les colonies
lointaines tentent de se révolter au profit des Carthaginois. Á l'Est, les
Perses essayent de conquérir la Grèce et en ravagent les provinces. Ce sont
finalement les Athéniens qui sauvent la situation, mais les Grecs restent fort
divisés et très affaiblis. Un semi-barbare, riche et ambitieux, Philippe II, règne
sur la Macédoine, un royaume puissant aux frontières de la Grèce. Il intrigue
et intervient dans ses affaires, entreprend sa conquête et en est
finalement vainqueur à Chéronée. Maître de la Grèce, Philippe tente de la
réorganiser et de la réunifier en la fédérant dans la "Ligue de
Corinthe". Le monde grec est profondément transformé mais il reste sujet à
de profondes dissensions. Le véritable projet de Philippe est très ambitieux.
Il projette d'utilises les forces des Grecs et leur flotte pour mener une
grande guerre contre les Perses, mais il est assassiné en ~336. Son fils
va reprendre ce grand projet. Alexandre dit le Grand, établit un immense empire
comprenant la Grèce, l’Égypte, et l’Asie occidentale jusqu’à l’Indus. Il fonde
Alexandrie, Antioche, Pergame et 70 autres villes. Après sa mort, son empire
est partagé entre ses lieutenants. Cela entraîne la formation de divers
royaumes, l’Égypte des Lagides, la Syrie des Séleucides, la Macédoine, la Grèce
des Antigonides, le Royaume du Pont, le Royaume de Pergame des Attalides. La
culture grecque est fortement modifiée. Les influences des philosophes et celle
des savants deviennent encore plus importantes. L’Hellénisme naît alors de la
rencontre du classicisme grec et des civilisations orientales.
Les divisions qui ont tant affaibli la Grèce perdurent après la mort
d'Alexandre, et la tutelle macédonienne se maintient donc. Pourtant, le
prestige de la civilisation grecque diffuse dans les pays de Méditerranée
orientale, partagés entre ses généraux. Mais la Grèce n'est plus le centre
principal des expressions de sa culture. Les influences macédoniennes et
surtout égyptiennes s'y sont substituées dans ce que l'on appelle la période
hellénistique. Le centre de l'hellénisme se déplace vers l'Alexandrie des Ptolémée
qui devient l'animatrice de cette unité culturelle. Les philosophes répandent
leurs idées, et les artistes, leurs créations. Au contact des peuples
orientaux, la religion grecque évolue énormément. Les vieux dieux grecs sont
"fossilisés" et leurs mythes se figent dans une forme littéraire. Á
l'âge hellénistique, le seul Asclépios reste vénéré en tant que dieu de la
médecine et de la guérison. Le vide laissé par la disparition des dieux fait
place à de nouvelles divinités importées de l'Orient. L’Orphisme, le
Néoplatonisme, le Gnosticisme et les Cultes à Mystères apparaissent. En ~200,
les Romains arrivent et Flamininus (Titus Quinctius Flamininus) vainc
Philippe V de Macédoine en ~197. La Grèce devient romaine en ~146. Athènes est
prise par Sylla, et l’Égypte ptolémaïque, soumise par Octave. Les civilisations
hellénistique et romaine s’influencent fortement jusqu’à se confondre. Le poète
latin Ennius (vers 185 av. J.-C.) assimile les douze divinités
olympiennes à douze dieux latins sans que le culte retrouve la vigueur des
débuts de la religion grecque. Les pratiques religieuses grecques avaient une
forte dimension collective et surtout civique. Elles vont devenir un
comportement privé.
Alexandre était un grand stratège qui ambitionnait de conquérir l'ensemble
du Monde connu. Ses victoires ont souvent été associées à la mise en œuvre de
la Phalange, formation groupée et très serrée de fantassins, établie sur
plusieurs rangs. Les guerriers étaient munis de lances de longueur croissante
de façon à former un hérisson opérationnel, véritable char d'assaut qui
enfonçait sans difficulté les lignes ennemies. Il organisait soigneusement ses
campagnes qu'il menait avec une grande dureté, souvent même avec cruauté. Il
prévoyait l'approvisionnement de ses troupes et aménageait aussi l'aspect
politique en nommant des satrapes pour gouverner les territoires conquis et en
faisant montre de générosité. Un légende le disait fils de Zeus, et non pas de
Philippe. Appelé Fils d'Amon (assimilé à Zeus), lors de la conquête de l'Égypte,
il y fut accueilli en libérateur et se fit proclamer Pharaon à Memphis en ~332.
Il fonda alors la grande Alexandrie avant de reprendre ses conquêtes. Après sa
mort, ses principaux généraux, les "Diadoques", se partagèrent son
empire. Ptolémée Lagos, avec l'aide de son frère Pausanias, s'empara de
l'Égypte, en devint pharaon et fonda la dynastie des Lagides sous le nom
de Ptolémée 1er Sôter. Les contacts entre les deux civilisations étaient
traditionnellement soutenus. Les Lagides ont effectué une synthèse progressive
entre les panthéons grecs et égyptiens en assimilant leurs dieux respectifs à
partir de leurs attributions approchées. On vit alors apparaître des divinités
hybrides combinant les deux aspects, parfois même des divinités nouvelles.
Les dieux des Grecs ont disparu, mais ces hommes des temps anciens nous
ont laissé de précieux biens. Notre société est fondée sur les héritages de
leurs philosophies, en particulier sur la pensée de Platon et celle d'Aristote.
Mais nous devons aussi retenir que les Grecs ont également posé les bases de
toute démocratie, à savoir les idées de l'égalité entre tous les hommes,
(encore un peu hiérarchisée chez eux), celle de la justice égalitaire, celle du
gouvernement par le peuple et pour le bien commun, et celle d'un universalisme
conceptuel qui étend au monde entier, la "cosmopolis", les frontières
de la cité humaine, partagée par tous, les esclaves comme les hommes libres.
CHAPITRE 3
Les Ennéades de Plotin
Plotin et le Néo-platonisme
Introduction.
Le Néo-platonisme est une doctrine philosophique à orientation mystique,
fondée par Ammonius Saccas. Produit de la rencontre des civilisations grecques
et orientales, elle apparaît à Alexandrie puis s’étend jusqu’à Rome, entre le 2ème
et le 5ème siècle.
Les Néo-platoniciens transforment la philosophie rationnelle en une
véritable science théologique. Puis, avec Plotin, dans sa forme romaine, la
doctrine quasi religieuse est établie sur les fondements de
plusieurs théories associées.
- Une théorie de l’être. Toutes choses émanent du Un, (Bien ou
Intelligence universelle), par dégradations successives, et l’Être se manifeste
par trois hypostases, Un, Intelligence, et Âme.
- Une théorie du salut. Par la conversion ou mouvement de
retour vers le Un, l’âme individuelle peut retrouver l’unité originelle jusqu’à
se fondre en elle.
Chez les Néo-platoniciens, la religion devient une démarche individuelle
toute intérieure. Ils renoncent aux justifications philosophiques et
métaphysiques excessivement rationalisantes des croyances. Ils abandonnent
alors les pratiques religieuses qui sont considérées comme des artifices que le
culte utilise pour asservir les fidèles en influençant leur imagination
(surtout chez les Romains). Chez Plotin, la prière est aventure, une démarche
intellectuelle personnelle, un puissant effort volontaire de l’intelligence
pour élever l’homme au niveau du divin.
PLOTIN
Plotin était un philosophe romain de l’Antiquité tardive qui naquit en
205, à Lycopolis, en Égypte. Á l'âge de 28 ans, il partit étudier la
philosophie à Alexandrie pendant onze années, de 232 à 243, auprès d'Ammonios
Saccas, qui fonda un courant philosophique appelé « néoplatonisme »,
qui influença de manière profonde la philosophie occidentale. . On considère
que Plotin fut, en fait, le véritable fondateur du néoplatonisme car il
installa à Rome, en 246, l'école néoplatonicienne de Rome, sous le règne de
l'empereur Philippe l'Arabe. Ce n'était pas vraiment une institution, mais une
association informelle de personnes intéressées qui exerça pourtant une forte
influence en se développant. Plotin enseignait en grec dans la maison de
Gémina, la femme du futur empereur Trébonien et il s'attira ensuite la
protection de l'empereur Gallien. Son enseignement était essentiellement oral
mais à partir de 254,il produisit de nombreux et courts traités qui nous sont
intégralement parvenus. Sa relecture des dialogues de Platon constituèrent une
source d’inspiration fort importante pour la formation de la pensée chrétienne,
en particulier du concept de la Trinité. Il eut successivement pour disciples
ou successeurs, Amélius, Eustochius, Jamblique, Porphyre, et bien d'autres dont
Proclus qui anima l'École néo-platonicienne d'Athènes et écrivit des hymnes
très appréciés. C'est Porphyre de Tyr qui collationna et publia l’intégralité
des écrits dans les "Ennéades".
Dans La
République, Platon décrivait déjà une division tripartite de l'âme.
Partant de la distinction platonicienne entre le monde sensible et celui idées,
Plotin conceptualise la présence de trois essences ou hypostases qui
constituent le principe de l'univers.
Au centre se trouve
l'Un. Immobile, permanent, il possède en lui-même le principe de son existence,
il est la source même de son âme. Il précède tout ce qui existe et en fonde l'être.
Émanant de l'Un et
l'entourant, se trouve l'Intelligence. Elle est immobile et contient en elle la
multiplicité des idées et des formes.
Ensuite  qui émane
de l'Intelligence. Elle est animée d'un mouvement circulaire et centrifuge qui
la conduit à se diffuser vers le monde de la matière.
On a déjà là un
modèle de la Trinité élaboré au début du IIIème siècle après J.- C. et qui aura
un grand écho dans le mo nde intellectuel antique, au moment même ou l'Église
essaiera de donner un fondement argumenté à la doctrine trinitarienne de Saint
Augustin, l'un des Pères de l'Eglise Romaine, évêque d'Hippone, doctrine
établie par le concile de Nicée en 325 et celui de Chalcédoine en 451. Plotin
approfondit donc les pensées de Platon et celles d'Aristote sur la nature de
l'intelligence, en proposant sa propre théorie de la nature universelle. Il
enseignait que l'univers est composé de trois réalités fondamentales
qu'il appelait hypostases : l'Un, l'Intelligence et l'Âme. Il disait
aussi que c'est le travail propre de l'homme de remonter de l'Âme à
l'Intelligence, puis de l'Intelligence à l'Un et d'accomplir ainsi son union
mystique avec la divinité. Après l'assassinat de Galien, Plotin dut quitter
Rome, et se réfugia à Naples où il mourut en 270. Ses successeurs poursuivirent
son œuvre jusqu'à la fermeture définitive de toutes les écoles philosophiques
de l'Empire par Justinien, en 529, lorsqu'il devint obligatoire d'être chrétien
sous peine de mort.
Cette
transformation de la philosophie en science théologique se traduit par deux
attitudes. La première est celle d’un syncrétisme poussé. Les Néo-platoniciens
tendent à réunir toutes les traditions humaines antiques accessibles, de
quelque nature qu’elles soient, littéraires, musicales, mythiques, cultuelles, ou
philosophiques. Ils les reconnaissent comme des analogies relatives aux
manifestations variées des mêmes dieux. Ils les combinent et les utilisent donc
en tant que matériaux pour la construction de l’édifice théologique qu’ils
proposent. La seconde est une démarche de mise en ordre, une tentative de
hiérarchisation chronologique visant à attribuer à chaque divinité identifiée
une place exacte dans l’histoire et dans le rang au sein du panthéon
syncrétique reconstruit. Les mythes, s’ils sont vraiment des mythes,
doivent séparer dans le temps les circonstances du récit et distinguer bien
souvent les uns des autres des êtres qui sont confondus et ne se distinguent
que par leur rang ou par leurs puissances ». Les mythes recèlent toute
la structure de la réalité du monde, laquelle englobe le monde sensible et les
dieux. Cherchant à révéler les secrets immanents qu’ils recouvrent, les
Néo-platoniciens vont établir quatre catégories de mythes, théologiques,
physiques, psychologiques, et matériels. Concernant ces derniers, ils
recherchent dans les corps les traces laissées par leur origine divine. Puis
ils tenteront d’établir des pratiques de magie sympathiques permettant de
remonter jusqu’aux dieux. Mais ils s’intéressent surtout à l’interprétation des
mythes théologiques.
Proclus
Proclus ou Proklos,
un Néo-platonicien grec né en 412, disciple et successeur de Plotin, bien
connu par son discours sur la structure dialectique du monde nous dit :"
Puisque, en principe, toutes choses dérivent et de l’Un et de la Dyade postérieure
à l’Un, et sont de quelque manière mutuellement unies, mais ont aussi une
nature antithétique, comme il y a une sorte d’antithèse entre le Même et
l’Autre, le Mouvement et le Repos, et que toutes les réalités du monde
participent à ce genre, on ne saurait que bien faire en considérant
l’opposition qui pénètre tout le réel." (Ceci est une façon un peu
compliquée de nous prier d’admettre que c’est l’opposition des contraires qui
assure l’équilibre de ce monde). Á mesure que progresse la christianisation des
structures politiques et administratives, la pratique des cultes antiques
devient fort dangereuse et donc clandestine. Leurs derniers adeptes la
pratiquent en petites communautés avec beaucoup de piété. Ils la transforment
en une démarche religieuse de plus en plus spiritualiste et mystique. Les
manifestations publiques et les sacrifices sanglants sont remplacés par des
petites cérémonies cultuelles quotidiennes et privées. Elles comportent des
prières et des pieuses allocutions, on y brûle de l’encens et on y chante
des hymnes qui sont réputés inspirés par les dieux. Les métaphysiciens
mystiques néo-platoniciens ont composé un grand nombre de très beaux hymnes
dont la plupart ont été systématiquement détruits. Plotin eut pour successeur
Porphyre de Tyr qui était installé en Sicile où il écrivit une polémique
"Contre les Chrétiens", brûlée sur ordre de l'empereur, et y rédigea
aussi son célèbre ouvrage de logique, "Isagogè". Á la mort de
Plotin, Porphyre prit en mains l'École néo-platonicienne de Rome en 270,
édita les œuvres du maître et écrivit une "Vie de Plotin". Il épousa
une veuve nommée "Marcella" à qui il adressa une lettre fort célèbre,
la "Lettre à Marcella" qui expose l'essentiel de la doctrine
néoplatonicienne. Un résumé d'une "lettre de Jamblique à
Porphyre" est aussi donné en annexe.
Un des hymnes de Proclus
Écoute-moi,
ô Athéna,
Toi dont le visage rayonne une pure lumière.
Conduit à bon port l’errant
que je suis sur la Terre.
En récompense
de mes saints hymnes en ton honneur,
Donne à mon âme lumière pure, amour et sagesse.
Par ton amour, insuffle à mon âme assez de force
Et d’une telle vertu qu’elle se retire des creux de la Terre
Et remonte à l’Olympe vers la demeure du Père.
Aie pitié de moi, Déesse aux doux conseils,
Parce que je me flatte d’être à toi,
ô Salvatrice des mortels,
Ne permet pas que, gisant à terre,
Je tombe en proie et en butin
Aux mains des Punisseuses
Qui me font frissonner.
Jamblique
Porphyre eut pour disciple
Jamblique, un autre syrien, qui fonda une école néoplatonicienne en
Syrie, à Apamée. IL entra en conflit avec les Chrétiens et les Gnostiques et
s'intéressa à la théurgie qui est est un ensemble de pratiques mystiques et de
rituels magiques permettant à l'âme de réaliser une fusion mystique avec les
êtres supérieurs jusqu'au Dieu ineffable. Jamblique y voyait un moyen
permettant à l'âme de se diviniser, degré par degré, jusqu'à atteindre l'extase
mystique, sans cependant jamais donner à l'homme un pouvoir quelconque sur les
dieux. Après la destruction des temples païens et la fermeture
autoritaire des écoles philosophiques, le Néo-platonisme s'effaça, ne
subsistant que par les traces laissées dans la pensée chrétienne. Il réapparut
cependant à Florence au quinzième siècle dans le "Néoplatonisme
médicéen" qui fut un fort mouvement philosophique et artistique toscan
local regroupant des penseurs et des artistes florentins avec l'appui de la
famille régnante. Marsile Ficin, théologien italien et philosophe platonicien,
né à Florence en 1433, fit ses études à Bologne et s'y consacra spécialement à
la lecture de Platon, auquel il vouait un véritable culte. De retour à
Florence, il fit partager son enthousiasme philosophe de l'Antiquité, à son
protecteur Côme de Médicis qui était alors au pouvoir. Cosme de Médicis
inaugura le mécénat et imprima un renouveau à l'art. Il fonda la "Nouvelle
Académie de Florence" sur le modèle de l'Académie de Platon. Son protégé,
Marsile Ficin, entreprit sur son conseil de traduire et commenter les œuvres
complètes de Platon et de Plotin. Marsile Ficin eut pour élève le futur
souverain Laurent le Magnifique et avec l'appui des Médicis, l'aura culturelle
du Néoplatonisme médicéen se poursuivit bien au-delà de cette période.
La
structure des Ennéades
Porphyre recueillit les
cinquante-quatre traités de Plotin et les organisa en six "Énnéades", c'est-à
-dire six groupes de neuf livres répartis en trois corpus qui exposent
successivement la pensée du philosophe concernant la morale, la physique, la
psychologie et la science de l’Un. Porphyre a classé les traités par thèmes
sans aucunement suivre leur ordre chronologique, et il y a parfois ajouté ses
propres commentaires. On considère néanmoins que son travail ne remet pas en
cause l’authenticité des écrits, ni leur unité de doctrine. Porphyre
présente les textes comme un chemin initiatique nous menant du multiple (les Énnéades : 1, 2, et 3), à la dualité (les Énnéades : 4 et 5), puis enfin à l’unité (une Énnéade, la 6). Le premier corpus, regroupe les
inquiétudes face à l’existence, la place de l'homme dans l’univers. Il commence
par la définition de l’homme et s’achève sur l’Un et quelques considérations
annexes, neuf exactement, dont la dernière veut conduire à la reconnaissance
d’un dieu au-delà de la vie, de la pensée, de l’intelligence. Le deuxième
corpus parle de l’âme qui vient d’en haut et qui est enfermée dans un corps du
monde sensible. Il s’interroge sur l’essence de cette âme. et le mystère
fondamental de la connaissance. Il expose ce qu’est la
contemplation et le chemin à parcourir. Le dernier texte annonce l’âme
universelle elle-même, et peut-être la vie de toute chose. Le troisième corpus
critique radicalement les catégories ou genres de l'être aristotéliciennes et
stoïciennes qui comptent trop d’ambiguïtés et laissent dans l’illusion de la
diversité. Il conseille d'aller vers le recueillement, la présence de l’être en
nous. Cet être total est habité par un nombre infini, éternel, détaché du
sensible, et relié à l’Un.
Le
plan de l'œuvre établi par Porphyre.
Premier Corpus
L'HOMME - Le MONDE
Le DESTIN
Ce premier corpus est composé de trois Ennéades de neuf
livres chacune
Première Ennéade 1/3 - La Morale
Premier livre - L'Homme et l'animal.
Second livre - Les Vertus.
Livre Trois - La
Dialectique, moyen d'élever l'âme.
Livre Quatre - Du Bonheur.
Livre Cinq - Le Bonheur
s'accroît-il avec le temps ?
Livre Six - Du Beau.
Livre Sept - Du premier bien et des autres biens.
Livre Huit - De la Nature et de l'origine des Maux.
Livre Neuf - Du Suicide.
Premier Corpus, partie 2
L'HOMME - Le MONDE
Le DESTIN
- Deuxième Ennéade - La Physique et le Monde
Livre
Dix - Le Ciel.
Livre
Onze - Du mouvement du Ciel.
Livre
Douze - De l'Influence des Astres.
Livre Treize - De la Matière.
Livre Quatorze - De ce qui est en Puissance et de ce qui est en Acte.
Livre Quinze - De l'Essence et de la Qualité.
Livre Seize - De la Mixtion où il ya Pénétration totale.
Livre Dix-sept - De la Vue.
Livre Dix-huit - Contre les Gnostiques.
Premier Corpus, partie 3
LHOMME - Le MONDE
Le DESTIN
Troisième Ennéade - La Physique et
le Destin
Livre Dix-neuf - Du Destin.
Livre Vingt - De la Providence - 1.
Livre Vingt-et-un - De la Providence - 2.
Livre Vingt-deux - Du Démon qui est propre à chacun de Nous.
Livre Vingt-trois - De l'Amour.
Livre Vingt-quatre - De l'Impassibilité des Choses incorporelles. De l’impassibilité
de l’âme. De l’impassibilité de la forme et de la matière.
Livre Vingt-cinq - De l'Éternité et du Temps.
Livre Vingt-six - De la Nature, de la Contemplation, et de l'UN.
Livre Vingt-sept - Considérations sur l'Âme, l'Intelligence et le Bien.
Second Corpus
L'ÂME
Ce corpus est composé de deux Ennéades de neuf livres chacune
Quatrième Ennéade 1/2 - L'Âme 1
Livre Vingt-huit - L'Essence de l'Âme 1.
Livre Vingt-neuf - L'Essence de l'Âme 2.
Livre Trente - Questions sur l'Âme 1.
Livre Trente-et-un - Questions sur l'Âme 2.
Livre Trente-deux - Questions sur l'Âme 3.
Livre Trente-trois - Des Sens et de la Mémoire.
Livre Trente-quatre - De l'Immortalité de l'Âme. L’âme n’est pas corporelle.
L’âme n’est pas l’harmonie ni l’entéléchie du corps. L’âme est une essence
incorporelle et imortelle.
Livre Trente-cinq - De la descente de l'Âme
dans le Corps.
Livre Trente-six - Toutes les
Âmes forment-elles une seule Âme ?
Second Corpus - L'ÂME -
Ce corpus est composé de deux Ennéades de neuf livres chacune
Cinquième Ennéade 2/2 - L'Âme 2
Livre
Trente-sept - Des Trois Hypostases principales.
Livre
Trente-huit - De la Génération et de l'Ordre des choses qui sort après le
Premier.
Livre
Trente-neuf - Des Hypostases qui connaissent et du Principe supérieur.
Livre
Quarante - Comment procède du Premier, ce qui est après Lui, l'UN.
Livre
Quarante-et-un - Les Intelligibles ne sont pas hors de l'Intelligence du Bien.
Livre
Quarante-deux- Le Principe supérieur à l'Être ne pense pas.
Livre
Quarante-trois - Y a-il des idées des individus ?
Livre
Quarante-quatre - Y a-il de la Beauté intelligible ?
Livre
Quarante-cinq - De l'Intelligence, des Idées et de l'Ether.
Troisième Corpus - L'UN
Ce corpus est composé d'une seule Ennéades de neuf livres
Sixième et dernière Ennéade 1/1 - L'Un
Livre Quarante-six - Les Genres de L'Être 1.
Critique des
dix catégories d’ARISTOTE. Critique des catégories des Stoïciens.
Livre
Quarante-sept - Les Genres de L'Être 2.
Livre
Quarante-huit - Les Genres de L'Être 3.
Livre
Quarante-neuf - L'Être UN et Identique est partout présent tout entier 1.
Livre
Cinquante - L'Être UN et Identique est partout présent tout entier 2.
Livre
Cinquante-et-un - Des Nombres.
Livre
Cinquante-deux - De la Multitude des Idées et du Bien. Des idées. Du Bien.
Livre Cinquante-trois - De la Liberté et de la Volonté de l'UN.
Livre
Cinquante-quatre - Du Bien et de l'UN.
Lettre de Jamblique à Porphyre de Tyr
Jamblique, témoin de la tradition païenne.
Jamblique est un philosophe
néo-platonicien, né en Syrie vers l’an 250. Il se fixe d’abord à Alexandrie, et
il y réside environ vingt ans, puis il retourne en Syrie et fonde une école à
Apamée. Initié aux doctrines ésotériques des Égyptiens et des Chaldéens, il
pratique le Néo-Platonicisme syrien comme la vraie religion, en l’opposant au
Christianisme. Il considère que tous les Chrétiens sont des athées. Il meurt en
330. Les textes cités ci-après sont extraits de la réponse d’un néo-platonicien
syrien traditionnel, (égyptien), à la lettre d’un romain rénovateur
rationaliste. La forme littéraire établie comme une réponse à une lettre est
commune à l’époque.
NR. J’ai parfois tronçonné
les phrases pour faciliter la lecture, lorsqu’elles étaient trop longues ou
alambiquées, mais je n’ai pas modifié le vocabulaire. Quelques courtes
explications sont entre parenthèses. Les rappels du texte de Porphyre sont en
italique, ceux de Jamblique sont droits.
Ce texte est une réponse de Jamblique à une lettre de Porphyre, ardent
disciple de Plotin, questionnant Anébon, disciple de Jamblique, au sujet des
contradictions et des absurdités qu’il constate dans les traditions des
Assyriens et Chaldéens, par rapport au Néo-platonisme rationalisant romain et à
l’apparition d’une religion toute intérieure. Jamblique répond, sous le
pseudonyme de Maître Abammon, pour défendre les traditions et les
pratiques des Égyptiens, (Les références à l’astrologie, aux sacrifices et aux
méthodes de divination ne sont pas reprises dans cet extrait).
1 - Tu as l’air de croire
que « la même connaissance vaut pour les choses divines et pour les
autres, quelles qu’elles soient, et que les contraires fournissent le membre
opposé, comme c’est l’ordinaire dans les problèmes dialectiques ». En
réalité, ce n’est pas du tout pareil. La connaissance des dieux est à part,
séparée de toute opposition. Elle ne consiste pas dans le fait qu’on la concède
maintenant ou qu’elle prend naissance. De toute éternité, elle coexistait dans
l’âme en une forme unique.
2 - Conçois donc comme du
limon tout le corporel, le matériel, l’élément nourricier et générateur, ou
toutes les espèces matérielles de la nature qu’emportent les flots agités de la
matière, tout ce qui reçoit le fleuve du devenir et retombe avec lui, ou la
cause primordiale, (préalablement installée en guise de fondement), des
éléments et de toutes leurs puissances. Sur ces bases, le Dieu auteur du
devenir, de la nature entière, de toutes les puissances élémentaires, lui qui
est supérieur à celles-ci et s’est révélé dans sa totalité sorti de lui-même et
rentré en lui-même, immatériel, incorporel, surnaturel, inengendré, indivis,
préside à tout cela et enveloppe en lui-même l’ensemble des êtres. Et parce
qu’il a tout embrasé et se communique à tous les êtres du monde, il est apparu
sortant d’eux. Parce qu’il est supérieur à tout et souverainement simple en
lui-même, il apparaît comme séparé, transcendant, sublime, éminent de
simplicité, en lui-même au-dessus des puissances et des éléments cosmiques.
3 - Avant les êtres
véritables et les principes universels il y a un Dieu qui est l’Un, le Tout
Premier même par rapport au Dieu et Roi premier. Il demeure immobile dans la
solitude de sa singularité. Aucun intelligible, en effet, ne s’enlace à lui, ni
rien d’autre. Il est établi comme modèle du Dieu qui est à soi-même un père et
un fils, et est le Père unique du vrai Bien, car il est le plus grand, premier,
source de tout, base des êtres qui sont les premières Idées intelligibles. A
partir de ce Dieu Un se diffuse le Dieu qui se suffit, c’est pourquoi il est à
soi-même un père et un principe car il est principe et dieu des dieux, monade
issue de l’un, antérieure à l’essence et principe de celle-ci. De ce deuxième
dieu, en effet, dérivent la substantialité et l’essence, aussi est-il appelé le
père de l’essence, car il est l’être par antériorité à l’être, principe des
intelligibles, aussi le nomme-t-on Premier Intelligible.
4 - Tu dis maintenant que
« La plupart des Égyptiens font dépendre notre libre arbitre du
mouvement des astres ». Ce qu’il en est, il faut te l’expliquer plus
longuement, en recourant aux conceptions hermétiques. D’après ces écrits,
l’homme a deux âmes. L’une est issue du Premier Intelligible, et elle participe
aussi à la puissance du démiurge. L’autre est introduite en nous à partir de la
révolution des corps célestes. C’est en celle-ci que se glisse l’âme qui voit
Dieu, (la précédente). Les choses étant ainsi, celle qui descend des mondes,
(...célestes, la fatalité inscrite dans le Zodiaque), en nous, accompagne la
révolution de ces mondes, tandis que l’âme issue de l’Intelligible, présente en
nous selon le mode propre à l’intelligible, est supérieure au cycle des
naissances. C’est par elle que, délivrés de la fatalité, nous remontons vers
les dieux intelligibles .(...).
5 - Mais tout dans la nature
n’est pas non plus lié à la fatalité. Il est un autre principe de l’âme,
supérieur à toute nature et à toute connaissance, selon lequel nous pouvons
nous unir aux dieux, nous tenir au-dessus de l’ordre cosmique et participer à
la vie éternelle et aux activités des dieux supra célestes. Selon ce principe,
nous sommes capables de nous libérer nous-mêmes. En effet, quand agissent les
meilleures parties de nous-mêmes et que l’âme s’élève vers les êtres
supérieurs, elle se détache des parties inférieures. A la place de sa vie elle
acquiert une vie nouvelle et se donne à un autre ordre, en abandonnant
complètement le précédent.(...). Dés leur première descente, Dieu a envoyé les
âmes dans l’intention qu’elles retournent à lui. Il n’y a donc pas de
changement par suite d’une telle élévation, ni de conflit entre les descentes
et les remontées des âmes. De même, en effet, que dans le tout, le devenir et
cet univers-ci dépendent de l’essence intellective, de même, dans l’ordre des
âmes, leur souci du monde créé s’accorde avec la libération du devenir.
Commentaire
sur Plotin 1.
Pour Plotin, l’univers est composé de trois
réalités fondamentales qu'il appelle hypostases :
- L’Un (qu’il
appelle parfois DIEU ou même Jupiter),
- l’Intelligence,
- l’Âme.
L’homme qui fait partie du monde sensible
doit, par introspection, remonter de l’Âme à l’Intelligence, puis de
l’Intelligence à l’Un pour accomplir ainsi une union mystique avec le dieu par
excellence.
Pour Plotin en
effet, le principe premier est l’Un transcendant, éternel,
insaisissable et parfaite source du Bien ordonnant le monde.
En dessous de cet
Un abstrait se situe l’Intellect dont la principale
fonction est de définir les Idées contenant le monde.
La connexion entre
l’Intellect et le monde sensible est faite par l’Âme,
qui crée la matière vivante et qui contient elle même une grande multiplicité
d’âmes allant de celles des êtres éternels comme les astres à celle purement
végétative des plantes.
Il reprend également une idée majeure du
Platonisme en développant le thème de l’immortalité des âmes, conduisant à des
réincarnations successives dans des enveloppes corporelles supérieures ou
inférieures suivant les actes commis au cours de l’existence terrestre.
Plotin décrit donc
longuement ces trois principes éternels ordonnateurs du monde réel et reliés
entre eux par un mouvement de procession du haut vers le bas.
Chaque corps s’avance vers l’âme et reçoit
d’elle la part d’intelligible qu’il est en mesure de supporter.
Commentaire sur Plotin 2.
L’âme, par nature, refuse d’aller jusqu’au néant absolu ; quand elle
descend, elle va jusqu’au mal, qui est un non-être, mais non l’absolu
non-être ; dans la direction inverse, elle ne va pas à un être différent
d’elle, mais elle rentre en elle-même, et elle n’est alors en nulle autre chose
qu’en elle-même ; mais, dès qu’elle est en elle seule et non plus dans
l’être, elle est par là même en lui ; car lui est une réalité qui n’est pas
une essence, mais qui est au-delà de l’essence, pour l’âme avec qui il s’unit.
Si l’on se voit soi-même devenir lui, on se tient pour un
image de lui ; partant de lui, l’on progresse comme une image jusqu'à son
modèle, et l’on arrive à la fin du voyage. Si l’homme déchoit de la
contemplation, il peut raviver la vertu qui est en lui ; il comprend alors
sa belle ordonnance intérieure et retrouve sa légèreté d’âme ; par
l’intermédiaire de la vertu, il arrive à l’intelligence, et, par
l’intermédiaire de la sagesse, jusqu'à lui. Telle est la vie des dieux et des
hommes divins et bienheureux ; s’affranchir des choses d’ici-bas, s’y
déplaire, fuir seul vers lui seul.
Le Néoplatonisme médicéen
À la Renaissance, sous
l'impulsion de Marsile Ficin (Marsilio Ficino), un courant néoplatonicien
renaissant voit apparaître un groupe d’humanistes florentins évoluant à
la cour de Laurent le Magnifique à la fin du Quattrocento. Ces humanistes
se consacrent à la traduction des dialogues platoniciens et à l'élaboration
d'un système de pensée cohérent adapté aux connaissances du siècle, mis
en harmonie avec les préceptes de la religion chrétienne. L’ouvrage le plus
célèbre de Ficin s’intitule d’ailleurs, « Theologia platonica ». Le
groupe de Ficin est animé par Angelo Poliziano, Giovanni Pico della Mirandola
(Pic de la Mirandole) et Cristoforo Landino. D’autres personnalités s'y
joignent parfois, notamment Laurent le Magnifique, le peintre Sandro Botticelli
ou encore le jeune Michel-Ange qui aura Poliziano comme précepteur pendant deux
ans. Ces érudits se réunissent régulièrement dans une villa de Careggi
(périphérie de Florence) offerte par les Médicis, et les réunions prennent le
nom d’ « Académie », en référence à l’antique Académie fondée
par Platon.
Dans ce courant, le peintre Botticelli a produit à Florence de nombreuses
œuvres dont la "naissance de Vénus", d'inspiration évidemment antique
et païenne ainsi que beaucoup de tableaux apparemment chrétiens, dont, à la fin
des Années 1500, une œuvre fort insolite longtemps appelée " la Nativité
mystique", qui représentait quelque chose de spécial pour Botticelli
puisque c'est son seul tableau signé "Alexandros" en grec en haut de
la toile avec la description du motif prétendument apocalyptique de la
peinture.
On a évoqué dans la
composition de ce tableau une évocation de la Grande Pyramide égyptienne
dans la forme triangulaire du toit de l'étable. Si les lignes du triangle
tronqué de la toiture sont étendues, le triangle obtenu en a les proportions
exactes. Mais comment Botticelli aurait-il connu des proportions
correctes de la Grande Pyramide alors que les sources disponibles à son époque
semblaient les ignore ? Botticelli les aurait codées dans son tableau en
utilisant les sujets disposés en groupes afin de faire passer des messages
symboliques.
Le nombre total des anges qui entourent
l'enfant (et donc les chiffres de l'homme) dans les différents groupes est le
suivant :
12 = les anges dans les cieux, (la
ronde du Zodiac)
3 = les anges assis sur le toit (les éléments Air, Feu, Eau)
7 = 4 chiffres sur la gauche et 3 sur le côté droit de la Trinité (les
Planètes)
6 = les anges et les personnes au bas de la peinture (la Terre).
La somme de toutes
les figures de la sainte trinité est donc de 28, ce qui pourrait donner les 280
coudées royales de la hauteur de la Grande Pyramide. Le Nombre 28 exprime
symboliquement la «perfection» car il est le deuxième des nombres dits parfaits
Une autre
interprétation a été donnée à la géométrie de la composition : Le triangle
symbolique de la pyramide est placé entre un carré qui représente la terre et
le cercle zodiacal qui représente le ciel. La composition de Botticelli
présente symboliquement un carré à travers un triangle dans un cercle. Les
trois figures archétypales -Cercle, Triangle et Carré - ressemblent à la forme
de trois lettres qui pourraient cacher une formule gnostique importante. Le
cercle représente naturellement la lettre «O», le triangle évoquerait la
lettre abstraite «A», et le carré pourrait représenter la lettre grecque «je»
parfois écrite «И» comme elle le demeure dans l'alphabet
cyrillique. Les initiales que ces figures énoncent sont donc
"IAO" qui était l'un des noms tutélaires de la divinité suprême
des gnostiques.
CHAPITRE 4
Les enseignements d’Hermès
Trismégiste
Au 4ème
siècle avant J. C. en ~338, un semi-barbare, Philippe II de Macédoine,
développa un puissant appareil militaire et se rendit maître de
Hermès, Thot, et le Caducée
Alexandre dit le Grand établit un immense empire comprenant
Le dieu égyptien Thot, ou Djéhuti, était qualifié d'inventeur de
l’écriture, seigneur des sages, maître du culte de la magie et des savoirs
cachés. C'est de lui que les hommes auraient reçu les hiéroglyphes donnant
accès à la sagesse. Patron des scribes, gardien des rituels, des savoirs magiques
ou sacrés, et maître des paroles divines, Thot était une figure majeure du
panthéon égyptien. Son sanctuaire principal se situait à Hermopolis, en
Haute Egypte, mais on le révérait aussi à Thèbes et à Héliopolis. Il fut
souvent représenté sous la forme d'un babouin, d'un ibis noir ou blanc, ou d'un
humain avec une tête d'ibis. Ce dieu lunaire personnifiait la lune
elle-même. Seigneur du temps et des calculs, il était en charge des mathématiques,
du calendrier, de la médecine et de l'astronomie. Il était aidé par Seshat, son
épouse, la maîtresse des livres, qui gérait les archives et rédigeait les
chroniques des rois du temple d'Héliopolis. Thot conduisait aussi les âmes des
défunts vers le tribunal infernal et vérifiait la justesse de la balance du tribunal
d'Osiris, lors de la pesée des âmes. Et, à
Le dieu égyptien Thot, ou Djéhuti, était qualifié d'inventeur de
l’écriture, seigneur des sages, maître du culte de la magie et des savoirs
cachés. C'est de lui que les hommes auraient reçu les hiéroglyphes donnant
accès à la sagesse. Patron des scribes, gardien des rituels, des savoirs
magiques ou sacrés, et maître des paroles divines, Thot était une figure
majeure du panthéon égyptien. Son sanctuaire principal se situait à
Hermopolis, en Haute Egypte, mais on le révérait aussi à Thèbes et à
Héliopolis. Il fut souvent représenté sous la forme d'un babouin, d'un ibis
noir ou blanc, ou d'un humain avec une tête d'ibis. Ce dieu lunaire
personnifiait la lune elle-même. Seigneur du temps et des calculs, il était en
charge des mathématiques, du calendrier, de la médecine et de l'astronomie. Il
était aidé par Seshat, son épouse, la maîtresse des livres, qui gérait les
archives et rédigeait les chroniques des rois du temple d'Héliopolis. Thot
conduisait aussi les âmes des défunts vers le tribunal infernal et vérifiait la
justesse de la balance du tribunal d'Osiris, lors de la pesée des âmes.
Et, à
Hermès Trismégiste,
personnalité religieuse remarquable, naquit de la synthèse des deux symboles
divins. L’Hermès grec, inventeur de l'alphabet, messager des dieux, est le
"psychopompe", guidant les âmes dans l’autre monde, et le Thot
égyptien, inventeur de l’écriture, maître des cultes et de la magie,
conduit aussi l’âme des défunts vers le tribunal infernal. L'attribut
"Trismégiste" évoque les trois manifestations successives d''Hermès.
Il aurait d'abord vécu pour inventer l'astronomie et la cosmogonie. Il se
serait réincarné pour patronner la philosophie et la médecine, puis encore pour
révéler l'idée du macrocosme microcosme, la similitude du cosmos et de l'homme.
La théorie débouche sur le grand œuvre des Alchimistes, la transformation
physique et mentale personnelle préludant à la connaissance universelle. Elle
est la base de "l'hermétisme" en général, ainsi que de
"l'herméneutique" (recherche de compréhension profonde des textes
religieux et théorie générale de la connaissance). Plusieurs recueils sont
attribués au Trismégiste, dont le célèbre et ésotérique Corpus Herméticum dont
on aurait retrouvé des fragments à Nag Hammani.
Le caducée est un
symbole très ancien. Le mot proviendrait du sanskrit Kàrù (chanteur
ou poète) repris en grec avec la signification héraut ou envoyé,
d'où cette attribution à Hermès. Dans les antiques représentations, les
serpents du caducée ne se croisent qu'une fois, et les ailettes sont en
bas. Apollon aurait donné un autre caducée à son fils Esculape (Asclépios),
un encombrant accessoire enroulé d'un seul serpent. Avec le temps, les
Hermétistes et autres Ésotéristes ont approprié le symbole, comme support
pratique. Car le caducée d'Hermès comporte un axe vertical autour duquel
s'enroulent deux spirales entrelacées. Il peut ainsi imager la structure
occulte du corps humain. L'axe figurerait le canal vertébral contenant la
moelle épinière jusqu'au cerveau. L'énergie mentale, dite kundalini, s'y
élèverait directement de bas en haut en traversant une série de nœuds
vitaux appelés chakras. Les serpents enroulés représenteraient deux canaux
énergétiques complémentaires, positifs et négatifs, masculin ou féminin, ou
liés au Soleil et à
Les écrits hermétiques
1 - Korê Kosmou - Le Livre sacré
(
Depuis le 2ème siècle, de
très nombreux écrits ont été attribués à Hermès Trismégiste. Leur véritable
origine est inconnue. Ils nous sont surtout parvenus en grec, mais aussi en
latin, en copte, en syriaque, et même en arabe. Tous se présentent comme de
prétendues traductions depuis la langue sacrée (et secrète) égyptienne,
sans qu'aucun original n'ait été découvert. Les auteurs sont manifestement
multiples, et il s'agit toujours de révélations prétendument d'origine
divine, d'Hermès en particulier, d'où l'appellation courante d'écrits
hermétiques. Il est généralement admis qu'un milieu déterminé les a produit en
grande quantité pendant une longue période. Ce pourrait être l'œuvre de la
classe sacerdotale égyptienne, gardienne des traditions, répondant aux
acculturations répétées, grecque, romaine, chrétienne, puis musulmane. Ces
écrits diversifiés contiennent des traités astrologiques ou magiques, des
exposés philosophiques et cosmogoniques, des enseignements et des instructions
à caractère religieux ou médical. On y trouve aussi les fondements de
l'alchimie.
La variété des sujets traités peut surprendre un occidental actuel. Á
l'époque, ces différentes disciplines étaient généralement confondues dans une
commune approche culturelle. Même habitant l'Olympe, les dieux grecs naissaient
et vivaient sur Terre, et ils intervenaient souvent dans les affaires humaines.
Hermès apparaissait logiquement comme un intercesseur divin. Les chercheurs
antiques ne distinguaient pas clairement la matière inerte de la vivante, et
ils attribuaient des qualités analogues aux deux natures. Dans sa dimension matérielle,
le travail alchimique pouvait alors paraître raisonnable. Les idées platoniciennes
et les connotations iraniennes et bibliques ont également marqué ces écrits.
Dans leur actuelle présentation, on les sépare commodément en deux groupes pour
en faciliter l'étude. Un premier ensemble réunit tous les textes ésotériques,
philosophiques ou religieux. C'est ici que l'on trouvera les dix-huit traités
du "Corpus Hermeticum", et "Asclépius". Un second
objet d'étude rassemble les textes alchimiques comme la très célèbre
"Table d'Émeraude".
Nous évoquerons d'abord un premier traité dont les fragments en grec sont
essentiellement issus de la collection constituée au 5e siècle. Comme la
plupart des écrits hermétiques reconstitués, il n'est pas complet. Le début et
la fin du texte manquent. D'inspiration égyptienne, il réunit plusieurs parties
assez hétérogènes. Ce texte capital est habituellement connu sous l'appellation
de "Korê Kosmou", (ou Minerva Mundi en latin), dont la meilleure
traduction paraît être la "Vierge du Monde". Dans cette cosmogonie,
la déesse égyptienne Isis révèle à son fils Horus ce qu'a été le rôle
d'Hermès dans la genèse du Monde et des dieux, la création des âmes, la
naissance du Zodiaque et des astres, l'origine des êtres vivants, la faute des
âmes et leur incorporation dans le corps des hommes, la formation de
Voici un court extrait de la genèse du Monde dans Koré Kosmou
../.. Dieu sourit et dit "Que
et un objet féminin de toute beauté jaillit de sa voix, ce qu'ayant vu,
les dieux furent saisis de stupeur.
Le Dieu Premier Père, l'honora du nom de Nature, et lui ordonna d'être
féconde.
Voici encore les mots qu'il prononça
en fixant du regard l'espace environnant.
"Que le ciel soit rempli de toutes choses,
et l'air ainsi que l'éther !".
Dieu dit, et cela fut.
Or, s'étant consultée elle-même,
Nature connut qu'elle ne devait pas désobéir
au commandement de son père,
et, s'étant unie à Labeur,
elle enfanta une fille belle
qu'elle nomma "Invention"../..
Au commencement, dit Isis, l'Ignorance régnait sur le Monde. L'Artisan de
l'Univers décida de se révéler tel qu'il est. Il inspira aux dieux un
élan d'amour et déversa généreusement sa lumière dans leurs intelligences. Le
dieu Hermès, ayant compris ces choses, les grava et cacha la gravure, puis il
remonta vers les astres, laissant pour successeurs Thot et Asclépios. Cédant à
la prière des dieux, le Dieu Roi créa
Pour punir les âmes, Dieu décida de créer l'humanité. Il demanda aux
dieux célestes de doter la race nouvelle. Le Soleil promit de resplendir
davantage.
Le ciel égyptien aux nombreux cercles, dit Isis, domine sur toutes les
choses du monde inférieur, et l'harmonie du bas doit répondre à l'éternelle
beauté du haut. (Ce qui est en bas doit s'accorder à qui est en haut).
Dans leur châtiment, les âmes incarnées demeuraient turbulentes, perturbant
l'ordre universel. Leurs comportements provoquèrent la colère des "Éléments"
qui se plaignirent au "Monarque". Le Feu demanda que des lois soient
conférées à la race humaine car il ne pouvait plus tolérer tous ses crimes.
l'Air se plaignit d'avoir à supporter ces funestes spectacles et d'être
empuanti par l'odeur de la mort. L'Eau ne voulait plus être à ce point
souillée.
Les
écrits hermétiques
2 - Poïmandrès - (le Pimandre ou
Pymandre)
Poïmandrès, (le Pimandre ou
Pymandre) est le premier traité du Corpus Hermeticum. Ce titre grec paraît
intraduisible. Poïmandrès semble personnifier la révélation religieuse. Dans ce
long dialogue, il révèle à Hermès tous les secrets de la création. Hermès
méditait lorsque Poïmandrès apparut et déclara être le Noûs, l'archétype de
Or le Noûs, Père de tous, étant Vie et Lumière, enfanta un Homme
semblable à lui, dont il s’éprit comme de son propre enfant. Car l’Homme était
très beau, reproduisant l’image de son Père. Dieu l'aimant, lui livra toutes
ses œuvres, et l'Homme qui avait plein pouvoir sur le monde des mortels et les
animaux sans raison, voulut réaliser sa propre création. Il se pencha à travers
l’armature des sphères, et il fit montre à
Et Poïmandrès livra à Hermès le mystère caché jusqu'alors. Lorsqu'il
s'unit à Nature, l'Homme originel avait en lui la force des Gouverneurs, issus
du feu et du souffle divins. Et
Moi, le Noûs, je me tiens auprès de ceux qui sont saints, bons, purs et
miséricordieux, car avant d'abandonner leurs corps à la mort qui leur est
propre, ils ont détestation de leurs sens. Et pour les mauvais, les cupides,
les meurtriers, je laisse la place au démon vengeur qui excitera sans fin leurs
désirs sans les satisfaire. Quant à la remontée, sache que le corps matériel et
le moi habituel sont livrés à l'altération. Les sens corporels remontent à
leurs sources, et les colères et les compulsions retournent à la nature privée
de raison. L'Homme s'élève alors à travers l'armature des sphères, abandonnant
les ambitions, la malice, les illusions des désirs, l'impiété et la
présomption, l'appétit de richesse et les mensonges. Libre, et avec sa seule
puissance, il entre dans la nature de "Ogdoade" qui est dans la
huitième sphère, celle des étoiles fixes, où règne le Noûs, par dessus les sept
sens. Devenu Puissance, l'Homme entre en Dieu avec toutes les autres
Puissances. Car la fin bienheureuse de ceux qui possèdent la connaissance,
c'est devenir Dieu.
Les écrits hermétiques
3 Asclépius - (Esculape - Imhotep)
Asclépius est un écrit
hermétique dont on a trouvé des fragments à Nag-ammadi. C'est la traduction
latine du Telios logos, le traité parfait, texte en grec qui
semble perdu. Ce recueil rassemble plusieurs sections conceptuellement
distinctes. Hermès s'y adresse à Asclépius, devant Tat et Ammon, (mal
identifiés). L'introduction traite de l'Unicité de Dieu. Toutes choses
dépendent d'un seul, et ce UN est Tout puisque toute chose existait dans le
Créateur avant sa création. La divinité est un fleuve impétueux se déversant de
haut en bas. Le "Ciel" gouverne tous les corps, mais il est gouverné
par Dieu, comme l'âme. Chez les Néoplatoniciens, les configurations
astrologiques déterminent les destins terrestres. Toutes les âmes sont immortelles
mais elles ne reçoivent pas l'effluve divin de la même façon.
L'homme est une grande merveille. Privilégié dans sa nature, il est uni
aux dieux par sa partie divine, et il peut mépriser la partie terrestre de son
être. Il peut aimer les inférieurs et être aimé de ceux qui le dominent. Parmi
tous les genres d'êtres qui sont pourvus d'une âme, certains ont des racines
qui poussent vers le haut, et d'autres, vers le bas. Certains se nourrissent
d'aliments d'une seule sorte, et d'autres, de deux sortes. Car il y a des
aliments pour l'âme et d'autres pour le corps, les deux parties qui composent
les vivants. Le souffle divin les anime tous. Seul l'homme reçoit en plus
l'Intellect venant de l'Éther, afin qu'il ait connaissance du plan divin, mais
tous les hommes ne l'atteignent pas. Seul parmi les vivants, l'homme est
double. Sa partie essentielle est simple, formée à la ressemblance de Dieu. Sa
part terrestre matérielle est quadruple. D'elle que provient le corps qui
enveloppe la partie essentielle. Il est comme un abri où repose, seule avec soi
même et avec ses sens d'esprit, la pure divinité intérieure.
Quand le Créateur eut fait le Dieu sensible et visible, second après
lui, (désigne tantôt le Soleil, tantôt le Monde), il le trouva
beau et l'aima comme son enfant. Il voulut qu'il existât un autre être pour le
contempler, et créa l'Homme essentiel à cette fin. Il lui donna ensuite un
corps pour domicile, le composant convenablement des deux natures, éternelle et
mortelle. Ainsi l'homme peut prendre soin de toutes choses, adorer les célestes
et gouverner les terrestres. Parmi tous les vivants, divins et mortels, seul
l'Homme admire et révère les êtres célestes. Dans la hiérarchie des vivants,
Dieu est le premier, le Monde est le second, et l'Homme est le troisième. Quand
l'homme se connaît, il connait aussi le Monde et révère Dieu, car Dieu a deux
images, la première est le Monde, et la seconde est l'Homme. La première règle
de la vie de l'homme, c'est la piété, ce qui implique la bonté. La seconde
règle est le mépris des objets étrangers au divin. Ils ne sont que réponses aux
appétits du corps, impliquant donc grand dédain pour leur source mortelle.
Á
l'origine, il y a Dieu et Hylé (la matière). Le Souffle (Pneuma-l'Esprit)
était dans la matière, mais non pas comme étaient en Dieu les principes du
Monde. Dieu éternel ne peut être engendré, ni n'a pu l'être. La nature de Dieu
est toute entière issue d'elle même. Quant à Hylé et au Souffle, bien qu'ils
soient inengendrés, ils ont le pouvoir de naître et d'engendrer. La nature même
de la matière inengendrée est d'être capable d'engendrer. Et si la matière peut
enfanter, elle peut aussi enfanter le Mal. Le Dieu suprême s'est prémuni contre
le Mal en gratifiant les âmes humaines d'intellect, de science, et
d'entendement. Par ces facultés, nous pouvons échapper aux ruses et aux
corruptions du mal, car toute science humaine a son fondement dans la
souveraine bonté de Dieu. Quant au Souffle, il procure et entretient la vie
dans tous les êtres du monde lequel obéit comme un instrument à la volonté du
Dieu suprême. C'est du Souffle que Dieu remplit toutes choses, l'insufflant en
chacune d'entre elles selon la mesure de sa capacité naturelle.
La substance de toutes
les formes sensibles du Monde, c'est la matière. Mais l'intellect est un don
céleste fait aux seuls hommes dont l'âme est apte à le recevoir. L'intellect
illumine l'âme humaine comme le Soleil éclaire les jours, et se mêlant à
elle, il la défait de l'erreur. Hermès veut révéler de grands secrets, disant
qu'il y a de nombreux dieux dont certains sont accessibles aux sens, et
d'autres à la seule intelligence. Ces dieux seulement intelligibles sont les
maîtres des espèces. Ils dominent sur les dieux visibles (les planètes)
qui régissent les êtres naturels. Le grand maître du Ciel est le Soleil, (appelé
ici Juppiter), qui dispense la lumière. Les trente-six astres fixes, (Horoscopes
ou Décans), dépendent du dieu Pantomorphe qui impose leurs formes aux
individus, et les Sept Sphères obéissent à l'Heimarménè, qui est le destin. Les
choses mortelles sont liées aux immortelles, et les visibles aux invisibles.
Mais tous les êtres dépendent et découlent de la volonté du UN suprême. Et
donc, en lui, ils sont unifiés en un seul couple.
Dieu n'a pas de nom, ou les a tous, étant à lui seul toutes choses. Il
est infiniment rempli de la fécondité des deux sexes, enfantant tout ce qu'il
veut créer, et sa volonté toute entière est bonté. C'est la nature des êtres de
sentir et d'engendrer, car le Monde doit conserver toutes les races venues à
l'être. Le mystère éternel de reproduction a donc été accordé à tous, avec ce
qu'il comporte de joie, de désir et d'amour, don de Dieu, union de la vigueur
virile à la douceur féminine. Les êtres se succèdent dans les espèces et le
Monde demeure lui-même toujours en vie, dans le passé, dans le présent, dans
l'avenir. Chacune des parties du Monde est donc toujours en vie, selon son
être, dans l'éternité, et il ne reste aucune place pour la mort. Dès lors, le
Soleil gouverne éternellement les choses capables de vivre, et Dieu leur dispense
éternellement la vie même. L'éternité immobile de la vie est le lieu où se meut
le Monde dans le cours éternel du temps. Ainsi, Dieu et l'Eternité sont les
causes premières de tout ce qui existe dans la mobilité du Monde.
Voici un court extrait de la fin du recueil
d'Asclépius
Étant sortis
du sanctuaire, nous commençâmes à prier Dieu, en nous tournant, comme il
convient, dans la direction du Soleil,
et je proposai d'accompagner d'encens notre prière. Mais Hermès
intervint.
Silence, Asclépius !
C’est une sorte de sacrilège, quand on prie Dieu, de brûler de l’encens et tout
le reste.
Car rien ne manque à celui qui est lui-même
toutes choses, ou en qui sont toutes choses.
Nous rendîmes alors grâce pour la lumière reçue, pour l'intellect, la raison et
la connaissance ,et priâmes Dieu qu'il nous maintienne toujours en cet
état.
Et avec ces vœux, nous prîmes un repas très pur que ne souillait nul
aliment ayant eut vie sous le Soleil.
(Hermès Trismegiste -
Asclépios - Imouthès).
L'intellect divin total, à l'image de la divinité, est incorruptible et
saint. Il est l'éternité du Dieu suprême qui se tient dans la vérité absolue,
infiniment rempli de toutes les formes sensibles et de l'ordre universel.
L'intellect second, plus limité, du Monde, contient toutes les formes et tous
les ordres particuliers. L'intellect tiers de l'Homme découle de son pouvoir de
garder en mémoire le souvenir des expériences passées. La descente de
l'intellect dans la création s'arrête à l'animal humain. Par la mémoire,
l'Homme acquiert la connaissance des choses observées et monte ainsi vers
l'intellect second, mais le caractère de l'intellect divin véritable lui
demeure à jamais mystérieux. Cependant, l'intellect du Monde s'élève à la
connaissance de l'éternité de Dieu. C'est par ce moyen que les hommes peuvent
entrevoir les choses du ciel. Ainsi pouvons-nous comprendre qu'il n'y a pas
d'espace vide, car toutes les parties du Monde sont absolument pleines de
formes variées, sensibles ou intelligibles, toujours changeantes dans la révolution
du cercle du temps.
Dieu a créé les dieux du Ciel, et l'Homme est l'auteur des dieux des
temples. Ayant reçu la lumière de vie, il a désiré en doter ses dieux
terrestres. Mais les images de dieux façonnées par l'Homme sont formées des
deux natures distinctes, l’une matérielle et l’autre divine. En effet, incapable
de créer des âmes, l'Homme a rituellement capturé celles d'anges ou de démons
qu'il a introduites dans ces images. Il en résulte que ces idoles peuvent faire
le Bien ou le Mal. Elles sont facilement irritées, mais peuvent être
secourables. Car l'Homme redoute la mort et la souffrance. La mort est le
résultat de la dissolution du corps quand il cesse de pouvoir supporter les
charges de l'âme humaine. Quand l'âme se retire du corps, elle passe sous
la domination de Génie suprême qui la met en jugement. Si elle s'est montrée
pieuse et juste, elle peut gagner le séjour qui lui revient. Si elle est
marquée par le péché et souillée par les vices, elle est précipitée dans les
lieux inférieurs où elle subira un châtiment en proportion de ses mérites, car
la divinité connaît tous nos actes.
Les écrits hermétiques
4 Discours d'Asclépius
au Roi Ammon
(Du Soleil et des Démons)
Condensé
inspiré par
"ÉTUDE SUR L'ORIGINE DES LIVRES HERMÉTIQUES"
PAR
LOUIS MÉNARD
Je t'adresse, ô roi, un grand discours qui résume tous les autres. Hermès
mon maître, disait que l'on croit trouver en mes livres une doctrine simple et
claire, tandis que, au contraire, elle est obscure et contient un sens caché.
Elle est devenue plus obscure encore depuis que les Grecs ont voulu la traduire
dans leur langue. Ô roi, fais que ce discours ne soit point traduit, de peur
que ces mystères ne pénètrent chez les Grecs, et que leurs phrases surchargées
d'ornements n'en amoindrissent la gravité. Leur philosophie, ô roi, est un
bruit de paroles, tandis que nous employons la grande voix des choses.
J'invoquerai d'abord le Dieu maître de l'univers, créateur et père, qui
enveloppe tout, qui est tout dans un et un dans tout. (Remarquez la
conviction délibérément panthéiste exprimée dans ce propos, Dieu est tout et
dans tout). La plénitude de toutes choses est l'unité. On distingue donc
vainement le Tout et l'Unité en appelant "Tout" la seule multitude
des choses et non leur plénitude. Le "Tout" n'existe plus si on le
sépare de "l’Unité". Si l'unité existe, elle est dans la totalité.
Or, elle existe et ne cesse jamais d'être une dans la plénitude. Conserve cette
pensée, ô roi, pendant tout l'exposé de mon discours.
Ainsi voit-t-on dans l'intérieur des terres des sources jaillissantes
d'eau et de feu, ces trois natures (du
feu, de l'eau et de la terre) partant d'une commune racine. Cela montre
que la matière fournit tout en abondance en recevant l'existence d'en haut. Car
le ciel et la terre sont menés par leur gouverneur, le Soleil, qui fait
descendre l'essence et monter la matière. Attirant le Monde à lui, il donne
tout à tous et prodigue les bienfaits de sa lumière. Il répand ses
bienfaisantes énergies dans le ciel et dans l'air, sur la terre et jusque dans
les profondeurs de l'abîme. Si il y a une Essence Intelligible (accessible à la compréhension),
c'est bien la substance du Soleil englobée dans sa lumière. Nous ignorons
quelles en sont la constitution et la source. Pour les comprendre, il faudrait
être analogue à sa nature. Mais ce que nous voyons n'est pas imaginaire, c'est
la vision splendide de ce qui illumine tout le monde supérieur. Le Soleil est
établi au centre de l'univers comme un grand roi qui porte la couronne. Il est
le conducteur qui dirige et maintient le char du monde en l'empêchant de
s'égarer. Il tient les rênes qui sont la vie, l'âme, l'esprit, l'immortalité,
la génération, et le mène près de lui, et avec lui.
Le Soleil forme toutes choses. Il donne aux immortels la permanence
éternelle. La lumière pure monte vers le ciel pour nourrir la part immortelle
du Monde. La lumière dense illumine l'eau, la terre, et l'air. C'est la matrice
où germe la vie dans ses naissances et ses métamorphoses. Le Soleil active les
corps animaux en les faisant passer d'un genre à l'autre, d'une apparence à
l'autre, en équilibrant leurs transformations. La permanence des corps animaux
nécessite leur rénovation. Les corps immortels sont indissolubles mais les
corps mortels doivent se renouveler. La création de la vie par le soleil est
continue comme sa lumière, et rien ne l'arrête ou ne la limite. De nombreux
chœurs de Démons se tiennent autour du Soleil, surveillant les choses humaines.
Sur les ordres des Dieux, ils punissent l'impiété par les tempêtes et les
ouragans, les incendies, les séismes, les famines et les guerres. Le grand
crime des hommes, c'est l'impiété. La fonction des Dieux est de faire le bien,
celle des Hommes d'être pieux, celle des Démons de châtier. Mais les Dieux ne
punissent pas les fautes commises par l'erreur ou la témérité, par la destinée
ou l'ignorance. Leur justice s'abat seulement sur l'impiété.
Le Soleil prend soin de tous
les êtres. Le monde des idées enveloppe le monde sensible y répandant la
plénitude et la variété des formes. De même, le Soleil enveloppe tout de sa
lumière, réalisant partout les naissances et les mutations des êtres, et
accueillant leurs fins. Le Soleil régente aussi les chœurs des Démons, chaque
astre ayant les siens, bons, neutres ou méchants, de par leur nature. L'action
des démons préposés aux choses de la terre bouleverse la condition des êtres et
façonne les âmes à leur ressemblance. Á la naissance, chacun est saisi par des
démons déterminés par la position des astres. Ce ne sont donc pas toujours les
mêmes. Ils pénètrent dans l'âme de désir qu'ils façonnent selon leur nature
propre. La partie raisonnable de l'âme ne leur est pas soumise. Elle est
disposée pour recevoir Dieu, qui peut l'éclairer d'un rayon singulier. Les
démons n'ont aucun pouvoir contre ce rayon du Soleil. Mais ceux qui sont ainsi
éclairés sont peu nombreux. Tous les autres, âmes et corps, sont dirigés par
les démons. Ils s'y attachent et en aiment les œuvres. Ainsi, les démons
dirigent les choses terrestres, et nos corps leur servent d'instruments. C'est
ce pouvoir qu'Hermès appelle la Destinée.
Le monde intelligible
se rattache à Dieu et le monde sensible au monde intelligible. Á travers ces
deux mondes, le Soleil conduit l'effluve de Dieu qui est la création. Autour de
lui s'étendant les huit sphères, celle des étoiles fixes, les six sphères des
planètes et celle entourant la terre. Les démons sont attachés aux sphères et
les hommes aux démons. Ainsi, d'une certaine façon, tous les êtres sont
rattachés à Dieu qui est le père universel. Le créateur, c'est le Soleil, et le
Monde est l'instrument de la création. L'essence intelligible dirige le ciel,
et le ciel dirige les Dieux. Ceux-ci commandent aux démons qui gouvernent les
hommes. Telle est la hiérarchie des Dieux et des démons, et telle est l'œuvre
que Dieu accomplit par eux et pour lui-même. Toute chose est une partie de
Dieu, ainsi Dieu est tout. En créant tout, il se crée lui-même sans jamais
s'arrêter, car son activité n'a pas de terme, et, de même que Dieu est sans
bornes, sa création n'a ni commencement ni fin. Les formes incorporelles
peuvent se manifester dans les corps, et il y a donc une réflexion du monde
sensible sur le monde idéal, et du monde idéal sur le monde sensible. Ô roi,
adore donc les statues qui tirent leurs formes du monde sensible.
Les écrits hermétiques
5 La Table d'Émeraude
(La pierre d'Hermès)
Cet
exposé traite de la légende de la "Tabula Smaragdina",
(et non pas de l'art de l'Alchimie)
C'est dans un ouvrage attribué à Apollonios de Tyane,
que l'on trouve la première trace de la fameuse "Table d'Emeraude".
Apollonius était un étonnant personnage du 1e siècle. Ce Néoplatonicien grec
est entré dans la tradition arabe comme philosophe, mage, prophète et
théologien. De nombreux ouvrages ont été propagés sous son nom. Une traduction
arabe du "Livre du secret de la création" faite par un prêtre
chrétien de Naplouse, Sâgijûs, au 6e siècle, se présente comme un récit fait
par Balînûs (arabisation d'Apollonius). Il raconte la découverte de la
"Table d'Émeraude et se termine par le premier texte connu de son contenu.
Balînûs aurait connu dans jeunesse à Tyane une intrigante statue d'Hermès.
Devenant plus âgé, il creusa dessous et découvrit un long souterrain menant à
une chambre funéraire dans laquelle se tenait un vieillard, (Hermès), assis sur
un trône d'or, devant un livre. Il tenait entre ses mains la fameuse
"Table d'Émeraude". Balînûs s'empara hardiment du livre, et découvrit
sur la tablette le texte qui suit.
Dans le livre de Balînûs, la partie relative à
Le texte classique de
Ceci est la traduction française de la
"vulgate" latine,
la "Tabula Smaragdina", ci-dessus, publiée au 14e siècle.
1. Il est vrai sans mensonge,
certain et très véritable.
2. Ce qui est en bas,
est comme ce qui est en haut:
et ce qui est en haut,
est comme ce qui est en bas,
pour faire les miracles d'une seule chose.
3. Et comme toutes les choses ont été,
et sont venues d'un, par la méditation d'un:
ainsi toutes les choses ont été nées
de cette chose unique, par adaptation.
4. Le soleil en est le père, la lune est sa
mère,
le vent l'a porté dans son ventre;
la terre est sa nourrice.
5. Le père de tout le telesme
de tout le monde est ici.
Sa force ou puissance est entière,
6. si elle est convertie en terre.
7. Tu sépareras la terre du feu,
le subtil de l'épais doucement,
avec grande industrie.
8. Il monte de la terre au ciel,
et derechef il descend en terre,
et il reçoit la force
des choses supérieures et inférieures.
Tu auras par ce moyen
la gloire de tout le monde;
et pour cela toute obscurité s'enfuira de toi.
9. C'est la force forte de toute force:
car elle vaincra toute chose subtile,
et pénétrera toute chose solide.
10. Ainsi le monde a été créé.
11. De ceci seront et sortiront d'admirables
adaptations,
desquelles le moyen en est ici.
12. C'est pourquoi j'ai été appelé
Hermès Trismégiste,
ayant les trois parties de la philosophie
de tout le monde.
Ce que j'ai dit de l'opération du soleil est accompli, et parachevé.
(Le terme "telesme" serait dérivé d'un
vocable grec signifiant perfection ou accomplissement).
Le texte de la découverte de
Je suis le sage
Belînûs, qui possède l'art des talismans et des choses
merveilleuses../..J'étais orphelin du peuple de Tyane, indigent et dénué de
tout. Il y avait dans ces lieux une statue de pierre sur une colonne où l'on
pouvait lire ces mots : "Je suis Hermès à qui la science a été donnée
../.. Si quelqu'un désire connaître le secret de la création des êtres, qu'il
regarde sous mes pieds". Mais sous les pieds, il n'y avait rien. Devenu
plus âgé, je compris le sens de ces paroles et j'entrepris de creuser sous la
colonne. Je découvris un souterrain où régnait une profonde obscurité et un
vent violent. Plus tard, dans mon sommeil, un vieillard m'apparût, me disant :
"Lève-toi, Bélînûs, place ta lampe sous un vase transparent, et va dans le
lieu ténébreux." J'abritai ma lumière comme il avait dit, et j'entrai dans
le souterrain. J'y vis un vieillard assis sur un trône d'or. Il tenait d'une
main une tablette d'émeraude sur laquelle était écrit : "C'est ici la
formation de la nature". Devant lui était un livre sur lequel on lisait :
"C'est ici le secret de la création des êtres, et la science des causes de
toutes choses". Je pris ce livre hardiment et sans crainte, et je sortis
de ce lieu. J'appris ce qui était écrit dans ce livre du secret de la
création des êtres, Je compris comment la nature avait été formée et
j'acquis la connaissance des causes de toutes choses.
("Le Livre du secret de la
création", de Balînûs)
La doctrine des rapports de sympathie ou d'antipathie présentée par
Balînûs semble dériver des idées énoncées par Aristote cinq siècles plus tôt.
Celui-ci proposait déjà le couplage des principes pour aboutir à la constitution
des quatre éléments apparemment simples : le feu, l’air, l’eau et la terre.
Comme celle des quatre éléments, celle des quatre principes n’a plus
actuellement de valeur scientifique, mais elle demeure une clé symbolique
fondamentale pour comprendre comment l'alchimie propose de maîtriser l’énergie
et les composantes de la nature. Une autre partie du "Livre du secret de
la création" attire l'attention. Le récit de la découverte de
CHAPITRE 5
Les antiques religions à Mystères
Introduction
Entre les années ~300 et +400, l'empire de Rome est à son apogée.
Il a intégré le grand Empire d’Alexandre et s’étend de la Manche à la Mer Rouge
et à l’Atlantique, incluant la Grande Bretagne, la Gaule, une partie de la
Germanie, l'Ibérie, l'Italie, la Grèce et les Balkans, l'Afrique du Nord,
l'Egypte, la Perse, la Turquie et tous les petits états riverains de la
Méditerranée, (la Mare internum, ou Mare nostrum, la Mer Romaine privée).
Malgré les grandes difficultés liées à la dimension de l’empire et aux
ambitions humaines, les empereurs romains ont su mettre en place les structures
politiques, administratives, économiques, commerciales, juridiques, militaires,
(et même religieuses), nécessaires pour faire fonctionner cet immense ensemble
et assurer sa sécurité. Jamais dans l’Histoire, les échanges n’ont été plus
faciles et plus sûrs, au sein de l’ensemble méditerranéen unifié, qu’au temps
des Romains. Les cités et les campagnes reçoivent l’eau distribuée par des
aqueducs. Des réseaux de voies de communication, terrestres et maritimes,
permettent de voyager et de commercer facilement dans tout l’Empire. Cette
situation a débuté entre le ~16ème et le ~14ème siècle,
et elle s'est poursuivie pendant plus de mille ans. La Bible hébraïque a été
rédigée entre le ~11ème et le ~3ème siècle avant
J.C. Á la fin de cette époque, l'influence grecque et les idées platoniciennes
ont profondément marqué la société romaine, et elles ont gagné tout l’Empire.
Rome et Alexandrie sont devenues des foyers d’illumination spirituelle et des
creusets de transmutation, marqués par une grande tolérance. Dans les quelques
siècles qui encadrent la naissance du Christianisme, de nombreux courants de
pensée circulent dans le monde antique. Des temples aux divers dieux sont
construits partout. Il y a même à Rome un temple au "Dieu inconnu".
Les différentes écoles cohabitent et envoient des missions un peu partout pour
répandre leurs cultes et leurs idées, (et cela concerne aussi la Palestine et
le Judaïsme). Cette importante turbulence amène des confrontations qui opposent
les anciens cultes agraires traditionnels aux religions spiritualistes
nouvelles et aux idées des penseurs néo-platoniciens, hermétistes, gnostiques
et chrétiens.
Les religions à Mystères
Les cultes à mystères
apparaissent progressivement dans le Monde romain entre les années ~300
et +400, et ils introduisent dans les croyances et pratiques religieuses
antiques des concepts d’immortalité de l’âme, de salut et de résurrection et
des rituels initiatiques originaux. Sous l’influence de l’hellénisme plus ou
moins platonicien qui les tolère, et au contact des très nombreux immigrants
qui s’installent dans l’empire, les Romains accentuent encore leur grande
facilité d’assimilation. Ils adoptent les nouveautés doctrinales des croyances
étrangères et transforment les cultes orientaux dont les pratiques
inhabituelles viennent secouer la morne monotonie de leurs habitudes. La
plupart des nouvelles liturgies, (et ultérieurement le Christianisme),
s’adressent à des dieux souffrants dont les cultes évoquent la passion. Les
fidèles reproduisent sur eux-mêmes les tribulations du dieu. Ces pratiques entraînent
des privations pénibles et des souffrances occasionnellement sanglantes. Elles
provoquent aussi de frénétiques comportements de défoulement et des émotions
violentes qui fascinent les citoyens romains blasés et fatigués par la
décomposition politique et les traditions vieillissantes. Les nouveaux
initiés pratiquent même parfois de graves automutilations et des rites
pénitentiels de flagellation. Le plus souvent, des paroxysmes extatiques
accompagnent la révélation progressive du dieu.
La religion romaine traditionnelle avait essentiellement une fonction de
cohésion civique. Les nombreux dieux romains habitaient la Terre, intervenant
souvent dans les affaires humaines. Les cultes à mystères s'adressent à des
divinités abstraites. Les plus connus sont les Mystères d’Éleusis, qui
célébraient les deux déesses, Déméter (Cérès à Rome), et Perséphone, mais
d’autres vénérations concernaient Apollon, Dionysos, Cybèle et Attis, Mithra,
Astarté, Pan, Adonis (et Atargatis, déesse syrienne proche du précédent). Il
faut aussi citer des cultes égyptiens tardifs très cotés à l'époque ptolémaïque
et romaine tels ceux d’Isis, Osiris, Sérapis, ou Anubis. On rencontrait aussi
l'Orphisme, l'Hermétisme (Hermés Trismégiste), et divers Ba’al, (sauveurs),
dont ceux connus en Syrie sous les noms de Jupiter Héliopolitain (ou
Dolichénien), auxquels s'ajoutaient les divers courants gnostiques et le
Christianisme primitif. Les liturgies, prenantes et colorées, s’appuient sur
des initiations successives qui expliquent les significations cachées des
Mystères. Elles sont accompagnées de baptêmes exaltants dont les rites de mort
et de résurrection ponctuent la progression des initiés vers le salut dans un
autre monde. Dans chaque niveau initiatique, des cérémonies marquent l’entrée dans
une fraternité accueillante, et les rituels comportent souvent des repas en
commun qui soudent la communauté.
On distingue
les cultes qui dérivent des mythes agraires, attachés au cycle des saisons, de
ceux qui visent à relier les âmes humaines au domaine divin. Mais les doctrines
intègrent souvent les concepts platoniciens ou mélangent les deux aspects. Un
culte ancien est l'Orphisme, dont le héros, Orphée, bien connu par la légende
d'Eurydice, serait apparu 1300 ans avant J. C. Fils d'Apollon (ou du roi
Œgrus), et de la muse Callipyge, mi-homme, mi-dieu, il serait à l'origine des
Mystères d'Eleusis. Á la fois religion initiatique et philosophie, l'Orphisme
postule que l'âme humaine réside dans la prison du corps pour expier un crime
originel. Elle s'en purifiera, après de nombreuses incarnations, par
l'ascétisme et l'initiation spirituelle. Les Orphistes étaient végétariens.
L'Orphisme, religion de salut, serait un prélude au Christianisme. Dionysos est
aussi un dieu particulier. Fils de Zeus et de Sémélé, qui mourut enceinte en
contemplant la gloire du dieu. Zeus porta l'enfant dans sa cuisse jusqu'à sa
naissance. Deux fois né, Dionysos est le dieu du vin et de la vie exubérante.
Il visita les Enfers, et poursuivi par la jalousie d'Héra, il fut démembré par
les Titans avant de devenir immortel. On le célébrait aux fêtes des Dionysies.
Il était l'objet d'un Culte à Mystère dont le Cortège Dionysiaque de Satyres et
de Ménades, conduit par Silène, aurait déchiré Orphée.
Les Mystères
d’Éleusis célébraient le culte de Déméter (l’antique Terre-Mère préhellénique)
et de Perséphone ou Coré, la fille qu’elle conçut de Zeus. C'est une déesse
agraire qui occupe une place importante dans la religion grecque. Associée à
l’abondance, elle est identifiée à Cérès par les Romains. Dans la légende
éleusinienne, Hadès, dieu des enfers, enleva la jeune Coré. Brisée de chagrin,
Déméter abandonna sa fonction et la Terre devint stérile. Devant le désastre,
Zeus chargea Hermès de libérer Coré. Le rusé Hadès offrit à la jeune femme une
grenade dont elle mangea un seul grain. Ayant goûté à la nourriture des morts,
elle devrait rester aux enfers. Mais Zeus intervint, décidant que Coré
Perséphone passera chaque hiver trois mois chez les morts, et reviendra sur la
Terre des vivants le reste de l’année. Fécondée par Zeus, Perséphone conçut un
fils, Zagréus, dont l’histoire ressemble à celle de Dionysos. Poursuivi par la
jalousie de Héra, (ou Junon), Zagréus revêtit plusieurs apparences. Transformé
en taureau, il fut dévoré par les Titans mais la déesse Pallas, (Athéna),
préserva son cœur. Zeus foudroya les Titans et absorba le cœur de son fils qui,
régénéré, devint Iacchos, assimilé à Bacchus, lui-même identifié à Dionysos.
Ces mythes conjoints semblent provenir de cultes agraires primitifs associant
en syncrétisme les cultes dionysiaques et l’Orphisme.
Les
Eleusinies sont les fêtes les plus connues de ce culte antique. Elles auraient
été instituées à l'instigation de Triptolème, fils de Céréos, qui avait reçu de
Déméter la mission de répandre le blé dans le Monde. Célébrées dans le
Télestrérion chaque année, elles faisaient participer les fidèles à la
résurrection de l’enfant divin revenu de l’empire de la mort. Á Éleusis, avant
l'automne, des cérémonies extérieures préparaient la célébration des Mystères.
Ces préliminaires ont été bien décrits et nous sont relativement connus. Des
reliques mystérieuses, (les hiéra sacrées), étaient transportées en procession
jusqu'à Athènes et déposées dans le sanctuaire "Éleusinion". Une
excommunication solennelle était prononcée contre les impurs, puis les mystes,
(candidats admis), entraient dans la mer pour se purifier. Après quelques jours
de retraite et de jeûne, la procession immense des fidèles et des mystes
retournait à Éleusis, précédée de l'effigie de Iacchos, des hiéra, et des
autorités. Les cérémonies secrètes commençaient dont les rites sont restés
mystérieux. La divulgation en était rigoureusement interdite. Les Mystères
d'Éleusis étaient extrêmement populaires au-delà même de la Grèce, au point que
la salle d'initiation, le Télestrérion, atteignit finalement une surface de
2600 m2. Malgré le nombre immense des fidèles, aucun n'a jamais commis le
sacrilège de rompre cet interdit.
Les rites
séparaient les initiés, appelés à la vraie vie éternelle, des non-initiés,
destinés au bourbier infernal. Après avoir rompu le jeûne, les mystes
recevaient une révélation bouleversante : Bienheureux qui a reçu cette
vision, avant de descendre sous la terre. Il connaît ce qu’est la fin de la
vie. Il sait ce qu’est le principe donné par Zeus. (Pindare, Hymne, vers ~480).
L’initiation assurait par elle-même le salut et la future survie
personnelle du myste. Définitivement sauvé par cette entremise extérieure, il
n’était tenu à aucun comportement moral particulier. En cela, au moins
autant que par la foi en une vie future et l'orientation monothéiste
héritée de l’Orphisme, les Mystères Éleusiniens préparaient le passage du
Paganisme au Christianisme. Toutes ces légendes concordent. Dionysos-Bacchus,
fils de Zeus et de Perséphone, jalousé par Héra, est tué et dévoré par les
Titans primordiaux. Zeus les foudroie. Dionysos ressuscité, nait ainsi deux
fois. Les hommes naissent des cendres des Titans avec leur nature animale et
matérielle, mais leur âme recèle une parcelle du Dieu dévoré. Et dans la
théogonie des Orphistes, six générations divines bouclent sur elles-mêmes.
Phanés, (la Lumière originelle), fils de Zeus, est le premier roi des Dieux,
suivi de Nuit, d’Ouranos, de Kronos, et de Zeus qui remet enfin son pouvoir au
fils, deux fois né, Dionysos, lequel est aussi le retour eschatologique de
Phanés, le Lumineux des origines.
Adonis, Cybèle et Attis
Adonis était le dieu syrio-phénicien des arbres, des fleurs et des
fruits. Son culte évoque la mort et la renaissance de la végétation. Aphrodite
s'éprit d’Adonis dés sa naissance. Elle confia l’enfant à Perséphone qui s’en
éprit à son tour. Zeus partagea le temps d'Adonis entre les deux déesses. Mais
Adonis fut tué à la chasse par un sanglier furieux, et de son sang naquit une
anémone. Les Adonies (Mystères) évoquent la mort et la renaissance de la
végétation. Leurs célébrations avait lieu l'été, à Athènes, Alexandrie, et
Byblos où la fête mobilisait toute la population. Les jeunes filles pleuraient
la mort de l'adolescent et étendaient sa statue sur un lit de fleurs. Le
lendemain, la statue du dieu était redressée et il était proclamé ressuscité.
D'autres rites portaient les femmes à se prostituer aux étrangers et d’en
verser le prix au temple d’Aphrodite. Á Athènes, les femmes la célébraient dans
les maisons. Elles cultivaient des plantes et des aromates dans des terrines, les
célèbres jardins d’Adonis. Les cérémonies et les pleurs se déroulaient
autour des jardinets. La fête s’achevait par la cueillette des aromates et des
graines, promesses de renouveau. Á Alexandrie, la commémoration était un
spectacle. "Aphrodite Isis" et "Adonis Osiris"
s’attendrissaient d'abord dans un décor champêtre, avec banquets, chants, et
danses. Suivait la procession des femmes en pleurs portant la statue d’Adonis
vers la mer. Enfin, Aphrodite descendait aux Enfers et ramenait Adonis
ressuscité dans l’allégresse générale.
Le culte de Cybèle (Kubele) provient de Phrygie, (Turquie actuelle).
C'est la Grande Mère de tous comme des dieux. Souveraine du ciel et symbole de
la Terre Mère originelle, elle était honorée en Asie Mineure sous les
appellations de Kubile, Misa, Hipta. Cybèle fut la première divinité étrangère
admise à Rome. Elle fut assimilée à Déméter et à Cérès. Un culte analogue était
rendu à Ma (ou Sabazios), importé de Syrie. Puis, des dieux syriens ou
égyptiens s’installèrent sobrement puis des temples furent consacrés à Isis,
Astarté, puis Mithra. Mère des dieux, Cybèle était vénérée comme mère de Zeus
ou de Jupiter. A l'origine, le culte de la Magna Mater, était célébré au
sommet des montagnes, ou dans les grottes. Dans le légende, Cybèle devint
amoureuse d’Attis qu’elle avait découvert endormi sur la rive du fleuve Gallos.
Elle le coiffa d’un bonnet étoilé, et le garda auprès d’elle. Attis était fils
de la déesse vierge Dana qui le conçut en mangeant une amande. Il abandonna
Cybèle pour épouser "la fille du fleuve" Sagaritis, une nymphe
dont il était amoureux. Cybèle, folle de colère, provoqua la mort de Sagaritis.
Désespéré, Attis voulut s’autodétruire par émasculation. Emue par sa douleur,
la déesse primordiale ranima le dieu repentant qui revint alors vivre près
elle. D'autre texte disent que Cybèle le changea en pin. En rappel de la
passion d'Attis, les galles, les serviteurs de Cybèle, s'auto castraient
et promenaient un pin au travers des villes.
Le culte de Kubila, (la Grande mère ou Mère des Dieux que les Grecs et
les Romains nommèrent Cybèle ou Agdistis), était le plus célèbre en Phrygie.
Personnifiant la nature féconde, elle était adorée sur le mont Dindymon sous le
nom "Mère Montagne". Elle portait une coiffe en forme de tour.
Abandonnée à sa naissance, elle fut recueillie par un félin qui l'initia aux
Mystères, et c'est pourquoi son trône était gardé par deux léopards (ou deux
lions). Cybèle disposait de toutes les richesses de la terre et elle exigeait
que son époux resta vierge. C'était le jeune berger Attis (ou Atys), fils de
Nana ou Nada, la fille du Dieu fleuve Sangarios (ou Sangarius ou Sakarya). Il
était coiffé d'un bonnet phrygien typique (repris par les révolutionnaires
français en 1789). Les Phrygiens vénéraient aussi Sabazios, dieu représenté à
cheval, ayant pour attribut un serpent. Les Grecs associèrent Sabazios à Zeus
ou à Dionysos, et l'opposèrent à la Déesse d'Éleusis, la Magna Mater, autre
Grande Mère, dont la créature était le taureau. Quand les Carthaginois
d'Hannibal envahirent l'Italie, un oracle de la Sibylle de Cumes énonça
que les ennemis seraient vaincus si le culte de Cybèle était introduit à Rome.
En ~204, lors de la seconde guerre punique, le Sénat romain fit venir du "Métrôon"
de Pergame, en Phrygie, la "Pierre Noire" cubique de Cybèle et le
culte asiatique en fut alors importé. Cette "Pierre Noire" sacrée
était probablement un aérolithe comme celle qui représentait le dieu syrien
"Elagabal".
Plusieurs empereurs romains favorisèrent les cultes de Cybèle et Attis.
Un temple fut construit au mont Palatin où le clergé phrygien en accomplissait
les rites dont la cérémonie du "Lavatio". Á l'origine, début avril,
un char menait l'idole et la Pierre Noire jusqu'au fleuve Almo pour la baigner
avant de la ramener au temple, couverte de fleurs. Puis, un magistrat romain
ouvrait les fêtes dites "Megalensia" et leurs festins. Plus
tard, les solennités des "Attideia" furent autorisées avant le
"Lavatio". Commémorant la passion d'Attis, elles commençaient par une
neuvaine d'abstinences alimentaires et sexuelles. Fin mars, on célébrait
"l'entrée de l'arbre". Les porteurs apportaient au temple un pin
coupé et décoré qui représentait le cadavre d'Attis. Il était longuement adoré
et pleuré puis mis au tombeau le 24 mars, "Jour du Sang", avec un
cérémonial sanglant. Les fidèles et les "galles" dansaient
frénétiquement au son des tambourins et des trompes, en se lacérant pour
éclabousser de sang le pin sacré et ses abords. Des fanatiques se castraient
alors avec des éclats de silex mis à leur disposition. Marqués au fer rouge,
ils s'en allaient en ville jeter cette "moisson du dieu Gallos" en
une quelconque maison dont les habitants devaient alors les nourrir et les
vêtir d'habits féminins. La nuit suivante (Hilaries) préparait la résurrection
d'Attis. Cette fête joyeuse avait un éclat particulier. Elle était
conduite par l'empereur et le Sénat jusqu'au temple où Attis éait proclamé
ressuscité.
La castration étant interdite aux citoyens romains, un sacrifice de
substitution, le Taurobole, (taureau de Ba’al ?), fut institué. Le sang d'un
taureau mutilé se déversait sur le myste alors réputé purifié, revigoré, et
rené, (au sens d’une nouvelle naissance), pour vingt ans, la cérémonie étant
ensuite répétée. Ultérieurement, ce baptême sanglant assura, par lui-même et
par transfert, la résurrection et le salut éternel de l’initié, comme celui
d’Attis après son sacrifice volontaire. Ces rites de mutilation ont pu être
induits par les circoncisions sémitiques. Associant la sexualité et le péché,
elles annonçaient les traditions de célibat et les futures castrations de
pureté de mystiques comme Origène. Dans son traité "Des dieux et du
monde", le néo-platonicien Sallustius nous donne une interprétation
théologique de ce mythe. Cybèle est la grande déesse primordiale qui donne la
vie, et Attis est, en ce monde, l’artisan du changement. C’est pourquoi il est
trouvé au bord du fleuve. Comme les puissances primordiales perfectionnent
continûment les puissances secondaires, la Mère s’éprend d’Attis et lui donne
la puissance céleste symbolisée par la coiffure étoilée. Cependant Attis à son
tour s’éprend d’une nymphe, symbole de la génération. Mais Attis prend
conscience que toute génération est destinée à périr. Craignant donc que du
mauvais ne sorte le pire, il jette sa puissance génératrice dans le monde du
devenir et revient vivre avec les dieux.
On retrouve ici la doctrine d’Hermès concernant le destin de l’âme, la
chute dans la matière et le retour aux dieux au prix du sacrifice de la
personnalité terrestre. Le sacrifice d’Attis préparait sa résurrection.
"Attis est ressuscité ! Evohé !" chantaient les mystes. Dans la
légende égyptienne, Osiris aussi ne devint immortel qu’avec la perte de son
phallus. Mais, fin mars, c'était aussi la fête du printemps et du retour
du Soleil, comme celle de Pâques pour les Chrétiens.
Sérapis,
Isis et Osiris
Á l'époque romaine, la
religion égyptienne n'a plus qu'un rapport lointain avec les cultes archaïques.
Les Lagides ont jumelé les panthéons, et les statues des nouveaux dieux
nilotiques respectaient les canons grecs. Sérapis fut l'une des plus
remarquables de ces figurations nouvelles. Le nom viendrait du mot "oserapis",
ou Osiris-Apis, le "taureau mort", assimilé à Osiris. Les Grecs le
comparaient à Pluton ou à Dionysos le ressuscité. En arrière plan de ces cultes
dits "isiaques" on retrouve les vieux mythes agraires reliés
au retour cyclique des saisons. La mort du héros ou du souverain, ici Osiris,
est suivie de sa résurrection. Les Romains étaient fascinés par l'exotisme des
cultes initiatiques égyptiens. Cependant, après le suicide de Cléopâtre,
incarnation pharaonique d’Isis tuée par un aspic, la ferveur fut très éprouvée,
et la religion temporairement persécutée. La plupart des empereurs
romains l'ont cependant soutenue. Caligula, Claude, Néron, Vespasien, Domitien,
Hadrien, et Marc Aurèle favorisèrent successivement le rétablissement des
cultes alexandrins qui gênaient pourtant l’expansion chrétienne dans l’empire.
Le cruel Commode, autoritairement déifié, poursuivit cette politique jusqu’à la
caricature (et jusqu’à son assassinat). Au 2ème siècle, la religion
égyptienne revitalisée gagna même les provinces extérieures de l’Empire, la
Gaule, l’Espagne, les plaines du Danube, et elle se répandit dans tout le Nord
de l’Afrique, y compris Carthage.
Ce culte de Sérapis fut à l’origine de la diffusion des cultes égyptiens
dans le monde gréco-romain. Sérapis synthétisait Zeus, Osiris et Apis. Ptolémée
Sôter lui fit bâtir le Serapeum, un temple immense et somptueux. Au début de
l'ère, le culte de Sérapis était installé à Rome avec celui d'Isis. Comme les
autres cultes à mystère, l’initiation isiaque comportait une mort fictive. Elle
faisait du myste un nouvel Osiris qui mourrait et ressuscitait chaque année.
Les cérémonies secrètes sont restées assez mystérieuses. Le nom d’Osiris ne
devait jamais y être énoncé. Hérodote lui-même avait été initié et resta très
attentif à ne jamais citer le nom sacré dans la relation de son voyage en
Égypte, vers ~450. Voici comment il en parle. "Dans le temple de
Minerve, à Saïs, on peut voir la sépulture du dieu dont il serait sacrilège de
prononcer le nom (...). On donne de nuit, sur le lac de la Roue, à Délos, des
représentations de sa passion que les Égyptiens appellent des Mystères. J’en
sais beaucoup plus sur ces Mystères, mais je me garderai bien d’en parler,
ainsi que des Mystères de Cérès que les Égyptiens appellent la fête des Rites
(...). A Saïs, la nuit de la fête d’Isis, tout le monde allume des lampes
dehors, autour des maisons. On appelle cela la Fête des Illuminations. Ceux qui
n’assistent pas à la cérémonie veillent quand même chez eux toute la nuit et
allument leurs lampes, si bien que, cette nuit-là, toute l’Égypte est
illuminée.
La culture originaire d'Alexandrie rayonnait tout autour de la
Méditerranée ce qui favorisa l'extension des cultes nilotiques dans tout
l'Empire. Au ~2e siècle, Isis, la grande déesse de vie et de résurrection eut
un autel au Capitole. Elle fut bientôt adorée partout et son culte revêtit des
aspects curieux et une importance considérable. En dépit des réactions et des
destructions périodiquement ordonnées par le Sénat, les cultes égyptiens
restèrent très populaires à Rome, tout particulièrement celui de la déesse
Isis. Il apparaît aujourd’hui que certaines des statues chrétiennes, miraculeusement trouvées, seraient en fait
des idoles antiques consacrées à la très païenne déesse égyptienne. Quelques
vierges noires pourraient être des statues d’Isis. Les cultes isiaques
célébraient quotidiennement des rites qui évoquaient le rôle solaire d’Osiris.
Il y avait un office du matin, avec ouverture des portes du temple, allumage
des feux, présentation aux fidèles de l’eau du Nil, (symbole d’Osiris),
toilette et vêture des statues, chants et prières. Un autre office commençait
l'après-midi vers quatorze heures, avec hymnes et longue adoration extatique.
Il durait jusqu’à l’adieu du soir à la déesse et la fermeture du temple. Les
dévots pouvaient louer des cellules pour la nuit, et une organisation
conventuelle hôtelière permettait même aux fidèles de faire retraite à
l’intérieur du temple. L’organisation des cultes et du clergé était remarquablement
efficace.
La légende d’Isis et d’Osiris était commémorée à Rome par deux grandes
fêtes, celle du Navigium ou du Vaisseau d’Isis, au printemps, et celle
de l’Invention d’Osiris, à l’automne. Les fidèles parcouraient la ville,
frappant aux portes de maisons et agitant leurs sistres pour inviter les
habitants aux célébrations. La fête du Vaisseau d’Isis débutait par un
véritable carnaval, avec costumes divers, ou même des déguisements cocasses.
Une grande procession rigoureusement ordonnancée commençait ensuite. En tête
venaient les femmes couronnées de fleurs, suivies de la foule, portant des
cierges et des flambeaux, puis le groupe des mystes, vêtus de lin blanc et
agitant des sistres sonores. Les prêtres terminaient le cortège. Ils
avançaient, le crâne rasé et tout de blanc vêtus, avec les divers instruments
de leurs fonctiosn, lampes et caducées. Ils précédaient les porteurs des
représentations des dieux, les statues d’Anubis, d’Isis Hathor, des vases d’or
contenant de l’eau Osirienne du Nil. Le Grand Prêtre fermait la marche, portant
une couronne de roses et un sistre d’or. Au bord de la mer un vaisseau
attendait, décoré à l’égyptienne. On disposait autour de lui toutes les figures
des dieux, et les prêtres le purifiaient avec du feu, des œufs et du souffre.
Puis ils le consacraient à Isis et on le chargeait des diverses offrandes
apportées par la foule. Enfin, on le libérait et on le laissait s’en aller en
mer, au gré des courants.
La grande fête initiatique de l’Invention d’Osiris avait lieu fin Octobre.
Elle commençait par trois jours de plaintes, de simulacres et de deuil en
évocation de la mort d’Osiris et de la désespérance d’Isis recherchant les
morceaux du corps démembré par Seth. Au matin du troisième jour, la foule
s’assemblait pour la cérémonie spectaculaire de la fin des retrouvailles. Les
fidèles criaient " Nous l’avons retrouvé ! " et la
joie explosait. Les mystes étaient ensuite baptisés avec de l’eau
lustrale, et le prêtre appelait sur eux la bénédiction des dieux. Il ordonnait
leur purification et donnait des instructions secrètes relatives au déroulement
des Mystères qui devient être célébrés dix jours plus tard. Au soir de
l’initiation, le candidat vêtu de blanc entrait au fond du sanctuaire, et le
vrai mystère commençait. Sur celui-ci, nous ne savons pas grand chose, si ce
n’est que le myste passait alors "le seuil de Proserpine" et
subissait une mort symbolique. Au cours de la nuit, il semble que, nouvel
Osiris, il suivait symboliquement la course du soleil dans le séjour des
morts. A l’aube, avec le soleil du matin, il réapparaissait vêtu de douze robes
qui symbolisaient les constellations. Il était couronné des "palmes
d’Horus" et revêtait "la robe olympienne", attribut
des dieux. Dans cette splendeur, il était alors présenté à la foule, sur une
estrade, face à la statue d’Isis. Ces nouvelles naissances étaient suivies de
banquets, ce jour là et le lendemain.
La présence d'un important clergé permanent et la célébration d'offices
quotidiens constituaient une grande nouveauté dans le monde romain. Ils l'ont
préparé à l'arrivée des imposants ministères chrétiens. Le culte isiaque
accordait une grande importance à la femme. Isis était tout à la fois la mère
universelle, la reine du ciel, et l'image renouvelée de toutes les grandes déesses
gréco-latines, Déméter, Vénus, Artémis, Héra, Cybèle et d'autres. Son culte
plaisant er même joyeux n'était entaché d'aucun rite sanglant. Il répondait
tout autant aux besoins individuels de retraite spirituelle des dévots
solitaires qu'aux aspirations festives collectives auxquelles répondaient les
grandes célébrations saisonnières. Aussi fut-il très populaire. Les statues de
la déesse étaient souvent parées de bijoux précieux et les cérémonies
spectaculaires réjouissaient autant le peuple que les esthètes. Le pouvoir s'en
émut parfois jusqu'à vouloir limiter son influence. Plusieurs empereurs, tels
Auguste ou Tibère, s'y employèrent. Ses temples furent plusieurs fois détruits
puis reconstruits. Le culte fut parfois temporairement interdit dans la Cité et
la statue d'Isis fut même jetée au Tibre, mais d'autres empereurs s'employèrent
à le soutenir. Les cultes nilotiques de Sérapis et d'Isis prospérèrent en
Gaule, en Espagne, en Afrique du Nord, et dans tout le Bassin méditerranéen
jusque dans les lointaines provinces danubiennes, et certaines monnaies
romaines portèrent les empreintes des dieux isiaques.
Mithra et le Soleil
Mithra était un dieu
solaire, mais aussi un sauveur des hommes. Il vint d'Iran par le canal des
Phrygiens, et trouva probablement son origine plus lointaine dans le dieu
indien védique Mitra, " l'Ami ". Son culte est
apparu vers le ~5ème siècle et a donc précédé le mythe chrétien de
plus de 600 ans. Il fut tardivement célébré dans le monde hellénistique qui
tendit à l'assimiler à Hermès. Mithra joua d'abord un simple rôle de médiateur
entre Ahriman, le Mal, et le Dieu suprême, Ahura Mazdä, la Lumière du
Soleil. Il grandit ensuite et en vint presque à l'égaler. "Je le
créai aussi digne de sacrifices, aussi digne de prières que Moi-même, ‘Ahura
Mazdä. (Avesta, Yasht 10, strophe 1). Mithra était une lumineuse image du
Soleil, violent et guerrier, impossible à vaincre. Il fut même assimilé
tardivement au Sol Invictus d'Aurélien. Son culte ne se répandit dans l'Empire
qu'à partir de 90, mais son importance devint ensuite très grande, surtout chez
les militaires. Voyons donc le mythe. Sur l'ordre du Soleil, apporté par un
corbeau, Mithra est associé au salut du monde en mettant à mort un taureau
qu'Ahriman vient d'infecter pour vicier la source universelle de la vie. En
sacrifiant l'animal, il répand son sang éternel avant qu'il soit corrompu. De
cet épanchement, Mithra fait naître les plantes et les autres créatures. Il
arrache ses proies à l'Esprit du Mal et monte ensuite sur le char du Soleil. Il
est donc à la fois démiurge et sauveur, et par ce baptême de sang, ses fidèles
obtiendront l'éternité.
Le culte à Mystère de
Mithra,(Mithriacisme ou Mithraïsme), ne se reliait pas aux antiques
religions agraires. Il était associé à un dieu solaire transcendant qui
intervenait dans les affaires du Monde. Le mythe se retrouve sous diverses
formes dans d'autres religions, car il s'agit d'une divinité très ancienne. Á
l'origine, c'était un dieu iranien bienveillant qui protégeait les justes, et
on l'identifie dans l'Hindouisme à coté d'Indra, dans le Zoroastrisme d'Ahura
Mazda et, peut-être, dans le Manichéisme. Le culte procédait d'un syncrétisme
associant diverses croyances moyen-orientales. Mithra était toujours représenté
portant un bonnet phrygien et tuant un taureau. Á partir de la Grèce, le culte
fut importé à Rome par les légions, et au premier siècle, le Mithra grec devint
le "Mithras" romain, identifié dés le 1er siècle. Son culte avait
lieu dans un temple appelé "mithraeum". Les premiers temples de
"Mithras" furent des cavernes arrosées de sources. Puis on les
construisit en pierre sur ce modèle intérieur. Dans une longues salle, on
trouvait à droite et à gauche, deux banquettes sur lesquelles les fidèles
s'allongeaient à la Romaine pour prendre les repas sacramentels. Un
couloir central reliait l'entrée, où étaient placées des vasques, à l'autel où
était disposée l'image de Mithra éclairée de lampes. La voûte était très
souvent décorée d'étoiles, et les murs ornés de peintures. Le culte était quotidien
et l'on sanctifiait tout particulièrement le dimanche, dédié au Soleil.
De très nombreux temples
consacrés à "Mithra ou Mithras" ont été édifiés du 2ème au
6ème siècle dans tout l'empire romain. Ils étaient toujours de
taille réduite, impliquant de petites confréries, exclusivement masculines.
L’acte cultuel de base était le sacrifice d'un poulet, parfois d'un mouton,
rarement d'un taureau. La victime était consommée au cours d'un repas en commun
commémorant le banquet fait par Mithra et le Soleil après la mort du taureau.
Dans les initiations, on offrait du pain et, semble-t-il, du vin, avec des
invocations secrètes. Le rituel quotidien du Mystère est resté relativement
secret. Nous savons cependant qu'il comportait sept degrés hiérarchiques d’initiation
associés à des symboles astraux ainsi qu'à des fonctions précises et des
positions bien définies dans le temple. Il semble que le premier degré, les
Corbeaux, associés à Mercure, assuraient le service des repas, le second, les
Époux à Vénus, les Soldats à Mars, les Lions, à Jupiter, brûlaient l'encens et
fournissaient le sacrifice, les Perses à la Lune, les Courriers du Soleil
portaient probablement les torches, et le Père lié à Saturne, coiffé d'un
bonnet phrygien, portait une baguette et un anneau comme un évêque. Il était à
Rome le chef suprême de l’église mithriaque. Les initiations étaient complexes.
Leurs cérémonials comportaient divers renoncements, un baptême d’eau, un
marquage au fer rouge sur le front, un simulacre de mise à mort et des rituels
propres à chaque degré.
Selon la légende, Mithra
naquit adulte, sous un arbre sacré, près d'une source également sacrée, d'une
pierre, (d'autres disent d'une vierge). Il portait un bonnet phrygien, une
torche et un couteau, (ce qui dut grandement compliquer la parturition).
Immédiatement adoré, il but à la source, coupa des fruits sacrés et s'en
nourrit, puis il se confectionna des vêtements de feuilles. Dans la montagne,
il rencontra le taureau primordial, le saisit par les cornes et le chevaucha.
L'animal l'entraina dans un galop sauvage et le fit tomber, mais Mithra
s'accrocha à ses cornes jusqu'à l'épuiser. Puis le dieu attacha le taureau, le
chargea sur ses épaules et poursuivit son chemin. Arrivé à la grotte, un
corbeau envoyé par le Soleil lui demanda de faire un sacrifice. L'immolation du
taureau caractérise la statuaire rituelle. Mithra appuie le genou sur le garrot
de l'animal dont il relève la tête. Il le poignarde de la main droite tandis
qu'un chien et un serpent en boivent le sang et qu'un scorpion lui pince les
testicules. Le Soleil et Mithra partagèrent ensuite un repas. On ignore la
véritable signification de l'allégorie. Il semblerait que la scène tend à
représenter la victoire de la vie sur le mal. De nombreux symboles
astrologiques lui sont associés, le serpent (hydra), le chien (canis), le
scorpion (scorpio), le taureau (taurus). Associé à la lune, le taureau
symboliserait la source de la vie viciée par le scorpion d'Arhiman. En tuant le
taureau, Mithra purifie la source de vie et d'incarnation des âmes.
Les mithraïstes
envisageaient la fin du monde comme une conflagration universelle, et à la fin
des temps, la tauroctonie se renouvellera, purifiant l'univers. Le culte de
Mithra impliquait un système cosmogonique complexe, qui donnait à l’astrologie
une place importante dont on retrouve les traces dans les ruines des
sanctuaires. Ce culte n'a jamais réussi à pénétrer les couches populaires et
est toujours resté le fait d'une certaine élite en particulier militaire. Il
est entré en concurrence avec le développement du Christianisme, tout
particulièrement au moment de la promotion par l’empereur Aurélien du culte
solaire dit "Sol invictis". Ces cultes étaient de dangereux rivaux
pour le Christianisme qui prenait de l'expansion. Julien l'apostat essaya donc
de l'affaiblir par la promotion du culte de Mithra et du Soleil. Les
connaissances que nous avons des croyances mithriaques sont incomplètes. Les
informations proviennent surtout d'observateurs chrétiens qui n'étaient pas
fort objectifs, et l'archéologie demeure la principale source d'informations.
Le Mithriacisme ne survécut pas à l'essor du Christianisme qui effaçait ses
symboles et bâtissait ses églises au dessus des vieux temples. Un élément
subsista cependant jusqu'à nos jours. La fête de Mithra avait lieu le 25
décembre. Le Christianisme la perpétua dans la fête de Noël. Le 25 décembre
célébrait la naissance d'un nouveau soleil et cette date fut conservée par les
chrétiens pour célébrer la naissance de Jésus.
Sol Invictus et le Paléochristianisme
Les empereurs romains ont
longtemps essayé de fonder une religion universelle établissant la légitimité
de leur fonction. Ils ont d’abord magnifié le culte de Quirinus, dieu fondateur
de Rome, puis ils ont établi le culte de la ville même, "la Rome
Eternelle", en s'appuyant sur le rôle traditionnellement sacerdotal du
prince. Ils essayèrent ensuite de capter des divinités parmi les plus
populaires, telle Cybèle par Marius, Mä par Sylla, Hercule
Invictus par Pompée. César prétendit prouver son ascendance avec Vénus
et lui fit élever un temple dans son nouveau Forum, (Vénus Génitrix).
Cela permit d'ailleurs au Sénat de diviniser l'empereur de son vivant, et de
lui consacrer un temple particulier sous le nom de Jupiter Julius. Après
la mort de César, son culte fut institué comme Diuus Julius, et
pérennisé. Le fils adoptif de César, Octavien, prit ensuite le titre de Diui
Filius, fils du divinisé, et le culte impérial fut ainsi fondé. Le culte
solaire "Sol Invictis" fut lancé au 3ème siècle par l'empereur
Aurélien qui fit élever un temple magnifique au champ de Mars, en l'an 274.
L'empereur considérait le Soleil comme son protecteur personnel, et il le
proclama "Dieu Souverain de l'Empire Romain". Ce culte nouveau
semble avoir été partiellement confondu avec celui de Mithra ou lui avoir été
pour le moins associé. Aurélien tentait alors de réunir dans un même culte
solaire, les Chrétiens, les Mithriastes, les Syriens et les Isiastes, et il
fixa la fête de la renaissance du Soleil au 25 décembre.
Les traditions romaines
montraient une grande tolérance vis-à-vis de tous les cultes. Par contraste, la
maison de l’empereur avait transformé le respect des exigences du culte
impérial en preuve de loyalisme envers Rome et son empereur. Cette politique
despotique créait de sérieuses difficultés car les mentalités avaient beaucoup
évolué. Les multiples divinités étaient de plus en plus considérées comme les
manifestations diversifiées, les avatars, d’une même unique et grande divinité
universelle. Les antiques sumériens croyaient que l’humanité progressait par
vagues successives vers son accomplissement éternel. Nous dirons qu'au début de
notre ère, la vague humaine franchissait un seuil d'évolution spirituelle. On
comprend mieux alors les tentatives visant à établir un culte national devenu
politiquement indispensable. L'une des divinités pressenties avait d'ailleurs
été Isis, la Suprême Souveraine, la Mère Universelle, dont le culte avait été
encouragé. D'autres étaient sur les rangs, mais le succès d’un culte unique
imposé par l’appareil d’État était aléatoire face aux "Mystères
mystiques" des religions émergentes. Le " Pansolarisme "
d'Aurélien, associé au culte de Mithra, subsista cependant assez longtemps,
jusqu'au tout début du 5ème siècle. Il semble avoir été, avant le
Christianisme, la dernière tentative impériale pour adapter les structures
religieuses d'État à cet "hénothéisme", cette recherche d’une
déité souveraine et universelle, qui progressait rapidement dans les
mentalités.
Après ce relatif échec d’un
culte bâti sur la religion romaine traditionnelle et imposé par l’État, il ne
restait aux empereurs qu'une seule possibilité pour reprendre la main sur
l'évolution des peuples. Il leur fallait promouvoir l'un de ces cultes
mystiques si appréciés, et l'associer aux pouvoirs d'état, politique, civil et
militaire. Logiquement, ils devaient choisir la populaire religion d'amour, de
joie, et d'éternité des pacifiques adorateurs d'Isis, ou bien le culte viril de
Mithra, si voisin du culte solaire universel qu'ils prônaient. Cependant,
étonnamment, pour des motifs tout à fait mineurs, ils firent le choix d'un
autre culte à Mystère venu de la Palestine qui était alors la zone d'influence
romaine la plus active dans le Moyen Orient. Ils choisirent le Christianisme
naissant, et la face du Monde en fut changée. En 325, pour régler des querelles
intestines aux églises chrétiennes, Constantin convoqua le concile œcuménique
de Nicée. Appropriant de façon autoritaire le pouvoir doctrinal et les
structures sacerdotales, et punissant sévèrement les évêques contestataires, il
déclara le Christianisme comme la religion officielle de l'État. Le véritable
instaurateur du Christianisme autoritaire fut cependant l'empereur Théodose
(bientôt excommunié d'ailleurs). La conversion des empereurs puis leur totale
soumission à l'autorité religieuse croissante livra à l'intransigeance
chrétienne tout l'appareil du pouvoir impérial et ses terribles moyens de
coercition. Elle s'en servit durement.
Issus d’Israël dont ils
venaient de se séparer, les Paléochrétiens avaient conservé l'intransigeante
tradition hébraïque. Ils voulaient être un peuple élu parmi tous les autres et
ils attendaient la fin prochaine du Monde. Et, comme les Esséniens, ils se
croyaient, hélas, chargés d’une mission sacrée, faire de leur propre Dieu le
seul Dieu universel. Ils s'y employèrent activement, et en 382, l’autel de
la Victoire, symbole de l'antique religion romaine, fut enlevé du Sénat malgré
les protestations de Symmaque, le Préfet de Rome. "Nous réclamons le
respect pour les dieux de nos pères, les dieux de notre patrie. Il est juste de
croire que tous les hommes adorent le même Un. Car nous regardons les mêmes
étoiles, le même ciel nous recouvre, le même univers nous entoure. Qu’importe
le moyen par lequel chacun de nous atteint la vérité. On ne peut parvenir par
une seule voie à un si grand mystère". Le doux prophète galiléen
prêchait la liberté, la tolérance, le salut par la grâce gratuitement donnée,
et l’amour de Dieu et des hommes. Le dessein de la religion fondée en son nom
fut d’établir impitoyablement sur les structures romaines, l’empire d’un Dieu
jaloux, à l’image du vieux Dieu biblique, forçant la conversion, par le fer et
le feu, le viol des consciences et la torture, la prison et les bûchers.
En 391, les académies et tous les cultes traditionnels furent interdits dans
tout l’Empire, les flambeaux des vieux autels s’éteignirent, les anciens
dieux tombèrent et leurs temples magnifiques furent détruits.
Issus d’Israël dont ils
venaient de se séparer, les Paléochrétiens avaient conservé l'intransigeante
tradition hébraïque. Ils voulaient être un peuple élu parmi tous les autres et
ils attendaient la fin prochaine du Monde. Et, comme les Esséniens, ils se
croyaient, hélas, chargés d’une mission sacrée, faire de leur propre Dieu le
seul Dieu universel. Ils s'y employèrent activement, et en 382, l’autel de
la Victoire, symbole de l'antique religion romaine, fut enlevé du Sénat malgré
les protestations de Symmaque, le Préfet de Rome. "Nous réclamons le
respect pour les dieux de nos pères, les dieux de notre patrie. Il est juste de
croire que tous les hommes adorent le même Un. Car nous regardons les mêmes
étoiles, le même ciel nous recouvre, le même univers nous entoure. Qu’importe
le moyen par lequel chacun de nous atteint la vérité. On ne peut parvenir par
une seule voie à un si grand mystère". Le doux prophète galiléen
prêchait la liberté, la tolérance, le salut par la grâce gratuitement donnée,
et l’amour de Dieu et des hommes. Le dessein de la religion fondée en son nom
fut d’établir impitoyablement sur les structures romaines, l’empire d’un Dieu
jaloux, à l’image du vieux Dieu biblique, forçant la conversion, par le fer et
le feu, le viol des consciences et la torture, la prison et les bûchers.
En 391, les académies et tous les cultes traditionnels furent interdits dans
tout l’Empire, les flambeaux des vieux autels s’éteignirent, les anciens
dieux tombèrent et leurs temples magnifiques furent détruits.
Les peuples de l'Antiquité
romaine considéraient qu'aucune tradition religieuse ne pouvait prétendre
posséder seule la vérité lentement révélée. "Celle-ci est révélée par
les dieux. Elle se répand dans l'humanité sous différentes formes. Chaque
peuple, chaque culte, porte une part des secrets divins.". Cette
attitude permit la coexistence pacifique avec les cultes à Mystères. Tout au
contraire, les Paléochrétiens se révélèrent particulièrement intransigeants ce
qui déclencha l'hostilité de leurs opposants. Elle est déjà manifeste au 2ème
siècle dans la Polémique anti chrétienne de Celse. Nous sommes ceux à qui
Dieu révèle et prédit tout. C'est pour nous seuls qu'il gouverne ../..
négligeant l'univers et le cours des astres.. C'est pour nous seuls que tout a
été fait et est organisé pour nous servir.". Il faut admettre, aussi
douloureux que cela soit pour un Chrétien d'aujourd'hui, (et ce l'est aussi
pour moi-même), qu'à l'époque, l'expansion du Christianisme fut imposée par
l'appareil d'État avec les rigueurs de la loi, en coopération avec
l'activité des hiérarchies religieuses. La situation empira encore
dramatiquement avec un terrible renforcement juridique, et il me semble,
qu'à ce moment, l'Eglise céda à la tentation du pouvoir et quitta la voie
évangélique. Dès lors, il suffit à l'autorité religieuse d'excommunier
quiconque ou de le déclarer hérétique pour le renvoyer devant un tribunal
civil, ce qui le vouait automatiquement à la prison et la torture, au gibet ou
au bûcher. D'innombrables personnes furent, hélas, concernées.
Car, en 435, il devint obligatoire d'être chrétien, sous
peine de mort.
Et cette situation
dura plus de mille ans.
Compléments
Revenons un peu sur cette très vieille Égypte, dont
les temples ruinés sont restés si longtemps oubliés, enfouis sous les sables.
Il y a plusieurs histoires de l’Égypte. Il faut distinguer celles qu’ont
contées les Grecs et les Romains, et celles des philosophes, des théologiens,
ou des romantiques. On ne peut pas bien comprendre son passé si l’on oublie
qu’après la fin de la dernière glaciation le Sahara, quoique aride, était
encore assez verdoyant et que des peuples y vivaient en pratiquant l’élevage de
bovins. Nous allons cependant nous pencher sur l’Égypte qui a surgi du passé
après que l’on ait compris ses hiéroglyphes et commencé à exhumer ses
sarcophages et à interroger ses témoins très souvent gigantesques.
L’Égypte est née du Nil, dans le cours inférieur, les
mille derniers kilomètres du plus long fleuve du Monde, puisqu’il en mesure
environ six mille sept cents. Ce nom d’Égypte est un mot grec tardif. Les
anciens habitants appelaient leurs pays le
Pays Noir, le Kemt, tandis que ses voisins nomades le nommaient Misraïm. Au sud immédiat du Kemp se
situaient la Nubie, (ancienne Éthiopie, Méroé), la région dite de Kouch, et le
pays des esprits. (Soudan).
Dans la préhistoire, le pays était occupé par
différentes peuplades organisées en royaumes distincts réglés par des systèmes
totémiques, ce qui explique peut-être l’aspect souvent zoomorphe des dieux
égyptiens.
- Au Nord, on trouvait le peuple du Cobra, autour de
la ville de Bouto, et le peuple de l’Abeille, autour de la ville de Saïs.
- Plus au Sud, vivait le peuple du Roseau, prés de la
ville d’Henen-Nesout, (Héracléopolis), et celui du Faucon, avec Nekhem,
(Hiéraconpolis), Louxor, et Thinis.
Tous ces peuples s’affrontèrent longtemps dans des
luttes politiques ou des guerres religieuses jusqu’à ce qu’un roi du Sud, le
légendaire Meni, ou Ménès, (ou Aha le combattant), originaire de Thinis,
soumette par les armes l’ensemble de l’Égypte, et en devienne le premier Roi en
l’an ~3407 av. JC. Il fonda alors la première dynastie et la ville de Mennofer,
(Memphis), dans le bas du delta.
L’histoire de l’Égypte est véritablement très longue
puisque, pendant ces trois mille quatre cents ans, trente dynasties comptant de
nombreux pharaons prendront la tête du pays jusqu’à la mort de Cléopâtre, en
l’an ~30 av JC, pendant la conquête romaine après que l’influence grecque
d’Alexandre et des Lagides l’ait complètement tranformée. Beaucoup d’événements
se sont produits, invasions et conquêtes, tyrannies et révolutions. La
constante en est cependant l’émergence d’une foi en la survie de l’âme.
Pour comprendre le système politique et le panthéon
religieux égyptien il faut prendre en compte la complexité de ses origines. Chaque
de peuple avait ses propres traditions, ses légitimités hiérarchiques, ses
dieux locaux et ses systèmes
théogoniques originels particuliers, qui se combinent avec les dieux des
autres. C’est très compliqué et très surprenant.
En Basse Égypte, la principale ville est Héliopolis.
Dans cette Cité du Soleil, on adore la Trinité Solaire.
Atoum, Dieu
créateur, à la fois Totalité et Néant, Soleil du Soir.
Ré, Dieu
créateur, Soleil du Midi.
Khépri, Dieu
créateur, Devenir, Soleil du Matin,
On révère aussi les divinités élémentaires.
Chou, l’Air,
Tefnout, l’humidité.
Geb, la Terre.
(Masculin - Homme couché)
Nout, le Ciel
étoilé. (Féminin - Femme en arc de cercle).
Dans le delta du Nil, d’autres divinités sont
identifiées.
Osiris, Dieu
de la fécondité, Mort et ressuscité, Juge des morts.
Isis, Mère,
Épouse, Magicienne.
Seth,
Puissance maléfique, Dieu de la pluie et du désert.
Nephtys,
Épouse de Seth.
Ouadjet, la
Verte, la Basse Égypte.
Dans la région des pyramides, vers Memphis.
Ptah, Dieu
créateur, artisan du Monde.
Apis, incarne
Ptah le fécondateur.
Sekhmet,
Puissance maléfique, destructeur, mort, maladies.
Nefertoum,
fils de Ptah et de Sekhmet.
En Moyenne Égypte, il y a d’autres divinités.
Autour d’Hermopolis,
Thôt, dieu de
l’écriture, de l’intellect, et conducteur des morts.
Autour de Tell El-Armana.
Aton, le
disque solaire, seigneur du cosmos.
En Haute Égypte, région de Thèbes, Karnak, Louksor, on
a un panthéon complémentaire.
Amon,
d’origine thébaine, devenu le Dieu Universel.
Mout, l’épouse
d’Amon.
Khonsou, fils
d’Amon, Dieu de la Lune.
Horus, Fils
d’Osiris et d’Isis, s’incarnant dans les pharaons.
Anubis, Fils
d’Osiris et de Nephtys, qui préside aux funérailles.
Hathor, Le
ciel, la joie, l’amour.
Min, Dieu de
la reproduction.
Nekthbet, le
symbole de la Haute Égypte.
Et peut-être
Thoueris, qui préside aux accouchements.
Il faut ajouter des divinités fondamentales d’origine
inconnue.
Maât,
l’Équilibre, l’Ordre divin, l’Ordonnateur universel.
Noun, L’ennemi
de Maât, le Désordre, l’Océan des possibles.
Apophis,
l’ennemi de Ré, le Serpent, le Chaos primordial.
L’étude de la cosmogonie égyptienne réserve quelques
surprises et permet des rapprochements remarquables tant avec les idées de la
cosmophysique qu’avec des concepts métaphysiques ou religieux antiques et modernes.
A l’origine, le Monde était informe et vide !
On y trouvait Noun, l’océan primordial des possibles,
le chaos primordial essentiel, le lieu de toutes les potentialités. De Noun
procéda Atoum, le premier dieu primordial. Créateur issu du néant chaotique
auquel il retourne, il est à la fois la totalité de l’être et le non-être. Il
est Tout en ce sens qu’il n’est rien en particulier. A partir d’Atoum vont naître
toutes les forces naturelles et tous les autres dieux. Créateur, démiurge,
architecte de l’Univers, il est un dieu solaire.
Il se manifeste aux hommes sous les trois formes
associées au Soleil, Ré-Atoum-Khepri, et visualise quotidiennement la grande loi
universelle. Chaque jour la barque du Soleil parcourt les cieux, et chaque soir
celle d’Atoum, soleil moribond, s’enfonce dans l’océan des eaux primordiales,
dans l’abîme du chaos originel dont il est issu qu’il traverse, et dont il
renaît à l’aurore sous la forme de Khepri, soleil de matin revivifié et recréé,
symbolisé par un scarabée, avant de monter au Zénith et d’y flamboyer, en tant
que Ré dieu créateur et soleil vivifiant du midi. Ce sont les symboles du
destin humain.
On trouve là
tout à la fois le concept scientifique moderne du vide originel énergisé d’où
notre univers émergea un jour par une transmutation mystérieuse, les concepts
antiques d’un Dieu primordial omnipotent qui a créé le Monde à partir du Chaos
et qui s’y manifeste en Trinité, et l’idée tellement importante de la
résurrection et de la vie éternelle qui constitue l’apport majeur de la pensée
égyptienne à l’humanité.
Au commencement, par sa volonté et sa propre génitalité, Atoum suscita deux élémentals primordiaux, Chou, l’Air, (de genre masculin), et Tefnout, l’Eau, l’humidité, (de genre féminin), qui se tiennent dans le cosmos. A leur tour, Chou et Teftout engendrèrent, (et non plus suscitèrent), le couple terrestre primordial, Geb, le sol, de genre masculin, fort évident sur certairec peintures), et Nout, le ciel des origines et, plus tard, la voûte céleste étoilée, (de genre féminin). Geb et Nout se tenaient toujours étroitement embrassés. Le Soleil créateur, Ré, ordonna qu’ils soient séparés. Chou, l’Air, se glissa entre le sol et le ciel, et il éleva Nout qui depuis lors se tient courbée en arc au-dessus de la terre, en formant dorénavant de son corps la voûte étoilée du ciel.
Cependant, la séparation de Geb et de Nout
n’interrompit pas leur étreinte. De leur union naquirent quatre enfants jumeaux
qui formèrent ensuite deux couples, Osiris et Isis, Seth et Nephtys, dont
l’histoire mythique fonde les cultes et
tous les rites de l’Égypte.
La subtilité du mythe égyptien consiste à donner à
Geb, le mâle géniteur, actif par nature, ici cependant couché, un rôle passif
dans la génération du Monde, tout en réservant à Nout, la mère au ventre piqué
d’étoiles, essentiellement passive par nature, ici courbée au-dessus de Geb, un
rôle réellement actif dans l’incitation et la production de sa propre
fécondation. Le mythe porte en lui la justification des coutumes égyptiennes
d’union incestueuses des pharaons, frères et sœurs, puisqu’ils incarnent Horus,
fils d’Osiris et d’Isis, et sont porteurs légitimes de la filiation divine. On
y trouve aussi les idées relatives à l’antagonisme des forces créatrices et
destructrices entraînant la variabilité du Monde et sa destruction inexorable.
Voilà, aux yeux des anciens Égyptiens, comment le
Monde antique est issu du chaos primordial, comme le Cosmos moderne est issu du
vide énergétique, et comment les forces naturelles, ou les dieux, ont commencé
à le créer et à l’organiser. Ce Monde reste en équilibre tant qu’il se conforme
aux prescriptions de Maât, l’Ordre Divin, auquel est due une stricte obéissance.
Cet équilibre est toujours précaire et
temporaire. La création actuelle est incertaine et changeante car elle n’a pas
épuisé les potentialités de l’Océan illimité des possibles, et l’Ordre divin
reste toujours menacé par son éternel ennemi le Désordre, l’indestructible
Noun, le Chaos originel.
Les Égyptiens croyaient plus en une longue survie
qu’à l’immortalité.
Après le mythe solaire fondamental, voulez-vous celui
d’Osiris. Fils de Geb, (le sol terrestre), et de Nout, (la voûte céleste), Osiris,
Dieu de la fécondité, fût le pharaon fondateur et le roi légitime de l’Égypte.
Après avoir proscrit l’anthropophagie, il enseigna aux hommes les techniques de
l’agriculture et de l’élevage. Il fonda les premières villes. Il bâtit les
premiers temples aux dieux et instaura leur culte. Il donna au peuple égyptien
ses lois et le soumis à l’ordre divin universel, (manifesté dans la divinité
Maât).
Osiris, pharaon de droit divin, étant un dieu ne
pouvait épouser qu’une déesse. Il épousa donc sa sœur Isis, l’épouse magicienne
et la mère des tous les vivants. A sa suite, ses descendants, les pharaons,
incarnations divines de son fils Horus, épousèrent donc leurs sœurs. Le pouvoir
du Pharaon, Dieu incarné, était absolu. Toute l’Égypte lui appartenait, y compris
ses habitants qui ne détenaient que les usufruits consentis. Tous les hommes
étaient ses serfs et toutes les femmes étaient potentiellement ses épouses.
Seth, le frère
jumeau d’Osiris. était stérile. Dieu maléfique de la pluie et du désert, il
jalousait la royauté civilisatrice d’Osiris et voulait le punir d’avoir donné à
leur commune jumelle Nephtys, sa propre épouse, un fils divin, Anubis. Seth tendit un piège, fit allonger Osiris
dans un coffre qu’il referma, le faisant
mourir d’asphyxie. Le coffre fût jeté dans le Nil, retrouvé et caché par Isis,
et finalement repris par Seth qui démembra le corps et en fit quatorze morceaux
qu’il dispersa dans toute l’Égypte.
Isis et sa sœur Néphry les recherchèrent et les
retrouvèrent sauf le phallus qui, avalé par un poisson, dût être refait en
bois. Isis reconstitua le corps mort d’Osiris et l’enveloppa de bandelettes.
Anubis, sur l’ordre de Ré, pratiqua alors le premier rite de l’embaumement et
Isis la magicienne, la mère de tous, battant des ailes au-dessus de son époux,
le ramena à la vie. Elle s’unit à lui et donna plus tard naissance au premier
successeur d’Osiris-Pharaon, Horus, celui qui s’incarnera dans les futurs
pharaons.
Osiris, privé de son phallus, perdit sa royauté mais
gagna l’immortalité divine. Ressuscité, il devint le roi des royaumes des morts
et leur juge. De son coté, Seth fut vaincu par Horus qui perdit un œil dans la
bataille. Seth, castré et réduit à l’impuissance, demandera son pardon et
deviendra le batelier de la barque solaire de Ré, à l’avant de laquelle il
repousse éternellement les tentations mortelles proposées par Apophis, le
Serpent, le Chaos primordial.
Osiris, Dieu, fils de Dieu, sacrifié,<
mort et ressuscité.
Image terrestre de la mort et de la résurrection
quotidienne du Soleil, Osiris est devenu, par sa passion et sa résurrection, le
témoin et le gage de la résurrection et de l’immortalité de l’homme. Il faut
cependant insister sur l’importance primordiale du rite de l’embaumement
institué par Anubis. C’est ce seul rite qui garantit la survie et l’accès au
royaume des morts, en assurant la conservation du véhicule corporel à travers
les vicissitudes du temps. A l’origine, elle était le privilège des pharaons,
qui donc seuls survivaient. Sa démocratisation ne se fit que très lentement, à
travers un certain nombre de grands désordres et de révolutions.
Pour définir l’être humain, les Égyptiens prenaient en
compte de nombreux aspects de la personnalité. Il n’est pas facile de préciser
lesquels. La bipolarisation simple corps-âme,
à laquelle nous sommes traditionnellement habitués, ne convient pas, non plus
que la division ésotérique ternaire corps-âme-esprit.
Les notions égyptiennes définissant l’individualité sont beaucoup plus subtiles.
· Le corps
matériel est la partie visible
objective de l’individu.
· Le caractère est responsable du comportement social et différentie
les gens les uns des autres.
· Le ba, (l’âme
supérieure), l’échassier ou l’oiseau
à tête humaine, est une fonction particulière aux vivants qui relie le réel
et l’imaginaire, le passé et l’avenir, les dieux et les hommes, l’au-delà et
l’ici-bas, et qui assure la continuité de la personnalité. C’est le ba des
dieux qui descend dans leurs images ou
les animaux sacrés qui les incarnent dans les temples, et c’est son ba propre
qui réactive le Soleil le matin.
· L'ombre, source vitale des passions, est indissociable du
corps jusqu’à ce que la mort l’en sépare. Elle est parfois confondue avec le
ba. La victoire sur la mort assure à la fois le retour de l’ombre et celui des
autres éléments de la personnalité.
· Le nom est un déterminant fondamental de l’être, propre aux
dieux et aux hommes, puisque c’est le moyen magique qui permet de les appeler,
donc d’agir sur leurs personnes, et de rappeler les morts à la vie. C’est pour
cela qu’on transformait les noms pour les mettre en accord avec les
comportements, et qu’on effaçait ceux des personnalités condamnées ou rejetées.
· Le ka est le double (éthérique) de la personne, humaine ou
divine, sa faculté d’accomplir les actes de la vie, sa force vitale immortelle.
Il est parfois confondu avec le nom. Les rites funéraires ont pour principal
objet de réactiver cette fonction.
· L’akh est la nouvelle nature inconnue que prend l’homme
après la mort, son fantôme lumineux d’ordre surnaturel.
· Le cœur, que possèdent seulement les hommes et les dieux, est
à la fois la mémoire qui évoque et l’imagination créatrice qui est mise en
œuvre par la parole. Il est l’habitat du Dieu Sia, la connaissance, et celle de tout autre dieu particulier qui
possède éventuellement l’individu. C’est aussi dans le cœur que l’on trouve le
courage et la vie affective.
· Le Iakhu, l’esprit sanctifié, le Sahu, le corps glorieux, et le
Nom, ne meurent pas, demeurant
éternellement dans Osiris.
Pour assurer la survie au-delà de la mort, il était
nécessaire de préserver tous les éléments constitutifs de la personnalité,
parmi lesquels la sauvegarde du corps tenait un rôle de premier plan.
L’embaumement des cadavres était une opération très importante car la survie
dépendait de la ressemblance et de l’état de conservation des corps.
La préparation de la momie demandait environ trois
mois, à la suite desquels les funérailles officielles étaient célébrées. La
momie était placée dans un ou plusieurs sarcophages fabriqués à sa ressemblance,
et elle ne devait plus jamais en sortir. Elle était ensuite déposée dans un
tombeau sûr, garni de tous les éléments nécessaires à la vie ordinaire, y
compris les 365 statuettes des serviteurs, les
répondants, qui assumaient les travaux et répondaient aux éventuelles demandes.
Alors le long voyage des morts vers l’Amenti, le pays des ombres, pouvait
commencer.
Le tribunal des morts était présidé par Osiris assisté
de quarante-deux juges à corps d’hommes et têtes d’animaux. Le tribunal
procédait à l’interrogatoire puis à la pesée du cœur devant les Maîtres de
Justice, Horus et Anubis. Si l’âme répondait correctement aux questions
rituelles, et si son cœur était assez léger, elle était admise au Paradis,
parfois dans la barque solaire partageant sa course autour du Monde. Si elle
était jugée coupable, elle descendait dans l’Enfer égyptien, obscur lieu de
terribles châtiments et de multiples supplices, antique annonciateur de l’enfer
de soufre et de feu des Chrétiens.
CHAPITRE 6
La religion des Romains
Introduction
Les dieux des Romains apparaissent analogues à
ceux des Grecs, mais leurs religions sont très différentes. Les peuples grecs
et romains ont une origine indo-européenne commune et, lorsqu’ils ont migré
vers des territoires différents, ils ont amené avec eux les mêmes antiques
fondements religieux. Ils les ont ensuite développés dans des contextes
distincts. Quand ils se sont rencontrés, ils ont procédé aux rapprochements qui
leur semblaient possibles. Les dieux des Grecs et des Romains n'étaient pas
transcendants. Ils habitaient le Monde, comme les Hommes, ils étaient immortels
et le plus souvent invisibles. Mais les Grecs se souvient beaucoup des origines
du Monde, des dieux et des hommes, tandis que les Romains s'intéressaient bien
plus à l'histoire de leur cité. On trouve chez les premiers des cosmogonies
complexes, parfois diversifiées, et une ouverture métaphysique qui est
inexistante chez les seconds. Pour les Romains, l'histoire du Monde commence
avec la fondation de Rome, et leur religion constitue une sorte de pacte avec
les dieux fondée sur le respect rigoureux des rites établis. Les Grecs n'ont
pas de clergé, les Romains en ont plusieurs. Á terme cependant, les deux
peuples se détacheront pourtant de leurs dieux innombrables, et ils
accueilleront avec une relative facilité les étranges Cultes à Mystères
importés d'Orient, ceux d'Isis, de Cybèle, ou de Mithra, et même le
Christianisme primitif. Si les Grecs nous ont laissé la démocratie et la
philosophie en héritage, les Romains ont mis en place, malgré leur grande
cruauté, les fondements du droit et de la loi écrite, ce qui demeure au autre
bien précieux. En ce sens, ces anciens méritent notre respect car leurs travaux
encadrent encore notre vie quotidienne.
La religion étrusque
L'antique
religion étrusque pratique l’art antique de la mantique comme les
Égyptiens et les Chaldéens. Elle est fondée sur trois groupes de livres sacrés.
Le premier concerne l’aruspicine, observation du ciel et des oiseaux, et
l’extispicine, l'ensemble des techniques divinatoires liées aux sacrifices,
(Examen des comportements des victimes, disposition des viscères, couleurs des
flammes et fumées des bûchers, etc..). Ces pratiques inspirées ressemblent à
celles des devins babyloniens. Les haruspices utilisent des maquettes précises
de viscères d’animaux. Les pratiques qui permettent de modifier éventuellement
un destin défavorable ou funeste sont précisément codifiées. Les livres du
second groupe enseignent la divination par l’observation de l’aspect des éclairs.
Le ciel est partagé en seize parties déterminées par les quatre points
cardinaux et l’axe Nord/Sud. L’observateur fait face au Sud. Les indices sont
favorables à l’Orient, et défavorables à l’Occident. La signification des
éclairs et du tonnerre est définie pour chaque jour de l’année. Onze sortes de
foudres sont associées aux différents dieux toscans concernés, (dont les
maladroites approximations romaines seront Jupiter, Junon, Mars, Saturne, et
Minerve). Ces livres expliquent la signification des prodiges et des phénomènes
extraordinaires rencontrés dans la nature. Tout est soigneusement réparti et
catalogué, plantes, animaux, ou événements insolites. Les livres du troisième
groupe règlent la répartition des terres et propriétés entre les membres des
communautés, selon un code précis. Ils régissent également la disposition et
l’orientation des différents édifices.
La religion des Romains n'intègre aucune cosmogonie ou hypothèse sur les
origines de l'Univers, des dieux ou des hommes. Elle est bâtie sur la seule
immanence de l'existence et de l'histoire de Rome. Quand Romulus et Remus
consultent les présages, ils observent le vol des oiseaux. Remus observe six
vautours. Romulus prétend en avoir vu douze et s'arroge le droit de choisir
l'emplacement. Rendu furieux, Remus en franchit la marque et se fait tuer. La
légende de sa fondation place d'emblée la ville sous les signes du sang et de
la violence, et son destin en restera marqué. L'observation du vol des oiseaux
est une pratique divinatoire relevant de la religion étrusque. La
présence des Étrusques, (ou Toscans), dans la péninsule est constatée dès le
~13ème siècle. Ils y établissent une civilisation urbaine,
épicurienne, spécifiquement marquée par la place importante tenue par les
femmes. Outre Rome, ils fondent de nombreuses villes et ports dans le Latium,
en Toscane et en Ombrie, mais peu d’édifices en ont subsisté. Il semble que les
temples étaient construits par groupes de trois, correspondant aux triades
honorées, disposés aux points cardinaux où étaient placées les quatre portes
des cités géométriques. Les objets de pierre sculptée, de céramique, ou de
terre cuite, ainsi que les bijoux d’or, d’argent, ou d’ivoire, témoignent d’une
bonne habileté technique et d’une grande richesse artistique. Vaincus par les
Grecs à Cumes en ~474, les Étrusques sont ensuite chassés de Rome.
Prédécesseurs des Romains qui les battent définitivement en ~350, ils
influencent cependant très largement leurs arts, leur architecture, et surtout
leur urbanisme.
L'importance des nécropoles et des rites funéraires montrent que
l’au-delà est au centre des préoccupations des Étrusques. Leurs livres sacrés
enseignent que l’observance des rites permet d’accéder à une forme
d’immortalité, paradisiaque ou infernale, selon les cas. Leur religion tente
d’influencer le cours des choses en apaisant les dieux et en organisant
soigneusement la vie civile. Après la disparition de Romulus, le second roi de
Rome, Numa Pompilius, fonde les cultes sur la base (de tradition étrusque)
d'une triade fonctionnelle dite "précapitoline", dans
laquelle, Jupiter, (Dyos Piter, Dieu le Père, en sanscrit), représente
la souveraineté, Mars, la fonction guerrière, et Quirinus (Romulus), le
dieu du peuple, les fonctions de production et de fécondité. Plus tard, une
nouvelle triade s'y substitue associant Jupiter, Junon, son épouse, et Minerve,
la protectrice de Rome. La religion devient civique, ritualisée et officielle.
Elle est organisée par et pour l'État, et ses cultes sont légalement autorisés
ou interdits. Elle concerne essentiellement les citoyens romains et se montre
relativement tolérante envers les cultes des étrangers. Elle a pour mission de
préserver la "pax deorum", la paix des dieux, condition qui
assure la prospérité de la Cité, la victoire dans les guerres et la cohésion de
la société. L'efficacité des cultes dépend de la bonne réalisation des rites,
soigneusement exécutés. Les Romains ne craignent pas leurs dieux qu'ils
révèrent comme des entités supérieures très puissantes, particulièrement honorables,
qui entretiennent avec les humains des rapports de réciprocité et garantissent
leur bienveillance en réponse aux marques de piété.
Sur la fondation de Rome, des légendes incertaines sont confondues dans
la tradition littéraire qui situe son origine à la fin de la Guerre de
Troie. Enée, un chef troyen, fils d'Anchise et de Vénus, fuit en bateau,
débarque au Latium et épouse Lavinia, fille du roi Latinus. Son fils Ascagne
fonde la ville d'Albe. L'un de ses descendants, Numitor est dépossédé par son
frère Amulius. Sa fille Rhéa Sylvia, pourtant vestale, devient mère de deux
jumeaux, engendrés par Mars. Amulius fait noyer Rhéa et dépose les deux enfants
dans une corbeille sur le Tibre. Échoués au pied du Palatin et nourris par une
louve, ils sont recueillis par deux bergers qui les nomment Romulus et Remus.
Les enfants grandissent puis font rendre sa couronne à Numitor. Ils en
reçoivent une vaste terre près du Tibre, et décident d'y fonder une ville. Les
présages donnent la primauté à Romulus qui trace à la charrue les futurs
contours de sa ville. Remus en ayant franchi le sillon par bravade,
Romulus le tue, fondant Rome par le sang de son frère. Le peuple Samnite était
établi dans l’Italie centrale au ~5ème siècle. Après trois guerres
dont la seconde est perdue par les Romains, (qui doivent passer sous le joug
humiliant des fourches caudines), un traité mit fin au conflit, unissant
définitivement les deux peuples. Les Samnites nous sont connus par l’épisode de
l’enlèvement des Sabines, (des Samnites), par les compagnons de Romulus qui
organisent de grands jeux en l'honneur du dieu Consus, puis s'emparent des
filles de leurs invités. Une guerre féroce éclate. Les Sabines qui ont épousé
leurs ravisseurs, séparent les combattants et les réconcilient.
L'organisation des cultes à Rome
Après la mort du roi sabin Tatius, Romulus règne seul. Il disparait un
jour pendant un orage. On en conclut que son père, Mars, l'avait enlevé, et il
est adoré depuis comme un dieu sous le nom de Quirinus, l'un des trois principaux
dieux du panthéon Romain. Les activités civiles et religieuses sont confondues
à Rome. Elles sont régies par un calendrier cyclique mal connu, (qui change au
cours du temps en demeurant assez différent du nôtre). Le plus ancien ne
dénombre que 55 jours ouvrables, le reste de l'année étant réservé
aux fêtes et aux dieux. Sous la République, il y a 45 jours de fêtes
religieuses et 60 jours de jeux publics (qui furent portés à 175 sous
l'Empire), environ un jour sur deux. L'année romaine est calée sur le cycle
lunaire. Elle commence en Mars et ne compte initialement que 304 jours répartis
sur dix mois (numérotés de un à dix). On attend ensuite environ 60 jours
jusqu'à ce que le grand Pontife déclare ouverte l'année nouvelle. Le roi Numa
Pompilus ajoute deux mois de 25 jours à ce calendrier en les consacrant à
Janus et Fébruus, (la correction nécessaire a lieu tous les quatre ans).
Jusqu'au 1er siècle, les Romains ignorent également la semaine. Trois jours
marquent la division du mois, les "Calendes", (premiers jours), où
l'on proclame les cultes du mois, les "Ides" qui en marquent le
milieu, et les "Nones", neuvièmes avant les Ides. Les dates sont
calculées en reculant par rapport au repère suivant. Jules César reforme ce
calendrier en ~46 en le calant sur un cycle solaire de 365 jours, et Constantin
introduit officiellement la semaine de sept jours en 321 après J.C.
Calendrier romain
MARTIUS - 31
Jours
APRILIS - 30 Jours
MAIUS – 31 Jours
IUNIUS - 30 Jours
QUINTILIS -31 jours
SEXTILIS - 31 jours
SEXTILIS - 30 jours
SEPTEMBER – 30 Jours
OCTOBER – 31 Jours
NOVEMBER – 30 Jours
DECEMBER – 30 Jours
Commençant en mars et se terminant en décembre, l’année romaine de dix
mois ne comptait donc que 204 Jours. Ce calendrier
fut remplacé par le « pompilien » qui lui ajouta 50 jours, et les jours furent
répartis sur douze mois, en ajoutant ceux de janvier et février, après
décembre. Les mois ne comptaient alors que des nombres impairs de jours car les
nombres pairs étaient considérés comme néfastes. Le calendrier continuant à
dériver, il fut remplacé par le calendrier Julien comptant douze mois de 30 ou
31 jours (sauf février qui comptait 28 ou 29 jours).
La semaine romaine
Samedi
(saturnus dies),
Dimanche (solies dies),
Lundi (lunus dies),
Mardi (martis dies),
Mercredi (mercurii dies),
Jeudi (jovis dies),
Vendredi (veneris dies).
Correspondance des noms des dieux grecs et latins
Grec |
Latin |
Dieu ou déesse |
Gaïa |
Terra |
Déesse-mère, personnifie la Terre |
Ouranos |
Uranus |
Dieu-père, personnification du Ciel |
Cronos |
Saturne |
Titan, père de Zeus |
Rhéa |
Cybèle |
Titanide, épouse de Cronos/Saturne |
Zeus |
Jupiter |
Roi des dieux |
Héra |
Junon |
Déesse du Mariage, épouse de Zeus/Jupiter |
Hadès |
Pluton |
Dieu des Enfers |
Poséidon |
Neptune |
Dieu de la Mer |
Déméter |
Cérès |
Déesse de la Terre et de l'Agriculture |
Hestia |
Vesta |
Déesse du Foye |
Grec |
Latin |
Dieu ou
déesse |
Arès |
Mars |
Dieu de la Guerre |
Athéna |
Minerve |
Déesse des Arts et de la Science |
Héphaïstos |
Vulcain |
Dieu du Feu et de la Forge |
Apollon |
Apollon |
Dieu de la Lumière, des Prophéties et de la Vérité |
Artémis |
Diane |
Déesse de la Chasse et de la Nature |
Hermès |
Mercure |
Messager des Dieux |
Dionysos |
Bacchus |
Dieu de la Vigne et du Vin |
Eros |
Cupidon |
Dieu de l'Amour |
Hélios |
Sol |
Dieu du Soleil |
Perséphone |
Proserpine |
Déesse de la Mort et de la Fertilité |
Asclépios |
Esculape |
Dieu de la Médecine et de La Santé |
Il y a à Rome, de nombreux
prêtres répartis en deux groupes, les Collèges et les Sodalités. Mais la notion
de laïcité n'existe pas et tout citoyen peut se transformer en célébrant puisque
la religion n'est qu'un rituel destiné à maintenir la bienveillance générale
des dieux. On comptait trois puis quatre Collèges dont les Pontifes, avec un
rôle est très important car ils dirigent toute la religion romaine, les
Augures, chargés d'interpréter les désirs des dieux par l'observation des
signes divinatoires, les Quindecemviri qui consultent les Livres Sibyllins dans
le même but, et enfin les Septemviri qui supervisent les jeux publics, le culte
rendu à Jupiter Capitolin et les banquets sacrés. Il y a 16 Pontifes majeurs,
issus des sénateurs et 3 Pontifes mineurs, issus des chevaliers. Nommés par
cooptation, ils sont sous l'autorité du (Pontifex Maximus), le
Grand Pontife (ultérieurement l'empereur), qui désigne parmi eux le Rex
Sacrorum, le roi des choses sacrées, un patricien indissolublement marié
qui a un rôle sacerdotal particulier. Les Pontifes sont en charge de
l'important calendrier. Ils président toutes les fêtes traditionnelles,
conservent les archives religieuses, jugent certaines affaires privées (deuils,
mariages, testaments), Ils examinent les prodiges retenus par les Augures,
et consacrent les lieux et monuments publiques. Á l'origine, ils
entretenaient un pont sacré, d'où leur nom. Dans le même collège, on trouve
aussi les Vestales et les quinze Flamines dont trois majeurs, le Flamine de
Jupiter, Flamen Dialis, le Flamine de Mars,Flamen Martialis, et
le Flamine de Quirinus, Flamen Quirinalis
Les Vestales sont les prêtresses de la déesse du feu Vespa,
personnification divine des foyers. Vénérées par tous les Romains, elles
entretiennent le feu perpétuel qui brûle dans le temple pour symboliser l'âme
des ancêtres, feu qu'on ne peut rallumer qu’aux rayons du soleil, avec des
miroirs, si jamais il s'éteint. Les Vestales sont des jeunes filles choisies
dans les familles patriciennes, dès l'âge de six à dix ans. Parfaites et sans
défaut physique, elles doivent rester vierges et demeurent en service pour
trente ans. Elles sont au nombre de dix-huit, six en exercice, six novices et
six anciennes. Pendant les dix premières années, elles sont instruites par les
aînées, pendant les dix années, elles exercent effectivement leur ministère, et
pendant les dix dernières, elles instruisent les novices. Elles rentrent
ensuite dans la société et peuvent se marier. Le Grand Pontife les nomme par
tirage au sort, et c'est aussi lui qui les punit très sévèrement quand elles
laissent le feu s'éteindre. Astreintes à la virginité, les vestales doivent
avoir une absolue pureté de mœurs. Celle qui manquerait au vœu de chasteté
serait emmurée vivante dans un caveau avec quelques provisions et une lampe à
huile. Comme tous les hauts dignitaires, elles sont précédées d'un licteur et
suivies de nombreuses femmes et d'esclaves lorsqu'elles se déplacent. Elles peuvent
faire gracier un condamné à mort rencontré sur leur Elles ne dépendent que du
collège des pontifes, et sont souvent appelées pour apaiser les petits conflits
familiaux. Vêtues de blanc avec un voile orangé, elles peuvent porter un
manteau pourpre et garder toute leur chevelure.
Placés sous l'autorité du Pontifex Maximus, les Flamines sont attachés au
culte d'un seul dieu. Trois flamines majeurs sont issus des patriciens, celui
de Jupiter, Flamen Dialis, le Flamine de Mars,Flamen Martialis, et celui de Quirinus,
Flamen Quirinalis. Les douze autres, issus des plébéiens, regroupent les Flamen
Carmentalis (Carmentis), Flamen Cerialis (Ceres), Flamen Falacer (Falacer),
Flamen Floralis (Flora), Flamen Furrinalis (Furrina), Flamen Palatualis
(Palatua), Flamen Pomonalis (Pomona), Flamen Portunalis (Portunus), Flamen
Volcanalis (Vulcain), et Flamen Volturnalis (Volturnus). Certains dieux nous
sont inconnus, l'institution semble remonter à Romulus ou Numa. Les Flamines
conservent chez eux le feu sacré, symbole de leur fonction. La charge
prestigieuse est contraignante. L'impétrant est solennellement marié (par
confarreatio, forme réservée aux patriciens). Il porte l'apex, coiffe de cuir
blanc surmontée d'une touffe de laine. Il est soumis à de nombreuses obligations,
ne pouvant monter à cheval ni dormir trois nuits hors de chez lui, ni passer
sous une vigne, ni voir l'armée. Les pieds de son lit sont enduits de glaise.
Le flamine de Jupiter ne touche pas les animaux impurs, ni un cadavre ou rien
évoquant la mort. Il ne porte aucun nœud ou agrafe, ne se tient pas nu sous le
ciel. En contrepartie, il siège au Sénat et dispose d'un licteur et d'une
chaise curule, comme les hauts magistrats. Son épouse, la flaminica est
vêtue de robes aux couleurs vives et participe aux rites. Elle ne peut montrer
ses chevilles ni se coiffer avec un peigne en bois ou utiliser des ciseaux de
fer, etc..
Les Augures forment le second collège religieux romain. Lors de la
fondation de Rome, c'est un augure étrusque du nom de Vettius qui départage
Romulus et Remus par l'observation des vautours. Leur rôle est de faire
connaître l'avis des dieux. Dans la Rome antique, les décisions politiques
sérieuses exigent la consultation des augures, en charge de l’interprétation
des signes divins. L'avis des dieux peut être obtenu par un présage lié à la
survenance d'un évènement étrange dont le sens est donné par le collège des
augures et la consultation d'archives spéciales ou des "Livres
Sybillins". S'il n'y a aucun présage, l'augure observe l'appétit des
poulets sacrés ou épie ce qui se passe dan un Templum, (non pas un temple),
un lieu céleste dédié aux dieux. Il délimite cet espace avec le lituus
augural, un bâton sans nœud terminé par une crosse courbe (qu'on retrouve
dans la crosse des évêques et dans le mot liturgie). Si des oiseaux y passent,
c'est un signe, favorable ou défavorable selon la direction de leur vol. Le lituus
est utilisé dans d'autres rites "d'inauguration", comme lors
de la fondation des édifices ou des villes. Quand l’armée part en campagne,
elle est accompagnée d'augures et emporte des poulets dans des cages pour avoir
des indications sur les combats prochains. Les Haruspices, autres spécialistes
des signes divins, utilisent les pratiques divinatoires étrusques. Ils
prédisent surtout l’avenir en observant les entrailles d’animaux sacrifiés,
particulièrement leur foie. Contrairement aux Augures de fonction publique, les
Haruspices sont des voyants plutôt consultés pour des questions d'ordre privé.
Deux autres collèges existent à Rome. Quinze prêtres dont la moitié de
plébéiens constituent le Collège des Quindecemviri sacris faciundis. Placés
sous l'autorité du Pontifex Maximus, ils sont chargés de consulter les Livres
Sibyllins. Il s'agit de trois recueils d'oracles probablement acquis à la
Sybille de Cumes, au ~6e siècle, par le roi Tarquin le Superbe qui les plaça
dans le temple de Jupiter. Ils sont consultés dans les circonstances graves, ou
lors de l'apparition d'un prodige manifestant une colère divine, afin de savoir
quel dieu est irrité et comment l'apaiser. Ils provoquèrent l'introduction de
plusieurs dieux grecs dans le Panthéon romain et l'instauration des banquets
sacrés donnés en l'honneur des dieux, et ils conclurent parfois à la nécessité
de sacrifices humains. Les Quindecemviri lisent l'interprétation des oracles
devant le Sénat qui décide de la suite à donner. Ces Livres Sybillins
furent brûlés par les Chrétiens lorsque le Christianisme devint religion d'État.
Á leur fondation, au ~2e siècle, les Septemviri Epulone groupent sept plébéiens
qui constituent le septième Collège. Ils assistent les Pontifes et sont
autorisés à porter la robe prétexte, une toge blanche bordée de pourpre
marquant la dignité patricienne. Ils procèdent aux libations avec la
"Patera", et ils supervisent les jeux publics, le culte rendu à
Jupiter Capitolin, les repas publics donnés par l'empereur et les
"lectisternes" des banquets sacrés donnés pour Jupiter et les autres
dieux, à l'occasion d'une réjouissance ou d'une calamité publique. Les statues
des divinités sont couchées devant des tables couvertes de victuailles que
mangent ensuite les Epulones.
Il existe d'autres confréries, les Sodalités (sodalitas), qui
comprennent au moins les Fétiaux, les Saliens, les Frères Arvales et les
Luperques. Les Féciaux interviennent lors des déclarations de guerre et des
traités de paix. Les Saliens gardent un don divin, le bouclier sacré de
Numa qui serait tombé du ciel. Le roi le plaça en un endroit réservé (la
Curia Saliorum) et en fit faire onze copies pour que nul ne puisse
reconnaître le vrai. Ces boucliers (ancilia) se mettraient en mouvement
en cas de danger. Les frères Arvales commémorent Acca Larentia, la nourrice des
jumeaux Romulus et Remus. Ses fils furent les premiers Arvales. Ces Frères
doivent curieusement invoquer le dieu Mars pour qu'il accorde la prospérité des
champs. Il est étonnant de trouver le dieu de la guerre dans un rite agraire,
mais l'été est la saison de la guerre comme des travaux des champs. Les
Luperques sont les prêtres du dieu Faunus Lupercus. Au mois de février, en
mémoire de la Louve mythique (lupa), ils immolent des chèvres et des
chiens dans la grotte du Lupercal. Nus et tachés de sang, ils font le tour du
Palatin en flagellant les femmes sur leur chemin pour les rendre fécondes. Cette
fête licencieuse serait l'origine de la St Valentin. Il y a encore à Rome
d'autres groupes religieux, tels les trente Curions, les prêtresses de Cérès,
ou les Galles de Cybèle. Les Curions sont les sacrificateurs des Curies,
(Romulus ayant divisé le peuple en trois tribus et trente curies). Á Rome,
l'exercice d'une fonction religieuse laisse les prêtres mener une vie normale,
et ils peuvent cumuler magistrature religieuse et magistrature civile, ou
passer de l'une à l'autre.
Les Dieux Italiques
Les dieux des Romains ne sont pas des personnes comme les dieux
grecs. Ce sont plutôt des énergies issues de la nature, du destin, ou même des
abstractions divinisées. Le Romains n'ont pas ni cosmogonie ni mythologie, hors
l'histoire de la fondation de Rome. Les dieux sont des entités exigeantes qu'il
convient de traiter selon les rites et avec la pureté de mœurs nécessaire.
Certains dieux sont indigènes (indigetes) et d'autres sont importés (novensides)
.Certains reçoivent un culte public, et d'autres un culte domestique pratiqué à
domicile devant un autel (lararium) construit ou peint dans chaque
maison. Ces cultes privés honorent les dieux les plus anciens, venant des
Étrusques, à commencer par le Génie associé à chaque vivant (genius).
Celui du père de famille est souvent représenté par un serpent. Associée à
Junon, la femme n'a pas de génie propre. Le père dirige le rituel particulier à
chaque foyer. Le Grand Pontife s'assure seulement que sa bonne observation
garantit le société contre la venue des Larves, (âmes damnées venant hanter
la demeure des vivants). Le père de famille jette des fèves noires par
dessus son épaule gauche en prononçant des conjurations. Les Lémuries sont
célébrées dans chaque foyer début mai, dans le même but. Au milieu de la nuit,
le père se lève, pieds nus, suivi de toute la maisonnée. Il fait la fica avec
le pouce au milieu de ses doigts joints pour s'assurer une
protection magique. Il se lave les mains puis prend neuf fois de suite des
fèves noires qu'il mâche et crache derrière lui en prononçant une formule de
conjuration rituelle. Il se purifie dans l'eau de nouveau et l'on fait
tinter des vases de bronze toute la nuit pour effrayer les ombres qui,
sans ce rite, pourraient emporter dans la mort l'un des membres de la famille.
Les Mânes, les esprits des ancêtres d'où provient le Génius du père de
famille, peuvent donc être des puissances maléfiques dont il convient de se
concilier les bonnes grâces. D'autres Lémures, par contre, les Lares, sont
toujours bénéfiques. Ces sont des divinités protectrices originellement
agraires, publiques ou privées, attachées à un lieu fixe. Elles protègent les
carrefours (lares compitales), la maison (lares familiares), et
aussi l'État (lares praestites). Des stèles dédiées aux Lares publics
sont édifiées aux carrefours et au long des chemins (où les Romains enterrent
les morts). Dans les laraires domestiques, les Lares familiers sont
généralement représentés sous forme d'adolescents tenant une corne d'abondance.
On leur porte une grande attention en les entourant de fleurs et en leur
adressant des prières fréquentes. Les esclaves et les affranchis sont
activement associés aux cultes domestiques, et l'un d'entre eux entretient le
lararium. Chaque jour, on prie aussi les Pénates, divinités du foyer. Elles veillent
sur le feu de la cuisine et gardent sains les aliments. Le mot "pénates"
vient en effet de penus, qui signifie garde manger. Liés à la
famille qu'ils protègent, les Pénates se déplacent avec elle. L'expression
française "transporter ses pénates" vient de cette coutume. Ce
culte est associé à celui de Vesta, la déesse de ce feu domestique sacré qui ne
doit jamais s'éteindre, pas plus que le feu sacré de la Cité. Au coté des Lares
sur le Lararium, on trouve de nombreuses statuettes offertes en ex-voto aux
divinités les plus diverses. Le jour de leur mariage, les jeunes filles offrent
d'abord leurs poupées d'enfance aux Lares de leur père, puis elles placent une
statuette de Vénus, symbole d'amour et fécondité, dans le Laraire de leur
nouvel époux.
Chaque partie de la maison romaine est placée sous la protection d'une
divinité domestique particulière, comme Forculus qui en garde la porte,
Limentinus, la pierre du seuil, et Cardea, les gonds. D'autres divinités
nombreuses aident l'enfant à grandir. Vaticanus aide le nouveau-né quand il
pousse son premier cri, Cunina le protège au berceau, Rumina l'aide à téter,
Statulinus ou Statinus lui apprennent à se tenir debout. Plus tard, Educa
l'assiste pour manger seul et Potina pour boire. Fabulinus l'apprend à parler,
et lorsqu'il commence à marcher, Abeona protège ses allers et Adeona ses
retours. D'autres divinités protègent le bétail et les récoltes. Bubona
s'occupe des boeufs, Epona, des chevaux, Pales, des moutons. Flora fait fleurir
le blé, Matula le fait mûrir et Robigo le protège de la rouille. De façon très
particulière, l'on célèbre aussi à Rome, des entités fort abstraites comme Fors
et Fortuna, les deux déesses du hasard, Fides, la bonne foi, Honor
et Virtus, la gloire et la valeur, Concordia, la force de
cohésion des citoyens, Febris, la fièvre, etc.. Pour éviter de
mécontenter quiconque, on prie même le "dieu inconnu", et on
lui élève un temple (qui fut un temps offert aux Chrétiens). Les Romains
honorent encore un grand nombre de "volontés divines aléatoires" (numina)
qu'il faut absolument se rendre favorables dans des circonstances bien précises
de l'existence. Par exemple, dans la succession saisonnière des travaux
agricoles et en fonction de son activité, le cultivateur doit s'adresser à Sterculinus
(pour l'engrais du sol), à Vervactor (pour le premier labour), à Redarator
(pour le second), ou à Sator (pour l'ensemencement) etc.. Pendant longtemps,
les Romains ne représentent pas ces "numina", ce qui
démontre leur très grande ancienneté.
Les principaux dieux italiques (indigetes) semblent être Carmenta
(déesse des sources, puis de la prédiction), Cérès (déesse des
fruits de la terre), Faunus (dieu du bétail), Flora
(déesse des fleurs), Janus (dieu de la lumière), Junon
(déesse de la femme et de la maternité), Jupiter
(grand dieu du ciel et du tonnerre), Mars (dieu de la
végétation et de la guerre), Minerve (déesse de
l'intelligence), Palès (dieu puis déesse des pâturages et des
bergers), Pomona (déesse des fruits et des arbres), Quirinus
(confondu avec Romulus), Saturne (dieu des semailles et de la
culture), Tellus (déesse de la terre et des moissons), Vertumne
(dieu des saisons et du commerce), Vesta (déesse du foyer), Vulcain
(dieu du feu). On trouve aussi Flora (protectrice des jardins), Silvanus
(dieu des bois), Feronia (dieu de la nature sauvage), Lupercus (dieu des
loups), Consus (lié au monde souterrain et protecteur du blé). Les dieux de la
fertilité ont un double aspect mâle et femelle comme Liber/Liberia (dieux de la
vigne et de la fertilité en général). Les Latins considèrent alors que les numina
sont des manifestations impersonnelles de la volonté divine et qu'elles ne
doivent donc pas avoir de forme. Parmi ces "volontés ou intentions
divines", certaines numina sont particulièrement importantes parce
qu'elles patronnent une activité globale. Saturne préside aux semailles, Janus
à la lumière, Mars à la végétation et la guerre, Jupiter aux éclairs et
phénomènes atmosphériques. Á l'origine, ils sont représentés par des symboles
comme l'épée du dieu Mars. À partir du ~6e siècle, sous l'influence des
Étrusques, une assimilation se produit avec des dieux grecs, et les dieux
commencent à apparaître avec un caractère personnel et sous une forme
anthropomorphique.
Les Romains observent rigoureusement les rites car toute négligence
oblige à les recommencer. Les pratiques ordinaires comportent des prières, des
vœux et des sacrifices. Pour prier, le fidèle se tient à genoux, tête couverte,
tourné vers l'est. Il touche l'autel ou les genoux de la statue. Il répète à
haute voix les formules lues par le prêtre et il termine par l'adoratio
(baiser envoyé de la main gauche) ou la supplicatio (prosternation). Il
peut aussi faire des vœux ou promesses, comme bâtir un temple, célébrer des
jeux, offrir des sacrifices ou des dons, etc.. Pour offrir un sacrifice, il
doit se baigner et revêtir une robe blanche. Les animaux à immoler doivent être
sans tache. Ils sont garnis de bandelettes et leurs cornes sont dorées. Des
serviteurs sacrés les amènent en donnant l'impression qu'ils vont d'eux-mêmes
au sacrifice. On place sur leur tête un gâteau fabriqué par les Vestales, et on
l'arrose de vin en faisant une libation. Puis, un serviteur spécialisé, le
victimaire, questionne «agone?». Et le prêtre, la tête couverte d'un pan
de sa toge, répond «hoc age». La victime est alors immolée d'un coup de
maillet, de hache ou de couteau. L'animal est dépecé et sa chair partagées
entre le prêtre, le donataire et l'assistance, tandis que les haruspices
examinent les entrailles. Si elles ont bon aspect, on les brûle sur l'autel,
sinon le sacrifice n'est pas agréé des dieux et doit être recommencé. Une forme
élaborée de sacrifice (suovetaurile) peut clôturer une cérémonie de
purification commencée par une procession. D'autres pratiques consistent en un
festin offert à la statue d'un dieu couchée sur un lit (lectisterne) ou
assise sur un siège (sellisterne)... Les Romains invitent aussi les
dieux des adversaires vaincus à venir à Rome pour être bien honorés.
L'influence grecque et les dieux étrangers
La jeune Rome entre vite en conflit avec Albe qui dirige la région. Le
combat légendaire des Horace contre les Curiace marque la fin de cette
prédominance, au profit de Rome. Historiquement, au ~8e siècle, les Grecs, les
Carthaginois et les Étrusques régentent à tour de rôle cette Méditerranée
occidentale. Dans le Latium, Rome reste conduite par les Étrusques, (les
Tarquin). Cette situation dure jusqu'au ~6e siècle, puis les patriciens
romains chassent Tarquin le superbe, leur dernier roi étrusque. Rome s'émancipe
et nomme deux "rois annuels", les consuls. Divers conflits
l'opposent aux Étrusques, aux Sabins, et autres peuples latins. Au ~4e siècle
les Celtes (Gaulois), conduits par Le Brenn, investissent Rome , la rançonnent
(Vae Victis), et puis s'en vont. Rome se renforce alors et engage plusieurs
guerres dites "Samnites" qui lui permettent de s'emparer de l'Italie
centrale puis de l'Italie du Nord. Cependant, les Grecs très affaiblis
sont encore présentes dans leur ancienne colonie de la Grande Grèce (Italie du
Sud et Sicile). Rome tente plusieurs fois de s'en emparer, mais les éléphants
du macédonien Pyrrhus contiennent les légions qui finissent pourtant par
vaincre en ~272, et Rome s'empare de toute l'Italie du Sud. Quoique la
péninsule soit alors entièrement soumise, le territoire proprement romain
reste limité au Latium, à l'Ombrie et à la Campanie, les autres
régions payant simplement tribut. La Sicile demeure encore aux mains des
Carthaginois. La puissance importante et croissante de Carthage dans la région
est un souci constant pour les Romains. Leurs concurrents dominent déjà
la plupart des cotes de l'Afrique du Nord, le détroit, la moitié orientale de
la péninsule hispanique et les trois grandes îles aux portes de Rome.
La confrontation avec les Carthaginois est inévitable. Elle prend la
forme des trois guerres (dites puniques) successives, entre ~264 et ~146. Pour
l'époque, les moyens mis en œuvre sont absolument considérables. La première
guerre fut menée par les Carthaginois Hamilcar Barca puis Hasdrubal et son fils
Hannibal. Elle dure environ vingt ans, et Carthage envahit l'Espagne mais perd
la Sicile. La seconde guerre est la plus connue, et Carthage y engage des
moyens énormes. Son armée compte soixante mille fantassins, onze mille
cavaliers numides, et trente-sept éléphants. Le général Hannibal réalise un
exploit militaire extraordinaire. Son immense armée traverse toute l'Espagne et
les Pyrénées. Elle remonte ensuite le Rhône qu'elle passe sur des radeaux, puis
elle traverse les hauts cols des Alpes avec ses cavaliers et éléphants, et
entre en Italie. Allié aux Gaulois et aux Macédoniens, Hannibal, d'abord
victorieux, obtient le ralliement de la Sicile, de la Sardaigne, de Tarente et
de Capoue, ville dans laquelle il s'attarde longuement au lieu de marcher sur
Rome. Pendant ce temps, les Romains fort affaiblis réussissent à rassembler
deux cent mille guerriers. Sous le commandement de Scipion (l'Africain), ils
s'emparent de l'Espagne et débarquent en Afrique. Ils retournent les alliés
numides, et avec cette nombreuse cavalerie, ils gagnent la bataille décisive de
Zama qui marque la défaite de Carthage. Cette guerre marque cependant
profondément les Romains qui décident de détruire complètement Carthage. La
troisième guerre amène le terrible siège de Carthage, qui dure trois ans (de
~149 à ~146). Finalement les Romains détruisent complètement la ville qui est
rasée, et la population est exterminée dans l'un des grands génocides de
l'Histoire.
Sans la défaite de Carthage, la condition actuelle de l'Occident serait
très différente. Leurs dieux phéniciens étaient mystérieux et féroces et
s'appelaient Baal (El), Astarté (Tanit), Melgart, Eshmoun, etc.. Leurs cultes
cruels comportaient des sacrifices humains (peut être aussi d'enfants). L'écrasement
de Rome par Hannibal aurait probablement signifié la diffusion de ces cultes
dans toute l'Europe occidentale. Les Romains accueillaient facilement les dieux
des nations vaincues, mais il ne semble pas qu'ils aient jamais adopté ceux des
Carthaginois. Au ~3e siècle, ils vénéraient déjà Esculape, une romanisation du
dieu grec Asclépios. Pourtant, la première divinité orientale officiellement
introduite en ~202 à Rome fut Cybèle, une déesse anatolienne au culte sanglant
dont les fidèles, les Galles, se castraient parfois aux mêmes avec des éclats
de silex. On lui éleva d'ailleurs un temple. Sur le plan politique, les Romains
sont maîtres de l'occident européen mais ils n'en restent pas là. Ils engagent
la conquête de toute la Méditerranée orientale. Cela leur demande beaucoup de
temps, un siècle et demi environ, et la religion romaine évolue beaucoup au
contact des civilisations étrangères. La rencontre des dieux grecs transforme
les concepts religieux romains et provoque d'étranges assimilations. Jupiter
est assimilé à Zeus, et des petites divinités romaines secondaires sont
identifiées aux grands dieux grecs, comme Neptune à Poséidon, Diane à Artémis,
et bien d'autres. Des dieux grecs comme Dionysos, inconnus à Rome, y sont
importés avec tous leurs attributs. Et comme la religion grecque avait
beaucoup évolué en relation avec la constitution de l'immense empire
d'Alexandre, les conséquences de l'évolution sont intégrées par les Romains.
L’influence grecque et les idées platoniciennes marquent profondément la
société romaine et s'étendent progressivement dans tout l’Empire. Depuis
l'épopée d'Alexandre, le phare culturel d’Alexandrie rayonne sur la
Méditerranée. Dans les quelques siècles qui encadrent la naissance du
Christianisme, de nombreux courants de pensée agitent le monde antique. Les
différentes écoles envoient des missions un peu partout pour répandre leurs
cultes et leurs idées, et cela concerne aussi la Palestine et le Judaïsme.
Cette importante turbulence amène des confrontations qui opposent les vieux
cultes traditionnels aux religions nouvelles et aux idées des penseurs
néo-platoniciens, hermétistes, gnostiques et chrétiens. Les Cultes à Mystères
alexandrins apparus en Grèce se diffusent dans tout l’Empire Romain. Les plus
connus sont les Mystères d’Éleusis, qui célébraient le culte des deux déesses,
Déméter (Cérès à Rome), et Perséphone, mais d’autres cultes étaient rendus à
Apollon, Dionysos, Cybèle et Attis, Mithra, Astarté, Pan, Adonis etc... Il faut
ajouter les cultes égyptiens d’Isis, Sérapis, ou Anubis, et ceux de divers
sauveurs comme Jupiter Héliopolitain Dolichénien. Ces cultes introduisent dans
les religions antiques les concepts nouveaux d’immortalité de l’âme, de salut
et de résurrection. Sous l’influence de l’hellénisme qui les tolère, les
Romains accentuent leur facultés d'assimilation et adoptent avec enthousiasme
ces doctrines dont les pratiques inhabituelles viennent secouer la terne
monotonie de leurs habitudes. La plupart des nouvelles liturgies, (et
ultérieurement le Christianisme), s’adressent à des dieux souffrants dont les
cultes évoquent la passion, et les fidèles reproduisent sur eux-mêmes les
tribulations du dieu.
Les pratiques entraînent des privations pénibles et des souffrances
occasionnellement sanglantes, mais les Romains adaptent parfois les rites à
leurs lois, remplaçant la castration des galles de Cybèle par une douche de
sang dans le taurobole. La célébration des Mystères provoque de
frénétiques comportements de défoulement et des émotions violentes qui fascinent
les citoyens romains blasés et fatigués par la décomposition politique et les
traditions vieillissantes. Des paroxysmes extatiques accompagnent la
révélation progressive du dieu. Les liturgies, prenantes et colorées,
s’appuient sur des initiations successives qui expliquent les significations
cachées des Mystères. Elles sont accompagnées de baptêmes exaltants dont les
rites de mort et de résurrection marquent la progression des initiés vers le
salut dans un autre monde. Dans chaque niveau initiatique, des cérémonies
marquent l’entrée dans une fraternité accueillante, et les rituels comportent
souvent des repas en commun qui soudent la communauté. Le culte de la Déesse
Mère Isis prend une importance considérable et elle devient la déesse
universelle qui engendra l'univers et les astres. Un temple d'Isis existe
encore à Pompéi. Un autre dieu connait un succès considérable à Rome, le dieu
iranien Mithra dont le culte viril lié au taureau attirait les militaires. Il
est évident qu'à cette époque la religion traditionnelle ne satisfait
plus les citoyens. Quoique les lettrés réaffirment leur attachement aux
traditions ancestrales, les esprits s'ouvrent au monothéisme. L'empereur
Aurélien tente d'instaurer le culte du Soleil invaincu (Sol invictus),
puis en 380, l'empereur Théodose fait du Christianisme la religion officielle
de Rome et tous les temples anciens sont détruits.
CHAPITRE 7
La Gnose et les
Gnostiques
Introduction
Sans commencement, sans fin,
sans passé ni avenir,
sans cause et sans contingence,
l’Esprit transcende l'espace et le temps,
car il réside dans le seul présent
et trouve son essence et sa réalité
dans son propre et constant
perfectionnement.
En raison de l'ambigüité du terme, il est difficile de parler de la
Gnose. Il n'est pas facile non plus de parler des Gnostiques tellement est
élevé le nombre des groupes ou mouvements qui revendiquent cette appartenance.
Aux débuts du Christianisme, on en dénombrait déjà plus de quatre-vingt, et
bien d'autres sont apparus depuis. Il peut paraître intéressant de se pencher
sur les causes ou les conséquences de cette multiplicité. Beaucoup de
chercheurs ont travaillé en ce sens et nous en parlerons, mais le sujet de la
présente recherche portera essentiellement sur les fondements communs des
diverses doctrines. Le terme Gnose, quant à lui, est initialement issu du grec
antique "gnôsîs" qui signifiait "connaissance".
Il est souvent utilisé pour désigner l'attitude philosophique initiale sur
laquelle sont fondés les divers mouvements gnostiques, mais on appelle aussi
Gnose le mouvement historique de rivalité ou d'opposition au
Christianisme qui s'est constitué quand la nouvelle religion devenait
hégémonique. Cependant, au sein même des groupes gnostiques, le mot Gnose
désigne tantôt le contenu de la connaissance inspirée, (c'est à dire une
conceptualisation explicative des mystères divins), tantôt la source même de
cette nouvelle connaissance, la grâce active et sanctifiante de l'Esprit.
Dans sa période préchrétienne, la particularité du Gnosticisme est déjà
de nier la bonté souveraine du Créateur en attribuant l'organisation cruelle du
monde physique à une entité secondaire, le "Démiurge". La relation
entre les deux entités, leurs natures et la position de l'Homme dans le système
varient selon les doctrines mais, en dépit des nombreuses variantes, cette
cosmogonie dualiste semble pouvoir être considérée comme la caractéristique
fondamentale du Gnosticisme. Mais la Gnose se définit aussi comme une
connaissance sotériologique, (salvatrice), capable d'opérer la métamorphose
intérieure de l'Homme afin de mettre un terme au drame universel qu'apportent
sa chute hors du monde originel de Lumière, son exil dans le monde obscur de
l'ignorance, et le combat qu'il doit mener jusqu'à sa rédemption finale.
Les Gnostiques
La Gnose n’est pas une hérésie née du Christianisme, elle est
initialement un système de pensée indépendant issu de diverses sources
antiques, indo-iraniennes en particulier. Au début de l'ère, cependant, en tant
qu'attitude philosophique, la Gnose cohabitait avec le Christianisme et avec
l’Hermétisme et le Néo-platonisme. Malgré la parenté des sources
irano-esséniennes du Christianisme et des racines indiennes de la Gnose, les
deux courants professaient des idées différentes. La Gnose qui n'était
initialement qu'une vision métaphysique et intellectuelle du Monde tolérait
tous les cultes. Les Gnostiques disaient que le Monde divin et le Monde où nous
vivons appartiennent à deux natures parfaitement distinctes.
Cette dualité fondamentale suffit encore aujourd'hui pour caractériser
une pensée de type gnostique. Á l'époque, interdits d'existence puis menacés de
mort par les arrêts de l'empereur chrétien Théodose II et de ses successeurs,
les métaphysiciens pré-gnostiques, initialement informels, constituèrent des
communautés de survie, autonomes et distinctes. Après son apparition, la
dualité professée par la Gnose s'éloigna nettement du polythéisme antique et
des mythes indo-iraniens. Elle devint une démarche personnelle vers la
connaissance totale (surtout salvatrice), la découverte de l’Esprit, et la
compréhension de la nature réelle du monde auxquelles elle tendait par
l’illumination intérieure.
Fondée originellement sur une simple attitude mentale sans être
religieuse, elle se développait sur un plan intérieur, ésotérique, en
préconisant une liaison directe avec le plan divin. La Gnose pouvait
encore accepter que les néophytes puissent connaître des initiations,
mais elle se passait de prêtres médiateurs et d'intercesseurs intervenant entre
l'homme et la divinité. Le système entra donc en concurrence avec les
organisations chrétiennes structurées et les cultes et mythes spécifiquement
chrétiens. La puissante Église décida alors de détruire la Gnose dangereusement
concurrente, laquelle, pour survivre, s'organisa en petites chapelles
clandestines.
La coexistence forcée des deux courants de pensée, gnostiques et
chrétiens, provoqua des influences mutuelles et même quelques tentatives de
mise en commun tendant à réaliser un rapprochement doctrinal. Au deuxième
siècle, les Gnostiques désiraient en effet intégrer le paléo-christianisme
ésotérique dans leur démarche globale car il leur paraissait enraciné dans les
autres cultes à Mystères. Ils tentèrent donc une synthèse entre la foi des
Chrétiens en un dieu souverain unique et leurs idées gnostiques et
néo-platoniciennes.
Pour la distinguer de l'antique Gnose païenne dualiste et indo-iranienne,
l'Église appela "orthodoxe" la nouvelle Gnose christianisée qu'ils
tentaient d'élaborer. Néanmoins, repoussant ces efforts, elle la condamna et en
fit même une hérésie majeure promettant ses adeptes aux feux des bûchers en ce
monde et aux flammes de l'enfer dans l'autre. Les évolutions
"hérétiques" de la pensée gnostique ont ensuite été multiples. Rappelons
que, pour les Gnostiques, le monde n’est pas bon et son créateur non plus. La
création est le résultat d’une catastrophe cosmique provoquée par une divinité
inférieure. L’homme est le résultat d’un autre désastre dont il doit sortir par
le seul moyen qu'est l'apprentissage du savoir secret donné par la Gnose.
L'homme doit reconnaître sa nature maudite et savoir comment la détruire
pour s’en libérer. Les hérésies chrétiennes allant du 1er au 4ème siècle
environ étaient, pour la plupart, d’inspiration gnostique. Rappelons que le
Gnosticisme n’était pas originellement une religion, et que nous évoquons
surtout ici le Gnosticisme chrétien, ce courant idéologique qui voulait
rapprocher la Gnose et le Christianisme. Imprégné des paganismes grecs et
iraniens, ce Gnosticisme pouvait présenter une forme ésotérique du
Christianisme. Celui-ci se fonde cependant sur la foi en la Parole et en
l’Écriture, tandis que la Gnose prétend non seulement qu’il faut « connaître »,
mais « se connaître soit même », et elle fait souvent du Christ non plus un
fils de Dieu, mais seulement un guide.
Entre Christianisme, Hermétisme et Gnose, certaines synthèses furent
pourtant réalisées, montrant que divers courants étaient tellement proches les
uns des autres qu’on ne les distinguait pas formellement et qu'ils étaient
parfois traités comme un fond culturel commun et très précieux. Chaque
philosophe ou penseur conscient développait sa propre interprétation en
retravaillant, à la lumière spirituelle de la Gnose, les thèmes traditionnels
et sa révélation intérieure et personnelle de la Vérité. De l’extérieur, les
courants pouvaient apparaître divergents, mais, sous ces habillages
diversifiés, les Gnostiques retrouvaient leurs principes, leurs mythes
traditionnels, et les révélations initiatiques transmises du plus haut des
Cieux.
Voyez ci-après ci-après une liste de groupes que les hérésiologues
chrétiens ont identifiés et reconnus comme plus ou moins teintés de
gnosticisme, (Ici environ quatre vingt, sans compter les nombreux modernes). On
y trouve les Abeloïtes, les Adamites, les Aériens, les Aétiens, les Aloges, les
Angéliques, les Antidicomarites, les Apellites, les Apolinaristes, les
Apostoliques, les Aquatiques, les Arabiques, les Archonticiens, les
Ariens, les Artotyrites, les Ascites, les Bardesanistes, les Basilidiens, les
Caïnites, les Carpocratiens(libertins), les Cataphrygiens les Célicoles, les
Cerdoniens, les Cérinthiens et les Mérinthiens, les Cléobiens, les Colluthiens,
les Colorbasiens, les Donatistes, les Ebionites, les Elcésaïtes, les Encratites
ou atianites, les Floriniens, les Helvidiens, les Hiéracites, les
Héracléonites, les Jovinianistes, les Macédoniens, les Marcionites, les
Marcites, les Marcosiens, les Malchisédéciens, les Méléciens, les Ménandriens,
les Manichéens, les Messaliens, les Métangismonites, les Naasseniens, les
Nazaréens, les Nestoriens, les Nicolaïtes, les Noëtiens, les Novatiens, les
Ophites, les Origénistes, les Passalolynshites, les Paterniens, les
Paulinianistes, les Pélagiens, les Pépuziens, les Perates, les Phibionites, les
Photiniens, les Priscillianistes, les Ptolémaïtes, les Sabelliens, les
Saturniens, les Sécundiens, les Séleuciens (ou Hermiens), les Séthiens, les
Sévériens, les Simoniens, lesTatianites, les Tessarescédécatites, les
Théodotiens, les Vadiens, les Valentiniens.
Confrontés à ce foisonnement, les exégètes ont tenté d'ordonner les
doctrines en fonction des préceptes qu'elles proposaient. Ils ont d'abord
utilisé le concept banal de dualité et d'opposition de deux principes
universels. Sur le plan éthique, l'un des principes est souvent "bon"
et l'autre "mauvais", constituant les sources d'une "bonne"
ou d'une "mauvaise" création. La distinction apparait lorsque
l'on considère l'un des principes comme second, ou pas, par rapport à l'autre, que
le Mal, par exemple, est, ou n'est pas, coéternel d'un principe transcendant
unique et fondamental. Ainsi caractérise-t-on deux dualismes, l'un dit "radical"
impliquant deux principes égaux, l'autre, dit "mitigé",
où le principe du Mal n'apparait que dans des conditions particulières. Cette
spécificité a engendré les Bogomiles et les Cathares. D'autres distinctions
partent du Monde, œuvre de Dieu ou du Démiurge, antécédent ou consécutif à
l'Homme, et aussi de l'Homme créé comme le Monde (microcosme), ou le Monde créé
pour l'Homme (principe anthropique biblique et chrétien), ou parfois contre
lui. On a aussi usé du péché, soit originel, (précédent la création de
l'Homme), soit antécédent, (celui des premier parents, Adam et Ève).
De nos jours, la Gnose adapte souvent son message à la culture
occidentale traditionnellement chrétienne. Elle se déclare souvent christique
mais en redéfinissant la nature et la mission du Christ, et elle tente de
montrer toute la richesse des mythes du Christianisme originel en dévoilant
leur véritable signification cachée. Refusant toute discussion sur
l’historicité des fondements chrétiens, elle présente les personnages et les
événements évangéliques comme des représentations mythiques du chemin qui
conduit l’Homme à son salut. Ce décryptage des mythes relie le Christianisme
originel aux antiques Cultes à Mystères dont il était contemporain, et on y
retrouve leurs principales caractéristiques tels les concepts d’immortalité de
l’âme, de salut et de résurrection. Ces cultes évoquaient toujours la passion,
la mort salvatrice et la résurrection triomphante d’un dieu ; leurs
pratiques et leurs rites conduisaient au salut dans un autre monde.
Les "Pères" du Gnosticisme
Pour donner une idée des contenus des enseignements et doctrines des
groupes que les hérésiologues classaient dans le gnosticisme, je citerai
quelques uns de leurs initiateurs et résumerai leurs idées. Le premier
hérétique classé comme gnostique aurait été Simon le Magicien, un contemporain
des apôtres dont l'existence paraît plus légendaire que réelle. Il se faisait
appeler "La grande puissance de Dieu". Il est cité dans les Actes
des apôtres qui rapportent que le diacre Philippe rencontra à Samarie un
devin-sorcier du nom de Simon le Mage. Après avoir reçu le baptême,
Simon aurait demandé aux apôtres Pierre et Jean, l'autorisation de conférer le
Saint Esprit, en l'achetant à prix d'argent. De là viendrait le mot Simonie,
(trafic des choses saintes). Cette proposition rejetée, Simon aurait créé une
nouvelle religion intégrant certains aspects des religions à mystères et de la
doctrine chrétienne, Il l'appela d'ailleurs "religion chrétienne",
et elle se répandit fort rapidement. Pus tard, à Rome, Pierre aurait confondu
Simon sur le Forum en présence de Néron. Elevé dans les airs, Simon volait
autour d'une tour, mais l'apôtre Pierre aurait rompu le charme, provoquant sa
chute et sa mort.
La légende des relations de Simon et Pierre semble cependant liée aux
livres intitulés "Homélies pseudo-clémentines". Ces écrits
résument la doctrine que professait Simon : Le Dieu suprême est un dieu autre
que celui qui a créé le ciel et la terre, il est inconnu et ineffable et il
pourrait être appelé le Dieu des dieux. Cette position pourrait donc
faire de lui l'un des pères du gnosticisme, et le fondateur de la religion
gnostique des Simoniens. Chose étrange, il aurait aussi été connu sous le nom
de Saül et confondu avec l'apôtre Paul. Autre acteur, Ménandre de Samarie
voulait sauver les âmes captives ici-bas et proclamait l'absolue transcendance
de la divinité. Ce disciple de Simon modifia un peu ses enseignements et fonda
la secte des Ménandriens. Personne ne pouvait être sauvé, s'il ne recevait son
baptême particulier, une immersion censée rendre immédiatement immortel et
préserver de la vieillesse.
Son disciple Saturnin d'Antioche, (ou Satornil), enseignait que sept
anges (les Archontes) avaient créé le Monde et tenté vainement de façonner
l'Homme à l'image de Dieu. Saisi de pitié pour l'ouvrage manqué, Dieu l'anima
d'une étincelle d'esprit qui remonte jusqu'à Lui après la mort.
Le gnostique égyptien Carpocrate pensait que Jésus n'était pas un "Sauveur"
mais simplement un homme qui avait réalisé son idéal de justice et avait
ensuite rejeté les créateurs inférieurs de la matière avant de remonter vers le
Père inengendré. Les Carpocratiens honoraient Jésus à l'égal de Platon. Ils
enseignaient que l'âme humaine devait traverser une série de transmigrations
avant de s'affranchir des illusions du Monde et de regagner finalement son lieu
originel divin. Cérinthe originaire d'Antioche comme Satornil, était un mage
disciple de Simon. Il vivait à Jérusalem et pensait qu'un Éon céleste, le fils
du "Dieu Christos", s'était incarné dans le corps de Jésus, au
moment de son baptême initiatique, et l'avait quitté au moment de sa mort.
Il disait qu'il existe un Dieu Père sans existence matérielle, souverain
du Bien. Le dieu des Juifs, mauvais créateur du Monde matériel et de l'Homme,
n'est qu'un archonte, une divinité inférieure. Basilide, dit le Gnostique,
naquit à Alexandrie et y enseigna de 125 à 155. C'était un disciple de
Satornil. Fondateur de la secte des Basilidiens, il rédigea un Évangile en 24
volumes, une exégèse de l'Ecriture, qui synthétisait aussi les enseignements de
Simon et qui fut, hélas, brûlé comme tous les textes gnostiques accessibles à
l'époque. Basilide concevait 365 cieux imbriqués les uns dans les autres. Tous
seraient hiérarchiquement peuplés d'intelligences variées dont la moins élevée,
le Dieu des Juifs, aurait créé notre propre Monde.
Le vrai Dieu serait donc infiniment distant de ce Monde placé au dernier
niveau de ses émanations. Pêcheur par nature, l'Homme est justement condamné.
Il est responsable de ses actions et possède deux âmes qui entrent
perpétuellement en conflit et peuvent se réincarner. La résurrection corporelle
est impossible car les corps sont totalement corrompus. Les âmes d'un petit
nombre d'élus pourraient rejoindre leur source divine en trompant magiquement
les Archontes créateurs du Monde. Basilide ne croyait pas à l'incarnation du
Christ. Il pensait que l'homme mort sur la croix n'était pas Jésus mais Simon
de Cyrène. Il eut de nombreux disciples dont le plus connu fut Marcion.
Marcion dit le Pontique, un riche navigateur, vivait à Rome
(85/160). C'était probablement un Juif christianisé de l'Église de Sinope qui
l'excommunia. Il n'était pas vraiment tout à fait gnostique mais affirmait que
l’Ancien Testament était abrogé pour les Chrétiens. Il fonda une église
schismatique fort bien organisée et très importante dans l’histoire du
Christianisme dont elle fut la concurrente la plus sérieuse au 2ème siècle plus
par son impact intellectuel que par le nombre de ses membres. Les femmes y
avaient accès au magistère et tous les fidèles étaient soumis à la même discipline
rigoureuse, pratiquant un ascétisme sévère, un végétarisme strict et un
encratisme total, (renonçant même au mariage).
Adepte du dualisme, Marcion enseignait qu’il existait deux dieux
distincts, celui de la Bible et celui des Évangiles. Le premier règne sur la
nature matérielle qu’il n’a pas créée. Il n’est ni omniscient ni tout puissant.
C’est un dieu sévère, exigeant une obéissance totale. Il asservit l’humanité à
la dure Loi de Moïse, punissant durement les écarts et empêchant à l’homme de
devenir véritablement bon. Le second est un dieu supérieur inconnu.
Essentiellement bon, il prend l’humanité en pitié et lui envoie son fils, sous
l’apparence virtuelle de Jésus-Christ, pour révéler son existence et son amour.
Le premier dieu s’irrite et le fait périr. La mort gratuite de Jésus accomplit
la rédemption de l’humanité. Celle-ci reste cependant soumise à la domination
de son Créateur originel et ne peut lui échapper que par diverses privations et
mortifications.
Mais à la fin, le dieu austère et exigeant disparaîtra, et le dieu bon
établira son royaume au bénéfice de ses fidèles, abandonnant les autres hommes
à la destruction. Le Marcionisme n’était pas réellement gnostique mais
naïvement dualiste. Ici, l’Homme n’est pas originellement supérieur à ses
formateurs, ce qui est à l’opposé de la pensée gnostique courante. L'église
marcionite connut un succès considérable pendant plusieurs siècles, en raison
de sa simplicité et de l’utilisation adroite de Livres Saints spécifiquement
adaptés à la doctrine.
Valentin était un Alexandrin vivant à Rome (135/160). Il enseignait que
le Dieu Père, le Propatôr d’amour, ou Bythos, (l’Abîme), avec sa parèdre
Sigé, (le Silence), forme de sa Pensée une chaîne composée d’une succession
d’émanations de réalités éternelles, les Éons. Leur hiérarchie constitue le
Plérôme, ou Plénitude. Il est composé, de haut en bas, de syzygies d’éons
décrits comme masculins et féminins. (Entités métaphysiques qu'il convient de
les considérer comme des complémentaires, droits et gauches, à la façon
symbolique de l’Arbre des Séphiroth des Kabbalistes dont les Gnostiques sont
proches). Du féminin vient la substance, du masculin la forme.
Les premiers sont Noûs et Aléthéia, (Intellect et Vérité). Ils
engendrent Logos et Zoé, (Verbe et Vie). Suivent Anthropos et Ekklesia,
(Homme et Église), engendrant Parakletos et Pistis, (Défenseur et Foi),
puis toutes les autres puissances du Plérôme. Les derniers éons sont Théléptos,
le Vouloir, et Sophia, la Sapience. Mais celle-ci désire créer
seule. Pour cela, elle cherche à comprendre la nature du Père, troublant ainsi
le Plérôme au sein duquel apparaissent le Mal et les Passions. Pour rétablir
l’harmonie, Sophia est exclue du Plérôme avec les éléments du déséquilibre
qu’elle a fomentés. Ils forment ensemble le Monde d’en bas, le mauvais monde
qui retient prisonniers quelques éléments divins entraînés dans la chute.
Pour soulager Sophia, Logos et Zoé émettent une nouvelle syzygie,
Christos et Pneuma, (Christ et Saint-Esprit). Lorsque le Plérôme est
enfin reconstitué, les éons décident d’émettre ensemble un nouvel éon, Jésus.
Ils l’envoient dans le chaos du monde comme un sauveur intemporel. A partir de
la Sophia dégradée, Jésus intemporel suscite un petit dieu créateur mais
ignorant de la réalité du Plérôme, le Démiurge, le Dieu des Juifs et de la
Bible. C’est lui qui organise la matière informe et en tire le monde sensible,
régi par le Cosmocrator (le Prince cosmique), et les hommes. Certains
d’entre eux renferment toujours en eux les semences divines prisonnières.
Pour les libérer, le sauveur Jésus descend en son temps, dans le monde
d’en bas, dissimulé dans un corps d’homme. Sa prédication et celle de ses
successeurs visent à révéler aux égarés divins leur origine véritable, ainsi
que la possibilité du retour au Père, et lorsque tous les éléments perdus
auront regagné le Plérôme, ce monde temporaire sera détruit.
Autres dualismes d'Occident.
Origène naquit en 185, à Alexandrie où il resta jusqu’en 230 avant de se
fixer à Césarée. On sait qu’il se castra lui-même pour éviter toute tentation,
ce qu'il regretta plus tard. Son père avait été décapité par Celse. Origène
mourut à Tyr, en 254, à la suite des tortures infligées sous Decius. On
retrouve bien des idées gnostiques et néo-platoniciennes dans ses théories
inspirées des enseignements d’Ammonius Saccas, un Alexandrin
néoplatonicien, maître de Plotin. Elles nous ont été transmises par Grégoire
le Thaumaturge, l'un de ses élèves, car la plupart de ses écrits, condamnés
par le concile de Constantinople, furent détruits.
Origène accordait une importance extrême à la prière et proposait un
système nouveau et complet du Christianisme, intégrant les sources bibliques et
les idées néo-platoniciennes. Il représente bien ce que l’on a appelé la Gnose
orthodoxe, (en opposition avec la Gnose dite païenne). Dans les thèses
d’Origène, on trouvait les notions d’un Dieu Tout-Autre, éternel et créateur.
Il est le Père qui engendre éternellement le Fils, ou Logos, lequel reçoit le
rôle de médiateur entre Dieu et le Monde, aussi bien dans la création
universelle que dans la révélation individuelle. Tous les êtres divins sont
doués de raison et participent à la lumière divine. Jouissant du libre arbitre,
ils peuvent se tourner vers Dieu, ou vers le néant, devenant alors des âmes
chutant vers l’animalité. Cela établit la préexistence des âmes qui pèchent
avant d'animer les corps. Mais la condamnation infernale n'est pas éternelle,
et l’âme peut retrouver le royaume de l’esprit si elle s’oriente activement
vers le Bien. Dieu ne veut pas la contraindre et recourt seulement à
l’éducation par le Logos dont les agents sont les philosophes, les prophètes,
et surtout Jésus.
L’âme de Jésus a servi de lien entre son corps et le Logos. Au jour de sa
Résurrection, le corps physique ayant disparu, elle s’est réunie au Logos.
Chaque Chrétien est appelé à suivre la même voie. Le véritable idéal religieux
est la connaissance complète du divin, la Gnose, que les fidèles peuvent
atteindre en se détachant de la matière. Cette connaissance totale, cette
Gnose, embrasse tous les mystères du Monde et de Dieu. Finalement, l’histoire
du salut s’achèvera dans la soumission et le retour de toutes les âmes à Dieu,
par le rétablissement universel de ce monde et des autres, dans ce cycle et les
autres, avec des successions constamment renouvelées de chutes et de retours
des créatures à Dieu.
La religion Mandéenne, (les Sabéens), d’origine incertaine, apparaît
entre le 1er et le 3ème siècle. Elle semble liée aux
Nasoréens d’Israël qui se seraient temporairement réfugiés en Médie (Iran). Sa
cosmogonie est marquée par le dualisme gnostique oriental qui oppose un Monde
lumineux à un Monde ténébreux. Le Monde de la Lumière est dirigé par un grand
dieu inconnu, le Seigneur de Vie, le Mänä, Roi de Lumière, entouré d’un nombre
infini d’êtres lumineux habitant d’innombrables mondes faits de lumière. Tout
naît de l’être suprême, par émanations successives, dans une création
progressive. Le Monde des Ténèbres est de même structure. Il est formé à partir
du Chaos, l’eau ténébreuse qui existait à l’origine de toutes choses. Le
Seigneur des Ténèbres provient de l’Esprit déchu. Il produit ses propres mondes
peuplés de démons et de créatures malfaisantes. Les sept planètes et les douze
constellations du Zodiaque sont également dans son domaine.
La Lumière et les Ténèbres entrent en conflit. Un dieu créateur hybride,
le démiurge Ptahil, organise l’existence du Monde terrestre avec l’aide des
puissances obscures. L’opposition de la Lumière n’aboutit qu’à l’enchaînement
momentané du Seigneur des Ténèbres et à la condamnation du Démiurge. Mais
l’hybride Ptahil a créé le corps extérieur et visible d’Adam dont l’âme
intérieure et invisible vient de la Lumière, et l’homme est double et participe
aux deux natures. Les Adam terrestres sont des copies ou des reflets des Adam
célestes et ils ont, dans chacun des deux mondes, des épouses, (Ève et Nuage de
Lumière), et des fils parmi lesquels Abel, Seth, Enos, qui sont des messagers
de lumière. Les messagers instruisent les croyants pour libérer leurs âmes.
Après la chute de l’Adam céleste dans la matière, Mabdä dHaiyë, la Gnose
de Vie, la connaissance libératrice, vient le visiter et l’éclairer pour
l’aider à parvenir à la libération et au retour vers sa source. Opprimés
successivement par le Christianisme et l’Islam, et parce qu'ils pratiquent le
baptême par immersion dans les eaux d'un fleuve, les fidèles mandéens vivent
proches de l'eau. Réfugiés dans des régions marécageuses du Sud de l’Irak, ils
y sont encore persécutés aujourd’hui. Au début du 3ème siècle, une
communauté mandéenne, ou proche des Mandéens, avait en charge un jeune
enfant qui y préparait sa propre illumination. Il s’appelait Mani.
Le Manichéisme est fondamentalement une religion gnostique qui affirme un
dualisme radical. On y retrouve tous les principes gnostiques fondamentaux, la
théorie des deux natures, la chute de l’homme originel, et la participation
ardente et désintéressée des fidèles au salut des parcelles de lumière
spirituelle perdues. Mani, né à Babylone en 216, fut élevé dans une communauté
mandéenne. Il a d’abord prêché sa doctrine en Perse. En 241, l’esprit Divin lui
serait apparu pour lui révéler « La doctrine des trois temps », le
début, le milieu, et la fin du Monde. A l’origine, la création est double, à la
fois "Lumière bonne" et "Ténèbres mauvaises", et les deux
principes précèdent l’existence du Monde et s’affrontent.
Au cours du combat, le Procanthrope, (Homme divin primordial),
tombe dans les Ténèbres. Sauvé par l’Esprit, il abandonne des étincelles de
Lumière dans les corps d’Adam et d’Ève, (parents de tous les hommes naturels et
mortels), qui ont été créés sur cette terre. Les Manichéens doivent participer
au retour de cette Lumière au Royaume. Entre les deux empires, il y a un
conflit fort compliqué que je vais essayer de présenter. Le Père de
Grandeur règne sur les cinq demeures du Pays de Lumière, (Intelligence, Raison,
Pensée, Réflexion, Volonté). Le Roi des Ténèbres habite les cinq Mondes
Ténébreux, (Fumée, Feu, Vent, Eaux, Obscurité). Convoitant l’éclat du Pays de
Lumière, le Roi des Ténèbres veut le conquérir. Le Père de Grandeur le combat,
d’abord en évoquant la Mère des Vivants qui évoque à son tour le Procanthrope,
et ses cinq fils, (les Élémentaux), mais ils sont tous engloutis.
Le Père procède alors à une seconde création et évoque l’Esprit-Vivant et
ses cinq fils. Ils sont vainqueurs des Ténèbres et, avec la Mère des Vivants,
créent l’Univers pour séparer les deux domaines. Ils utilisent pour cela les
corps des ennemis capturés. De la matière des démons ténébreux, ils forment le
ciel et la terre, et des parcelles de lumière qu’ils leur font régurgiter, ils
fabriquent les astres et les étoiles. Le troisième fils, (le Messager),
habitant le Soleil, règle leur course. L’Esprit-Vivant appelle l’Homme
Primordial qui lui répond. Le tirant des Ténèbres par la main, l’Esprit le
libère.
Comme les Mithriastes, en témoignage de ce sauvetage manuel par l’Esprit,
les Manichéens se saluent en se serrant la main droite. Nous avons conservé
leur signe. Mais le Procanthrope a perdu des parcelles de Lumière qui ont été
récupérées par Ashaqloun, fils du Roi des Ténèbres. S’unissant à sa femme
Namraël, il engendre Adam et Ève, et y enferme ces semences lumineuses pour les
dissimuler. La mission des Fils de l’Esprit est difficile car ils doivent
récupérer toutes les étincelles perdues. Le système cosmique est l’appareil
destiné à ce travail. Le Soleil et la Lune sont des vaisseaux réservoirs
alimentés par d’immenses norias ou roues cosmiques qui remontent aux cieux la
lumière et déversent dans l’abîme les débris des vaincus.
Contrairement au Gnosticisme traditionnel, la vision cosmogonique
manichéenne est délibérément pessimiste. Le monde est entièrement mauvais car
il est créé à partir de la substance ténébreuse, « provenant des cadavres
des puissances du Mal » (Jonas). Il en est de même pour la race des hommes
naturels, les descendants d’Adam et Ève. Leur seule chance de salut est
d'entendre l’appel du Messager de Lumière. Aucun homme n’est bon, mais certains
appelés peuvent prendre conscience d’être tombés dans l’état insupportable du
corps matériel. Se ressouvenant de leur origine, ils cherchent à se libérer en
expulsant d’eux-mêmes les ténèbres et travaillent à se connaître mieux,
reconnaissant dans leur être cette partie consubstantielle à Dieu, leur âme de
lumière immortelle.
Le Manichéisme est une religion toute intérieure, avec une morale élevée
et un culte dépouillé. Les fidèles recherchent une grande pureté par la
pratique des cinq vertus, amour, foi, perfection, patience (ou endurance), et
sagesse. Ils instituent la confession des péchés, l’absolution mutuelle et la
pénitence. Ils pratiquent la prière, le jeûne, l’aumône, et la continence, ne
tuent aucun animal, s’abstiennent de viande et de vin, renoncent même à la
propriété individuelle et au mariage.
Les Élus appliquent strictement ces règles, jusqu’à renoncer à rompre
eux-mêmes leur pain. Elles sont plus souples pour les Auditeurs qui les
servent. Pour aider les appelés dans leur quête de salut, Dieu leur envoie des
prophètes comme Zoroastre, Bouddha, Jésus, et maintenant Mani qui est leur
successeur. Celui-ci considère que sa tâche prophétique est d’accorder leurs
dogmes. Pour propager la religion, les Manichéens envoient des missionnaires,
hommes et femmes, dans des régions parfois fort éloignées des pays d’origine.
Cette volonté missionnaire est spécifique du Manichéisme, car les autres
Gnostiques se contentaient généralement de constituer des élites relativement
limitées d’initiés.
Le destin des missionnaires manichéens fut souvent tragique. Vers 275,
Mani lui-même, contesté par les mages persans, est emprisonné sur les ordres du
roi Bahrâm 1er, et chargé d’énormes chaînes. Il meurt d’épuisement
en quelques jours. Son cadavre est écorché, et sa peau empaillée est suspendue
aux remparts de Gundêshâpuhr pour décourager les fidèles. Ses successeurs
seront persécutés par toutes les religions influentes, tant à cette époque
qu’au Moyen Âge, en ces lieux autant qu’ailleurs. Malgré cela, le Manichéisme
se répand très largement, en Chine, en Occident, et en Afrique du Nord. Il
persiste plus de 1000 ans, jusqu’au 14ème siècle, trouvant des
prolongements divers chez les Gnostiques et les Chrétiens conservateurs.
(Mazkadites iraniens, Zandaqa musulmans, Pauliciens byzantins, Bogomiles
bulgares, Patarins rhénans, et Cathares italiens et occitans français).
Si nous voulons nous en tenir
à la vérité, nous reconnaîtrons que la persécution injuste est celle des impies
contre l'Église du Christ, et que la persécution juste est celle de l'Église du
Christ contre les impies. Elle est donc bienheureuse de souffrir persécution
pour la justice, et ceux-ci sont misérables de souffrir persécution pour
l'iniquité. L'Église persécute par l'amour, les autres par la haine; elle veut
ramener, les autres veulent détruire; elle veut tirer de l'erreur, et les
autres y précipitent. (Citation de St Augustin)
Les dualismes après Mani
Vers le milieu du 7ème siècle, les Pauliciens constituaient une secte
dualiste rattachée au manichéisme, formant le début d'une chaîne conduisant aux
Bogomiles, puis aux Cathares. Elle aurait été fondée par Constantin de Manalis
sur la base doctrinale des écrits de St Paul, mais cela reste douteux. La secte
avait beaucoup de succès. Son fondateur, condamné à mort en 687, fut lapidé sur
l'ordre de Constantin IV (empereur de Byzance). La persécution dura
jusqu'à la fin du siècle et beaucoup se réfugièrent en Arménie musulmane. La
doctrine paulicienne était fondée sur l'existence de deux principes, un Dieu
mauvais et obscur, archonte de la matière, créateur et souverain du bas monde
actuel, et un Dieu bon et lumineux, maître de l'esprit et du monde à venir.
L'un règne sur les hommes, ses créatures, l'autre sur les anges et les autres
vivants. Les pauliciens estimaient que Marie n'était ni vierge (au sens charnel
du terme), ni la mère charnelle du Christ, dont le corps (par définition
diabolique et incapable d'emprisonner l'esprit divin du Christ) était donc
irréel et illusoire.
L'esprit divin du Christ se serait donc "paré de l'image d'un
corps humain" afin que les hommes le reçoivent. Dieu l'aurait adopté,
à trente ans, lors de son baptême. Sa conception n'aurait donc pas été
immaculée ni sa naissance, virginale. Les mœurs des Pauliciens étaient
austères. Ils rejetaient l'Ancien Testament, le symbole de la croix, le mariage
et tous les sacrements. Leur rejet de l'eucharistie était lié à
celui du dogme de la transsubstantiation, le corps phantasmatique et irréel du
Christ ne pouvant accepter sa présence réelle dans un morceau physique de pain.
Les Pauliciens n'avaient pas de prêtres, et prônaient la méditation, la
prière, et une lecture intérieure et personnelle des Écritures. Dans celles-ci,
ils ne reconnaissaient que les quatre évangiles, les épitres de Paul et quelques
uns de Jacques, de Jean, de Jude, les Actes des Apôtres et les écrits de leur
réformateur "Sergios" dit le Tychique). Le Pater Noster
était pour eux la seule prière légitime. Ils se nommaient eux-mêmes "chrétiens"
et appelaient les orthodoxes des "romains". Ils ne croyaient
pas en la virginité de Marie, certifiant qu'elle avait eu d'autres enfants, nés
de Joseph. Il y avait deux familles de Pauliciens.
En Arménie, on considérait que le Christ était adopté par Dieu. En Grèce,
Dieu était un double principe créateur du monde, mauvais pour l'esprit humain à
travers le monde matériel, mais bon à travers le ciel. Les Pauliciens furent de
nouveau persécutés par les Byzantins dès 813 malgré le soutien des empereurs de
l'époque pour l'iconoclasme byzantin. Après la fin définitive de cet
iconoclasme, en 843, la persécution s'efforça d'éradiquer la secte. Cent mille
Pauliciens auraient été massacrés, les survivants fuyant en Anatolie centrale
et orientale et trouvant à nouveau refuge chez les Musulmans. Grâce au soutien
de l'émir Omar al-Aqta, ennemi des Byzantins, le chef paulicien Karbéas fonda
une principauté séparée de Byzance. La bataille de Bathys Ryax, en 872 opposa
l'Empire byzantin aux Pauliciens qui furent vaincus. Leur chef Chrysocheir
fut capturé et décapité, évènement qui entraîna la destruction définitive de la
principauté paulicienne.
Les Bogomiles sont repérés dés le 10ème siècle, en Asie
Mineure puis en Bulgarie. Leur dualisme n'est pas radical mais en quelque sorte
« mitigé », car, dans leur doctrine, Sathanas, (ou Samaêl), n'est pas
le créateur du monde matériel mauvais mais seulement son organisateur. Très
puissant, à l'origine, il était l'intendant du Cosmos entier, et à ce titre, il
pouvait circuler depuis le trône du Père, tout en haut du Royaume, qui comporte
sept cieux supérieurs administrés par des anges, et sept inférieurs, jusqu'aux
enfers, tout en bas. L'orgueilleux Sathanas voulait régner sur son propre
univers. Visitant tous ces étages, il découvrit que les deux plus bas, quoique
préexistants, n'étaient pas contrôlés et il s'en déclara le chef, essayant de
persuader les anges de le suivre. Le Père enleva alors aux rebelles la lumière
et les signes de leur dignité. Installé dans ses cieux, Sathanas demanda au
Père un répit qui, par pitié, lui fut accordé. Avec son aide, Sathanas y
construisit son propre monde, dont il était seulement l'architecte, puisque
c'était Dieu qui en exécutait la mise en forme.
La doctrine donne le détail de cette construction, depuis les oiseaux et
les astres du ciel jusqu'à l'homme que Sathanas aurait façonné du limon de la
Terre, à sa ressemblance, (les différentes sources diffèrent un peu sur ce
point). Il aurait ordonné à des anges du 2ème ciel d'animer les corps
d'Adam et Eve, les y enfermant et les contraignant à s'accoupler, à leur grand
désespoir. Les Bogomiles sont repérés dés le 10ème siècle, en Asie
Mineure puis en Bulgarie. Leur dualisme n'est pas radical mais en quelque sorte
mitigé car, dans leur doctrine, Sathanas, (ou Samaêl), n'est pas le créateur du
monde matériel mauvais mais seulement son organisateur. Très puissant, à
l'origine, il était l'intendant du Cosmos entier, et à ce titre, il pouvait
circuler depuis le trône du Père, tout en haut du Royaume, qui comporte sept
cieux supérieurs administrés par des anges, et sept inférieurs, jusqu'aux
enfers, tout en bas.
L'orgueilleux Sathanas voulait régner sur son propre univers. Visitant
tous ces étages, il découvrit que les deux plus bas, quoique préexistants,
n'étaient pas contrôlés et il s'en déclara le chef, essayant de persuader les
anges de le suivre. Le Père enleva alors aux rebelles la lumière et les signes
de leur dignité. Installé dans ses cieux, Sathanas demanda au Père un répit
qui, par pitié, lui fut accordé. Avec son aide, Sathanas y construisit son
propre monde, dont il était seulement l'architecte, puisque c'était Dieu qui en
exécutait la mise en forme. La doctrine donne le détail de cette
construction, depuis les oiseaux et les astres du ciel jusqu'à l'homme que
Sathanas aurait façonné du limon de la Terre, à sa ressemblance, (les
différentes sources diffèrent un peu sur ce point). Il aurait ordonné à des
anges du 2ème ciel d'animer les corps d'Adam et Eve, les y enfermant et les
contraignant à s'accoupler, à leur grand désespoir.
Il y avait aussi chez les Bogomiles des courants faisant référence aux
deux fils de Dieu, Jésus et Sathanas, sans que l'aîné soit bien défini. Une
autre référence trinitaire fait même intervenir distinctement l'Esprit Saint
pendant les trente trois ans de la manifestation christique. Pour préparer le
salut des hommes, le Père envoie son fils, Verbe de Dieu qui, entrant par
l'oreille de Marie, l'imprégna, engendrant un Jésus irréel et phantasmatique,
entrant dans la monde par le même chemin. Le seul baptême qui peut sauver
les âmes humaines celui de Jésus, (baptême d'Esprit). Les Bogomiles étaient
encratiques (abstinents sexuels), rejetant le mariage et les sacrements (dont
l'eucharistie pour dénier la transsubstantiation), le culte de la Vierge, des
saints et de la Croix, les icones et reliques, la liturgie et les prêtres.
Comme prière, ils n'acceptaient que le Notre Père, et croyaient que le monde en
son état durera jusqu'à ce que toutes les âmes justes (qui sont des anges
déchus) soient sauvées. Ensuite surviendra l'Apocalypse (celle de Jean), et le
Christ descendra en Juge suprême. Fuyant la richesse et les honneurs, ils
disaient que les Eglises étaient des repaires du démon et incitaient les
fidèles à la désobéissance. Il y eut même en 1223, semble-t-il, un antipape
slave, bulgare ou croate, qui se disait Cathare., et qui aurait été l'Aïeul, le
fondateur de l'Eglise des Patarins Bosniaques.
Le courant des Patarins existait déjà à Byzance, où leur chef, le pieux
Basile, fut capturé et brûlé au 11ème siècle. Les Patarins croyaient
an deux dieux dont le plus grand avait créé tous les êtres spirituels
invisibles, et le moins grand, Lucifer, toutes les choses matérielles et
visibles. Ils niaient l'humanité du Christ dont le corps, fantastique et
aérien, non charnel, n'était pas vraiment mort ni ressuscité. Ils condamnaient
toutes les Écritures et pensaient que les âmes de hommes étaient des démons
déchus qui retourneraient au Royaume après s'être purifiés par le baptême et
avoir fait pénitence dans une, ou plusieurs, vies terrestres. La
doctrine dualiste radicale des Patarins diffère donc nettement du
dualisme mitigé des Bogomiles. Ici, certains anges étaient par nature mauvais,
ne pouvant éviter le péché.
Sathanas (Satanaël) est bien un dieu, appelé Lucifer. Prince des
Ténèbres, il est monté dans le Royaume pour combattre le grand Dieu et séduire
les mauvais anges. Il régnait donc déjà sur le monde visible qu'il avait créé,
alors qu'il n'était que l'ordonnateur tardif chez les Bogomiles. Comme Origène,
mais sans que cela soit certain, les Patarins semblent également avoir cru en
une forme de métensomatose (réincarnation des défunts dans des corps
successifs), en vue de purification des âmes. Les Bogomiles et les Patarins
pourraient être à l’origine (mais cela reste douteux) des deux courants
du Catharisme qui fonda trois églises en Italie à la même époque.
Le courant des Patarins existait déjà à Byzance, où leur chef, (le pieux
Basile), fut capturé et brûlé au 11ème siècle. Les Patarins
croyaient an deux dieux dont le plus grand avait créé tous les êtres spirituels
invisibles, et le moins grand, Lucifer, toutes les choses matérielles et
visibles. Ils niaient l'humanité du Christ dont le corps, fantastique et
aérien, non charnel, n'était pas vraiment mort ni ressuscité. Ils condamnaient
toutes les Écritures et pensaient que les âmes de hommes étaient des démons
déchus qui retourneraient au Royaume après s'être purifiés par le baptême et
avoir fait pénitence dans une, ou plusieurs, vies terrestres.
La doctrine dualiste radicale des Patarins diffère donc nettement
du dualisme mitigé des Bogomiles. Ici, certains anges étaient par nature
mauvais, ne pouvant éviter le péché. Sathanas (Satanaël) est bien un dieu,
appelé Lucifer. Prince des Ténèbres, il est monté dans le Royaume pour
combattre le grand Dieu et séduire les mauvais anges. Il régnait donc déjà sur
le monde visible qu'il avait créé, alors qu'il n'était que l'ordonnateur tardif
chez les Bogomiles. Comme Origène, mais sans que cela soit certain, les
Patarins semblent également avoir cru en une forme de métensomatose
(réincarnation des défunts dans des corps successifs), en vue de purification
des âmes.
Les Bogomiles et les Patarins pourraient être à l’origine (mais cela
reste douteux) des deux courants du Catharisme qui fonda trois églises en
Italie Les Cathares apparaissent en Italie du Nord et dans le Midi de la France
mais aussi en Flandre, en Angleterre, et en Allemagne, en réaction contre le
laxisme du clergé catholique, bien avant la Réforme protestante du 16ème siècle.
Ils ont fait l'objet d'autres développements conséquents dans mes ouvrages
auxquels je renvoie le lecteur. Je rappellerai simplement que l'on
comptait alors environ quatre mille parfaits pour l’ensemble de l’Europe dont
deux mille pour la seule Italie, (et seulement deux cents dans le Midi de la
France). Les Cathares bogomiles de l’Est de l’Europe avaient adapté les
enseignements dualistes manichéens à leur culture chrétienne. Ils révéraient
deux dieux, l’un bon et lumineux, l’autre mauvais et ténébreux. Ils croyaient
que le Diable a fait le corps de l’Homme en y emprisonnant de force un ange de
lumière.
Les Cathares apparaissent en Italie du Nord et dans le Midi de la France
mais aussi en Flandre, en Angleterre, et en Allemagne, en réaction contre le
laxisme du clergé catholique, bien avant la Réforme protestante du 16ème siècle.
Ils ont fait l'objet d'autres développements conséquents dans mes ouvrages
auxquels je renvoie le lecteur. Je rappellerai simplement que l'on
comptait alors environ quatre mille parfaits pour l’ensemble de l’Europe dont
deux mille pour la seule Italie, (et seulement deux cents dans le Midi de la
France). Les Cathares bogomiles de l’Est de l’Europe avaient adapté les
enseignements dualistes manichéens à leur culture chrétienne.
Ils révéraient deux dieux, l’un bon et lumineux, l’autre mauvais et
ténébreux. Ils croyaient que le Diable a fait le corps de l’Homme en y
emprisonnant de force un ange de lumière. La procréation est un acte
condamnable car elle perpétue la démoniaque race humaine. Le Christ est un ange
de Dieu. Le corps de Jésus était un fantasme immatériel. Jésus n’a pas
souffert, n’est pas mort ni ressuscité. Le jugement des hommes a déjà eu lieu.
Ce monde-ci est leur lieu de punition et il n’y en a pas d’autre enfer.
La doctrine des Cathares patarins du Sud, les Albanenses, les Albigenses
ou Albigeois, dérivait de celle d’Origène. Ils étaient attachés au
Christianisme originel. Ils s'opposaient aux dérives du culte catholique. Ils
croyaient en un seul Dieu créateur de la matière, des éléments et les anges. Le
fils des Ténèbres était pour eux le simple intendant du Monde et y a créé
toutes choses. Le libre arbitre a causé la déchéance de Lucifer séducteur
d’autres anges. Il est le Dieu de la Bible et l’artisan qui organise le monde
visible. Les Cathares apparaissent en Italie du Nord et dans le Midi de la
France mais aussi en Flandre, en Angleterre, et en Allemagne, en réaction
contre le laxisme du clergé catholique, bien avant la Réforme protestante du 16ème
siècle. Ils ont fait l'objet d'autres développements conséquents dans mes
ouvrages auxquels je renvoie le lecteur.
Je rappellerai simplement que l'on comptait alors environ
quatre mille parfaits pour l’ensemble de l’Europe dont deux mille pour la seule
Italie, (et seulement deux cents dans le Midi de la France). Les Cathares
bogomiles de l’Est de l’Europe avaient adapté les enseignements dualistes
manichéens à leur culture chrétienne. Ils révéraient deux dieux, l’un bon et
lumineux, l’autre mauvais et ténébreux. Ils croyaient que le Diable a fait le
corps de l’Homme en y emprisonnant de force un ange de lumière. La procréation est un acte condamnable car elle
perpétue la démoniaque race humaine. Le Christ est un ange de Dieu. Le corps de
Jésus était un fantasme immatériel. Jésus n’a pas souffert, n’est pas mort ni
ressuscité. Le jugement des hommes a déjà eu lieu. Ce monde-ci est leur lieu de
punition et il n’y en a pas d’autre enfer.
La doctrine des Cathares patarins du Sud, les Albanenses, les Albigenses
ou Albigeois, dérivait de celle d’Origène. Ils étaient attachés au
Christianisme originel. Ils s'opposaient aux dérives du culte catholique. Ils
croyaient en un seul Dieu créateur de la matière, des éléments et les anges. Le
fils des Ténèbres était pour eux le simple intendant du Monde et y a créé
toutes choses. Le libre arbitre a causé la déchéance de Lucifer séducteur
d’autres anges. Il est le Dieu de la Bible et l’artisan qui organise le monde
visible.
Regard sur la Gnose
Nous savons comment la Gnose interprète aujourd’hui le Christianisme.
Dans notre société occidentale actuelle, elle adapte son message en se référant
aux traditions chrétiennes. C’est souvent maintenant une Gnose Christique qui
voudrait montrer toute la richesse des mythes du Christianisme originel, (comme
celui de la fuite en Égypte qui le relie aux traditions égyptiennes), en
dévoilant leur véritable signification cachée. Se dégageant de toute discussion
concernant l’historicité des fondements chrétiens, elle présente les
personnages et les événements évangéliques comme des représentations mythiques
du chemin qui conduit l’Homme à son salut. Cette vision de
décryptage des mythes permet de relier le Christianisme originel aux Cultes à
Mystères dont il est contemporain et dont il présente les caractéristiques. On
y retrouve les concepts d’immortalité de l’âme, de salut et de résurrection, et
le culte évoque la passion d’un dieu.
Les pratiques comportent des prières, des privations, des émotions
violentes et des rites pénitentiels, et les liturgies conduisent au salut dans
un autre monde. Nous n'avons présenté ici que quelques exemples des nombreuses
variations engendrées par les grands thèmes gnostiques. Il faudrait évidemment
y ajouter toutes celles qui sont apparues au delà de l'Occident, et tout
particulièrement en Orient. Accroitre l'étendue de cet exposé déjà bien lourd
ne servirait pas mon propos. De façon générale, et au delà du cas particulier
des diverses expressions du Gnosticisme, il est évident que la multitude des
religions et des doctrines démontre que chacune ne contient qu'une parcelle de
vérité. Pourtant, dans tous les temps et tous les lieux de leurs
établissements, les hommes se sont durement affrontés pour assurer la
suprématie de leur propre croyance. C'est que, selon Val et Péroni, "Une
religion ne peut être qu'intégriste sinon ce n'est plus une religion".
L'intégrisme, c'est le refus de toute évolution à partir du passé. Les
intégristes religieux désirent farouchement maintenir la tradition sans souci
de leurs adversaires.
C'est cette redoutable intolérance que les Gnostiques ont toujours
rencontrée, qu'ils rencontrent encore aujourd'hui, et à laquelle ils devraient
constamment se garder eux-mêmes de se laisser aller. Nous savons comment la
Gnose interprète aujourd’hui le Christianisme. Dans notre société occidentale
actuelle, elle adapte son message en se référant aux traditions chrétiennes.
C’est souvent maintenant une Gnose Christique qui voudrait montrer toute la
richesse des mythes du Christianisme originel, (comme celui de la fuite en
Égypte qui le relie aux traditions égyptiennes), en dévoilant leur véritable
signification cachée. Se dégageant de toute discussion concernant l’historicité
des fondements chrétiens, elle présente les personnages et les événements évangéliques
comme des représentations mythiques du chemin qui conduit l’Homme à son
salut.).
Cette vision de décryptage des mythes permet de relier le Christianisme
originel aux Cultes à Mystères dont il est contemporain et dont il présente les
caractéristiques. On y retrouve les concepts d’immortalité de l’âme, de salut
et de résurrection, et le culte évoque la passion d’un dieu. Les pratiques
comportent des prières, des privations, des émotions violentes et des rites
pénitentiels, et les liturgies conduisent au salut dans un autre monde. Nous
n'avons présenté ici que quelques exemples des nombreuses variations engendrées
par les grands thèmes gnostiques. Il faudrait évidemment y ajouter toutes
celles qui sont apparues au delà de l'Occident, et tout particulièrement en
Orient. Accroitre l'étendue de cet exposé déjà bien lourd ne servirait pas mon
propos.
De façon générale, et au delà du cas particulier des diverses expressions
du Gnosticisme, il est évident que la multitude des religions et des doctrines
démontre que chacune ne contient qu'une parcelle de vérité. Pourtant, dans tous
les temps et tous les lieux de leurs établissements, les hommes se sont
durement affrontés pour assurer la suprématie de leur propre croyance. C'est
que, selon Val et Péroni, "Une religion ne peut être qu'intégriste
sinon ce n'est plus une religion". L'intégrisme, c'est le refus de
toute évolution à partir du passé. Les intégristes religieux désirent
farouchement maintenir la tradition sans souci de leurs adversaires. C'est
cette redoutable intolérance que les Gnostiques ont toujours rencontrée, qu'ils
rencontrent encore aujourd'hui, et à laquelle ils devraient constamment se
garder eux-mêmes de se laisser aller.
L'intolérance est de tous les temps.
Il n'est pas de religion qui n'ait eu ses fanatiques.
Anatole
France (Le jardin d'Epicure)
Et l'Ange dit :
"Je vais te révéler un
secret".
"Il y a une chose que le Trompeur ne sait pas,
Une chose qu'il ignore : le nouveau.
Il ne peut se vêtir qu'avec l'ancien.
Á ce signe vous pouvez le reconnaître".
Gita Mallaz (Dialogues avec
l'Ange)
La création, livrée au pouvoir du
néant depuis la chute, ne joue plus son rôle à l'égard de l'Homme, c'est
à dire ne lui révèle plus Dieu.
(François-Édouard
Denys - La voie du paysage)
Nous savons qu'au sein même des groupes gnostiques, le mot Gnose peut
prendre plusieurs sens, et qu'il désigne tantôt le contenu de la connaissance
inspirée, (c'est à dire une conceptualisation explicative des mystères divins),
tantôt la source même de cette nouvelle connaissance, la grâce active et
sanctifiante de l'Esprit. Souvenons- nous qu'à l'origine, la Gnose était
essentiellement une attitude philosophique, une façon ouverte et duale de
concevoir le monde et l'homme, simple attitude libre de tout dogme, mais
absolument pas une religion. Car, comme je l'ai dit en introduction, la Gnose,
"la connaissance", opère singulièrement à partir de
découvertes ou de révélations intuitives, donc fondamentalement
personnelles, hors du champ habituel de la conscience raisonnable. Ce qui veut
dire sans véritable possibilité de partage faute de mots précis pour exprimer
ce perçu. Cependant, pour communiquer ce qu'il a compris des mystères
divins, le Gnostique va élaborer une doctrine, et fonder des bases religieuses
qu'il voudrait partageables, donc rationnelles. Il effectuera alors une
construction intellectuelle privilégiant la relation de cette inspiration
spirituelle, par rapport aux autres sources de connaissance.
Délaissant sa dualité essentielle, il voudra favoriser cette forme
irrationnelle et incommunicable de connaissance, ou reprendre ou revendiquer
l'antique héritage d'expressions passées de cette inspiration. Il me semble
qu'en fondant ces multiples doctrines, les admirables penseurs inspirés par la
Gnose ont pu tomber dans le piège religieux classique, lequel implique toujours
une forme plus ou moins rigoureuse d'intégrisme. Devenant religion, le
Gnosticisme a pu s'enfoncer dans le domaine matériel qu'il prétendait fuir.
"Faire ou Dire implique toujours l’erreur, puisque penser
c’est se tromper". J'ai montré dans d'autres écrits comment le cerveau
filtre et modèle l'information collectée par les organes des sens avant de la
transmettre au mental, (donc à la conscience). Ce que nous percevons ou
concevons est toujours irréel et artificiel, car ce n'est qu'une image
chimio-électrique synthétique combinant ce que perçoivent les sens avec tout ce
qui nous vient du passé ou de l'inconscient. Cette image sera toujours
une production corporelle. Souvenons-nous que nous finirons notre chemin
terrestre en voyageur sans bagage.
Jan Van Rickenborgh, fondateur de la Rose-Croix d'Or, (dite Rose-Croix de
Harlem), mort en 1968, affirmait sa foi gnostique mais ne rejetait cependant
pas les réalités de l’existence terrestre. « La Fama du vivant
Christianisme gnostique, disait-il, ne peut se tenir à l’écart ni de la
science, ni de la religion, ni de la politique, car c’est toujours l’intention
du Logos que les trois manifestations de l’humanité véritable, art, science, et
religion, s’unissent et finissent dans l’acte, dans la communauté de la vraie
vie, afin qu’il en résulte un champ formateur de forces libératrices et
réalisatrices ».
Appel de la Fraternité de la
Rose-Croix
(Jan van Rickenborgh - Voyage en
Espagne).
Il est évident que la philosophie gnostique a été fortement altérée par
sa transformation en ces diverses religions par les nombreux groupes de pensée
qui se proposaient de la diffuser, mais le faisaient, souvent douloureusement
et parfois fort dangereusement, sous de sévères contraintes, tant politiques
que culturelles. Si un chercheur actuel désire véritablement retrouver la
vision gnostique originelle, il devra d'abord tenter de libérer le champ de sa
pensée en méditant avec profondeur et sincérité sur quelques thèmes métaphysiques
fondamentaux. Á partir du constat que l'on peut faire de l'existence de
la matière, j'évoquerai d'abord ici l'idée d'un être premier placé à l'origine
de l'univers, et donc le thème de Dieu. De ce simple mot, il conviendra de
faire, ou pas, le fondement d'une conviction.
Le chercheur peut-il placer un principe fondamental, et un seul, (quel
que soit le nom qu'il lui donne), à la base causale de l'apparition de
l'univers ? Plusieurs idées se présentent alors : Cet unique principe a
créé l'univers en dehors de lui-même et demeure à l'extérieur, c'est le dogme
du "théisme" judéo-chrétien. Ou bien le principe est lui même tout
cet univers et toutes choses sont identifiables à lui, panthéisme, ou, d'une
certaine façon, "panenthéisme". Mais la science moderne révèle
peu à peu l'incroyable immensité de l'univers et l'extrême complexité de ses
mécanismes. Faudrait-il rejeter ces découvertes en fonction des convictions (ou
révélations) des chercheurs du passé ? Allons plus avant. Constatant qu'à
l'évidence la matérialité s'établit sur l'opposition constante des contraires,
nous pouvons concevoir que deux entités distinctes en assument le
fonctionnement. Ce concept de dualité constitue la base même du Gnosticisme,
quelle que soit la relation doctrinale entre les parties. Constatons bien que
c'est là un virage idéologique majeur qui met en cause le concept de l'unicité
originelle du Monde. Et concevons aussi que Deux est l'amorce de la
multiplicité, ouvrant sur l'éventualité du polythéisme, hiérarchisé ou
non, option très souvent adoptée en Orient.
Dans les doctrines traditionnelles de l'Inde, la hiérarchie des facultés
de la pensée, la seule raison ou pensée individuelle n'qu'une position
inférieure à l'intuition intellectuelle ou intellect transcendant (Bhuddi des
Hindous) qui seule permet l'accession à la connaissance des principes
universels La raison et la logique ne sont que des reflets, sur le plan des
choses sensibles, de principes qui leurs sont supérieurs, et qu'elles ne
peuvent expliquer, étant trop limités par leur nature même. Le gonflement de la
pensée logique et l'éloignement progressif de la pensée intuitive en occident
furent à l'origine d'une coupure entre le sujet, "l'homme" et l'objet
qu'était devenu pour lui l'univers. ce qui paraissait absolu devint
essentiellement relatif. (François-Édouard Denys -La voie du paysage)
La réalité, le cosmos, la matière, l'univers ou de quelque nom qu'on
l'appelle, ne se réduit pas au monde corporel ou matériel, même quand on
l'envisage dans toute son ampleur.. La création comporte en vérité deux autres
mondes ou degrés de réalité que la "philosophia pérenis" désigne sous
les termes de monde subtil, ou psychique, ou animique, ou vital, ou encore
"intermédiaire" pour le premier ou de monde intelligible, ou spirituel,
ou angélique, ou même "sémantique", pour le second. (NDLR - donc
trois en tout, dont ce monde intermédiaire dans lequel, à mon avis, se
tiendrait le chercheur gnostique) - (La charité profonde - D Bouère- Ed.
du cèdre).
Notez qu'un exposé sur les trois mondes qui constituent l'ensemble de la
manifestation a également été fait par René Guénon dans " La grande
triade", au chapitre "L'homme et les trois mondes".
On voit rapidement qu'à titre personnel, cette forme de quête
intellectuelle, ne me parait pas être la meilleure voie à la rencontre de la
Gnose. La philosophie gnostique ne peut être dogmatique ou doctrinaire. Comme
je l'ai dit en introduction, elle se fonde sur une révélation personnelle, et
ne se réfère à rien de terrestre. Sur ce plan, la pensée gnostique
intellectualisée ouvre sur un désert. On ne va pas vers la Gnose, c'est elle
qui vient à vous, on ne la force pas, on ne la conquiert pas, mais on
l'accueille, on la reconnait, car la Gnose est dans l'homme comme hors de
l'homme. Elle n'est ni en haut ni en bas, elle est tout à la fois le haut et le
bas. Et elle n'est ni d'hier ni de demain mais de l'instant présent qui relie
continument le passé à l'avenir. La Gnose est en même temps la force sauvage et
la douceur extrême, elle est comme le monde et comme l'homme, ni tout le bien,
ni tout le mal, mais à la fois l'un et l'autre selon le choix qui en est
maintenant fait.
C'est pourquoi nous ne pouvons jamais nous poser en juge ou en prophète,
mais demeurerons toujours de simples témoins, porteurs de l'inquiétude et de la
souffrance humaine. Par conséquent, sur les fondements de leur corporéité et de
toutes les sciences, convictions, religions, expressions et philosophies
humaines, et de toutes les révélations passées et à venir, les chercheurs
vraiment gnostiques laisseront leur pensée s'élever librement vers l'infini de
tous les mystères. Ils ouvriront simplement leurs âmes particulières à l’image
de la Totalité telle qu'ils l’ont construite, chacun dans sa pensée
personnelle. Dans leur propre temple corporel, revêtus ici de la dignité de la
conscience, ils se tiendront debout, non pas dressés à l’assaut des éternels
mystères du Ciel mais tournés par l’Esprit vers les réalités temporelles de la
Terre, ils ouvriront leur cœurs à la pluie de savoir, de sagesse et d’amour
personnellement et mystérieusement donnée et reçue par grâce. Ils la recevront
alors sacramentellement dans leur être total, corps de chair, âme de feu,
esprit de lumière, et mains ouvertes, ils répandront ces dons sur tous leurs frères
les hommes, partout dans le Monde.
Le Roi du Monde
Jésus, Dionysos,
Divins sauveurs des hommes. Osiris ou Krisna,
Tous ces dieux venus du Cosmos,
Pour dire à tous les hommes, l’universelle
saga,
Et révéler l’appel en nous, l’histoire
d’Adam,
Que d’autres, en d’autres temps, racontent
autrement.
Jean est, chez nous, celui
Qui reconnaît ce cri dans le désert de l’âme,
Entend les pleurs de l’autre en lui,
Et permet que s’allume, dans son cœur, une
flamme.
Puis le Baptiste va. A l’autre il laisse
place,
Après avoir frayé le chemin de la grâce.
L’âme vierge secrète,
Nous l’appelons Marie. Son cœur humain
berceau
Accueille ici le nouvel Être,
Enfantant, dans la chair, pour l’Autre, un
corps nouveau
Qu’elle chérit, nourrit, et fait grandir en
elle,
Et donne, librement, pour une vie nouvelle.
Le tout-petit enfant,
Á Noël, est l’image de la vraie renaissance,
Le moment du réveil d’Adam,
Si longtemps attendu, l’espoir de délivrance
De l’animalité, et du sang, et des chaînes,
Dans notre sombre, et sale, et triste étable
humaine.
Jésus le pèlerin,
C’est l’étonnant miracle de cette
incarnation,
Dans chaque homme, sur le chemin,
Étroit et difficile, vers la transmutation,
Par l’éternel Esprit et dans le libre choix
De la mort de son Moi, par amour, mis en croix.
Et la résurrection
Á l’aube d’or de Pâques, c’est soudain le
retour,
D’Adam, la transfiguration,
Du corps en Christ. Et l’étincelle en ce seul
jour
Devient brillant soleil. L’Homme éternel
renaît
Dans la restauration du Royaume parfait
Osiris ou Krisna,
Ces êtres merveilleux ne sont que des
symboles,
Jésus, Ba’al, Attis, Bouddha,
Dont nous sommes tentés de faire des idoles.
Ces mythes composés pour nous ouvrir les
yeux,
D’autres, en d’autres lieux, les transforment
en Dieux.
Le Roi du Monde (poème de l'auteur)
Dans ce premier poème, l'auteur propose une 'interprétation
gnostique des mystères chrétiens.
(Le
Ciel, la Vie, le Feu - extrait)
Pour les Gnostiques, Dieu est au-delà de tout
concept raisonnable et de toute dénomination théorique. Il est l’absolu en tout
et la source des bons esprits qui forment ensemble le Plérome ou le domaine de
la Lumière. Je m’adresserai donc à votre sensibilité irrationnelle par la
poésie pour tenter de vous faire approcher, par l’intérieur, un premier aspect
de cette révélation, l'idée de l'éveil, de la prise de conscience de l'homme
esprit divin, Adam Kadmon, tombé, (par amour selon Hermès), dans la matière et
emprisonné depuis dans nos corps biologiques.
L'Autre en soi
Ce second poème voudrait montrer
comment les Gnostiques voient la double nature de l'homme et l'emprisonnement
de l'esprit dans le corps de chair.
Dans la splendeur du Monde, il a vu son
image,
En bas, et l’a trouvée si belle,
Qu’il s’est, un temps, ravi en elle.
Hélas, anéanti, dans son grand lit d’étoiles,
Il dort, et nous souffrons nos peines,
Et nous mourons chargés de chaînes.
De sa gloire oubliée, demeure une étincelle,
Un indestructible principe,
Au donjon de l’âme immortelle.
Dans la tour, il perçoit le chant de la
Lumière.
Il comprend que l’heure est venue
De lever enfin la paupière.
Il se souvient des Cieux. Il parle du
Royaume,
Il dit qu’il demeure en chaque homme.
Il supplie d’une faible voix.
Il pleure, il rit, il dit qu’en nous, il est
en croix.
Il souffre et parle de partage,
Accepté par un libre choix.
Il a besoin d’un corps, il a besoin d’une
âme.
Il voudrait détruire sa prison
Et revenir à sa mission.
Il est l’idée, la vie, il est l’amour, la
joie.
Il est la liberté suprême,
L’océan de douceur extrême.
Il est l’immensité. Il est l’éternité.
Il est le sablier du temps,
Et la conscience du présent.
Il est, dans l’infini, le maître du destin,
L’innocence sans le chagrin,
La pureté du premier jour.
Il est la force énorme et l’horizon sans fin.
Il est la clarté du matin.
Tout l’avenir est dans sa main.
Il est la vérité, il est la majesté.
Il aspire à ce qu’il était,
Qu’il veut être, et sera demain,
Adam Premier, l’Éon divin, le Roi du Monde.
L'Autre en soi
(poème de l'auteur)
(Le Ciel, la Vie, le Feu – extrait)
CHAPITRE 8
De la Gnose aux
Cathares
Introduction
Comme nous l’avons
dit, la Gnose n’est pas une hérésie née du Christianisme mais un système de
pensée indépendant partiellement issu du Vêdânta indo-iranien antique. Au début
de l'ère, il cohabitait avec le Christianisme puis avec l’Hermétisme et le
Néo-Platonisme. Malgré la proximité des sources irano esséniennes du Christianisme
et des racines indiennes de la Gnose, les deux courants professaient des idées
différentes. La Gnose n'était initialement qu'une vision métaphysique et
intellectuelle du Monde tolérant tous les cultes. Les Gnostiques disaient que
le Monde divin et le Monde où nous vivons appartiennent à deux natures
parfaitement distinctes. Ce thème fondamental des deux natures suffit à
caractériser une pensée de type gnostique. Interdits d'existence puis menacés
de mort par les arrêts de l'empereur chrétien Théodose II, les métaphysiciens
pré-gnostiques informels constituèrent des communautés autonomes et distinctes.
Dés son apparition, la
dualité professée par la Gnose s'éloignait cependant du polythéisme antique et
des mythes indo-iraniens. Elle était une démarche personnelle vers la
connaissance totale (en fait salvatrice), la découverte de l’Esprit, et la
compréhension de la nature réelle du monde. Elle y tendait par l’illumination
intérieure. Dans la mesure où elle était une attitude mentale sans être
religieuse, elle se développait sur un plan intérieur, ésotérique, en
préconisant une liaison directe avec le plan divin. La Gnose pouvait accepter
que les néophytes puissent connaître des initiations, mais elle se passait de
prêtres médiateurs et d'intercesseurs intervenant entre l'homme et la divinité.
Le système entra donc en concurrence avec les organisations chrétiennes
structurées et les cultes et mythes spécifiquement chrétiens. La puissante
Église décida de détruire la Gnose qui, pour survivre, s'organisa en diverses
chapelles clandestines.
La coexistence forcée
provoqua cependant quelques influences mutuelles et quelques tentatives de mise
en commun tendant à rapprocher les deux doctrines. Le gnosticisme du début du
Christianisme n'est qu'un aspect de l'ensemble de la pensée gnostique. Il y a
aussi une gnose juive, une gnose islamique et même une gnose bouddhique. Au 2e
siècle, les Gnostiques désiraient intégrer le paléo-christianisme ésotérique
dans leur démarche globale car il leur paraissait enraciné dans les autres
cultes à Mystères. Ils tentèrent donc une synthèse entre la foi des Chrétiens
en un dieu unique et leurs idées gnostiques et néo-platoniciennes. Pour la
distinguer de la Gnose païenne dualiste et indo iranienne, l'Église appela
"orthodoxe" cette nouvelle gnose christianisante qu'ils tentaient
d'élaborer. Néanmoins, elle la condamna et elle en fit une hérésie majeure
promise aux feux des bûchers en ce monde et aux flammes de l'enfer dans
l'autre.
Les évolutionS de la
pensée gnostique ont été multiples. Certaines ont suivi le courant dualiste
d'origine indo iranienne s'exprimant dans le Néoplatonisme de Plotin et
l'Hermétisme, aboutissant ultérieurement au Manichéisme. D'autres ont essayé
d'intégrer les apports du Christianisme naissant à l'antique ésotérisme.
Contraints de se cacher, les différents groupes gnostiques ont été isolés et
ont formé des communautés secrètes de pensée ou de culte, des assemblées
fraternelles et fermées, (ecclesia ou églises), qui ont élaboré
des doctrines variées. On a donc vu apparaître plusieurs écoles gnostiques
relativement christiques sous les impulsions de Carpocrate, Basilide, Marcion
ou Valentin, à Rome ou à Alexandrie, et d'autres résolument païennes. Toutes
préservaient cependant leurs fondements métaphysiques communs en proposant le
même objectif, inciter chaque homme à retrouver son âme spirituelle au sein de
sa nature corporelle.
De nos jours, la Gnose
adapte son message à la culture occidentale traditionnellement chrétienne. Elle
se déclare souvent christique et voudrait alors montrer toute la richesse des
mythes du Christianisme originel en dévoilant leur véritable signification
cachée. Se dégageant de toute discussion concernant l’historicité des
fondements chrétiens, elle présente les personnages et les événements
évangéliques comme des représentations mythiques du chemin qui conduit l’Homme
à son salut. Ce décryptage des mythes relie le Christianisme originel aux
antiques Cultes à Mystères dont il est contemporain. On y retrouve leurs
principales caractéristiques tels les concepts d’immortalité de l’âme, de salut
et de résurrection. Le culte évoque toujours la passion, la mort et la
résurrection d’un dieu. Les pratiques comportent des prières, des
sacrifices, des émotions violentes et des rites pénitentiels, et les liturgies
conduisent au salut dans un autre monde.
Les 'Pères' du Gnosticisme
christique
Le premier reconnu
aurait été Simon le Magicien, un contemporain des apôtres dont l'existence
paraît plus légendaire que réelle. Son disciple Ménandre voulait sauver les
âmes captives ici bas et proclamait l'absolue transcendance de la divinité.
Saturnin enseignait que sept anges avaient créé le Monde et tenté de façonner
l'Homme à l'image de Dieu. Saisi de pitié pour l'ouvrage manqué, Dieu
l'anima d'une étincelle d'esprit qui remonte à lui à la mort. L'oeuvre du
gnostique égyptien Carpocrate aurait aussi été brûlée. Il semble qu'il pensait
que Jésus n'était pas un "Sauveur" mais simplement un homme
qui avait réalisé son idéal de justice. Puis il avait rejeté les créateurs
inférieurs de la matière avant de remonter vers le Père inengendré. Les
carpocratiens honoraient Jésus à l'égal de Platon. Ils enseignaient que l'âme
devait passer par une série de transmigrations avant de s'affranchir des
illusions du Monde et de regagner finalement son lieu originel divin.
Basilide naquit à
Alexandrie dans le 1er siècle de notre ère. Il rédigea un évangile qui a été
brûlé comme tous les textes gnostiques accessibles à l'époque. Il concevait 365
cieux imbriqués les uns dans les autres. Tous seraient hiérarchiquement peuplés
d'intelligences variées dont la moins élevée aurait créé notre propre Monde.
Dieu serait donc infiniment distant de ce Monde qui est la dernière de ses
émanations. Pêcheur par nature, l'Homme est justement condamné. Il possède deux
âmes qui entrent perpétuellement en conflit et peuvent se réincarner. La
résurrection est impossible car les corps sont totalement corrompus. Les âmes
d'un petit nombre d'élus pourraient rejoindre leur source divine en trompant
magiquement les Archontes créateurs du Monde. Basilide ne croyait pas à
l'incarnation du Christ. Il pensait que l'homme mort sur la croix n'était pas
Jésus mais Simon de Cyrène. Il eut de nombreux disciples. Le plus connu de ces
Basilidiens fut Marcion.
Basilide naquit à
Alexandrie dans le 1er siècle de notre ère. Il rédigea un évangile qui a été
brûlé comme tous les textes gnostiques accessibles à l'époque. Il concevait 365
cieux imbriqués les uns dans les autres. Tous seraient hiérarchiquement peuplés
d'intelligences variées dont la moins élevée aurait créé notre propre Monde.
Dieu serait donc infiniment distant de ce Monde qui est la dernière de ses
émanations. Pêcheur par nature, l'Homme est justement condamné. Il possède deux
âmes qui entrent perpétuellement en conflit et peuvent se réincarner. La
résurrection est impossible car les corps sont totalement corrompus. Les âmes
d'un petit nombre d'élus pourraient rejoindre leur source divine en trompant
magiquement les Archontes créateurs du Monde. Basilide ne croyait pas à
l'incarnation du Christ. Il pensait que l'homme mort sur la croix n'était pas
Jésus mais Simon de Cyrène. Il eut de nombreux disciples. Le plus connu de ces
Basilidiens fut Marcion.
Né vers l'an 100, Valentin
influença fortement le Gnosticisme. Á l'origine, il y a un principe parfait et
transcendant. Par réflexion, il en émane un éon, Barbélo, formant un premier
couple. Trente émanations successives constituent le Plérôme. Voulant utiliser
seule la puissance du Père, le dernier éon, Sophia, provoqua la chute pré
cosmique, engendrant l'ignorant Yaldabaoth, le démiurge biblique. Chassé du
Plérôme, il créa l'impotent "Homme Psychique". L'éon
"Christ" le lui fit animer d'un souffle, faisant naître "l'Homme
Pneumatique". Privé de sa puissance, ldabaoth précipita l'Homme dans la
matière. Les hommes n'ont aucune part dans leur salut. L'humanité est séparée
en trois classes prédéterminées. De nature spirituelle, les pneumatiques seront
individuellement sauvés. Les psychiques n'ont qu'une âme mais peuvent être
instruits du salut. Les hyliques en resteront exclus jusqu'à une eschatologie
générale qui détruira l'univers matériel
Évangile de Thomas
Qu'il cherche, le chercheur jusqu'à ce qu'il trouve,
et quand il aura trouvé, il sera
bouleversé,
et étant bouleversé, il sera
émerveillé, et il régnera sur le Tout.
Let
him who seeks, not cease seeking until he finds,
and when he finds, he will be troubled,
and when he has been troubled,
he will marvel and he will reign over the All.
Les Néoplatoniciens
La plupart des textes
antiques, y compris gnostiques, ont été systématiquement détruits. Les livres
étaient alors copiés à la main en très petit nombre, et la Bibliothèque
d'Alexandrie réunissait l'essentiel du savoir. Elle fut incendiée par les
Romains, puis par les Chrétiens coptes. Il en fut de même de celle d'Antioche.
Plus tard, ce qui demeurait fut même jeté en mer par les Musulmans. Tous les
temples et objets cultuels ont été détruits sur ordre impérial. Les témoins
essentiels de la culture européenne originelle ont ainsi disparu. Les "Pères
de l'Église" ont cependant commenté abondamment les formes de pensée
qu'ils qualifiaient d'hérésie. Leur objectif étant la réfutation des idées
combattues, leurs écrits sont à considérer avec prudence. Ils peuvent apporter
quelques informations. Une autre source récente, d'extrême intérêt parce que
directe et authentique, réside dans les divers et précieux manuscrits coptes
découverts prés de Nag Hammadi, en Égypte.
Avant le 4e siècle,
les diverses formes de la pensée antique coexistaient dans une relative
tolérance. La philosophie se mêlait aux nouvelles religions qu'elle
concurrençait souvent. Au 3e siècle, le Néo Platonisme se fondait sur les
théories de Plotin. Le monde intelligible serait formé de trois substances,
(hypostases divines), le UN, L'Intelligence, et l'Âme. Le UN est le Dieu
de Plotin. Ce n'est pas l'Être mais la source de l'être, et toutes les choses
émanent de lui. Il est plénitude et on ne peut rien en dire. L'intelligence, ou
Esprit, c'est l'unité manifestée dans la multiplicité des idées qui se
rassemblent dans un même principe d'harmonie. L'âme procède des deux autres
hypostases. Elle est mouvement et raison et se divise en parcelles
individuelles en chaque vivant y compris dans chaque homme. Chaque âme
humaine est une parcelle divine engendrée par l'Intelligence dans sa
contemplation extatique de l'UN qu'il doit comprendre afin de s'y fondre.
Les Néoplatoniciens
égyptiens Plotin et Porphyre ont ouvertement critiqué la Gnose. Les écrits de
leur ami, le Syrien Jamblique s'approchaient cependant de pensée gnostique. Il
disait qu'avant les êtres véritables et les principes universels, il y a un
Dieu qui est l'Un, le tout premier, demeurant immobile dans sa singularité. Il
est à soi-même un père et un fils, et l'origine unique du vrai Bien. Il est la
source de tout et la base des êtres que sont les premières idées intelligibles.
Á partir de ce Dieu Un, se diffuse le Dieu Roi, auteur du devenir, de la nature
entière et de ses puissances. L'Homme aurait deux âmes. La première voit Dieu,
car elle est issue du Premier Intelligible. L'autre est introduite en lui à
partir de la révolution des astres, corps célestes des dieux, dont elle
accompagne le destin. En elle se glisse l'âme qui voit Dieu et qui est
supérieure au cycle des naissances. Par elle, délivrés de la fatalité, nous
remontons vers le Dieu intelligible.
Les Hermétistes et
l'Alchimie
Au début de l'ère,
l'Hermétisme concurrençait aussi la Gnose. Ultérieurement, les deux courants se
sont rapprochés. Au commencement, nous dit un texte attribué à
Hermès Trismégiste, il y eut Dieu et Hylé (la matière). Le Souffle, (l'Esprit),
était dans la matière mais pas de la même façon (...) qu'étaient en Dieu les
principes dont le Monde a tiré son origine. (...) Dieu qui est toujours, Dieu
éternel, ne peut être engendré, ni n'a pu l'être. Telle est donc la nature de
Dieu, qui toute entière est issue d'elle même. (...). Quant à Hylé, (la nature
matérielle), et au Souffle de Vie, bien qu'ils soient manifestement
inengendrés, ils ont en eux le pouvoir et la faculté naturelle de naître et
d'engendrer. (...). Voici donc en quoi se résume toute la qualité de Hylé (la
matière), elle est capable d'engendrer bien qu'elle soit elle-même inengendrée.
Or, s'il est de sa nature d'être capable d'enfanter, il en résulte qu'elle est
tout aussi capable d'enfanter le Mal.
Or le
Noûs, étant Vie et Lumière, engendra un Homme semblable à lui et s'en s'éprit
comme de son propre enfant. Car l'Homme était très beau, à l'image du Père, et
le Noûs lui livra toutes ses oeuvres. Et cet Homme nouveau qui avait plein
pouvoir sur le monde des animaux mortels et sans raison, se pencha au travers
de l'armature des sphères, et fit montre à l'autre Nature d'en bas, de la belle
forme de Dieu. La Nature sourit d'amour car elle avait vu les traits de cette
forme merveilleusement belle se refléter dans l'eau. Et lui, ayant perçu cette
forme semblable, en bas, dans la nature, et reflétée dans l'eau, il l'aima et
voulut habiter là. Ce qu'il voulut, il l'accomplit et s'en vint habiter la
forme irresponsable. Ayant reçu en elle son aimé, la Nature l'enlaça toute et
ils s'unirent car ils brûlaient tous deux d'amour. C'est pourquoi, seul de tous
les êtres, l'Homme est double, mortel de par le corps, mais toujours immortel
de par l'Homme essentiel.
De nature
divine, engendré non pas créé, l'homme originel est et demeure immortel même
après la chute, quelle que soit ce qu'on imagine, orgueil ou narcissisme. Il
peut cependant retrouver ses pouvoirs perdus dans la vie naturelle s'il accepte
la transfiguration du corruptible en incorruptible, symbolisée par la
transmutation alchimique du plomb vil en or pur. C'est cette possible
transformation que les disciples d'Hermès découvraient, non pas dans les
cornues des anciens Alchimistes, mais en eux-mêmes, dans l'inlassable
poursuite de la pierre philosophale. Celle-ci n'opérait qu'en présence d'un peu
d'or, symbole de la présence occulte de l'Esprit divin, préalable nécessaire à
la transmutation. Par amour, nous disaient ces ésotéristes, la Divinité descend
sacramentellement depuis l'Esprit pur vers chaque homme, en revêtant la
matière. Et, par amour aussi, l'Homme s'élève depuis sa corporéité vers Dieu,
en libérant son propre Esprit.
Mais, en l'an 390, un édit de l'empereur Théodose interdit la
philosophie et tous les anciens cultes dans tout l'empire romain
occidental. Le Christianisme, religion d'état, devint obligatoire sous peine de
mort, et les martyrs se firent bourreaux. Hélas, avec la civilisation
chrétienne et pour plus de mille ans, le fanatisme s'installa. Il détruisit les
bases de l'ancienne civilisation et la ville de Rome fut dépeuplée. Puis l'empire
oriental fut conquis par l'Islam. Les guerres des religions firent des millions
de morts. Plus tard, la civilisation méso-américaine disparut à son tour. Car
le fanatisme ne produit que la douleur et les cris, gémissements de
désespoir dans les prisons, ou hurlements dans les tortures et l'agonie des
supplices. Née dans une tyrannie oubliée, cette civilisation est maintenant la
nôtre. Nous espérions toute cette barbarie révolue, mais l'intégrisme religieux
renaît, manifestant de nouveau sa violence dans le sang et les larmes.
La tolérance commence par le doute
en la vérité de nos propres certitudes
Manichéens et Bogomiles
Mani (216-274), est un
Parsi gnostique qui se déclara successeur du Bouddha. Il professait une
religion dont la doctrine synthétisait celles de Zoroastre, de Bouddha et de
Jésus. L'homme primitif serait né de la confrontation du Bien et du Mal.
L'homme actuel est uniquement l'œuvre du Mal qui a triomphé. L’homme n’est
pas fils de Dieu mais enfant du Diable. L'existence du Mal est inacceptable et
la matière n'est qu'illusion. Il faut donc s'abstenir de toute œuvre
pérennisant son emprise, ne pas bâtir, ne pas semer, ne pas récolter, et ne pas
procréer. Entendre l'appel des fils de lumière est la seule chance de salut des
hommes. Cette vision pessimiste du Monde engendrait des troubles dans l’ordre
établi. Condamné et chargé de lourdes chaînes, Mani mourut d'épuisement dans un
cachot. Les missionnaires et les fidèles manichéens ont subi de terribles
persécutions. Malgré tout, et pendant plus de mille ans, le manichéisme se
répandit très largement partout, en Orient comme en Occident.
Le Manichéisme était
une grande religion. Pendant dix siècles, il s'étendit donc depuis l'Iran
jusqu'à la Mer du Nord, la Chine où l'on en trouve encore quelques traces, et
en Afrique. Il a même fourni à l’Islam quelques éléments de son rituel comme
les cinq piliers de la sagesse. Vers la fin du 4e siècle, inspirés par le
Manichéisme, divers courants ascétiques plus ou moins dualistes, se sont faits jour
au sein de l’Église occidentale qui les condamna et les combattit férocement.
Les Messaliens ou Euchites, étaient des errants vivant de prières et de
mendicité. Les Priscillianistes séparaient l'âme divine du corps matériel et
maléfique. Ils croyaient au déterminisme astrologique et confondaient les trois
personnes divines en une seule entité. L'évêque Priscillien fut le premier mis
à mort pour hérésie en 395. Les Pauliciens condamnaient le culte marial car ils
niaient l'incarnation de Jésus dans un corps matériel. Ils rejetaient le
clergé, et les rites. Ils communiaient par la prière, et refusaient
l'eucharistie.
La disparition du
Manichéisme a été lente. Il a longtemps persisté à travers divers
prolongements, les Mazkadites iraniens, les Zandaqa (contestataires) musulmans,
les Pauliciens byzantins, les Bogomiles bulgares et bosniaques, les Patarins
rhénans, ou les Cathares italiens et français. Les Bogomiles sont apparus vers
l'an Mille, en Asie Mineure. Ils avaient adapté le dualisme manichéen en
reconnaissant deux dieux, l’un bon et lumineux, l’autre mauvais et ténébreux.
Le second a fait le corps de l’Homme en y emprisonnant un ange de lumière. Le
procréation est condamnable car elle perpétue la démoniaque race humaine. Le
Christ n'est qu'un ange, et le corps de Jésus était un fantasme immatériel.
Jésus n’a pas souffert, n’est pas mort ni ressuscité. Le jugement dernier a
déjà eu lieu et ce monde-ci est l’enfer de punition. Les Bogomiles vivaient
pauvrement, travaillant de leurs mains. Ils baptisaient par l'esprit, refusaient
le mariage et s'abstenaient de viande et de vin.
Sévèrement
persécutés, les Bogomiles gagnèrent la Lombardie où ils donnèrent
naissance aux Patarins que l'on repère aussi en Bosnie et à Byzance, où leur
chef Basile fut capturé et brûlé au 11e siècle. Ces successeurs des Bogomiles
sont les précurseurs italiens du mouvement cathare. Les Cathares (du grec kataros « pur »)
adhéraient globalement au système dualiste
manichéen. Ils rejetaient le mariage et le baptême des enfants. Ils niaient
l'humanité du Christ et sa présence dans l'Eucharistie ainsi que l'existence du
purgatoire. Ils considéraient que les prières pour les âmes des défunts sont
inutiles. Ils condamnaient la messe et les sacrements et n'acceptaient que le
baptême de feu des adultes par l'Esprit Saint. Ils disaient que la procréation
est diabolique. Ils enseignaient que l'âme humaine est un esprit rejeté du
Royaume céleste. Enfermée dans un corps d'homme, elle ne peut trouver le salut
que par le mérite de ses actes. Les Cathares évitent aussi de consommer toute
nourriture carnée.
Les Cathares
Á la fin des
Croisades, la Chrétienté laissa le Moyen Orient aux mains des Musulmans.
Le coût de cette guerre insensée fut terrible, tant qu'en vies humaines qu'aux
plans économiques et politiques. Les moeurs des gens d'église se relâchèrent
fortement. En réaction contre le laxisme du clergé catholique, et bien avant le
mouvement de la Réforme Protestante du 16e siècle, divers courants désiraient
revenir à plus de pureté comportementale. C'est dans cet esprit que les
Cathares apparaissent au 11e siècle, en Italie du Nord, dans le Midi de la
France, en Flandre, en Angleterre, et en Allemagne. Les Bogomiles et les
Patarins semblent être à l’origine de chacun des deux courants du Catharisme.
Ils comptaient alors trois grandes églises en Italie, et quatre mille parfaits
pour l’ensemble de l’Europe dont deux mille pour l'Italie, (et deux cents
seulement dans le Midi). La persécution
multipliant les exécutions sur le bûcher dans le Nord, le Catharisme se réfugia
dans le Midi plus accueillant.
Les Cathares bogomiles de
l’Est de l’Europe ont adapté les enseignements manichéens à leur propre
culture. Il y aurait deux dieux, l’un bon et lumineux, l’autre mauvais et
ténébreux. Le second fit le corps de l’Homme en y emprisonnant de force un ange
de lumière. Le procréation est un acte condamnable car il en résulte la
perpétuation de la démoniaque race humaine. Le Christ est un ange de Dieu. Le
corps de Jésus était un fantasme immatériel. Jésus n’a pas souffert, n’est pas
mort ni ressuscité. Le jugement dernier a déjà eu lieu. Ce monde-ci est l’enfer
de punition et il n’y en a pas d’autre. La doctrine des Cathares patarins du
Sud, les Albanenses, les Albigenses ou Albigeois, dérive de celle d’Origène.
Ils croient en un seul Dieu créateur de la matière, des éléments et des anges.
Le fils des Ténèbres est l’intendant du Monde et il y créée toutes choses. Le
libre arbitre a causé la déchéance de Lucifer qui a séduit d’autres anges. Il
est le Dieu de la Bible et l’artisan du monde visible.
Les Cathares étaient
recrutés dans toutes les classes de la population y compris dans le clergé. En
1167, à la suite d'une assemblée générale tenue aux environs de Toulouse et
présidée par le Patriarche byzantin Nicétas, chef de l'Église bogomile de
Dragovitchia, venu de Constantinople, les communautés s'organisèrent pour
former finalement une vingtaines d'églises territoriales couvrant la France,
l'Italie, les Balkans et les pays rhénans. Chaque église était constituée en
évêché placé sous l'autorité d'un évêque. Les fidèles cathares étaient
hiérarchisés en trois degrés, les auditeurs, les croyants, et les élus. Pour la
plupart, les auditeurs étaient des paysans et des pauvres attirés par le
contenu pacifique des sermons cathares. Ils continuaient cependant à mener leur
existence laborieuse habituelle. Les croyants devaient respecter diverses règles
morales et disciplinaires, et accepter une réelle ascèse avant d'envisager
d'accéder au rang d'élus, de devenir "Parfait".
La dernière catégorie est
celle des "Élus" ou "Parfaits". Ils se
disaient simplement "Chrétiens". Ayant fait voeu de célibat,
ils pouvaient être des hommes ou des femmes. Les fidèles les appelaient "Bons
Chrétiens" ou "Bons Hommes" ou "Bonnes
Chrétiennes" ou "Bonnes Dames". Le passage au degré
de "Parfaits", s'opérait par le rite du "Consolamentum",
ou "Saint baptême de Jésus-Christ" qui était un baptême de
"Feu", le baptême de l'Esprit. Ce sacrement unique se
pratiquait par imposition des mains, en filiation apostolique. Les Cathares
considéraient que cette pratique leur venait directement des apôtres. Les
Parfaits prêchaient l'Évangile, annonçaient l'amour de Dieu, et conféraient le
sacrement du Consolamentum aux mourants pour remettre leurs péchés et sauver
leurs âmes en les rendant à Dieu. Ils étaient connus par leur charité et
par l'exemplarité de leur vie. Ayant renoncé à tout bien et vivant en
collectivité, ils étaient des religieux pour qui le travail apostolique était
primordial.
Aux yeux des Catholiques, le
Catharisme est une hérésie caractérisée. Le Christ n'aurait que l'apparence de
l'homme, et sa nature serait purement spirituelle. Il aurait été envoyé sur
Terre par le Dieu d'Amour pour y répandre la bonne nouvelle évangélique et
faire oublier l'ancienne loi de Yahweh, le Dieu cruel des Hébreux. Les Cathares
n'acceptent que le Nouveau Testament et rejettent l'Ancien. La nature du Christ
ne pouvant être corporelle mais uniquement spirituelle, ils refusent
l'Eucharistie. Ils bénissent cependant le pain et récitent le
"Pater". Pour eux, il y a deux mondes, le Royaume de Dieu dont
l'Évangile dit qu'il n'est pas de ce Monde, et ce monde mauvais, voué à la
destruction et à la mort, qu'il faut se garder de perpétuer par la chair. Et il
y a deux églises, celle du mauvais monde, l'Église Romaine, et celle du vrai
Dieu, héritée des Apôtres, celle des Cathares. La reprise de ces anciennes
thèses hérétiques provoqua la fureur de Rome et déclencha des persécutions
effroyables.
Les Croisades et l'Inquisition
Entre le 12e et le 13e
siècle, les souverains chrétiens européens entreprirent de rétablir militairement
le libre accès aux lieux saints du Christianisme, tombés aux mains des
musulmans. Outre ces objectifs, des raisons plus politiques jouèrent alors,
telle la volonté du Pape d'affirmer son autorité affaiblie par le schisme
d'Orient. Par ailleurs, depuis la chute de Byzance, les musulmans prélevaient
sur les pèlerins un droit de passage fort coûteux qui gênait le commerce vénitien.
En novembre 1095, le pape Urbain II prêcha la première de ces huit Croisades
dirigées contre les nations du Moyen Orient. Elles prirent fin deux siècles
plus tard, avec la perte de la ville d'Acre en mai 1291. Á leur début, elles
avaient permis l'établissement d'états francs en Palestine puis d'un empire
latin en Orient. Ces créations artificielles ne se maintenaient qu'avec l'aide
de renforts constants multipliant les expéditions. Elles aggravèrent un
douloureux conflit de civilisations qui envenime encore aujourd'hui les relations
entre l'Occident et le Monde musulman.
Á partir du 8e siècle,
les musulmans conquirent l'Afrique du Nord puis l'Espagne à l'exception des
provinces du Nord. Progressant ensuite en France, ils furent stoppés à Poitiers
et contenus en deçà des Pyrénées. Ils établirent, à Cordoue, un califat qui en
fit une ville prestigieuse. On y trouvait une brillante culture et une
tolérance très relative envers les autres religions du Livre. Au nord de cet
puissant état, les souverains chrétiens se maintenaient dans une méfiante
défensive. Au 11e siècle, profitant d'un affaiblissement du califat, ils
entreprirent la reconquête du pays, la"Reconquista", une
croisade hispanique appuyée ultérieurement sur les tribunaux de l'Inquisition.
Les musulmans se maintinrent cependant dans le sud du pays jusqu'à la chute de
Grenade en 1492. Les débuts du millénaire furent un temps de conquêtes
impitoyables et de rivalités religieuses à l'échelle mondiale. L'intolérance
fut mutuelle et féroce. C'est dans ce climat général d'ambition et de violence
guerrière qu'apparurent alors les Bogomiles et les Cathares.
Devenu religion d'état
au 4e siècle, le Christianisme fixa son dogme puis s'efforça d'éliminer toutes
les opinions différentes qualifiées d'hérésie. Rejetés par l'Église, les hérétiques
(ou païens) étaient remis au pouvoir civil qui les exécutait obligatoirement en
application de la loi. Le système fonctionna jusqu'à l'an Mil où naquirent de
nouvelles contestations. Les bûchers réapparurent aussitôt, et douze chanoines
d'Orléans furent brûlés vifs. L'Église imposait un implacable pouvoir mais les
contestataires dénonçaient sa richesse et le mode de vie de ses dirigeants.
Cette opposition gagna autant les paysans du Nord que la noblesse du Sud. Au
12e siècle, les opposants dits "cathares" adoptèrent les
croyances des Bogomiles. En 1163, de nombreux Cathares furent brûlés à Cologne.
Le pape Innocent III ne supporta pas que la noblesse occitane protègeât les
cathares. Il fomenta une première expédition militaire contre le comté de Toulouse.
Elle se livra à d'effroyables massacres dont le terrible sac de la ville de
Béziers.
Après la destruction
de Béziers, le légat osa écrire au Pape : "Les nôtres n'épargnant
ni le rang, ni le sexe, ni l'âge, ont fait périr par l'épée environ 20.000 personnes.
Toute la cité a été pillée et brûlée. La vengeance divine a fait
merveille". En 1226, Le roi de France reprit la croisade, levant une
immense armée. Le comte de Toulouse se soumit mais la guerre poursuivit ses
incroyables exactions. Elle détruisit le clergé cathare. Sans évêques, plus
d'ordinations. Deux mille "Parfaits" périrent sur les bûchers.
Puis l'Église installa l'Inquisition, obtenant la délation par la torture. La
terreur régna et le Midi fut détruit. Le symbole du martyre reste le château de
Montségur où le reste de la hiérarchie se réfugia. Assiégé pendant un an,
Monségur se rendit le 16 mars 1244. On brûla vifs 225 bons hommes et bonnes
femmes au pied de la forteresse. En l'an 1300, on brûla les derniers Cathares.
Malgré l’Inquisition, le Catharisme survécut encore quelque peu, très
difficilement en Languedoc, un peu mieux en Italie, jusqu’au 15e siècle.
On démolit les maisons
des parfaits, on exhuma et brûla leurs cadavres. On brûla aussi tous leurs
livres. La destruction des oeuvres et archives cathares fut tellement complète
que presque rien ne nous en est parvenu. Nous ne disposons que de trois courts
documents authentiquement cathares et nous devons utiliser les nombreux procès
des accusations portées par leurs juges. Aujourd'hui, les connaissances
rassemblées montrent que la religion cathare reposait essentiellement sur
l’étude et la proclamation de l’Évangile, et donc sur la parole du Christ
contenue dans le nouveau testament. Elle était authentiquement et profondément
chrétienne. Le dualisme des Cathares, leur volonté de pureté, leur encratisme,
c’est-à-dire leur refus d’engendrer, leur végétarisme, leur rejet de la Bible,
de l’Eucharistie et de la Croix provoquèrent cependant la colère de l’Église
catholique. Déjà en 323, à Nicée, dans son article 8, le tout premier concile
oecuménique critiquait ceux qui se disaient purs, et il les appelait
"cathares".
Au début du 13e
siècle, pour des raisons à la fois politiques et religieuses, et par cupidité,
la papauté, les rois et les princes décidèrent de détruire les Bogomiles et les
Cathares. Plusieurs croisades furent lancées sur les instructions du pape
Innocent III, d'abord dans les Balkans puis en Occitanie. La terrible guerre
dura 150 ans, faisant d'innombrables victimes. Les persécutions ordonnées par
les papes dépeuplèrent les villes méridionales qui passèrent aux mains du roi
de France. Le pape Grégoire IX institua l’Inquisition en 1233, en la confiant
aux Dominicains et aux Franciscains. Le pape Alexandre IV préconisa ensuite l’usage
de la torture. L'évêque de Pamiers, futur pape Benoît XII, fut lui-même
inquisiteur et fit torturer et exécuter de nombreux Cathares et Vaudois. Le
pape Sixte IV étendit l’Inquisition à l’Espagne puis à l'Amérique du Sud.
D'abord créée pour détruire les "hérétiques", l'institution
n'a jamais été totalement supprimée. Réformée, elle s'appelle actuellement
"Congrégation pour la doctrine de la Foi".
Gnôsis
Le mot "gnose"
désigne communément les différents modes de connaissance permettant de porter
un jugement éclairé sur la nature véritable du Monde. Les visions résultantes
diffèrent selon la variété et la précision des outils de recherche utilisés.
Elles varient aussi avec la personnalité et les intentions du chercheur ainsi
qu'avec l'acuité et l'indépendance du regard porté sur les phénomènes pris en
compte. On peut considérer des gnoses historiques en les associant aux
théoriciens qui en ont élaboré les fondements. Mais la Gnose n'est pas un
hypothétique évènement de l'Histoire. On peut différencier diverses gnoses
religieuses par leurs doctrines ou leurs pratiques. On a aussi parlé de gnoses
métaphysiques issues des écoles de pensée du 2e siècle, et même de gnoses
scientifiques telle celle de Princeton. Ces démarches ne sont cependant pas
véritablement gnostiques et s'écartent de la pure spiritualité de la
Gnose.
On distingue
facilement la Gnose de la recherche scientifique qui tend à construire une
image synthétique du monde extérieur. Écartons aussi les reconstitutions des
antiques écoles gnostiques faites par des historiens ou des métaphysiciens. Ce
sont des reconstructions intellectuelles parfaitement extérieures à la Gnose.
Des religions se disent gnostiques parce que dualistes, mais leurs doctrines
sont élaborées sur des émotions entretenues par les rites. La Gnose, c'est
d'abord "Connais-toi toi même et tu connaîtras l'Univers et les
Dieux". Ce retournement vers soi peut générer une grande erreur car le
mental recèle essentiellement le Moi. L'isolement dans les pulsions du Moi,
c'est un paradis. L'Hermétisme décrit cette chute dans la nature de l'homme
originel amoureux de l'image qu'il se créée de lui même dans le miroir de son
mental. La véritable Gnose est une démarche totalement spirituelle, et c'est
donc tout autre chose.
La Gnose est donc essentiellement
une vision, une lumière intérieure. Elle révèle au gnostique qu'il est un
étranger captif en ce monde. Il doit travailler ardemment à sa propre
libération afin de réintégrer le Monde lumineux des origines. Mais sa mission
est aussi d'oeuvrer à la libération des autres captifs, car l'humanité entière
est prisonnière de l'obscurité. Les Gnostiques pensent qu'il en est ainsi
depuis le début de ce monde d'épreuve. La tâche est donc très difficile et
nécessite une aide en provenance du monde originel. La Gnose serait
l'illumination qui permet de retrouver tout au fond de soi-même les qualités
primordiales nécessaires à la mutation spirituelle de l'humain ordinaire, des
vertus qui transcendent l'existence même de la matière et de la vie. Elles ne seront
pas conquises mais désirées, et seulement concédées, par grâce. Les voici dans
l'ordre où il m'a semblé les percevoir. Elles seraient Force, Amour, et
Liberté.
Esprit enfanté par l'Esprit,
Non pas créée mais engendrée,
L'Âme dans l'Homme ne peut mourir.
CHAPITRE 9
De Giordano Bruno à l'Univers
vivant.
L'hylozoïsme est une doctrine philosophique qui considère que tout est
vivant dans l'Univers, que toute matière est donc animée, doué de mouvement et
d'âme (Celle-ci étant le principe de la vie organique et de la pensée). Elle
est proposée par les philosophes grecs présocratiques et les stoïciens qui
croyaient en la nécessaire existence de l'infini, mais on la retrouve un peu
chez les néoplatoniciens égyptiens. Dans le monde occidental chrétien, la
prédominance des théories aristotéliciennes bloqua sa diffusion jusqu'à la
Renaissance. Les travaux de Copernic provoquèrent alors sa réactivation,
avec un acteur remarquable, un religieux au destin tragique Giodano Bruno dont
ce cahier se propose d'exposer la pensée et qui disait "Je puis affirmer
que je n'appartiens à aucun mouvement d'aucune sorte. «Académicien de nulle
académie», je marche seul.". L'hylozoïsme ne disparaitra pas avec le
supplice du moine, il se réactivera épisodiquement sous l'impulsion
d'hermétistes modernes tels Fulcanelli et de nos jours dans le courant de
pensée du Nouvel Âge, en particulier chez les partisans de Géa, (la Terre
vivante.
"La Cène ou le e Banquet des Cendres’’ est le premier des trois
grands dialogues métaphysiques de Giordano Bruno, dans lequel il expose ses
conceptions cosmologiques. Il y défend l’hypothèse copernicienne au cours
d’un banquet organisé ‘‘en son honneur’’ par les docteurs anglais le 14 février
1584, jour des Cendres".
Biographie de Giordano Bruno
Giordano Bruno
naquit en 1548 dans une famille modeste, près de Naples, aux environs de Nola,
d'où son surnom de Le Nolain. Il s'appelait en réalité Filippo Bruno, et fit
ses études à Naples avant d'entrer en 1565 au couvent dominicain San Domenico
di Maggiore. Il prit alors le prénom de Giordano en hommage à son professeur de
métaphysique, mais se révéla vite rebelle dans les domaines des sciences et des
philosophies. Il s'intéressait aussi à l'hermétisme et la cosmologie.
Ordonné prêtre en 1573, il commenta Érasme, un hérétique, et se hasarda a à
critiquer certains aspects du dogme, (Culte de Marie, dogme de la Trinité).
Soupçonné
d'hérésie, il quitta l'habit, parcourut l'Italie puis Chambéry et gagna
Genève où il embrassa le Calvinisme. En conflit avec la hiérarchie protestante,
il fut arrêté et excommunié en août 1579. Il gagna alors la France par Lyon et
Toulouse puis Paris où il devint le protégé du Roi Henri III qui le nomma
"Lecteur royal". Il y publia quelques ouvrages puis abandonna sa charge
et s'en fut en Angleterre qui l'accueillit froidement. C'est pourtant à
Londres qu'il publia les trois textes les plus importants de son œuvre,
"La Cena de le Ceneri" (la cène des cendres), "De la causa,
principio e uno" (la cause, le principe et l'un), "De l'infinito,
universo e mondi" (l'infini, l'univers et les mondes), suivis d'autres
complémentaires moraux. Rejeté, Bruno regagna Paris devenu moins accueillant.
Il s'y' querella avec Fabrizzio Mordente. Menacé, Bruno rejoignit l'Allemagne
en 1586, y publiant quelques ouvrages avant d'être excommunié par les
Luthériens. Il se rendit alors à Venise sur l'invitation de Giovanni
Mocenigo. Mais le patricien le dénonça à l'Inquisition qui l'arrêta le 22
mai 1592, inaugurant un très long procès au terme duquel, à Rome, sur le Campo
dei Fiori, le 17 Février 1600, nu et lié à un poteau, Bruno fut brûlé vif.
Le procès de Bruno tient son origine de l'accusation de Mogecino qui comportai des argument théologiques multiples, (mépris des religions, refus des dogmes de la Trinité e de la transsubstantiation, blasphème contre le Christ, croyance en la métempsycose, pratique de la magie, négation de le virginité de Marie, critiques des docteurs de l'Eglise, séjours répétés dans des pays hérétiques, entre autres). Mogecino rappelait aussi les précédentes condamnations prononcées par l'Inquisition et évoquait les affirmations de Bruno concernant l'infinitude et l'éternité de l'Univers et la multiplicité des mondes.
Bruno tenta de séparer les arguments théologiques des affirmations philosophiques( ou cosmogoniques). Il se prêta même à un simulacre de repentir, mais Rome avait obtenu son extradition, et il y fut donc transféré. De nouvelles accusations furent portées en 1593. Le procès traina en longueur. Sommé d'abandonner ses théories cosmogoniques, la Nolain persista. Tous ses écrits furent alors censurés, et le Saint Office l'invita à abjurer sur des bases mal connues. Bruno accepta mais incomplètement. Repoussant la soumission totale, il refusa toujours de reconnaître son hérésie et de revenir sur sa conception de l'Univers. Le tribunal lui accorda un délai de quarante jours pour abjurer, mais Bruno ne céda pas.
Le 20 janvier 1600, leL pape Clément VIII ordonna qu'il
soit jugé comme hérétique formel, impénitent et persistant. La sentence fut lue
publiquement par le cardinal Madruzzi. Condamné à la dégradation de ses ordres
et expulsé de l'Église, Bruno était renvoyé devant une cour séculière,
hypocrisie qui signifiait obligatoirement la mort sur le bûcher. Tous ses ouvrages
furent mis à l'index. Ceux que détenait l'Inquisition furent publiquement
brûlés. Le 17 Février 1600, langue coupée, une planchette enfoncée dans la
gorge, Bruno fut livré au feu du bûcher.
D’autres libres penseurs
partagèrent plus ou moins le terrible sort de Giordano Bruno. On peut citer ses
compagnons d'enfermement comme Francesco Pucci également emprisonné, torturé et
exécuté comme hérétique, ou Thomaso Campanella qui critiquait également
les thèses surannées d'Aristote. Le plus célèbre est certainement Galilée (Galileo
Galilei), un astronome italien que le grand duc de Toscane avait nommé
mathématicien de la cour. Avec sa petite lunette astronomique, il prouva que
Copernic avait raison en rejetant le géocentrisme au profit de
l'héliocentrisme. S'opposant résolument aux vues de Galilée, le Saint Office de
Rome publia un édit contre Copernic en 1616. En 1623, le pape Urbain VIII
autorisa Galilée à écrire un livre comparant les systèmes de Ptolémée et de
Copernic. L'Inquisition lui avait précédemment interdit de défendre les
théories de Copernic et Galilée fut donc mis en jugement. En juin 1633, il fut
condamné à la prison à vie pour grave suspicion d'hérésie.
Ses écrits furent censurés
et il fut interdit aux éditeurs de publier ses travaux passés ou futurs. Cette
condamnation fut commuée en mise en résidence surveillée, d'abord chez
l'archevêque de Sienne puis dans sa propre maison d'Arcetri, près de Florence
où il acheva sa vie. Un autre penseur, Lucilio Vanini connut le même destin que
Bruno. Il avait étudié la philosophie et la théologie à Rome, et le droit à
Naples et poursuivit ses études à Padoue où il entra dans les ordres. Il se
rendit en Suisse, en Hollande, en France et en Angleterre. De retour en Italie,
il tenta d’enseigner à Gênes, puis retourna en France pour se disculper de
l’accusation d’athéisme. Il se retira ensuite à Toulouse où il enseigna. Du
Capitole au Parlement de Toulouse, on s’inquiéta des troubles à l’ordre public
et de son influence sur la jeunesse. Arrêté en novembre 1618 par l’Inquisition,
il fut accusé d'athéisme et d’avoir des mœurs contre-nature. Convaincu de
blasphème, impiété, athéisme, sorcellerie et corr D uption de mœurs, Lucilio
Vanini fut condamné à avoir la l angue coupée, à être étranglé puis brûlé, et
le 9 février 1619, sur la place du Salin, où il subit la sentence en hurlant
horriblement.
Concernant
Galilée, le jugement de l'Inquisition ne fut annulé qu'en 1992!
Concernant
Giordano Bruno, à l’occasion du 400ième anniversaire de sa mort. le
cardinal Poupard a exprimé le 3 février 2000, les regrets de l’Eglise devant
les bûchers de l’Inquisition, et affirmé nettement leur incompatibilité avec la
vérité évangélique. Mais il a cependant confirmé que Bruno ne serait pas
réhabilité, déclarant que "Indépendamment de la peine capitale qui lui fut
imposée, sa condamnation pour hérésie, se présente encore comme pleinement
motivée". Le Saint-Siège maintenait donc la validité théologique de la
condamnation. Et donc, si Bruno revenait aujourd’hui avec les mêmes convictions
il ne serait plus condamné à mort mais il serait encore condamné.
Ces trois procès,
apparemment similaires, recouvraient des situations fort différentes. En dépit
du parallélisme des destins de Bruno et de Vanini, ce dernier fut
essentiellement condamné en raison de sa conduite licencieuse. Âgé et affaibli,
Galilée ne fut jamais torturé et se soumit assez facilement aux exigences de
des juges en renonçant publiquement à ses convictions coperniciennes. Ce n'est
que sur sa tombe que fut tardivement inscrite la célèbre épitaphe qu'il ne
prononça jamais."Eppur si muove" (Et pourtant elle tourne).
Mais, Giordano Bruno fut
soumis aux conditions dites "stricte" d'interrogatoire,
euphémisme cachant la torture du patient, étiré très douloureusement par
suspension, devant un greffier qui notait tout, y compris ses supplications et
ses cris. Bruno persistant dans sa conception de la Trinité, de
l'Incarnation et celle des mondes innombrables, l'Inquisition lui fit une
"Sommation" dans laquelle on relève les propositions d'abjuration
suivantes. 1/ Identification de l'Âme du Monde et de la Matière
Première avec les deux principes éternels des choses. 2/ Correspondance de l'Effet
infini avec la Cause infinie. 3/ Conception de la relation âme
universelle et âme individuelle. 4/ Interprétation de la loi de
génération et de corruption. 5/ Adhésion à la théorie de Copernic. 6/
Assimilation des Anges à des Astres. 7/ Attribution à Terre d'une
âme sensible et rationnelle. 8 /Non-identification de l'âme à la forme du corps
humain.
S'y ajoutèrent la définition
de l'Esprit Saint comme Âme du Monde et la croyance aux préadamites
(des hommes qui auraient existé avant Adam). Le Nolain se défendit fort
adroitement et le Saint Office corrigea ses demandes sans que nous sachions dans
quelle forme. Bruno ne se soumit que partiellement, persistant dans ses
convictions essentielles. Au terme de l'ultimatum posé par le tribunal, il
déclara ne pas être disposé à la rétractation et affirma n'avoir tenu ni écrit
aucun propos hérétique. Quand la condamnation fut prononcée, il adressa aux
juges cette phase. "Vous éprouvez sans doute plus de crainte à rendre
cette sentence que moi à l'accepter.
Les apports hylozoïstes de Giordano Bruno
Nous ne parlerons pas ici des conflits dogmatiques ouverts avec les
autorités de l'Église romaine (Esprit Saint, Trinité, Vierge Marie, Jésus,
et..), mais seulement de ce qu'a apporté, à son époque, la pensée de Bruno à la
connaissance humaine. Ce n'était pas un savant astronome comme Copernic ou
Galilée, mais un petit moine épris de philosophie et de théologie, chercheur de
vérité sincère mais fier. Il avait été formé à la façon de son temps, il
n'avait pas de lunette astronomique, et son discours ne se fondait pas sur
l'expérience pratique, mais se construisait de façon logique sur une succession
de raisonnements menés à partir de ce qu'il croyait être vrai ou faux. C'est
ainsi que malgré l'exceptionnelle importance des concepts qu'il a élaborés en
ce qui concerne l'immensité de l'univers et la multiplicité des mondes, ses
développements sont parfois restés bloqués par les acquis de sa formation
initiale (les quatre éléments par exemple). Une seule vision de Monde était
alors "autorisée", en conformité avec la parole biblique, la modèle
de Ptolémée, relayé par Aristote. La Terre, centre du Monde, serait entourée de
sphères concentriques mobiles entraînant les astres qui l'éclairent (sauf celle
des étoiles qui est fixe).
Un astronome polonais, Nicolas Copernic équipé d'une petite lunette
astronomique observa las phases de la planète Vénus et en déduisit une
hypothèse révolutionnaire. Il postula que le centre du Monde était le Soleil,
non plus la Terre. On ne sait ni où ni comment Bruno connut les livres de
Copernic, mais il en tira une certitude encore plus étonnante, il pressentit
que l'univers était infini, que son centre était à la fois partout et nulle
part, et qu'il était peuplé de mondes innombrables. Il en déduisit que la
sphère des étoiles fixes n'existait pas, qu'elles étaient des soleils lointains
entourés d'autres mondes ressemblant à la Terre. Bruno n'était pas panthéiste,
et rationnellement ne pouvait concevoir la coïncidence de deux infinis. Et il
distingua bien son Dieu transcendant de l'Univers.
Citations tirées de ses principaux livres
1 / "Ce n'est point dans un
seul soleil que Dieu est glorifié, mais dans d'innombrables soleils ; pas dans
une seule terre, un seul monde, mais dans des milliers de milliers, je veux
dire dans une infinité de mondes".
Giordano Bruno - (L'infini, l2 / Le monde est infini : aucun corps ne s'y trouve dont on puisse dire
dans l'absolu qu'il occupe une position médiane, ou extrême, ou intermédiaire
entre ces deux termes ; on ne peut le dire que relativement à d'autres
corps et à d'autres termes appréhendés à cet effet.'Univers et les
Mondes)
Giordano Bruno - (La Cène des Cendres)
3 / "Si la terre a des sens,
ils ne sont pas semblables aux nôtres ; si elle a des membres, ils ne sont pas
semblables aux nôtres ; si elle a de la chair, du sang, des nerfs, des os et
des veines, ce n'est pas comme nous ; si elle a un cœur, il n'est pas semblable
au nôtre.
Giordano Bruno - (La Cène des Cendres)
4 / "Je dis que Dieu est tout
infini, parce que tout en lui se trouve dans le monde en son entier et
totalement dans chacune de ses parties, au contraire de l''infinité de
l'univers, laquelle est totalement dans le tout, et non dans ces parties
finies".
Giordano Bruno - (L'infini, l'Univers et les Mondes)
Contre l'affirmation ptoléméenne de l'existence d'un monde unique dont
notre terre était le centre, et contre la théorie copernicienne qui mettait le
Soleil au centre de cet unique monde concentrique, Bruno a fondamentalement
posé l'hypothèse d'un univers infini peuplé de mondes innombrables. Il
distingua deux modes d'infini, ce qui est dans l'infini, les mondes considérés
chacun avec ses caractéristiques particulières, de ce qui est de l'infini, les
mondes considérés dans leur totalité, c'est à dire l'univers total. Il pensa
prouver que cet univers était immobile et unique, puisque étant infini, il ne
laissait donc nulle place où aller et où puisse être quelque autre entité que
lui même. Il lui assignait un forme sphérique dont le centre est partout et la
circonférence le centre nulle part, chaque monde étant donc à la fois au centre
et aux limites de l'univers, (ce qui est un concept très actuel).
Bruno affirma aussi que les astres sont des êtres vivants, certes d'une
autre nature que celle des les hommes mais jouissants de leurs capacités
propres et de leur formes spécifiques de conscience. C'est en ce sens qu'il les
appelle animaux (du mot latin anima, l'âme). Rappelons que les
Néoplatoniciens énonçaient déjà que les astres étaient les corps des dieux.
Citons ici un dialogue entre Jamblique et Porphyre, "Les dieux-astres
ne sont pas enveloppés par leurs corps, ce sont eux qui les enveloppent, ils ne
se convertissent pas vers leurs corps, ce sont leurs corps qui se convertissent
vers eux. Le corps des astres leur est étroitement apparenté, à la différence
complète de nos corps à nous (...). et tous les dieux sont bons parce qu'ils
regardent vers le Bien."La nouvelle proposition du Nolain était
accompagnée d'une précision qui parut alors plus scandaleuse encore :IL énonça
que, considéré dans sa globalité, l'univers infini était animé et doué de conscience
(sans être pour autant conceptuellement confondu avec Dieu, car, pour Bruno,
c'est même "(le fini local de l'infini multiple qui explique la
substance divine")
Autres
citations des livres de Bruno
1 / "La Terre et nombre
d'autres corps, appelés astres sont eux-mêmes doués de vie ; et vivants, c’est
de manière volontaire, ordonnée et naturelle, suivant un principe intrinsèque,
qu’ils se meuvent vers les choses et les espaces qui leur conviennent".
Giordano Bruno, (La Cène des Cendres).
2 / "Ceux des autres globes
qui sont des terres ne diffèrent en rien du nôtre quant à l'espèce ; seule
les différencie une taille plus grande ou plus petite, de même que chez les
espèces d'animaux l'inégalité est l'effet de différences individuelles".
Giordano Bruno - (La Cène des Cendres)
3 / " Une chose, si petite et
si minuscule qu’on voudra, renferme en soi une partie de substance spirituelle
(…); parce que l’esprit se trouve dans toutes les choses et qu’il n’est de
minime corpuscule qui n’en contienne une certaine portion et qu’il n’en soit
animé".
Giordano Bruno, (Cause, Principe et Unité)
4 / "Ce qu’on peut dire de
chaque parcelle du grand Tout, atome, monade, peut se dire de l’univers comme
totalité. Le monde en son cœur loge l’Âme du monde, l’Esprit (Ndlr. le Saint Esprit)".
Giordano Bruno, (Cause, Principe et Unité).
Avec cette proposition nouvelle de l'univers infini animal, c'est à dire
vivant et conscient, on parait ici basculer de l'hylozoïsme à une certaine
forme de panpsychisme, doctrine philosophique qui considère que tout ce qui
existe, toute réalité matérielle, non pas seulement l'esprit, possède une
nature psychique. Le panpsychisme confère à la réalité physique des forces et
des activités comparables à celles de l'âme humaine, sensibilité, conscience,
mémoire. Ce principe vital serait donc une véritable propriété physique, immanente
à la matière par opposition au Théisme qui postule l'existence et
l'action d'un être divin transcendant, extérieur à la nature.
L'hylozoïsme est l'une des cibles de Kant, dans la Dialectique de la Critique
de la faculté de juger (1790). Kant part du paradoxe qui constitue le nœud
de la Dialectique de la Critique de la faculté de juger téléologique, à savoir,
que : "1 / Il y a des objets dans la nature qui ne puissent être pensés
qu'en fonction d'une fin, les êtres organisés (êtres vivants); 2 / Une connaissance
n'est possible que fondée sur le principe de causalité. L'hylozoïsme, écrit
Kant, «fonde les fins aperçues dans la nature sur l'analogon (reflet
analogique) d'un pouvoir agissant intentionnellement, à savoir la vie de
la matière).
L'hylozoïsme réunit donc deux principes apparemment contradictoires : 1 /
L'existence d'une finalité dans la nature. 2 / L'explication physique. Le
problème de l'hylozoïsme, dit Kant, est que pour expliquer des phénomènes, il
doit recourir un principe obscur consistant à doter la matière comme simple
matière d'une propriété qui entre en contradiction avec son essence», dans la
mesure où précisément la matière est ce qui n'est pas vivant, qui est inerte (mais
comment Kant définit-il ce qui est vivant ?). Il est donc tautologique, car
il prétend expliquer les phénomènes à partir de ce qui est précisément à
expliquer". L'éternel problème métaphysique est que nous ne savons définir
la vie qu'à partir de ce qui est vivant, et que nous définissons le vivant à
partir de ce qui possède la vie. Et Kant, lui-même, n'y échappe pas.
Les théories mécanistes
Les tyrans peuvent tuer les
hommes et brûler leurs livres, mais les idées gênantes n'en suivent pas moins
leur propre destin. Car les idées sont des entités mystérieuses qui
apparaissent dans le monde très particulier des cerveaux humains, un milieu qui
leur est propre et dont nous maîtrisons mal les lois. Elles semblent parfois
disparaître, souvent pour se transformer et renaître sous une autre apparence
ou un autre habit. Nées de l’intelligence humaine, elles se comportent parfois
comme de vivants parasites qui évoluent dans le mental collectif. Elles peuvent
alors envahir toute la planète et ont souvent prouvé leur puissance et leur
capacité de nuisance.
La pensée aristotélicienne
tua Bruno, mais celle de Copernic survécut au Nolain et ouvrit la porte des
dimensions cosmiques de l'univers physique. Cependant, quand les lunettes
des astronomes se tournèrent vers les étoiles, on cessa de regarder au coeur de
l'Humain. La Matière devint le principal centre d'intérêt de beaucoup de
chercheurs, cela jusqu'à nos jours. Bien des secrets furent découverts mais
celui de la véritable nature de la vie demeure, et ce mystère continue
d'intriguer. Nous savons que les anciens Grecs, imaginaient la Terre comme un
simple "lieu", (relativement abstrait ou conceptuel), habité
tout à la fois par les différents mortels et par les multiples dieux invisibles
qui résidaient au sommet du Mont Olympe. La découverte de l'espace extérieur
fit alors apparaître une sorte d'immense machinerie, et ce concept mécaniste
s'étendit au vivant. Ce fut la naissance du paradigme de "l'animal
machine", idée selon laquelle les vivants sont seulement des machines
complexes (sortes d'horloges sophistiquées), créées par Dieu, (l'Horloger
cosmique). On sait que Descartes accorda cependant à l'Homme le privilège
insigne de posséder une âme reliée au corps par la glande pinéale (! Et
donc, le mystère ne recula que d'un pas. Qu'est-ce que cette âme et quelle est
sa nature ? Est-elle le produit de la machine ou l'inverse ? D'où vient que
l'Homme soit vivant ?
Citation tirée de l'Evangile de Thomas
Jésus
disait :
"Si la chair est venue au Monde à cause de l'Esprit,
C'est une merveille,
Mais si l'Esprit est venu à cause du corps,
C'est la merveille des merveilles."
"Et moi, je m'émerveille de ceci :
Comment cet être, qui est,
Peut-il habiter ce néant ?
Évangile
gnostique de Thomas, (Logion 29).
Selon la vision mécaniste du Monde, dans la soupe boueuse des origines,
avec l’énergie du Soleil et des volcans, et avec l’aide de catalyseurs tels que
les argiles, une loi primitive a effectué de nombreuses sélections de
combinaisons stables d’atomes. Il en a résulté la formation de molécules très
variées. Les molécules les plus complexes étaient les plus rares, leur
apparition étant régie par le hasard des rencontres et la disponibilité
préalable des sous-composants complexes. Il fallait beaucoup de temps pour composer
ces molécules ultra-complexes en quantité significative. Mais la nature
disposait de millions, et même de milliards d’années. Lorsque l’on soumet un
modèle de la soupe primitive aux effets de décharges électriques, on constate
la synthèse d’aminoacides, une des deux principales classes de molécules
biologiques.
On obtient également des substances organiques telles les purines et les
pyrimidines. C’est à partir de ces éléments constitutifs que se serait
constitué l’édifice de base de la molécule génétique connue sous le nom d’ADN.
Á un certain moment, se serait en effet formée une molécule tout-à-fait
remarquable. Ce n’était probablement pas la plus grande ni la plus complexe des
molécules primitives, mais elle avait la propriété extrêmement particulière de
pouvoir créer des copies d’elle-même. Cette molécule stable particulière était
un "réplicateur". Elle agissait comme une sorte de gabarit qui
reproduisait automatiquement ces copies. Ce qui est ici important et
révolutionnaire, c’est l’émergence soudaine d’une nouvelle sorte de stabilité
dans le Monde.
Ce "réplicateur" disposait de quantités énormes de matériaux.
Il a pu distribuer de très nombreuses copies de lui-même dans l’immense océan
primitif, jusqu’à ce que les matériaux nécessaires deviennent finalement rares.
Toutes ces copies n’étaient pas parfaites, mais les erreurs ont été bénéfiques
car elles favorisaient l’évolution et la sélection des meilleures. La soupe des
premiers âges se trouva donc contenir une population variée de répliques diverses.
Certaines étaient moins fragiles que d’autres. Elles étaient plus stables,
duraient bien plus longtemps, et avaient plus de temps pour faire des copies
d’elles mêmes. D’autres étaient plus fragiles, se reproduisaient lentement, ou
produisaient des copies moins fidèles.
Progressivement, et par l’effet de cette seule loi statistique naturelle,
la proportion des molécules réplicatives du premier type augmenta dans le total
par rapport au second. C'est cette variation progressive des proportions relatives
de chacun des types en concurrence qui est appelée sélection naturelle. Les
premiers "réplicateurs" étaient-ils vivants ? Les mots ne sont que
des outils pour la pensée. Á cette époque, la distinction du vivant au non
vivant n’avait pas de sens. Vivants ou non, les "réplicateurs"
fonctionnaient et font partie de notre passé. Ils étaient efficaces. Les
variétés les plus favorisées sont devenues plus nombreuses et certaines lignées
primitives ont complètement disparu. Les "réplicateurs" ne savaient
rien mais, chaque fois qu’une erreur de copie aboutissait à plus de stabilité,
elle était automatiquement préservée et se multipliait.
C’est peut-être à ce moment que les premières cellules vivantes
apparurent. Certaines variétés découvrirent comment se protéger, d’abord
chimiquement, puis en s’enfermant dans des globules de protéines. Ils
dépassèrent alors la seule existence passive, et commencèrent à construire des
enveloppes protectrices et des véhicules pour leur durée, c’est-à-dire leur
survie. La vie compétitive devint de plus en plus difficile et meurtrière
nécessitant la mise au point de machines à survie toujours plus perfectionnées
et plus efficaces. Tous les êtres vivants seraient les machines à survie des
"réplicateurs" que nous appelons "gènes", les animaux, les
plantes, les champignons, les bactéries et les virus. Ces machines vivantes
existent aujourd'hui en grand nombre et en grande variété. Leurs composants
chimiques sont cependant assez uniformes. (Environ vingt amino-acides et
quelques protéines).
Toutes ces machines à survie
terrestres sont construites par la même famille de ce "réplicateur"
remarquable, l’ADN, qui existe dans tous les corps. Distribué dans les
cellules, il y inscrit les programmes de fabrication. Chacune cellule contient
un jeu complet des plans et des dispositifs de fonctionnement des machines à
survie dans de minuscules bibliothèques que appelons chromosomes. Ceux-ci
codent et enregistrent leurs instructions avec un alphabet très simple, de
quatre lettres, qui semble étonnamment reconnu par toutes les espèces vivantes.
Un nouveau mystère apparaît
donc : La genèse de ce code génétique demeure inconnue. Les gènes contrôlent la
fabrication du corps, et la théorie prétend qu'ils contrôlent également les
comportements. Leur puissance souveraine établit les règles de la vie, de la
mort, du sexe, de la forme, et de l’hérédité des vivants dont les organismes
sont programmés pour se reproduire indéfiniment à l’identique. Et tous avaient
absolument besoin des protéines dont les réserves libres, issues de la soupe
primitive, étaient épuisées depuis bien longtemps ayant toutes été utilisées
par les autres vivants. Une solution existait consistant en l'appropriation
brutale des protéines indispensables, sans pitié, avec l’efficacité nécessaire.
Cela nécessitait griffes et dents, ruse et violence, massacre et dévoration.
Les gènes programmeurs n’avaient et n'ont toujours pas de sentiments.
Carnivore et proie, chasseur
et gibier ont un même objectif, les protéines en jeu. Vainqueur ou vaincu, le
bénéfice va au plus apte. Pendant des millions d’années, les "gènes-réplicateurs"
ont ainsi amélioré graduellement leurs techniques, leurs artifices et leurs
machines, jusqu'à emplir la Terre. Une enveloppe nouvelle a recouvert le
squelette minéral de la planète. Elle est gigantesque. Elle occupe presque
toute la surface terrestre sur une très grande épaisseur. On appelle
aujourd'hui ce Géant "Biosphère". Et cette biosphère pèse des
milliers de milliards de tonnes.
Á notre époque,
l'approfondissement des connaissances dans le domaine du vivant provoque un
nouveau mouvement de pensée. On compare les milliards d'organismes
constituant la biosphère aux innombrables cellules d'un corps. L'énorme masse
de matière vivante qui en couvre la surface, constituerait alors un seul et
gigantesque organisme animé disposant de tous les mécanismes régulateurs
convenables pour assurer automatiquement les équilibres planétaires nécessaires
à son autosuffisance et à son autoconservation, c'est-à-dire à sa survie.
C'est "l'hypothèse
Gaïa" une théorie scientifique formulée en 1969 par le britannique
James Lovelock. La théorie a secondairement provoqué une vague de réflexions
philosophiques et religieuses lorsque l'idéologie écologique atteignit le New
Age. La biosphère disposerait des mécanismes régulateurs convenables pour
assurer les équilibres nécessaires à son autoconservation, c'est-à-dire à sa
survie. Le genre de vie attribuée à la biosphère serait de nature assez
automatique, son fonctionnement étant autorégulé. Dans cette formulation, on
reste bien dans le dogme matérialiste et mécaniste. Cependant, la recherche de
modèles nouveaux d'univers a généré des hypothèses plus générales, relatives au
Cosmos entier, et plus strictement scientifiques. Elles tentaient d'intégrer
différents phénomènes rebelles aux formulations de l'univers einsteinien. Des
chercheurs russes ont formulé le concept d'un espace vivant, constitué
d'un champ informationnel dont l'énergie temps serait une propriété originelle
surgissant partout instantanément.
Selon le Pr. Vlail
Kaznatcheyev, toute l'évolution de l'Univers procède activement de cet espace
vivant cosmique. À notre époque, et d'une façon générale, le mouvement de
pensée du New Age relaie cette pensée. Il est considéré comme holistique,
panthéiste et même panenthéiste. En langage courant, cela signifie qu'il
conçoit l'Homme, le Monde et Dieu de façon globalisante et unitaire, tout étant
Dieu, et même tout étant en Dieu. Rappelons qu'en son temps Spinoza pensait que
Dieu et la Nature sont une seule et même chose et que Dieu comprend une
infinité de genres d’être. Cette forme de pensée va au-delà du panthéisme,
c'est cela que l'on appelle le Panenthéisme.
Commentaires.
Nous
sommes donc en présence, à notre époque, de deux démarches de connaissance fort
différentes concernant le Monde, au sens large du terme. D'une part,
l'exploration systématique des structures les plus lointaines du ciel profond
par les astrophysiciens associée à l'étude très détaillée des caractères
physiologiques les plus impénétrables des structures vivantes par les tenants
de la biologie moléculaire. C'est actuellement l'approche la plus moderne
engagée par les scientifiques de toutes disciplines. Elle vise essentiellement
la connaissance des mécanismes de l'Univers en général et plus précisément ceux
de la vie en ce qui concerne les biologistes dont l'ambition plus ou moins
avouée est d'arriver à la recréer. L'autre approche est, d'autre part, fort
différente. Les ésotéristes, et plus particulièrement les Rose-Croix,
considèrent que l'analyse détaillée et la description précise de tous ces
mécanismes matériels n'apportent qu'une connaissance fort partielle de la
réalité du Monde dont bien des aspects cachés demeurent inconnus car
accessibles à la seule intelligence intuitive de l'Homme. C'est pour cela
qu'ils persistent à utiliser les travaux de personnages spirituellement
illuminés (au sens propre) comme Giordano Bruno, et plus encore Robert Fludd
dont les concepts restent partiellement présents dans les doctrines
rosicruciennes actuelles.
CHAPITRE 10
Béguines et Cathares des
Flandres
Introduction
La période du 10e au 13e siècle fut
déterminante dans l'histoire du Catholicisme. Á la fin des Croisades, la
Chrétienté avait abandonné le Moyen Orient à l'Islam. Ces expéditions furent
fort coûteuses en vies humaines comme aux plans économiques et politiques. Dans
ce désordre, les moeurs se relâchèrent y compris celles des gens d'Eglise. En
réaction contre le laxisme du clergé, et bien avant le mouvement de la Réforme
du 16e siècle, divers courants entreprirent de revenir à plus de vertu et de
pureté comportementale. Tout au long des 12e et 13e siècles, l’Eglise combattit
avec violence ces mouvements qualifiés d'hérésies, comme celles des Vaudois et
des Cathares. Ceux-ci apparurent au 11e siècle, dans ce grand mouvement de
pensée religieuse réformatrice, en Italie du Nord, en Flandre, en Angleterre,
en Allemagne, dans le Nord et le Midi de la France. On comptait alors environ
4.000 mille parfaits pour l’ensemble de l’Europe dont 2.000 pour l'Italie, (et
200 seulement dans le Midi, marginal à ce titre). La persécution multipliant
les exécutions par le feu, le Catharisme éprouvé se réfugia dans le Midi plus
accueillant. C'est donc dans les Flandres et dzns les Pays rhénans que débuta
ce grand mouvement contestataire, et c'est également là que se mit en marche
l'effroyable appareil répressif qui culmina ultérieurement dans la croisade des
Albigeois. Mais, dans l'Histoire banalisée, les terribles excès de la répression
méridionale ont fait oublier les souffrances, les procès et tous les bûchers
qui l'ont précédés.
Le Catharisme n'a d'ailleurs pas été le seul
mouvement issu de ces régions. D'autres courants de pensée y sont alors nés
comme ceux des Frères et Soeurs du Libre Esprit, ceux des Béghards ou des
Béguines. Ils furent également durement persécutés. Les Béghards, (ou Bégards),
étaient des moines mendiants existants au 13e siècle sur les bas cours du Rhin
et de la Meuse. Le mot pourrait être le masculin de "Béguines", des
communautés de pénitentes mariées, implantées à la fin du 13e siècle dans le
nord de la France et les Pays-Bas, où l’Église autorisa la création de
communautés masculines similaires. Les Béghards enseignaient que "Dieu est
Tout et qu'il n’y a aucune différence entre Dieu et la Création. La destinée
des hommes est de s’unir à Dieu, car, par cette union, l’homme inspiré acquiert
la nature divine". Cette théorie partagée entre autres par les Turlupins
fut condamnée par le Concile de Vienne en 1311. Les Béghards, déclarés
hérétiques adhérent alors au Tiers Ordre Franciscain, (avec quelques
adaptations doctrinales).
Soumis aux pressions catholiques, le mouvement
disparut lentement quoique quelques béguinages de femmes veuves ou célibataires
aient subsisté en Belgique et aux Pays-Bas, jusqu'au siècle dernier. Malgré la
réforme moralisatrice dite "grégorienne", l'Église avait été
incapable d'empêcher l'éclosion de ces mouvements contestataires. Le
comportement du clergé de base était alors bien dégradé : concubinage,
négligence, corruption, ignorance étaient fréquents, (et parfois simonie). En
réaction, de nombreux courants apparurent, proposant un mode de vie fondé sur
la pauvreté et la renonciation au monde, tel le Catharisme, cruellement
combattu dès 1150. Un autre mouvement fut initié par Pierre Valdo vers 1170 à
Lyon. Il y prêchait la bonne parole et forma un cercle de disciples. Les
Vaudois, excommuniés en 1184 par le Concile de Vérone, niaient l'Eucharistie et
ne respectaient pas les consignes du clergé. L'Église vaudoise a pourtant
partiellement survécu, y compris jusqu'à nos jours. L'échec de la lutte contre
les hérésies conduisit l'Église à fonder l'impitoyable tribunal de
"l'Inquisition", confié aux Dominicains. Usant souvent de la torture,
les inquisiteurs imposaient aux hérétiques diverses peines, port de la croix,
amendes, pèlerinages, emprisonnements, souvent la mort, par la potence ou le
feu.
Comme les Béghards et les Béguines, les
Turlupins participaient d'un des courants majeurs de pensée dit "Frères et
Soeurs du Libre-esprit", répandu en Europe à partir du 13e
siècle. Avec les Cathares, les Vaudois, les Templiers, et les
Franciscains, les Turlupins prônaient un idéal de pauvreté. Ils auraient même
poussé cette notion jusqu'à vivre nus la plupart du temps. « La pauvreté,
disaient-ils, lave l'homme du péché et ressuscite le Christ en lui. Et c'est en
écoutant ses désirs que l'homme entre dans "l'Esprit libre. La charité
peut parfois se confondre avec l'amour charnel ». Tous ces mouvements aspiraient
donc philosophiquement à la pauvreté intellectuelle (l'esprit vacant permettant
de mieux recevoir Dieu). Á partir de 1204, l'Inquisition les pourchassa très
sévèrement. On connaît historiquement le cas de Marguerite Porète, une Béguine
valenciennoise qui brûlée vive en place de Grève à Paris, le 1er juin 1310 avec
le livre qu'elle avait écrit. Mais les Turlupins s'échappèrent souvent et se
maintinrent longtemps sans que l'on sache si le mouvement a réellement pris
fin. Chez eux cependant, une autre femme, Jeanne Daubenton, fut aussi brûlée
vive, en place de Grève, en 1372. Elle allait, semble-t-il, entièrement nue,
disant que ce n'est point pécher que satisfaire aux désirs des sens.
Les
Cathares des Flandres
Les Cathares, étaient présents en Italie du Nord dans les Pays rhénans et
la Lorraine, en Picardie, et dans le Midi de la France. C'était un mouvement
religieux important. Ils croyaient que le monde et la société étaient
entièrement mauvais et ils voulaient mettre en place une nouvelle religion et former
une autre église. Leurs doctrines et pratiques se fondaient sur les croyances
des premiers chrétiens et la pauvreté évangélique. Certains cathares adhéraient
en partie aux idées manichéennes d'un Monde régi par la dualité des principes
opposés du Bien et du Mal(Le Bien, créateur du monde spirituel, et le Mal,
celui du matériel).
Les cathares rejetaient la divinité du Christ et tous les rites et
sacrements de l’Église catholique, comme des superstitions condamnables.
L'appellation de "Cathares" provient du grec ("katharos",
pur). Ils n'avaient que deux sacrements, la "Tradition", ou
transmission de l'Oraison dominicale (Pater Noster), par laquelle les
"auditeurs" ordinaires devenaient des "Croyants", et le
"Baptême spirituel" ou "Consolation", (Consolamentum), qui
en faisait des "Parfaits Chrétiens". Dans la cérémonie de
Tradition, le récipiendaire, parrainé par un ancien de la communauté, était
présenté à "l'Ordonné", un Parfait établi, qui lui expliquait la
signification du rite. Puis il en recevait le livre des Évangiles. Le fidèle
devenu "Croyant" devait demander le pardon de ses fautes et la
bénédiction de l'officiant ; il prenait l'engagement de réciter le Pater
plusieurs fois chaque jour, comme prévu par le rituel. Le baptême de l’esprit,
ou "consolamentum", contraignait les "parfaits" à une
vie chaste beaucoup plus austère. Les simples croyants ne recevaient ce
consolamentum qu’à l’approche de la mort.
Les parfaits, (les prêtres), et les évêques portaient un manteau
noir à capuchon, pour se distinguer des simples fidèles. Ils quittaient tous
leurs proches pour se consacrer à Dieu et à l’Evangile. Ils étaient d’absolus
végétariens et s’abstenaient de tout rapport sexuel. Les simples croyants
promettaient de prononcer ultérieurement les mêmes vœux que les parfaits. Ils
pouvaient se marier et manger occasionnellement de la viande. Mais on exigeait
qu’ils renoncent à l’Église catholique, et qu’ils progressent vers la vie
« parfaite ».
Le fondement de la morale cathare provenait du Sermon du Christ sur la
Montagne. Les fidèles devaient aimer leurs ennemis, assister les pauvres et les
malades, s'abstenir de jurer, et demeurer pacifiques en toute situation.
L'usage de la force n’était jamais moral et la peine capitale était un crime
absolu. Ils s’opposaient donc à l’Eglise catholique qui brûlait les hérétiques.
Leurs rites étaient simples, prières et chants, jeûnes et sermons doctrinaux.
Ils n’avaient ni église ni lieu de culte, priant et prêchant dans les bois ou
les maisons des croyants. Les Cathares rejetaient tous les sacrements y compris
le mariage, n’acceptant qu’un engagement public. Pour les catholiques, ils
vivaient donc da ns le péché de concubinage. Ils disaient que l'Eglise romaine
n'était pas celle du Christ et que les papes n'étaient pas les successeurs des
apôtres. Á partir du milieu du 13e siécle, le catharisme se répandit dans le
Nord et l'Est de la France, dans les Pays rhénans et dans les régions
méridionales. La répression s'organisa, conduite par les évêques et des ordres
religieux comme les Cisterciens. Devant leur relative impuissance, la papauté
instaura l'Inquisition, d'abord en Allemagne en 1231, puis en France. En 1233,
Grégoire IX confia la conduite de l'Inquisition dans le Nord de la France à un
dominicain, Robert, dit le Bougre (un bogomile retourné par l'institution).
Il exerça férocement et frénétiquement sa charge, sévissant d'abord à La
Charité-sur-Loire, où il fit brûler plusieurs personnes. Ses méthodes
expéditives amenèrent les archevêques de Sens et de Reims à protester auprès du
pape qui suspendit en février 1234, les pouvoirs de l'inquisiteur. Mais, pour
affirmer son autorité, Grégoire IX lui rendit toutes ses prérogatives en 1235.
Alors, Robert le Bougre se déchaîna : Cambrai, 17 février 1236, 20 brûlés, puis
10 à Douai, le 2 mars 1237. En Flandre, ses ravages sont moins connus mais
néanmoins certains. L'aboutissement de cette rage meurtrière est le bûcher du
Mont-Aimé en Champagne, dont les nombreuses victimes furent arrêtées lors de la
grande foire de Provins en mai 1239. Un procès sommaire commença aussitôt, mais
les procès-verbaux ont été perdus et l'on ne dispose que des écrits des
chroniqueurs locaux dont le plus précis est le cistercien "Aubri de
Trois-Fontaines", dont le monastère était proche.
En 1048, l'évêque de Châlons-sur-Marne déplorait la présence de
Manichéens dans son diocèse, et 100 ans plus tard, en 1145, les chanoines de
Liège signalaient au pape Lucius II qu'une hérésie manichéenne s'est répandue
dans le pays du Mont-Aimé, une colline couronnée d'un château-fort dans la
plaine de Champagne. Le Catharisme s'installait dans la région. La répression
lancée par l'Inquisition était menée par Robert le Bougre. Il installa son
tribunal au Mont-Aimé, le berceau local de l'hérésie et y ouvrit un énorme procès.
500 à 600 personnes furent accusées dont 183 condamnées au bûcher, presque
autant qu'à Montségur. Ce procès ne dura qu'une courte semaine, condamnant au
supplice plus de 30 personnes chaque jour.
Parmi les juges ordinaires, Aubri dénombra seize évêques qui secondaient
aux interrogatoires l'inquisiteur jugeant au nom du pape. Ces évêques étaient
ceux de Reims Soissons, Tournai, Cambrai, Arras, Thérouanne (Saint-Omer),
Noyon, Laon, Senlis, Beauvais, Châlons-sur-Marne, Orléans, Troyes, Meaux,
Verdun et Langres. Il faut y ajouter, dit encore Aubry, beaucoup d’autres
prélats des églises, d’abbés, de prieurs et de doyens. Le dominicain Etienne de
Bourbon, le comte de Champagne (roi de Navarre), et les barons champenois
assistèrent aussi à ce procès suivi par une immense foule hostile aux
hérétiques. Indignés par l'arbitraire du procès et la brutalité extrrême de la
répression, certains évêques n'assistèrent pas à l'exécution et, suite à leurs
protestations, Rome destitua et emprisonna l'Inquisiteur.
L'hérésie retomba sous la juridiction des tribunaux épiscopaux, mais elle
ne survécut pas aux coups terribles infligés par Robert le Bougre. L'holocauste
du Mont-Aimé fut comparé au drame de Montségur, consommé cinq ans plus tard.
Sachez que ces bûchers collectifs avaient lieu dans un espace clos par une
palissade qui cachait le martyre. Les condamnés y étaient alignés, agenouillés,
liés à un petit pieu. Pour économiser le bois fort coûteux, on les couvrait de
bottes de paille et de petits fagots. Toute cette paille en s'enflammant d'un
coup produisait un violent ouragan de feu dont les pauvres gens inspiraient les
flammes. On disposait ensuite des corps. L’autodafé exterminatoire du Mont-Aimé
fut organisé en temps de paix, consciemment et méticuleusement, tout comme les
rafles des juifs, gazés et brûlés par l'Allemagne nazie. Ces crimes passés
marquèrent, à mes yeux, l'Eglise romaine, et ils me demeurent encore
aujourd'hui tout à fait insupportables.
Les Frères et Soeurs du Libre Esprit
Les Frères et les Soeurs du Libre Esprit participaient aux mouvements
hérétiques qui apparurent au 13e siècle suite aux errements de l'Eglise. Le
mouvement se propagea le long du cours du Rhin jusqu'en Flandre et aux
Pays-Bas. Leurs croyances étaient proches de celles des Adamites. L'origine des
Adamites semble remonter au 2e siècle. Ils auraient été une secte gnostique
dont le fondateur, Prodicus, était disciple de Carpocrate. Les Adamites (ou
Adamiens) sont mentionnés par Épiphane, Clément d'Alexandrie, saint Augustin et
Théodoret. Ils prétendaient avoir été rétablis dans l'état d'innocence d'Adam
au moment de sa création, et dans cette imitation, ils allaient complètement
nus, même pour prier dans leur Temple qu'ils appelaient Paradis. Ils refusaient
le mariage, et ils furent accusés de pratiquer la communauté des femmes.
Il semble pourtant qu'ils vivaient dans la continence et dans la solitude
et ils prétendaient que si l'un des leurs cédait au péché de chair, ils le
chassaient de leur assemblée et de leur Temple. Au 13e siècle, ces mêmes
pratiques auraient été reprises dans les Pays-Bas par les Frères et Sœurs du
Libre Esprit, et, au 14e par les Bégards d'Allemagne. Les Adamites
reparurent aussi sous le nom de Turlupins ou de Pauvres Frères,
en Dauphiné et en Savoie. Ils disaient qu'arrivé à un certain état de
perfection, l'homme est affranchi de la loi des passions, et que sa liberté
consiste à secouer le joug des Lois divines. Le Roi Charles V. secondé par le
zèle de Jacques de Mora, Dominicain Inquisiteur à Bourges, en fit périr
certains par les flammes, faisant aussi brûler leurs livres à Paris sur la
Place du marché aux pourceaux. La même appellation désigna plus tard des
hérétiques de Bohême, les Pikarti ou Picards, (fondés par un nommé Picard,
natif de Flandre), qui, au 15e siècle, épaulèrent le mouvement hussite. Venus
de Picardie, où le Libre-Esprit s'était ranimé, il furent sauvagement
exterminés en 1421 par Jan Žižka.
Le mouvement des adeptes du Libre Esprit avait été précédé par celui du
Nouvel Esprit connu par 97 propositions que rapporte Albert le Grand, dans sa
"Determinatio... super articulis inventae heresis in Recia dyocesis
Augustensis, en 1270. Les adeptes du Libre Esprit se disaient frères et
soeurs, animés par une inspiration commune puisée dans la lecture des versets
des Évangiles ou des Épîtres. Saint Paul, disaient-ils, affirmait
que : « Le Seigneur, c’est l’esprit, et, là où est l’esprit du
Seigneur, là est la liberté » (2 Cor. 3, 17, et aussi que : « Si vous êtes
conduits par l’esprit, vous n’êtes pas sous la loi » (Gal. 5, 18). Le plus
important pour eux, c’était d'être habité (et agi) par l’Esprit dans et pour la
vie parfaite. Cette conviction leur tenait lieu de discipline et ils
pouvaient s’abandonner aux impulsions intérieures qui étaient pures puisque venant
de l’Esprit quand elles étaient reçues dans des âmes pures (I Jean 3, 9 ;
Tite 1, 15), entièrement anéanties et vides de tout, et en particulier, du
péché. Unis immédiatement à Dieu, ils rejetaient la médiation de l'Église comme
n’étant pas celle de l’Esprit, mais celle du Monde et des clercs.
Ce que l'Église enseignait et commandait était donc sans valeur et il
était inutile de prier, de se confesser à des prêtres, puisque Dieu leur
parlait directement et qu'ils lui parlaient directement. Se considérants
parfaits, ils n’avaient rien à demander ni rien à se faire pardonner. La
pratique des sacrements est superflue quand on est déjà uni à Dieu, et leur
administration ne doit pas être réservée à des prêtres car des laïcs parfaits
sont dignes de la faire. il ne convenait pas non plus d’avoir un culte pour les
saints puisque chacun pouvait être aussi saint, sinon plus saint qu’eux.
L'Église officielle hiérarchisée, riche et jalouse de sa situation et de son
pouvoir ne pouvait tolérer ces contestations, et le concile de Vienne condamna
en 1311 les frères du Libre Esprit avec les Béguines et les Bégards. L’empereur
Charles IV publia en 1369 un édit qui aggrava encore leur répression et leur
persécution.
Les Chrétiens considéraient en effet que les Frères et Soeurs du Libre
Esprit ne se situaient pas seulement hors de l’Eglise mais aussi hors du
Christianisme : Se croyant être Dieu par nature, ils n’avaient pas besoin que
Dieu s’humanisât pour leur rachat. L'Incarnation et la Rédemption n’avaient ni
sens ni valeur pour eux, que la perfection faisait sans péché, les rendant
égaux au Christ. Un auteur (Tauler) disait : « Ils se dépouillent tellement
qu’ils ne veulent ni penser, ni louer Dieu, ni avoir, ni savoir quelque chose,
ni vivre, ni demander, ni désirer. Tout ce qu’ils peuvent demander, ils l’ont
et ils pensent être ainsi pauvres en esprit parce qu’ils sont sans volonté
propre. Ils ont abandonné toute propriété. Ils veulent aussi être libres
de la pratique de la vertu et ils ne veulent obéir à personne, ni au pape, ni à
l’évêque, ni au curé. Ils veulent être libres de tout ce qui est du domaine de
la Sainte Eglise. Ils disent publiquement que, tant que l’homme s’efforce vers
des vertus, il est encore imparfait et ne sait rien de la pauvreté en esprit ni
de la liberté de l’esprit... Ils se considèrent comme au-dessus des anges et de
tout mérite humain. Ils croient qu’ils ne peuvent ni grandir en vertu ni
commettre des péchés.
Ce que la nature désire, ils peuvent, selon leur idée, le faire
librement, sans péché parce qu’ils sont parvenus à l’innocence suprême et qu’il
ne leur est imposé ni commandement ni loi. Ils obéissent à ce que leur nature
désire pour que l’esprit puisse demeurer dans une liberté sans obstacle » (cit.
Delacroix, p. 123). Ruysbroeck, quant à lui, dénonçait leur hérésie, car ces
adeptes du Libre Esprit déclaraient : « Nous sommes Dieu par nature ; dans
notre être éternel, nous étions sans Dieu ; par l’effort de notre libre arbitre
nous sommes sortis de l’être absolu pour paraître dans le monde ; Dieu ne sait,
ne veut rien sans nous ; nous avons créé avec lui l’univers. Nous ne croyons
pas en Dieu, nous ne l’aimons pas, ne le prions pas, car ce serait avouer qu’il
est autre chose que nous. Il faut s’affranchir de toute loi, ne se préoccuper ni
de connaissance ni d’amour » (Delacroix).».
Béghards,
Béguines et Béguinages
Les Béguines et les Béghards étaient donc les membres de communautés,
mi-religieuses, mi-laïques, fondées dès la fin du 12e siècle, au long du cours
du Rhin et dans de nombreuses villes flamandes. Les béguinages se multiplièrent
initialement en raison de l'apparition d'une forte paupérisation.
l'afflux de mendiants dans les villes nécessitait la mise en place
d'institutions caritatives dont les membres assumaient une pauvreté volontaire
au nom du Christ. A partir de Liège où apparaît le premier établissement
vers 1180,le mouvement s'étend très rapidement à Valenciennes en 1212, Douai en
1219, Gand en 1227, Anvers en 1230, puis bientôt Paris en 1250, Cambrai,
Cologne, etc..
Cependant, au 13e siècle, le mouvement fut affecté par les idées
répandues par les Frères et Soeurs du Libre Esprit, et il intégra très
rapidement leur philosophie panenthéiste (assimilant Dieu et le Monde), tout
autant que leur conception si particulière du libre arbitre. L'Église Romaine
qui semblait manifester de l'intérêt pour la volonté de pauvreté qu'affirmaient
les diverses communautés monastiques nouvelles, n'en acceptait cependant pas la
revendication insolente qui dépassait publiquement la critique ouverte de
l'ignorance des clercs et celle de l'enrichissement des pontifes. Certains
comportements et dérives doctrinales choquaient. Chez les Béguines et les
Béghards, le détachement des biens se voulait garant d'une richesse spirituelle
menant de la vision béatifique et mystique, jusqu'à la prétention de s'égaler à
Dieu, et donc de ne connaître nul contrainte, sans commettre aucun péché.
En 1311, le concile de Vienne condamna globalement, sous l'appellation de
"Bégards", tous les partisans du Libre-Esprit, les apostoliques, les
fraticelles et les béguines catholiques. Les tribunaux ecclésiastiques
ordinaires sévissaient déjà depuis longtemps. Avec la multiplication des
hérésies, et plus particulièrement suite à l'extension du Catharisme, ils
étaient fort chargés. Leur action fut alors complétée par la création de
l'Inquisition, en avril 1233, par le Pape Grégoire IX.
Originellement, ce nouveau tribunal devait prévenir les excès arbitraires
des cours de justice en place. En effet, depuis le 6e siècle et la constitution
de Justinien, en principe, la loi civile condamnait à mort tous les hérétiques.
Ces dispositions avaient initialement été appliquées avec mansuétude puis
l'usage s'était progressivement établi de les brûler vifs. La papauté décida
d'intervenir pour limiter les abus. En 1231, par la constitution Excomunicamus,
le pape codifia la répression et définit les peines qui frappaient les
hérétiques, le bûcher pour ceux qui s'obstinaient dans l'erreur, la prison ou
une peine canonique (pèlerinage, jeûne....) pour les hérétiques qui se
repentaient,et l'excommunication pour les catholiques qui les avaient aidés.
Mais, hypocrisie majeure, comme il n'était pas question que l'église
donna la mort, en vertu du principe Ecclesia abhorret sanguinem, c'était
au bras séculier (la justice seigneuriale ou royale) que les condamnés au
bûcher étaient remis. Les inquisiteurs traquaient les idées tout autant que les
hérétiques, et faisaient souvent brûler les livres avec leurs auteurs, (parfois
même avant). Mais les juges pouvaient aussi déclarer l'hérésie établie dans les
faits et clore l'instruction sans l'ouvrir, en envoyant alors les suspects au
bûcher sans même les entendre.
L'histoire rapporte les condamnations des "apostoliques"
Tanchelm et Arnold, brûlés à Cologne en 1115 et 1163, puis celle de Segarelli,
fondateur des Frères Apostoliques, torturé par l'Inquisition, et brûlé à Parme
en Italie, en 1300. Á Cologne, en 1322, on brûla Walter de Hollande, auteur des
"Neuf rochers spirituels", « un vrai manuel de Libre-Esprit,
plus cher que tout autre aux Bégards ». En dépit des persécutions, au 14e
siècle, la confession de Jean de Brunn, membre d'une communauté de Cologne
aurait montré que la licence encouragée par le Libre-Esprit se
perpétuait dans la clandestinité des béguinages.
Les principaux ennemis des Béghards semblent avoir été l'évêque de
Strasbourg, Jean de Durbheim et l'archevêque de Cologne, Henri de Virneburg qui
en fit brûler une cinquantaine et poursuivit plus tard Maître Eckhart. En
France, en 1420, des Turlupins furent arrêtés à Douai. Ils avaient fait venir
un prédicateur de Valenciennes. L’évêque d’Arras instruisit leur procès et
condamna le prédicateur et six hérétiques à être brûlés sur la place d'Arras
avec leurs livres. Chez les Turlupins, Jeanne Daubenton, elle aussi, fut brûlée
vive en place de Grève en 1372. Les Turlupins tentèrent encore de se répandre
en Angleterre puis de s’établir en 1372, à Paris où l'on en brûla plusieurs
avec leurs livres.
Rappelons encore la béguine Aleydis, brûlée en 1236, pour son livre "Le
juste amour", sur le même thème que Marguerite Porète développa dans
"Le Miroir des simples âmes", montrant comment l'âme annihilée
en Dieu fait de l'être humain le réceptacle de la volonté divine, identifiée au
pur amour, l'individu accédant ainsi à l'état de perfection. Comme pour
Bloemardinne de Bruxelles, la voie de la réalisation divine proposée était
celle de l'amour charnel affiné. Le procès de Marguerite Porète et son
exécution à Paris, en 1310, démontrent le désarroi et l'inquiétude extrême des
théologiens confrontés à une pensée et à un comportement qui semblaient menacer
les fondements du Christianisme.
En 1311, le concile de Vienne dirigé par le pape Clément V condamna donc
globalement sous l'appellation générale de Béghards, pour fausse piété et
hérésie, tous les partisans du Libre-Esprit, les apostoliques, les fraticelles
les béguins et les béguines catholiques, à l'exception des Tiers ordres
mendiants. Tandis que le Libre-Esprit tentait de survivre sous d'autres formes,
le bégardisme disparut rapidement quand l'Église accorda sa protection aux
Béguines de stricte obédience. Pour pour échapper à la répression, ces Béguines
durent se soumettre à la règle de l'ordre franciscain. Indépendantes des ordres
monastiques et placées sous la seule surveillance de l'évêque qui résidait
souvent à proximité, les communautés féminines des béguinages jouissaient d'une
grande liberté d'action et de pensée qui suscitait l'hostilité du clergé
séculier, des franciscains et des dominicains.
Sous leur pression, les Béguines disparurent de France et d'Allemagne
pour ne subsister que dans les Pays-Bas (et la Belgique actuelle). Il s'y
constitua, au 15e siècle, une congrégation dite "des Bégards de la
troisième règle de Saint François". Soumises à l'autorité de mères
supérieures, (les magistrae ou marthae), appelées aussi
"grandes demoiselles", les béguines y retrouvèrent leur organisation
traditionnelle associant les novices aux anciennes. Les béguines occupaient
leur temps en travaux manuels (jardinage, tissage, dentelle), prières, et
œuvres de charité (jusqu'à l'ensevelissement des morts). Aujourd'hui, on
retrouve dans la plupart des anciennes provinces flamandes belges, à Bruges,
Amsterdam, Diest, Courtrai, (et dans quelques villes du nord de la France), des
vieux béguinages assez bien conservés qui témoignent d'une cohérence
architecturale partagée, alliant des petites maisons individuelles et leurs
jardins privés avec un parc comunautaire pour les rencontres. Ils ont longtemps
accueilli, et parfois le font encore, des veuves ou des femmes âgées isolées et
peu fortunées, et conservent au cœur des villes actuelles de verts enclos de
calme et de sérénité.
Le " Mirouer des simples âmes
anienties
qui seulement demourent en vouloir et désir d'amour "
On ne sait pas trop qui était Marguerite Porète, et fort peu de choses
sur sa vie. Elle naquit à Valenciennes, probablement vers 1250, et fit preuve
d’une culture solide, théologique autant que profane. Il est fort probable
qu'elle ait été béguine, mais ce n'est pas certain car elle se plaint parfois
de ne point en être comprise, « Les béguines déclarent que je suis égarée,
et les prêtres aussi, les clercs et les prêcheurs../.. » Elle se décrivait
d'ailleurs comme une errante, en désaccord avec tout le clergé. Elle savait
qu'en exposant sa "théologie mystique", elle était en opposition à la
scolastique doctrinale qui s'imposait à l'époque, et elle l'exprimait
clairement dans l'introduction du "Miroir des simples âmes.. " : « Vous
qui dans ce livre lirez, si vous le voulez bien entendre, pensez à ce que vous
direz, parce qu'il est dur à comprendre, humilité vous faut-il prendre, etc...
». Nous trouvons dans l'ouvrage de Marguerite Porète des témoignages fort
précieux de ce qui caractérisait la pensée du mouvement du Libre-Esprit, et en
particulier le concept panthéiste de l'unicité de Dieu avec la création,
concept inacceptable pour la théologie catholique traditionnelle. Mais la
béguine illuminée par sa révélation se sentait porteuse d'une mission qu'elle avait
devoir de proclamer. Elle écrivit un premier ouvrage, « L'être de l'affinée
amour », (qui semble aujourd'hui disparu). Cet écrit qui semblait mettre en
question l'autorité de l'Eglise alarma fort l'évêque de Cambrai, Guy de
Colmieu, qui fit brûler le livre vers 1300 en place publique à Valenciennes, en
interdisant à Marguerite d'en diffuser d'autres ou doctrines sous peine d'être
jugée hérétique et relapse. Attachée à sa mission, elle récidiva cependant avec
un nouvel ouvrage au titre subtil, « Le Mirouer des simples âmes
anienties et qui seulement demourent en vouloir et désir d'amour ».
Elle avait bien tenté d'obtenir une approbation au moins officieuse de ce
travail en le communiquant préalablement à plusieurs censeurs dont Godefroid de
Fontaines, évêque de Chalons-sur-Marne qui avait approuvé son précédent
ouvrage. Néanmoins, le nouvel évêque de Cambrai, Philippe de Marigny, lui
intenta un nouveau procès diocésain qui finit par la conduire jusqu'à
l'inquisiteur de Haute-Lorraine. Arrêtée, elle eut à comparaître en 1307 devant
Guillaume Humbert, inquisiteur général de France. Fidèle à « cette âme libre
qui ne répond à nul si elle ne le veut », elle refusa de prêter serment de
loyauté envers ses accusateurs qu'elle récusait puis de recevoir l'absolution
pour des fautes qu'elle estimait n'avoir point commises. En conséquence, et
après plus d'un an et demi d'emprisonnement, elle fut jugée hérétique et
relapse, condamnée et remise au bras séculier pour être brûlée vive.
Et donc, le 1er juin 1310 en place de Grève à Paris, le bûcher consuma
publiquement l'inébranlable Marguerite. Un clerc du diocèse de Cambrai, Guion
de Cressonaert, son disciple (ou son compagnon), qui avait tenté de la sauver,
fut condamné à la prison à vie. Sournoisement confondus avec les errements des
sectes du Libre Esprit, les extraits incriminés du "Miroir des simples
âmes" servirent de base à la rédaction du décret Ad nostrum que le
concile de Vienne en 1311 utilisa contre les bégards et béguines. Par ailleurs,
systématiquement recherché et brûlé, l'ouvrage de Marguerite Porète sembla
perdu au point qu'on ne savait plus qui en était l'auteur. Aujourd'hui, l'on en
a seulement retrouvé treize exemplaires incomplets en diverses langues, dont un
seul en français de l'époque, (Condé-F-XIV-Chantilly), dans une rédaction
apparemment assez proche de l'originale.
La lecture du livre pose quelques problèmes. L'auteur a choisi la forme
du dialogue, à l'imitation des antiques, mais il s'agit plutôt ici d'une
controverse entre deux interlocuteurs, Amour et Raison, (avec parfois
l'intervention de l'Âme en tiers), et faut donc bien définir quels concepts
couvraient ces mots à la fois dans l'intention de l'auteur et dans le contexte
culturel concerné. Leur sens a souvent changé, parfois même leur genre. Ainsi
"Amour" au Moyen âge était toujours au féminin, comme son pluriel
actuel. La controverse conçue par Marguerite Porète impliquait deux entités
féminines ; les traducteurs ont masculinisé l'Amour. Le style est compliqué,
les phrases sont longues, comportant plusieurs reprises, et il faut souvent
revenir sur le texte tour tenter de le bien comprendre. Il faut admettre que
Marguerite Porète, quels qu'aient été ses éventuels errements, était une grande
chrétienne fort attachée aux traditions catholiques les plus traditionnelles.
On trouve ainsi dans son oeuvre des références constantes aux apôtres, à la
vierge Marie, aux diverses classes d'anges, ainsi que de nombreuses
citations tirées des Epîtres ou des Évangiles. Lorsque l'on lit l'extrait
qui suit dans un discours évoquant les personnes composant la Trinité, « Une
chose est que le Fils "naisse" du Père, autre chose que le
Saint Esprit "soit" et du Père et du Fils », on perçoit
combien la culture de l'auteur était étendue et affinée, sur le plan général
autant que théologique. Rares sont aujourd'hui les lecteurs capables d'une
distinction aussi subtile. Malgré ces difficultés, j'essaierai de clarifier son
message, en exposant ce que je crois en avoir compris.
Citations de Marguerite Porète.
Amour. Je suis Dieu, car
Amour est Dieu et Dieu est amour, et cette âme est Dieu par condition d'amour ;
je suis Dieu par nature divine, et cette âme l'est par justice d'amour, si bien
que ma tendre et bien-aimée est enseignée et conduite par moi sans elle-même,
car elle est transformée en moi.
Je suis ce que je suis par
la grâce de Dieu. Je suis donc seulement ce que Dieu est en moi et rien d'autre
... Je ne suis, si je suis, que ce que Dieu est, et personne n'est, sinon Dieu;
et c'est pourquoi je ne trouve que Dieu, où que je pénètre, car rien n'est,
sinon lui, à dire vrai.
Il est, cela ne lui fait pas
défaut; et moi je ne suis pas, si bien que cela ne me fait pas non plus défaut
et qu'il m'a donné la paix; et je ne vis que de la paix qui est née de ses dons
en mon âme, sans pensée; et ainsi ne puis-je rien si cela ne m'est donné: c'est
là mon tout et ce que j'ai de meilleur. Et cet état fait posséder un seul
amour... Cette âme laisse les morts ensevelir les morts et les égarés agir
selon les Vertus, et elle se repose de ce qui ne la dépasse pas en ce qui la
dépasse, tout en se servant de toutes choses. Ce qui la dépasse lui montre son
néant à nu et sans fard, et cette nudité lui montre le Tout-Puissant par la
bonté de la justice divine. Ces considérations la rendent profonde, large,
haute et assurée, car elles la mettent, tant qu'elles la tiennent,
continuellement à nu, à la fois tout et rien.
L'âme : ...Je ne sais
vraiment pas, mais s'il en était ainsi que je puisse donner quelque chose, je
ne lui ferais pas la part si petite, moi qui ne suis rien alors qu'il est tout;
certes, si j'avais quelque chose à donner, je ne pourrais rien conserver par
devers moi et ne pas tout lui donner../.. Or, il a pris tout ce dont je
disposais, il ne m'a rien donné../.. est-ce là une part digne d'un bien-aimé ?
Amour: ../.. .Et encore ne lui donnez-vous là rien qui ne soit à lui avant que
vous ne le lui donniez. Alors, voyez: que faites-vous donc pour lui ?
../.. tout lui est égal,
sans nul pourquoi, et elle-même n'est rien en cette égalité ; aussi n'a-t-elle
rien à faire de Dieu, pas plus que Dieu, d'elle. Pourquoi? Parce que lui, il
est, alors qu'elle, elle n'est pas; et en son néant, il ne lui en faut pas
davantage, car il lui suffit que lui soit et qu'elle ne soit pas. Elle est alors
dépouillée de toutes choses... Là, elle ne prie pas plus qu'elle ne priait
avant qu'elle ne soit. Elle reçoit ce qu'elle a de la bonté divine, du cœur de
son amour, de ce noble Loin-Près. Elle ne se préoccupe de rien../..
Fin de
citations
Nous constatons que Marguerite Porète identifie l'amour à Dieu,
comme le montre cet extrait d'un échange entre Amour et l'âme : « Je suis Dieu,
dit Amour, car Amour est Dieu et Dieu est amour, et cette âme est Dieu par
condition d'amour ; je suis Dieu par nature divine, et cette âme l'est par
justice d'amour../.. ». Et l'âme répond « Je suis ce que je suis par la grâce
de Dieu. Je suis donc seulement ce que Dieu est en moi et rien d'autre ../.. Je
ne suis, si je suis, que ce que Dieu est, et personne n'est, sinon Dieu; et
c'est pourquoi je ne trouve que Dieu, où que je pénètre, car rien n'est, sinon
lui ../.. ». Cela semble inspiré par l'Evangile de Jean : "Au
commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe
était Dieu. Par Lui tout a été fait, et rien de ce qui a été fait n'a été fait
sans Lui". Marguerite disait bien qu'à l'origine, toute chose venant
de Dieu, tout être est sacré par nature. Il n'y a pas de différence originelle
entre Dieu et la création, entre le haut et le bas, et les deux mondes sont
confondus. (Il y a là une vision panthéiste du Monde, incompatible avec le
concept théiste créationniste de l'Église). Et c'est par le vouloir raisonnable
mais malin de l'Homme que cette "sacralité originelle" est altérée.
Pour retrouver l'état divin originel, il faut donc pratiquer la pauvreté
totale, en anéantissant, (ce qui justifie le titre du livre), tout désir et de
toute volonté y compris même , selon Marguerite, celle de faire le bien. C'est
pourquoi elle prend congé des vertus. Demeureront toutefois le désir et le
vouloir d'amour car Amour est Dieu par nature même et l'âme l'est aussi, dit le
livre, par justice d'amour. Le vouloir humain ne peut gagner le ciel, seul
l'amour divin l'accorde à ceux qu'il aime, et par seule grâce. Hélas, c'est
dans l'horreur des flammes que Marguerite éprouva la vérité de sa brûlante
illumination spirituelle.
"Heureux
ceux qui ont l'esprit de pauvreté ; ils hériteront du royaume des cieux".
CHAPITRE 11
La Foi des Cathares
Le Christianisme devint religion d'état au 4e siècle. L'Église Romaine
fixa alors son dogme, s'efforçant d'éliminer toutes les opinions différentes
qu'elle qualifia d'hérésies. Elle imposa un pouvoir implacable. En Languedoc
comme ailleurs, des contestataires hétérodoxes dénonçaient sa richesse et la
vie dissolue de ses dirigeants. Au 12e siècle, le pape Innocent III fomenta une
expédition militaire contre le comté de Toulouse où elle se livra à
d'effroyables massacres dont celui des habitants de Béziers. En 1226, le roi de
France reprit la croisade, levant une immense armée. Le comte de Toulouse se
soumit mais la guerre poursuivit ses exactions. En 1233, le pape Grégoire IX
institua l’Inquisition en la confiant aux Dominicains et aux Franciscains, puis
le pape Alexandre IV préconisa l’usage de la torture.
L'évêque de Pamiers, futur Benoît XII, fit exécuter de nombreux
Cathares et l'Inquisition détruisit leur clergé. On démolit les maisons des
"Parfaits", on exhuma et brûla leurs cadavres. Sans évêques, plus
d'ordinations. On brûla aussi tous leurs livres. La destruction des œuvres et
archives cathares fut tellement complète que rien ne nous en était pratiquement
parvenu. On ne pouvait utiliser que les enregistrements rapportés par les
"accusateurs juges". Aujourd'hui, des textes cathares incontestables
ont été redécouverts, et les connaissances rassemblées montrent que la religion
cathare reposait essentiellement sur l’étude et la proclamation de l’Évangile,
et sur la parole du Christ. Elle était donc authentiquement et
profondément chrétienne.
Prolégomènes
tragiques
Les grandes religions occidentales, issues des antiques traditions
sémitiques, professent toutes le monothéisme. Elles sont fondées sur la foi, ce
qui implique des postulats invérifiables. Le premier dote la divinité de la
toute puissance. Le second définit un créateur absolument bon, attentif et
bienveillant. D'autres lui attribuent la parfaite connaissance de l'état du
Monde, transcendant les limites du temps et de l'espace, etc... Mais
l'observation raisonnable de la réalité amène les chercheurs à douter de ces
certitudes. Ils élaborent alors d'autres hypothèses, devenant des hétérodoxes
porteurs d'une pensée différente. Cette démarche intellectuelle ou métaphysique
est parfaitement admise chez les juifs et les musulmans.
Dans le contexte chrétien, elle parait mettre en danger un dogme
fondamental, celui de l'unicité de l'Église en tant que corps vivant du Christ,
ce qui est sacrilège. Les penseurs contestataires deviennent des hérétiques. Au
Moyen Âge, ce "crime" était sévèrement puni, souvent de mort. En ce
temps, les Cathares n'admettaient pas qu'un dieu omniscient et omnipotent,
parfaitement juste et bon, ait pu créer ou permettre tout le mal qu'ils
constataient sur Terre. Ils ont prêché l'existence d'autres causes à ce désordre.
Ils pensaient que l'âme humaine pouvait se purifier progressivement dans des
incarnations successives pour retrouver un jour le royaume du Dieu de Bonté
véritable.
Aux yeux de l'Église, les Chrétiens qui adoptaient les hypothèses
cathares devenaient dangereux. Ils devaient être punis et les enseignements
reçus devaient être détruits. L'Église mit donc en œuvre ces punitions et ces
destructions, avec difficulté mais avec efficacité. Au 12e siècle, elle
répandit beaucoup de sang et causa de grandes souffrances dans les régions
concernées. En France, la pensée cathare était surtout présente en Languedoc.
Une croisade entreprit de l'en extirper. La lutte dura un demi-siècle. Elle fit
d'innombrables victimes pendues ou brûlées dans des exécutions souvent collectives.
Et finalement le Catharisme fut vaincu. Les récits de cette tragédie tâchent de
sang les pages de l'histoire du catholicisme, même édulcorées, et nous ne
reviendrons pas sur ces tristes évènements.
L'Église décida également de détruire totalement les enseignements du
Catharisme. Tous leurs écrits furent donc systématiquement recherchés et
brûlés, à tel point qu'au début du 20e siècle, on ne connaissait guère la
pensée cathare que par les rapports des interrogatoires des pauvres suspects
mis à la question. Quelques documents avaient cependant échappé à cette furie
de destruction. Ils ont été retrouvés dans des bibliothèques anglaises ou
autrichiennes. Ils sont maintenant traduits et publiés. Cette page voudrait
proposer le partage des contenus authentiquement cathares qu'apportent ces
nouveaux documents.
Avant d'accéder à ces textes, il faut rappeler le contexte dans lequel ce
mouvement de la pensée religieuse déclencha un demi-siècle de luttes
meurtrières. La société médiévale évoluait rapidement avec une aspiration
hétérodoxe assez générale. Le servage avait pratiquement disparu et les vilains
comme les bourgeois disposaient d'une liberté croissante y compris dans le
domaine de la pensée. De nombreuses factions apparaissaient partout, férocement
combattues par l'Église. En Languedoc, la rivalité des doctrines s'appuyait sur
des positions politiques tripartites qui servaient chacune ses propres
intérêts.
L'anticléricalisme était général, contraignant souvent les clercs
catholiques à une prudence extrême. Les Cathares condamnaient toute
propriété et tout pouvoir, ecclésiastique ou féodal. Les féodaux stimulaient
l'expansion de la nouvelle religion, qui affaiblissant l'Église, autorisait
leurs confiscations des ses biens. Et les gens d'Église imputaient les
spoliations aux enseignements cathares. Un autre phénomène est à prendre en
compte, qui est celui de l'apparition d'une sorte de nationalisme languedocien,
un communautarisme local, appuyé sur la survenue, au 11e siècle, autour de
Toulouse, d'une langue véhiculaire dérivée du bas latin, "la koinè
occitane", empruntée aux troubadours. Les gens avaient leur territoire,
leurs coutumes, leur langage, pourquoi pas aussi leur propre religion
Les
transformations politico-économiques en cours ne constituaient qu'un facteur
mineur dans le foisonnement des hétérodoxies médiévales. La corruption du
clergé catholique conduisait également à l'affaiblissement de ses pouvoirs.
Cependant, l'émergence de multiples hétérodoxies variées en de nombreuses
régions montrait bien le besoin d'un renouveau de la spiritualité en cette
époque de transformation sociétale. En Languedoc, le Catharisme, détaché du
Monde mauvais, répondait à ces aspirations. Il constitua rapidement l'idéologie
de la majorité de la population. Plusieurs courants coexistaient sans s'opposer
dans la pensée cathare. Le dualisme absolu pourrait dériver d'une filiation des
Bogomiles et des Pauliciens. Le dualisme mitigé, d'inspiration gnostique,
conserverait cependant l'idée d'une origine unique de la création. Ces
subtilités ne concernent pas les fidèles. On ne leur demande qu'une morale et
un comportement adapté. Les débats théologiques entre les Cathares et l'Église
se déroulaient dans le champ clos des Écritures. Les premiers imputaient
l'Ancien Testament au Dieu jaloux et vindicatif des Hébreux, lui préférant le
nouvel Évangile du Dieu d'amour et de vérité. Les Catholiques
rassemblaient les deux sources dans un même corpus déclaré de sainte
origine. Et finalement, Innocent 111 déclara la guerre sainte aux tenants
de l'irréductible hétérodoxie cathare.
Commencée en 1209, la guerre dura
jusqu'au Traité de Paris en 1229, qui établissait la victoire politique du roi
de France, mais le Catharisme perdurait. En 1215, au Concile de Latran,
l'Eglise obtint l'exclusivité du jugement du caractère d'hérésie, l'Etat s'en
réservant la punition dont la peine capitale. En 1229, le Concile de Toulouse
introduisit en Occitanie l'Officialité romaine dite Inquisition du Saint
Office. Le nouveau système judiciaire fonctionna à partir de 1234,
L'Inquisition ne s'embarrassa pas de discussions doctrinales. Elle chassait des
hommes. Méticuleusement et férocement, elle s'employa à détruire chaque Cathare
et chacun de ses livres.
Elle accomplit parfaitement sa tâche.
Les prêtres cathares ordonnaient sacramentellement les postulants. En 1321,
lorsque brûla Guillaume Belibaste, le dernier "Parfait", le Consolamentum
fut perdu. Les Cathares et leurs enseignements semblèrent à jamais détruits.
Mais les voies de l'Esprit sont impénétrables et la pensée ne meurt jamais.
Quelques livres doctrinaux avaient échappé à l'acharnement inquisitorial. Ils
demeurèrent ignorés ou cachés dans des rayons oubliés de bibliothèques
étrangères. Au 20e siècle, des chercheurs les découvrirent et s'attachèrent à
les traduire et à les publier. Aujourd'hui, la foi des Cathares revient en
lumière. Je vais essayer de vous en donner quelques aperçus.
Après que
l'Inquisition eut envoyé au bûcher Guillaume Belibaste, le dernier
"Parfait", elle s'attacha à la destruction des derniers Cathares et
de leurs livres. On ne retrouva de leurs écrits que trois fragments très courts
sans aucun texte cohérent. L'Église fit du Catharisme le symbole même de
l'hérésie. Son histoire ne nous parvint qu'au travers des registres judiciaires
rapportant les interrogatoires menés à charge et forcément partiaux. Au 20e
siècle, quelques documents incontestables furent retrouvés. Ils ne représentent
ensemble que la matière d'un seul livre, mais l'importance des contenus
contraste avec le néant précédent.
Dans cette
courte liste, on trouve deux apocryphes chrétiens, "l'Ascension d'Isaïe"
et "l'Interrogatio Ioannis ou Cène secrète", une traduction du
Nouveau Testament en langue occitane, deux traités dogmatiques partiellement
reconstitués, "le Livre des deux principes et le Traité anonyme", et
trois rituels, "le Rituel occitan de Lyon, le Rituel latin de Florence, et
le Rituel occitan de Dublin". On peut regrouper ces documents en trois
catégories. Il y a dans la première quelques textes connus par ailleurs, dont
on sait maintenant que les Cathares les utilisaient habituellement dans leurs
prêches. La seconde regroupe les deux traités doctrinaux ou polémiques mettant
en évidence les spécificités de la religion cathare, et la dernière enfin rassemble
les trois rituels.
L'Ascension
d'Isaïe est un apocryphe chrétien daté du 2e siècle que l'on croyait perdu. Au
début du 19e, il réapparut en divers endroits et en différentes langues et
versions. En France, René Nelli publia plus récemment de larges extraits de la
version éthiopienne avec des commentaires de Déodat Roché. Le lien ci-dessus
vous conduira à une autre traduction de synthèse. L'ouvrage fait partie des
textes utilisés par les Cathares quoiqu'ils ne les aient pas écrits. La
première partie conte le martyre du prophète scié en deux sur l'ordre de
Manassé. La seconde partie, dont usaient les Cathares dans leurs prédications,
la "Vision d'Isaïe", décrit une cosmogonie théologique
septuple.
C'est aux
prophètes hébreux Ezéchias et Michée, ainsi qu'à son fils Iosheb, qu'Isaïe
aurait conté la vision de sa propre montée à travers les sept cieux. Il assista
d'abord aux violents et éternels combats auxquels se livrent les
"anges" de "Sathan". Puis l'ascension se poursuivit dans
chaque ciel organisé semblablement au précédent mais avec une magnificence
croissante. Au milieu s'y trouve un trône magnifique environné d'anges qui
chantent la gloire de celui qui règne. Parvenu au faîte de l'ascension, Isaïe
eut la révélation de la mission de Jésus Christ, non pas homme mais esprit
subordonné au Père comme aussi l'Esprit Saint. Pour l'Église, cette
hétérodoxie s'apparenterait au docétisme.
Les Cathares
utilisaient aussi un autre texte, "l'Interrogatio Ioannis" ou
"La Cène secrète". Ce "Questionnement de Jean" est
un apocryphe d'origine probablement bogomile, daté de la fin du 11e siècle.
Dans ce dialogue, Jean pose à Jésus des questions théologiques auxquelles
répond le texte. Il en existe deux versions latines. L'une provient des
archives de l'Inquisition de Carcassonne, (Fond Doat). Elle a été traduite par
le P. Benoist en 1691 puis par Doellinger en 1890 et par Ivanof en 1925. La seconde est à la Bibliothèque Nationale de
Vienne, et elle a été aussi éditée par Doelinger puis par Reitzenstein en 1929.
J'utilise ici
la version française publiée par René Nelli dans "Ecritures Cathares"
en 1959. "Lorsque Jean demanda ce qu'était Satan avant la chute,
Jésus répondit qu'il était le splendide ordonnateur de toutes choses mais qu'il
voulut se faire égal au Très Haut. Il séduisit de nombreux anges qu'il entraina
dans sa condamnation. Lorsqu'il fut tombé, il invoqua le Père qui en eut pitié
et lui accorda tous pouvoirs pendant sept jours". Le texte établit que ces
sept jours sont ceux de la Genèse biblique. Il décrit la création de l'Homme et
de la Femme auxquels Satan fit des corps de limon puis y enferma deux grands
anges qui en éprouvèrent beaucoup de chagrin. Il leur enjoignit ensuite de
faire œuvre de chair dans ces corps de boue, mais, dit le texte, "ils
ne savaient pas faire le péché".
Satan fit
alors pour eux un Paradis avec des fruits interdis. Il planta un roseau et y
cacha un serpent qui les poussait à manger du fruit du Bien et du Mal. Et Satan
entra dans le serpent mauvais et versa sur la femme une concupiscence ardente
qu'il assouvit "avec la queue du serpent" (liber dixit). C'est
pourquoi les hommes ne sont plus appelés Fils de Dieu mais bien Fils du Serpent
et ils feront sa volonté diabolique jusqu'à la fin des siècles../.. Et comment
Adam et Eve formés par Dieu pour garder ses commandements peuvent-ils être
livrés à la mort ? "En réalité, le Père n'a créé par l'Esprit Saint que
toutes les vertus de Cieux. Mais c'est par leur désobéissance que les hommes
ont reçu ces corps de boue et ont donc été livrés à la mort".
Comment un esprit peut-il naître dans un corps de boue. "Issus des anges
tombés des cieux, les hommes reçoivent dans le corps de la femme la chair issue
de la concupiscence de la chair. L'esprit naît de l'esprit, et la chair de la
chair". Et jusqu'à quand Satan règnera-t-il sur les hommes ?
"Mon Père lui a donné sept jours, mais il m'envoya pour que j'enseigne aux
hommes à distinguer le vrai Dieu du démon. Et Satan confia alors à Moïse trois
bois pour me crucifier, et il lui fit enseigner sa loi aux fils d'Israël et
conserver ces bois pour moi. Avant que je descende, le Père envoya un ange
appelé Marie afin qu'elle soit ma mère, J'entrais en elle par l'oreille
et ressortit de même".
Pour les Cathares, il n'était
absolument pas concevable que le Fils de Dieu ait pu s'incarner dans un corps
de chair, œuvre du mauvais principe. Ils croyaient donc que le Christ s'était
seulement "adombré" en Marie, ne recevant rien d'elle. Par contre,
dans l'Évangile de Luc, on lit que l'Esprit de Dieu viendra sur elle et que la
puissance de Dieu "l'obombrera", (la couvrira de son ombre). Or, le
verbe latin "obumbrare" signifie bien "couvrir de son
ombre", mais le verbe utilisé par les Cathares, "adumbrare",
signifie "ébaucher, esquisser, dessiner vaguement comme une ombre".
Par conséquent, pour les Cathares, le Fils de Dieu ne s'est pas incarné
réellement mais seulement en apparence, qu'il n'a pas en réalité pris un corps
de chair mais seulement cette apparence, cela et tout ce qui s'ensuivit jusqu'à
sa mort sur la croix.
Les deux traités authentiques
Le Livre des deux principes et le
Traité Cathare anonyme
Le "Livre de deux principes" (Liber de duobus principiis)
est parvenu jusqu'à nous dans un seul manuscrit daté de la fin du 13e siècle.
Il a probablement été écrit par Jean de Luigo de Bergame, vicaire de l'évêque
cathare des Albanenses de Desenzano (dualistes absolus). Conservé à la
Bibliothèque nationale de Florence, il a été publié en 1939 par le Père
Dondaine. C'est le seul exposé théologique authentiquement cathare qui a été
retrouvé. Il contient des fragments, des résumés et des développements
polémiques que j'exposerai dans l'ordre du manuscrit.
L'ouvrage comprend sept traités intitulés : De liberio arbitrio, de
creatione, de signis universalibus, compendium ad intructionem rudium, contra
Garatenses, de arbitrio, de persecutionibus. Les trois premiers, (du
libre arbitre, de la création, et des signes universels) constituent la
controverse sur les deux principes. Le Compendium, (Abrégé pour
l'instruction des ignorants), expose brièvement la portée de la doctrine
des deux principes sur la Création. Le Traité contre les Garatenses, contra
Garatenses, réunit quelques fragments dévoilant les divergences doctrinales
entre les deux courants cathares (dualistes absolus et relatifs). Le
court traité de arbitrio reprend le thème des deux principes dans des
fragments disparates, et le recueil de persecutionibus rassemble
diverses citations préparant les fidèles cathares aux persécutions qui les
attendent.
Le premier traité expose qu'il n'y a pas de "libre
arbitre" dans l'Homme. L'auteur réfute plusieurs propositions imputées à
des adversaires supposés. Un être, quel soit-il, dit-il, est né pour le Bien,
ou pour le Mal. Si un homme n'a pas été fondé pour le Bien, n'en ayant donc pas
la volonté et n'étant pas capable de le distinguer du Mal, il n'a pas la
capacité de faire son salut. Car, si un être pouvait faire autre chose que le
fruit de son essence, rien n'empêcherait que le Diable ne devint Christ et le
Christ, Satan, l'impossible devenant possible. Si l'Homme peut faire le
Mal, c'est qu'il fut, à l'origine, voulu et pensé par le Dieu bon, tout
puissant et omniscient, comme capable de le faire, tout au moins dans le temps.
Et donc, (du moins pour les Albanenses), le Mal n'est qu'une
épreuve temporaire, tolérée par ce Dieu bon. Elle est temporellement vécue dans
la succession des incarnations, mais elle épuise, progressivement et par
elle-même, son contenu dans l'éternité, et finalement tous les anges perdus
reviendront en Dieu. Puisque le Dieu bon ne peut être la cause ni le principe
de tout mal, il faut reconnaître l'existence de deux principes, celui du Bien
et celui du Mal. Toutes les actions individuelles sont inspirées par l'un de
ces principes, du Bien ou du Mal. Seul le vrai Dieu peut sauver les âmes qui ne
sont, en elles-mêmes, ni responsables, ni punies, ni récompensées. Et l'âme qui
est sauvée l'a toujours été.
Le traité suivant se propose également de réfuter d'éventuelles
propositions adverses. Il s'agit des différentes acceptions possibles des
mentions scripturaires de l'acte de Création. Pour l'auteur, ces mentions n'ont
jamais le sens d'une création à partir du néant. Elles impliquent toujours la
transformation d'essences préexistantes, toutes issues du vrai Dieu, lequel a
créé et fait l'univers entier, en lui et de sa propre substance.
"Créer" ou "Faire" ont donc trois acceptions dont le
premier genre est d'ajouter quelque chose aux essences d'êtres déjà très bons.
Ainsi l'Écriture dit-elle "Dieu forma l'homme du limon de la Terre, il
répandit sur son visage su souffle de vie, et l'homme devint vivant et animé".
De même, le second genre est d'ajouter aux essences d'entités mauvaises, ce qui
permet de les améliorer. "Si quelqu'un est à Jésus-Christ, il est
devenu une nouvelle créature".
Le troisième genre permet à un être entièrement mauvais, (comme le Démon
ou ses ministres), d'accomplir temporairement ce qu'il désire mais ne saurait
réaliser par ses propres forces. Le vrai Dieu tolère alors un temps cette
malice. "Sur toutes les nations et sur tous les hommes, Dieu fait
régner l'hypocrite à cause des péchés du peuple". Par ces trois modes,
l'auteur prétend donc, en définissant le sens qui s'attache dans les Écritures
aux termes universels, montrer que le vrai Dieu a créé et fait l'univers
entier, et qu'il a tout fondé en Jésus-Christ.
Le troisième traité précise le sens des mots utilisés dans ces
textes. L'appellation "signes universels", par exemple, concerne les
termes généraux qui désignent un ensemble de choses, (des mots tels que
"tout", "toutes choses", ou des expressions analogues).
Dans les Écritures, ces signes ont plusieurs acceptions. Ils peuvent
désigner l'ensemble des choses ou êtres purs et bons, ou celui des
impurs, pécheurs ou méchants. L'auteur cite les Écritures pour
mettre en garde contre de possibles confusions.
Le quatrième traité, "Abrégé pour servir à l'instruction des
ignorants", condense la doctrine de Albanenses appuyée sur les Écritures
pour la mettre à la portée des "Croyants". Le vrai Dieu tout puissant
ne peut faire le Mal car il ne le veut pas. Il ne peut pas créer un autre Dieu,
et puisqu'il ne peut faire le Mal, il existe donc une autre puissance qui est
le Mal. Les Écritures disent que Dieu détruira un jour le Mal pour
toujours. Il faut absolument croire qu'il existe un autre principe très
puissant dans le Mal, dont Sathanas tire sa puissance. Les Écritures disent
aussi qu'il existe d'autres dieux et une éternité mauvaise distincte de celle
du Dieu bon. Le Dieu mauvais est celui qui a fait le Ciel et la Terre et tout
les êtres visibles de ce Monde mais il n'est pas le véritable Créateur. Et ce
mauvais Dieu a ordonné de prendre par la force le bien d'autrui et de commettre
des homicides. Il a maudit le Christ, n'a pas tenu ses promesses et s'est
laissé voir dans le monde temporel.
Le cinquième traité, "Contre les Garatenses",
présente beaucoup d'intérêt car il permet d'approcher la principale divergence
doctrinale avec le second courant cathare, les "dualistes mitigés".
L'auteur combat leur idée qu'il n'existe qu'un seul Créateur très saint
dont le mauvais Prince de ce monde fut d'abord une créature. Par la suite,
celui-ci corrompit les quatre éléments et en format l'homme et la femme et tous
les corps visibles. S'ils croient, dit-il, qu'il n'y a qu'un seul vrai créateur
du visible comme de l'invisible, ils ne devraient pas rejeter sa sainte
création en condamnant l'œuvre de chair ni en demeurant végétariens. Ils
disent que cette corruption s'est opérée contre la volonté de Dieu, et ils
doivent donc admettre qu'il existe un autre principe, capable de corrompre les
quatre saints éléments, contre sa volonté ou avec sa permission. Car ils
enseignent aussi que cette permission donnée fut mauvaise et vaine, et l'on
voit qu'elle le fut. Alors, ce Dieu qui aurait donné cette permission maligne
serait lui-même la cause première du Mal, et ceci est la contradiction de la
doctrine des Garatenses.
Le sixième traité revient sur l'affirmation de l'absence du libre
arbitre avec quelques arguments supplémentaires.
Le dernier traité, "de persecutionibus", prépare les
fidèles aux persécutions attendues en rappelant celles que subirent les
prophètes, le Christ, les apôtres et tous ceux qui les suivirent.
Quoique incomplet, le "Traité cathare anonyme" est le second
ouvrage cathare qui nous soit parvenu. Le Père Dondaine en a retrouvé un court
fragment dans le "Liber contra Manichéos" à la Bibliothèque
Nationale. Un fragment plus important se trouve à la cathédrale de Prague. Il
contient dix-neuf chapitres sur les trente-cinq de l'original. Ces extraits ont
été publiés en 1961 par Christine Thouzellier. Les citations cathares
sont insérées dans une réfutation prononcée par Durand de Huesca. On y retrouve
la vision cathare du Monde et de la Création, avec deux "époques", la
nôtre tirée du néant, et qui y retournera, et l'autre peuplée de
créatures incorruptibles et éternelles.
Notre monde est tout entier mauvais. Il ne vient pas du Père ni du
Christ. C'est le royaume de Satan. Nous résidons sur une terre étrangère.
C'est dans l'autre royaume que sont le Ciel nouveau, la Terre nouvelle et
la nouvelle Jérusalem. En s'appuyant sur les textes relatifs à la venue
du Christ, les Cathares, dit l'auteur, en arrivent à poser deux créations,
l'une bonne et l'autre mauvaise. Ce qui est ici bas n'est rien, "nihil",
et ce n'est donc pas l'œuvre du vrai Dieu. C'est ce que prouverait le prologue
de Jean : "sine ipso factum est nihil", (le rien a été fait
sans lui). La suite du verset, "quod factum est in ipso vita erat",
(ce qui a été fait (les créatures), en Lui (le Verbe) était vie), prouve
que la bonne création est spirituelle.
Les trois rituels
Le dernier groupe de documents cathares retrouvés au 20e siècle comporte
trois rituels, "le Rituel occitan de Lyon, le Rituel latin de Florence, et
le Rituel occitan de Dublin". Le Rituel de Lyon est contenu dans un
manuscrit en occitan, donné à l'Académie des Sciences, Belles lettres et Arts
de la ville de Lyon par le bibliothécaire protestant de Nîmes en 1815. Il date
des environs de 1250. Il contient un Nouveau Testament et un texte de 13 pages
identifié depuis comme un rituel cathare par le théologien Reuss. Le texte en
fut édité à Iéna par Cunitz puis traduit en français par Léon Clédat qui en
publia également une reproduction lithographique en 1887.
Vingt ans plus tard, un chercheur dominicain, le Père Dondaine, publia
deux textes latins découverts à la Bibliothèque de Florence. Il s'agissait du
traité théologique dit "Livre des deux principes" et d'un rituel
cathare partiel, "le Rituel de Florence". Le troisième
document est inclus dans un manuscrit occitan daté du 14 siècle. Il fut
retrouvé parmi des écrits vaudois conservés à la Bibliothèque vaudoise du
Trinity College de Dublin. Il se compose d'un sermon préparatoire au
Consolamentum et d'un commentaire du Pater. Il a d'abord été publié par Théo
Venckeleer, puis par Deodat Roché en 1970, puis encore revu par Anne Brenon et
ajouté à la dernière édition des "Écritures Cathares de René Nelli.
Il a été dit du Catharisme que c'était une religion sans temples ni
sacrements. Le culte public ne consistait qu'en rares assemblées de prières
dans des lieux ordinaires (servicium). Les fidèles s'y rassemblaient en petit
nombre pour y entendre les sermons et enseignements, confesser collectivement
leurs fautes et s'en faire absoudre, prier et participer au repas rituel. Deux
rituels sacramentels initiatiques étaient parfois intégrés à ces assemblées.
Par la "Tradition", la transmission de l'Oraison dominicale (Pater
Noster), les "auditeurs ordinaires devenaient des
"Croyants", et par le "Baptême spirituel" ou
"Consolation", (Consolamentum), ils devenaient des "Parfaits
Chrétiens".
Les rituels de Lyon et de Florence sont assez cohérents dans leurs
présentations de ces liturgies qui semblaient donc bien fixées. Au cours
de la cérémonie de Tradition, le récipiendaire, parrainé par un ancien de la
communauté, était présenté à "l'Ordonné", un Parfait établi, qui lui
expliquait la signification du rite. Puis il en recevait le livre des
Évangiles. Le fidèle devenu "Croyant" devait faire son
"melioramentum", une demande du pardon de ses fautes et de la
bénédiction de l'officiant, et prendre l'engagement de réciter le Pater dans
toutes les circonstances prévues par le rituel, mais ces obligations ne
bouleversaient pas sa vie.
Le
Pater Noster (Notre Père) des Cathares
(Rituel de Dublin)
Pater noster qui es in celis |
Notre Père
qui êtes aux cieux |
Le pain suprasubstanciel - Le texte originel
du Pater a été transmis par les évangiles en grec de Matthieu et de Luc qui
utilisaient un terme particulier, le mot "epiousion". La souplesse de
la langue grecque permet la création de néologismes à partir des nombreux
radicaux disponibles. En l'occurrence, ce mot semblait formé du préfixe
"epi" (sur, au dessus) et du radical "ousia" (essence,
substance). De façon surprenante, les rédacteurs de la première version latine
(Vetus latina) l'ont traduit par "quotidianum" (quotidien). Lorsqu'il
révisa la "Vetus latina", en 380, pour en tirer la
"Vulgate", Saint Jérome usa habilement d'un étrange artifice. Il
utilisa "supersubstancialem" dans Matthieu et "quotidianum"
dans Luc. La demande cathare d'une "nourriture spirituelle" semble
bien plus proche du sens originel que le "pain quotidien" de la
prière catholique. Par le pain suprasubstanciel, les Cathares entendaient
: La loi de Christ qui a été donnée à tous les peuples. "Le pain de Dieu
est celui qui vient du ciel et qui donne la vie au Monde. (Jean VI,
32-33)".
Une autre traduction, en Occitan
Paire nôstre que sés dins lo cél,
que ton om se santifique,
que ton renhe nos avenga,
que ta volonta se faga
sus la térra coma dins lo cel.
Dona-nos uéi nôstre pan supra subtancial,
perdona-nos nôstres deutes
coma nosautres perdonam a nôstres debitors,
e fai que tombem pas dins la temptacion,
mas deliura-nos del mal
Dans la société médiévale du 12e siècle, les femmes étaient assez libres
avec un statut en général inférieur à celui des hommes. Dans la tradition
cathare, il n'y avait aucune différence entre les âmes des hommes et celles des
femmes, toutes "bonnes et égales entre elles. Le diable n'avait que
temporellement, et au hasard des incarnations, différencié leurs corps. En
principe, les hommes et les femmes y étaient donc égaux. Dans l'Église cathare,
les femmes pouvaient obtenir le consolamentum et devenir "Parfaite"
ou "Bonne Femme", et dans ce clergé, elles occupaient une place égale
à celle des hommes. Elles pouvaient prêcher, donner le Baptême et la
Consolation. Dans la pratique cependant, leurs activités se limitaient souvent
au tissage, à l'éducation des enfants, à l'assistance aux malades, et elles
n'avaient pas accès à la hiérarchie. Elles vivaient souvent ensemble dans des
"Maisons de Parfaites" sans considération d'origine sociale. Elles étaient
écoutées, respectées et honorées et ne vivaient pas coupées du monde.
Souvenons-nous que, pour les Cathares, tout acte de chair était un péché même
consommé dans le mariage. La procréation était tolérée car elle permettait la
réincarnation indispensable à la purification des âmes. Mais les hommes
restaient réservés à l'égard des femmes, prenant leurs repas à l'écart et
évitant même de s'assoir sur le même banc.
Le "Consolamentum" (Consolation) était la cérémonie
centrale du Catharisme. Il n'était donné qu'en deux occasions, lorsqu'un
"Croyant" décidait d'entrer en religion en devenant
"Parfait", ou quand il se sentait au seuil de la mort. C'était donc
une sorte d'ordination qui marquait la ferme volonté d'un véritable changement de
vie. Une longue période de probation était exigée des postulants qui devaient
faire preuve de volonté. Elle comportait en particulier de longs jeûnes très
sévères.
Le consolamentum ne pouvait être donné que par un ministre (ou Parfait)
en état de grâce. Il remettait les péchés passés et rendait au Croyant sa
liberté véritable en lui donnant le pouvoir de reconnaître le Mal et de lui
résister. Le nouveau "Parfait" ou "Bonhomme" promettait de
ne pas commettre d'homicide même d'auto défense. Il s'engageait à un encratisme
total, renonçant à toute œuvre de chair, et à un végétarisme rigoureux,
s'interdisant toute nourriture d'origine animale. Il devait résister à la faim,
à la soif, au scandale, à la persécution jusqu'à la mort plutôt que le parjure.
Lorsque le Bonhomme retombait dans le péché, il revenait à la période
probatoire avant d'être à nouveau "consolé". C'est pourquoi de
nombreux Croyants préféraient attendre les derniers instants pour
demander le sacrement salvateur. Et s'ils survivaient, tout était alors à
recommencer.
Lors de la cérémonie du Consolamentum, le
Croyant se présentait devant l'Ordonné pour recevoir le Livre, demander le
pardon de ses fautes et affirmer sa volonté d'obtenir le baptême spirituel du
Christ par l'imposition des mains. - "C'est là, lui disait l'ordonné, le
baptême du Saint Esprit, comme l'a dit Jean Baptiste, (Pour moi, je vous
baptise dans l'eau, mais celui qui vient après moi est plus puissant que moi et
je ne suis pas digne de porter ses souliers : C'est lui qui vous baptisera dans
le Saint esprit et dans le feu). - D'où il faut comprendre que le Christ n'est
pas venu pour laver les souillures de la chair, mais pour purifier de leurs
ordures les âmes de Dieu créées par Dieu. - Et le Seigneur dit à ses disciples,
" Comme le Père m'a envoyé, je vous envoie de même, et il souffla sur eux
en disant : Recevez le Saint Esprit ! - Les péchés seront remis à qui vous les
remettrez et ils seront retenus à qui vous les retiendrez". -
L'ordonné disait aussi : "Vous devez comprendre que vous êtes venu devant
l'Eglise de Jésus Christ pour recevoir le saint baptême par l'imposition des
mains en prenant l'engagement d'observer la Loi du Christ dans les œuvres de
votre âme et pour l'observer tout le temps de votre vie".
Finalement, il plaçait le Livre sur la tête du
Croyant et tous les autres Parfaits présents imposaient sur lui leurs mains
droites pendant la bénédiction, "Au nom du Père, du Fils et du Saint
Esprit, Amen". Suivaient ensuite plusieurs oraisons puis un service
traditionnel.
Anciens et nouveaux textes cathares
Les Cathares
étaient donc des Chrétiens hétérodoxes. Cela veut simplement dire qu'ils
n'adhéraient pas aux dogmes de l'Eglise Catholique Romaine, et qu'ils
manifestaient, par rapport à elle, un besoin de transformation spirituelle et
sociale. Ils dénonçaient les mœurs dissolues et l'immoralité des clercs et
préconisaient le retour aux enseignements de l'Église primitive. La pensée
cathare semble cependant avoir été influencée par par les croyances bogomiles
et des philosophies dualistes venues du Moyen Orient. Les Cathares professaient
que le monde où nous vivons n'est pas la création directe de Dieu. C'est
l'œuvre de Satan, son organisateur cruel. L'âme de l'Homme fut crée à l'origine
par le Dieu bon véritable, mais elle demeure indéfiniment prisonnière des corps
matériels créés par Satan. Les envoyés de Dieu proposent aux hommes une voie de
salut permettant d'échapper à ce cycle de pénibles réincarnations
perpétuelles. Le Christ est venu enseigner cette doctrine de salut, non
pas en tant qu'homme mais seulement en esprit. Le clergé cathare poursuit son
œuvre dans l'Eglise véritable des "Croyants", dans l'action des
"Parfaits", ou "Bonshommes", rituellement ordonnés par le
sacrement du "Consolamentum". L'Eglise romaine est une fausse église.
Tous ses dogmes et sacrements sont à rejeter tout autant que l'Ancien
Testament.
Jacques Henri Prévost
INCARNATUS
Tome 1 - Lentement
vers la Lumière
(Aux
sources de l'ésotérisme occidental)
Tome 2 - Bien nombreux les
chemins.
(Mythes
traditionnels et exotiques)
Tome 3 - Et chaque
amour, enfin
(Vers une spiritualité contemporaine)
Du même auteur
Le Ciel, la
Vie, le Feu
Le Pèlerin d’éternité
L’Univers et
le Zoran
L’Argile et
l’Âme
Prolo Sapiens
Lentement
vers la Lumière
Bien nombreux
les Chemins
Et chaque
Amour enfin
Recueil de
cuisine végétarienne
© Jacques Prévost – Cambrai –
France
Jacques Henri Prévost
Lentement vers la Lumière
Incarnatus – Tome 1
(Aux sources de l’ésotérisme
occidental)
Cristallisée
dans la matière, l’âme tente depuis des millénaires de s’ouvrir un chemin vers
la lumière, mais les siècles passent et l’opacité de l’incarnation dans la
matière ne cède que bien lentement. Néanmoins, la conscience progresse, et
siècle après siècle, vie après vie, l’alchimie spirituelle amollit les
résistances de l’égo et dissipe progressivement toutes les illusions du Monde.
Lentement, les certitudes s’effritent,
la lumière perce les opacités,
donnant progressivement un sens à l’existence.
C’est
ce lent cheminement depuis les sources antiques de notre civilisation
occidentale jusqu’à nos jours, à travers
les siécles, les civilisations, les philosophies et les religions diverses que
cet ouvrage se propose de présenter dans les études suivantes.
Les appels de la Lumière.
Les dieux grecs.
Les Ennéades de Plotin.
Les enseignements d’Hermès Trismégiste.
Les antiques religions à Mystères.
La religion des Romains.
La Gnose et les Gnostiques.
De la Gnose aux Cathares.
De Giodano Bruno à l’Univers vivant.
Robert Fludd et la Rose+Croix.
Béguines et Cathares des Flandres.
La Foi des Cathares.