Jacques Henri Prévost

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  L’ARGILE 

ET

L’ÂME

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Jacques Prévost – Cambrai - France

ISBN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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    Jacques  Henri  PREVOST

 

 

 

 

    L’ARGILE
ET

 L’ÂME

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Jacques Prévost –Cambrai - France

 

 

 

 

I

ntroduction

 

 

 

 

 

Parce que vous venez de l’Unicité de Dieu,

et que par grâce,

vous êtes aussi des dieux,

Dans la pure vérité des fins dernières,

vous deviendrez

ce qu’en réalité et consciemment vous êtes,

vous recevrez

tout ce qu’inconsciemment et en secret vous désirez.

 

Hélas peut-être !

 

 

 

Malgré tous les progrès étonnants sur les plans scientifiques et techniques, l’amélioration de ses conditions d’existence et l’allongement de la durée de sa vie, à l’aube de ce 21ème siècle qui commence aujourd’hui, l’Homme reste insatisfait. Le Monde semble maintenant avoir réalisé une sorte d’unité. Nous entrons dans une période d’universalisme et nous avons besoin d’idéaux universels. L’espoir de l’humanité repose dans l’établissement d’un universalisme intellectuel et spirituel acceptable qui réponde aux trois questions fondamentales que se posent toujours tous les hommes.

*         D’où suis-je ? Autrement dit « Hier, qu’étais-je ? ».

*         Où suis-je ? « Maintenant, que suis-je ? ».

*         Où vais-je ? « Demain, que serai-je ? ».

 

Ces questions existentielles concernent la vie et la mort, l’origine de l’être et son destin, le problème  de la cause et de la nature du mal. Chacun tente de résoudre ces problèmes personnels avec ce qu’il a dans sa nature la plus intime. Le chercheur trouve parfois des débuts de réponses. Il construit une vérité personnelle en assemblant ces fragments. Mais il y a seulement des compréhensions partielles et divisées, des questions  sans réponses, et des cheminements individuels incertains et pénibles.

 

Caminhando, o caminho se faz.

C’est en cheminant que l’on fait le chemin.

(Proverbe brésilien).

 

Dans un précédent ouvrage, « L’Univers et le Zoran », j’ai tenté l’élaboration d’une cosmogonie intégrant tous ces questionnements. C’était un travail qui ne prétendait pas être partageable ni avoir une valeur générale ou universelle Il s’agissait d’une recherche personnelle concernant ma propre raison d’être. Un jour, vous aussi, peut-être, engagerez, pour votre propre compte, la quête de votre propre Graal.

 

Vous rencontrerez toujours les implacables dogmatismes des multiples intégrismes. Dans le chemin de votre développement personnel, vous n’avancerez que si vous préservez à tout prix votre absolue liberté de pensée. Vous devrez rester continuellement à distance des engagements inévitablement provoquées par les hypothèses tentatrices que vous rencontrerez. Nous pensons presque tous que notre court passage sur cette petite planète, doit avoir un sens et un but imaginables, au sein d’un réel logiquement organisé. Pour donner un sens à notre vie, nous voulons croire que nous y sommes personnellement impliqués. Le Réel total nous contient. C’est un Univers-labeur, qui se transforme en permanence, détruisant l’œuvre du passé pour construire la nouvelle émergence du présent.

 

Lorsque l’on engage une réflexion sur la nature du réel, il faut  bien cerner les facteurs qui en dénaturent la perception. Il faut comprendre que le langage peut nous amener à doter le Monde d’aspects artificiels qui sont de pures créations mentales. On peut aussi tenter d’ouvrir les différentes fenêtres que les penseurs et les scientifiques espèrent avoir percées dans le mystère de l’Être Total que j’ai appelé le Zoran. Dans ce but j’ai raconté l’histoire de l’univers, de la vie, et l’aventure de l’homme et des sociétés humaines. J’ai également essayé d’exposer la relativité des certitudes que les grandes religions et les philosophies occidentales prétendent avoir établies.

 

J’essayerai ici d’approfondir cette aventure, en particulier au travers de l’examen des messages que les mythes, portés par les différentes civilisations, et les doctrines, enseignées par les différentes religions, s’efforcent de nous transmettre. C’est donc sur cette histoire globale des origines de l’humanité et de la diversité de ses approches du divin que nous allons nous pencher ensemble, si vous le voulez  bien.

 

La nature de l’Homme est comme celle du Monde.

Rien n’est jamais vérité absolue ni définitive.

 

La faillible raison humaine se refuse à faire naître du néant, sans cause première, les choses dont elle constate l’existence. Elle postule qu’elles sont les manifestations d’un être primordial situé à l’origine de l’apparition  du Monde matériel. A l’origine, nous ne pouvons cependant poser que le mystère insondable de l’être et l’incommensurable puissance de ses manifestations créatrices. Partant de cette ignorance fondamentale, nous avons supposé que la matière et l’activité cosmique ont émergé du vide matériel originel.

 

De la même façon nous imaginons que la conscience et l’activité de la pensée émergent d’un autre vide, intérieur et mental. Pour l’Homme, maintenant et ici, à partir de ce nouveau désert où se perd sa conscience, une nouvelle émergence apparaît, que nous appelons un peu hâtivement l’Esprit. Or, nous ne comprenons pas très bien ce qu’est cet Esprit, pour nous si nouveau, dans l’aventure de la vie. Nous ne pouvons guère en dire que ce qu’il paraît être à notre conscience nouvelle et à nos yeux étonnés. A ce qu’il semble, l’Esprit est l’actualisation de la divine vie éternelle dans le présent, c’est-à-dire l’apparition actuelle, dans notre champ de vie personnel, d’un facteur éternel permanent, mais cependant nouveau pour nous.

 

Notre sort commun et banal est de résider corporellement dans un Monde périssable et fugitif. Nous disons que celui-ci est l’oeuvre du Démiurge, et nous désignons avec ce mot restrictif l’un des aspects créateurs incomplets du Divin originel. Par antithèse, nous appelons Verbe de Dieu la globalité de cette capacité créatrice, qui reste encore, à nos yeux et dans notre temps, incomplètement manifestée, en ce qui concerne l’Homme. Celui-ci n’en saisit actuellement que les aspects liés à la matière et à la vie biologique.

 

L’Esprit est une autre manifestation éternelle du Verbe, une autre façon d’agir du pouvoir créateur de l’être divin originel. Il n’est pas enfermé dans la matière, et se situe au-delà du Monde existentiel. Il réside dans les corps vivants mais sa nature n’est pas corporelle. Il n’est pas asservi aux lois physico-chimiques ni aux violentes contraintes de la compétition vitale. La plupart des hommes sont conscients de cette réalité éternelle, immatérielle, active et présente en eux, et ils espèrent parvenir un jour à rejoindre l’Esprit dans son propre domaine. Petit à petit, dans cette sphère humaine qui est notre actuelle résidence, l’Esprit établit son royaume dans l’empire encore imparfait du démiurge. L’homme accompli est son moyen d’action. Chacun de nous est libre de se joindre à cette œuvre, ou de s’y refuser.

 

Pour exercer cette liberté de choix, nous disposons seulement de nos facultés et de notre court temps de vie. Tous les actes conscients que nous acceptons, accomplissons, ou refusons, en l’instant actuel, sont créateurs et liés à notre être. Ils détruisent à jamais notre passé, et déterminent, à l’instant même, notre nature véritable et par conséquent notre futur éternel. Ouvrant des yeux nouveaux, à l’éclairage de la lumière naissance de cette prise de conscience, nous avons douté de nos fragments de certitudes. L’aurore, c’est déjà l’affaiblissement de l’obscurité. Au cours de notre démarche initiale, nous avons commencé une quête incertaine mais fondamentale de la réalité absolue. En recherche de vérité, nous avons alors regardé notre propre corps et nos merveilleux appareils sensoriels. Nous avons appris que nous ne pouvions pas leur faire entièrement confiance parce qu’ils sont seulement des détecteurs et non pas des moyens de connaissance. Nous avons aussi compris que notre cerveau fabriquait ses propres représentations synthétiques du Monde, et qu’il proposait ensuite au mental ces créations artificielles comme des images crédibles de la réalité. Nous avons constaté que le mental même utilisait les images intérieures comme des objets véritables, et que l’intellect était capable de fabriquer des idées fausses et de traiter ces illusions comme des choses réelles et crédibles en elles-mêmes. Nous avons bien vu qu’il utilisait les innombrables souvenirs du passé pour créer un centre de référence, artificiel et souverain, l’ego, centre clos de son propre univers.

 

Ensuite, nous avons demandé à la science de nous parler de  l’origine de la matière, du cosmos immense, de l’énergie et des étoiles, du Soleil et des planètes, de la Terre et de son histoire, et de la naissance de la vie. Nous avons d’abord découvert un macrocosme étonnant, qui nous apparaît construit de manière fractale, depuis les galaxies jusqu’aux plus infimes constituants des particules atomiques, et qui s’étend dans bien des dimensions, y compris celles de l’espace et du temps. Nous avons suivi l’histoire passionnante de l’évolution, sur cette Terre, de la vie qui a tout inventé, la cellule et le corps, la sève et le sang, la fleur et la graine, le plaisir et la souffrance, le chagrin et la joie, les caresses et la cruauté, la tendresse, la dévoration universelle et la mort. Nous avons examiné l’origine et le développement de l’Homme et le peuplement de la planète. Nous avons également perçu que chaque partie, dont le microcosme humain,  était une image de ce grand tout qu’est le Zoran. Mais la science ne dit rien du Pourquoi des choses car elle ne s’intéresse qu’au Comment. Alors nous nous sommes tournés vers les mythes des diverses civilisations, et vers ceux qui prétendent parler cette fois du Pourquoi et non pas du Comment. Nous avons constaté que les civilisations et les idéologies voulaient changer la société humaine, tandis que les religions s’efforçaient de changer les individus. Nous avons bien vu que ces deux démarches semblaient avoir échoué. Regardant vers l’aventure des populations et des nations, nous avons surtout trouvé l’histoire épouvantable des guerres meurtrières et des avanies cruelles que se font les peuples et les hommes, civils ou soldats, croyants ou incroyants, dans une lutte sauvage et primitive pour accéder au pouvoir et à la richesse.

 

Nous avons hélas constaté que cette incurable sauvagerie et cette implacable volonté d’asservir les autres, étaient inscrites dans notre patrimoine génétique, et par conséquent dans le karma de chaque homme. Pour liquider ce terrible karma, pour échapper à ces servages liés à la matière, à la nature animale, et aux lois abusives de la sélection naturelle, il est nécessaire de savoir les reconnaître puis de vouloir les sublimer. Portant le regard sur l’univers matériel et la vague existentielle qui nous porte, nous voyons que toutes les parties constituant le cosmos se dégradent continuellement au fil du temps. La loi implacable de Shiva fait naître chaque chose nouvelle de la destruction de l’ancienne. Au sein de la dégradation perpétuelle, les vivants semblent lutter sans cesse pour réaliser un objectif mystérieux. La bataille paraît toujours perdue et tous finissent tragiquement dans la mort. Cette défaite n’est qu’apparente car la force de vie a déjà remporté d’innombrables triomphes dont nous n’avons pas bien conscience. Nous sommes habitués à ces victoires banales mais terrifiés par la promesse de la défaite concrétisée dans la mort physique inévitable.

 

Cependant, pas-à-pas, sur notre petite planète terrestre, les petites victoires successives de l’immense force de vie permettent aujourd’hui l’émergence progressive de la conscience hors de la matière inerte. Tant passe le temps immobile, qu’émerge enfin de l’océan cosmique, son propre regard ! Il nous faut accepter de poser ce regard de nos yeux et de notre conscient sur notre propre vérité.

 

Nés des étoiles, notre vrai visage est la lumière.

 

Nous sommes les lucifères, les flambeaux, ceux qui éclairent. Sur cette Terre, il semble que nous soyons aujourd’hui les seuls porteurs actuels de la conscience éclairant l’existence. Le sens du mot Lucifer a beaucoup varié au fil des âges. Il signifie bien étymologiquement « Porteur de Lumière ». Il a été appliqué successivement à Adam, l’Homme initial, au roi de Babylone, au Christ, à l’étoile du matin (Pierre 2/19). Il désigne malencontreusement depuis le Moyen-âge, l’Archange rebelle à l’ordre divin, le Satan. Cependant, nous travaillons, ici et maintenant, pour élargir cette conscience éclairante, et pour effacer les traces karmiques archaïques et le poids d’un passé révolu. Nous utiliserons donc ce mot magnifique pour désigner, au sein du chaos et de la dégradation perpétuelle du monde existentiel, les forces immenses qui travaillent, en nous et obscurément, à la création des outils nécessaires. Les forces lucifériennes construisent et modèlent le Monde et tout ce qu’il contient, y compris l’espèce humaine, ses qualités et ses défauts, son intellect et sa conscience.

 

Nous ne savons pas si l’univers où nous vivons est le seul qui fut jamais produit. Nous ne savons pas non plus si d’autres formes d’existence, intelligentes et raisonnables ou disposant d’autres outils, ont pu ailleurs ou dans d’autres temps, ou par d’autres moyens, résoudre les problèmes aujourd’hui posés à l’Homme luciférien terrestre.

 

Sur le plan général de ce que nous savons de l’univers, la première construction luciférienne, sa première victoire, est celle du tout contre le rien. C’est l’existence elle-même, qui a vaincu le vide immobile, éternellement indifférent. La seconde victoire est celle de l’ordre contre l’incohérence, c’est l’auto-organisation du chaos, d’où naquirent la matière et le cosmos. La suivante, c’est la préparation de la vie, l’apparition, sur cette Terre au moins, des combinaisons chimiques réplicatives, porteuses de cette information si précieuse qui fait reculer l’entropie. Puis c’est l’apparition des organismes vivants, de l’évolution, et de la sensibilité animale. Maintenant, une nouvelle victoire apparaît. C’est celle du début de la compréhension du monde, à l’aide de cette merveille qu’est la prise de conscience de l’existence même. Il convient maintenant de concrétiser cette victoire annoncée, par le discernement des dérapages de l’évolution, et par la correction des désordres acquis au cours du lent développement de la nature humaine. Cela comprend aussi les excès de cette spécialisation vicieuse et meurtrière de l’Homme-animal qui constituent l’héritage de notre  passé biologique. Les porteurs de lumière de la conscience, les lucifères que nous sommes s’attachent aujourd’hui trop intensément à la matière. Ils veulent maîtriser la nature entière et en jouir dans un désir exacerbé d’asservissement et de possession totale. Les enseignements du passé sont pourtant atroces. Dans l’avenir, nul ne peut encore imaginer jusqu’où ira cette implacable volonté de possession et de pouvoir. En cela l’on peut dire que l’Homme dit sapiens, vivant  conscient épris de la matière,  est devenu satanique.

 

Tombé de l’Eternel, Satan veut l’Infini,

Tombé de l’Etre, il veut l’Avoir.

(Denis de Rougemont). 

 

Seul parmi les êtres de cette Terre, nous dit Hermès, l’Homme est double, image microcosmique du Monde macrocosmique. En lui coopèrent donc plusieurs formes d’expression du Verbe. Les forces lucifériennes ne sont pas seules à l’œuvre. Nous reconnaissons aujourd’hui un second acteur nouveau qui n’est pas une force mais un don brûlant. Il déverse sur le Monde une immense puissance. Il n’est jamais imposé, mais offert. De façon générale, nous pouvons le considérer comme un flot, un Afflux de grâce. Cette autre puissance est reconnue depuis bien des siècles, dans bien des cultures, sous beaucoup d’appellations différentes. Dans notre référentiel culturel chrétien occidental traditionnel, nous pouvons l’appeler l’élan christique.

 

Les forces lucifériennes sont des forces de création.

 

Elles nous imposent les formes et les usages du Monde matériel et existentiel dans lequel nous vivons. Elles utilisent les propriétés du hasard et du chaos, mais aussi les lois féroces de la lutte pour la vie et de la sélection biologique. Ce sont des forces naturelles et aveugles, reliées au temps. Elles ont construit nos corps biomécaniques et nos outils intellectuels de compréhension. Elles ont forgé les récepteurs affectifs nécessaires à la perception de l’élan christique. Considérées du point de vue de la sélection humaine des plus aptes, des plus exploiteurs, des plus dominateurs, leurs autres conséquences sont néfastes et leur caractérisation satanique ne pourra que s’accentuer dans l’avenir. A nos yeux, maintenant ouverts par l’éclairement de la conscience, ces forces d’involution sont devenues primitives, brutales et asservissantes. De leur action résultent notre Monde matériel, éternellement détruit et renouvelé, ainsi que son peuplement biologique périssable, alternativement dévorant et dévoré.

 

En ce qui nous concerne, leur résultante résiduelle charge notre mémoire spécifique et personnelle, notre Karma. Au niveau actuel de réalisation de notre immersion progressive dans ce Monde, de notre investissement graduel de la matière, nous, Hommes Conscients, atteignons maintenant un point particulier. On peut, au choix, le considérer comme un point haut, zénith actuel du développement croissant de nos outils mentaux, ou comme un point bas, un nadir actuel de la matérialisation de notre être total.

 

Lorsqu’elle se produit, cette prise de conscience est une rencontre coopérante avec la manifestation nouvelle, une réponse à l’appel de l’élan christique. L’important est de comprendre qu’à partir de ce point, de cette rencontre, par les décisions que nous prendrons et par les actes que nous accomplirons, notre état actuel pourra être changé et notre cheminement éternel de réalisation personnelle pourra nous conduire à l’aboutissement.

 

L’involution, c’est la matérialisation

progressive de l’esprit,

et l’évolution, c’est la réapparition de l’esprit,

émergeant au sein de la matière

qu’il a fécondée, animée, évertuée.

(Stanislas de Guaïta).

 

Les alchimistes du Moyen-âge travaillaient longtemps devant leurs cornues avant de comprendre que la transmutation du plomb vil en or pur n’était qu’une figure de la nécessaire transformation de leur propre personne. Comme l’alchimiste, celui qui est touché par l’appel de la nouvelle puissance, et qui en prend conscience, peut volontairement engager un processus qui va modifier sa nature existentielle. Il devient alors un facteur émergent nouveau influençant la structure globale du Zoran, de l’Être Total, dans un nouvel aspect essentiel et non plus seulement existentiel. Cet acte libre et volontaire ressemble vraiment à un acte créateur. L’Homme n’est plus seulement un fils naturel de Dieu, créature face à la Déité créatrice. Répondant à l’appel, participant volontairement à l’acte créateur divin, véritable Personne à part entière, il s’en rapproche librement.

 

Comme la Matière, l’Esprit est un des visages parmi tous les possibles et les inconnaissables du Verbe, la manifestation créatrice. La réponse à l’appel perpétuel de la force nouvelle, la séparation consciente, volontaire et libre, d’avec la manifestation seulement existentielle, incomplète, de l'œuvre créatrice divine, font apparaître une émergence nouvelle dans un aspect différent du Monde, celui de l’Essence.

 

Viens, viens toi,

qui que tu sois !

Car notre caravane

n’est pas celle du désespoir.

Viens, viens quand bien même

tu aurais, par centaines,

brisé tous tes serments.

Viens, oui toi,

Oui, reviens.

Reviens toujours !

(d’après Mawlâna-dja-lâd od-Dîn Rûmî-Soufi).

 

Pendant sa courte vie terrestre actuelle, grâce à sa conscience autonome, l’Homme peut effectuer ce libre choix et l’exercer  par un acte volontaire. Il se libère alors des servitudes liées au passé et liquide ses charges karmiques. L'observateur mental qui rejette le poids dorénavant insupportable du Monde, c'est la conscience. L’acteur autonome qui brise les servitudes existentielles, c’est la volonté. Leur conjonction dans l’Homme renouvelé exprime une nouvelle manifestation du Verbe éternel, celle que nous appelons l’Esprit. Le feu de l’afflux de grâce allume dans la conscience une lumière nouvelle, et remise les antiques notions de péché et d’expiation dans les placards du mental humain, jusqu’à ce que l’ego lui-même abandonne ses illusions d’immortalité et cède enfin la place à l’Homme éternel divinisé.

 

Avec Pierre-Gilles de Gennes, je dirai,

« Ces livres sont écrits sur le sable.

Mais la plage est si belle que je ne regrette pas

de m’y être promené ».

 

Nous ne connaissons pas tous les facteurs sous leur aspect véritable, dont les raisonnements et les illuminations ne sont elles-mêmes que de pauvres images. Nous ne pourrons pas éviter d’utiliser les mots et les images symboliques qui restent toujours nécessaires à notre fonctionnement intellectuel. Pour contourner ces limitations, j’ai proposé de distinguer la réalité globale du Zoran, être total, mystérieux et inaccessible, en le séparant du concept d’Univers, pur objet mental et fragmentaire, intérieur à l’intellect, et limité aux champs de notre toute petite connaissance raisonnable. Sachez que l’approche de cette compréhension nouvelle a son revers qui est une relative incommunicabilité. Celui qui suit cette voie a peu d’interlocuteurs. Il s’engage dans une traversée du désert et une certaine solitude. Transposés au plan divin, ce désert et cette solitude constituent peut-être un début de réponse à la première question fondamentale. « Pourquoi la création ? ». Mais y-a-t-il une autre réponse ?

 

Dans ce nouvel ouvrage, si vous le voulez bien, nous tenterons d’approcher davantage les acteurs merveilleux qui concourent à la marche du Monde dans l’Être total réel, que nous avons appelé le Zoran mystérieux, en nous référant à l’histoire des hommes. Charles Samaran écrivait en 1961 que l’honnêteté et le courage moral sont les qualités essentielles de l’historien, et citait Cicéron à ce sujet, en ces termes :

 

« La première loi qui s’impose à lui est de ne rien oser dire qu’il sache faux, la seconde d’oser dire tout ce qu’il croit vrai ».

Dans les exposés qui suivent, il y aura de nombreuses références aux différents aspects et évènements de l’Histoire, celle de la vie des nations, mais aussi celle de la pensée humaine, philosophique et religieuse. J’essaierai, avec la plus grande intégrité possible, d’appliquer scrupuleusement, en la matière, les principes édictés par Cicéron.

 

Poe a semente na terre

Nào serà em vào

Nào te preoccupe a colheita

Planta para o irmào.

Lance les graines sur la terre

Cela ne sera pas vain

Ne te préoccupe pas de moisson
Sème pour tes frères.

(Chant brésilien).

 

 

 

 

 

 

L

es Eaux du Fleuve.

 

 

 

 

La Vie, parce qu’elle est montée de conscience,

ne pouvait continuer à avancer indéfiniment dans sa ligne

sans se transformer en profondeur.

Elle devait, comme toute croissance au Monde,

devenir différente pour rester elle-même.

(P. Teilhard de Chardin - Hymne de l’Univers).

 

 

De royaume en royaume, l’Homme a progressé,

jusqu’à atteindre l’état de créature intelligente douée de raison,

oublieuse des formes antérieures de pensée.

(Jalaluddin Rumi - Soufi).

 

 

 

Or donc, lorsque son temps fut venu, l’Homme occupa la Terre.

Quatre ou cinq millions d’années, à l’horloge des temps géologiques, c’est extrêmement récent, mais à notre mesure biologique humaine cela se situe dans un passé très lointain. Nous allons nous pencher un moment sur ce qui s’est probablement produit depuis cet avènement, mais dans cette démarche nous allons progresser avec une certaine prudence. Au fur et à mesure que l’homme s’intellectualise, il utilise, dans sa démarche raisonnable, des représentations mentales qu’il place dans un large environnement de concepts complexes et synthétiques. Elles sont des recréations intérieures artificielles imagées, effectuées à partir de l’expérimentation qui a été faite du Monde. Au fur et à mesure que l’étendue de celle-ci s’accroît, les hypothèses se précisent et se modifient. Puisque le cerveau est une très petite partie du Monde, la connaissance qu’il construit n’est jamais complète ni définitive. Lorsque cette reconstruction est effectuée avec des matériaux incertains, récupérés sans examen attentif, assemblés dans une imagerie simpliste, conformiste, ou banale, elle peut être dommageable. Nous devons toujours vérifier soigneusement la cohérence des données que nous utilisons. C’est finalement par rapport à cela que chacun de nous règle son comportement, prend ses décisions, et bâtit sa vie.

 

Il est donc tout à fait utile de répéter ici que les perspectives scientifiques que nous exposons sont des théories actuelles et provisoires. Rappelons-nous que Stephen W. Hawking, l’un des plus grands cosmologistes actuels, définit régulièrement ce que sont les hypothèses scientifiques, au fil des pages de ses ouvrages. « Nous devons bien comprendre ce qu’est une théorie scientifique. Dans une telle théorie, l’opinion banale voit un modèle représentatif de l’univers, ou celui d’une partie limitée de l’univers, associé à un ensemble de règles mettant en relation des quantités issues à la fois de ce modèle imagé et des observations expérimentales. Cela est une opinion bien naïve. La théorie n’existe que dans notre esprit et ne peut avoir d’autre réalité, quelle qu’en soit la signification. Les  théories physiques sont toujours provisoires. Elles ne sont que des hypothèses. Personne ne pourra jamais prouver une théorie physique, parce que personne ne pourra jamais être certain que la prochaine observation, quel qu'en soit le nombre déjà effectué, ne mettra pas cette théorie en échec ». 

 

Voyons aussi ce que nous en dit J. Krisnamurti, ce grand visionnaire spiritualiste auquel il est fait référence de temps en temps.

 

Psychologiquement, intérieurement, si ardent que soit notre désir, il n’est point de certitude, point de permanence, pas plus dans notre relation avec autrui que dans nos croyances ou les dieux de notre cerveau. Le désir intense de certitude, d’une certaine permanence, et le fait que celle-ci n’existe absolument pas, telle est l’essence du conflit, l’illusion face à la réalité. Il est infiniment plus important de comprendre notre pouvoir de créer l’illusion que de comprendre la réalité. 2/9/61 - Gstaad.

 

Observateur attentif, Krisnamurti nous conte aussi cette anecdote qu’il estime remarquable. Une fillette hindoue joue en s’appuyant sur un bâton. Elle arrive au bord du fleuve, regarde un instant l’eau, et lance son bâton par-dessus la berge. Puis elle s’adosse à un arbre et contemple le courant. Ce fleuve, dit-il, c’est l’inconnu. Le passé et tout ce que nous savons doit être abandonné comme cette fillette lance son bâton par-dessus la berge. (Krisnamurti 9/1/1962 -- Delhi).

 

Note - Concernant la partie scientifique de ces exposés, je désire ici clarifier mes intentions. Sa lecture peut vous paraître indigeste ou superflue. Elle n’est pas indispensable pour comprendre ma démarche, et vous pouvez sauter tout ce qui vous ennuie. Je désire seulement montrer que la formation scientifique étendue n’est pas un obstacle à la recherche spirituelle. En ce qui me concerne, sa poursuite a longtemps été le bâton sur lequel je me suis appuyé sur le chemin personnel de ma quête de connaissance. Elle ne l’est plus. Je vais donc lancer mon bon vieux bâton par-dessus la berge du fleuve. Auparavant, s’il peut vous servir, je vous l’offre. Faites-en bon usage. C’est un beau et solide appui qui m’a été fort utile, et qui m’a mené jusqu’ici.

 

Revenons-en au sujet de ce chapitre qui raconte l’histoire des débuts de l’Homme. Il est maintenant généralement admis qu’il n’est pas trop audacieux d’imaginer que l’évolution de l’espèce humaine prend son origine à l’époque tertiaire. Elle semble ensuite s’être poursuivie à notre époque quaternaire, c’est à dire pendant les huit ou neuf cent mille ans qui nous séparent du début de cette période. Dans les derniers temps de l’ère tertiaire, le climat était chaud et humide, et il l’est resté tout au début du quaternaire.

 

Dans nos régions européennes tempérées, la flore luxuriante revêtait des caractères subtropicaux assez analogues à ce que l’on observe de nos jours dans la Californie, l’Abyssinie, le Brésil ou l’Australie. A coté des ancêtres des  espèces provençales à feuilles coriaces, on rencontrait alors en Europe des plantes qui ont émigré depuis sous les tropiques et sont devenues exotiques. La végétation était exubérante. Des prairies herbeuses s’étendaient sur les flancs élevés des montagnes. Les vastes plaines d’Allemagne et de Pologne étaient recouvertes d’immenses lacs d’eau douce et de marécages, et ces régions ressemblaient fort à l’estuaire actuel du Mississippi.

 

Dans l’hémisphère nord, cependant, un refroidissement général était amorcé. Il se traduisait par une relative et lente évolution de la flore, favorisant l’apparition de nombreuses espèces plus proches de la végétation actuelle, et entraînant la régression des variétés subtropicales. Celle-ci était constatée par la raréfaction progressive des palmiers dans toute l’Europe. Petit à petit les grandes forêts reculaient et faisaient de nouveau place à d’immenses prairies de graminées et de céréales. Les savanes  s’étendaient dans le monde entier, les forêts de conifères et les steppes réapparaissaient en Europe, en Asie, et en Amérique. La Méditerranée n’avait pas du tout l’aspect actuel. Elle était restée longtemps reliée au continent africain en plusieurs points. Puis une rupture se produisit qui donna naissance au détroit de Gibraltar et ouvrit le passage aux eaux de l’Océan.

 

Un large pont de terre subsistait encore. Il réunissait l’Italie, la Corse, la Sardaigne, et la Sicile, à la Tunisie. Une autre grande mer intérieure existait également à l’est des Balkans, jusqu’aux basses vallées de la Volga et du Danube, débordant largement les zones dans lesquelles subsistent actuellement quelques uns de ses vestiges. Ce sont la Mer Noire, la Caspienne, la Mer d’Aral, et la Mer d’Azov. En Afrique, le Sahara humide et boisé, verdoyait. Le Japon et la Malaisie étaient reliés à l’Asie. Seule l’Australie, jointe à la Nouvelle Guinée, formait un continent séparé.

 

En France, c’était l’époque des grandes éruptions volcaniques du Cantal et du Mont Dore, gigantesques volcans dont les coulées de lave et de boue atteignaient parfois mille mètres d’épaisseur, puis celles plus modérées de la chaîne des Puys et du Velay. Elles ne prendront fin qu’au cours du quaternaire. Les Iles Britanniques étaient encore reliées au continent. On voit combien la distribution des terres de ce Monde, d’un passé bien proche, restait relativement confuse et différait localement de ce que nous connaissons aujourd’hui.

 

En raison des liaisons qui réalisaient des communications entre l’Europe et l’Afrique, la faune ressemblait à celle qui peuple actuellement les régions tropicales. On peut citer l’Eléphant méridional, l’Eléphant antique, le Rhinocéros étrusque, le grand Hippopotame,  ainsi que le Mastodonte arverne. On y trouvait également la Panthère, le Lion des cavernes, l’Hyène, le Chacal, l’Ours et le Tapir. De nombreux herbivores peuplaient la savane européenne,,tels que les Buffles, les Cochons et les Cerfs. En provenance d’Amérique du Nord, et par une liaison américano-asiatique existant au niveau du détroit de Behring, divers équidés, proches des chevaux, se répandirent dans toute l’Europe. Telle était la situation à la fin de l’ère Tertiaire, au Pliocène.

 

C’est à cette époque et dans ce type d’environnement qu’on peut placer l’essentiel de l’évolution des débuts de l’humanité. On estime qu’elle avait alors déjà duré quatre millions d’années. Lorsque  commença la nouvelle ère, le Quaternaire, il y a plus de six cent mille ans, au Pléistocène, l’Homme archaïque, qui s’était largement répandu sur la planète, était déjà un homme mais ne nous ressemblait pas encore beaucoup. Le vieux mot Quaternaire s’applique à la phase la plus courte et la plus récente de l’histoire de la Terre. Elle est essentiellement caractérisée par l’apparition de l’Homme et  par la succession de périodes glaciaires séparées par les intervalles interglaciaires.

 

On parle donc de l’Âge de la Glace.

 

Ces événements climatiques importants ne sont pourtant pas exceptionnels, et on a pu montrer qu’ils s’étaient déjà produits antérieurement, des millions d’années plus tôt, au cours du Précambrien, du Permien, ou du Jurassique, pour ne citer que ces périodes géologiques. L’origine du phénomène reste mal connue. Différentes hypothèses explicatives ont été proposées. Elles tentent de relier les valeurs d’insolation du Globe aux caractéristiques, périodiquement variables, de son orbite autour du Soleil. Au plan scientifique, la principale difficulté est analytique. De très nombreuses incertitudes demeurent quant au nombre des oscillations climatiques, et à leur importance, qui semblent différer selon les régions considérées.      

 

On distingue généralement quatre phases principales de glaciation, précédées et suivies de phénomènes de résonnance. Elles ont été nommées glaciations de Günz, de Mindel, (ou de l’Elster), de Riss, (ou de la Saale), et de Würm, (ou de la Vistule). Ces quatre noms sont ceux d’affluents du Danube. Ils ont été appliqués aux  périodes glaciaires suite aux travaux de Penck et Brückner. Les premières n’ont pas eu d’influences majeures, mais les deux dernières sont plus importantes, surtout celle de Würm.

Quoique le phénomène ait été général, affectant les deux hémisphères, il a surtout été étudié en Europe. Les traces relatives à la série complète y ont été observées dans les Alpes bavaroises. Dans les pays nordiques on ne relève pas la première, et dans les Alpes françaises on ne trouve que les deux dernières. L’étude des moraines et des terrasses marines et alluviales permet d’évaluer les maxima atteints par les extensions des glaciers et les variations du niveau de la mer. La gigantesque calotte de glace recouvrait la Scandinavie, la Russie et la Pologne, la Mer du Nord, une partie de l’Allemagne, les Iles Britanniques et la Hollande. Son épaisseur était de deux mille mètres pendant la glaciation de Riss. Le front sud du glacier traversait la Manche.

 

En Amérique du Nord, la calotte glaciaire descendait plus bas que les Grands Lacs. La situation était analogue sur tous les massifs montagneux du Monde. Dans l’hémisphère nord, 25 millions de Km2 étaient recouverts de glace. Celle-ci immobilisait une énorme quantité d’eau qui était soustraite au cycle d’évaporation et de recyclage mondial. Le volume enlevé aux océans est évalué à 40 millions de Km3, entraînant une baisse d’environ cent mètres du niveau général des mers. Bien évidemment, au début des périodes interglaciaires, la température moyenne s’élevait. Lorsque les énormes glaciers fondaient, beaucoup d’eau revenait à l’état liquide et le niveau des mers remontait. Il ne revenait cependant pas aux lignes des anciens rivages car les glaciers avaient érodé très fortement les massifs montagneux, y creusant des vallées profondes et accumulant d’énormes masses de débris. La fonte rapide des glaces donnait naissance à des fleuves très puissants qui transportaient ces matières au loin, abaissant les montagnes, et remblayant les vallées avec les dépôts d’alluvions connus sous le nom de terrasses. Ces phénomènes temporaires ont donc eu des conséquences durables. On constate actuellement des situations topographiques qui reflètent à la fois les fluctuations des niveaux marins et les variations dues aux soulèvements isostatiques causés par l’allégement des masses continentales usées par l’érosion. Ces basculements d’équilibrage élèvent également les terrasses. Pour les plus anciennes, il peut atteindre une centaine de mètres.  

 

Un troisième facteur, le loess, revêt une très grande importance dans la transformation du paysage et sa préparation à l’installation des hommes. C’est une accumulation de fines poussières calcaires friables, de couleur jaune clair, transportées par le vent. Son apparition est liée aux alternances d’épisodes glaciaires et  interglaciaires. Le loess a recouvert les reliefs eurasiens sur d’immenses surfaces, du Nord de la France jusqu’à la Sibérie et la Chine. Son épaisseur est surprenante, et varie de quelques dizaines à quelques centaines de mètres. C’est sur les immenses plaines à loess qu’ont pu d’abord s’établir les toundras, les steppes et les pairies, et beaucoup plus tard les campements de nomades, les élevages et les cultures des agriculteurs.        

 

Les premières glaciations n’ont pas provoqué de changements très importants dans les flores et faunes européennes et américaines.  Dans les périodes interglaciaires, le climat chaud se rétablissait permettant le retour des populations antérieures. Mais avec arrivée de la glaciation de Würm, la situation fut profondément modifiée. Un climat froid et sec s’installa durablement. Une immense steppe glacée apparut. Les flores et les faunes anciennes reculèrent jusqu’aux régions tempérées plus méridionales. De nombreuses espèces antiques ne sont jamais revenues, telles l’Eléphant, le Rhinocéros, et l’Hippopotame. Des animaux nouveaux s’installèrent, venant des régions arctiques, Elan, Boeuf musqué, Bison, Antilope Saïga, Renne, Ours. Certaines espèces s’adaptèrent, réussissant à survivre plus ou moins durablement, en se couvrant d’épaisses fourrures, telles le Mammouth et divers rhinocérotidés. Une partie de la faune changea d’habitat et se réfugia dans les cavernes. On y trouve les traces d’ours, de lions, d’hyènes, à coté de celles des hommes primitifs, nos ancêtres, qui ont du s’organiser pour survivre dans nos régions aux difficultés de ces temps. On ignore généralement que les lions, comme les ours, peuvent parfaitement vivre dans toutes les zones tempérées. Ils n’en ont été éliminés que par la chasse.

 

Enfin les glaciers se retirèrent et la mer revint de nouveau. Le climat général se réchauffa. Il ressembla progressivement à celui que nous avons aujourd’hui. La forêt et la prairie réapparurent. Les faunes arctiques remontèrent au Nord ou disparurent, mais l’homme demeura. Bientôt, il s’accrochera à la terre, fabriquera des outils, cultivera le sol, sélectionnera les semences, et domestiquera le bétail.  

 

L’Homme demeura.

 

Depuis la fin de l’ère tertiaire, au Pliocène, puis au Pléistocène, et jusqu’au retrait des derniers glaciers quaternaires, que nous appelons l’Holocène, les êtres qui ont précédé les hommes, et ceux-ci mêmes, ont occupé bien des régions, et ils y ont laissé des traces utilisables pour raconter leur histoire, qui est aussi la notre. Elles consistent en témoins de l’industrie humaine, outils, armes, dessins et peintures, ou en vestiges de leur existence biologique, tels les squelettes fossilisés. Pour des commodités d’étude et de raisonnement, on distingue généralement plusieurs périodes bien caractérisées dans le récit du déroulement de l’évolution qui a conduit de la forme antique, indéniablement animale, jusqu’à l’éventail du rameau véritablement humain, de la paléontologie jusqu’aux temps préhistoriques, puis à l’histoire des hommes, reconnue, écrite ou représentée.

 

Aprés la disparition des Dinosaures, à l’époque tertiaire, il y a 50 millions d’années, au début de l’Eocène, un groupe animal portait déjà les caractéristiques morphologiques générales dont nous avons hérité. La trace la plus ancienne qui nous en soit parvenue est une dent minuscule d‘un lémuroïde découverte au Montana dans un terrain du Crétacé Supérieur. Dénommé Purgatorius Ceratops, cet animal aurait probablement été le contemporain des derniers dinosaures. Dans les terrains de l’Eocène, en Europe comme en Amérique, on trouve des formes lémuriennes déjà nombreuses et bien différenciées. Le groupe des lémuroïdes, qui est encore représenté de nos jours par différentes formes telles les Aïe-Aïe, avait alors commencé à éclater en différentes branches dont l’une a abouti aux Primates.

 

En vérité, le tronc commun dont sont issues les branches apparentées, Lémuriens, Aïe-Aïe, Tarsiers, Platyrrhiniens, et Catarrhiniens (dont sont issus les grands Anthropoïdes, les Gibbons et les Hommes), n’a pas été découvert et reste hypothétique. Le paléontologiste Elwyn Simons, d’après de très nombreuses exhumations de fossiles de singes faites au Fayoum, fait remonter les origines du groupe extrêmement loin dans le passé. Il montre que les ancêtres des singes vrais, il y a 30 millions d’années, n’avaient déjà que deux prémolaires comme tous les singes actuels. Leur schéma d’organisation différait donc du modèle humain. A partir de ce constat, il imagine un ancêtre possible des anthropoïdes, hypothétique Parapithécus, qui devait posséder trois molaires et trois prémolaires à chaque demi-mâchoire. Ce précurseur inconnu aurait fourni le modèle sur lequel sont bâties l’organisation de notre corps actuel et son économie générale. Au Miocène et au Pliocène, un groupe d’Anthropomorphes était assez répandu et comprenait deux branches, les Dryopithèques et les Pilopithèques. Avec une mâchoire en U et des canines importantes, l’anatomie des Dryopithèques était déjà bien caractérisée. Elle semblait montrer l’engagement d’une évolution vers des formes proches des pongidés anthropomorphes actuels, (les grands singes). Les Pliopithèques semblaient engagés dans une autre voie. Ils avaient une mâchoire en V et des canines très pointues, et correspondraient à une espèce proche des Gibbons, cependant quadrupède et vivant sur le sol.

 

Ces candidats primitifs ne convenaient pas. Il fallait donc chercher ailleurs un autre ancêtre possible à l’hominisation. Il devait avoir une arcade dentaire arrondie en parabole, comme l’homme actuel, avec des prémolaires présentant des caractéristiques précises. C’est d’abord en Afrique, de l’Est et du Sud, dans des terrains datés de un à quatre millions d’années, que l’on a découvert des fossiles possédant des caractères relativement adéquats, (Taung). Certains spécimens présentaient cependant un fort torus supra-orbiculaire, (Forte arcade sourcilière continue), une grande crête sagittale, (Importante saillie osseuse allant du front à la nuque), et un gros bourrelet sur l’occiput. Il s’agissait d’un groupe très particulier, resté proche des singes par la morphologie crânienne, mais engagés dans la voie de l’hominisation par la structure du bassin qui permettait déjà la bipédie.

 

En raison de la localisation de ces trouvailles, cet être a été baptisé Australopithèque. On distingue plusieurs stades évolutifs successifs de l’espèce qui a ensuite évolué vers une hypermorphose et a disparu. Citons A.Anamensis, (4 Ma), A.Afarensis, (4 à 3 Ma), A.Bahrelghazali, (3,5 à 3 Ma), A.Africanus, ( 3 à 2,5 Ma), A.Boisei, (2,7 à 1 Ma), A.Robustus (2 à 1 Ma). Le dimorphisme des sexes parait y avoir été beaucoup plus important que chez l’homme actuel. Chez A. anamensis comme A. afarensis, le mâle était bien plus grand et beaucoup plus robuste que la femelle.

 

La véritable lignée humaine semble être apparue simultanément, il y a 2,5 Ma, en Afrique orientale. Sa forme la plus ancienne, l’Homo habilis archaïque, avait déjà un crâne humain. La capacité cérébrale s’est progressivement accrue au fil des millénaires. Elle est passée de 550 à 850 cm3 chez Homo Habilis, puis 900 cm3 à 1200 cm3 chez Homo Erectus, jusqu’à atteindre 1100 à 2000 cm3 chez Homo Sapiens, très proche de l’Homme actuel. Il y a un million d’années, les « Habilis ou les Erectus » africains ont utilisé les ponts qui joignaient encore l’Afrique à l’Eurasie, et ils se sont dispersés dans le Monde quaternaire débutant. Ils y ont connu des évolutions différentes. A partir de ce moment les hommes archaïques, les Archantropiens se sont caractérisés, parfois avec des variantes comme Homo Heidelbergensis. En Europe, leurs descendants ont été appelés Néandertaliens. Hommes véritables, ils étaient relativement primitifs et ont disparu mystérieusement il y a trente mille ans. En Asie, depuis cent mille ans, les Habilis ont donné naissance à l’Homme moderne, que nous avons très modestement appelé l’Homo sapiens sapiens. Cet Homme, ni grand savant ni très sage, a occupé le Monde entier. Je vais essayer de vous en raconter les origines et la longue histoire, à partir du moment de sa dispersion, avant l’Âge de la Glace, jusqu’à ce qu’il sortit des cavernes refuges.

 

Mais l’Homme habitait-il réellement les cavernes ? Les Âges de Glace ne sont pas une légende, mais il faut savoir que glaciers n’étaient installés que sur une partie de la planète, sur les massifs montagneux et leurs abords, dans la zone tempérée. Dans les basses terres, et plus loin des pôles, le climat, quoique sec, était moins rude, tout à fait comparable à celui des actuelles zones tempérées voire subtropicales. Pendant le quaternaire, il y a eu des périodes très froides et sèches. Elles ont été entrecoupées de très longues périodes interglaciaires, avec un climat doux et humide, pendant des dizaines de milliers d’années. Il est tout-à-fait possible, d’ailleurs, que nous soyons actuellement dans l’une de ces longues périodes relativement chaudes, sans même le savoir. Le climat pourrait se refroidir et s’assécher dans un avenir indéterminé. Les glaciers pourraient un jour revenir, et les mers, de nouveau, s’en aller.

 

Des régressions et des transgressions marines se sont effectivement produites dans le passé, mais elles ont eu des intensités variées et leurs amplitudes ont atteint des niveaux très différents. La mer s’est parfois longuement installée dans des zones actuellement arides. Les rivages ont alors bénéficié d’un climat maritime pluvieux, propice à la croissance d’une végétation abondante, de forêts et de savanes, favorisant l’établissement d’espèces animales nombreuses et variées. Dans certaines régions le résultat de la disparition des glaces a été désastreux. Le Sahara verdoyant s’est asséché, la flore et la faune ont disparu. Depuis quelques milliers d’années, les moussons qui arrosaient l’Est de l’Arabie, l’ancien et très riche royaume de la reine de Saba, se sont affaiblies. La contrée est également devenue désertique. Le même processus se poursuit de nos jours. On constate l’assèchement progressif de très grands lacs, en Afrique et ailleurs, ce qui va entraîner un bouleversement du régime des pluies et de l’équilibre hydrologique des régions concernées.

 

Dans ces conditions climatiques, il est évident que le fragile ancêtre de l’Homme n’a guère habité les cavernes des lions et des ours que partiellement, à l’entrée, et dans de rares circonstances, quand il faisait très froid. Il utilisait aussi des abris sous roches et  des abris artificiels à ciel ouvert. Généralement, il se tenait donc simplement dans les lieux où la vie était possible et même facile. Elle l’était souvent presque partout pour une espèce dont les facultés d’adaptation sont telles qu’on la trouve actuellement dans le Monde entier sauf aux pôles. On peut donc rechercher les traces de son passage, les fossiles, un peu partout dans les zones où l’on trouvait le gibier et les fruits dont ce chasseur-cueilleur tirait sa nourriture.  

 

La découverte des fossiles est un événement récent.

 

Pendant très longtemps, sur la foi des Ecritures, on a cru que la création soudaine de la Terre et de ses habitants remontait environ à six mille ans. Mais des hommes curieux se sont penchés sur la terre qu’ils travaillaient. Ils ont compris peu à peu que les couches de terrain superposées qu’ils découvraient racontaient l’histoire de la planète, enregistrée niveau par niveau. A la lumière de cette compréhension, soudain, la Terre a énormément vieilli. Aprés cette première révolution de pensée, il est devenu possible d’imaginer que l’Homme pouvait être bien plus ancien qu’il ne l’imaginait, et que sa propre histoire s’inscrivait dans l’histoire partagée par tous les habitants de la Terre.

 

Cependant, l’homme ordinaire se croyait alors créature singulière et incomparable, spécialement façonnée par Dieu, à son image. La seconde révolution de pensée fut très difficile. La découverte des origines animales et banales de son corps a été pour l’Homme un drame véritable, long et déchirant, accompagné d’un véhément refus conceptuel. Des polémiques passionnées ont opposé les différents partisans. Encore aujourd’hui, certains humains n’acceptent pas l’idée de la communauté des racines biologiques. Cependant, depuis cent cinquante ans, et après les travaux de Darwin et Wallace puis ceux de Boucher de Perthes, les idées nouvelles ont été progressivement acceptées. Alors, et discrètement, la chasse aux fossiles a commencé. Ceux qu’on trouva à Java et en Chine, furent appelés Pithécanthropes. Mais on avait finalement découvert très peu de fossiles et les moyens de datation étaient fort incertains. Ce n’est que vers 1950 que des êtres plus récents furent réintégrés dans le schéma général de l’évolution de l’espèce humaine. On y accepta d’abord les Néandertaliens puis, plus tardivement, les Australopithèques.

 

Darwin ayant affirmé, (audacieusement), dans l’origine des espèces,  que l’Homme avait accompli son évolution  sous un climat chaud, c’est dans les terres africaines australes que les recherches des fossiles ancestraux furent d’abord menées. C’est donc là que l’on découvrit les premiers fossiles dont nous avons dit qu’ils avaient dénommés Australopithèques. Certains sites paraissaient particulièrement prédestinés, en raison de la nature et de la disposition des terrains quaternaires qu’on y trouve. La plupart d’entre eux sont situés au long du Riff africain, qui est une immense zone d’effondrement tectonique. Elle est longue de plus de trois mille kilomètres, et s’étend du Golfe d’Aden et de l’Ethiopie jusqu’au Zambèze. Il s’agit en fait d’une cassure progressive du continent. Il se sépare en deux parties. La plus grande continue à dériver vers l’Ouest, vers l’Atlantique, et l’autre, la plus petite, amorce une dérive vers l’Océan Indien. Chaque année et chaque jour, cette faille géante s’ouvre davantage, préparant la rupture définitive de l’Afrique. Elle ouvrira le chemin à l’irruption de la mer et isolera le nouveau continent.          

 

Le long des falaises d’effondrement du Riff, les sédiments quaternaires, accumulés sur une grande épaisseur, sont rompus verticalement. Ils sont accessibles aux chercheurs à tous les niveaux d’enfouissement. La datation des trouvailles est facilitée par la superposition des différentes couches. Depuis le début du siècle, on a découvert dans toutes ces régions des gisements fossilifères extraordinaires, parmi lesquelles il faut compter la  célèbre gorge d’Olduvaï, explorée par les Leakey. Il s’agit en fait d’un très large ravin, long d’environ 50 km, situé en Tanzanie. Il y a 1 ou 2 millions d’années, un lac salé occupait cet emplacement, bordé de forêts et de savanes. Plus tard, des torrents alimentèrent de nombreux étangs dans la région. Sur les bords du ravin, les couches de sédiments de plus de cent mètres d’épaisseur sont accessibles. Cela permet de remonter aux débuts du quaternaire. On y a d’abord trouvé de nombreux galets dont des éclats avaient manifestement été détachés volontairement, (pebble culture), laissant imaginer que c’était l’oeuvre d’êtres doués d’une certaine forme de pensée.

 

Puis en 1959, Mary et Louis Leakey crurent y découvrir les restes de la face d’un hominidé, qu’ils appelèrent Zinjanthrope, au voisinage immédiat de ce qui semblait être les restes de son outillage. La datation isotopique, (Potassium 40 & Argon 40), de la couche volcanique immédiatement sous-jacente semblait permettre d’attribuer à ces fossiles l’âge considérable d’un million sept cent mille ans.  Brusquement, l’origine des hommes reculait énormément. La durée probable de leur aventure doublait, allongeant d’autant la durée de l’époque quaternaire.

 

L’affaire fit grand bruit, mais c’était une erreur.

 

On découvrit plus tard que le Zinjanthrope n’était pas très évolué et que la transformation des galets était l’œuvre plus tardive d’un Australopithèque différent, plus humain que lui.

 

*         On voit ici combien les théories scientifiques sont fragiles et sujettes à de fréquentes révisions. Elles sont néanmoins utiles stimulent la recherche, préparent les esprits aux hypothèses novatrices, et ouvrent la voie à de nouvelles découvertes.

 

Les Leakey étaient très tenaces et restaient convaincus. En 1964, appuyés par l’autorité d’un groupe de spécialistes, ils signalèrent la découverte d’un être plus évolué que les Australopithèques. Il avait cependant été trouvé  dans une couche géologique encore plus profonde que celle du Zinjanthrope. Le nouvel hominidé, plus ancien et plus  capable, fut baptisé Homo Habilis. Ces découvertes relancèrent la question. On organisa des expéditions internationales auxquelles participèrent des chercheurs français comme le Pr. Arambourg, (déjà très âgé), et Yves Coppens, (encore très jeune). On avait découvert d’autres sites encore plus favorables comme le lac Turcana, la région de l’Afar, le site d’Hadar, et la fameuse vallée de l’Omo, située en Ethiopie. Les zones favorables y abondent. L’épaisseur des sédiments atteint là-bas jusque six cents mètres ce qui permet de remonter à quatre millions d’années. Les terrains fossilifères y sont disposés en couches inclinées qui sont séparées les unes des autres par des poussières volcaniques qui permettent de dater chronologiquement le gisement avec une assez grande précision.

 

Les fossiles se multiplièrent, proposant des origines de plus en plus lointaines, remontant aux environs de trois ou quatre millions d’années. (Ex. Lucy - 1972 - Site d’Hadar - Ethiopie - MM Coopens, Johanson, Kalb, Taïeb, White). Finalement, les Australopithèques semblent avoir vécu très longtemps en Afrique où l’on soupçonne leur présence il y a cinq ou six millions d’années. Ils y ont accompli une grande partie de leur évolution pendant laquelle leur capacité cérébrale est lentement passée de 400 à 800 cm3. Au cours du temps, ils ont présenté des aspects relativement variés. A cause des différences d’aspect constatées chez les Australopithèques, on a longtemps soupçonné l’existence synchrone de plusieurs lignées spécifiques. On s’accorde maintenant pour attribuer ces variations à un fort dimorphisme sexuel. La différence de taille entre les mâles et les femelles atteignait parfois 60%.

 

*       Les tribus d’Australopithèques étaient probablement organisées autour d’un mâle dominateur très robuste, entouré d’un groupe de femelles graciles, beaucoup plus petites. La différence de taille s’est réduite au fil des âges, mais elle semble être restée dans les têtes de nombreux mâles humains actuels comme leur est resté la tentation permanente du harem.


Il y a un million d’années, les Archantropiens, habilis ou erectus, africains se sont dispersés dans le Monde quaternaire débutant.

 

Ces hommes archaïques
ont évolué de façon divergente.

 

Leurs descendants européens, les Néandertaliens, étaient déjà des hommes véritables, mais restaient encore relativement primitifs. Ils ont disparu il y a trente mille ans, probablement dominés par la branche hominienne asiatique au moment de son expansion. Venant d’Asie, cette nouvelle espèce différait légèrement des Néandertaliens. Elle était cependant plus intelligente, et elle devait être assez identique morphologiquement à l’Homme moderne, Homo sapiens sapiens. Il est souvent appelé chez nous Homme de Cro-Magnon.

 

La grandeur du fleuve se comprend à son estuaire, non à sa source. Le secret de l’Homme, pareillement, n’est pas dans les stades dépassés de sa vie embryonnaire, ontologique ou phylogénique Il est dans la nature spirituelle de l’âme. Or, cette âme, toute de synthèse en son activité, échappe à la science dont l’essence est d’analyser les choses en leurs éléments et leurs antécédents matériels. Seuls, le sens intime et la réflexion philosophique peuvent la découvrir. Ceux-là se trompent donc absolument, qui s’imaginent (pouvoir) matérialiser l’Homme en lui trouvant, toujours plus nombreuses et plus profondes, des racines dans la Terre. Loin de supprimer l’Esprit, ils le mêlent au Monde comme un ferment. Ne faisons pas le jeu de ces gens-là, en croyant comme eux que, pour qu’un être vienne des cieux, il soit nécessaire que nous ignorions les conditions temporelles de son origine.

( P. Teilhard de Chardin - Hymne de l’Univers -Pensées )

 

Au début du quaternaire, tous les hominidés marchaient sur leurs membres postérieurs et utilisaient des outils de pierre très rudimentaires. Pour cette raison, la période pendant laquelle ils sont apparus et ont évolué est appelée paléolithique, c’est-à-dire période de la pierre ancienne. Les Australopithèques se sont ensuite engagés dans la voie sans issue qui les a lentement menés à l’extinction. Il semble que les Archanthropes, qui vécurent parfois en même temps que les Australopithèques, constituaient une autre espèce qui a suivi une autre évolution. Elle a formé deux sous-espèces distinctes. Celles-ci pouvaient peut-être s’hybrider. Elles nous auraient alors transmis des combinaisons de gènes qui transparaîtraient parfois dans certains faciès contemporains et certaines morphologies pour le moins surprenantes.

 

Dans la branche européenne disparue, les Néandertaliens nous sont bien connus. Le premier fossile, isolé et très partiel, fut découvert en 1856, avant la publication du livre de Darwin, dans une carrière de la vallée de Néanderthal, prés de Düsseldorf. On ne savait pas trop comment le dater ni l’intégrer dans la lignée humaine. Un autre spécimen, (une mandibule), accompagné d’ossements animaux, fut ensuite découvert en Belgique, en 1865. Puis trois squelettes, accompagnés d’ossements et d’outils de pierre, furent trouvés à Spy, dans la province de Namur, qui permirent de caractériser ce groupe humanoïde particulier.

 

Les découvertes se succédèrent jusqu’à ce qu’on trouve, en 1908, à La Chapelle-aux-Saints, en Dordogne, la sépulture d’un vieillard. Elle se trouvait dans une fosse, au fond d’une caverne qui contenait des vestiges d’un repas funéraire et d’outils de pierre. Partant de la disposition soignée du corps et de la composition des objets voisins, les archéologues conclurent qu’il s’agissait bien là d’une mise en terre ritualisée. D’autres sépultures furent ensuite trouvées, dans d’autres grottes de la même région, prés du Moustier, puis dans un abri sous roche, à la Ferrassie. Dans tous les cas, les corps avaient été enterrés de façon à les protéger des prédateurs. Ailleurs, les morts avaient été déposés sur des lits de fleurs sauvages, ou recouverts d’offrandes, ce qui laisse imaginer d’émouvantes cérémonies de funérailles. 

 

L’apparition du langage aurait précédé, peut-être d’assez loin, l’émergence du système nerveux central propre à l’espèce humaine, et contribué en fait, de façon décisive, à la sélection des variants les plus aptes à en utiliser toutes les ressources. En d’autres termes, c’est le langage qui aurait créé l’homme plutôt que l’homme le langage. (Jacques Monod. 1967).

 

On a maintenant de très nombreux fossiles d’hommes, de femmes, et d’enfants, qui permettent de bien définir le type humain Homme de Neandertal. Il était intelligent et avait une capacité crânienne élevée, de 1200 à 1600 cm3, assez analogue à la notre. La face portait de très gros bourrelets sus-orbitaires, et des larges mâchoires avec de grosses dents, sans menton. La  voûte crânienne était basse avec un front un peu fuyant. Ces êtres étaient petits, mesurant 1,50 m environ. Leur masse corporelle dépassait cependant celle de l’homme actuel. La répartition des diverses parties de leurs corps était assez analogue à celle des Esquimaux d’aujourd’hui. Les mâles, en particulier, étaient très forts, extrêmement robustes. Ils taillaient leurs outils de pierre avec une technique particulière, très reconnaissable, qui demandait beaucoup de méthode et d’habileté. Leur industrie caractéristique a reçu le nom de Style Moustérien,  en relation avec le lieu des premières découvertes.

 

En Europe, les Néandertaliens habitaient fréquemment dans les entrées de cavernes, mais ils utilisaient aussi des abris sous roche et des sites de plein-air. Ils ont occupé l’Europe occidentale au moins à partir du début de la Glaciation de Würm, la plus froide et la plus hostile, et probablement pendant la période interglaciaire précédente. Cela fait remonter leur arrivée au-delà de 70 000 ans. Ils faisaient facilement du feu. Ils cueillaient des graines et des baies et chassaient le Rhinocéros laineux et le Renne. De très nombreux outils de raclage permettent de penser qu’ils en utilisaient les peaux, probablement pour se vêtir et se protéger du climat rigoureux. Ils  aménageaient les grottes et les abris et fermaient leurs entrées avec des roches, des branches et des peaux d’animaux.

 

D’autres Néandertaliens vivaient à d’autres époques ou sous d’autres cieux. On en a trouvé des fossiles et des traces en Afrique, au nord du Sahara, au Liban, en Israël, en Irak, en Ethiopie. Les objets fabriqués et les techniques élaborées de fabrication étaient également typiquement moustériennes, ce qui en démontre la relative unité culturelle.

 

Avant l’arrivée des Néandertaliens, pendant la Glaciation de Mindel et durant l’interglaciaire qui suivit, l’Europe occidentale était occupée par des hommes plus primitifs, des chasseurs qui venaient probablement d’Afrique, et qui fabriquaient de beaux  bifaces de silex et des grattoirs, dits « acheuléens ». On en a trouvé des traces sur les rives de la Somme, de la Seine, et même de la Tamise, mais on sait bien peu de choses. Ces êtres ont dû coexister un certain temps avec les Néandertaliens, puis ils ont énigmatiquement disparu.

Ensuite, il y a 35 000 ans, l’Homme de Neandertal disparut mystérieusement, à son tour. On pense souvent que les hommes du Paléolithique supérieur exterminèrent les Néandertaliens, mais cela n’est pas établi.

 

Je vous prie ici de bien vouloir noter un fait important sur lequel nous reviendrons peut-être. Certains archéologues sont persuadés que les Néandertaliens étaient anthropophages, (comme les Habilis et les Erectus, et les peuplades primitives, découvertes au 18ème siècle). Fréquemment, les ossements humains trouvés sont grossièrement amassés et mélangés à des déchets culinaires. Ils portent ce que les spécialistes appellent parfois des marques bouchères. Les os longs sont souvent calcinés et brisés pour en extraire la moelle, et ils ont été raclés. Les crânes sont cassés et ouverts pour en extraire le cerveau, et ils ont  également été grattés avec soin. On a même trouvé un éclat de silex à l’intérieur de celui d’Arago XXI, l’Homme de Tautavel.

 

Vers 1860, on découvrit en Dordogne, dans une grotte des Eysies, une sépulture contenant un groupe d’ossements bien conservés. Il comportait le crâne d’un homme âgé d’environ 50 ans, le squelette d’une femme enceinte, et ceux de deux autres hommes. Deux corps portaient la marque de blessures partiellement cicatrisées.

 

D’autres sépultures furent ensuite découvertes ailleurs. Les corps étaient souvent placés en position fœtale et accompagnés de bijoux, comme dans la Grotte des Enfants en Italie. On y trouva les restes embrassés d’une femme et d’un enfant. La femme portait un bracelet au poignet et la tête de l’enfant portait quatre rangs de perles, probablement cousues autour d’un bonnet.

 

Les hommes de Cro-Magnon sont nos ancêtres.

 

Nous les appelons Homo Sapiens, ou Hommes de Cro-Magnon.  Ils ressemblaient beaucoup à l’homme moderne. Ils étaient peut-être un peu plus massifs, avec des mains et des pieds très larges. Leur taille approchait 1,80 m. Ils différaient donc des Néandertaliens par l’aspect physique. Il avait également une autre culture, des techniques plus efficaces, presque industrialisées, des armes perfectionnées, et un outillage différent, plus spécialisé. Il y a trente-cinq mille ans, la culture moustérienne disparut simultanément, à peu prés partout, en Europe et ailleurs, sans que l’on puisse établir que l’apparition des Cro-Magnon ait été synchrone.

 

L’apparition des techniques ultérieures, plus modernes, dont nous parlons, n’a pas suivi la même chronologie. Elles sont généralement rattachées à l’installation des nouveaux venus, mais il semble que les anciennes techniques moustériennes de production d’éclats aient perduré dans les déserts et les régions écartées, au moins sous une forme mêlée aux nouvelles. La branche des Néandertaliens s’éteignit progressivement à ce moment, mais l’Homme moderne n’apparut pas toujours aussitôt. Parfois les deux cultures et les deux technologies semblent avoir été présentes aux mêmes endroits et aux mêmes époques, mais on constate aussi de très longs intervalles dans la succession des deux peuplements.

 

Afin de clarifier l’étude et de schématiser rapidement la succession des étapes de l’aventure humaine en ces temps d’usage des pierres, taillées ou polies, on distingue habituellement plusieurs grandes périodes d’après leur profondeur stratigraphique.

 

*         Le paléolithique inférieur, comprenant le Chelléen ou Abbevilléen, l’Acheuléen, et le Clactonnien. C’est une époque très primitive, utilisant des rognons de silex cassés dits bifaces. Elle est associée aux Homo habilis et erectus.

*         Le paléolithique moyen,  avec le Lavoisien et le Moustérien. Cette époque porte la marque des techniques néandertaliennes. On y utilise des outils véritables, en pierres soigneusement taillées et débitées en lames.

*         Le paléolithique supérieur, caractérisé par l’apparition des  parures, et des objets en os. Mais ce qui marque le plus cette époque est l’éclosion d’un sens artistique remarquable, dont les réalisations nous étonnent encore aujourd’hui. Elle marque l’arrivée des hommes de Cro-Magnon.

*         Le mésolithique,  qui est une époque de transition. On voit apparaître des outils plus nombreux et plus spécialisés, des débuts de polissage et des productions artistiques grossières.

*         Le néolithique, pendant lequel apparaît la pierre soigneusement polie, la poterie cuite au feu, et divers progrès qui se poursuivirent au moins jusqu’à la découverte des métaux.

 

Nous abandonnerons ici l’examen des stades primitifs qui correspondent aux premiers stades de l’évolution psychique et physique de l’humanité. Nous allons nous pencher sur les trois dernières époques, les plus proches de nous et les plus riches en témoignages. Nous abordons donc maintenant l’histoire de l’Homme de Cro-Magnon, qui est le vrai début de notre propre histoire. Elle ne s’est pas faite en un jour. Des évaluations basées sur des critères géologiques placent le développement progressif de la dernière phase glaciaire vers 120 000 ans avant nos jours. Le début du paléolithique supérieur daterait alors de 50 à 70 000 ans. On distingue plusieurs grandes périodes en son sein. Pour les commodités détaillées d’étude, divers stades technologiques ont été finement caractérisés. Ils ne sont cependant pas présents partout. Citons néanmoins pour mémoire.

 

*         L’Aurignacien, inférieur, moyen, et supérieur.

*         Le Solutréen, inférieur, moyen, et supérieur.

*         Le Magdalénien, dernière culture des périodes glaciaires.

 

Nous pourrions passer plus de temps dans l’examen attentif des diverses technologies qui ont marqué ces différents stades. C’est là un travail qui peut surtout passionner les spécialistes. Il semble cependant plus intéressant de parler des aspects beaucoup plus particuliers que sont les rites funéraires, peut-être initiatiques ou religieux, la fabrication de parures et de bijoux et, surtout, les très remarquables productions artistiques, sculptures, gravures, modelages, art pariétal, (dessins et peintures).

 

Avant de parler de ces expressions culturelles préhistoriques, il faut poser quelques bases. Au début du paléolithique, un climat relativement doux régnait sur l’Europe et l’Amérique du Nord. Il devint progressivement, et par à-coups, beaucoup plus sévère. Les populations qui vivaient à l’air libre durent se réfugier dans des cavernes, en expulser les dangereux occupants, et se couvrir, donc fabriquer des vêtements. La chasse et la pêche devinrent plus aléatoires. Les conditions plus difficiles d’existence nécessitèrent l’invention d’armes et d’outils plus performants. Les premiers progrès dans l’outillage sont constatés dés le Moustérien, avec le début de l’utilisation d’objets fabriqués en os plutôt qu’en pierre. Ils correspondant à l’arrivée du froid.

 

C’est au Magdalénien que les perfectionnements de la technologie de l’os acquirent tous leurs développements. (Pointes d’armes diverses, harpons, poinçons, aiguilles avec chas, spatules, hameçons, propulseurs). On faisait aussi en os de précieux bâtons coudés, ornés, et percés d’un trou. Ils semblent avoir été des outils à produire le feu par friction, (Ce sont probablement des manivelles servant à mettre en rotation rapide une baguette flexible sur un socle en bois dur). D’autres matériaux, bois de renne et ivoire, furent également utilisés, tant pour la fabrication d’outils délicats que pour la production de parures et d’objets d’art mobiliers. On voit aussi apparaître la technique du modelage en argile et une importante utilisation de l’ocre rouge. 

 

La localisation de la culture du paléolithique supérieur est extrêmement large. On répertorie environ cent vingt sites dans la seule Europe méridionale, mais il y en a bien d’autres ailleurs, par exemple en Afrique du Nord, Afrique australe, Asie. Dans l’Europe de l’Est, pays de steppe, où les cavernes calcaires manquent, les hommes durent survivre en plein air. Chassant le mammouth, ils utilisèrent ses os et ses défenses pour établir les charpentes de leurs huttes couvertes de peaux.

  

Les hommes du Paléolithique enterraient leurs morts.

 

Un aspect caractéristique de cette culture est la pratique d’un rituel funéraire. Dans la Grotte des Enfants, citée plus haut, on trouva d’autres sépultures d’enfants dont les corps portaient des souvenirs de vêtements garnis de nombreuses coquilles percées.

 

L’aurore apparaissait !

 

L’aurore apparaissait ; quelle aurore ! Un abîme

D’éblouissement, vaste, insondable, sublime ;

Une ardente lueur de paix et de bonté !

(Victor Hugo - d’Eve à Jésus)

 

En ce qui concerne la paix et la bonté, l’aurore n’est pas encore arrivée, même de nos jours. Néanmoins, au Paléolithique supérieur, l’art joua indéniablement un rôle très important dans ses expressions graphiques, telles le modelage, et surtout la gravure, le dessin et la peinture. Ce sont les seules formes qui sont parvenues jusqu’à nous. Nous avons cependant des indices permettant de penser que d’autres formes d’expression étaient pratiquées, telles la musique et la danse. Des peintures rupestres, beaucoup plus tardives, dans le Tassili, montrent des danseurs en action. Vingt millénaires séparent ces représentations africaines des activités artistiques dont les témoins ont été retrouvés en Europe, surtout en France et en Espagne, seuls pays dans lesquels existent des cavernes calcaires propices à la conservation des œuvres.

 

La première difficulté surgit lorsque les archéologues tentent de dater l’art magdalénien, et particulièrement les peintures rupestres. Cela ne peut être fait qu’en les mettant en relation avec les fossiles et les objets découverts dans les niveaux archéologiques fouillés par les chercheurs. Les uns ou les autres manquent la plupart du temps. On s’accorde actuellement pour situer son apparition il y a trente mille ans, en lui donnant une durée probable d’environ vingt mille ans, jusqu’à la fin de la dernière glaciation.

 

Leur tradition artistique soudaine
 a duré vingt mille ans.

 

C’est une période à la fois très ancienne et très longue, pendant laquelle beaucoup d’événements se sont produits. En raison du considérable étalement dans le temps, associé à la très large dispersion dans l’espace, on pouvait s’attendre à une grande variabilité dans les réalisations. Ce n’est pas vraiment le cas. Les artistes, les styles, et les façons ont énormément changé au fil des siècles et selon les lieux, mais les œuvres retrouvées montrent l’utilisation réitérée d’un système figuratif relativement constant, sans variation importante des méthodes et des thèmes à travers l’écoulement  des millénaires.

 

Il semble que l’on soit en présence d’une tradition artistique qui produisit un seul développement homogène et unilinéaire pendant des dizaines de milliers d’années. C’est dans cette extraordinaire constance et en cette durabilité exceptionnelle que résident les plus grandes difficultés d’interprétation. Une nouvelle difficulté est rencontrée lorsque l’on considère l’immédiate perfection des réalisations. On est bien en face d’une apparition soudaine et non d’un perfectionnement progressif. Il ne semble pas y avoir eu d’apprentissage graduel entre les niveaux profonds et ceux plus récents. Malgré les différences de qualité constatées, normales car elles sont le fait d’artistes différemment doués, les techniques sont d’emblée achevées et conventionnelles. On a envisagé que leur mise au point a été progressive, et qu’à son début, elle a été momentanément réalisée sur des supports périssables, bois ou peau, avant d’adopter des supports permanents. C’est possible, mais non certain.  

 

La découverte de l’art des cavernes entraîna les mêmes grandes incompréhensions que celle des fossiles. Les premiers découvreurs rencontrèrent une très vive opposition. Le marquis de Sautuola, avec la grotte d’Altamira, au Nord de l’Espagne, fut même accusé d’avoir employé un peintre madrilène pour exécuter des faux sur les murs de la caverne. On ne lui rendit justice qu’après sa mort. Les incrédules ne furent enfin convaincus que lorsque l’on montra que certaines peintures étaient partiellement recouvertes de dépôts archéologiques ou calcaires,  anciens mais datables et plus récents qu’elles.  

 

Les objets de l’art magdalénien européen sont partagés en deux catégories. L’une concerne les petits objets portatifs décorés, armes, outils, figurines, galets peints. L’autre comporte les objets non transportables, tels les gravures et peintures, (et accessoirement quelques sculptures et modelages), trouvés sur les murs des cavernes, des abris sous roche,  très rarement sur des dalles extérieures).

 

Les objets de la première catégorie, les portables, ou mobilier, comportent surtout des menus objets en os, en ivoire, ou en bois de renne, gravés, et des galets peints. Ils sont assez nombreux et posent déjà des problèmes. Citons la tête de biche gravée sur os, trouvée à Altamira, dans un dépôt solutréen relativement ancien. Une autre tête, tout-à-fait identique fut trouvée dans la grotte d’El Castillo, gravée sur la paroi. Les deux gravures durent être exécutées à la même époque par le même artiste. Cela est une découverte réellement très rare.

 

D’autres objets sont des figurines d’os ou d’ivoire représentant des animaux et parfois des humains. Dans ce cas la plupart des représentations concernent des femmes nues. Certaines statuettes sont très jolies, de formes douces, fort finement sculptées, tandis que d’autres, telles la Vénus de Lespugne ou celle de Willendorf, exagèrent démesurément les caractères sexuels secondaires. Une figurine en os, trouvée en Sibérie, représente un homme vêtu d’une sorte d’anorak fait de peaux. Une autre gravure très exceptionnelle, réalisée sur un os plat, représente un bison démembré dont ne subsiste que la tête avec la colonne vertébrale disséquée. Deux pattes sont posées devant la bête. Plusieurs hommes, de part et d’autre, semblent participer à un partage traditionnel ou à un banquet.

 

Dans la seconde catégorie, les objets fixes consistent essentiellement en représentations d’animaux très nombreuses, très réalistes et très détaillées. On trouve assez peu de figurations humaines, peintes ou gravées, tout au moins sous forme explicite, ce qui n’exclut pas une évocation symbolique. Cela est certainement le résultat d’une volonté délibérée des artistes. Il y en a cependant un certain nombre, comme la « Vénus de Laussel », qui représente une femme nue, (exagérément dotée et portant une corne de bison dans la main), profondément gravée en relief dans du calcaire, ou comme le très célèbre « Sorcier de la grotte des Trois-Frères », en Dordogne, qui semble plutôt être une créature composite. Il y a aussi des mains humaines, positives et négatives, assez nombreuses.

 

Les trois technologies de base, employées pour réaliser ces représentations sont la peinture, la gravure, et le bas-relief. Elles ont été mises en œuvre seules ou en combinaison. La peinture a été très abondamment utilisée. Il faut reconnaître qu’elle était, sur le plan technique, la méthode la plus facile. Souvenons-nous que les outils utilisables pour graver et sculpter la pierre calcaire ou les os, étaient d’autres pierres, des silex éclatés, et non pas des ciseaux et des burins sur lesquels on pouvait frapper avec un marteau. La réalisation d’un grand bas-relief aux volumes profonds, qui peut nous sembler aujourd’hui maladroitement exécuté, a dû nécessiter des efforts considérables. Il représentait probablement un sommet de l’art des cavernes.

 

Comparativement, l’application de peinture était bien plus facile. Le décalque de mains, négatives par la technique du pochoir, ou positives par celle de l’impression, l’était encore bien plus. Pour s’éclairer, les peintres utilisaient de petites lampes de pierre, à huile ou à graisse, dont on a retrouvé quelques exemplaires, et des torches résineuses.

 

Les pigments utilisés étaient naturels, blanc de calcite, ocre jaune, rouge, brun, de toutes nuances, oxydes colorés, noir et violet de manganèse. Si des teintes organiques ont été utilisées pour d’autres couleurs, elles n’ont pas subsisté et ne nous sont pas parvenues.

 

Les peintures sont souvent polychromes, parfois rehaussées d’un contour gravé. Les dessins sont fréquemment superposés sur certains panneaux alors que d’autres panneaux voisins restent libres et complètement vierges. Différentes façons ont été relevées. Elles vont du simple tracé digital des contours jusqu’à la peinture décorative extrêmement détaillée reproduisant les couleurs des pelages et les particularités des différentes espèces.

 

Les animaux représentés appartiennent généralement à la faune du Pléiostène supérieur. Ce sont de grands herbivores, bisons, chevaux, bœufs sauvages et parfois bœufs musqués, bouquetins, rennes, cerfs et cerfs géants fossiles, rhinocéros laineux, mammouths et parfois éléphants antiques. On y trouve aussi quelques carnivores, ours et lions des cavernes, des poissons et quelques oiseaux. Chose importante, on relève également des signes énigmatiques nombreux, répétitifs et standardisés, tectiformes, penniformes, ou autres, qui sont peut-être des symboles annonçant l’invention de l’écriture.

 

Il y a beaucoup de chevaux et de bisons.

 

Ce sont les animaux les plus fréquents dans ces peintures. La représentation des chevaux est généralement très fidèle et très soignée, au point que l’on peut parfaitement identifier les espèces. Les images sont souvent colorées.

 

On trouve des chevaux entièrement noirs, d’autres bruns ou bicolores, ou même magnifiquement pommelés avec une abondante crinière. Plus de vingt-deux modèles différents de chevaux ont été relevés dans un ouvrage de P.Ucko et A.Rosenfeld.

 

Les bisons ont un profil caractéristique, avec une nuque bossue assez marquée par rapport à un arrière-train effacé. Ils sont également représentés avec beaucoup de détails et une perspective assez conventionnelle. Ils sont souvent associés à des aurochs ou des bœufs sauvages. Dans certaines représentations, les détails des colorations, tête noire et corps brun très foncé pour les mâles, brun clair avec une bande pâle sur le dos pour les femelles, ainsi que la forme particulière des cornes, ont permis de se faire une idée assez précise de l’aspect qu’avaient dans le passé ces espèces disparues. Les bœufs musqués sont bien plus rares. 

 

Les cervidés, en plus faible nombre, comptent également plusieurs espèces. Le cerf commun est le plus fréquemment représenté, parfois avec des bois manifestement excessifs. On trouve aussi des rennes, un cervidé disparu, le Mégaloceros ou cerf géant, qui avait de très grands bois palmés, (comme les petits bois des daims), et d’autres familles, bouquetins, chamois, quelques carnivores, et quelques oiseaux et poissons.

 

Quelques représentations concernent des animaux inconnus, ou des êtres imaginaires ou mythiques, créatures composites, rassemblant les traits caractéristiques de plusieurs espèces. Il y a aussi des représentations humaines en nombre relativement faible, (Cependant moins qu’on ne l’a dit), et beaucoup de mains de tailles diverses, parfois des pieds, en impression négatives, cernées de couleur, ou positives, souvent de couleur rouge ou brune, rarement noire, blanche ou jaune. Un ou plusieurs doigts manquent parfois, ou sont plus courts.  

 

Il est souvent difficile de déterminer si une figure animalière donnée fait partie ou non d’un groupe ou d’un panneau d’ensemble, car aucune ligne de base n’est posée et aucun arrière-plan végétal ou paysager n’est jamais représenté. Les représentations groupées sont souvent orientées différemment, debout, penchées, et même renversées. Elles sont fréquemment superposées, et on ne trouve aucune véritable convention cohérente d’échelle.

 

C’est pour cela qu’on a pu dire que la caractéristique majeure de cet art résidait dans l’absence de scènes, et qu’il était donc inutile d’y chercher le récit d’un épisode vécu. C’est ce que cherchaient les premiers interprètes qui imaginaient par exemple des compositions présentant des épisodes de chasse ou de combats. Plus tard, ces interprétations ont été critiquées, et on en est venu à considérer que les panneaux eux-mêmes étaient l’objet cherché. Ils n’avaient rien à raconter car ils constituaient en fait les scènes dont on regrettait l’absence.

 

On a voulu expliquer rationnellement ces images.

 

La première théorie élaborée fut celle dite de « l’art pour l’art ». L’art paléolithique n’aurait eu qu’un rôle purement décoratif, Il était destiné à rendre le cadre de vie plus agréable, et il n’était en aucune façon lié à une recherche métaphysique ou une activité religieuse. Cette théorie simpliste ignorait parfaitement les difficultés d’accès des œuvres réalisées et les constants rapports établis par les sociétés primitives entre l’homme et les espèces vivantes, (ou les phénomènes naturels). Ces rapports débouchent sur des systèmes de croyances et des pratiques de comportements qui constituent l’ossature structurante des religions entretenues par ces sociétés. On pourait citer la croyance en la séparation du corps et de l’âme, (constatée par les rêves), le culte des ancêtres, et surtout le totémisme et le système de clans.

 

Il ne tuera pas cet animal,
il est son frère et il sait son nom.

 

La seconde théorie, élaborée par Reinach, fut celle de la magie sympathique. Elle était appuyée par des arguments tendant à établir l’existence de liens entre l’art paléolithique et des pratiques magiques, en particulier celles reliées à la chasse et à la fécondité. La plupart des représentations concernent des animaux comestibles. Les localisations sont difficiles d’accès. Les pratiques de magie sympathique sont largement répandues chez les peuplades primitives actuelles. On voit que les convictions de Reinach se réfèrent à des parallèles ethnographiques établis entre les sociétés primitives récemment découvertes, par exemple celles des aborigènes australiens, et les sociétés paléolithiques. Tout en admettant secondairement un aspect totémique accessoire, il transposait fondamentalement les pratiques des premiers aux seconds en posant l’hypothèse de la permanence des comportements évolutifs, demeurant identiques à travers le temps et l’espace.       

 

L’abbé Breuil est une autre personnalité dont les opinions ont grandement influencé l’étude de l’art paléolithique. Cependant ses travaux ont porté bien plus sur l’inventaire et la datation des œuvres que sur la recherche de leur interprétation. Il adopta assez facilement les thèses de Reinach tout en reconnaissant que la signification était peut-être totémique, fétichiste ou religieuse.

« Quand nous visitons une caverne, nous pénétrons dans un sanctuaire où se sont déroulées des cérémonies sacrées ».   

 

Breuil élargit la théorie de Reinach, en y ajoutant des interprétations relatives à la présence occasionnelle d’animaux féroces, et surtout en prenant en compte le mobilier et les éléments découverts dans les abris sous roches et les sites d’habitat à ciel ouvert. Il assimila certains signes associés aux figures à des représentations de flèches ou d’armes. Une contribution intéressante de l’abbé concerne l’identification de signes géométriques tectiformes, dont la signification fut largement débattue. Breuil la reliait à son approche religieuse de l’art des cavernes, et il y voyait une évocation des esprits ancestraux. Autre figure importante de l’exploration des cavernes ornées, le comte Begouen interprétait les peintures de la même façon que l’abbé Breuil. Il travailla beaucoup plus sur les tectiformes, et proposa de nouvelles hypothèses, supposées plus réalistes, concernant les traces matérielles laissées par les pratiques magiques éventuelles et la façon dont les rites étaient pratiqués. C'est ainsi qu’il proposa de voir la représentation véritable d’un sorcier dans la figure anthropomorphe de la grotte des Trois Frères, qu’on nomma  ensuite « Le Sorcier ».   

 

Une nouvelle révolution de pensée survint vers 1945. Elle fut l’œuvre d’André Leroi-Gourhan, jeune ethnologue passionné de préhistoire et auteur ultérieur de la « Préhistoire de l’art occidental ».

 

 La matière que j’ai utilisée, dit-il, est constituée par les deux mille cent quatre-vingt-huit figures d’animaux réparties en soixante-six cavernes ou abris décorés que j’ai étudiés. Par ordre de fréquence, j’ai pu compter six cent dix chevaux, cinq cent dix bisons, deux cent cinq mammouths, cent soixante-seize bouquetins, cent trente-sept bœufs, cent trente-cinq biches, cent douze cerfs, quatre-vingt-quatre rennes, trente-six ours, vingt-neuf lions, quinze rhinocéros, huit daims mégacéros, trois carnassiers imprécis, deux sangliers, deux chamois, six oiseaux, huit poissons, neuf monstres. (Leroi-Gourhan).

 

Cette citation établit la méthode d’André Leroi-Gourhan. Il se base prioritairement sur des analyses chiffrées précises et des statistiques. Il part d’une conviction, celle que des œuvres artistiques analogues rencontrées dans des cultures différentes n’impliquent pas des causes identiques et n’ont pas les mêmes  significations. Il n’admet pas les comparaisons ethnographiques utilisées précédemment. Il postule que toute interprétation doit d’abord se fonder sur les œuvres paléolithiques elles-mêmes, leur analyse statistique et la compréhension de leur répartition topographique.

 

Leroi-Gourhan distingue la présence de zones différentes et bien caractérisées malgré les profils variés des différentes grottes. Il les classe en trois catégories, et y constate des associations constantes qui paraissent porter un message significatif.

 

- Les parois dégagées ou centres d’un panneau. Elles portent plus de 80% des bisons, aurochs, chevaux, et signes pleins.

- Les parois marginales de transition, ou de passage.

Elles supportent plus de 78% des bouquetins et des mammouths.

- Le fond, dernier diverticule ou marge extrême de panneau. 

Ils montrent 75 à 80% des cerfs, félins, ours et rhinocéros. 

 

Si le message existe réellement, il doit respecter une syntaxe pour être compréhensible. Trois modes étaient possibles.

 

- Le mythogramme, ou disposition des figures symboliques autour d’un point central comme dans un tableau.

- Le pictogramme, ou alignement dans un ordre chronologique d’une succession des figures racontant une histoire.

- L’écriture, mode dans lequel les figures représentent des unités symbolisant des éléments du langage verbal.

 

Partant de considérations raisonnables, le chercheur considère qu’il s’agit de mythogrammes. Reste à les interpréter. Si nous admettons que les anciens hommes du paléolithique avaient élaboré une image cohérente du Monde, elle aurait pu engendrer des pratiques magiques destinées à assurer la maîtrise des événements extérieurs. Les œuvres pourraient être des restes accumulés de ces pratiques, et témoigneraient d’opérations magiques successives, non reliées entre elles.

 

Mais les grottes ont pu être utilisées comme un  décor, un cadre conventionnel au sein duquel se déroulait traditionnellement quelque chose, ceci pouvant éventuellement être l’expression renouvelée d’un mythe, d’un rituel métaphysique, ou l’amorce d’une religion. On considérerait alors un cadre superstructurel, un modèle général sur lequel la société paléolithique pouvait établir tout un ensemble détaillé et varié de préceptes moraux ou comportementaux, aussi bien que des opérations pratiques,  magiques ou religieuses. Dans ce cas, les superpositions et les associations s’expliquent différemment, en particulier par l’affectation traditionnelle des différentes zones aux expressions momentanément convenues. Reste à réfléchir sur le contenu des assemblages de figures, masculines et féminines, de chevaux, de bisons ou d’aurochs,  d’animaux associés, et de signes concomitants. Souvenons-nous que ces assemblages ont perduré pendant vingt mille ans, ce qui est une durée incroyablement longue pour un système de représentation mythique. 

 

« Mais, dit André Leroi-Gourhan, s’agit-il de l’expression du contenu d’un mythe. Ne s’agirait-il pas plutôt du contenant ?  Dans l’immense durée considérée, le même cadre figuratif a pu exprimer des concepts métaphysiques différents et des mythes progressivement transformés ».

 

Il montre ainsi qu’avec les quatre vivants, l’aigle, le lion, le taureau, et l’homme, on a l’exemple moderne d’un thème figuratif apparu à l’Âge de Bronze et conservé jusqu’à nos jours, quoique chargé de significations différentes, au fil du temps, et qui servit vingt religions jusqu’à l’évocation chrétienne des évangélistes.

 

« Il est en effet possible d’atteindre par la démonstration une raisonnable certitude du fait que les hommes du Paléolithique, vingt millénaires avant la fin de la dernière glaciation, ont versé dans leurs images de bisons et de mammouths, des sentiments qui répondaient à ce qu’est pour nous la religion, mais rien ne nous permet d’emblée de restituer comment ils pensaient cette religion. Notre pensée, issue des développements des civilisations classiques, a évolué dans un sens tel qu’il est difficile de comprendre sans effort la pensée même des Australiens qui sont pourtant encore vivants. A plus forte raison est-il hasardeux de construire des croyances d’hommes qui ont vécu des millénaires avant l’apparition de l’écriture ».

 

A la position de Leroi-Gourhan, il faut absolument associer la démarche d’Annette Laming-Emperaire. Elle est très analogue quoiqu'elle distingue plus subtilement les oeuvres réalisées dans l’obscurité des cavernes de celles exécutées à la lumière du jour dans les abris sous roches, et qu’elle renverse les représentations symboliques masculines et féminines. En raison de leur proximité conceptuelle, on couple souvent les études relatives aux deux novateurs.

 

Résumons ci-après les points qui leur paraissent acquis. La caverne est intégrée au schéma fondamental, et ses accidents naturels sont exploités. Il y a concomitance dans la présence des chevaux et des bovidés, et l’on constate un couplage constant avec la présence des signes masculins et féminins. La présence d’une polarisation sexuelle est évidente. Elle offre toutefois une particularité particulière d’abstraction car aucune scène d’accouplement n’est connue, et les animaux eux-mêmes ne portent pas leurs caractères sexuels primaires.

 

Concernant l’interprétation qui pourrait être faite de ses travaux, André Leroi-Gourhan reste toutefois prudent. Je vous propose d’utiliser sa propre conclusion pour clore l’exposé de sa théorie.

 

On peut, pour obtenir la couche la plus profonde du dispositif religieux paléolithique, ajouter à ce schéma fondamental, (femme-homme, bovidé-cheval), la présence pratiquement constante d’un animal complémentaire. A un niveau plus élevé transparaîtraient des concepts d’assimilation de scènes à des signes, tels la blessure à la main de la femme, etc.. En conclusion, les thèmes qui se dégagent de l’art paléolithique sollicitent plus directement la psychanalyse que l’histoire des religions... On aurait pu s’attendre à trouver dans l’analyse globale des documents, ce qui constituerait le substrat de la pensée métaphysique. Celle-ci et la magie opératoire ne peuvent apparaître qu’après l’implantation du décor. C’est le rôle de la recherche future que d’établir sur les variantes, leur image nuancée de la religion paléolithique ». Pr. André Leroi-Gourhan - Extraits de l’article - La religion des cavernes - Science et Avenir N° 228. 

 

Les millénaires ont coulé. La Terre s’est réchauffée. Et, il y a dix mille ans, les hommes ont abandonné tout à la fois les cavernes et les traditions culturelles qu’elles contenaient. Puis le fleuve du temps a tout emporté dans les mystères du passé. Mais le temps avait oublié des témoins de l’Âge de Pierre dans un recoin perdu du Pacifique Sud. Pauvres en géographie, l’île de Nouvelle Guinée nous est très mal connue. Elle est cependant la plus grande des îles, après le Groenland et l’Australie, qui doivent être considérés plutôt comme des continents. Pour information, voici les surfaces de ces immenses terres lointaines.

 

            La Nouvelle Guinée         785 000 Km2

            Bornéo                            736 000 Km2

            Madagascar                    592 000 Km2

            Le Groenland               2 170 000 Km2

            L’Australie                   7 686 000 Km2

 

En 1930, trois chercheurs d’or découvrirent, dans le centre de la Nouvelle Guinée, une grande population de Papous, ignorée jusqu’alors. Elle comptait un million de personnes, dont 250 000 dans une seule vallée. Complètement coupés du reste du monde, et quoique nos contemporains, ils en étaient restés à l’âge de pierre. Tout au long de leur expédition, les chercheurs ont tourné un film. Celui-ci a été montré cinquante ans plus tard aux acteurs des deux groupes qui sont encore vivants. Il s’agit de First Contact, un document australien de Bob Connely et Robin Anderson.

 

Les hommes primitifs derniers anthropophages connus d’alors, parlent maintenant anglais et sont intégrés dans notre monde actuel. Ils racontent comment ils vécurent les événements de la rencontre, leurs impressions, leurs terreurs, surtout devant les avions, et leurs souvenirs. Pour un temps ils ont pris les explorateurs blancs pour la réincarnation des ancêtres. Puis le chef explora les latrines et reconnu le caractère simplement humain des visiteurs. Le contact devint meurtrier lorsque le chef décida d’attaquer l’expédition pour s’approprier les équipements. Les sagaies affrontèrent les fusils inconnus. Les anciens se souviennent des péripéties du combat, et citent même les prénoms de leurs proches tués pendant la bataille.

 

Le film est un étonnant raccourci de l’évolution historique. Ces hommes ont parcouru en cinquante ans, avec une accélération cinq cents fois plus rapide, le chemin que les autres firent en vingt-cinq mille. Chose tout-à-fait surprenante, ils ont assez bien supporté l’épreuve. Ce sont cependant des hommes actuels. Il ne faut pas les confondre avec ceux du paléolithique, ni faire de comparaisons hâtives car vingt millénaires les séparent. Le document montre aussi les moeurs tristement humaines, de ces primitifs qui n’hésitaient pas à tuer pour se procurer ce qui leur faisait envie.

 

Puis les hommes modernes ont effacé ces derniers oublis du temps. La rivière de la vie et celle du temps se sont réunies jusqu’à constituer ce grand fleuve qui emporte le Monde. Lorsque notre conscience nous permet parfois d’aborder sur ses rives, nous regardons, hypnotisés, ses eaux couler, et nous ne savons plus très bien si le fleuve descend vers nous, ou si nous en remontons le cours. Dans la réalité, cependant, toutes les eaux vont à la mer.

 

Devant nos yeux, les eaux du fleuve,

de l’avenir, par le moment présent, vont au passé,

inévitablement.

 

Tout comme l’Homme,

dans son progrès, par la conscience, retourne à Dieu,

inéluctablement.

 

Krinamurti ressentait fortement tout cela. Retrouvons ces perceptions super-conscientes d’avant l’aurore, telles qu’il les exprima dans des notes rédigées de façon fortuite dans ses dernières années de sa vie.

 

« Sensation de clarté insolite, exigeant toute l’attention. Le corps sans mouvement aucun, d’une immobilité complète, sans effort et sans tension. Un phénomène curieux se déroulait à l’intérieur de la tête. Un fleuve superbe et large coulait, ses eaux abondantes puissamment comprimées entre de hautes masses de granit poli. Sur chaque rive de ce vaste fleuve, la roche était étincelante, aride à toute plante, au moindre brin d’herbe. Il n’y avait rien d’autre que le roc brillant, se dressant jusqu’à des hauteurs défiant le regard. Le fleuve avançait silencieux, sans un murmure, indifférent. Cela se produisait réellement, ce n’était pas un rêve ni une vision ou un symbole à interpréter. Cela avait lieu, là, sans aucun doute. Ce n’était pas le fruit de l’imagination. Aucune pensée n’aurait pu inventer cela, c’était trop immense et réel pour qu’elle puisse le concevoir. L’immobilité du corps et le mouvement de ce grand fleuve coulant entre les parois granitiques du cerveau, tout cela a duré une heure et demie, exactement. Par la fenêtre ouverte, les yeux pouvaient voir l’aurore naissante. On ne pouvait se tromper sur la réalité de ce qui avait lieu ». (J.Krisnamurti - le 8/8/61 - Gstaad, Suisse).

 

Voilà un petit peu de tout ce que l’on pourrait dire des origines !

Je vous propose de nous arrêter ici sur sur la conclusion d’une méditation de ce Krinamurti, laquelle peut aussi, bien évidemment, inviter la notre.

 

 

 

Le passé et l’inconnu

ne peuvent se rencontrer.

Aucun acte, quel qu’il soit,

ne peut les rassembler.

Aucun pont ne les relie,

Aucun chemin n’y conduit.

Ils ne se sont jamais rejoints

et ne se joindront jamais.

Le passé doit cesser

pour que puisse être

cet inconnaissable,

cette immensité.

 

( J.Krisnamurti  - le 23/1/62 - Delhi. Inde ).

 

 

 

 

 

L

es Rayons ardents du Soleil.

 

 

 

 

Lumière et vie,

Voilà ce qu’est le Dieu et Père,

De qui est né l’Homme.

Si donc tu apprends à te connaître

Comme étant fait de vie et de lumière

Et que ce sont là les éléments qui te constituent,

Tu retourneras à la vie.

(Hermès Trismégiste - Poimandrés).  

 

 

Jésus a dit. Celui qui connait le Monde découvre un cadavre,

Et celui qui découvre un cadavre, le monde ne peut le contenir.

(Evangile de Thomas - Logion 56)

 

 

 

Vers la fin de la glaciation de Würm, les hommes quittèrent progressivement ces cavernes qu’ils avaient magnifiquement décorées. La période Néolithique commençait. Ils commencèrent à bâtir des villes dont nous retrouvons maintenant les ruines, parfois au coeur de déserts qui étaient alors des prairies ou des forêts, au bord de fleuves et de lacs aujourd’hui asséchés, au long de rivages maintenant submergés, au coeur de plaines cultivées envahies par la brousse, ou recouvertes des sables du désert. Nous essayerons de retrouver les grandes lignes de cette histoire. Hélas, dès le début, cette aventure humaine est remplie de guerres, de conquêtes brutales, de douleur et de sang. On trouve ces récits héroïques ou terrifiants dans bien des livres. Ce n’est pas à cela que nous allons nous intéresser. Nous regarderons la naissance progressive des civilisations, tout particulièrement de celles qui portaient un début de recherche du sens de l’existence, souvent au travers de l’élaboration des mythes cosmogoniques et de la fondation des premières religions.

 

Il nous faudra cependant préciser quelques données, parmi lesquelles l’une des plus importantes est celle de l’évaluation de la variation de la population du Monde pendant la période considérée. Un certain consensus est actuellement établi autour de deux chiffres. Le premier est celui du nombre des humains qui vivaient il y a dix mille ans. On l’estime à dix millions environ. Cela veut dire que la planète était alors très peu peuplée. Le second chiffre concerne le début de notre ère chrétienne, (L’an 1 a été arbitrairement fixé à l’an 753 de l’ère romaine). La population est alors estimée aux alentours de deux cent cinquante millions de personnes. Elle se serait donc accrue par un facteur vingt-cinq en huit mille ans. Pendant les vingt derniers siècles, la population du Globe a encore été multipliée par ce même facteur, et s’en va vers les six milliards d’hommes. Il y a donc une formidable accélération de l’accroissement du peuplement. A partir des chiffres proposés par différents auteurs, j’ai essayé de déterminer la loi mathématique de l’augmentation du peuplement. Je n’ai réussi à dégager aucune valeur constante. Il semble que la variation n’a pas été continue, ou bien que son point d’inflexion ne se situe pas à la période proposée, ou bien qu’il y a eu ingérence de facteurs incidents nouveaux interférant avec les facteurs naturels initiaux. On peut imaginer diverses causes, les unes techniques, (telles la domestication des animaux et l’élevage, la sélection des espèces céréalières et l’agriculture, l’invention de la roue et de la traction animale, etc..), les autres sociales, morales, coutumières, (comme la pratique courante de la polygamie, l’organisation tribale, ou même, paradoxalement, l’instauration de l’esclavage, en remplacement du massacre des captifs).     

 

Il est extrêmement difficile de représenter clairement les évolutions physiques, politiques, et culturelles d‘une grande variété de nations et de populations au cours du temps. Pour présenter ces hommes, bâtisseurs de toutes ces cités oubliées ou ensevelies dans la poussière des dix derniers siècles, et pour poser des repères spatio-temporels cohérents, je vais m’appuyer sur le remarquable travail effectué par Louis-Henri Fournet qui a construit un tableau synoptique reliant l’histoire à la géographie, dans le temps et l’espace. On y trouve une représentation graphique de l’évolution des ethnies et des civilisations, proportionnelle à l’importance des populations et des états concernés. Les empires apparaissent, s’étendent, s’épanouissent puis disparaissent sous l’aspect de zones multicolores se modifiant au fil du temps. On voit émerger les noms de conquérants meurtriers et de tyrans célèbres, que je ne citerai pas, et ceux des porteurs de lumière qui, tels Confucius ou Lao-Tseu, Bouddha, ou Jésus, se sont efforcés d’illuminer le sombre destin des hommes. 

 

Les historiens, quant à eux, découpent l’histoire de l’aventure humaine en plusieurs périodes conventionnelles. Par exemple, ils placent la période dite Préhistoire à la fin des glaciations, il y a dix à douze mille ans, et font commencer l’Antiquité à la fin de cette Préhistoire, au 12ème siècle (avant JC). Ils considèrent qu’elle se termine à la fin du 4ème siècle, au début du moyen-âge, avec la chute de l’Empire Romain occidental. Les données les plus anciennes, préhistoriques ou relatives à l’Antiquité nous sont essentiellement fournies par les recherches des archéologues. De même, l’on considère que l’arrivée des barbares (qui étaient souvent chrétiens ou en voie de christianisation), dans Rome, a mis fin en Occident à la dominance politico-culturelle latine, mais celle-ci a persisté encore très longtemps en Orient.

 

Cela montre qu’en utilisant des repères ou des critères historiques trop précis, nous prendrions le risque d’enfermer l’exposé dans un canevas conventionnel très rigide. Cela gênerait la mise en relation d’événements effectivement séparés dans le temps, ou l’espace géographique, ou l’environnement politique, mais dont les significations sont pourtant manifestement analogues au plan de l’évolution de la recherche du sens de l’existence et d’une nouvelle démarche humaine, métaphysique ou religieuse. Oublions donc pour un temps ces classifications académiques traditionnelles. Nous adopterons pour cette étude un canevas spatio-temporel très large et relativement flou, couvrant les dix derniers mille ans. Pour le reste je renvoie le lecteur aux  livres d’histoire traditionnels ou au travail de Louis-Henri Fournet.

 

L’Âge d’Or était probablement un mythe.

 

Un monde très peu peuplé n’est pas pour autant statique, ni pacifique. Souvenons-nous que les ressources alimentaires du temps étaient peu abondantes. Les famines étaient fréquentes. La quantité de biens fabriqués était également faible et leur possession était précieuse. Il ne faut cependant pas sous-estimer les capacités commerciales et industrieuses des peuples antiques. Ils ont su très tôt mettre en place des réseaux efficaces de commerce et d’échange et des moyens relativement performants de production, de transport, et de paiement des biens. Mais la soif de pouvoir et la faim de possession gouvernaient déjà le comportement des hommes. Les guerres devinrent hélas rapidement fréquentes, et nous en trouvons la trace dans les récits héroïques et l’expression des mythes qui nous sont parvenus de la lointaine antiquité. Nous en retrouvons aussi parfois les témoignages matériels dans les antiques cités ruinées dont les fondations et les murailles ont été ensevelies sous la poussière des siècles, et que nous dégageons patiemment, pierre après pierre, pour tenter d’éclairer les débuts de cette histoire des peuples, qui est un peu la notre. Venant d’Afrique, les vagues de peuplement humain couvrirent d’abord l’Europe, l’Asie et la Malaisie, et même l’Australie, très tôt, il y a 50 000 ans, et assez mystérieusement malgré la coupure océane. S’y transformant, elles donnèrent naissance aux formes plus modernes, et gagnèrent plus tardivement l’Amérique du Nord. La conséquence de cette dissémination, large et progressive, dans un territoire extrêmement étendu, fut de morceler finement la population du Globe et d’y faire apparaître une mosaïque vraiment très complexe d’ethnies diverses, aux cultures et aux coutumes variées.

 

Nous avons vu que ces anciens étaient des hommes modernes, très proches de nous, qui souffraient seulement d’un important déficit technologique et ne savaient pas encore très bien accumuler ni transmettre leur savoir, en particulier par l’écriture. Ils pratiquaient des gestes magiques ou cultuels, et portaient déjà des concepts religieux véritables, souvent liés à la nature, et propageaient des mythes aux contenus cosmogoniques ou moraux. Nous les avons déjà rencontrés décorant le fond des cavernes. Quelques chercheurs pluridisciplinaires ont exposé en 1990 de nouveaux résultats de leurs recherches dans ces grottes. Ils ont tenté d’interpréter les empreintes d’ocre laissées sur les roches par des groupes d’individus rassemblés en des points remarquables. Elles sembleraient montrer que les hommes de Cro-magnon utilisaient les propriétés de résonance acoustique et les phénomènes d’échos spécifiques des couloirs de grottes pour y tenir des assemblées qui pratiquaient le chant et la musique. La découverte d’instruments de musique perfectionnés, tels des courtes flûtes à quatre trous, justes et précises sur deux régimes, à l’octave, corrobore cette hypothèse. On en a trouvé une en assez bon état dans une grotte des Pyrénées, à Isturitz. Elle a été fabriquée, il y a vingt-cinq mille ans, par un artisan, avec un os creux de cuisse de vautour. Cet homme était un facteur très compétent capable de  concevoir un instrument doté de la même continuité mélodique que ceux d’aujourd’hui. On peut imaginer l’émotion et l’effet que pouvaient produire les premières harmonies jouées par les premiers artistes néolithiques avec de tels instruments sonores, sur les auditeurs blottis dans l’obscurité des sombres cavernes aux résonances chuchotantes et mystérieuses.

 

Dans le noir, la magie sonore leur fermait les yeux.

 

Nous retrouvons les expressions communes de cette émotion artistique civilisatrice et de ses fondements métaphysiques et religieux dans tous les continents. Au fil des millénaires, ces concepts se sont différenciés progressivement. On constate, par exemple, que toutes les religions du Proche-Orient ancien ont des origines communes dont nous utilisons encore inconsciemment aujourd’hui certains sous-produits d’évolution. La civilisation qui naquit 4000 av.J.-C, de la Syrie à la Mésopotamie, nous en a laissé les preuves écrites sur l’argile durcie. D’autres peuples l’avaient précédée, ou parfois côtoyée, qui ne possédaient pas cette écriture si précieuse, ou bien écrivaient de façon périssable, ou incompréhensible, ne nous laissant que des vestiges étranges de leur passagère existence.

 

Il faut ici souligner une importante et durable difficulté de la recherche. Parce que nous ne comprenions plus leurs langages, ces mystérieux vestiges sont longtemps restés inexplicables et les peuples disparus eux-mêmes étaient parfois devenus énigmatiques ou légendaires. Lorsque certains langages ont enfin été déchiffrés, tout un monde inconnu et oublié est sorti du passé. Mais d’autres signes, émis parfois sous nos pieds par d’autres civilisations oubliées, comme celle des mégalithes, gardent encore tous leurs mystères. Et puis il faut bien faire la part des légendes héroïques qui amplifient parfois démesurément les actions d’un grand personnage dont l’existence est historiquement incertaine. Cet effet de loupe est très courant dans les inscriptions funéraires des tombeaux royaux, et dans les récits d’exploits guerriers.

 

Nous savons qu’après la fin de l’ère glaciaire, l’évolution civilisatrice s’est manifestée par l’apparition de plusieurs phénomènes concomitants parmi lesquels l’invention de l’agriculture et de l’élevage, avec la sélection des végétaux utiles comme les céréales, et la domestication d’espèces animales, les chevaux, les chiens, divers bovins, ovins ou caprins, oiseaux, etc.. Ces inventions sont anciennes. Les grains de blé retrouvés dans la grotte de Mazanderan auraient douze mille ans. Ils ont été datés par la méthode du carbone 14. D’autres hommes se sont orientés vers l’exploitation du milieu marin. Les groupes humains se sont partiellement déterminés à partir des choix qu’ils ont fait de l’un ou l’autre de ces nouveaux comportements, lesquels ont induit chez eux des modes de vie caractéristiques. Ceux qui ont choisi l’agriculture sont devenus relativement sédentaires. Entre le défrichage des sols, les labours, les semailles, et les moissons, il était nécessaire de protéger longuement les champs des prédateurs, puis d’attendre le produit des travaux. Les agriculteurs se sont donc installés sur les terrains qu’ils cultivaient et y ont construit des abris permanents, des habitations souvent groupées. La surface de leurs terres était limitée par leur force physique et la médiocrité de leur outillage. Ils étaient donc relativement pacifiques, se bornant à défendre leurs biens.

 

Les pasteurs auraient inventé
 le commerce et la guerre.

 

Le comportement des pasteurs différait fortement de celui des cultivateurs. Leurs troupeaux épuisant rapidement les ressources des sols exploités, ils étaient constamment à la recherche de nouveaux pâturages dans lesquels ils s’installaient par la force si nécessaire. Ils se comportaient en nomades et vivaient dans des campements provisoires. Ils menaient une existence vagabonde et aventureuse, ne pouvant accumuler ni nourriture conservable ni biens durables. Cela débouchait forcément sur des comportements d’échange et de commerce, mais aussi sur des rapines occasionnelles, des besoins importants de conquête de territoires et des combats inévitables. Evidemment, ce discours simplificateur est à relativiser. La culture de terres arides avec des semences peu productives procure des rendements assez faibles. Cette pratique n’est donc pas exclusive d’un certain nomadisme et de la conservation de comportements prédateurs. Ce qu’il faut prendre en compte, c’est que l’humanité a franchi à cette époque un stade réellement très important de son évolution. L’Homme a pris conscience alors qu’il pouvait modifier son environnement. A partir de cette conscience, il a adopté des comportements nouveaux et il a mis au point des outillages adaptés et des techniques qui lui ont permis de réaliser, dans la pratique quotidienne, ces transformations désirées et planifiées de son environnement et de ses habitudes de vie.  

 

L’Homme a pris conscience
de son pouvoir sur la nature.

 

Parmi les conséquences des changements induits par la mise en œuvre des pouvoirs de maîtrise de la nature, nous avons identifié des événements très importants. Il faut porter l’accent sur la rationalisation des appareils d’habitat et sur l’invention de la poterie. Les premières habitations humaines étaient bâties en utilisant une technique très simple. Elles étaient petites, circulaires, et à demi enterrées. Cette forme est facile à réaliser en partant d’un pieu central autour duquel on trace un cercle à l’aide d’une corde ou d’un bâton. L’intérieur est ensuite creusé. La terre est rejetée à l’extérieur jusqu’à obtention de la hauteur totale désirée. Le toit est fait de peaux tendues sur une légère charpente de bois inclinée et appuyée sur le mat central. Ces trous gardent leurs caractéristiques typiques au travers des âges, même s’ils sont complètement comblés par des matériaux d’apport. Les archéologues en ont trouvé les marques dans la plupart des sites habités dans la préhistoire qui en comprenaient généralement quelques-uns, plus ou moins groupés. Dans le monde entier, on retrouvait encore ce modèle circulaire primitif chez des populations qui les utilisaient relativement récemment. Citons pour exemples les imitations que sont les yourtes sibériennes, les igloos esquimaux, les tipis indiens, ou les huttes africaines. Les premières cités primitives ont d’abord été des villages de ce genre. Sur ce modèle, elles se sont ensuite progressivement entourées de fossés profonds et de palissades de pieux qui sont devenues des murailles défensives. L’architecture et les techniques ont évolué, le plan des édifices est devenu rectangulaire, la pierre et l’argile cuite ont remplacé la terre, les branches et les peaux d’animaux. Les cités ont alors acquis leurs caractéristiques spécifiques, qui comprennent des murs d’enceinte autour des habitations, des citernes et des silos pour les vivants, des tombes pour les morts, un temple pour le dieu, et un palais pour le roi. En Mésopotamie, elles sont devenues ce qui a ensuite été appelé des Cités-Etats.

 

Ainsi était  l’antique Jéricho au pays de Canaan.

 

La vieille cité de Jéricho, Arikhâ, dans la vallée du Jourdain, en Cisjordanie, date probablement de neuf mille ans. Elle compte parmi les plus anciennes cités dont nous ayons retrouvé le site et les ruines. Les fouilles entreprises à partir de 1867 ont révélé qu’elle aurait été détruite bien longtemps avant que soit écrit le récit biblique de sa conquête au son des trompettes. Elle avait déjà disparu avant même que les tribus nomades qui devinrent plus tard le peuple hébreu ne commencent à fréquenter ces territoires, et n’aurait été relevée que mille ans av.JC. Les terribles récits de massacres et de sacrifices humains associés à sa conquête pourraient être partiellement rodomontades guerrières ou paraboles édifiantes et symboliques à l’usage des fidèles, fabulations plus tardives destinées à poser les racines de la fondation divine d’une histoire qui nous est encore racontée comme suit.

Jéricho - Ancien Testament par Louis Segond - Josué - 6.

 

1) Jéricho était fermée et barricadée devant les enfants d’Israël. Personne ne sortait, et personne n’entrait.

2) L’Eternel dit à Josué : Vois, je livre en tes mains Jéricho, et son roi et ses vaillants soldats...

20) Le peuple poussa des cris, et les prêtres sonnèrent des trompettes. Lorsque le peuple entendit le son des trompettes, il poussa un grand cri, et la muraille s’écroula. Le peuple monta dans la ville, chacun devant soi. Ils s’emparèrent de la ville.

21) Et ils dévouèrent par interdit, au fil de l’épée, tout ce qui était dans la ville, hommes et femmes, enfants et vieillards, jusqu’aux boeufs, aux brebis, et aux ânes...

24) Ils brûlèrent la ville et tout ce qui s’y trouvait, seulement ils mirent dans la maison de l’Eternel l’argent, l’or, et tous les objets d’airain et de fer...

 

Même si Jéricho n’a pas été détruite par les Hébreux, les archéologues ont pu vérifier la réalité de la destruction de Hazor, une autre importante cité cananéenne dont la Bible évoque également la conquête. Certains de ces sacrifices rituels ont donc eu réellement lieu en l’honneur discutable de l’Eternel des Hébreux.

 

Parmi les plus anciennes cités primitives, on peut citer Ougarit, dans l’actuelle Syrie, prés de Ras Shanra. Elle semble avoir été établie au Néolithique, puis s’être développée de façon classique. Les fouilles entreprises en 1929 ont mis à jour au moins cinq niveaux superposés dont les plus élevés montrent des murailles et des fortifications, des temples dédiés à Dogon et à Baal, des palais et des tombes maçonnées. Comme beaucoup d’autres dans cette région, la ville fut ruinée par un tremblement de terre au 14ème siècle av. JC. On pourrait aussi évoquer Byblos, (Gébal), en Phénicie, les antiques cités d’Egypte, ou la légendaire ville de Troie, (Ilion), redécouverte par Schliemann sur la parole d’Homère, mais nous ne faisons pas ici un inventaire. Essayons de situer cela dans le temps et l’espace pour comprendre comment ces vieilles civilisations ont établi leurs racines.

 

Partout dans le Monde, c’était l’Âge de la pierre polie.

Il y a sept ou huit mille ans, partout dans le monde peu habité que nous avons décrit, c’était l’époque néolithique, (dite de la pierre polie). En tous lieux, les traces qui en ont été retrouvées présentent des similitudes. Nous avons des habitudes intellectuelles qui appellent des façons de penser et des images conventionnelles. Intuitivement, nous plaquons sur l’histoire imaginaire de toutes les civilisations primitives un même schéma de développement, proche de celui que j’ai décrit précédemment.

 

 Il nous mène logiquement depuis le village aux habitations circulaires semi-enterrées jusqu’aux cités fortifiées, antiques ou médiévales, puis aux gigantesques métropoles actuelles qui en sont la suite naturelle. Nous associons la présence du palais et du temple à l’existence d’une société hiérarchisée pratiquant une religion. Cette conceptualisation nous semble normale, conforme à un modèle général qui serait représentatif d’une progression typique assez uniforme de l’humanité. Reste à savoir si ces idées simples reflètent la réalité.

 

D’après les travaux des préhistoriens, la culture néolithique a diffusé dans le Monde à partir de plusieurs foyers. Le premier, bien reconnu, est le foyer mésopotamien, situé entre la Méditerranée et le Golfe persique. Les inventions nouvelles, la structuration de la société et les modifications comportementales qu’elles induisaient, ont progressé à la fois vers l’Est et vers l’Ouest en laissant des ruines et des marques dans les sols. Pour les suivre à la trace, si l’on peut dire, nous avons besoin de témoins qui aient résisté à l’usure des siècles, et par chance, nous en avons un.

 

Parmi les nouveaux outils adoptés par les néolithiques, l’une des techniques les plus novatrices est sans doute l’utilisation de la poterie cuite au feu. Sa forme et son décor sont caractéristiques de la population qui la fabrique. Les poteries sont très fragiles mais leurs fragments sont très durables. Une poterie cassée traverse les siècles sans réellement s’altérer. Les morceaux des pots cassés vont donc nous servir de traceurs pour suivre la progression des civilisations à travers le temps et l’espace. L’usage de la poterie transforme complètement l’art de vivre des utilisateurs qui peuvent dorénavant faire bouillir les viandes au lieu de les rôtir, et faire cuire à l’eau les racines et les graines. Cela signifie qu’ils accèdent à une plus grande quantité et une plus large variété de nourriture. C’est pourquoi la poterie est réellement un traceur durable, très valable pour suivre la progression civilisatrice.

 

Les hommes passèrent de la broche au chaudron.

 

Cette formulation un peu comique masque un événement tellement important que les Grecs l’avaient inscrit dans leur rituel sacrificiel. Ils cuisaient les chairs des animaux sacrifiés dans un ordre immuable, le rôtissage des pièces offertes aux Dieux précédant la cuisson dans l’eau de la nourriture destinée aux hommes. Ce signe, allant du rôti au bouilli, rappelait que l’humanité, engagée sur la voie allant du mal au meilleur, avait rôti ses viandes avant de les bouillir.

 

Le grand péché des Titans, qui mirent à mort Dionysos, fils de Zeus et de Perséphone, (Dans le mythe des Orphites), fut le sacrilège commis en inversant le rite et en faisant bouillir le corps de la victime avant de le rôtir pour le dévorer. L’inversion volontaire de la broche et du chaudron marquait une réelle volonté de dénier la valeur sacramentelle des sacrifices animaux aux Dieux, ce qui leur amena la fureur et la foudre de Zeus.

 

Des hommes, des cailloux, des bâtons, et des pots.

 

Toute l’industrie des hommes, disait un philosophe humoriste, consiste à façonner et assembler des cailloux, des bâtons et des pots. C’est encore très vrai aujourd’hui quoique les façonnages et les assemblages soient beaucoup plus sophistiqués. En ramassant, comme le petit Poucet, les restes de ces assemblages de cailloux et surtout les morceaux de poteries semés derrière eux par les hommes, nous allons pouvoir suivre la piste, non pas du peuplement, mais du cheminement spatial et temporel de cette invention civilisatrice, à travers les continents, dans les populations déjà en place.

 

Vers l’Europe et vers l’Asie, on peut distinguer plusieurs voies qui partent toutes du premier foyer, l’origine commune dont nous avons vu qu’elle était située sur la côte est de la Méditerranée, au voisinage de la Mésopotamie. Cela eut lieu 7600 ans avant JC.

 

*         Les traces de la lente pénétration des hommes en Asie sont retrouvées bien au-delà de la Mer Caspienne, mille ans plus tard. (~6500).

*         Vers l’Europe, un premier chemin conduit à une progression au Sud de la Mer Noire, en l’an ~7000, vers la Grèce en ~6500, vers le Nord de la Mer Noire et la Russie en ~6000, et plus tardivement, vers l’ouest de l’Allemagne, en ~4500, vers la Mer du Nord et  la Flandre en ~4000.

*         Un autre cheminement, relativement rapide, suit la côte méditerranéenne aboutissant à des localisations simultanées en Italie est et ouest, au sud de la France et de l’Espagne, au Portugal, et même sur la cote marocaine, tout cela vers l’année ~6000 avant notre ère.

*         Un troisième chemin semblerait s’être orienté plus tardivement au Sud, vers la vallée du Nil, occupée vers l’an ~5000. Mais l’Egypte n’avait pas attendu les Mésopotamiens.

 

Dans le même temps, c’est à dire vers ~7600 avant JC, un autre foyer, également extrêmement ancien de la culture néolithique, était apparue dans le centre du Sahara. En 1965, on a trouvé des fragments de poterie de plus de 9000 ans dans le massif montagneux de l’Ahaggar. De nombreux autres sites, explorés ensuite, dans l’Acacus ou le Tassili, ont confirmé l’ancienneté de cette culture saharienne préhistorique établie sur une superficie comparable à celle de la France actuelle. Dans ces lieux, comme dans le Proche Orient, les hommes ont franchi un stade important de leur évolution en prenant conscience qu’ils avaient le pouvoir de modifier leur environnement. Ils ont adopté des comportements nouveaux et mis au point des techniques précises qui ont transformé leurs habitudes. Parmi celles-ci, nous trouvons un art rupestre particulier démontrant l’existence de pratiques agricoles et d’élevage, et de nombreux restes de poteries y compris des grands récipients.

 

Le Sahara central était alors beaucoup moins aride qu’à présent. Une phase humide s’y était installée onze mille ans avant JC, et elle a persisté pendant 8500 ans avec une brève période très aride vers l’an ~5000.  Le climat a même été froid et très pluvieux pendant plus de 1500 ans, à partir de l’an ~7000, générant de nombreux lacs et marais. Dans les zones montagneuses, les premiers habitats néolithiques s’établissaient souvent en abris sous roche. Construits en appui sur les parois rocheuses, ils avaient une forme semi-circulaire marquée par des demi-cercles de grosses pierres sur lesquelles s’appuyaient les branchages supportant les peaux de clôture ou de couverture. Ailleurs, les huttes étaient classiquement circulaires. Comme en Europe, les sépultures étaient soignées. Elles renfermaient des corps enduits d’ocre ou de kaolin, parfois placés dans des vanneries. Les ethnies semblaient diverses.

 

Contrairement à l’art des grottes ornées européennes, l’art rupestre saharien présente la particularité de représenter des scènes assez explicites faisant largement place aux représentations humaines. Ces peintures nous apportent donc de précieux témoignages concernant les activités de ces populations. Dans le Tassili, on trouve des scènes évoquant la plantation de végétaux. D’autres peintures stylisées, très élégantes, montrent des danseurs en action. On trouve aussi des représentations de bergers conduisant des troupeaux d’ovins, de caprins, de bovins, parmi lesquelles on peut évoquer une très belle scène montrant un troupeau d’une trentaine de vaches de couleurs variées. Il faut aussi signaler les peintures dites des Têtes rondes, avec des animaux locaux, antilopes, mouflons, girafes, éléphants, et des représentations de personnages fantastiques aux allures d’extra-terrestres. 

 

Avec le retour de la sécheresse et du climat aride, les populations sahariennes s’en sont allées et leurs traces se sont perdues dans les sables du désert. On a pu cependant suivre l’expansion de leur culture dans quatre directions principales.

 

*         Vers le sud de l’Algérie, où on en remarque l’arrivée aux environs de l’an ~4500. (Néolithique de tradition capsienne).

*         Au voisinage des cotes méditerranéenne et atlantique où on la reconnaît sous l’appellation de néolithique méditerranéen.

*         En direction du Soudan, en effectuant un début de retour vers les sources possibles de l’humanité. (Néolithique saharo-soudanais).

*         Enfin, et cela est très important, on soupçonne fortement une expansion vers les sources du Nil dés l’an ~7200. Cela signifie qu’il serait possible que la civilisation de la Haute Egypte ait trouvé quelques-unes de ses sources dans la civilisation néolithique saharienne plus tôt que vers le Nord, dans celle venue de Mésopotamie.

 

En suivant les traces de la propagation des techniques nouvelles telles l’agriculture, l’élevage, ou la poterie, et des changements  comportementaux correspondants comme l’abandon progressif du nomadisme, la modification des modes d’habitat, nous avons finalement identifié au moins deux vagues distinctes et parallèles, mais il y en a d’autres, qui se sont étendues progressivement chez les anciennes populations en modifiant profondément leurs modes de vie. L’une est partie de Mésopotamie vers l’Europe et l’Asie, l’autre a rayonné à partir du centre du Sahara. Les choses ont continué à changer de façon analogue. Notre civilisation européenne actuelle est le résultat d’un long développement issu de l’influence de vagues civilisatrices successives se propageant par les mêmes chemins, souvent à partir des mêmes sources. Regardons quelle était la situation dans ces civilisations motrices, il y a cinq ou six mille ans.

 

Après la poterie, l’Homme inventa le bronze.

 

Au départ, avant l’an ~3000, les historiens et les archéologues n’ont guère identifié que deux ou trois populations qui entraient alors dans l’âge du bronze, et qui étaient donc capables de réaliser des alliages de plusieurs métaux, cuivre, étain, et zinc. Comme la poterie, cette invention technique nouvelle constitue un excellent marqueur de l’avancement dans l’évolution d’une population.

 

Il y a une grande différence entre l’usage du cuivre et celui du bronze. Le cuivre, comme l’or, se trouve occasionnellement à l’état de pépites dans la nature. Il est aussi présent dans des minerais natifs dont on peut l’extraire par une opération simple de grillage, laquelle est un chauffage moyen, au rouge. C’est un matériau extrêmement ductile qui est mis en œuvre par un façonnage facile, souvent réduit à un simple martelage. La fabrication du bronze est plus complexe. Elle nécessite la fusion des différents constituants et implique donc un niveau plus élevé de technicité. Il faut avoir mis au point des creusets, des fours, et des moules, fondre complètement les composants, et maîtriser la composition des alliages et leur métallurgie. Le bronze n’est pas très ductile. C’est un matériau dur qui résiste bien aux efforts mais qui est cassant. Le martelage ne convient donc plus pour la fabrication des objets. Il faut aussi savoir trouver, extraire et traiter les minerais correspondants, ce qui implique des travaux miniers conséquents, une connaissance géologique assez avancée, et la capacité d’atteindre des températures assez élevées. Toutes ces techniques supposent également une forme de transmission du savoir et une sorte d’école de formation des travailleurs.  

 

D’autres technologies sont aussi de bons marqueurs, parmi lesquelles on peut citer la métallurgie du fer, opération complexe qui réclame des températures élevées nécessitant le soufflage des fours, la fabrication du verre et des émaux, le tissage, etc..   

 

*         Le bronze est arrivé vers l’an ~3000 en Egypte et en Mésopotamie, vers l’an ~2500 en Grèce, vers l’an ~2000 chez les Hittites (Perse), vers l’an ~1500 chez les Celtes et les Chinois, mais seulement vers l’an zéro au Japon.

*         Le fer est arrivé vers l’an ~1200 en Egypte et en Mésopotamie, vers l’an ~1000 en Grèce et en Phénicie, vers l’an ~800 chez les Celtes et les Etrusques, vers l’an 500 chez les Celtibères et vers l’an 300 chez les Chinois.

 

D’autres civilisations se sont manifestées de façon différente. Rappelons brièvement les monuments de pierres brutes, menhirs ou dolmens, dont nous reparlerons. Ils datent également d’environ cinq mille ans et gardent tous leurs mystères. Ils sont l’œuvre de populations nombreuses et organisées, disposant de circuits commerciaux, produisant en série des poteries et des objets de pierre polie, de bronze, et même de fer. Aucun écrit ne nous est en parvenu, et ces civilisations sont entrées dans l’oubli qui avait emporté celle de Mésopotamie et celle d’Egypte avant le déchiffrement de leurs écritures.

 

Pour l’instant, nous allons nous intéresser à quelques aspects, (hélas trop restreints), de cette très vieille Egypte, dont les temples ruinés sont restés si longtemps oubliés, enfouis sous les sables. Il y a plusieurs histoires de l’Egypte. Il faut distinguer celles qu’ont contées les Grecs et les Romains, et celles des philosophes, des théologiens, ou des romantiques.

 

Nous allons nous pencher sur celle qui a surgi du passé après que l’on ait compris ses hiéroglyphes et commencé à exhumer ses sarcophages et à interroger ses témoins très souvent gigantesques. L’Egypte est née du Nil, dans le cours inférieur, les mille derniers kilomètres du plus long fleuve du Monde, puisqu’il en mesure environ six mille sept cents. Ce nom d’Egypte est un mot grec tardif. Les anciens habitants appelaient leurs pays le Pays Noir, le Kemt, tandis que ses voisins nomades le nommaient Misraïm. Au sud immédiat du Kemp se situaient la Nubie, (ancienne Ethiopie, Meroé), la région dite de Kouch, et le pays des esprits. (Soudan). 

 

Dans la préhistoire, le pays était occupé par différentes peuplades organisées en royaumes distincts réglés par des systèmes totémiques, ce qui explique peut-être l’aspect souvent zoomorphe des dieux égyptiens.

 

Au Nord, on trouvait le peuple du Cobra, autour de la ville de Bouto, et le peuple de l’Abeille, autour de la ville de Saïs.

Plus au Sud, vivait le peuple du Roseau, prés de la ville d’Henen-Nesout, (Héracléopolis), et celui du Faucon, avec les villes de Nekhen, (Hiéraconpolis), Louxor, et Thinis.

Tous ces peuples s’affrontèrent dans des luttes politiques ou des guerres religieuses jusqu’à ce qu’un roi du Sud, le légendaire Meni, ou Menès, (ou Aha le combattant), originaire de Thinis, soumette par les armes l’ensemble de l’Egypte, et en devienne le premier Roi en l’an ~3407 av.JC. Il fonda alors la première dynastie et la ville de Mennofer, (Memphis), dans le bas du delta. 

 

L’histoire de l’Egypte est véritablement très longue puisque, pendant ces trois mille quatre cents ans, trente dynasties comptant de nombreux pharaons prendront la tête du pays jusqu’à la mort de Cléopatre, en l’an ~30 av.JC, pendant la conquête romaine. Beaucoup d’événements se sont produits, invasions et conquêtes, tyrannies et révolutions, à tel point qu‘il a fallu doubler l’espace consacré à l’Egypte dans notre annexe historique. La constante en est cependant l’émergence d’une foi en la survie de l’âme.

On ne peut d’ailleurs pas comprendre le système politique et le panthéon religieux égyptien si l’on ne prend pas en compte la complexité de ses origines. En effet, chacun des peuples avait ses propres traditions, ses légitimités hiérarchiques, ses dieux locaux  et ses systèmes théogoniques originels particuliers, qui se combinent avec les dieux des autres. C’est très compliqué et très surprenant.

 

En Basse Egypte, la principale ville est Héliopolis.

Dans cette Cité du Soleil, on adore la Trinité Solaire.

  Atoum, Dieu créateur, à la fois Totalité et Néant, Soleil du Soir.

  Ré, Dieu créateur,  Soleil du Midi.

  Khépri, Dieu créateur, Devenir, Soleil du Matin, 

On révère aussi les divinités élémentaires.

  Chou, l’Air, Tefnout, l’humidité.

  Geb, la Terre. (Masculin - Homme couché)

  Nout, le Ciel étoilé. (Féminin - Femme en arc de cercle).

Dans le delta du Nil, d’autres divinités sont identifiées.

  Osiris, Dieu de la fécondité, Mort et ressuscité, Juge des morts.

  Isis, Mére, Epouse, Magicienne.

  Seth, Puissance maléfique, Dieu de la pluie et du désert.

  Nephtys, Epouse de Seth.

  Ouadjet, la Verte, la Basse-Egypte.

Dans la région des pyramides, vers Memphis.

  Ptah, Dieu créateur, artisan du Monde.

  Apis, incarne Ptah le fécondateur.

  Sekhmet, Puissance maléfique, destructeur, mort, maladies.

  Nefertoum, fils de Ptah et de Sekhmet.

En Moyenne Egypte, il y a d’autres divinités.

Autour d’Hermopolis, 

  Thôt, dieu de l’écriture, de l’intellect, et conducteur des morts.

Autour de Tell El-Armana.

  Aton, le disque solaire, seigneur du cosmos.

En Haute Egypte, région de Thèbes, Karnak, Louksor, on a un panthéon complémentaire.

  Amon, d’origine thébaine, devenu le Dieu Universel.

  Mout, l’épouse d’Amon.

  Khonsou, fils d’Amon, Dieu de la Lune.

  Horus, Fils d’Osiris et d’Isis, s’incarnant dans les pharaons.

  Anubis, Fils d’Osiris et de Nephtys, qui préside aux funérailles.

  Hathor, Le ciel, la joie, l’amour.

  Min, Dieu de la reproduction.

  Nekthbet, le symbole de la Haute Egypte.

  Et peut-être Thoueris, qui préside aux accouchements.

Il faut ajouter des divinités fondamentales d’origine inconnue.

  Maât, l’Equilibre, l’Ordre divin, l’Ordonnateur universel.

  Noun, L’ennemi de Maât, le Désordre, l’Océan des possibles.   

  Apophis, l’ennemi de Ré, le Serpent, le Chaos primordial.

 

L’étude de la cosmogonie égyptienne nous réserve quelques surprises et va nous permettre des rapprochements remarquables tant avec les idées de la cosmo physique qu’avec des concepts métaphysiques ou religieux antiques et modernes.

 

A l’origine, le Monde était informe et vide !

 

On y trouvait Noun, l’océan primordial des possibles, le chaos primordial essentiel, le lieu de toutes les potentialités. De Noun procéda Atoum, le premier dieu primordial. Créateur issu du néant chaotique auquel il retourne, il est à la fois la totalité de l’être et le non-être. Il est Tout en ce sens qu’il n’est rien en particulier. A partir d’Atoum vont naître toutes les forces naturelles et tous les autres dieux. Créateur, démiurge, architecte de l’Univers, il est un dieu solaire.

 

Monter, briller, descendre.

 

Il se manifeste aux hommes sous les trois formes associées au Soleil, Ré - Atoum - Khepri, et visualise quotidiennement la grande loi universelle. Chaque jour la barque du Soleil parcourt les cieux, et chaque soir celle d’Atoum, soleil moribond, s’enfonce dans l’océan des eaux primordiales, dans l’abîme du chaos originel dont il est issu qu’il traverse, et dont il renaît à l’aurore sous la forme de Khepri, soleil de matin revivifié et recréé, symbolisé par un scarabée, avant de monter au Zénith et d’y flamboyer, en tant que Ré dieu créateur et soleil vivifiant du midi. Ce sont les symboles du destin humain.

 

On trouve là tout à la fois le concept scientifique moderne du vide originel énergisé d’où notre univers émergea un jour par une transmutation mystérieuse, les concepts antiques d’un Dieu primordial omnipotent qui a créé le Monde à partir du Chaos et qui s’y manifeste en Trinité, et l’idée tellement importante de la résurrection et de la vie éternelle qui constitue l’apport majeur de la pensée égyptienne à l’humanité.

 

Au commencement, par sa volonté et sa propre génitalité, Atoum suscita deux élémentals primordiaux, Chou, l’Air, (de genre masculin), et Tefnout, l’Eau, l’humidité, (de genre féminin), qui se tiennent dans le cosmos. A leur tour, Chou et Teftout engendrèrent, (et non plus suscitèrent), le couple terrestre primordial, Geb, le sol, (de genre masculin), et Nout, le ciel des origines et, plus tard, la voûte céleste étoilée, (de genre féminin). Geb et Nout se tenaient toujours étroitement embrassés. Le Soleil créateur, Ré, ordonna qu’ils soient séparés. Chou, l’Air, se glissa entre le sol et le ciel, et il éleva Nout qui depuis lors se tient courbée en arc au-dessus de la terre, en formant dorénavant de son corps la voûte étoilée du ciel.

 

Cependant, la séparation de Geb et de Nout n’interrompit pas leur étreinte. De leur union naquirent quatre enfants jumeaux qui formèrent ensuite deux couples, Osiris et Isis, Seth et Nephtys, dont l’histoire mythique fonde les cultes et  tous les rites de l’Egypte.

 

Ici aussi il y a quelques remarques à faire. Il convient de noter la convention particulière qui donne le genre masculin à la terre et le genre féminin au ciel. Cela renverse les formes de représentation auxquelles nous sommes habitués. Les mythes antiques placent généralement au firmament un géniteur mâle fécondant une terre femelle aux caractères maternels évidents. La cosmogonie de l’énnéade hiéliopolitaine, que nous examinons ici, distribue différemment et subtilement les deux rôles. Dans l’iconographie égyptienne, Nout, le ciel étoilé, est souvent immense, courbée en arc, pieds et mains touchant la terre, comme la représente son hiéroglyphe. Occasionnellement, Geb, le sol, est représenté couché sur le dos, et malgré l’espace qui les sépare, il supporte très fermement Nout, d’une façon réaliste, (et plaisante), qui ne laisse place à aucune ambiguïté quant à sa vigueur génératrice. La subtilité du mythe égyptien consiste à donner à Geb, le mâle géniteur, actif par nature, ici cependant couché, un rôle passif dans la génération du Monde, tout en réservant à Nout, la mère au ventre piqué d’étoiles, essentiellement passive par nature, ici courbée au-dessus de Geb, un rôle réellement actif dans l’incitation et la production de sa propre fécondation.

 

On pense aux combinaisons chinoises du Ying et du Yang, ou à une formulation précoce des aspects complémentaires de la psyché humaine, l’anima et l’animus. Le mythe porte en lui la justification des coutumes égyptiennes d’union incestueuses des pharaons, frères et sœurs, puisqu’ils incarnent Horus, fils d’Osiris et d’Isis, et sont porteurs légitimes de la filiation divine. On y trouve aussi les idées relatives à l’antagonisme des forces créatrices et destructrices entraînant la variabilité du Monde et sa destruction finalement inexorable.     

 

Voilà, aux yeux des anciens Egyptiens, comment le Monde antique est issu du chaos primordial, comme le Cosmos moderne est issu du vide énergétique, et comment les forces naturelles, ou les dieux, ont commencé à le créer et à l’organiser. Ce Monde reste en équilibre tant qu’il se conforme aux prescriptions de Maât, l’Ordre Divin, auquel est due une stricte obéissance. Cet équilibre est toujours  précaire et temporaire. La création actuelle est incertaine et changeante car elle n’a pas épuisé les potentialités de l’Océan illimité des possibles, et l’Ordre divin reste toujours menacé par son éternel ennemi le Désordre, l’indestructible Noun, le Chaos originel.

 

Les Egyptiens croyaient plus
en la survie qu’à l’immortalité.

 

Après le mythe solaire fondamental, voulez-vous voir celui d’Osiris. Fils de Geb, (le sol terrestre), et de Nout, (la voûte céleste), Osiris, Dieu de la fécondité, devint le roi légitime de l’Egypte, le pharaon fondateur.

Après avoir proscrit l’anthropophagie, il enseigna aux hommes les techniques de l’agriculture et de l’élevage. Il fonda les premières villes. Il bâtit les premiers temples aux dieux et instaura leur culte. Il donna au peuple Egyptien ses lois et le soumis à l’ordre divin universel, (manifesté dans la divinité Maât).

 

Osiris, pharaon de droit divin, étant un dieu ne pouvait épouser qu’une déesse. Il épousa donc sa sœur Isis, l’épouse magicienne et la mère des tous les vivants. A sa suite, ses descendants, les pharaons, incarnations divines de son fils Horus, épousèrent donc leurs sœurs. Le pouvoir du Pharaons, Dieu incarné, était absolu. Toute l’Egypte lui appartenait, y compris ses habitants qui ne détenaient que les usufruits consentis. Tous les hommes étaient ses serfs et toutes les femmes étaient potentiellement ses épouses.

 

Seth, le frère jumeau d’Osiris, était stérile. Dieu maléfique de la pluie et du désert, il jalousait la royauté civilisatrice d’Osiris et voulait le punir d’avoir donné à leur commune jumelle Nephtys, sa propre épouse, un fils divin, Anubis.

 

Seth tendit un piège, fit allonger Osiris dans un coffre qu’il  referma, le faisant mourir d’asphyxie. Le coffre fût jeté dans le Nil, retrouvé et caché par Isis, et finalement repris par Seth qui démembra le corps et en fit quatorze morceaux qu’il dispersa dans toute l’Egypte.

 

Isis et sa sœur Néphrys les recherchèrent et les retrouvèrent un à un, (sauf le phallus qui, avalé par un poisson, dût être refait en bois). Isis reconstitua le corps mort d’Osiris et l’enveloppa de bandelettes. Anubis, sur l’ordre de Ré, pratiqua alors le premier rite de l’embaumement et Isis la magicienne, la mère de tous, battant des ailes au-dessus de son époux, le ramena à la vie. Elle s’unit à lui et donna plus tard naissance au premier successeur d’Osiris-Pharaon, Horus, celui qui s’incarnera dans les futurs pharaons.

 

Osiris, privé de son phallus, perdit sa royauté mais gagna l’immortalité divine. Ressuscité, il va devenir le roi des royaumes des morts et leur juge. De son coté, Seth fut vaincu par Horus qui perdit un œil dans la bataille. Seth, castré et réduit à l’impuissance, demandera son pardon et deviendra le batelier de la barque solaire de Ré, à l’avant de laquelle il repousse éternellement les tentations mortelles proposées par Apophis, le Serpent, le Chaos primordial.

 

Osiris, Dieu, fils de Dieu, sacrifié, mort et ressuscité.

 

Image terrestre de la mort et de la résurrection quotidienne du Soleil, Osiris est devenu, par sa passion et sa résurrection, le témoin et le gage de la résurrection et de l’immortalité de l’homme. Il faut cependant insister sur l’importance primordiale du rite de l’embaumement institué par Anubis. C’est ce seul rite qui garantit la survie et l’accès au royaume des morts, en assurant la conservation du véhicule corporel à travers les vicissitudes du temps. A l’origine, elle était le privilège des pharaons, qui donc seuls survivaient. Sa démocratisation ne se fit que très lentement, à travers un certain nombre de grands désordres et de révolutions.  

 

Osiris, dieu, fils de dieu, assassiné par traîtrise, mort et ressuscité, comme en d’autres temps et en d’autres lieux, Baal, Krishna, Dionysos (chez les Orphistes), et plus prés de nous Jésus, sont-ils des expressions d’un même mythe, perpétuellement répété au fil des âges, et qui porterait un même message éternel, occulte et sublime, à tous les chercheurs de bonne volonté ?

 

Nous n’allons pas explorer les nombreux autres mythes égyptiens. Bien des célébrités y ont consacré leurs vies sans en épuiser la matière. Quelques aspects méritent d’être évoqués. Ils ont marqué les civilisations ultérieures. Nous allons donc nous pencher un instant sur la façon dont les Egyptiens se reliaient eux-mêmes au cosmos, afin d’essayer de comprendre comment ils concevaient l’homme et son origine, en relation avec leur cosmogonie. Comme tous les autres êtres vivants, les hommes sont modelés sur le tour du potier divin, le Dieu Khnoum. Il n’est pas une créature d’exception dans l’univers des vivants, où il se tient parmi les dieux et les bêtes, mais sa nature complexe et consciente lui permet de se représenter les êtres et les choses. Cela lui confère sur eux un pouvoir magique qu’il exerce par des rites. Le pharaon est le seul officiant possible puisqu’il réalise en sa personne l’incarnation de la nature divine dans la forme humaine.

 

Pour définir l’être humain, les Egyptiens prenaient en compte de nombreux aspects de la personnalité. Il n’est pas facile de préciser lesquels. La bipolarisation simple corps-âme, à laquelle nous sommes traditionnellement habitués, ne convient pas, non plus que la division ésotérique ternaire corps-âme-esprit.

 

Les notions égyptiennes définissant l’individualité sont beaucoup plus subtiles.

 

*         Le corps matériel est la partie visible objective de l’individu.

*         Le caractère est responsable du comportement social et différentie les gens les uns des autres.

*         Le ba, (l’âme supérieure), l’échassier ou l’oiseau à tête humaine, est une fonction particulière aux vivants qui relie le réel et l’imaginaire, le passé et l’avenir, les dieux et les hommes, l’au-delà et l’ici-bas, et qui assure la continuité de la personnalité. C’est le ba des dieux qui descend dans  leurs images ou les animaux sacrés qui les incarnent dans les temples, et c’est son ba propre qui réactive le Soleil le matin. 

*         L'ombre, source vitale des passions, est indissociable du corps jusqu’à ce que la mort l’en sépare. Elle est parfois confondue avec le ba. La victoire sur la mort assure à la fois le retour de l’ombre et celui des autres éléments de la personnalité.

*         Le nom est un déterminant fondamental de l’être, propre aux dieux et aux hommes, puisque c’est le moyen magique qui permet de les appeler, donc d’agir sur leurs personnes, et de rappeler les morts à la vie. C’est pour cela qu’on transformait les noms pour les mettre en accord avec les comportements, et qu’on effaçait ceux des personnalités condamnées ou rejetées.

*         Le ka est le double (éthérique) de la personne, humaine ou divine, sa faculté d’accomplir les actes de la vie, sa force vitale immortelle. Il est parfois confondu avec le nom. Les rites funéraires ont pour principal objet de réactiver cette fonction.

*         L’akh est la nouvelle nature inconnue que prend l’homme après la mort, son fantôme lumineux d’ordre surnaturel.

*         Le cœur, que possèdent seulement les hommes et les dieux, est à la fois la mémoire qui évoque et l’imagination créatrice qui est mise en œuvre par la parole. Il est l’habitat du Dieu Sia, la connaissance, et celle de tout autre dieu particulier qui possède éventuellement l’individu. C’est aussi dans le cœur que l’on trouve le courage et la vie affective.

*         Le Iakhu, l’esprit sanctifié, le Sahu, le corps glorieux, et le Nom, ne meurent pas, demeurant éternellement dans Osiris.

 

Pour assurer la survie au-delà de la mort, il était nécessaire de préserver tous les éléments constitutifs de la personnalité, parmi lesquels la sauvegarde du corps tenait un rôle de premier plan. L’embaumement des cadavres était une opération très importante car la survie dépendait de la ressemblance et de l’état de conservation des corps.

 

La préparation de la momie demandait environ trois mois, à la suite desquels les funérailles officielles étaient célébrées. La momie était placée dans un ou plusieurs sarcophages fabriqués à sa ressemblance, et elle ne devait plus jamais en sortir. Elle était ensuite déposée dans un tombeau sûr, garni de tous les éléments nécessaires à la vie ordinaire, y compris les 365 statuettes des serviteurs, les répondants, qui assumaient les travaux et répondaient aux éventuelles demandes. Alors le long voyage des morts vers l’Amenti, le pays des ombres, pouvait commencer.

 

Le tribunal des morts était présidé par Osiris assisté de quarante-deux juges à corps d’hommes et têtes d’animaux. Le tribunal procédait à l’interrogatoire puis à la pesée du cœur devant les Maîtres de Justice, Horus et Anubis. Si l’âme répondait correctement aux questions rituelles, et si son cœur était assez léger, elle était admise au Paradis, parfois dans la barque solaire partageant sa course autour du Monde. Si elle était jugée coupable, elle descendait dans l’Enfer égyptien, obscur lieu de terribles châtiments et de multiples supplices, antique annonciateur de l’enfer de soufre et de feu des Chrétiens.

 

Sur les autels d’Egypte, il y avait des animaux vivants.

 

Dans son Panthéon Egyptien, Champollion commente intelligemment l’habitude qu’avaient les Egyptiens de représenter leurs dieux par des animaux, (ce qui scandalisait énormément leurs visiteurs).

 

D’après Clément d’Alexandrie, dit Champollion, les temples égyptiens, leurs portiques et les vestibules sont magnifiquement décorés... Mais si vous avancez dans le fond du temple et que vous cherchiez la statue du dieu auquel il est consacré, un pastophore ou quelque autre employé s’avance d’un air grave en chantant un paean en langue égyptienne, et soulève un peu le voile comme pour vous montrer le Dieu. Que voyez-vous alors ? Un chat, un crocodile, un serpent indigène ou quelque animal de ce genre ! Le Dieu des Egyptiens parait. C’est une bête sauvage se vautrant sur un tapis de pourpre!  Cette habitude, nous dit Champollion, paraissait aux yeux des Egyptiens, une chose bien simple et bien naturelle. Ils pensaient qu’il était contraire au bon sens et à la religion d’adresser des prières et des offrandes à une image purement matérielle de la divinité, et de la représenter dans le sanctuaire par un être complètement privé de son souffle créateur. C’est pour cela qu’ils choisirent des êtres vivants dont les qualités distinctives rappelaient indirectement celles que l’on adorait dans la divinité même Chaque dieu eut son animal sacré, qui devint ainsi son image visible dans tous les temples d’Egypte.    

 

Dans cet esprit, les dieux peuvent être représentés de différentes façons. Lorsqu’ils sont simplement anthropomorphes, ils portent en complément les attributs de leur divinité et le symbole qui leur est associé. C’est ainsi qu’Amon, ou Amon-Ra, est représenté par un personnage bleu avec une barbe mâle noire. Il est assis sur un trône  et tient dans sa main gauche un sceptre à tête d’oiseau symbolisant la bienfaisance, et dans sa main droite la croix ansée, symbole de la vie divine. Il est coiffé de la haute coiffure royale multicolore et porte un riche pectoral et des bijoux variés.

 

Mais les dieux peuvent aussi être représentés par des personnages dotés d’un corps humain et de la tête de l’animal qui leur est associé. Amon-Ra est alors doté d’une tête de bélier, (ou de plusieurs, jusqu’à six), et d’un disque solaire, les autres attributs restant inchangés. Le bélier était considéré comme un animal fort remarquable. Il était l’animal sacré de Thèbes où l’on trouve d’immenses allées bordées de sculptures monolithiques de béliers, Comme chef et conducteur de troupeau il devint le symbole de la prééminence et, pour cela, fut utilisé comme élément premier du Zodiaque.  

 

Nous avons aussi vu que le bélier vivant pouvait aussi figurer le Dieu au plus secret des temples. Rappelons que c’était le ba des dieux qui descendait dans les animaux sacrés vivants des autels.

 

A part le bélier d’Amon, les symboles animaux les plus connus sont les suivants. Le Cobra est un symbole du Dieu solaire Atoum, le Chat est la Déesse Bastet, bon génie domestique, tandis que la Chatte, (ou la Lionne), est Tefnou, déesse de Nubie.

Le Chacal ou Chien noir représente Anubis l’embaumeur, le Babouin est Hapi, génie funéraire, fils d’Horus, le Faucon surmonté du disque solaire, c’est Ré le Soleil.

L’oiseau coiffé du Pschent est Horus, le Crocodile est Sebek, allié du maléfique Seth, l’Ibis, (ou plus tardivement le Babouin), est Thot, identifié à Hermès, l’Hippopotame femelle symbolise Thoueris, la déesse de la fécondité, l’Oie figue Geb, le Sol ou la Terre, le Vautour représente Isis à la recherche d’Osiris.

Le Taureau est Apis ou  Phré, selon la couleur du disque posé entre ses cornes. Le culte d’Apis était l’un des plus anciens de l’Egypte pharaonique. Les dépouilles des taureaux qui le personnifiaient sur l’autel étaient momifiées et déposées dans d’énormes sarcophages réunis dans une étonnante nécropole souterraine particulière, le surprenant Sérapeum de Saqqarah.

 

Revenons un instant les autres expressions du génie égyptien afin de mesurer l’importance énorme des legs que cette civilisation nous préparait alors même qu’elle s’engageait dans la voie qui devait la mener à l’oubli millénaire. Parlons un peu de l’écriture, de l’art, des découvertes et des techniques des Egyptiens. Très loin dans la préhistoire, ces peuples ont utilisé la sculpture, le dessin, la peinture, et inventé les hiéroglyphes, une forme particulière d’écriture qui est restée très longtemps mystérieuse dont la signification avait été perdue.

 

Les Egyptiens utilisaient sept cents hiéroglyphes.

 

Les nombreux hiéroglyphes étaient des signes scripturaux qui avaient une double valeur d’usage. Ils pouvaient être des idéogrammes, des dessins représentant un objet concret, ou bien des phonogrammes, des dessins évoquant phonétiquement une partie d’un mot désignant une idée abstraite ou un objet concret, les déterminatifs. Les deux sont souvent combinés pour renforcer un même message. Ultérieurement, les signes phonétiques furent réduits à vingt-quatre et constituèrent un véritable alphabet. Après l’expédition de Bonaparte, leur déchiffrement par Champolion à partir de 1822 a fait sortir l’Egypte de l’oubli millénaire.

 

Les réalisations de l’art égyptien constituent certainement la source la plus importante des témoignages concernant cette civilisation. Il faudrait distinguer les objets époque par époque, ce qui prendrait tout un traité. Evoquons les poteries qui ont plus tardivement été couvertes d’émail, ce qui conduisit à la découverte du verre. Il y avait aussi des objets de pierre, des grands vases et des coupes d’une grande perfection, en granite aussi bien qu’en albâtre, des accessoires de toilette et de maquillage, palettes à fards, peignes, épingles, pendentifs d’ivoire ou d’os, des bijoux et ornements de cuivre et d’or ornés de perles et de pierres fines, et des meubles en bois et en métal, lits, chaises, fauteuils, tabourets, coffres, et quelques rares tables.

 

Les réalisations les plus spectaculaires sont aussi celles qui nous sont les plus familières. Elles sont les produits de l’architecture, et concernent les temples, solaires ou divins, les pyramides, les tombeaux des rois et des notables, les riches villas, les habitations privées, citadines et rurales, et les pauvres cités ouvrières.

 

L’architecture égyptienne comporte des éléments particuliers qui établissent son caractère propre, tels les colonnes dont les chapiteaux imitent la fleur de papyrus, la gorge dite égyptienne, les frises en forme de roseaux, les terrasses de pierres plates, les plafonds supportés par des voûtes parfois en arc brisé, et les décorations en ronde-bosse. A l’extérieur, on notera les stèles, les obélisques, les allées bordées d’alignements de statues animales, souvent de sphinx. 

 

Pour la décoration des temples et des tombeaux, les Egyptiens ont utilisé la sculpture, essentiellement en bas relief, et la peinture de scènes polychromes souvent associées à des hiéroglyphes explicatifs. Comme l’architecture, la statuaire et la peinture présentent des traits remarquables caractéristiques de cet art. Nous ne pouvons prendre connaissance que de leurs caractères généraux. Au premier abord, quoique très majestueuses, les statues peuvent nous sembler statiques.

 

Nous sommes habitués à une statuaire scénique, qui évoque un événement connu ou les actions d’un personnage célèbre, en mouvement. Il faut prendre en compte la culture différente dans laquelle s’inscrit la réalisation. La statuaire égyptienne est présentative, en ce sens qu’elle représente de face des personnages au repos, des rois majestueux ou des dieux surhumains dans une position de domination appelant des hommages.

 

Les artistes ont été contraints de se plier à une sorte de normalisation, (que nous appelons traditionnellement la loi de frontalité), qui ne leur laissait que peu de latitude de choix parmi les poses réputées acceptables pour les statues officielles. De plus, les statues s’inscrivaient dans une conception architecturale globale dont elles devaient respecter les règles générales et les grandioses lignes d’ensemble. Il faut aussi ajouter l’influence de la religion. La statue et le monument qui la recevait devaient durer le plus longtemps possible, à travers les effets du temps. Les formes tenaient compte de cette nécessité. Les visages devaient aussi être ressemblants. La survie des personnages représentés dépendait de la longue durée de l’effigie et de la précision de la ressemblance.

 

Aux yeux des réalisateurs des majestueux édifices, le talent, l’originalité ou la personnalité des artistes n’avaient aucun intérêt. Ils devaient seulement être de très bons artisans. L’intégration convenable dans l’harmonie globale  était la seule valeur. En Egypte, dit Platon, aucun artiste chargé de représenter une figure quelconque n’avait le droit d’imaginer la moindre chose contraire à la tradition.

 

L’art égyptien est utilitaire, anonyme et collectif. Pourtant, cela n’est plus vrai après la révolution amarnienne d’Akhenaton qui introduisit une nouvelle et très remarquable forme d’art.

 

Les Egyptiens utilisaient le dessin, la peinture, et le bas-relief pour décorer les monuments, les palais, les temples, et les tombeaux. Les scènes étaient narratives, décoratives, ou présentatives. Le dessin égyptien présente des particularités qui permettent de le caractériser. Il n’utilise ni la perpective ni les fonds colorés, et il place généralement de profil la plupart des figurations de personnages.

 

Les artistes représentent le corps humain en utilisant une méthode systématique. C’est pourquoi on peut même penser qu’il s’agissait souvent d’une somme de recettes techniques, ou de conventions, transmises par apprentissage à des artisans qui n’étaient pas toujours des dessinateurs avertis.

 

- La tête apparaît toujours de profil, comme le nez et la bouche, mais l’œil, renforcé d’un trait noir, est vu de face et entier. La teinte appliquée est plate, sans ombres ni nuances.

- Bizarrement, le haut du torse est vu de face, et les deux épaules sont représentées. Les torses des femmes sont également vus de face. Un seul sein est représenté, de profil, sur le coté du buste.

- Les jambes sont de profil, reliées au torse par le bassin vu de trois quarts. Un pagne facilite la transition.

- Les deux pieds, de profil, sont souvent identiques, (deux pieds gauches ou deux pieds droits selon le sens de la marche).

- Le pied de la jambe du second plan passe parfois au premier plan par un croisement conventionnel impossible et étonnant.

- Les bras sont dessinés sur toute leur longueur, quelle que soit l’attitude. Lorsque les personnages sont en action, les dessinateurs hésitent et attachent parfois les deux bras à la même épaule, ce qui est assez curieux et déforme l’image.

- Les mains sont à plat, les cinq doigts écartés. Comme pour les pieds, il y a souvent deux mains identiques, toutes deux droites ou gauches, selon les cas.

- Les hommes sont généralement colorés en ocre rouge et les femmes en ocre jaune, les vêtements sont souvent blancs, les cheveux sont noirs.

- La plupart des représentations des dieux sont colorées en bleu vif, comme en Inde, avec des vêtements et des accessoires traités dans d’autres couleurs. Les ressuscités sont colorés en vert.

 

Les dieux de l’Egypte étaient bleus
 comme ceux de l’Inde.

 

Cette façon très spéciale de dessiner les personnages se retrouve d’ailleurs loin de l’Egypte, dans des fresques sumériennes et assyriennes anciennes. Cela démontre clairement l’existence de relations très précoces entre ces civilisations. Les conventions sont les mêmes mais les personnages sont représentés en conformité avec les caractères des peuples concernés.

 

*         A Sumer, les personnages ont la tête rasée et sont vêtus d’une sorte de jupe à franges, les soldats, (en uniforme), portent un bonnet ou un casque et un long manteau.

*         En Assyrie, les soldats de peau claire portent de longues barbes frisées comme leurs cheveux, et des vêtements, ou des armures écailleuses.

*         En Egypte les personnages sont de peau brune ou ocre jaune, avec des cheveux noirs et des vêtements blancs.

 

On voit donc bien que les décorateurs de tous ces pays utilisaient un ensemble de règles rigides et précises qu’ils appliquaient systématiquement de façon parfois irrationnelle ou maladroite. Nous pourrions penser qu’à ce degré, il s’agissait presque d’une forme d’écriture et que ces conventions de dessin stylisé étaient fortement marquées par les techniques utilisées pour tracer ces autres tracés conventionnels que sont les hiéroglyphes.

 

Malgré toutes ces contraintes, appliquées très rigoureusement en Egypte, les scènes représentées sont restées extrêmement vivantes, détaillées, et très décoratives. Lorsqu’elles sont présentatives, elles nous présentent encore aujourd’hui les pharaons et les dieux dans toute leur puissance, avec leurs attributs.

 

Les scènes descriptives nous montrent tout le petit peuple qui menait sa vie quotidienne, laborieuse et attachante, à l’ombre des palais grandioses et des temples majestueux. Elles nous éclairent sur les habitudes et les mœurs des différentes époques. Elles racontent aussi l’histoire des exploits, des guerres, des victoires et des conquêtes de grands pharaons, des reines, des princes et des princesses qui les entouraient.

 

Nous y trouvons, hélas, les évocations fréquentes des tortures et des massacres rituels de prisonniers, accomplis de la main même du pharaon. Ils étaient courants à l’époque et ils ne seront suspendus, (momentanément), que sous le court règne du pacifique Akhenaton et de Néfertiti qui tentèrent d’instaurer le culte monothéiste du Dieu solaire Aton. Les prisonniers étaient toujours fort cruellement traités. Très étroitement enchaînés, ils étaient amenés devant l’autel et présentés au dieu du Soleil, puis le roi commençait lui-même le massacre, parfois au glaive, mais plus généralement à la massue ou au casse-tête. Nous gardons encore des évocations actuelles des instruments de ces meurtriers privilèges du pouvoir dans les bâtons de commandement des maréchaux et les sceptres des empereurs et des rois.  

 

Enfin, il faut absolument citer les admirables scènes décoratives de l’époque post-amarnienne, œuvres de très grands artistes. Ils ont travaillé à la décoration des tombeaux et réalisé de merveilleux chefs-d’œuvre, en particulier dans les panneaux décoratifs animaliers des tombes officielles, et même civiles privées du Moyen Empire, à partir de la révolution d’Akhenaton. 

 

Les pyramides étaient des constructions sacrilèges.

 

Il n’est pas possible de parler de l’Egypte, de ses temples, de ses palais et de ses tombeaux, sans évoquer ces monuments gigantesques et énigmatiques, que sont les Pyramides. Universellement connues, elles sont devenues le symbole du pays. L’élévation de ces pyramides semble avoir été, à l’origine, un acte sacrilège commis par le roi, en opposition à l’autorité des pontifes. Ceux-ci célébraient, dans chaque temple, le culte sacré de Ré face à un autel pyramidal caché, appelé Benben, devant lequel ils accomplissaient les sacrifices. Les pyramides royales sont des imitations publiques et ostentatoires des Benben cachés des prêtres.

 

La plus ancienne, la pyramide à degrés de Saqqarah, dans le désert proche de Memphis, date de la 2ème Dynastie. Elle aurait été élevée par le roi Djoser et son architecte Imhotep. Ses dimensions sont déjà appréciables, puisque ses terrasses successives s’élèvent jusqu’à soixante mètres de hauteur. Elle était accompagnée d’un temple à colonnades et d’une autre pyramide dédiée au Dieu. Les rois d’Egypte étaient traditionnellement enterrés dans de grands mausolées rectangulaires en terre crue, les mastabas. Imhotep innova en superposant des mastabas de pierre, de tailles décroissantes, jusqu’à constituer la première pyramide à degrés.

 

Au début de la 4ème dynastie, vers ~2750, le roi Snéfrou fit élever la première vraie pyramide, aux arêtes rectilignes. Destinée à devenir le gigantesque Benben-Tombeau du roi, elle est située dans le désert au sud-ouest de Memphis. Elle mesure deux cent dix mètres de côté pour une hauteur de quatre-vingt-dix mètres.  Les pharaons avaient pris goût aux pyramides. Ils avaient appris à les construire très solidement et leur donnèrent des tailles gigantesques. Ils en élevèrent au total soixante-neuf qui furent toutes pillées, à l’exception de celle de Khéops dont le tombeau légendaire ne fut jamais retrouvé.

 

Les descendants de Snéfrou voudront tous dépasser leur ancêtre. Son fils Khoufou, (Khéops), va faire plus grand. Il choisit un emplacement situé de l’autre coté du Nil, et y fait élever une pyramide quasiment indestructible, la plus grande de toutes. Elle mesure deux cent trente mètres de côté et cent quarante-six mètres de haut, ce qui en fait l’oeuvre la plus énorme des quarante-cinq siècles suivants, y compris  jusqu’au 19ème siècle. Khéops semble avoir été un tyran autoritaire.

 

L’historien grec Hérodote, qui fut longtemps la référence obligée relativement à l’Egypte et qui transcrivit en grec tous ces noms égyptiens, considérait que Khéops avait été très arrogant envers les dieux. Il semble que ce jugement ne portait pas sur le benben géant et sacrilège qu’était sa Pyramide mais qu’il concernait une tentative avortée du roi pour interdire les sacrifices humains. Khaf-Ré, (Khéfren pour les Grecs comme pour nous), le frère de Khéops, qui lui succède, va ruser et élever sa pyramide sur un plateau dépassant de trois mètres la base de l’autre, si bien qu’elle semble encore plus haute. C’est aussi Khéfren qui fit élever à Gizeh le grand Sphinx, image de sa puissance impitoyable. Menkaou-Ré, (Mykérinos), le fils de Khéops, a également construit sa pyramide. Elle est cependant moins élevée de moitié que celles de ses prédécesseurs. Les prêtres du Soleil d’On ont vivement réagi à ces provocations royales et ont réussi à chasser les pharaons sacrilèges. Ils s’installèrent ensuite sur le trône en fondant la dynastie des Prêtres-Pharaons. La tradition fut momentanément rétablie, et l’on recommença à construire des temples au dieu solaire, avec des benben pyramidaux à l’intérieur.

 

Les Pyramides sont à la fois les plus anciens et les plus grands édifices construits dans l’antiquité. Cela constitue le premier des nombreux mystères qui leur sont associés. Il faudrait aussi parler des tombeaux et des temples, mais nous ne sommes pas dans un traité d’égyptologie. Nous ne pouvons ici aborder superficiellement que quelques-uns des aspects remarquables de cette étonnante civilisation.

 

Akhénaton et Néfertiti, fous d’un seul Dieu.

 

Aménophis IV, ~1375/~1354, fils d’Amnophis III, épousa la princesse Néfertiti, et prit au début de son règne le nom mystique d’Akhenaton. Il engagea l’Egypte dans une extraordinaire révolution en abolissant le culte d’Amon et de tous les autres dieux secondaires. Il établit le culte exclusif d’Aton, le disque solaire resplendissant. Abandonnant la capitale traditionnelle, Thèbes, il fonda l’immense Akhet-Aton, l’Horizon du Soleil, (Tell-el-Armana). Voici par exemple le début de l’une de leurs prières.

 

Ô toi, Dieu Unique

 A coté de qui il n’en est point d’autre..

..Salut à toi, Disque du jour,

qui créas l’Homme et le fais vivre!

Faucon au plumage tacheté,

qui vint à l’existence pour s’élever lui-même,

sans avoir été engendré!

 

Affrontant eux aussi l’hostilité et la résistance des prêtres, Akhenaton et Néfertiti engagèrent l’Egypte dans un culte résolument monothéiste, prônant les valeurs de mérite individuel, de tolérance et de liberté, et pratiquant la douceur du comportement. Accessoirement cette attitude eut un grand retentissement artistique et aboutit à des formes d’expression plus naturalistes et décoratives qui donnèrent un nouvel essor à l’art égyptien. Sous ce règne d’engagement mystique et de modération, les possessions extérieures de l’Egypte tombèrent aux mains de ses ennemis.

 

Le gendre d’Akhenaton lui succéda très jeune, sous le nom de Toutankhaton. Sous l’influence du général Ay, il prit ensuite le nom de Toutankamon à la mort d’Akhénaton. Il revint alors dans la capitale thébaine et rétablit le culte officiel d’Amon, effaçant tant que faire se pouvait tous les témoignages de l’existence de son prédécesseur hérétique, y compris sur les fresques et les inscriptions des temples et des tombeaux.

Mort très jeune, Toutankamon est surtout célèbre par le trésor immense et le contenu de sa tombe trouvée inviolée par Howard Carter et Lord Carnarvon en 1922. On se demande quelles fabuleuses richesses contenaient les tombes des grands pharaons.

 

Un certain officier général.

 

En langue égyptienne, un enfant se dit mose. Ce vocable se rencontre fréquemment dans des associations comme Amon-mose, et dans des noms humains comme Ahmose, (Ahmosis), Thoutmose, (Thoutmosis), ou Remose, (Ramsès). Ce constat, joint à d’autres considérations très pertinentes tirées d’une savante exégèse de la Bible, a conduit certains auteurs à proposer de donner une origine égyptienne au Moïse des Hébreux, et d’en faire un familier du pharaon, prince ou général.

 

Sigmond Freud a vigoureusement relancé cette idée. Parmi les arguments qu’il a avancés, on trouve l’association des vocables Aton, (Egyptien), Adonis, (Syrien), et Adonaï, (Hébreu). On remarque aussi que Hébreux pratiquaient la circoncision laquelle était une coutume égyptienne, (comme l’établit Hérodote, et comme on la trouve décrite sur un bas-relief de Saqqarah).

 

Flavius Joséphe, un historien juif du 1er siècle, écrivait déjà que Moïse était un général égyptien. A la fin de la révolution amarnienne, tandis que Néfertiti allait finir tristement ses jours à Akhet-Aton après la mort d’Akhenaton, Moïse, devenu renégat, aurait alors choisi de quitter l’Egypte en emmenant quelques tribus sémites nomades qui adhéraient au culte d’Aton, ainsi qu’un groupe de fidèles égyptiens qui devinrent les Lévites, lesquels n’étaient pas réellement Hébreux. (AT - Nombres I,49).      

 

Si Moïse fut bien un Egyptien,

S’il donna aux Juifs sa propre religion,

Ce fut celle d’Akhenaton, la religion d’Aton.

 

Selon Sigmond Freud, il y aurait eu deux Moïse. Le premier, le  général égyptien, conduisit les mystiques et pacifiques tribus du Sud à la rencontre des conquérantes tribus du Nord conduites par le second, le gendre guerrier de Jethro, le prêtre hébreu du désert midianite. Sachez donc que cette thèse iconoclaste trouve aujourd’hui l’accord de très nombreux chercheurs.

 

 Le grand Alexandre.

 

Après le rétablissement du culte d’Aton par Toutankhamon, (et le départ des Hébreux et de Moïse), l’anarchie s’installa et l’empire fut partagé. C’est bientôt le début de ce que nous appelons la Basse Epoque, quoique nous évoquions actuellement des faits qui se sont déroulés il y a trois mille ans. On peut en résumer un peu l’histoire. Deux lignées de pharaons et de grands prêtres occupent alors le trône. L’empire reprend des forces et se lance à la reconquête de la Palestine, avec le pillage de Jérusalem. Puis l’anarchie se réinstalle. Sous les rois Couchites, c’est même la décadence. Les Assyriens s’en rendent rapidement compte et Assurbanipal prend la ville de Thèbes, assurant la domination assyrienne pendant plus d’un siècle.

 

On assiste ensuite à une époque de renaissance et d’expansion sous les rois Saïtes qui reprennent la Syrie et la Palestine. Un roi Saïte, Nekao, fait même creuser un canal mettant le Nil en communication avec la mer Rouge. Mais les Egyptiens sont défaits par Nabuchodonosor qui prend la Syrie et la Palestine et déporte les Juifs à Babylone. L’Egypte conserve cependant l’île de Chypre. Après la bataille de Péluse, l’Egypte est conquise par Cambyse II et passe sous la domination Perse.

 

Trois cents ans avant notre ère, un conquérant macédonien, Alexandre dit le Grand, vainc les Perses et se fait reconnaître comme le Fils d’Amon, au sanctuaire de l’oasis de Siouah. En conséquence, il devient le seul roi légitime de l’Egypte. Il fonde la ville et le port d’Alexandrie. Ses conquêtes s’étendent jusqu’aux frontières de la Chine. A sa mort, l’Egypte a déjà bien changé.

 

Un des généraux d’Alexandre, Ptolémée 1er, fait construire la célèbre bibliothèque et le musée. Il établit la dynastie tragique des Lagides, marquée par une succession ininterrompue de combats, de victoires, de défaites et d’assassinats politiques pour s’assurer le contrôle des diverses possessions d’Alexandre. Son successeur construit le fameux phare d’Alexandrie. Pendant ces alternances de prospérité et de décadence, les Romains investissent progressivement l’empire. A l’entrée de César dans Alexandrie, la merveilleuse bibliothèque est incendiée et les 700 000 manuscrits qu’elle contenait partent en fumée. La dynastie touche à sa fin. Cléopâtre, la dernière reine égyptienne, qui avait fait assassiner son frère et époux Ptolémée XII, gouverne un temps avec son fils Ptolémée XV, dit Césarion, le fils de César. Après le suicide d’Antoine, son époux, et l’assassinat de Césarion, sur l’ordre d’Octave, la reine se fait piquer par un aspic. Par la victoire d’Actium, Octave-Auguste fait passer, pour un temps, l’Egypte sous la totale domination romaine.

 

Elle eut le courage de regarder en face

son pouvoir écroulé, et, le visage calme,

elle prit bravement les serpents redoutables

 et absorba, de tout son corps, leur noir venin,

avec une intrépidité grandie par la mort

qu’elle avait choisie. (Horace).

 

Pendant la période gréco-romaine, les Lagides ont gouverné le pays avec intelligence, mais ils sont restés des étrangers. De leur volonté d’intégration sont nés des cultes syncrétiques tendant à réaliser des synthèses entre les dieux grecs et les équivalents égyptiens, ainsi que des cultes à Mystères comme en Grèce.

 

Ptolémé 1er introduisit le culte de Sérapis qui fut lié à ceux d’Apis, le Taureau solaire, et de Ptah, puis fusionna avec celui d’Osiris. On l’assimila à Hadés, Asclépios, Poséidon, Dionysos. On en fit même un Dieu suprême sous le nom de Zeus-Sérapis. Thot, l’Ibis, le Babouin, le dieu intellectuel, fut identifié au dieu latin Mercure et au dieu grec Hermès sous le nom d’Hermès Trismégiste. (Il fut aussi associé à Anubis et s’appela alors Hermanubis). Nous en reparlerons.

 

C’est une sorte de sacrilège,

 quand on prie Dieu,

de brûler de l’encens et tout le reste.

Car rien ne manque à celui qui est lui-même

toutes choses ou en qui sont toutes choses.

(Hermès Trismegiste - Corpus.Hermeticum-Asclépius).

 

L’Egypte fascinait les Romains. Beaucoup d’entre eux, même des empereurs, voudront s’égyptianiser, se prenant à ses mystères. Dés l’affaiblissement du pouvoir romain, le monothéisme emporté par Moïse revient sous la nouvelle forme du Christianisme conquérant, et concurrence les cultes établis. Des communautés s’organisent et s’affrontent et pour défendre des philosophies nouvelles. 

 

Le Phare d’Alexandrie brille encore.

 

Les traditions égyptiennes et syriennes, le Néo-Platonisme, les cultes romains importés, la Gnose, le Christianisme naissant, et divers autres courants opposent leurs vérités relatives et leurs certitudes absolues.

 

*         Basilide d’Alexandrie, (gnostique), enseigne qu’il y a trois-cent-soixante-cinq  ordres d’anges entre les hommes et Dieu

*         Carpocrate est un gnostique platonicien amoraliste qui s’oppose aux lois du Monde, création des anges déchus.

*         Valentin dit qu’un démiurge inférieur a créé le Monde et que les spirituels seuls seront libérés par Jésus pour rejoindre le Plérome.

*         Origène, gnostique orthodoxe, écrit de nombreux traités dogmatiques et ascétiques, et il établit un système du Christianisme intégrant des idées néoplatoniciennes.

*         Évagre le Pontique, ermite, s’aligne sur Origène, et voit certains de ses ouvrages condamnés et détruits.

*         Clément d’Alexandrie professe une gnose parfaite en opposition aux gnoses dites hérétiques.

*         Arius fonde l’Arianisme qui nie la consubstantialité du Père et du Fils, et rejette la Trinité Père-Fils-Esprit.

 

Les traditionalistes au pouvoir réagissent énergiquement.

 

*         L’empereur Dèce tente brutalement de rétablir les cultes romains traditionnels. On martyrise beaucoup, y compris le pauvre Origène déjà condamné par les Chrétiens pour ses idées gnostiques.

*         Les Chrétiens se réfugient dans le désert de Thébaïde, et se font anachorètes ou ermites.

*         Antoine, dit le Grand, y subit ses tentations célèbres, et fonde l’ermitisme. C’est le début du monachisme chrétien.

*         Pacôme établit l’essentiel des règles des monastères. Macaire l’Ancien est un anachorète du désert en Basse Egypte. Thaïs, courtisane égyptienne convertie, entre au monastère.

 

Après la mort de Dèce, tué par les Goths, l’Eglise revient en force. Denys d’Alexandrie succède à Origéne. Il écrit des lettres pastorales dogmatiques. Anatase réfute les doctrines ariennes.

 

Cependant, dans l’immense nécropole d’Alexandrie, décorée à la romaine, les défunts sont enterrés comme les anciens Egyptiens. On place traditionnellement sur leurs légers sarcophages des images peintes à leur ressemblance pour assurer leur survie éternelle. A la fin du 4ème siècle, l’Empire d’Occident s’écroule. Il ne subsiste que l’Empire d’Orient. L’empereur s’installe à Bysance et la fermentation des idées se poursuit.

 

*         Nestorius, hérésiarque chrétien, croyait en la séparation des deux natures dans le Christ.

*         Les Monophysistes croyaient à l’unité de nature du Christ incarné, ce qui donna naissance à l’Eglise Copte aujourd’hui toujours vivante.

*         Le Patriarcat d’Alexandrie réagit fanatiquement vers un retour à l’orthodoxie. Cyrille établit la doctrine de l’incarnation, base du dogme chrétien, et fait condamner Nestorius.

*         Théophile applique les consignes de l’empereur chrétien Théodose, et fait saccager les temples pharaoniques et marteler les inscriptions. La grande bibliothèque d’Alexandrie, partiellement reconstituée, est, de nouveau, stupidement incendiée par les Coptes. 200 000 manuscrits, une grande partie des vraies sources de l’Histoire antique, s’en vont en fumée. Les Chrétiens sont assez pyromanes. Ils semblent avoir été obsédés par l’enfer, le feu, les bûchers et les autodafés, (de livres ou d’hommes). Les livres de l’époque étaient copiés à la main, en très peu d’exemplaires. Lorsqu’ils étaient brûlés, les idées qu’ils portaient étaient détruites. Les idées mystiques de ceux qui furent condamnés par l’Eglise, comme Origène, ne nous sont généralement connues qu’au travers des textes de condamnation.

 Puis vint l’Islam.

 

En 617, l’Egypte est conquise par les Perses. Elle est libérée par Héraclius, en 629, mais son nouveau destin se prépare ailleurs. En l’année 642 de notre ère, les conquérants arabes, conduits par le général Amr, envahissent de nouveau l’Egypte. Ils la mettent sous le contrôle des califes Umayyades de Damas puis sous celui des Abbässides de Bahgdäd. Une autre histoire commence, celle de l’Egypte de Saladin. La population adopte alors progressivement la langue arabe et l’Islam, en restant relativement tolérante aux autres cultes, suffisamment pour que les Coptes aient pu survivre jusqu’à nos jours.

 

 

O mécréants ! Je n’adore pas ce que vous adorez,

Et vous n’êtes pas adorateurs de ce que j’adore,

Et je n’en suis pas à adorer ce que vous avez adoré,

Et vous n’en êtes pas à adorer ce que j’adore.

A vous votre religion, et à moi ma religion !

 

(Coran - Sourate 109)

Or le Noûs, Père de tous,

étant Vie et Lumière,

enfanta un Homme semblable à lui,

dont il s’éprit comme de son propre enfant.

Car l’Homme était très beau,

reproduisant l’image de son Père.

et Dieu lui livra toutes ses oeuvres.

 

Alors l’Homme qui avait plein pouvoir

sur le monde des mortels et les animaux sans raison,

se pencha à travers l’armature des sphères,

et il fit montre à la Nature d’en bas

de la belle forme de Dieu.

 

La Nature sourit d’amour

car elle avait vu les traits de cette forme

merveilleusement belle de l’Homme

se réflèter dans l’eau, et son ombre sur la terre

Pour lui, ayant perçu cette forme à lui semblable

présente dans la nature et reflétée dans l’eau,

il l’aima et voulut habiter là.

Ce qu’il voulut, il l’accomplit,

et il vint habiter la forme sans raison.

 Alors la Nature, ayant reçu en elle son aimé

l’enlaça toute et ils s’unirent

car ils brûlaient d’amour.

  

Et voila pourquoi, seul de tous les êtres,

l’Homme est double, mortel de par le corps,

immortel de par l’Homme essentiel.

 

(d’après Hermès Trismégiste-Le Pimandre).

 

 

C

omme des Flambeaux dans la Nuit.

 

 

 

 

Heureux ceux qui aspirent à l’Esprit,

car le royaume des cieux leur appartient.

(Sermon sur la Montagne - Béatitudes).

 

Voir son non-savoir est sagesse.

Ne pas le voir et se croire savant signifie souffrance.

(Lao-Tseu).

 

 

Certains peuples d’Orient, parmi les contemporains des anciens Egyptiens, nous sont presque familiers. Mais les gens ordinaires, comme vous et moi, ont bien du mal à s’y reconnaître dans toutes les appellations des peuples antiques qu’ils situent mal dans le flou de l’espace oriental. Les livres d’histoire entretiennent parfois cette confusion car ils magnifient généralement les conquérants qui sont souvent des destructeurs, sans assez parler des civilisateurs, ces porteurs de flambeaux qui éclairent la nuit de la connaissance. Les actions des uns et des autres ont changé le monde antique, et en ont fait le berceau du Judéo-Christianisme. Qu’avons-nous gagné ou perdu ? Je vous propose d’essayer d’y voir plus clair concernant ce qu’elles apportaient que nous avons conservé. Au récit des grandes conquêtes qui agitaient le monde antique, on peut avoir l’impression que les grandes plaines d’Asie centrale ont toujours constitué un inépuisable réservoir de barbares qui déferlaient au fil des siècles pour envahir les territoires et détruire les civilisations existantes. Il faut comprendre que les climats ont beaucoup changé entre la fin de l’ère glaciaire et l’Antiquité. La température moyenne de la planète s’est d’abord élevée de plusieurs degrés, dépassant même celle d’aujourd’hui, et puis la Terre s’est refroidie. Certaines régions, actuellement désertiques, accueillaient des masses humaines importantes qui ont cherché refuge ailleurs lorsque les conditions se sont modifiées. De leurs confrontations avec les populations déjà en place sont nées les anciennes civilisations asiatiques et indo-européennes dont nous allons un peu parler, et qui  sont les suivantes. Elles sont ci-après classées en fonction de leur période d’apparition. Celle-ci est indiquée ainsi que la désignation actuelle des territoires approximatifs qu’elles occupaient.

 

*         Les civilisations de Mésopotamie. (~3500/~3000), Irak actuel, (Sumer, Babylone), et d’Iran, Afghanistan, Pakistan (~2000).

*         La civilisation Syrio-phénicienne. (~3500/~3000), Syrie, Liban, Carthage, et Israel, Jordanie, Arabie saoudite, Yemen.

*         La civilisation Egéenne ou Grecque, (Crétoise et Achéenne).  (~3000/~2500), Crête, Grèce, Albanie, Bulgarie.

*         La civilisation Hittite. (~2500/~2000), Turquie, Anatolie.

*         La civilisation des Indes. (~2500/~1500). Inde, Birmanie, Thaïlande, Cambodge, Vietnam, et Insulinde.

*         La civilisation Chinoise. (~2500/~2000), Chine, Mongolie, Tibet, Corée, et celle des Aïnos au Japon.

*         La civilisation Etrusque et Romaine. (~ 1500/~500). Italie, Ibérie, Afrique du Nord.  

 

La civilisation Suméro-Akkadienne. Mésopotamie, Irak.

C’est probablement la plus ancienne des civilisations protohistoriques. Elle est repérée au moins quatre mille ans avant notre ère. Il convient de faire une certaine distinction entre les Sumériens dont l’origine est inconnue, et les Akkadiens de langue sémitique. Il faut aussi prendre en compte les  bouleversements politiques fréquents, et les modifications géographiques telles le recul des côtes dans la région.

 

La civilisation sumérienne semble être apparue assez soudainement, en Mésopotamie, sur un fond d’organisation pré-urbaine. Son développement est caractérisé par l’invention de l’écriture et de l’architecture. L’apparition de cette civilisation urbaine est tellement soudaine qu’on la pensa importée d’ailleurs. Mais on n’a jamais trouvé cet ailleurs nulle part. Il a bien fallu admettre qu’elle est la manifestation de la maturité d’une civilisation locale. Ici, l’utilisation de l’écriture débouche sur une organisation complexe de la société. Elle est administrée, de façon tatillonne, par un Etat monarchique et sacerdotal.

 

On sait très peu de choses sur les origines des Sumériens dont la langue n’était pas sémitique. On a même imaginé qu’ils étaient les survivants du Déluge, immense inondation dont on trouve les traces entre le Tigre et l’Euphrate. Les plus vieilles cités du monde ont été trouvées dans le pays de Sumer. El Obeïd, ~4000/~3300, semble être la plus ancienne. A Uruk, ~3300 environ, on a repéré 19 niveaux archéologiques dont 17 appartiennent à la protohistoire. On y voit l’apparition précoce de l’écriture pictographique puis cunéiforme, réalisée par pression d’un style angulaire sur des tablettes d’argile. Ces tablettes, trouvées en nombre immense, contiennent des comptes administratifs et toutes sortes de textes dont certains sont pleins d’humour.

 

Qui construit en seigneur vit en esclave,

Qui construit en esclave vit en seigneur.

(Exemple d’aphorisme sur une tablette d’argile).

 

On constate aussi la transformation progressive des villages néolithiques en véritables cités urbaines bâties en briques. Sur le site de Nippur, ~3100/2500, on voit encore les ruines de temples extrêmement précoces, dédiés à Enlil, Inanna, et Ishtar. Djemd et Nasr, ~3100/~2900, a une vocation artistique et commerciale. A Eridu, abandonnée au ~2ème millénaire, on a trouvé 18 sanctuaires superposés. Kish aurait été le siège de la royauté avant Ur.

 

Le roi de Sumer est le vicaire des dieux.

 

Il est important de noter que ces cités sont centrées sur le temple ou les ziggourats. Le palais royal est à coté du temple. La royauté est légitimée par la fonction sacerdotale du roi. La hiérarchisation de la société civile est un élément important de notre recherche, car elle est généralisée dans l’antiquité. La structuration du pouvoir est descendante. Au sommet, se trouve le dieu invisible, le Souverain Maître, unique possesseur des choses. Tous les hommes sont ses sujets. Le roi-prêtre visible est l’administrateur du royaume. Il exerce le pouvoir par délégation divine. Il n’y  a donc aucune liberté religieuse. Avec le renforcement du pouvoir impérial, cette hiérarchisation sera renforcée jusqu’à s’exercer dans le détail de la vie quotidienne.

 

A la légendaire dynastie d’Ur, ou Erech, ~2700, (Gilsamesh), succèdent les rois de Lagash et d’Umma. Vers ~2450, Sumer est englobée dans l’empire akkadien. La civilisation est ensuite partiellement détruite par l’invasion barbare des montagnards du Zagros, les Goutéens, (ou Guti), vers ~2250. Cent ans plus tard, un vassal des Goutéens, gouverneur de Lagash, (le patesi Gudéa), relance la civilisation néo-sumérienne. En ~2100, les rois reviennent à Ur puis à Issin et Larsa. Vers ~1700, Hammurabi fonde le premier grand empire de Babylone, dominant Sumer, Märi, et l’Assyrie.

 

Je t’adresse une prière,

Princesse des princesses, Déesse des déesses.

Ô Ishtar, Reine de tous les peuples,

Conductrice de l’humanité.

Tu es la lumière du Ciel et de la Terre.

Ô vaillante fille du Dieu-Lune,

Maîtresse des armes, Arbitre des batailles.

Tu tiens le sceptre et tu décides.

Ô Déesse des hommes,

tu domines le ciel et la terre,

Ô Dieu des femmes,

dont les desseins sont insondables,

Où se pose avec pitié ton regard,

Le mort revit, le malade guérit.

L’affligé est sauvé de son affliction

quand il contemple ta face.   

 

Les Sumériens ont d’abord imaginé un très large panthéon chaotique, peuplé de milliers de dieux et de déesses, ou Dingirs. Ils sont la cause et le reflet invisibles des éléments du monde visible. Plus tard, ce panthéon est organisé et rationalisé en système. On y trouve les grandes divinités typiquement sumériennes, An, Enlil, Enki, Inanna, mais aussi des divinités sémitiques comme Adad, Ishtar, Sin, Tammuz, décrites plus loin. L’eau masculine et l’eau féminine originelles engendrent un Esprit du Monde, d’où émanent le Ciel masculin, An, et la Terre féminine, Ki. Leur union produit une force spirituelle personnalisée, Enlil, l’air ou le souffle du Monde. La déesse Inanna, représentée par l’étoile du matin, symbolise la lumière et la vie, l’amour et la fécondité, l’expansion mais aussi la destruction. Comme Ishtar, l’akkadienne, elle était l’objet de cultes fervents.

 

Les divinités sumériennes anthropomorphes sont des incarnations de forces naturelles. La religion sumérienne est assez intellectuelle et mérite un peu d’attention. C’est une religion du devenir. Le Monde subit une perpétuelle transformation qui résulte du retour perpétuel de cycles dont chacun donne naissance au suivant. Le serpent est l’une des figures symbolisant cet éternel retour. Il ne faut donc pas s’étonner de le retrouver dans les figures racontant l’épopée de Gilgamesh, le roi d’Unug, (dans la version babylonienne). La conjonction de masculin et du féminin, et le changement constant sont les véritables moteurs de la vie. Les dieux et les hommes sont sujets aux coups du sort et à la mort, mais celle des dieux n’est pas définitive. Comme les Egyptiens, les Sumériens conçoivent  une survie immensément longue après la mort des hommes, et l’immortalité se situe au-delà de cette survie et sur un autre plan.

 

Les morts accèdent à l’immortalité
par vagues successives.

 

Les morts n’accèdent pas individuellement à l’immortalité. Ils progressent par vagues successives. Chacune franchit un seuil conduisant vers une nouvelle

étape de la vie, une nouvelle avancée vers un  accomplissement éternel. Cette conception surprenante, opposée à celle de la progression individuelle des âmes, est trés intéressante. Elle a pu influencer la pensée de Platon. On la retrouve chez des théoriciens modernes tel Max Heindel.

 

La civilisation akkadienne est un peu plus tardive. Elle trouve son origine chez les Amorrites ou Amorrhéens, un peuple sémitique nomade installé au ~3éme millénaire dans le désert de Syrie. Ils s’infiltrent en Mésopotamie et fondent, vers ~1700, à Babylone la dynastie d’Hammurabi et de son fils Samsu-Iluna. Ces deux empereurs nous ont laissé des codes qui régentent une société divisée en  trois classes, (maîtres, subordonnés, esclaves).

 

Les empereurs akkadiens ont codifié la société civile.

 

Le droit familial donne aux époux un statut égalitaire. Le droit commercial favorise les marchands. Le droit criminel, quant à lui, est basé sur la loi du talion, un peu aménagée.

 

Si à l’aide d’un instrument en bronze le chirurgien...

a ouvert une plaie infectieuse d’un œil et ce faisant

sauvé l’œil du patient, il aura droit à dix sicles.

Si à l’aide d’un instrument de bronze etc.

il a provoqué la perte de l’œil du patient,

il aura la main tranchée.

(Code d’Hammourabi. ~1700).

 

La religion Babylonienne reste toujours proche de la religion sumérienne. En fait, ce sont deux phases d’une même religion. Peut-être peut-on considérer que la divination et l’haruspicine deviennent alors des disciplines extrêmement codifiées et systématiques. Elles ont servi de modèles aux pratiques magiques d’autres religions antiques. (Etrusques).

 

Samsu-Iluna repousse une première invasion des montagnards du Zagros. Puis le peuple Kassite s’infiltre en Babylonie et y introduit le cheval et le char de guerre. Après ~1530, son roi Agoum II règne à Babylone. Ils sont assimilés et leur dynastie est abattue en ~1160 par les Elamites qui annexent le pays. Malgré certains succès momentanés, les Elamites furent dominés par Sumer et Akkad. Leur panthéon propose Gal (Grand Dieu), Inshushinak (Seigneur de Suze), Nahhunté (Dieu-Soleil), Simut (Messager des dieux), Hupman, Hutran, Pinikir (Déesse pastorale), Adad (Dieu de l’orage), Naana (Dieu-Lune), ainsi que les thèmes rémanents du serpent et du lion. Une grande déesse apparaît vers le second millénaire, Kiri-risha, (l’Unique Grande), épouse de Gal.

 

L’histoire de la Mésopotamie reste mouvementée. Au début de l’âge du fer, elle connaît des invasions hittites puis kassites. Vers l’an ~1200, Nabuchodonosor chasse les Elamites de la Babylonie. L’Assyrie, très puissante, soumet à tribut toutes les villes d’Asie Mineure. Puis les Araméens et les montagnards du Zagros disloquent l’empire. Vers ~1000, cependant, les conquêtes assyriennes reprennent. Un vaste nouvel empire est fondé qui s’étend du Golfe Persique aux confins de l’Egypte. Assournasirpal II fonde une magnifique capitale à Calach, (Nimroud).

 

Sargon II fonde sa capitale à Dour-Sharroukin, vers ~800. Son fils Sennacherib détruit Babylone et conquiert l’Egypte. Assourbanipal règne sur un immense empire qui va du Nil au Caucase. Vers ~700, les Chaldéens et les Mèdes envahissent l’Assyrie et détruisent Ninive. l’Empire néo-Babylonnien est fondé. Assarhadon, fils de Sennacherib, reconstruit Babylone.

 

En ~600, Nabuchodonosor II s’empare de Jérusalem et déporte les Juifs à Babylone. Il y construit un temple à Mardouk et une très haute Ziggourat, la Tour de Babel, qui voulait atteindre le ciel. Sémiramis y établit les Jardins suspendus de Babylone, l’une des sept merveilles du monde antique. Nabounaïd reconstruit la ziggourat d’Our-Nammou. En ~500, Cyrus le Grand, le roi perse qui avait conquis un empire immense, libère les Juifs en s’emparant à son tour de Babylone. Elle devient la capitale de l’empire des Achéménides. Darios et Xerxés détruisent la ville en réprimant des révoltes religieuses. Alexandre le Grand la conquiert en ~331. Il en fait aussi sa capitale, mais il meurt avant d’en avoir achevé la reconstruction.

 

La civilisation de l’Iran antique. Perse, Afghanistan, Pakistan.

L’Iran antique du second millénaire est pastoral, culturellement plus proche de l’Inde que de la Mésopotamie urbanisée. Un peu tardivement, vers ~700, la contrée que nous appelons l’Iran, le Ayryana Vaejö, ou berceau des Aryens, est envahie par des peuples indo-européens nomades ou semi-nomades, les Parsu, apparentés aux Scythes.

 

L’histoire et la philosophie de la Perse, la Parsua, seront ensuite marquées par la figure de Zoroastre, Zartust ou Zarathustra, qui aurait vécu en Afghanistan avant la formation de l’empire achéménide. Il enseignait que trois voies s’ouvrent à qui recherche l’éternelle béatitude.

*         La première est celle de l’absorption de la liqueur sacrée, source de vie éternelle, le haoma divinisé, (le soma indien).     

*         La seconde est celle de la sagesse enseignée par les upanisads.

*         La troisième, qu’il prêche, est celle de l’adhésion à la Justesse et à la Vérité, manifestée en pensées, en paroles, et en actes. En choisissant la Justesse, on refuse l’Erreur. A la Bonne pensée s’oppose la Mauvaise, à l’Esprit Saint s’oppose le Destructeur, et ainsi de suite. L’existence actuelle est régie par des couples opposés d’entités qui se sont substitués à la hiérarchie divine originelle. Il convient donc de la reconstruire.

 

L’Iran pré-achéménide reconnaissait un panthéon composite, inspiré par la proximité sumérienne, par les traditions des Scythes, des Mèdes, et influencé par le dualisme indien, (Varuna et Mithra). On y trouve un conflit latent entre les deva, du jour et du ciel, et les asura, de l’enfer et de la nuit. La doctrine de Zoroastre rejette Mithra et détruit cette construction naturaliste hétéroclite. Elle coupe radicalement l’univers en deux sur le seul plan métaphysique, tout en réunissant cependant synthétiquement ses parties dans l’unique Ahura Mazda.

 

Zoroastre sépare radicalement la Justesse et l’Erreur.

 

Ahura Mazda, l’unique Créateur,  le Bœuf, ou le Seigneur Sage, a engendré un Esprit double qui se manifeste sous deux formes jumelles librement choisies, Asa le lumineux, la Justesse, (ou Justice, ou Vérité), et Druj l’obscur, l’Erreur, (ou Mensonge, ou Tromperie). Ils deviendront ultérieurement les jumeaux Ohrmazd et Ahriman, la lumière d’en haut et les ténèbres d’en bas. Dans le dualisme iranien naissant, on distingue déjà radicalement les bons, les asavan, et les méchants, les dregvan. L’homme bon doit reconstruire son unité originelle pour retourner dans l’unique Ahura Mazda. La doctrine zoroastrienne prépare déjà l’évolution de la pensée religieuse vers un dualisme radical qui trouvera son apogée mille ans plus tard avec Mani.

 

Vers ~550, un petit roi local, Cyrus II, se révolte contre les Mèdes qui occupaient son pays, et devient Cyrus le Grand. Il fonde la dynastie perse des Achéménides. Il conquiert le plus vaste empire de l’Antiquité. Son fils Cambyse II fait la conquête de l’Egypte, et ne s’arrête qu’aux portes de Carthage. Avec 40 millions d’habitants, l’empire perse atteint son apogée sous le règne de Darios 1er, le Roi des rois. Il s’étend de l’Indus à la Méditerranée, et comprend entre autres, la Syrio-Palestine, la Thrace, la Lydie, la Phrygie, le Cappadoce, l’Arabie du Nord, l’Egypte, et les cités grecques d’Asie Mineure (Guerres médiques - Marathon). Darios fait construire la capitale de Persépolis. L’empire est divisé en satrapies. Le pouvoir civil y est séparé du pouvoir militaire. La société reste partagée en trois classes, symbolisées par trois couleurs, le blanc pour les prêtres, le rouge pour les guerriers, et le bleu fonçé pour les éleveurs. Chaque peuple peut conserver ses dieux propres.

 

Le régime est tolérant mais la religion officielle est le Mazdéisme. Il y a aussi d’autres dieux tels Mithra, Sraosa, Rasnu, sur lesquels nous ne nous étendrons pas. La religion mazdéenne est une évolution de la religion fondée par Zarathustra. Elle repose sur le culte de la Lumière, terrestre et solaire, qui forme le très beau corps de Dieu. Les prêtres d’Ahura Mazda sont les Mages qu’on retrouvera autour de la crèche chrétienne. A ce stade, la question de l’origine des entités rivales, Ohrmazd et Ahriman, est passée sous silence. L’homme est un enjeu dans leur duel éternel. C’est pour vaincre définitivement Ahriman, la Ténèbre d’en bas, qu’Ohrmazd, la Lumière d’en haut, crée le monde dans le temps et l’espace.

 

Cette création est fondamentalement spirituelle.

La matière n’est qu’un état second.

 

Après la création des Bienfaisants immortels, le monde matériel est créé en six stades, ou saisons, le ciel, l’eau, la terre, les plantes, le Bœuf premier-né, le premier homme (Gayömart). A chaque acte d’Ohrmazd correspond une création d’Ahriman avec laquelle il attaque la création d’Ohrmazd et la dégrade.

 

Cependant la Fravasis de chaque homme est libre.

 

Elle peut choisir de demeurer éternellement à l’état spirituel ou de s’incarner ici-bas pour participer au combat divin. C’est par ce choix  radical que l’homme devient mortel. Le destin complet du monde s’accomplit en quatre périodes ou millénaires. Le millénaire de Zartust (Zarathustra), commence avec l’histoire que nous connaissons. Le millénaire d’Usetar, son premier fils, finira par l’hiver de Malkus, mythe analogue à celui du déluge. Le millénaire d’Usetarmah, second fils, se terminera en catastrophe. Le millénaire de Sösyans, troisième fils, sera celui du sauvetage des hommes et de leur retour aux origines, et de la fin des temps. Gayomart, le premier homme, premier sauvé, ressuscitera le premier. Puis tous les autres hommes seront jugés par Isatvastar, fils de Zartust. Ils subiront éternellement sur eux-mêmes toutes les conséquences de leurs actes, tandis qu’Ahriman, vaincu, retournera éternellement dans sa Ténèbre. Faut-il ici pointer du doigt les héritages du Mazdéisme passés dans la tradition chrétienne du salut et de la résurrection et dans l’imagerie populaire de l’enfer et du jugement dernier ? 

 

Ensuite Xerxès succède à Darios et il est vaincu par les Grecs. Alexandre le Grand s’empare de l’empire en ~331, fondant la dynastie des Séleucides. Puis les Parthes fondent celle des Arsadines. En 224 (ap.JC), c’est la nouvelle dynastie des Sassanides. Elle donne à la Perse un très grand rayonnement malgré les attaques des Huns,  jusqu’à l’arrivée des Arabes, en 637. Le pays sera alors islamisé et intégré à l’empire omeyyade.

Manès, ou Mani, naît en Perse où il prêche sa doctrine à partir de 240, précisément pendant la période qui nous intéresse particulièrement. Le manichéisme est une religion syncrétique à vocation universelle. Elle est inspirée des mythologies mazdéennes, juives, chrétiennes, et bouddhistes, mais c’est surtout une religion gnostique qui affirme un dualisme radical. Dieu est double, à la fois Lumière bonne et Ténèbres mauvaises.

Dans le monde actuel, les deux principes s’affrontent. Au cours du combat, des parcelles spirituelles de Lumière sont tombées dans les Ténèbres, dans l’état insupportable du corps matériel. Se ressouvenant de leur origine, elles cherchent à se libérer. A partir de cette ressouvenance, les hommes doivent travailler à se connaître mieux, à reconnaître en eux-mêmes leur âme de lumière immortelle, cette partie consubstantielle à Dieu.

 

Le salut procède de cette connaissance.

 

Pour aider les hommes dans leur quête de salut, Dieu leur envoie des prophètes comme Zoroastre, Bouddha, et Jésus, le dernier étant Mani. Celui-ci fut martyrisé et mis à mort par Bahram 1er et ses successeurs subirent le même sort.

 

Le manichéisme connut des persécutions diverses, multiples et impitoyables, autant en Occident qu’en Orient. Il exigeait une morale élevée et une vie austère, avec végétarisme, jeunes, et abstinences diverses, mais il se répandit pourtant très largement, jusqu’en Chine, en Occident, et en Afrique du Nord. La religion persista très longtemps, jusqu’au 14ème siècle, et trouva des prolongements dans divers mouvements tels celui des Bogomiles hongrois, (et probablement celui des Cathares français).

 

A partir de 1055, les Turcs, puis les Mongols, puis Tamerlan, envahissent la Perse qui reste assez souvent sous domination religieuse étrangère sévère. Au 19ème siècle, la Russie, la France, et l’Angleterre influencent la politique locale. En 1925, avec l’aide occidentale, Riza chah fonde la dynastie des Pahlevi, et la Perse moderne devient l’Iran.

 

La civilisation syrio-phénicienne, punique, et israélite.

Syrie, Liban, Israël, Jordanie, Arabie saoudite, Yemen, Carthage. Malgré les importantes variations climatiques associées à la fin de la dernière glaciation, les rivages de l’Est de la Méditerranée sont restés fertiles et accueillants. Depuis la plus haute antiquité, de nombreux peuples les ont habités. Ils ont constitué plusieurs groupes mélés que nous allons avoir quelques difficultés à identifier. L’archéologue français Cl. Schaeffer y a recherché les traces des anciennes cités, dont Ougarit, (Ras Shamra), qu’il a découverte en 1929, en Phénicie (ou Syrie du Nord). Elle est apparue au Néolithique et a été détruite 1200 ans avant notre ère. On peut aussi évoquer les noms de Arvad, Byblos, Béryte (Beyrouth), Sidon, Tyr. Commençons donc par la vieille civilisation syrio-phénicienne qu’il ne faut pas confondre avec celle des Assyriens. Les mythes de sa cosmogonie ont été révisés au fil du temps. Ils restent globalement fort importants car ils ont marqué profondément les origines notoirement sémitiques de notre culture actuelle. On y constate souvent des emprunts aux cultures proches.

 

A l’origine du Monde, les Syrio-Phéniciens placent un couple divin liquide formé de la déesse-mère Thiamat et du dieu Apsou. Thiamat personnifie le chaos et les eaux agitées de l’océan primordial. Apsou représente les calmes eaux douces souterraines.

 

Au second jour, nous dit notre propre Bible, Dieu dit.

« Qu’il y ait une séparation entre les eaux

et qu’elle sépare les eaux d’avec les eaux ».

Et Dieu fit l’étendue,

et il sépara les eaux qui sont au-dessous de l’étendue

d’avec les eaux qui sont en dessus de l’étendue.

Et il en fut ainsi.

 

De la conjonction de Thiamat et d’Apsou naissent dix générations successives et imparfaites de couples divins. Ensuite seulement, apparaît An, le Dieu-ciel, le grand fondateur des dynasties divines. Enlil, l’un de ses nombreux enfants, devient El, (le Dieu-Roi). Entouré d’une cour prestigieuse, il est le grand souverain. Il s’unit à la déesse Ninlil et engendre Enki, (le Sage), Nergal, (le dieu des morts et des enfers), Nanna ou Sîn, (le Dieu-Lune), Mardouk, et beaucoup d’autres. Sîn s’unit à Ningal et engendre Innana ou Ishtar, (la célèbre déesse de l’amour et de la volupté), ainsi que Outou ou Shamash, (le dieu du Soleil et de la justice).

 

Les dieux syrio-phéniciens sont vénérés dans des sanctuaires qui sont leurs palais ici bas. On y pourvoit à tous leurs besoins à travers les soins rendus à leurs statues. Elles doivent être habillées et nourries sur Terre de la façon dont les dieux véritables sont traités dans leur domaine divin. Parmi les dieux empruntés aux Babyloniens, il convient ici d’en distinguer deux, Enki (le Sage) et Mardouk (autre fils d’El), qui sont les seuls à se préoccuper vraiment des hommes. Les autres n’interviennent que pour les exploiter, les punir, ou en réduire le nombre. Pour cela, la déesse Ereshkigal envoie périodiquement son serviteur Namtar dans le Monde pour y répandre les soixante maladies.


 Ces dieux qui font aussi le malheur des hommes
 sont beaucoup plus craints qu’aimés.

 

Le Dieu-Roi El est secondé dans sa tâche par son fils, Marduk, et par diverses castes d’assistants hiérarchisés dont les moins favorisés, les Igigis, travaillent pour nourrir les grands dieux, les Announakis, et faire fonctionner matériellement le Monde. Fatigués, les Igigis cessent le travail. Enki intervient pour les faire remplacer dans cette tâche ingrate. Les hommes sont fabriqués, et moulés dans de l’argile humectée de la salive des dieux.

 

Pour les animer un dieu est broyé dans la pâte,

ce qui transmet à l’homme une parcelle divine.

 

La suite nous est bien connue. Les hommes deviennent trop nombreux et leur turbulence trouble le repos des dieux. Enki leur envoie alors épidémies, sécheresse et famine. Cela ne suffit pas à calmer les nuisances de l’humanité malfaisante. Enlil, irrité, envoie enfin les eaux qui envahissent la Terre. Enki intervient encore, mais ne peut sauver que le seul sage Atrahasis, ou Ziusdra, qui est placé dans un bateau, une arche, avec un couple de chacun des animaux. C’est le vieux mythe du Déluge. Il ne faut pas s’étonner de retrouver des traditions identiques chez des peuples qui occupaient des territoires alors très voisins et qui puisaient leurs mythes dans le même fonds commun. 

 

Après que le déluge eut inondé les terres,

pendant sept jours et sept nuits,

et que le grand bateau eut été secoué

par les tempêtes et les énormes vagues,

Outou, le dieu qui répand la lumière

dans le ciel et sur la terre, apparut..

(Tablette akkadienne en terre cuite)

 

Il y a ici d’autres racines et d’autres peuples. Les traces d’un antique royaume amorrite apparaissent avec la découverte des archives royales dans les ruines de Märi. Les inscriptions cunéiformes, rédigées en akkadien, sont datables du milieu du ~3ème millénaire. Les Amorrhéens sont à l’origine de la grandeur de Babylone. Ce peuple sémitique nomade était installé  en Syrie, dans une région devenue aujourd’hui désertique. En plus du panthéon akkadien typique, on trouve à Märi les noms de divinités plus spécifiques comme la déesse ‘Anat, (Ashtart, Astarté), Addou, (Hadad, Ba’al, terrible grand maître, dieu de l’orage), Dagan, (dieu des Philistins, le Dagon de la Bible), Hawran, (dieu guérisseur), Yarakk, (dieu-lune), Reshep, (vaillant combattant), et Yam, (prince irascible de la mer), Salim, etc..

 

La religion amorrite faisait grand cas

des paroles extatiques prononcées par les prophètes.

 

Ultérieurement, les Hébreux puis l’Islam adopteront cette position à l’égard des paroles inspirées par les dieux. Ceux-ci sont les alliés des hommes auxquels ils dispensent la vitalité et la puissance victorieuse dans la guerre. Il semble que les temples amorrites contenaient des bétyles ou pierres dressées. Certaines des divinités ont été adoptées par les Egyptiens à l’occasion de diverses confrontations dont l’invasion des Hyksos au ~27ème siécle. Nous avons vu que ce fut le cas du rival d’Osiris, Seth-Oussit, (assimilé à Ba’al, le dieu de Byblos, le jeune taureau, puissance de la tempête), de Reshep, et de la triade Qadesh-’Anat-Astarté.    

 

Le cycle du combat victorieux de Ba’al, assisté d’Astarté, contre le dieu de la mer Yam, décrit la lutte du bien contre le mal, du principe bienfaisant contre le principe de désordre et de mort. Le grand dieu El arbitre le combat. Grâce aux massues forgées par Kouthar, le dieu-artisan, Ba’al, fils de Dagan, sauve l’univers du définitif retour au chaos qui avait été accepté par les fils d’El. Mais Ba’al doit ensuite accepter la loi de Mot,  (personnification de la Mort), et il meurt. Aidé par la déesse-soleil Shapshou, ‘Anat retrouve le cadavre de son frère et le porte sur le Mont Saphon. Le grand El ayant finalement pris parti contre le dieu de la mort, ‘Anat-Astarté, (la féconde), peut s’attaquer à Mot et le détruire.

 

Après avoir sauvé le Monde, Ba’al, fils du dieu Dagon,

ressuscite et retrouve son royaume.  

 

En ce qui concerne d’autres peuples voisins des Hébreux, tels les Edomites, les Ammonites, les Moabites, dont nous trouvons des mentions dans la Bible, force est de constater que nous ne savons pratiquement rien. Outre sa présence évoquée en Egypte, le culte de Ba’al du Saphon est constaté dans certaines zones d’expansion phéniciennes, comme à Tyr en ~675, où on le trouve mêlé à des cultes égyptiens, au Liban, à Chypre, et à Carthage, au ~3éme siècle, où il a été hellénisé sous le nom de Zeus Kasios. Dans leur expansion vers l’Ouest, les Phéniciens ont progressivement installé des comptoirs puis  des colonies sur les rivages méditerranéens, Malte, Sardaigne, Sicile, Baléares, Espagne, Afrique, etc..

La colonie plus importante était Carthage, fondée vers ~1100 en Afrique du Nord. Ici, le couple suprême est constitué de la déesse Tanit et du dieu Ba’al Hammon, protecteurs de la cité. Ils ne se confondent cependant pas avec les divinités phéniciennes. Au fil des âges, la ville devient le principal adversaire des Grecs et des Romains. Hannibal parvient aux portes de Rome après avoir traversé les Alpes avec ses éléphants. Caton profère ses imprécations, Carthago delenda est, et finalement les Romains détruisent la ville après la troisième guerre punique.

 

Dans tous les lieux où la religion phénicienne s’était propagée,  l’usage des sacrifices humains paraît historiquement assez bien établi,  au moins jusqu’à ce que se soient généralisés les sacrifices d’animaux de substitution. Il s’agissait généralement de sacrifices de rachat. Des auteurs prétendent que des sacrifices d’enfants, ou molk, étaient pratiqués, en particulier à Carthage. Cinq cents enfants de familles nobles auraient été sacrifiés à Ba’al Hammon (Cronos), en ~310 lorsque la ville fut menacée par les Grecs de Sicile. De jeunes esclaves étaient parfois substitués aux fils de familles. Dans la Bible, on retrouve ces traditions sémitiques de rachat par le sacrifice du premier-né chez les Moabites et même chez les Hébreux. (Le fils du roi de Moab, II Rois 3, 27 - Isaac, Genèse 22,2 - La fille de Jephté, Juges 11, 39).

 

Les anciens documents araméens semblent montrer que tous les cultes sémitiques de l’intérieur étaient proches de ceux des provinces côtières. Les religions oubliées du Nord de la péninsule arabique ne nous ont guère connues qu’à travers les condamnations ultérieures du Coran et quelques affirmations d’Hérodote. Elles semblent proches de celles de Mésopotamie. La civilisation des Arabes du Sud, du royaume de Saba, l’Arabie Heureuse, a duré mille ans, du ~5ème au +6ème siècle.

 

La religion d’Israël présente le caractère particulier d’être connue à travers le recueil de traditions qu’est la Bible. Sa rédaction s’est étalée sur prés d’un millénaire mais il existe très peu d’éléments  extérieurs qui en permettraient le contrôle, sauf quelques rares documents grecs, assyriens, néo-babyloniens, ou égyptiens. La Bible prétend faire remonter l’histoire d’Israël au niveau du second millénaire. Elle contient pourtant des anachronismes qui permettent de douter de cette affirmation. Certaines fouilles archéologiques montrent pourtant une relative véracité concernant une partie des relations historiques. Les trouvailles montrent que le paganisme survivait en parallèle avec le monothéisme. La Bible en contient également des témoignages, (Veau d’or, Exode 32, 4). Il est certain que cette religion a subi beaucoup d’influences extérieures car c’était la situation de l’ensemble des cultures de cette zone du monde antique, mais elle comporte cependant certains particularisme fondamentaux.

 

A l’origine, les autels des lointains ancêtres des Hébreux sont des pierres brutes dressées, des bétyles. Le culte est très simple. En tout lieu désigné par une vision, les patriarches accomplissent eux-mêmes un sacrifice, (parfois un holocauste ou combustion complète d’une victime mâle). Il n’y a ni prêtre ni sacrificateur. Ce n’est qu’après la sortie d’Egypte que le dieu YHWH se révèle à Moïse comme un souverain puissant qui fait alliance avec Israël, son peuple élu, au Mont Sinaï.

 

Les sacrifices et les coutumes
 que Moïse établit étaient
 entièrement différents
 de ceux des autres nations.

(Hécatée d’Abdère, ~3ème siécle).    

 

*         La religion repose sur l’affirmation de l’identité particulière de la nation d’Israël, (dont nous savons qu’elle n’a pas de place ancienne dans l’Histoire). Son dieu n’est pas une entité métaphysique. C’est un dieu vivant qui se tient présent au sein de la communauté, au coeur même de l’Arche d’Alliance.

*         L’alliance consentie par Dieu constitue un élément fondamental de la religion hébraïque. Elle est l’expression religieuse de la souveraineté nationale. En se plaçant par cette alliance, et en tant que peuple choisi (donc supérieur aux autres), sous l’autorité d’un dieu souverain, les Hébreux affirment leur indépendance et se soustraient à l’autorité des rois terrestres.

*         Un autre fondement est le Décalogue, la Loi dictée par le suzerain YHWH à ses vassaux. Israël ne peut servir qu’un dieu. L’obéissance à YHWH est obligatoire et la loi concerne les rites et tous les domaines de la vie sociale. Parmi ces obligations incontournables, il faut signaler la circoncision des jeunes garçons, un rite de passage par ailleurs assez répandue chez les autres sémites, et le sabbat, repos hebdomadaire rigoureux dont la rupture est très sévèrement punie.

 

Moi, YHWH ton dieu, je suis un dieu jaloux !

 

D’autres obligations et croyances diverses existent. Les codes sacerdotaux énoncent des tabous qui interdisent, par exemple, certains mélanges binaires, (laine et lin), et certaines nourritures impures, (porc, reptiles, chameau). Les Hébreux croient aux démons et mettent à mort les sorciers, (Exode, 22, 18). Ils pratiquent la divination. La nécromancie est interdite ce qui montre qu’ils croient aussi en une survie larvaire après la mort dans le monde souterrain du shéol. La tradition religieuse comporte divers sacrifices. Le donateur immole lui-même la victime. Le sang et la graisse sont la part de YHWH. Le prêtre répand le sang sur l’autel et y brûle la graisse. On trouve dans la Bible quelques cas de sacrifices humains rituels déjà cités, (Isaac, et la fille de Jephté), mais le Code de l’Alliance semblait initialement prescrire de donner à Dieu le premier fils dont le rachat fut ensuite autorisé. La Bible évoque aussi de très nombreux massacres d’ennemis de tous âges et de tous sexes. Ils  sont globalement dévoués à Dieu, et passés au fil de l’épée, devenant ainsi les victimes sacrificielles d’un atroce rituel, tout à la fois religieux et guerrier  (Deutéronome 7, 2 - Idem 7, 16 et +).

 

Israël finit par se donner des rois et par construire des temples. L’avènement de David, vers l’an ~1000, marque le début de l’Israël historique. Jérusalem devient la capitale. Israël attaque les états voisins, Moab, Aram, Edom, et atteint la Mer Rouge, ce qui lui ouvre enfin les voies maritimes vers l’Orient, l’Arabie et l’Afrique, ainsi que l’accès aux mines de cuivre du Sinaï et à la richesse. La civilisation s’épanouit sous Salomon. Il est un véritable empereur et construit le somptueux temple de Jérusalem.

 

Les Hébreux reconnaissent alors YHWH comme le véritable Ba’al, le seigneur des hommes, ou El, le Très Haut, la puissance qui a créé l’univers. Comme chez les Phéniciens, et à l’image des des rois de ce monde, le Dieu-Roi est entouré d’une cour céleste hiérarchisée, de chérubins, de séraphins, d’anges ou d’envoyés, appelées les Fils de Dieu, (dont Satan et tous les dieux des autres peuples), et de saints. Ils forment son Grand Conseil et chantent éternellement ses louanges.

Mais le monde change. Les Mèdes s’emparent d’Assur. Ninive est conquise et l’Egypte attaque Babylone. Josias est tué en venant au secours des Assyriens. Les Egyptiens contrôlent Juda. Nabuchodonosor écrase les Egyptiens en ~609, puis est battu en ~601. Joiaquim croit pouvoir échapper aux Assyriens. En ~597, Nabuchodonosor s’empare de Jérusalem et emmène les Juifs en captivité à Babylone. Après cent ans, ils seront libérés (par Darius, et non par Cyrus), et leur religion va évoluer.

 

La civilisation égéenne. Crête, Grèce, Albanie, Bulgarie.

L’occupation des environs de la mer Egée débute six mille ans avant notre ère, au Néolithique. La civilisation égéenne est d’abord repérable en Crête, où l’on constate l’influence de l’Asie Mineure. On y trouve les traces d’un culte de la Terre-Mère. l’âge du bronze débute deux mille ans plus tard. Les Pélasges envahissent le pays et y introduisent la vigne, l’olivier, la charrue, et la céramique vernissée.

 

Il y a quatre mille ans, on a affaire à la Civilisation dite des Cyclades et de la Crète, qui est marquée par des relations avec Troie, Chypre et l’Egypte. En Crête, c’est alors la Civilisation Minoenne. La dynastie des Minos nous a laissé les ruines du Palais de Cnossos. Puis ce sont les invasions des Ioniens et l’arrivée des Achéens, (Hellènes). A l’âge du bronze récent, cinq cents ans plus tard, débute la Civilisation Mycénienne. (Mythe d’Idomée). Elle fonde les cités de Mycènes, Argos, Tirynthe, Sicyone, Corinthe, Athènes, Thèbes, Orchomène. Il nous en reste les enceintes cyclopéennes de Mycènes et de Tyrinthe.

 

Les Mycéniens connaissent l’écriture. Ils pratiquent le commerce lointain et lancent des expéditions maritimes jusqu’en Grande Bretagne. La région compte de nombreux petits royaumes, souvent en lutte contre les envahisseurs, ou les uns avec les autres, comme dans l’épisode de la célèbre guerre de Troie qui dut avoir lieu à ce moment. Les Grecs colonisent beaucoup et rencontrent les civilisations voisines des Hittites ou des Phrygiens dans l’Anatolie voisine.

 

Le Panthéon grec se forme alors par syncrétisme, associant progressivement les antiques cultes de la Terre-mère et ceux des dieux mâles, ouraniens et fulgurants, des Indo-européens. Le patriarcat divin triomphe alors, mais les déesses restent cependant importantes tout en spécialisant leurs fonctions.

 

La période est marquée par de nombreuses guerres intestines, mais aussi par l’invention humanitaire de l’esclavage et sa généralisation. Dorénavant, les vaincus ne sont plus systématiquement massacrés mais contraints à la servitude. Vers l’an ~1100, le Moyen-âge Hellénique commence par une invasion dorienne. Elle provoque un grave recul économique et culturel. Au début de l’âge de fer, une renaissance se manifeste par l’usage de l’écriture alphabétique. C’est probablement à cette époque, vers ~850, qu’Homère écrivit l’Illiade et l’Odyssée.

 

La civilisation grecque se développe. A l’intérieur, Athènes, gouvernée par les Eupatrides, concurrence Sparte, à la double royauté contrôlée par les Ephores. Il faut ici noter les migrations ioniennes (Chio, Phocée, Samos), la création de la Dodécapole, le développement de la Grèce d’Asie mineure, et en ~776, la fondation des Jeux Olympiques. A l’extérieur, les expéditions grecques aboutissent à la fondation de 80 colonies et comptoirs, dont la Grande Grèce en Italie, la Sicile, et Massilia (Marseille).

 

Beaucoup d’hommes célèbres nous ont laissés leurs noms et les traces de leurs travaux, tels Hésiode, Thalés, astronome philosophe qui aurait énoncé le connais-toi toi-même, Anaximandre, savant philosophe qui affirmait que le principe matériel unique est l’Illimité, Pisistrate, Esope, Sappho, Héraclite d’Ephèse qui fit du Logos le principe du devenir, Pythagore qui donna à la philosophie un objectif, celui de libérer l’âme humaine du corps-tombeau, éleva les mathématiques au rang d’une mystique et appela le monde Cosmos, Anacréon, Xénophane, Parménide.

 

Six cents ans avant JC, commence l’époque Classique, le Siècle de Périclés. Athènes, à l’apogée, construit l’Acropole et le Parthénon. La période est propice aux invasions. La Grèce d’Asie mineure est soumise par les Perses, (Cyrus). Il y a d’autres invasions, celle de Darios. (Marathon), puis de Xerxés. Sparte est vaincue aux Thermopyles. Athènes est également conquise, mais Thémistocle vainc les Perses à Salamine. Les Carthaginois et les Etrusques rendent la Sicile. L’empire athénien devient un modèle démocratique. C’est le début de la pensée et de la civilisation grecque classique, avec le renouveau des sciences et des arts. (Philosophie, éthique, législation, science politique, poésie, tragédie, histoire, sculpture, architecture).

 

On peut  citer ici bien des noms célèbres comme Anaxagore qui affirmait que l’Esprit ou Intellect est le principe organisateur de la matière, Pindare, Zénon d’Elée inventeur de la dialectique, Empédocle qui établi la théorie des quatre éléments, imagina les atomes, et conçut un Univers régi par l’amour et la haine, Sophocle, Euripide le tragédien, Protagoras pour qui l’homme était la mesure de toute chose, Critias qui disait que les religions étaient inventées pour effrayer les hommes, Démocrite qui pensait que la nature, née du hasard et de la nécessité, est éternelle, incréée, et sans finalité, et qui appela l’homme Microcosme, Cratinos, Hérodote, Xénophon.

 

Les principes de conscience et d’autonomie apparaissent.

 

Deux cents ans plus tard, vers ~400, c’est l’époque Hellénistique et Macédonienne qui nous a laissé l’Acropole de Pergame, la Victoire de Samothrace, la Vénus de Milo. Athènes et Sparte rivalisent (Guerre du Péloponnèse). Sparte cède alors la Grèce d’Asie aux Perses. La pensée philosophique grecque, (Platon), est à son apogée. Puis un semi-barbare, riche et ambitieux, Philippe II de Macédoine, devient le maître de la Grèce.

 

Son fils, Alexandre dit le Grand, établit un immense empire comprenant la Grèce, l’Egypte, et l’Asie occidentale jusqu’à l’Indus. Il fonde Alexandrie, Antioche, Pergame et 70 autres villes. Après sa mort, son empire est partagé entre ses lieutenants. Cela entraîne la formation de divers royaumes, l’Egypte des Lagides, la Syrie des Séleucides, la Macédoine, la Grèce des Antigonides, le Royaume du Pont, le Royaume de Pergame des Atalides.

 

La culture grecque est fortement modifiée. Les influences des philosophes et celle des savants deviennent encore plus importantes. L’Hellenisme naît alors de la rencontre du classicisme grec et des civilisations orientales. La religion évolue énormément. L’Orphisme, le Néo-platonisme, le Gnosticisme et les Cultes à Mystères apparaissent. C’est le début de la genèse de toute la richesse de la pensée alexandrine.

 

Parmi les grands hommes du temps, on peut évoquer Aristophane et ses comédies satiriques, Arcésilas, Callimaque, Démostène, Thucydide, Isocrate, Socrate, fondateur de l’Ethique, libérateur de l’esprit humain, Diogène le Cynique, Epicure, Euclide à qui l’on doit probablement les bases de la géométrie, Appolonios de Rhodes, Archimède de Syracuse, inventeur de génie, Zénon de Cittium qui fonda le stoïcisme, Aristarque de Samos qui sait déjà que la Terre tourne sur elle même et qu’elle décrit une orbite autour du Soleil, Hippocrate, le médecin rationnel, Aristote qui fut un véritable géant de la pensée, dont les travaux (reconstruits) marquèrent toute la suite de la philosophie et de la théologie.

 

Il faut, bien sur, citer ici Platon dont les concepts philosophiques et politiques forment encore aujourd’hui la base de beaucoup de théories et de docrines. Platon naît à Athènes, en ~428, dans une famille aristocratique. Agé de vingt ans, il rencontre Socrate et se lance dans la philosophie et dans l’action politique, ce qui lui attire quelques ennuis. Platon décrit d’ailleurs plus tard, dans Les Lois, un état immuable, organisé et dirigé par les philosophes, (dans lequel, personnellement,  je n’aurais absolument pas aimé vivre). Cependant, ami des Pythagoriciens, il croit à la transmigration et à l’éternité des âmes. Il écrit au moins trente-cinq dialogues pour exposer sa pensée. Il fonde également l’Académie, prés du village d’Acadèmos, une école, dans laquelle il se met à enseigner.

 

Le système de Platon synthétise différentes doctrines comme celles de Socrate, d’Héraclite, de Parménide, et de Pythagore. Il pense que les êtres, perpétuellement changeants, qui peuplent ce monde visible et intelligible sont des copies impermanentes qui reproduisent des modèles universels, fixes et immuables, lesquels se situent dans un autre Monde, celui des Formes ou des Idées qui existent par et en elles-mêmes. Il y a séparation conceptuelle entre le Monde des Formes et celui des Idées. Au sommet de ces Essences, Platon place le Bien, le Beau, le Juste.

 

Les Idées ont été aperçues par l’âme, à l’origine. Grâce au vague souvenir, à la réminiscence, qu’elle en a gardé, l’âme éternelle peut reconnaître les pures Idées, même lorsqu’elle est prisonnière d’un corps matériel impur. Elle désire escalader le ciel pour retourner les contempler. Pour vous donner une trés petite idée de la formulation de ces philosophies antiques, voici un court extrait d’un ouvrage de Platon qui imagine sur ce sujet, un dialogue entre Socrate et Parménide.

 

Supposons, dit Parménide, que quelqu’un d’entre nous soit le maître ou l’esclave d’un autre. Il n’est certainement pas l’esclave du maître en soi, de l’essence maître, et, s’il est le maître, il n’est pas le maître de l’esclave en soi, de l’essence esclave. Mais, comme il est homme, c’est d’un homme qu’il est esclave ou maître. Quant à la maîtrise en soi, c’est par rapport à l’esclavage en soi qu’elle est ce qu’elle est. De même, l’esclavage en soi est l’esclavage de la maîtrise en soi. Mais les réalités de notre monde n’ont pas d’action sur celles de là-haut, ni celles-ci sur nous. C’est à elles mêmes qu’ont rapport ces réalités de là-haut, et celles de notre monde ont de même rapport à elles mêmes. Ne comprends-tu pas ce que je dis? Je comprends parfaitement, répondit Socrate. 

 

En ~200, les Romains arrivent et Flaminius vainc Philippe V de Macédoine en ~197. La Grèce devient romaine en ~146. Athènes est prise par Sylla et l’Egypte ptolémaïque est soumise par Octave. Grâce à l’ingéniosité d’Archimède, Syracuse résiste trois ans au siège des Romains. Un soldat tue le savant à la prise de la ville. La civilisation grecque et la romaine se fondent. Profondément marquées par les nouvelles philosophies et par le Christianisme naissant, elles s’influencent fortement jusqu’à se confondre. Citons ici, pour exemple, les noms d’Epictète et de Plutarque. En 381, l’empereur Théodose 1er proscrit le paganisme et les cultes traditionnels. C’est la fin de la culture et de l’Antiquité grecque. Les Jeux Olympiques sont célébrés pour la dernière fois en 383.

 

La philosophie et la pensée grecques nous sont plus proches que sa religion dont les aspects ne nous sont généralement connus qu’à travers l’imagerie pittoresque de sa mythologie. La réalité archéologique est complexe et je ne développerai pas ici le détail des cultes, (ni ceux à Mystères), la pratique de la mantique (ou science des présages), ni les nombreuses légendes mythologiques par ailleurs assez connues. On distingue dans cette religion.

 

*         Un fonds indigène préhellénique, hérité des cultes naturalistes du Néolithique, (Démeter, Poséidon, puis Zeus-Foudre, Hermes, Thétis). Les pratiques sont souvent liées à des cultes agraires des climats et des saisons, et à des rites sexuels de fécondité, (magie sympathique). 

*         Des apports minoens qui, en raison du raffinement de la civilisation crétoise, ont introduit des valeurs de spiritualité, (Athéna, Héra, Héraclès, certains aspects de Dionysos).

*         Des emprunts faits aux voisins orientaux, Anatolie, Cilicie, Chypre, Syrie du Nord, Lydie, (Appolon, Artémis, Aphodite, Héphaistos).

*         Des influences liées aux conflits internes avec les Thraces et les Phrygiens. (Arés, Silène, d’autres aspects de Dionysos).  

*         Quelques survivances indo-européennes, (Zeus-Souverain, Vesta peut-être, les Dioscures Castor et Pollux, Pallas).

*         Des innovations nombreuses et typiquement achéennes, qui ont donné à cette religion son caractère propre. Citons en exemple les pratiques particulières liées à la cité. Chacune a ses propres dieux qui diffèrent de ceux des cités voisines, tels Zeus Polieus et Athéna pour Athènes. Ils protègent la ville. La religion a donc un rôle civique très important. Elle doit veiller attentivement à ce que les dieux ne soient pas irrités par le comportement des citoyens. Elle doit aussi restaurer leur bienveillance quand cela est nécessaire après un méfait ou un sacrilège.  

 

Il faut retenir ici une nouveauté qui a marqué tout notre millénaire. Il s’agit de l’utilisation politique unificatrice de la religion. Les cultes grecs sont d’abord une religion d’état, ressource utilitaire de principes fédérateurs à l’intérieur de la Cité. Les pratiques religieuses grecques obligatoires unifiaient les comportements des différentes classes sociales et des éléments familiaux. A l’extérieur, elles ont fortement contribué à répandre la culture panhellénique.

 

On peut être intéressé par le destin du peuple et du pays au-delà de la période étudiée. En corrélation avec l’expansion économique, l’évolution des idées philosophiques, et la transformation politique, l’autonomie intellectuelle et l’indépendance individuelle à l’égard de l’Etat ont été ensuite encouragées. Les Grecs ont alors délaissé les vieux dieux auxquels ils ne croyaient plus. Ils se sont tournés vers les mystères des cultes étrangers, mystiques ou extatiques, égyptiens ou asiatiques, dont nous avons précédemment parlé et sur lesquels nous reviendrons plus loin.

 

Après la division de l’Empire Romain, la Grèce est intégrée à l’Empire Bysantin. Elle subit des invasions barbares, (Goths, Slaves, Albanais, Valaques), puis arabes, bulgares, normandes, latines, vénitiennes et génoises. L’Académie est fermée par Justinien en 529, et les maîtres antichrétiens de la philosophie hellénique sont définitivement interdits d’enseignement. La féodalité s’installe. (Royaume de Thessalonique, Principauté de Morée, Duché d’Athènes, puis reconquête Byzantine et despotat de Mistra). La Grèce est conquise par les Turcs à partir de 1391. Pendant quatre siècles, la population est réduite à un cruel servage. Les Grecs se constituent en communauté religieuse autour du patriarcat de Constantinople et la diaspora établit des foyers culturels en Méditerranée. La Grèce se révolte contre la féodalité ottomane lorsque l’empire ottoman est sujet à des luttes intestines. Au 19ème siècle, après bien des péripéties et des massacres, la Grèce redevient autonome puis indépendante en 1832 par le traité de Constantinople.

 

La civilisation hittite et anatolienne. L’influence séculaire des Hittites est extraordinairement importante. Ils occupaient l’espace de la Turquie actuelle. A l’époque néolithique, cinq mille ans avant notre ère, un peuple y était déjà installé, dont on ne sait pas grand chose. On a retrouvé les ruines de certaines cités, à çatal Höyük et à Hacilar. Il semble qu’ils pratiquent alors un culte de la Déesse-Mère, dont ils ont laissé des statuettes sous le triple aspect d’une jeune fille, d’une mère accouchant, et d’une femme âgée. Un triple dieu secondaire, masculin et analogue, leur est associé, ainsi que des animaux tels les léopards et les taureaux.

 

A l’âge du cuivre, des Cités-Etats apparaissent en Cappadoce, liées avec l’Assyrie qui y avait établi des comptoirs commerciaux. On constate alors la présence des Hattis, civilisation apparue à l’âge du bronze, à l’époque de la première fondation de la ville de Troie. Constituée de trois cités confondues, Dardana, Troie, et Ilion, la ville fut détruite et reconstruite plusieurs fois. (Neuf structures superposées ont été mises à jour par Schliemann). Les Hattis sont vaincus par les Hittites indo-européens qui ajoutent les Dieux ouraniens du ciel, de l’orage, et du tonnerre, au panthéon hattien. Il y a aussi des dieux solaires et lunaires. Ces divinités sont représentées en association avec le taureau, et apparentées à Zeus. D’une façon générale, elles ont le caractère d’une association de couples masculin/féminin. Cette caractéristique perdure au-delà de l’évolution de la religion, et malgré les influences des peuples voisins. Ici comme ailleurs, et même après leur mort, les dieux hittites sont les maîtres et les protecteurs des rois, lesquels sont leurs prêtres.

 

Dieu de l’orage, mon Seigneur,

je n’étais qu’un mortel.

Et pourtant mon père était le prêtre

de la déesse solaire d’Arinna et de tous les dieux.

Mon père m’a engendré, mais toi,

Dieu de l’orage,

tu m’as enlevé à ma mère et tu m’as élevé.

Tu m’as fait prêtre de la déesse solaire d’Arinna

et de tous les dieux.

Dans le pays hittite, tu m’as fait Roi.

 

Il y a quatre mille ans, les royaumes hittites se rassemblent en un empire. Ils utilisent une écriture cunéiforme mésopotamienne, mais usent aussi des hiéroglyphes. Au début de l’âge du fer, l’empire englobe toute l’Asie Mineure, la Syrie et la Palestine, entrant en concurrence fréquente avec l’Egypte. Vers ~1200, l’Empire est détruit par l’un des Peuples de la Mer, les Moushki, qui importent leurs moeurs et leurs dieux. Ils viennent de Thrace ou de Macédoine et créent le Royaume de Phrygie. Fuyant les invasions, les Grecs Achéens ou Mycéniens colonisent alors la région. C’est l’époque probable de la légendaire guerre de Troie. Les héros troyens tels Priam, Hécube, Paris, Hector, Andromaque, décrits par Homère dans l’Illiade, étaient  donc des Hittites ou des Phrygiens. Sous l’influence grecque, de nouveaux royaumes sont fondés en Phrygie et en Lydie.

 

On y retrouve l’image de l’antique déesse mère, associée aux fauves, sous la forme d’une grande divinité phrygienne appelée Misa Hipta, Kubala ou Kybele, la grande mère des dieux, la redoutable et castratrice Cybèle. Elle est la déesse phygienne de la Terre. Ses exigences et sa jalousie amènent son compagnon Attis à s’autodétruire par émasculation. (Nous reverrons ce culte plus en détail, car Cybèle fut ultérieurement adorée sur le Mont Palatin sous le nom de Bona Déa, par les Romains qui adoptaient facilement tous les dieux disponibles).

 

Avec la conquête par les Mèdes de Cyrus II en ~546, la région entre sous la domination perse. L’Empire est conquis par Alexandre le Grand, puis partagé à sa mort. Les états du Nord s’érigent en états indépendants. (Bithinie, Cappadoce, Paphlagonie, Pont). La Syrie contrôle l’Anatolie. Les Galates fondent le royaume de Galacie. Pergame devient un royaume hellénistique puissant. L’Epoque Romaine commence vers ~190. Le roi de Pergame, Attale III, lègue d’ailleurs son royaume à Rome. Les Romains créent les province d’Asie (en Anatolie), de Bithynie, Cilicie, Galatie (Isaurie, Lyaconie, Psidie), Pamphylie et Cappadoce, et fondent Constantinople à la place de la vieille Bysance.. Constantin en fait sa capitale chrétienne en 330.

 

Les tribulations du pays ne sont pas terminées. A la division de l’Empire Romain, il est intégré à l’Empire d’Orient. Constantinople devient le centre intellectuel de l’hellénisme chrétien. L’Empire est menacé par les invasions arabes islamisantes ou barbares. En 1054, c’est la crise du Schisme d’Orient. Après la défaite romaine de Manziker, les Mongols de Genghis Khan commencent une conquête terrifiante. Ils massacrent indifféremment Latins et Musulmans, et dressent des pyramides de têtes devant les villes détruites. Les Turcs s’infiltrent alors en masse, provenant de l’empire des Tujue en Asie centrale.

 

En 1204, sous la pression de Venise, Constantinople est reprise par les Croisés. L’Empire Bysantin devient l’Empire Latin de Constantinople. Ensuite, les Mongols arrivent et divisent l’Anatolie en petites principautés turques dont celle des Osmanlis ou Ottomans. Mehmet II reprend Constantinople en 1453. Il occupe le Péloponnèse, l’Albanie, la Bosnie, la Moldavie. Même la puissante Venise doit payer tribut. Bäyazid combat les Mamelouks en Egypte. Sélim 1er commence la conquête de tous les pays d’Islam, Anatolie orientale, Azerbaïdjan, Cicilie, Kurdistan, Syrie, Palestine, et  Egypte. Soliman dit le Magnifique attaque l’Autriche mais échoue devant Vienne. Pour célébrer ironiquement cet échec, les Viennois inventent le croissant des pâtissiers et croquent du Turc au petit déjeuner. Mais Soliman conquiert l’Iraq, l’Arabie, l’Afrique du Nord sauf le Maroc, puis Belgrade, Rhodes, la Hongrie, la Transylvanie. Cet Empire immense, prospère et renommé, devient le grand Empire Ottoman. Il ne prend fin qu’au 20ème siècle.

 

Comme on le voit, l’influence politique, économique, culturelle, et religieuse, de la civilisation des Hittites, et de leurs successeurs, a été considérable, à travers les âges. A l’époque qui nous intéresse, aprés bien des échanges avec les Mésopotamiens, les Phéniciens et les Egyptiens, les Grecs l’avaient profondément marquée. Les Romains occupaient le pays, mais sa culture restait mélangée, résultat étonnant du brassage continuel qui caractérisait déjà le destin des populations de cette région du monde.  

 

La civilisation des Indes. Le territoire des Indes actuelles est occupé depuis le Néolithique, vers 5500 ans avant notre ère. L’âge du cuivre y apparaît vers ~3500. En ~2500, c’est le début de l’âge du bronze. La vieille civilisation de l’Indus fonde les cités de Mohenjo-Däro, (Sind), Harappä, (Pendjab), où l’on a découvert des statuettes et des sceaux. Puis, vers ~1500, c’est l’invasion des Ariens et l’âge du fer. On exploite le fer météoritique et les gisements souterrains. C’est de ce temps que datent les textes sacrés du Véda attribués à Rama, le Brahmanisme attribué à Khrisna, et le système des castes.

 

La religion du Véda est la forme la plus ancienne des religions de l’Inde. Elle semble avoir été apportée par les envahisseurs ariens, et elle présente des analogies évidentes avec les plus vieux cultes iraniens. On y retrouve ainsi la foi en deux sortes de divinités, (les daivas et les assuras), le culte du feu, les sacrifices d’animaux, et l’offrande du soma.

 

La religion védique manifeste aussi des caractères propres. Elle se fonde sur un corpus de textes abondants et variés, dont les quatre Védas, (Rig-Véda, Yajur-Véda, Sâma-Véda, Atharva-Véda). La mythologie est très élaborée. Les trente-trois dieux sont des êtres actifs, très sensibles aux offrandes. En arrière-plan, on trouve le Dyaush Pitar, le Dieu-Père, (et la Déesse-Terre). La divinité se rapproche avec Varuna, et Mithra, redoutables législateurs cosmiques. Le Dieu central est Indra, le vainqueur foudroyant, conquérant du Soleil. Il existe aussi des dieux d’une autre nature, comme Agni, le feu universel, et Soma qui personnifie la liqueur sacrificielle. Le culte védique repose encore sur le sacrifice, offrande consistant en produits de l’agriculture ou de l’élevage partiellement brûlés et partiellement consommés par l’assemblée, par l’immolation d’un bouc, ou par oblation de soma, suc rituel tiré d’une plante médicinale. D’autres rites védiques ont plutôt les caractères de pratiques magiques ou divinatoires privées.

 

Plus récents, les Upanishads, dont la Bhagavad-gïta, tendent vers une réflexion nouvelle, exotique pour un occidental, et nettement plus ésotérique. Un principe unique est à l’origine du Monde, Brahman, l’Ame universelle. La seule vérité libératrice est celle par laquelle l’individu reconnaît que Atman, son âme individuelle réelle, est identique au principe universel.

 

Tat tvam asi - Tu es cela !

 

Cet exposé est bien trop bref, mais il nous faut avancer. Dario 1er et les Perses envahissent le pays, et vers ~500, le Bouddha historique apparaît dans l’art bouddhique. On édifie des colonnes à chapiteaux sculptés de bas-reliefs naturalistes. Les premiers stüpas sont élevés. Des sanctuaires rupestres sont créés à Bhâjä, Näsik et Ajanta. C’est le début du Jaïnisme et du Bouddhisme. Vers ~400, Alexandre le Grand de Macédoine conquiert le pays. Pendant l’époque gréco-bouddhiste, l’effigie de Bouddha apparaît. Le Royaume d’Asoka grand protecteur du Bouddhisme est fondé ainsi que les dynasties Sunga et Känva.

 

La doctrine bouddhique est une révolution de pensée qui diffère énormément des religions védiques. Elle est établie sur une base simple qui est la formulation des Quatre Saintes Vérités, dont voici un résumé.

 

1.    Voici, ô moines, la vérité sainte sur la douleur. La naissance est douleur, la vieillesse est douleur, la maladie est douleur, (...), en résumé, les cinq sortes d’objets d’attachement sont douleur. (Les cinq éléments du Moi, le corps, les sensations, les représentations, les formations, et la connaissance).

2.    Voici, ô moines, la vérité sainte sur l’origine de la douleur.  C’est la soif qui conduit de renaissance en renaissance, accompagnée de la convoitise et du plaisir, (...), la soif de plaisir, la soif d’existence, la soif d’impermanence.

3.    Voici, ô moines, la vérité sainte sur la suppression de la douleur, l’extinction de cette soif par l’anéantissement complet du désir, en y renonçant, en s’en délivrant, en ne lui laissant pas de place.

4.    Voici, ô moines, la vérité sainte sur le chemin qui mène à la suppression de la douleur. C’est le chemin sacré à huit branches qui s’appellent la foi pure, la volonté pure, l’application pure, les moyens d’existence purs, la méditation pure.

 

Nous reparlerons du Bouddhisme en étudiant la civilisation chinoise. Pour l’instant, voyons un mouvement indépendant, le Jinisme. Il aurait été fondé par le réformateur Pärsva, fils d’un roi de Bénarés. Parvenu à la connaissance suprême par la méditation et l’ascèse, ce prophète aurait fait connaître la Loi à ses nombreux disciples, avant de se laisser mourir de faim.

 

Dans la doctrine Jaïna indépendante du Bouddhisme, tout est remarquable. Elle comporte trois fondements, les trois joyaux de la connaissance, de la foi, et de la conduite.

 

La gnose Jaïna repose sur les perceptions sensorielles qui permettent de comprendre la vraie nature de l’espace et du temps.

 

La connaissance, la gnose,
 est l’attribut essentiel de l’âme.

Les âmes éternellement vivantes
 existent en nombre infini.

Elles habitent les organismes
auxquels elles sont liées.

 

Les organismes vivants possèdent simultanément plusieurs corps plus ou moins subtils, le corps physique des hommes et des animaux, le corps de transformation des dieux et des démons, le corps de transfert qui permet à certains hommes d’agir à distance, le corps ardent qui donne l’énergie, et le corps karmique qui contient tout le poids du passé. L’âme peut s’incarner dans les êtres mobiles d’espèces différentes mais aussi dans des être immobiles. C’est le corps karmique, construit par les actes, qui cause la servitude de l’âme, (toujours pure de nature), tant qu’elle est attachée à un organisme corporel, (toujours impur de nature).

 

Les liens de l’âme sont les passions.

 

Elles sont engendrées par le karma. Pour libérer l’âme, il faut se détacher des passions, ce que permet la seule religion. A la mort, l’âme libérée de la matière karmique rejoint le sommet de l’univers. Dans le cas contraire, elle reste dans le corps karmique puis se réincarne dans une nouvelle existence, humaine, divine, animale, ou infernale.

 

Le monde ultra cosmique illimité entoure le cosmos où vivent les âmes. Celui-ci est composé de trois mondes, le supérieur, le médian où vivent les hommes et les animaux, et l’inférieur. Ce dernier comprend sept régions superposées dont les plus profondes sont des lieux infernaux peuplés par les âmes des criminels. Le monde médian des hommes tourne autour du Mont Méru qui en traverse la base. Les dieux stellaires vivent aussi dans le monde médian où sont également les astres.

 

Le monde supérieur commence au-delà des étoiles. Il est symétrique du monde inférieur mais ses sept régions sont de pure beauté. De merveilleuses divinités y habitent, qui échappent aux lois temporelles. Le temps régit le monde médian qui tourne en reproduisant indéfiniment des conditions périodiques analogues. Dans chaque période, ou cycle, le Jaïnisme distingue deux phases, ascendante dans le bonheur et descendante dans le malheur, avec chacune six degrés. Nous sommes dans le Kali-Yuga, à la fin du cinquième degré de la phase descendante, l’âge de discorde et d’hypocrisie. Au cours de cet âge de fer, la véracité, la pureté, la clémence, la miséricorde, tous les principes de spiritualité, la mémoire, la durée de vie et la force physique se dégraderont progressivement jusqu’à disparaître presque complètement à la fin du cycle.

 

Le Jaïna s’engage à respecter cinq interdits, ne pas nuire aux êtres vivants, ne pas mentir, ne pas voler, ne pas manquer à la chasteté, ne pas s’attacher aux biens matériels. Les laïcs prononcent des voeux complémentaires qui les préparent à la vie religieuse. Par l’observance très rigoureuse des règles, les moines s’appliquent à détacher les liens du Karma pour libérer leurs âmes de la servitude et de la transmigration.  

 

A l’époque de l’apparition du Bouddhisme et du Jaïnisme, les  deux civilisations, grecques et indiennes, se rencontrent. Elles s’influencent mutuellement. Puis, en ~300, Chandragupta fonde la dynastie des Maurya et repousse les Grecs. L’Inde est envahie par les Scythes. Le Royaume hellénistique de Kushänaest est fondé, suivi d’un Empire dans le Deccan. L’époque Indo-Scythe se termine au 4ème siècle.

 

Vers +400, au-delà de la période qui nous intéresse, l’Empire Gupta est réunifié. Un âge de rayonnement culturel commence qui ne finira que vers 1200. C'est l’ère de l’art bouddhique et brahmanique dravidien et de la peinture rupestre. L’architecture extérieure est en pierre. Elle est  accompagnée d’une statuaire souple et harmonieuse, parfois monumentale. Au 6ème siècle, c’est l’invasion des Huns Hephtalites. Puis, vers le 11ème siècle, les sanctuaires rupestres sont abandonnés. On entre dans le Moyen-âge indien. Les temples complexes sont en pierre, et décorés de peintures murales. Ils ont des toits pyramidaux ou curvilignes. On élève des sculptures décoratives et souvent érotiques en pierre ou en bronze.

 

Au 13ème siècle, Mahmüd le Ghaznévide commence la conquête musulmane qui est achevée par le prince Muhammad de Ghor. L’Epoque musulmane est marquée par l’invasion de Tamerlan en 1398. Le sultanat de Delhi est morcelé. L’influence islamique est très importante. Les palais, citadelles, tombeaux, minarets et mosquées, sont tous  d’inspiration persane. La sculpture décline. En 1498, le pays est visité par Vasco de Gama. Bäber fonde l’empire moghol, et l’Inde est à nouveau morcelée. Au 19ème siècle les Anglais la colonisent. La Compagnie des Indes est fondée. Victoria devient impératrice. Les Français se contentent de quelques comptoirs commerciaux. Puis c’est Gandhi, la non-violence, la séparation du Pakistan, et enfin l’indépendance.

 

La civilisation chinoise. La civilisation néolithique est repérable en Chine, cinq mille cinq cents ans avant notre ère. L’âge du cuivre lui succède trente siècles plus tard, avec la dynastie problématique des Xia (ou H’ia). Il n’existe aucun écrit antérieur à la dynastie des Shang, ou des Yin, vers ~1500. Nous ne disposons que des données archéologiques. L’âge du fer débute vers ~1000 avec la dynastie des Zhou (ou Tchéou). Entre ~770 et ~476, on identifie la période dite des Printemps et Automnes. C’est l’époque d’un révolution de la pensée, et celle des grands sages comme Confucius, (K’ung-tsu le philosophe), dont la philosophie nous est parvenue à travers les travaux ultérieurs des lettrés, et Lao tseu, (Lao Tzu, le fondateur du Taoïsme, aussi exotique que l’enseignement des Upanishads.

 

L’action parfaite opère sans laisser de trace.
(Lao Tseu)

Vient ensuite la période des Royaumes combattants. On construit la Grande Muraille. Longue de trois mille kilomètres, et visible de la Lune, elle est alors destinée à protéger l’Empire des invasions des Mongols.

 

Ce qui nous est parvenu de l’antique mythologie chinoise est assez incertain. Les légendes ont été déformées et se confondent avec des données pseudo-historiques. Il semble qu’au-delà des récits mythiques de la fondation des premières dynasties, l’on puisse identifier une divinité féminine appelée Hi-ho, mère de dix soleils qui illuminent alternativement la Terre. De même, on parle de la déesse des douze lunes, Heng-ngo, qui a dérobé l’élixir d’immortalité dont disposait l’archer Yi, son époux. Le Soleil et la Lune s’opposent comme de grands principes cosmiques complémentaires, le feu et l’eau, la lumière et l’ombre, l’activité et la passivité, le Yin et le Yang. Le mythique Yu rend la Terre habitable en ouvrant au Fleuve Jaune un chemin vers la mer, au travers des montagnes. Niu-koua fixe tardivement les quatre points cardinaux et attache enfin le Ciel à la Terre. Puis elle commence à modeler les hommes. Elle fait les nobles de lourde terre jaune. Mais, fatiguée, elle se sert ensuite de boue molle pour façonner les hommes ordinaires. Enfin, l’Auguste Seigneur du Ciel charge Tchong-Li de couper toute communication avec la Terre, afin que les esprits et les dieux ne puissent plus descendre. Beaucoup de vieux mythes chinois sont liés au feu et à l’art des fondeurs. La fonte est une opération religieuse et alchimique qui exige des sacrifices humains.

 

Les cinq rois, célestes et légendaires, sont aussi des puissances transcendantes qui règnent sur le monde originel. On retrouve leurs traces dans les tableaux des correspondances entre les élémentals, (Bois, Feu, Terre, Métal, Eau), les orients, (Est, Sud, Centre, Ouest, Nord), les saisons et les couleurs. Les cultes des ancêtres et toutes les opérations divinatoires sont des privilèges royaux. Les cérémonies, codifiée et systématisées, sont accompagnées de sacrifices humains et animaux pratiqués en nombre très important. On sacrifie également de nombreuses personnes dans les fondations, avant de commencer la construction des édifices, des temples et des palais.

L’éclosion de la philosophie chinoise se fait au moment même de la grande évolution des autres civilisations antiques. Cette étonnante convergence évolutive pourrait démontrer, malgré les grandes divergences, que des contacts culturels soutenus existaient entre ces peuples géographiquement distants. Si l’on n’admet pas cela, la simultanéité des évolutions culturelles pose un vrai problème de causalité. A qui, ou à quoi, est due cette apparition généralisée, en divers lieux, en un même temps ? Certains penseurs n’hésitent pas à lui attribuer une origine soit divine soit extra-terrestre.

 

Après le Confucianisme apparaît le Tao Te King, la doctrine fondée par Lao Tseu. La cosmogonie taoïste décrit le Tao céleste, l’ordre naturel, manifesté par le ciel, la rotation du Soleil et des étoiles, la succession des nuits, des jours et des saisons. Il y a  deux aspects complémentaires dans le Tao, le clair et l’obscur, le chaud et le froid, l’actif et le passif, le Yin et le Yang. La connaissance parfaite consiste à faire le vide de toute pensée et de toute notion. Voici un aperçu de l’enseignement de Lao Tseu.

 

Le salut véritable est le retour dans le sein du Tao.

 

Le Monde ordinaire et la société humaine

ne sont pas le milieu originel des hommes.

Ceux-ci sont appelés à transmuter leur être mortel

pour devenir des génies immortels

et rejoindre leur monde véritable,

le monde divin du Tao.

 

Dans le Taoïsme métaphysique, le Tao, le chemin, la voie, c’est la Grande Mère, celle qu’on ne peut nommer, la femelle mystérieuse et universelle qui est source de toute vie. Tous les êtres, dont les hommes, sont ses enfants.

 

La roue du temps tourne aussi en Chine. Vers ~200, c’est la dynastie des Qin, puis celle des Han. On distingue la dynastie des Xin, 1ers Han antérieurs ou occidentaux, la fondation de la dynastie des Hsin par l’usurpateur Wang Mang, puis la dynastie des Han postérieurs ou 2èmes Han orientaux. L’époque est marquée par l’apparition du Bouddhisme. Le Bouddha chinois fut un temps confondu avec Lao Tseu divinisé. En 166, l’empereur lui-même offrait simultanément des sacrifices à Houang-Lao, (la principale divinité taoïste des Han), et au Bouddha, confondu avec elle. Hiao-wou-ti, un autre empereur, officialise les cinq interdictions bouddhistes qui sont empruntées au  Jaïnisme.

 

Ne pas attenter à la vie.

Ne pas mentir.

Ne pas voler.

Ne pas être luxurieux.

Ne pas absorber d’alcool.

 

Pendant la période des Trois Royaumes, (Wei, Shu, Wu), les communautés bouddhistes sont exemptées d’impots et de corvées. Ce statut engendre une rivalité latente entre les religions. En 265, l’empire est encore réunifié, puis les grandes invasions barbares arrivent. Elles divisent la Chine entre les dynasties du Nord et celles du Sud. C’est le Moyen-âge chinois. Dans le Sud, les Jin orientaux émigrés fondent une communauté (connue comme la dynastie du Sud, Liu Song, Qi du Sud, Liang, Chan). Elle est établie par des élites qui pratiquent une religion métaphysique, syncrétique et intellectuelle, mêlant le Gnosticisme au Taoïsme. Le Bouddhisme est introduit à la cour impériale de Nankin. Les exemptions de corvées favorisent la multiplication des monastères. Cela engendre des conflits durables  entre l’église bouddhique et l’Etat théocrate confucéen.

 

Au Nord, chez les Jin occidentaux, on note alors un intérêt croissant envers la philosophie, l’étude des mystères. La Gnose manichéenne s’introduit en Chine. Les textes bouddhiques se multiplient et les cultes s’enrichissent par des échanges avec l’Inde. Le Nord est entre les mains de barbares, Huns, Tibétains, (Wei du Nord, Qi du Nord, Zhou du Nord), et de despotes parfois sanguinaires. Le Bouddhisme intéresse pourtant ces princes. Ils favorisent les moines qui développent la magistrale philosophie de la Voie Moyenne, très remarquable courant de pensée  voisin de la Gnose chinoise des Mystères. Mis une réaction anti-bouddhique encouragée par les Taoïstes et les Confucianistes, provoque de grands massacres et destructions. Cette oscillation du pouvoir religieux se reproduit jusqu’à la réunification de la Chine par la Dynastie des Sui, (Souei), en 581, sur la base de l’unité religieuse entre les Bouddhistes du Nord et du Sud. Une autre histoire de la Chine commence. La dynastie des Tang, ou Grands Zhous, est fondée en 618 et ne prend fin qu’en 907.

 

La Chine est alors le plus brillant empire du Monde. Les lettrés diffusent le Bouddhisme et finissent par le fondre avec une réforme du Confucianisme. La civilisation chinoise est continûment marquée par un grand raffinement intellectuel souvent associé à une cruauté extrême. L’enseignement de la philosophie, par exemple, est un dangereux métier. L'Empereur en personne reçoit les candidats au mandarinat. Il entend lui-même leurs thèses, au bord d’un précipice escarpé. Les philosophes convaincants reçoivent leurs diplômes honorifiques des mains impériales, mais ceux qui déplaisent sont immédiatement précipités dans le gouffre, sur un signe de tête du souverain.

 

En 655, l’usurpatrice Wou devient impératrice. C’est la seule femme qui ait jamais occupé un trône chinois. Sa ferveur bouddhiste est vraiment extrême et elle fait ériger de nombreux monuments. Sa chute déclenche une longue guerre de religions. Une sévère réglementation des cultes est lancée, suivie d’un mouvement iconoclaste qui détruit un patrimoine artistique et culturel inestimable. L’empire corrompu se divise et  s’effondre. Après 907, les Cinq Dynasties du Nord, (Liang postérieurs, Tang postérieurs, Jin postérieurs, Han postérieurs, Zhou postérieurs) commencent à subir des infiltrations barbares. Elles vont progressivement s’accentuer.

 

Au Sud, se forment alors les dix petits royaumes, (Shu, Shu postérieurs, Nanping, Chu, Wu, Tang méridionaux, Wu-Yue, Min, Han du Sud, Han du Nord), qui accueillent le clergé émigré. Les Song du Nord et du Sud rétablissent l’unité politique. L’imprimerie apparaît et transforme la  culture chinoise. Dans le Nord, les barbares fondent la dynastie des Lino, (Leao), et les Tibétains celle des Si-Hia. L’invasion des Jou-tchen, (les futurs Mandchous), provoque une nouvelle émigration. Les désenchantés se tournent vers une nouvelle philosophie bouddhiste et poétique, celle du Tch’an.

 

La philosophie du Tch’an deviendra le Zen japonais.

 

Comme en Turquie, les Mongols de Temùjin, (Genghis Khan), commencent, hélas, la sanglante conquête de la Chine. Tout ce qui vit est massacré, y compris les chiens et les chats. Genghis Khan se présente comme un justicier purificateur et unificateur de la société. Le pays est ensuite soumis, du Nord au Sud, par Khubilai qui fonde la dynastie des Yuan. Le Khan organise la domination des lamas Tibétains sur le clergé chinois. Il accueille pendant plusieurs années le vénitien Marco Polo qui explore la Chine et la Mongolie. A partir de 1368, la dynastie des Ming est établie. Les luttes religieuses reprennent jusqu’à ce qu’une relative fusion des trois religions rivales soit enfin réalisée. Puis, en 1644, c’est la dynastie mandchoue des Qing qui rétablissent la lamaïsation de la religion. Malgré la haute spiritualité de la philosophie tch’ang, les hérésies et les sociétés secrètes se multiplient et le clergé se paillardise. Finalement, inspirés par les idées rationalistes européennes, les intellectuels fomentent la révolution républicaine de  1911.

 

Les civilisations étrusque et romaine. Ces civilisations peuvent apparaître comme relativement plus récentes que les précédentes. Il semble que, vers le ~25ème siècle, la péninsule italienne ait été peuplée de Ligures dont on sait très peu de choses. Au ~13ème siècle, on constate la présence des Etrusques, ou Toscans. Hérodote prétend qu’ils sont venus de Libye. Ils pourraient plutôt être le résultat d’une symbiose entre divers peuples locaux et orientaux. Les Etrusques ont établi une civilisation remarquable qui reste assez mal connue car leur écriture n’est pas bien déchiffrée. Heureusement, les auteurs latins en ont beaucoup parlé. Elle était surtout urbaine, assez épicurienne, et spécifiquement marquée par la place importante tenue par les femmes. Organisés en une sorte de vague fédération, les Etrusques ont fondé de nombreuses villes parmi lesquelles on citera Rome, fondée au ~7ème siècle, Cerveteri, héritée des Phéniciens, à laquelle ont été joints les ports étrusques d’Alsio et de Pyrgi, Véies, au N.-O de Rome, sa grande ennemie, Tarquinia, dans le Latium, la patrie des Tarquins. En Toscane, ils fondèrent Arezzo, Cortone où subsiste une enceinte, Chiusi où l’on a découvert la nécropole dite du singe, Volterra, (Velathri), prés de Pise, datant du ~9ème siècle. En Ombrie, on leur doit Perouse, Todi, Orvieto où se trouve une autre nécropole étrusque, et d’autres. Rome fut gouvernée par des rois étrusques de ~616 à ~509.

 

La religion étrusque était essentiellement divinatoire. Elle pratiquait l’art antique de la mantique comme les Egyptiens et les Chaldéens. Elle fut influencé par l’Orient archaïque et différait nettement des religions grecques et romaines, y compris par son panthéon particulier qui était inspiré des panthéons babylonien et  phénicien, et organisé en triades divines. On y trouve des génies semi-humains, tel Tagés, petit fils de Jupiter, et des devineresses comme Vegoia, qui étaient spécialement chargés de transmettre un message divin aux hommes.

 

C’était donc une religion révélée.

 

Une autre surprise fut de découvrir qu’elle était fondée sur des livres sacrés. Il y avait trois groupes de livres. Le premier concernait l’haruspicine, et même plus précisément l’extipicine, ou ensemble des techniques divinatoires liées aux sacrifices, (Examen des attitudes, des viscères des victimes, de la couleur de la flamme et de la fumée des bûchers, et autres indices). Ces pratiques sacerdotales et divinatoires d’inspiration divine, ressemblaient à celles des devins babyloniens. Comme eux, les haruspices toscans utilisaient des maquettes précises de viscères d’animaux pour bien se préparer à leur fonction.

 

Les rites et les pratiques, qui permettaient de modifier éventuellement un destin défavorable ou funeste, étaient précisément codifiés. Les livres du second groupe enseignaient la divination par l’observation de l’aspect des éclairs de foudre. Le ciel était partagé en seize parties déterminées par les quatre points cardinaux et l’axe Nord/Sud. L’observateur se plaçait face au Sud. Les indices étaient favorables à l’Orient, et défavorables à l’Occident. La signification des éclairs et du tonnerre était définie pour chaque jour de l’année. Onze sortes de foudre étaient associées aux différents dieux toscans concernés, dont les maladroites approximations romaines étaient Jupiter, Junon, Mars, Saturne, et Minerve.

 

Les livres sacrés expliquaient la signification des prodiges et des phénomènes extraordinaires rencontrés dans la nature. Tout était soigneusement réparti et catalogué, plantes, animaux, ou événements insolites. Les livres du troisième groupe réglaient la répartition des terres et des propriétés entre les membres des communautés, selon un code extrêmement rigide et précis. Ils régissaient également la disposition et l’orientation des différents édifices.

 

L’importance des nécropoles, et les marques des rites funéraires laissent penser que la mort et l’au-delà étaient des préoccupations majeures des populations étrusques. Les livres sacrés enseignaient que le sang des sacrifices et l’observance des rites permettaient d’accéder à une forme d’immortalité, paradisiaque ou infernale, selon les pratiques, les cas, ou les époques. En réponse aux inquiétudes face au destin, la religion étrusque visait à maîtriser la connaissance de l’avenir et de la volonté divine. Elle proposait aussi  d’influencer le cours des choses, en tentant d’apaiser les dieux par des rites et des sacrifices, et en organisant très soigneusement les éléments de la vie civile.  

 

Des vieilles villes toscanes, peu d’édifices ont subsisté. On croit pourtant que les temples étaient construits par groupes de trois, correspondant aux triades honorées, et que ces groupes étant disposés aux points cardinaux, où étaient placées les quatre portes des cités géométriques. Les objets de pierre sculptée, de céramique, ou de terre cuite, ainsi que les bijoux d’or, d’argent, ou d’ivoire, témoignent d’une bonne habileté technique et d’une grande richesse artistique.

 

Les Etrusques furent vaincus par les Grecs à Cumes en ~474, puis  chassés de Rome. Prédécesseurs des Romains, ils furent définitivement vaincus par ceux-ci en ~350. Ils influencèrent cependant très largement leurs arts et leur architecture, et surtout leur urbanisme.Un autre peuple, celui des Samnites,  était établi dans l’Italie centrale au ~5ème siècle. Après les trois guerres samnites, dont seule la seconde fut perdue par les Romains, (qui durent alors passer sous le joug humiliant des fourches caudines), ils se soumirent en  ~295. Ils nous sont connus par l’épisode de l’enlèvement des Sabines, (qui étaient samnites), par les compagnons de Romulus, après la fondation de Rome en ~735. Un traité mit fin au conflit, unissant définitivement les deux peuples.

 

La légende de la fondation de Rome par Romulus, en droit divin et en liaison avec l’Enéide, fut écrite huit cents ans après la fondation de la ville. Elle est trop connue pour qu’on la rapporte ici. Après Romulus, des rois sabins, latins, et étrusques se seraient succédés jusqu’à la révolte des nobles et la proclamation de la République en ~509. Au plan archéologique, la première fondation de la ville par les Etrusques semble dater de la fin du ~7ème ou du début du ~8ème siècle. Elle aurait consisté en une fédération des petites cités établies sur les sept collines. A partir du ~20ème siècle, la péninsule des Ligures avait subi plusieurs vagues d’invasions indo-européennes, suivies des incursions influentes des Grecs et des Phéniciens. De ce brassage de peuples, de cultures, de langues, et de techniques, sont nés ces Latins qui dominèrent le Bassin Méditerranéen pendant plus de mille années. Leur histoire sera évoquée au cours du prochain chapitre.       

 

Arrivés à ce point de recherche, nous constatons que ce survol des interminables tribulations des peuples de l’antiquité, et celui de l’évolution des religions primitives ne nous a pas vraiment instruits, tout au moins en ce qui concerne les causes de l’apparition du phénomène religieux, en soi, (comme disait Platon). Nous avons vu les peuples faire couler des flots de sang pour imposer leur loi et parfois leur foi, et nous avons vu les empires et les civilisations naître, croître, et mourir.

Nous savons aussi que beaucoup de doctrines et de systèmes ont prétendu expliquer l’Homme et le Monde. Elles ont brillé pour un temps comme des flambeaux éclairant un moment la nuit de la connaissance, puis elles se sont éteintes, ne laissant que leurs cendres dans la poussière des siècles.

Nous pressentons cependant qu’elles ont servi de fondations de certaines de nos croyances, ou de nos religions modernes. Nous avons retrouvé les origines de quelques héritages qui ont servi de base à la construction de notre civilisation et qui expliquent comment notre société s’est structurée. Mais nous n’avons pas encore compris d’où provient l’appel, ou la pulsion, ou les deux à la fois, qui, tantôt abaissent le regard de l’homme vers les mirages de la nature, et tantôt le lui font lever vers les mystères du ciel. C’est aussi dans l’homme lui-même qu’il faudra chercher.

 

La quête de la conscience
 réunit la religion et la science.

 

La quête de la conscience, « la con-science », réunit la religion et la science, c’est-à-dire les objectifs des deux stades antérieurs de la recherche occidentale.(...) La religion recherchait le lien, la science recherche la connaissance. Avec la nouvelle vision du monde, c’est une connaissance où le lien a sa place qui sera recherchée. (Edward Edinger).

 

Comprenons que tous les hommes ont hélas la manie tenace de construire un appareil conceptuel compliqué et extrêmement détaillé, dans lequel ils enferment leur cheminement spirituel progressif et toutes les révélations lumineuses qu’ils reçoivent. Cela en altère profondément la valeur. Cette déplorable habitude du détail cosmogonique est commune à tous les penseurs et à tous les fondateurs de philosophies ou de religions. Malgré mes efforts, je n’y échappe pas toujours moi-même, comme le lecteur l’a probablement déjà constaté.

 

La vraie connaissance est simple et claire.

 

Les chercheurs que nous sommes doivent donc mener une lutte constante pour éviter ce redoutable écueil. Il est formé par la rationalisation excessive des révélations intuitives concédées par l’intelligence universelle. Il ne s’agit pas de construire un système rationnellement généralisable. Il faut seulement essayer d’arriver à la vraie connaissance, laquelle ne peut évidemment être que simple et lumineuse. Nous avons déjà bien cherché ensemble mais il semble encore que cette compréhension, simple et lumineuse, continue à nous bouder. Il nous faudra donc poursuivre la recherche, sans oublier de suivre  Edinger, en donnant au lien sa place véritable.

 

Pour conclure provisoirement, laissons encore un instant la parole aux anciens Egyptiens. Plutarque nous raconte qu’il y avait à Saïs, en Egypte, un temple consacré à Isis, la fille du Soleil, la mère universelle. Il s’y trouvait une mystérieuse statue de la déesse au visage voilé. Sur le fronton, on pouvait lire un premier et important message.

 

Moi, Isis, je suis

tout ce qui a été, ce qui est, et ce qui sera.

Aucun mortel ne m’a jamais dévoilée.

 

Les Egyptiens comprenaient clairement qu’entre le moi de chaque homme, (son âme temporelle), et la connaissance de la réalité divine, (son âme véritable), un voile épais est toujours jeté. Ce voile est celui posé par la raison. La réalité n’est dévoilée qu’à celui qui vit dans la conscience éclairée par la grâce de Dieu. Pour celui-ci, aucune illusion n’a plus cours. Il perçoit seulement, à l’intérieur comme à l’extérieur de lui-même, la simple et éblouissante réalité de l’universelle manifestation divine. La conscience naturelle ordinaire projette sur l’écran du monde ses propres illusions scintillantes et les considère comme la seule réalité. Ce monde illusoire de formes attirantes et d’images chatoyantes, c’est notre fascinant monde ordinaire, la Mäyä brillante du Veda hindou. C’est le message éternel que les anciens Egyptiens nous envoient du fond des âges, avec une instante invitation à méditer. Sachez aussi que sous la statue voilée, on lisait une autre devise ésotérique et grandiose, un autre important message d’Isis qui mérite aussi d’être longuement réfléchi.

 

Le fruit que j’ai généré, disait Isis, est le Soleil. 

 

 

 

 

 

 

L

e Phare ruiné d’Alexandrie.

 

 

 

 

Garde bien dans ton intellect tout ce que tu veux savoir,

et moi je t’instruirai. (Hermès Trismégiste - Poimandrés).  

 

 

L’œil par lequel je vois Dieu

est le même œil par lequel Dieu me voit.

Mon œil et l’œil de Dieu sont un seul œil,

une seule vision, une seule connaissance,

un seul amour. (Maître Eckhart).

 

 

L’homme ne peut vivre que tant qu’il a un contact

avec la main chaude de Dieu. (Alexandre Soljenitsyne).

 

 

 

Nous allons maintenant nous pencher sur les origines de notre propre civilisation occidentale. Ici comme ailleurs, l’approche historique est une démarche indispensable. Elle seule autorise la prise en compte des influences réciproques des diverses civilisations primitives. Celles-ci sont entrées très tôt en interaction. Dans nos régions occidentales, elles s’étaient déjà heurtées et adaptées les unes aux autres avant même que soient formulées les bases de notre civilisation et des religions et croyances qu’elle a ensuite produites ou  portées. L’Histoire donne une conscience plus claire des origines des mythes ainsi que de leur évolution au cours du temps. Elle permet de reconnaître les situations relatives des différents peuples alors même que leurs relations ne sont pas évidentes. En Europe de l’Ouest, on peut ainsi établir que l’érection des mégalithes a très largement précédé la construction des Pyramides égyptiennes.

 

Les Mégalithes sont plus anciens que les Pyramides.

 

L’érection des mégalithes semble pouvoir être placée entre ~3500 et ~2500 avant le début de notre ère. La civilisation des mégalithes aurait donc très largement précédé la construction des Pyramides égyptiennes. En occident, elle aurait été contemporaine des plus anciennes civilisations connues, sumérienne, mésopotamienne, syrio-phénicienne, égéenne, crétoise et achéenne. Les dolmens tabulaires ont été tardivement utilisés comme des nécropoles, mais ils avaient une vocation originelle aujourd’hui oubliée. Leur zone de répartition est très large. Elle va de la Scandinavie à l’Espagne, en France, en Corse, en Afrique du Nord, à Malte, en Turquie, en Palestine, en Inde, et même en Corée. Beaucoup de mégalithes ont été détruits mais il en reste encore un grand nombre. On en dénombre quatre mille cinq cents en France, huit cents dans l’île de Man, neuf cents en Allemagne, cinq mille en Algérie, trois cents en Corée. Les menhirs ou pierres levées posent les mêmes insolubles problèmes. Ils sont également parfois groupés en grand nombre. Les alignements de Carnac comptent trois séries de plusieurs milliers de menhirs rangés et hiérarchisés. Tous ces monuments ont été élevés par des populations nombreuses et très organisées.

 

Les hommes qui édifiaient ces énormes monuments ne connaissaient pas l’écriture. Probablement Ibères, précurseurs des Celtes, ils ne nous ont laissé que quelques vagues gravures, peut-être symboliques, qui restent encore pour nous, jusqu’à ce jour, dépourvues de sens. Venus du mystère, ils sont rentrés dans le mystère. Heureusement, d’autres civilisations européennes nous sont mieux connues. Beaucoup plus tard, et plus prés de nous, la civilisation lusacienne puis les civilisations celtiques de Hallstatt et de la Tène ont laissé quelques vestiges. A partir du ~2ème millénaire, venant d’Allemagne, les peuples celtes occupèrent une grande partie de l’Europe, (La Grande Bretagne, la Gaule, l’Espagne, l’Italie du Nord, les Balkans, l’Asie Mineure). Ils entrèrent occasionnellement en conflit avec les Grecs ou les Hittites, (Prise de Delphe, Incendie de Troie).

 

Cependant, les dieux oubliés des Celtes et de leurs druides métaphysiciens ne nous sont guère connus que par les relations assez inexactes de César. Les Gaulois semblent avoir d’abord révéré la déesse-mère Mélusine. Probablement devenus presque monothéistes, ils paraissent avoir ensuite adoré un grand dieu dont les traces subsisteraient dans le mythe de Gargantua. Comme les autres Celtes, Gallois ou Irlandais, les Gaulois étaient des guerriers féroces et redoutés. Ils pratiquaient des sacrifices de chevaux et de bétail, et des sacrifices humains occasionnels, parfois multiples, par noyade dans un tonneau, ou par crémation. Tous les Celtes croyaient à l’unicité et à l’éternité de l’être, à travers la multiplicité des formes de sa manifestation. Voici une réminiscence assez récente trouvée dans la tradition du Pays de Galles.

J’ai été sous de nombreuses formes,

avant d’être libre. (...)

J’ai été errant dans les airs,(...)

J’ai observé les étoiles,(...)

J’ai été une lampe brillante,(...)

J’ai été route, j’ai été aigle,

J’ai été coracle sur la mer. (...)

( Kat Godeu Gallois ).

 

La mythologie celte est définitivement perdue car ses rares écrits sont indéchiffrables. Il ne nous reste que les traces de quelques légendes comme celle du roi Ambigatus (Conchobar ?) dont les neveux Segovesos (Cùchulainn ?) et Bellovesos (Conall Cernach?) auraient franchi les Alpes et fondé Milan. Il y a beaucoup d’autres récits merveilleux et féeriques dans les cycles insulaires d’Ulster et  d’Ossian, comme la très mystérieuse légende du mariage de  Branwen où apparaît déjà le lointain ancêtre du Graal, le fameux chaudron de résurrection des guerriers morts au combat, ainsi que l’histoire de la tête coupée de Bran, restée vivante et protectrice du royaume avant le roi Arthur.

César nous dit des Gaulois qu’ils étaient natio dedida religionibus, une nation adonnée à la religiosité. Ils usaient d’une écriture (hélas illisible). La classe sacerdotale des druides se préoccupait surtout de conceptions religieuses métaphysiques, éternité des dieux, immortalité de l’âme, existence d’un autre monde, états multiples de l’être. Les druides n’utilisaient pas de temples de pierres ni d’images durables. Les lieux et objets de culte étaient en bois. Il s’agissait souvent de simples clairières consacrées, dans les forêts. Derrière les apparences du folklore légendaire, la mystérieuse religion celtique était à la fois intellectuelle et sacerdotale.

 

Mais les mystères concernent aussi d’autres objets dans diverses régions du Monde. D’autres secrets antiques ne sont pas réellement éclaircis. Citons comme exemple le mystère des géoglyphes. Ce sont d’immenses figures formées d’amas de pierres (souvent retournées), qu’on trouve dans différents sites du Monde, tels les déserts d’Amérique centrale ou d’Amérique du Sud, mais aussi en Californie, dans l’Ohio, en Australie, dans le Sinaï, et même en Grande Bretagne. Les plus vieux géoglyphes du monde se trouvent en Australie, sur le site de Jinmium. Ils auraient 50 000 ans. Ceux du Néguev et du Sinaï dateraient de 30 000 ans. En Arizona, les dessins de pierre, ou intaglios, vieux de 9000 ans, auraient été établis par les tribus indiennes, en particulier les Patayams, et constitueraient des chemins initiatiques représentant les étapes de l’existence terrestre, en reliant le Monde des vivants et l’Au-delà.

 

En Amérique du Nord, on peut aussi citer le tertre du Grand Serpent, dans l’Ohio, mais cela semble être une construction plus récente, datant du 11ème siècle. Dans les Alpes françaises, la Vallée des Merveilles présente également de nombreuses gravures ou inscriptions mystérieuses réalisées à ciel ouvert, il y a 4/6000 ans. En Angleterre, on trouve le Cheval d’Uffington qui mesure 110m de long et semble dater de l’âge du bronze, (1500 ans avant JC.). Le Géant du Cerne Abbas, (célèbre par son aspect viril particulièrement avantageux), serait bien plus tardif, datant du 18ème siècle. Au Pérou, sur le site de Nazca, d’immenses réseaux de lignes ont été découverts à partir des survols aériens. Ils sont accompagnés de dessins gigantesques représentant des êtres divers, animaux pour la plupart. Leur signification serait liée au cycle des eaux et au Dieu des sources, (Kön). Ils seraient datés de ~500 à 500 après JC. Maria Reiche, préhistorienne allemande (décédée), a consacré sa vie à leur étude. Dans le désert d’Atacama, dans le nord du Chili, les géoglyphes consistent en structures de pierres amassées. Les entassements représentent des animaux, camélidés par exemple, ou des personnages gigantesques. Le géant d’Alcatama a plus de cent mètres de long. Les dessins auraient été réalisés lentement par les caravaniers, à partir du 4ème siècle.

 

Lorsqu’ils ont une signification religieuse, la construction de ces immenses figures pourrait être une démarche d’interpellation de la divinité, en relation avec la dimension qu’on lui donne et avec le ciel où on la situe. Il faut que le message envoyé par les petits hommes soit enfin vu et compris par le dieu invoqué qui parait ne pas les percevoir. Il doit être à sa taille. Nous faisons parfois la même chose, en chantant tous ensemble, pour que notre voix plus forte arrive enfin aux lointaines oreilles de notre propre Dieu, lequel parait souvent bien trop sourd.

 

 De profondis clamavi at te, Domine.

Domine exaudi vocem meam.

 

Revenons-en donc aux cieux méditerranéens. Ainsi donc, il y a trois mille huit cents ans, les Hyksos apportèrent en Egypte la référence à Seth. Celui-ci fut parfois identifié au 3ème fils d’Adam et Eve, concept qui fut ultérieurement repris dans la religion des Séthiens. Le mythe fondateur aurait donc déjà existé en Asie antérieure, à cette époque. Au début de l’âge de fer, deux mille ans avant notre ère, au Moyen Empire, sous les 11ème et 12ème dynasties, les Egyptiens avaient colonisé la Nubie et étendu leur influence sur la Phénicie et la Palestine.

 

Ils avaient engagé des relations commerciales avec tous les riverains de la Mer Rouge. L’Egypte était alors en contact avec les peuples extérieurs et profitait de leurs apports matériels et culturels. A ce moment, les souverains favorisèrent le culte d’Amon (Dogme Thébain), et les prêtres s’y opposèrent en renforçant le culte Osirien. Le mythe d’Osiris se présentait alors sous une forme simplifiée, différant un peu de ce que vous avez lu dans le précédent chapitre. Le dieu suprême, Ptah avait créé la Terre, (le sol mâle, Geb), le Ciel, (la voûte céleste, Nout), séparés par l’Air, Chou. De la même façon, dans le Brahmanisme indien, Brahma sépara l’oeuf primordial en deux parties, Svarga, le Ciel, mâle, et Prithivï, la Terre, et il plaça entre eux l’Air, Antariksha. En Egypte, Nout s’unit ensuite à Geb et donna naissance à deux jumelles, Nek-Bêt et Isêt, (Nephthys et Isis pour les Grecs). Puis Nout s’unit à son père suprême, Ptah, et conçut Oussir, (Osiris), fondateur de l’Egypte. Ensuite Osiris épousa Isis et engendra Hor, (Horus), qui deviendra Harpocrate à l’époque Ptolémaïque.    

 

Trois cent ans plus tard, l’Egypte fut conquise par des tribus asiatiques sémites, les Hyksos, qui avaient des chevaux et des chars de guerre inconnus des Egyptiens. Ils s’installèrent dans le pays, pendant deux siècles, en y amenant leurs propres cultes et leurs croyances dérivées des religions d’Asie antérieure. C’est à ce moment et sous cette influence étrangère imposée, que le mythe osirien fut modifié et qu’Osiris devint le fils de Geb, (le sol), et de Nout, (la voûte céleste). Les Hyksos vénéraient tout particulièrement Seth, l’un des nombreux Ba’al sémites. Ils en firent un dieu égyptien nouveau, autre fils de Geb et de Nout, ce qui le mettait sur un pied d’égalité avec Osiris. Seth fut intégré au panthéon égyptien sous le nom d’Oussit. Les deux couples jumeaux, Osiris (Oussir), et Isis, Seth (Oussit), et Nephti, furent alors placés sur un même plan. Au début du Nouvel Empire, vers ~1580 avant JC, le roi thébain Ahmosis fonda la 28ème dynastie, expulsant les Hyksos qui se réfugièrent en Palestine, mais Seth resta en place.

 

Le dieu nouveau devint le dieu du mal.

 

Les Egyptiens réglèrent leurs vieux comptes avec Seth et en firent un dieu maléfique personnifiant le mal. Les nouvelles bases du mythe osirien étaient posées, qui mettaient en opposition le Bien et le Mal, conception dérivée des concepts apportés d’Asie antérieure par les envahisseurs Hyksos. Ultérieurement, les rois égyptiens devinrent suzerains de la Nubie, et soumirent à tribut tous les états d’Asie antérieure, la Syrie, les royaumes hittites, jusqu’à l’Euphrate. Plus tard les Hittites reprirent la seule Syrie. Ramsés II rétablit la paix. Entre ~1370/~1350, apparut ce que l’on a appelé la révolution amarnienne. Akhenaton et Néfertiti instaurèrent difficilement le culte monothéiste provisoire d’Aton et fondèrent la capitale d’Akhet-Aton. Toutankhamon, successeur d’Akhenaton, rétablit, aprés sa mort, le culte traditionnel d’Amon. Freud nous dit qu’à cette période les Hébreux ont quitté l’Egypte  sous la conduite de Moïse. Celui-ci avait ses entrées au palais, et il était donc un prince ou un général égyptien, (comme le dit très clairement Flavius Josèphe).

 

Au déclin du culte d’Aton, l’anarchie s’installa dans le pays. Accompagné des fidèles monothéistes irréductibles, (les futurs Lévites), Moïse séduisit quelques nomades sémites installés en Egypte, et les emmena à la conquête de Canaan. La Palestine était alors une colonie égyptienne. Moïse ne partait donc pas à l’aventure à travers un désert inconnu. Beaucoup plus tard, les Judéens, libérés par Darius, ramenèrent en Egypte leur foi en un Dieu unique. Ils y revinrent en très grand nombre après la conquête par Alexandre le Grand, à tel point qu’Alexandrie en vint à compter plus de Juifs que Jérusalem.

 

La mise en perspective temporelle permet de pointer le danger de la mise en relation indue d’événements trop séparés dans le temps. La construction des Pyramides a provoqué l’invention du premier culte d’Osiris par les prêtres d’Héliopolis pendant la période Memphite de l’Ancien Empire, vers ~2700. L’expulsion des Hyksos par Ahmosis vers ~1580 a entraîné la reformulation du mythe originel avec l’introduction du Seth jumeau, du démembrement et de la résurrection d’Osiris. Mille deux cents ans séparent les deux événements. La grande durée de l’intervalle temporel ne peut pas être escamotée. Cela équivaudrait à juxtaposer Clovis et Napoléon, ou Hitler et Charlemagne. On peut encore moins relier sans précaution les mystérieuses religions solaires de l’époque des Pyramides aux mythes tardifs des périodes ptolémaïque ou romaine, entre ~330 et +400, époque de l’apparition progressive des cultes à mystères, tels ceux d’Isis, d’Osiris, (ou Sérapis), de l’Orphisme, de l’Hermétisme, (Hermès Trismégiste), de la Gnose et du Christianisme primitif, lequel nous semble bien avoir été tout autre chose qu’un schisme du Judaïsme. Pour comprendre ce qui s’est passé au début de l’ère chrétienne, il faut se représenter clairement ce qu’était réellement le contexte dans lequel les événements se sont déroulés. L’approche qu’en ont les Occidentaux est très chargée de préjugés. Les premiers concernent l’environnement ethnique et physique. Nous imaginons un milieu composé de peuples pauvres et semi-nomades, vivant dans un environnement désertique, avec des organisations, des religions et des comportements assez primitifs. Tout cela est parfaitement erroné, car le contexte de cette époque est le Monde Romain.

 

L’Empire de Rome est alors à son apogée.

 

Il a même intégré le grand Empire d’Alexandre et réunit une part très importante de la population mondiale. Il s’étend de la Manche à la Mer Rouge et à l’Atlantique, incluant Grande Bretagne, Gaule et une partie de la Germanie, Ibérie, Italie, Grèce et Balkans, Afrique du Nord et Egypte, Perse,  Turquie, et tous les petits états riverains de la Méditerranée, la Mare internum, la Mer Romaine privée. Malgré les innombrables difficultés liées à la dimension de l’empire et aux ambitions humaines, les empereurs romains ont su mettre en place les structures politiques, administratives, économiques, commerciales, juridiques, militaires, (et même religieuses), nécessaires pour faire fonctionner cet immense ensemble et assurer sa sécurité. Rien de comparable n’a été reproduit par la suite. Jamais dans l’Histoire, les échanges n’ont été plus faciles et plus sûrs, au sein de l’ensemble méditerranéen unifié, qu’au temps des Romains. Les cités et des campagnes reçoivent l’eau distribuée par des aqueducs. Des réseaux de voies de communication, terrestres et maritimes, permettent de voyager facilement dans tout l’Empire. De nombreux voyageurs les utilisent activement pour échanger les idées et les marchandises.

 

Rappelons ici les événements que nous étudions maintenant ont débuté il y a trois mille huit cents ans, entre le ~16ème et le ~14ème siècle, et qu’ils se sont poursuivis pendant plus de mille ans. La Bible hébraïque a été rédigée plus tard, entre le ~11ème et le ~3ème  siècle avant Jésus-Christ. En cette phase de l’étude, nous nous situons nettement après cette période. L’influence grecque et les idées platoniciennes ont profondément marqué la société romaine. Elles se sont progressivement étendues dans tout l’Empire. Rome et Alexandrie deviennent des foyers d’illumination et des creusets de transmutation. Regardons ce qui s’y concocte.  

 

Les penseurs turbulents mais tolérants.

 

Depuis Alexandre, le phare culturel d’Alexandrie rayonne sur la Méditerranée. Dans les quelques siècles qui encadrent la naissance du Christianisme, de nombreux courants de pensée agitent le monde antique. Les différentes écoles envoient des missions un peu partout pour répandre leurs cultes et leurs idées, et cela concerne aussi la Palestine et le Judaïsme. Cette importante turbulence amène des confrontations qui opposent les vieux cultes traditionnels aux religions nouvelles, et aux idées des penseurs néo-platoniciens, hermétistes, gnostiques et chrétiens.

 

Les cultes extatiques des Mystères. Il faut maintenant parler des étonnants Cultes à Mystères qui étaient alors pratiqués en Grèce et dans tout l’Empire Romain. Les plus connus sont les Mystères d’Eleusis, qui célébraient le culte des deux déesses, Déméter (Cérés à Rome), et Perséphone, mais d’autres cultes étaient rendus à Apollon, Dionysos, Cybèle et Attis, Mithra, Astarté, Pan, Adonis (et Atargatis, déesse syrienne dont le culte était proche du précédent). Il faut aussi citer des cultes égyptiens très célèbres tels ceux d’Isis, Sérapis, ou Anubis, et divers Ba’al, (sauveurs), connus sous les noms de Jupiter Héliopolitain, en Syrie, et de Jupiter Dolichénien.

 

Avant d’en examiner quelques uns, je voudrais vivement attirer votre attention sur l’importance de ces cultes à Mystères. Ils introduisent dans les pratiques religieuses antiques les concepts d’immortalité de l’âme, de salut et de résurrection. Sous l’influence de l’hellénisme qui les tolère, et au contact des très nombreux immigrants qui s’installent dans l’empire, les Romains accentuent encore leur grande facilité d’assimilation. Ils adoptent les nouveautés doctrinales des croyances étrangères et transforment les cultes orientaux dont les pratiques inhabituelles viennent secouer la morne monotonie de leurs habitudes.

 

La plupart des nouvelles liturgies, (et ultérieurement le Christianisme), s’adressent à des dieux souffrants dont les cultes évoquent la passion. Les fidèles reproduisent sur eux-mêmes les tribulations du dieu. Ces pratiques entraînent des privations pénibles et des souffrances occasionnellement sanglantes. Elles provoquent aussi de frénétiques comportements de défoulement et des émotions violentes qui fascinent les citoyens romains blasés et fatigués par la décomposition politique et les traditions vieillissantes. Les initiés  pratiquent même parfois des automutilations et des rites pénitentiels de flagellation. Des paroxysmes extatiques accompagnent la révélation progressive du dieu. Les liturgies, prenantes et colorées, s’appuient sur des initiations successives qui expliquent les significations cachées des Mystères. Elles sont accompagnées de baptêmes exaltants dont les rites de mort et de résurrection marquent la progression des initiés vers le salut dans un autre monde. Dans chaque niveau initiatique, des cérémonies marquent l’entrée dans une fraternité accueillante, et les rituels comportent souvent des repas en commun qui soudent la communauté.

 

Les Mystères d’Eleusis, port voisin d’Athènes, étaient consacrés au culte des deux déesses, Déméter, (l’antique Terre-Mère préhellénique), et Perséphone ou Coré, la fille qu’elle conçut de Zeus, (ou de Poséidon ?). Déméter est identifiée à Cérès par les Romains. Déesse agraire, elle est associée au blé et à l’abondance et occupe une place importante dans la religion grecque. Dans la légende éleusinienne, Hadès, dieu des enfers, a secrètement enlevé la jeune Coré. Déméter brisée par le chagrin, abandonne sa fonction et parcourt toute la Terre pour retrouver sa fille. Déguisée en vieille femme, elle entre au service de Céléos, roi d’Eleusis, comme nourrice tandis que la Terre devient stérile. Devant le désastre menaçant, Zeus charge Hermès de libérer Coré. Pour garder chez lui la jeune femme, le rusé Hadès lui offre une grenade, (fruit associé au mariage), dont elle mange un seul grain. Ayant ainsi goûté à la nourriture des morts, elle doit rester aux enfers. Zeus intervient alors et décide que Coré-Perséphone restera chaque année trois mois chez les morts, l’hiver, et qu’elle reviendra sur la Terre des vivants tout le reste de l’année. Fécondée par Zeus, Perséphone conçut ensuite un fils, Zagréus, également ressuscité, dont l’histoire éleusinienne est analogue à celle de Dionysos. Poursuivi par la jalousie de Héra, (ou Junon), épouse de Zeus-Jupiter, Zagréus revêtit plusieurs apparences. Transformé finalement en taureau, il fut dévoré par les Titans mais la déesse Pallas, (Athéna), réussit à préserver son cœur encore palpitant. Zeus foudroya les Titans et absorba le cœur de son fils qui, régénéré, devint Iacchos, assimilé à Bacchus, lui-même identifié à Dionysos. (Les Romains identifiaient Perséphone à leur Proserpine, déesse des Enfers).

 

Les Eleusinies sont les fêtes les plus connues du culte de la déesse. Elles auraient été institués à l’initiative de Triptolème, fils de Céréos, qui avait reçu de Déméter la mission de répandre le blé partout dans le Monde. Ils semblent provenir de cultes agraires primitifs assez fortement modifiés en syncrétisme avec des cultes dionysiaques et l’Orphisme. Ils étaient annuellement célébrés dans le Télestrérion d’Eleusis et faisaient participer le fidèle à la résurrection de l’enfant divin revenu de l’empire de la mort.

 

Présentons cet Orphisme, qui, en raison de la concordance des mythes orphistes et éleusiniens, réussit à s’infiltrer dans la religion athénienne, influençant les rites des Mystères. C’était une religion initiatique à tendance monothéiste marquée. Elle reposait sur les philosophies pythagoricienne, platonicienne puis néo-platonicienne et rassemblait donc diverses doctrines professant l’immortalité de l’âme et la succession de cycles de réincarnations jusqu’à la purification définitive.

 

L’Orphisme proposait aux fidèles des rites mystiques, des suites d’initiations, et des règles ascétiques de vie. Les adeptes étaient opposés à toute violence. Ils étaient végétariens et ne consommaient aucune chair. Dans le mythe orphiste, la mère de Dionysos, Sémélé, était mortelle. Aimée de Zeus, elle mourut d’effroi au sixième mois de sa grossesse, à la vue de la gloire du dieu. Zeus-Jupiter porta alors l’enfant cousu dans sa cuisse jusqu’à sa naissance. A travers sa double naissance, mortelle par sa mère et divine par son père, Dionysos apportait l’énergie sacrée à la nature ordinaire. Chaque année, il entrait en cortège dans la cité grecque qui l’accueillait avec des fêtes bruyantes et colorées. Il se manifestait différemment dans les Mystères extatiques accessibles aux seuls initiés.

 

Les deux légendes concordent, mais ici Dionysos-Bacchus est originellement le fils de Zeus et de Perséphone. Egalement jalousé par Héra, il est tué et dévoré par les Titans primordiaux. Zeus les foudroie, sauvant le seul cœur dont il féconde Sémélé. Dionysos ressuscité est ainsi né deux fois, ce qui est aussi son nom. Les hommes naissent des cendres des Titans foudroyés. Leur nature est donc animale et matérielle, mais ils recèlent cependant en leur âme une parcelle du Dieu dévoré.

 

Sachez aussi que, dans le système théogonique des adeptes d’Orphée, six générations divines se succèdent en bouclant sur elles-mêmes. Phanés, (la Lumière originelle), Fils de Zeus et de Métis, est le premier roi des Dieux, suivi de Nuit, d’Ouranos, de Kronos, et de Zeus, prononcé Deus par les Romains, et aussi par nous-mêmes. Celui-ci remet enfin son pouvoir au fils, deux fois né, Dionysos, lequel est aussi le retour eschatologique de Phanés, le Lumineux des origines.

 

A Eleusis, en Septembre, avant l’automne, des cérémonies extérieures traditionnelles préparaient la célébration des Mystères. Ces manifestations préliminaires ont été souvent décrites et nous sont relativement connues. Des reliques mystérieuses, (les hiéra sacrées), étaient transportées en procession jusqu’à Athènes et déposées dans un sanctuaire particulier, l’Eleusinion. Une excommunication solennelle était prononcée contre les infidèles et les impurs, puis les mystes, (les candidats  jugés dignes), entraient dans la mer pour se purifier. Après quelques jours de retraite et de jeûne, la procession immense des fidèles et des mystes retournait à Eleusis, précédée de l’effigie d’Iacchos, des hiéra, et des autorités. Les cérémonies secrètes commençaient alors, et nous devons ici avouer notre très grande ignorance.

 

Les rites des Mystères d’Eleusis
sont restés mystérieux.

 

La divulgation des rites secrets était rigoureusement interdite. Les Mystères d’Eleusis étaient extrêmement populaires au-delà même des limites de la Grèce, au point que la salle d’initiation, le Télestrérion, atteignit finalement une surface de deux mille six cents mètres carrés. Malgré le nombre immense des fidèles, aucun auteur ancien n’a jamais commis le sacrilège de rompre cet interdit. Nous savons seulement qu’ils étaient destinés à séparer les initiés, appelés à jouir éternellement de la vraie vie au-delà de la mort, des non-initiés destinés au bourbier infernal. Après avoir rompu le jeûne et absorbé le Kykéôn, simple bouillie de blé commémorant le premier repas de Déméter à Eleusis, les mystes recevaient des initiés une révélation bouleversante.

 

Bienheureux qui a reçu cette vision,

avant de descendre sous la terre, 

Il connaît ce qu’est la fin de la vie.

Il sait ce qu’est le principe donné par Zeus

(Pindare, Hymne, vers ~480).

 

Je voudrais ici attirer vivement l’attention du lecteur en le priant de remarquer que l’initiation éleusinienne assurait par elle-même le salut et la future survie personnelle du myste. Définitivement sauvé par les vertus magiques de cette entremise extérieure, il n’était tenu à aucun comportement éthique ou moral particulier. En cela, au moins autant que par les préoccupations relatives à la vie future et la tendance au monothéisme héritée de l’Orphisme, les Mystères d’Eleusiniens ont préparé le passage du paganisme aux cultes modernes, et tout particulièrement au Christianisme.

 

Adonis. Les Addonies, les mystères associés au culte d’Adonis, nous sont également mal connues. Adonis est un dieu Syrio-phénicien, dérivé du vieux dieu sumérien Tammouz. Dieu des arbres, des fleurs et des fruits, son lieu saint est Byblos. Son culte évoque la mort et la renaissance de la végétation. Rappelons le mythe. Aphrodite, déesse de l’amour, tombe elle-même amoureuse d’Adonis dés sa naissance. Elle confie l’enfant aux soins de Perséphone, déesse des enfers. Celle-ci s’en éprend à son tour et refuse de le rendre à sa rivale. Zeus arbitre le conflit et le résout à son habitude en décidant qu’Adonis vivra l’été avec Aphrodite et l’hiver avec Perséphone. Mais Adonis part à la chasse et il est tué par un sanglier furieux.

 

Du sang d’Adonis naît une anémone.

 

Les eaux rouges du fleuve Adonis seraient teintées du sang du dieu. Moins populaire que celle d’Attis que nous verrons ensuite, la commémoration de sa fin tragique avait lieu chaque année au coeur de l’été, à Athènes, Byblos, et Alexandrie. A Byblos, terre natale d’Adonis, qui s’appelle ici Gauas, la fête publique mobilise toute la population. Les jeunes filles pleurent avec Aphrodite, la mort du bel adolescent et elles étendent sa statue sur un lit mortuaire garni de fleurs. On lui offre un imposant sacrifice funéraire. Dés le lendemain, la statue du dieu est cérémonieusement redressée, puis il est proclamé vivant et, lui aussi, ressuscité.

 

Mais il y avait aussi d’autres rites insolites et anciens telle l’obligation faite aux femmes de se prostituer cette journée aux seuls étrangers et d’en verser le prix au temple d’Aphrodite.

 

La fête est plus simple à Athènes, plus proche des vieux rites agraires. Les femmes la célèbrent à l’intérieur des maisons. Elles la préparent en cultivant des plantes et des aromates dans des terrines ou des couffins, les célèbres jardins d’Adonis.  C’est autour de ces jardinets que se déroulent les cérémonies, les pleurs et les lamentations. La fête s’achève par la cueillette des aromates, et des graines, promesses de plaisir et de renouveau. Autre conteste à Alexandrie, où la commémoration est montée en spectacle. Le premier jour, Aphrodite-Isis et Adonis-Osiris s’attendrissent dans un décor champêtre, accompagnés de banquets, de chants, et de danses. Le second jour commence par la procession funèbre. Les femmes en pleurs portent la statue d’Adonis hors de la ville, vers la mer. Le dernier jour, Aphrodite descend aux Enfers et ramène Adonis ressuscité dans l’allégresse générale.

 

Isis, Osiris, Sérapis, Anubis. Au sein des cultes égyptiens répandus dans l’empire, l’initiation isiaque comporte aussi une mort fictive et elle fait du myste un nouvel Osiris qui meurt et ressuscite chaque année. Les mystérieuses cérémonies secrètes restent également assez mal connues. Le nom d’Osiris ne doit jamais être proféré. Hérodote lui-même, qui avait été initié, est très attentif à ne jamais prononcer le nom sacré dans la relation de son voyage en Egypte, vers ~450.

 

Dans le temple de Minerve, à Saïs, dit-il, on peut voir la sépulture du dieu dont il serait sacrilège de prononcer le nom (...). On donne de nuit, sur le lac de la Roue, à Delos, des représentations de sa passion que les Egyptiens appellent des Mystères. J’en sais beaucoup plus sur ces Mystères, mais je me garderai bien d’en parler, ainsi que des Mystères de Cérés que les Egyptiens appellent la fête des Rites (...).

A Saïs, la nuit de la fête d’Isis, tout le monde allume des lampes dehors, autour des maisons. On appelle cela la Fête des Illuminations. Ceux qui n’assistent pas à la cérémonie veillent quand même chez eux toute la nuit et allument leurs lampes, si bien que, cette nuit-là, toute l’Egypte est illuminée.   

 

Un peu différent et plus tardif, le culte de Sérapis fut à l’origine de la diffusion des cultes égyptiens qui s’étendirent ensuite à l’ensemble du monde gréco-romain. Sérapis semble être constitué par une association entre Zeus, Osiris et Apis. L’origine du nom n’est pas claire. Il pourrait dériver d’Osiris-Apis, associant l’image divine du taureau aux concepts de mort et de résurrection. Les Grecs identifiaient d’ailleurs Sérapis à Pluton, le dieu des enfers, ou à Dionysos, le ressuscité. A Alexandrie, Ptolémée Sôter lui fit bâtir le Sérapeum, un temple immense et somptueux. Au début de notre ère, le culte de Sérapis est installé à Rome ainsi que celui d’Isis. La grande déesse de vie et de résurrection a un autel au Capitole. Elle est adorée partout et son culte revêt des aspects curieux et une importance considérable. En dépit des réactions et des destructions périodiquement ordonnées par le Sénat, les cultes égyptiens demeurent alors très populaires, tout particulièrement celui d’Isis. Il apparaît aujourd’hui que certaines statues chrétiennes, miraculeusement trouvées, seraient en fait des idoles antiques consacrées à la très païenne déesse égyptienne.

 

Les vierges noires pourraient être des statues d’Isis.

 

La légende d’Isis et d’Osiris est commémorée à Rome par deux grandes fêtes, celle du Navigium ou du Vaisseau d’Isis, au printemps, et celle de l’Invention d’Osiris, à l’automne. La fête du Vaisseau d’Isis débute par un véritable carnaval, avec costumes divers et déguisements cocasses. Il est suivi d’une grande procession rigoureusement ordonnancée. En tête viennent les femmes, couronnées de fleurs, puis la foule, portant des flambeaux, suivie du groupe des mystes vêtus de lin blanc. Les prêtres avancent, le crâne rasé, suivis des représentations des dieux, statues d’Anubis, d’Isis-Hathor, vase d’or contenant de l’eau du Nil (symbolisant Osiris). A la fin se tient le Grand Prêtre portant une couronne de roses et un sistre d’or. Au bord de la mer un vaisseau attend. Il est décoré à l’égyptienne, et le prêtre le purifie et le consacre au nom d’Isis. On le charge des diverses offrandes apportées par la foule, on le libère et on le laisse aller au gré des courants.

 

La fête de l’Invention d’Osiris commence fin Octobre par trois jours de plaintes, de simulacres et de deuil qui évoquent la mort d’Osiris et la désespérance d’Isis recherchant le corps démembré. Au matin du troisième jour, la foule s’assemble pour une cérémonie spectaculaire, ils crient et la joie explose.

 

« Nous l’avons retrouvé ! ».

 

Les mystes sont ensuite baptisés avec de l’eau lustrale, le prêtre appelle sur eux la bénédiction divine, ordonne leur purification, et leur donne des instructions secrètes relatives aux mystères qui sont célébrés dix jours plus tard. Au soir de l’initiation, le candidat vêtu de blanc entre au fond du sanctuaire, et le vrai mystère commence. Sur celui-ci, nous ne savons pas grand chose, si ce n’est que le myste passe alors le seuil de Proserpine et subit une mort symbolique. Au cours de la nuit, il semble que nouvel Osiris, il suivait symboliquement la course du soleil dans le séjour des morts. A l’aube, avec le soleil du matin, il réapparaît vêtu des douze robes qui symbolisent les constellations. Il est couronné des palmes d’Horus et revêt la robe olympienne, attribut des dieux. Dans cette splendeur, il est alors présenté à la foule, sur une estrade, face à la statue d’Isis. Les nouvelles naissances sont suivies de banquets, ce jour là et le lendemain.

 

 Les cultes isiaques, par ailleurs, célèbrent quotidiennement des rites qui évoquent le rôle solaire d’Osiris. Il y a un office du matin, avec ouverture des portes du temple, allumage des feux, présentation aux fidèles de l’eau du Nil, (symbole d’Osiris), toilette et vêture des statues, chants et prières. Un autre office commence vers quatorze heures, avec hymnes et longue adoration extatique. Il dure jusqu’à l’adieu du soir à la déesse et la fermeture du temple. L’organisation des cultes et du clergé est très efficace. Les dévots peuvent aussi louer des cellules pour la nuit, et une organisation conventuelle hôtelière permet même aux fidèles de faire retraite à l’intérieur du temple.

 

Après le suicide de Cléopâtre, incarnation pharaonique d’Isis banalement tuée par un aspic, la ferveur est très éprouvée et la religion est temporairement persécutée. La plupart des empereurs romains vont cependant la soutenir. Caligula, Claude, Néron, Vespasien, Domitien, Hadrien, et Marc Aurèle favorisent successivement le rétablissement des cultes alexandrins qui gênent l’expansion chrétienne dans l’empire. Le cruel Commode, autoritairement déifié, poursuit cette politique jusqu’à la caricature (et jusqu’à son assassinat). Au 2ème siècle, la religion égyptienne revitalisée gagne même les provinces extérieures de l’Empire, la Gaule, l’Espagne, les plaines du Danube, et elle se répand dans tout le Nord de l’Afrique, y compris Carthage.

 

Attis et Cybèle. Nous entrons maintenant dans de plus sombres arcanes. Et pourtant, la sanglante religion des mystères d’Attis et de Cybèle est également une religion de salut. Après avoir été bien acceptée en Grèce, Cybèle fut la première divinité réellement étrangère admise à Rome. Puis, des dieux syriens et égyptiens s’y installèrent de façon rudimentaire. Plus tard, de véritables temples furent consacrés à Isis, Astarté, puis Mithra. Cybèle est la mère de tous, la déesse phrygienne de la terre, honorée en Asie Mineure sous diverses appellations, Kubile, Misa, Hipta. Elle est parfois assimilée à Cérès ou Déméter. Un culte analogue est celui de Ma, ou Sabazios, importé de Syrie. Elle devient amoureuse d’Attis qu’elle a trouvé endormi sur la rive du fleuve Gallos. Elle le coiffe d’un bonnet étoilé, et le garde auprès d’elle. Attis, est le fils de la déesse vierge Dana qui l’a conçu en mangeant une amande. Il abandonne Cybèle et va vivre avec la fille du fleuve, une nymphe dont il est amoureux. Le chagrin de Cybèle, folle de désespoir, amène Attis à s’autodétruire par émasculation. Après cette mortelle et sanglante mutilation, la déesse primordiale, émue, ressuscite le dieu repentant qui revient alors habiter avec elle.

 

Le sacrifice d’Attis prépare sa résurrection.

 

On commémore rituellement chaque année le souvenir de la passion d’Attis. L’ouverture des célébrations a lieu au printemps, vers le 15 Mars. Elle est suivie d’une neuvaine, de jeûne, d’abstinences diverses, et  de pénitence. Le 22 Mars, au cours de la Cérémonie de l’Arbre, on présente aux fidèles le pin sacré taché du sang d’Attis. Les fidèles, les galles, reproduisent la passion du dieu en se livrant à des privations sévères suivies de danses frénétiques au son des flûtes, des cymbales, et des tambourins. Certains fanatiques se castrent alors eux-mêmes, avec des couteaux de silex mis à leur disposition. Ils rendent à la terre mère leurs organes virils et leurs facultés de reproduction et, par cet acte, ils deviennent les fidèles serviteurs, les esclaves de Cybèle, la Mère Universelle.

 

La castration étant interdite aux citoyens romains, les pratiques rituelles furent adaptées aux exigences locales. Un sacrifice de substitution, le Taurobole, (probablement taureau de Ba’al), fut institué pour les Romains. A Rome, c’est un taureau qui est mutilé. Son sang se déverse sur le myste qui est réputé purifié, revigoré, et rené, pour une période de vingt ans. Il doit alors répéter la cérémonie. Ultérieurement, ce baptême sanglant assurera, par lui-même et par transfert, la résurrection et le salut éternel de l’initié, à l’image de la résurrection d’Attis après son sacrifice volontaire et sanglant. Les rites de mutilation ont probablement été induits par les pratiques de circoncision des Sémites. Nous constatons aussi que, sous cette influence, elles associaient déjà d’une certaine façon la sexualité et le péché, et annonçaient même les traditions de célibat et les futures castrations de pureté de mystiques comme celle d’Origène.

 

Dans son traité Des dieux et du monde, le néo-platonicien Sallustius nous donne une interprétation théologique de ce mythe. Cybèle est la grande déesse primordiale qui donne la vie. Attis est, en ce monde, l’artisan de ce qui est sujet au changement, c’est pourquoi il est trouvé au bord du fleuve. Comme les puissances primordiales perfectionnent continûment les puissances secondaires, la Mère s’éprend d’Attis et lui donne la puissance céleste symbolisée par la coiffure étoilée. Cependant Attis à son tour s’éprend d’une nymphe, symbole de la génération. Toute génération est destinée à périr. Attis en prend conscience et, craignant que du mauvais ne sorte le pire, jette sa puissance génératrice dans le monde du devenir et revient vivre avec les dieux. On retrouve ici la doctrine d’Hermès concernant le destin de l’âme, la chute dans la matière et le retour aux dieux au prix du sacrifice de la personnalité terrestre. Dans la légende égyptienne, Osiris aussi n’est devenu immortel qu’avec la perte de son phallus.   

 

Mithra.  C’est un dieu solaire, mais aussi un sauveur des hommes. Il vient d’Iran par le canal des Phrygiens, et trouve probablement son origine plus lointaine dans le dieu indien védique Mitra, (l’Ami). Son culte est  apparu vers le ~5ème siècle. Il est célébré dans le monde hellénistique qui tend à l’assimiler à Hermès. Mithra joue d’abord le rôle d’un médiateur entre Ahriman, le Mal, et le Dieu suprême, la Lumière du Soleil. Il grandit ensuite et en vient presqu’à égaler ‘Ahura Mazdä.

 

Je le créai aussi digne de sacrifices,

aussi digne de prières

que Moi-même,

‘Ahura Mazdä.

(Avesta,  Yasht 10, strophe 1).   

 

Il est une lumineuse image du Soleil, violent et guerrier, impossible à vaincre et même assimilé tardivement au Sol Invictus d’Aurélien. Son culte ne se répand guère qu’à partir de 90. Son importance devient ensuite assez considérable, surtout chez les militaires. Voyons donc un peu le mythe. Sur l’ordre du Soleil, apporté par un corbeau, Mithra est associé au salut du monde en mettant à mort un taureau qu’Ahriman vient d’infecter pour vicier la source de la vie dans le monde. En sacrifiant l’animal, il répand son sang éternel avant qu’il soit corrompu. De cet épanchement, Mithra fait naître les plantes et les autres créatures. Il arrache ses proies à l’Esprit du Mal et monte ensuite sur le char du Soleil. Il est donc à la fois démiurge et sauveur. Par ce baptême de sang, ses fidèles obtiendront l’éternité.

 

Ce culte à Mystère comportait sept degrés d’initiation associés à des symboles astraux, le Corbeau (Mercure), l’Epoux (Vénus), le Soldat (Mars), le Lion (Jupiter), le Perse (Lune), le Courrier (Soleil), et le Père (Saturne). Chaque groupe d’initiés a un attribut et un rôle précis dans le rituel. Par exemple, les Lions brûlent l’encens et apportent les offrandes des sacrifices, les Corbeaux servent les repas sacramentels. La communauté est dirigée par le Père qui porte une mitre, une baguette et un anneau comme un évêque. A Rome, le Père des Père est le chef suprême de l’église mithriaque. Les cérémonies d’initiation comportaient divers  renoncements, un baptême d’eau, un marquage au fer rouge sur le front, un simulacre de mise à mort du myste, et des rituels variant avec le degré abordé.       

 

Les premiers temples de Mithra sont des cavernes étroites ou des grottes naturelles où coulent des sources. Ils furent ensuite construits en pierre mais gardèrent intérieurement cet aspect. Leur disposition est constante. On y trouve, à droite et à gauche, deux banquettes sur lesquelles les fidèles s’allongent à la Romaine pour prendre les repas sacramentels. Un couloir central va de l’entrée où sont placées des vasques jusqu’à l’autel où est disposée l’image de Mithra éclairé de lampes. La voûte est décorée d’étoiles et les murs sont ornés de peintures. Le culte est quotidien et l’on sanctifie particulièrement le Dimanche, jour du Soleil. L’acte cultuel est un repas en commun qui commémore le banquet qu’ont fait Mithra et le Soleil après la mort du taureau. Un sacrifice est offert dont la victime est consommée, parfois un mouton et souvent des poulets. Dans les initiations, on offre aux convives du pain, et semble-t-il du vin, en prononçant des formules qui sont restées secrètes.

 

La fête de Mithra avait lieu le 25 Décembre. Elle semble s’être perpétuée dans celle de Noël. Le culte de Mithra impliquait un système cosmogonique complexe, qui donnait à l’astrologie une place importante dont on retrouve les traces dans les ruines des sanctuaires. Il est entré en concurrence avec le développement du Christianisme, tout particulièrement au moment de la promotion par l’empereur Aurélien d’un culte solaire que nous allons rapidement évoquer.

 

Sol Invictus. Qu’on traduira par « Soleil invincible ». Ce culte solaire fut lancé au 3ème siècle par Aurélien qui fit élever un temple magnifique au champ de Mars, en l’an 274. L’empereur considérait le Soleil comme son protecteur personnel, le proclamant « Dieu Souverain de l’Empire Romain ». Ce culte semble être partiellement confondu avec celui de Mithra ou lui être associé. La fête de la renaissance du Soleil après l’hiver fut également fixée au 25 Décembre, (qui était décidément une date très demandée).

 

Aurélien tentait ainsi vainement de réunir dans un même culte solaire, les Chrétiens, les Mithriastes, les Syriens et les adorateurs d’Isis. Rappelons-nous que les souverains romains ont longtemps essayé de fonder une religion universelle établissant la légitimité de leur fonction. Ils ont d’abord magnifié le culte de Quirinus, dieu fondateur, et ont établi le culte de la Rome Eternelle, en s’appuyant sur le rôle traditionnellement sacerdotal du prince. Ils essayèrent ensuite de capter des divinités populaires, telle Cybèle par Marius, par Sylla, Hercule Invictus par Pompée. César prétendit prouver son ascendance avec Vénus et lui fit élever un temple dans son nouveau Forum, (Vénus Génitrix). Cela permit au Sénat de diviniser l’empereur de son vivant, et de lui consacrer un temple sous le nom de Jupiter Julius. Après la mort de César, son culte fut institué comme Diuus Julius. Le fils adoptif de César, Octavien, prit ensuite le titre de Diui Filius, fils du divinisé. Le culte impérial était fondé.

 

Nous avons vu que les traditions romaines montraient une très   grande tolérance vis-à-vis de tous les cultes. Par contraste, la maison de l’empereur avait réussi à transformer le respect des exigences du culte impérial en preuve de loyalisme envers Rome et son empereur. Cette politique créa de sérieuses difficultés (dont on trouve la trace dans divers écrits dont l’Evangile. Les mentalités avaient évolué. Les multiples divinités étaient de plus en plus considérées comme les manifestations diversifiées, les avatars, d’une même unique et grande divinité universelle. En accord avec les Sumériens qui croyaient que l’humanité progressait par vagues successives vers l’accomplissement éternel, pour exprimer cette situation, nous dirons qu’à ce moment.

 

La vague humaine a franchi
un seuil d’évolution spirituelle.

 

On comprend mieux alors les essais variés qui tendaient à établir un  culte romain national, politiquement indispensable. Les premiers pressentis avaient été Hercule, au 1er siècle, et surtout Isis, la Suprême Souveraine, la Mère Universelle. Le pansolarisme d’Aurélien subsista cependant, timidement, jusqu’au tout début du 5ème siècle. Il semble avoir été la dernière tentative impériale pour adapter les structures religieuses d’Etat à cet hénothéisme, cette recherche d’une déité souveraine et universelle, qui progressait rapidement dans les mentalités. Le succès limité d’un culte bâti sur la religion romaine traditionnelle et imposé par l’appareil d’Etat, ne résista pas longtemps face aux puissants attraits mystiques des religions émergentes, aux nouveaux comportements éthiques des fidèles, et aux merveilleuses promesses d’éternité des libres et émouvants cultes à mystères des « Gentils » qui écrivaient alors.

 

En ce qui regarde Dieu,
 qu’on tienne fortement ces quatre principes,

la foi, la vérité, l’amour, et l’espérance.

Il faut croire qu’il n’y a de salut
que dans la conversion vers Dieu.

(Lettre à Marcella - Porphyre-Néo-Platonicien-Vers 300).

 

Il ne restait aux empereurs qu’une seule possibilité pour reprendre la main, promouvoir l’un de ces cultes en l’associant aux pouvoirs d’état, politique, civil et militaire. Ils semblaient devoir logiquement choisir la populaire religion d’amour, de joie, et d’éternité des pacifiques adorateurs d’Isis, ou bien le culte viril de Mithra, si proche du culte solaire qu’ils prônaient. Etonnamment, pour des motifs personnels tout à fait mineurs, ils firent un autre choix. A ce moment, peut-être, la vague de vie a pu rater la marche.

 

Et, pour mille ans et plus,
la face du monde en fut changée.
 

 

Tous ces bouleversements, tant des structures politiques et sociales que de la pensée religieuse, concernent aussi la Palestine où va naître le Christianisme. A son égard, bien des idées communes sont fausses. A l’époque, la contrée n’est pas réellement unifiée et comprend plusieurs provinces. En Judée, autour de Jérusalem, on pratique alors un judaïsme assez fervent, dérivé de la religion établie après la déportation des Juifs à Babylone.

 

La Galilée, la Terre des Gentils, (des étrangers), est le territoire le plus cosmopolite de cet ensemble. Riche et fertile, il est au centre d’un réseau d’échanges avec la Syrie, la Babylonie, la Phénicie, la Grèce, et l’Egypte. Il en a subi les influences culturelles et religieuses, conservant, vis-à-vis d’Israël, une ferme volonté d’indépendance malgré son annexion peu de temps avant l’arrivée des Romains. Beaucoup de religions et de sectes coexistent dans cette Galilée très tolérante.

 

Il en est de même en Samarie, la Terre de l’Hérésie, dont la religion israélite antique a intégré des pratiques cultuelles empruntées aux Syriens ou aux Phéniciens. Les Juifs méprisent les Samaritains qu’ils considèrent comme des païens. Au Nord, en Samarie et en Galilée, ainsi qu’au Sud, en Idumée, on s’adonne à des formes de culte plus anciennes, beaucoup moins strictes, très fortement marquées par l’influence des cultures environnantes.

 

Le Christianisme originel. Il existe en Israël de nombreuses sectes, dont les Nazoréens mal connus, (gardiens ?). Au 1er siècle apparaissent les Zélotes, extrémistes théocrates dont l’action terroriste provoqua la destruction de Jérusalem par Titus. D’autres courants plus modérés sont bien connus. C’est Flavius Josèphe qui parle le premier des différents groupes actifs en Judée, dans l’environnement pré-chrétien. L’historien juif les présente comme des écoles philosophiques analogues à celles des Grecs. Ici, les positions religieuses et politiques sont toujours liées. Les partis religieux se combattent farouchement et associent l’action politique énergique pour la conquête du pouvoir avec un ardent militantisme pour imposer leurs conceptions spiritualistes.

 

- Les Saducéens sont les représentants de l’aristocratie sacerdotale. Privilégiés, fortunés et très conservateurs, ils détiennent l’essentiel du pouvoir. Attachés au strict Judaïsme traditionnel et pratiquant un ritualisme rigoureux, ils refusent toutes les innovations populaires et les croyances nouvelles, telles les promesses de fin du monde, la foi en la résurrection, la hiérarchie angélologique.

 

- Les Pharisiens sont d’origines plus simples, petits propriétaires, artisans et ouvriers, bien plus proches du peuple dont ils reflètent les aspirations religieuses. Ils contestent les privilèges du clergé et lui opposent leurs rabbins, ou sages, qui militent pour une application plus mesurée et plus humaine de la Loi. Quoique Jésus soit probablement issu de ce milieu, ils ont été sévèrement critiqués par les Evangiles car ils faisaient étalage de leurs vertus.

Sous les Romains, la royauté est abolie. Un pontife pharisien règne au Temple, et le parti détient le monopole des interprétations juridiques permettant l’application concrète de la Loi.    

 

- Les Esséniens constituent la troisième école. Mal connue, elle mérite qu’on lui accorde un peu d’attention. Son importance a été confirmée par la découverte des Manuscrits de la Mer Morte, en 1947, dans des grottes du désert de Judée, à proximité de Khirbet Qumrän, où l’on a également retrouvé les ruines d’un grand monastère essénien. Les manuscrits et les ruines de Qumrän authentifient différents textes considérés jusque là comme apocryphes. Ils permettent d’identifier un groupe bien séparé du reste la société judaïque du ~1er siècle, c’est-à-dire une véritable secte.

L’ordre essénien forme une véritable communauté monachique pratiquant le noviciat, le célibat, la mise en commun des biens  et le strict respect de la Loi de Moïse. Les infractions sont sanctionnées par l’exclusion. Les Esséniens se disent détenteurs de révélations secrètes ésotériques et de la connaissance du temps, et ils ont un calendrier particulier, beaucoup plus précis que celui des Juifs. Leur pensée semble avoir été influencée par les Grecs et les Iraniens dualistes. Ils ont une angélologie très foisonnante. Ils croient que le monde est l’objet de l’affrontement de deux groupes de puissances invisibles, les Esprits de Lumière, l’armée de Dieu, et les Esprits des Ténèbres commandés par Bélial.

 

Les Esséniens se considèrent comme la communauté mère autour de laquelle le Peuple de Dieu doit s‘organiser pour préparer la victoire de la lumière sur les ténèbres et l’établissement du royaume. En ces temps prochains, les douze tribus adopteront la doctrine et constitueront une grande communauté essénienne. La guerre apocalyptique finale opposera Israël aux fils de perdition promis à la destruction. Au début du ~1er siècle, un prêtre essénien, le Maître de Justice, aurait rédigé la Règle réorganisant la communauté ainsi que divers autres textes, puis aurait été supplicié et tué par un prêtre du Temple, (Hyrcan II), avant la prise de Jérusalem par les Romains, en ~63. Son exécution fut suivie de persécutions. Les Esséniens prétendent que la profanation du Temple est la punition infligée par Dieu pour toutes ces exactions. Cela renforce leurs attentes d’un prophète, et d’un messie-roi suivi d’un messie-prêtre avant les temps eschatologiques d’un Fils d’Homme et la fin du Monde.

 

Or, précisément, comme celle des Esséniens, la doctrine du Christianisme originel est eschatologique. Comme beaucoup d’Hébreux, les nouveaux Chrétiens croient alors que la fin du Monde est imminente. Le Salut approche, le Mal sera vaincu, et le royaume de Dieu va être fondé. Un nouveau ciel et une nouvelle terre seront créés, et la nouvelle Jérusalem céleste, apparaîtra, descendant des cieux. Très logiquement, les Chrétiens se disent donc étrangers ici-bas, dans le Monde, mais ils ont redoutable attitude intolérante. Nous avons vu combien les peuples de l’Antiquité étaient tolérants, considérant qu’aucune tradition religieuse ne pouvait prétendre posséder seule la vérité révélée peu à peu par les dieux.

 

Celle-ci est révélée par les dieux.

Elle se répand dans l’humanité sous différentes formes.

Chaque peuple, chaque culte

 porte une part des secrets divins.

 

Pour comprendre, ce qui ne signifie pas accepter, l’intolérance, l’intransigeance, voire le fanatisme qui ont ultérieurement marqué la marche triomphante du Christianisme, il faut absolument revenir sur les particularités de la religion hébraïque dont il est issu. Elles ont d’ailleurs été largement exposées au précédent chapitre. Cette religion repose sur l’affirmation de l’identité particulière de la nation d’Israël. Les Hébreux sont un peuple saint, choisi entre tous, donc meilleur que les autres. Leur dieu vivant se tient présent en permanence, au sein de la communauté, au coeur de l’Arche d’Alliance. Cette alliance privilégiée avec le Dieu créateur est l’expression religieuse de la souveraineté nationale.

 

En tant que peuple choisi par l’autorité du seul dieu souverain, les Hébreux ne sont aucunement soumis aux autorités terrestres. Leur unique loi est le Décalogue, la règle dictée à ses vassaux par le suzerain YHWH, créateur du Monde. Ils en sont les dépositaires exclusifs. La loi concerne tous les domaines et tous les détails de la vie religieuse et sociale. L’obéissance est obligatoire. Les obligations incontournables comportent la circoncision des jeunes garçons, répandue chez tous les sémites, le sabbat, repos hebdomadaire rigoureux, et de nombreux tabous divers, notamment alimentaires. La pratique des autres cultes est interdite. Israël ne peut servir qu’un dieu car YHWH, le Vivant, est un dieu jaloux. Par ailleurs, comme les Amorrites, les Hébreux attachent une grande importance aux paroles extatiques prononcées par les prophètes, et les considèrent inspirées par Dieu lui-même. Issus d’Israël dont ils ne sont pas encore séparés, les Paléochrétiens maintiennent ces traditions hébraïques. Ils demeurent le peuple élu parmi tous les autres et ils attendent aussi la fin prochaine du Monde. Et, comme les Esséniens, leurs probables précurseurs, ils se veulent chargés d’une mission sacrée, faire de leur propre Dieu le seul Dieu universel.

 

Bien évidemment, cela provoque l’incompréhension puis l’hostilité générale lorsque le Christianisme commence à se répandre dans la Gentilité. Dans notre culture traditionnelle, les fidèles des autres cultes sont généralement appelés païens, (mot de mépris désignant des paysans). Ce terme est tellement chargé de connotations péjoratives imméritées, qu’il ne permet plus d’en parler sereinement. Je les appellerai donc les Gentils, ancien terme désignant les étrangers, ceux qui ont une autre religion que le Judaïsme, le Christianisme, ou l’Islamisme. L’hostilité moqueuse des Gentils face à la prétention intransigeante des Paléochrétiens va croître en proportion du développement du Christianisme. Nous voyons qu’elle est déjà assez acerbe au cours du 2ème siècle dans le discours ironique que Celse prête aux Chrétiens dans sa Polémique anti-chrétienne.

 

Nous sommes ceux à qui Dieu révèle et prédit tout.

C’est pour nous seuls qu’il gouverne..

négligeant l’univers et le cours des astres..

C’est pour nous seuls que tout a été fait

et est organisé pour nous servir.

 

A l’origine du Paléochristianisme, il y a une secte hébraïque dont il semble que l’activité ne concerne qu’Israël et non pas la Gentilité. Je n’ai été envoyé qu’aux tribus perdues de la maison d’Israël. (Matthieu, 15,24). Signalons déjà, sans poser ici les problèmes liés à l’historicité, qu’on peut le relier aux Cultes à Mystéres. Dans le désert de Judée, un personnage messianique prêche à tous les Juifs, quels qu’ils soient, la repentance en vue du tout prochain Jugement dernier. Il purifie les repentis dans le Jourdain par un bain qui est un baptême de pardon. L’annonce eschatologique est habituelle, mais l’extension du salut aux pécheurs ordinaires, au commun coupable du petit peuple, est particulièrement novatrice et surprenante compte tenu des origines esséniennes de Jean le Baptiste. Jésus témoigne, par son propre baptême, de son adhésion à ces idées nouvelles, affirmant aussi qu’il rompt avec son milieu habituel, probablement pharisien.

 

Tu aimeras le Seigneur ton Dieu,

de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée.

C’est le premier et le plus grand des commandements.

Et voici le second qui lui est semblable.

Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

De ces deux commandements dépendent

toute la loi et les Prophètes.

(Matthieu, 22, 36).

 

C’est sur la base de la grâce divine offerte aux pécheurs repentants qu’il entreprend sa prédication personnelle. Celle-ci est révolutionnaire sur plusieurs plans. Elle affirme non pas l’imminence eschatologique de l’instauration matérielle du Royaume de Dieu, mais bien sa présence actuelle et permanente dans le coeur des hommes. Elle réduit les rigoureuses et tatillonnes exigences de la Loi hébraïque à la seule obligation de l’amour de Dieu et du prochain. A tous, elle offre immédiatement la grâce divine et la paix de l’âme. Cette provocation attire sur Jésus l’hostilité et la haine des éminences sacerdotales. Elle le conduit finalement à la crucifixion avec la participation des autorités romaines. Le groupe des disciples proclame alors sa résurrection puis réduit son activité publique à la seule ville de Jérusalem, se repliant dans une communauté semi-monastique pour approfondir sa doctrine messianique dans le cadre de la religion hébraïque.

 

De nombreux Juifs vivent alors hors de Palestine, dans tout le Bassin oriental de la Méditerranée, tout particulièrement en Egypte et à Alexandrie. Quoique, imprégnés de culture grecque, ils reviennent souvent vers Israël. Certains disciples proviennent de ces colonies. Ces Hellénistes désirent répandre activement les idées de la communauté, rejetant toute prudence à l’égard du terrorisme zélote. Inquiet, le groupe de Jérusalem, se constituant en Eglise, finit par les exclure et ils s’en vont fonder ailleurs les diverses églises missionnaires dont témoignent les Epitres, en Samarie, en Phénicie, en Syrie, ou à Chypre. Ces missions connaissent une extension considérable au sein de la diaspora israélite. Elle nécessite la mise en place d’un coordinateur intelligent et efficace qui est trouvé en la personne de Saül de Tarse (Paul). Converti à la suite du martyre d’Etienne par les Zélotes, il réussit à faire admettre, à Jérusalem, que les Gentils pouvaient devenir chrétiens sans passer préalablement par le Judaïsme et la circoncision.

 

L’apport de Paul au Christianisme est vraiment immense. Il l’a hellénisé et organisé, en mettant en place des structures efficaces d’évêques et de presbytres et en créant des sacrements. Il l’a surtout profondément transformé en y introduisant la notion du rachat collectif des hommes par la mort de Jésus, un salut offert par la seule grâce de Dieu, non plus en récompense du mérite individuel des fidèles. Son action a été décisive pour assurer le succès et la rapide extension de cette religion de salut universel, facile à comprendre, agréable à pratiquer, qu’il a rendue accessible aux hommes de toutes les nations.

 

La révolte zélote de 66 entraîne la destruction de Jérusalem, la démolition du Temple, et une effroyable répression. L’état d’Israël cesse d’exister et la communauté hébraïque se raidit, se rassemblant autour des rabbins de Jamia. Tout rapprochement avec le Judaïsme devient impossible. Comme les Juifs, les Chrétiens refusent de sacrifier au culte impérial, bravant l’autorité civile, ce qui provoque quelques persécutions. La nouvelle religion se sépare complètement de l’ancienne. Elle élabore ses propres rites et cérémonies en empruntant beaucoup aux cultes à mystères auxquels elle aurait pu joindre sa lumière. Mais, persuadée de l’importance de sa mission sacrée, elle va affronter les autres croyances et travailler fanatiquement à leur totale élimination.

 

L’Empire entre les mains. En 325, pour régler les querelles qui empoisonnent les relations des églises, Constantin convoque le concile œcuménique de Nicée. Appropriant le pouvoir doctrinal et les structures sacerdotales, il déclare que le Christianisme est la religion de l’Etat. Mais le véritable instaurateur du Christianisme conquérant et autoritaire est l’empereur Théodose. La conversion des empereurs donne à l’intransigeance chrétienne l’appareil du pouvoir et ses terribles moyens de coercition. Elle s’en sert durement. En 382, l’autel de la Victoire, symbole de la religion romaine, est enlevé du Sénat malgré les protestations de Symmaque, le Préfet de Rome.

 

Nous réclamons le respect

pour les dieux de nos pères, les dieux de notre patrie.

Il est juste de croire
 que tous les hommes adorent le même Un.

Car nous regardons les mêmes étoiles,

le même ciel nous recouvre,
 le même univers nous entoure.

Qu’importe le moyen par lequel

chacun de nous atteint la vérité.

On ne peut parvenir par une seule voie
 à un si grand mystère.

 

En 391, tous les cultes traditionnels des Gentils sont interdits dans tout l’Empire, leurs flambeaux spirituels s’éteignent et tous leurs temples sont détruits.

 

Et, en 435, il devient obligatoire d’être chrétien,

sous peine de mort.

 

Le doux prophète galiléen prêchait la liberté, la tolérance, le salut par la seule grâce et l’amour de Dieu et des hommes. Le destin de la religion fondée en son nom fut d’établir impitoyablement sur les structures romaines, l’empire d’un Dieu jaloux, à l’image du vieux Dieu biblique, forçant la conversion, par le fer et le feu, le viol des consciences et la torture, la prison et les bûchers. Derrière nos blanches cathédrales, cette ombre obscure, hélas, demeure. Dans le paganisme, nous dit J.J. Rousseau avec un parti pris certain, où chaque état avait son culte et ses dieux, il n’y avait pas de guerres de religions.

 

En charge institutionnelle du contrôle de la justesse des actes et des consciences jusqu’à la tête de l’Empire, le Christianisme monte en puissance. Il se heurte vite au pouvoir, excommuniant Théodose, (qui n’est pas un saint et a fait massacrer de nombreux prisonniers), obtenant même de lui une pénitence publique en 390. Après la soumission spectaculaire du puissant empereur de Rome, plus rien ne peut arrêter l’Eglise. Au cours des siècles suivants, aprés l’interdiction des cultes traditionnels et la destruction des temples, le Christianisme s’attache à effacer méticuleusement toutes leurs traces. Il construit ses sanctuaires dans les lieux consacrés, sur les monuments religieux et les ruines des temples détruits. Il plaque ses fêtes votives sur les vieilles célébrations des cieux et des saisons et superpose ses propres symboles aux anciennes évocations des dieux. Il impose à tous ses propres rites initiatiques et interdit la magie.

 

La magie tente le lier le ciel avec des moyens de la Terre. Sans bien percevoir que ses propres pratiques sont aussi des rites magiques, le Christianisme combat très vigoureusement, dés sa fondation, la divination et la magie et, bien au-delà d’elles, toutes les philosophies et religions orientales d’Egypte, d’Etrurie, d’Inde, de Perse, de Grèce, ou d’ailleurs, qui exercent les formes traditionnelles des cultes et de l’enseignement. On pratique alors couramment des sacrifices magiques et des rites de théurgie, on évoque les dieux et les esprits des morts, on utilise des moyens divers de divination (mantique). On observe chez l’individu, la présence de démons personnels, (du corps, de l’âme, et de l’intellect). Ainsi désigne-t-on les phénomènes ou pulsions présents dans la psyché humaine. On croit aussi que le destin des hommes est une fatalité fixée à la naissance, inscrite dans le zodiaque et les planètes, lesquelles sont les manifestations visibles ou les corps physiques des dieux. L’astrologie permet donc de prévoir ce destin.

 

Il est parfaitement concevable que la splendeur de la vie se tienne prête à coté de chaque être et toujours dans sa plénitude, mais qu’elle soit voilée, enfouie dans les profondeurs, invisible, lointaine. Elle est pourtant là, ni hostile, ni malveillante, ni sourde. Qu’on l’invoque par le mot juste, par son nom juste, et elle vient. C’est là l’essence de la magie, qui ne crée pas mais invoque. (Kafka - La magie).   

 

En ce qui concerne la magie, les anciens exerçaient surtout la magie maléfique, l’anathème, le mauvais sort jeté sur l’ennemi. Religion et magie étaient souvent confondues. Le Christianisme les a séparés.

 

La tolérance doit tolérer l’intolérance afin de demeurer la tolérance.

 

Mais les civilisations pré-chrétiennes de la Gentilité ne se laissent pas effacer sans réagir. Les cultures, les philosophies mystiques, les pratiques cultuelles et les mythes en usage se défendent âprement. Malgré les risques graves, les philosophes et les penseurs récupèrent les principes spiritualistes et cultuels de la sagesse antique, menacés de disparition. Les traditions rivales du Christianisme sont bâties sur des reformulations syncrétiques d’héritages issus des enseignements de la philosophie grecque surtout néo-platonicienne, de l’Hermétisme récent, et sur les fondements des cultes égyptiens et assyro-babylonniens parfois associés au dualisme iranien. Nous allons nous pencher un peu sur les écoles syncrétiques issues des traditions néo-platoniciennes gréco-romaines et égyptiennes. Les divers aspects liés à l’Hermétisme et aux religions gnostiques seront développés le prochain chapitre.

 

Plotin et le Néo-Platonicisme. Le Néo-Platonicisme est une doctrine philosophique à orientation mystique, fondée par Ammonius Saccas. Produit de la rencontre des civilisations grecques et orientales, elle apparaît à Alexandrie puis s’étend jusqu’à Rome, entre le 2ème et le 5ème siècle. Les Néo-Platoniciens transforment la philosophie rationalisante en une véritable science théologique. Avec Plotin, dans sa forme romaine, la doctrine est   établie sur les fondements de plusieurs théories associées.

 

*         Une théorie de l’être. Toutes choses émanent du Un, (Bien ou Intelligence universelle), par dégradations successives, et l’Etre se manifeste par trois hypostases, Un, Intelligence, et Âme.

*         Une théorie du salut. Par la conversion ou mouvement de retour vers le Un, l’âme individuelle peut retrouver l’unité originelle jusqu’à se fondre en elle.

 

Chez les Néo-Platoniciens, la religion devient une démarche individuelle toute intérieure. Ils renoncent aux justifications philosophiques et métaphysiques excessivement rationalisantes des croyances. Ils abandonnent aussi les pratiques religieuses qui sont considérées comme des artifices que le culte utilise pour asservir les fidèles en influençant leur imagination (surtout chez les Romains). Chez Plotin, la prière est avant tout une démarche intellectuelle, un puissant effort volontaire de l’intelligence pour élever l’homme au niveau du divin. Dans l’œuvre de Platon, ils s’intéressent surtout au Parménide, et c’est pourquoi je vous ai donné un aperçu de cet ouvrage dans le précédent chapitre.

 

Cette transformation de la philosophie en science théologique se traduit par deux attitudes. La première est celle d’un syncrétisme poussé. Les Néo-Platoniciens tendent à réunir toutes les traditions humaines accessibles, de quelque nature qu’elles soient, littéraires, musicales, mythiques, cultuelles, ou philosophiques. Ils les reconnaissent comme des analogies relatives aux manifestations variées des mêmes dieux. Ils les combinent et les utilisent en tant que matériaux pour la construction de l’édifice théologique qu’ils proposent. La seconde est une démarche de mise en ordre, une tentative de hiérarchisation chronologique visant à attribuer à chaque divinité identifiée une place exacte dans l’histoire et dans le rang au sein du panthéon syncrétique reconstruit. « Les mythes, s’ils sont vraiment des mythes, doivent séparer dans le temps les circonstances du récit et distinguer bien souvent les uns des autres des êtres qui sont confondus et ne se distinguent que par leur rang ou par leurs puissances ».

 

Les mythes, disent-ils, recèlent toute la structure de la réalité du monde, laquelle englobe le monde sensible et les dieux. Cherchant à révéler les secrets immanents qu’ils recouvrent, les Néo-Platoniciens vont établir quatre catégories de mythes, théologique, physiques, psychologiques, et matériels. Concernant ces derniers, ils recherchent dans les corps les traces laissées par leur origine divine. Puis ils tenteront d’établir des pratiques de magie  sympathiques permettant de remonter jusqu’aux dieux. Mais ils s’intéressent surtout à l’interprétation des mythes théologiques. « Puisque, en principe, nous dit Proclus, toutes choses dérivent et de l’Un et de la Dyade postérieure à l’Un, et sont de quelque manière mutuellement unies, mais ont aussi une nature antithétique, comme il y a une sorte d’antithèse entre le Même et l’Autre, le Mouvement et le Repos, et que toutes les réalités du monde participent à ce genre, on ne saurait que bien faire en considérant l’opposition qui pénètre tout le réel ». (Ceci est une façon un peu compliquée de nous prier d’admettre que c’est l’opposition des contraires qui assure l’équilibre de ce monde).

 

A mesure que progresse la christianisation des structures politiques et administratives, la pratique des cultes antiques devient dangereuse et plus clandestine. Leurs derniers adeptes la pratiquent en petites communautés avec beaucoup de piété. Ils la transforment en une démarche religieuse de plus en plus spiritualiste et mystique. Les manifestations publiques et les sacrifices sanglants sont remplacés par des petites cérémonies cultuelles quotidiennes et privées. Elles comportent des prières et des pieuses allocutions, on y brûle de  l’encens et on y chante des hymnes qui sont réputés inspirés par les dieux. Les métaphysiciens mystiques néo-platoniciens ont composé un grand nombre de très beaux hymnes dont la plupart ont été systématiquement détruits. Voici, par exemple, un hymne composé par Ploclus, ou Procklos, un Néo-Platonicien grec né en 412, déjà cité plus haut pour son discours sur la structure dialectique du monde.

 

Ecoute-moi, ô Athéna,

toi dont le visage rayonne une pure lumière.

Conduit à bon port l’errant que je suis sur la Terre.

En récompense de mes saints hymnes en ton honneur,

donne à mon âme lumière pure, amour et sagesse.

Par ton amour,insuffle à mon âme assez de force

et d’une telle vertu

qu’elle se retire des creux de la Terre

et remonte à l’Olympe vers la demeure du Père.

Aie pitié de moi,Déesse aux doux conseils,

parce que je me flatte d’être à toi,

ô Salvatrice des mortels,

ne permet pas que, gisant à terre,

je tombe en proie et en butin

aux mains des Punisseuses

qui me font frissonner.

Jamblique, témoin de la tradition païenne. Jamblique est un philosophe néo-platonicien, né en Syrie vers l’an 250. Il se fixe d’abord à Alexandrie, et il y réside environ vingt ans, puis il retourne en Syrie et fonde une école à Apamée. Initié aux doctrines ésotériques des Egyptiens et des Chaldéens, il pratique le Néo-Platonicisme syrien comme la vraie religion, en l’opposant au Christianisme. Il considère que tous les Chrétiens sont des athées. Il meurt en 330. Les textes cités ci-après sont extraits de la réponse d’un néo-platonicien syrien traditionnel, (égyptien), à la lettre d’un romain rénovateur rationaliste. La forme littéraire de réponse à une lettre est très commune à cette époque.

 

NdR. J’ai parfois tronçonné les phrases pour faciliter la lecture, lorsqu’elles étaient trop longues ou fort alambiquées, mais je n’ai pas modifié le vocabulaire. Quelques courtes explications sont entre parenthèses. Les rappels du texte de Porphyre sont en italique, ceux de Jamblique sont droits. 

 

Réponse à une lettre de Porphyre, ardent disciple de Plotin,  questionnant Anébon, disciple de Jamblique, au sujet des contradictions et des absurdités qu’il constate dans les traditions des Assyriens et Chaldéens, par rapport au Néo-Platonicisme rationalisant romain et à l’apparition d’une religion toute intérieure. Jamblique répond, sous le pseudonyme de Maître Abammon,  pour défendre les traditions et les pratiques des Egyptiens, (Les références à l’astrologie, aux sacrifices et aux méthodes de divination ne sont pas reprises dans cet extrait).

 

1 - Tu as l’air de croire que « la même connaissance vaut pour les choses divines et pour les autres, quelles qu’elles soient, et que les contraires fournissent le membre opposé, comme c’est l’ordinaire dans les problèmes dialectiques ». En réalité, ce n’est pas du tout pareil. La connaissance des dieux est à part, séparée de toute opposition. Elle ne consiste pas dans le fait qu’on la concède maintenant ou qu’elle prend naissance. De toute éternité, elle coexistait dans l’âme en une forme unique.

 

2 - Conçois donc comme du limon tout le corporel, le matériel, l’élément nourricier et générateur, ou toutes les espèces matérielles de la nature qu’emportent les flots agités de la matière, tout ce qui reçoit le fleuve du devenir et retombe avec lui, ou la cause primordiale, (préalablement installée en guise de fondement), des éléments et de toutes leurs puissances. Sur ces bases, le Dieu auteur du devenir, de la nature entière, de toutes les puissances élémentaires, lui qui est supérieur à celles-ci et s’est révélé dans sa totalité sorti de lui-même et rentré en lui-même, immatériel, incorporel, surnaturel, inengendré, indivis, préside à tout cela et enveloppe en lui-même l’ensemble des êtres. Et parce qu’il a tout embrasé et se communique à tous les êtres du monde, il est apparu sortant d’eux. Parce qu’il est supérieur à tout et souverainement simple en lui-même, il apparaît comme séparé, transcendant, sublime, éminent de simplicité, en lui-même au-dessus des puissances et des éléments cosmiques.

 

3 - Avant les êtres véritables et les principes universels il y a un Dieu qui est l’Un, le Tout-premier même par rapport au Dieu et Roi premier. Il demeure immobile dans la solitude de sa singularité. Aucun intelligible, en effet, ne s’enlace à lui, ni rien d’autre. Il est établi comme modèle du Dieu qui est à soi-même un père et un fils, et est le Père unique du vrai Bien, car il est le plus grand, premier, source de tout, base des êtres qui sont les premières Idées intelligibles. A partir de ce Dieu Un se diffuse le Dieu qui se suffit, c’est pourquoi il est à soi-même un père et un principe car il est principe et dieu des dieux, monade issue de l’un, antérieure à l’essence et principe de celle-ci. De ce deuxième dieu, en effet, dérivent la substantialité et l’essence, aussi est-il appelé le père de l’essence, car il est l’être par antériorité à l’être, principe des intelligibles, aussi le nomme-t-on Premier Intelligible.

 

4 - Tu dis maintenant que « La plupart des Egyptiens font dépendre notre libre arbitre du mouvement des astres ». Ce qu’il en est, il faut te l’expliquer plus longuement, en recourant aux conceptions hermétiques. D’après ces écrits, l’homme a deux âmes. L’une est issue du Premier Intelligible, et elle participe aussi à la puissance du démiurge. L’autre est introduite en nous à partir de la révolution des corps célestes. C’est en celle-ci que se glisse l’âme qui voit Dieu, (la précédente). Les choses étant ainsi, celle qui descend des mondes, (...célestes, la fatalité inscrite dans le Zodiaque), en nous, accompagne la révolution de ces mondes, tandis que l’âme issue de l’Intelligible, présente en nous selon le mode propre à l’intelligible, est supérieure au cycle des naissances. C’est par elle que, délivrés de la fatalité, nous remontons vers les dieux intelligibles.(...).

 

5 - Mais tout dans la nature n’est pas non plus lié à la fatalité. Il est un autre principe de l’âme, supérieur à toute nature et à toute connaissance, selon lequel nous pouvons nous unir aux dieux, nous tenir au-dessus de l’ordre cosmique et participer à la vie éternelle et aux activités des dieux supra-célestes. Selon ce principe, nous sommes capables de nous libérer nous-mêmes. En effet, quand agissent les meilleures parties de nous-mêmes et que l’âme s’élève vers les êtres supérieurs, elle se détache des parties inférieures. A la place de sa vie elle acquiert une vie nouvelle et se donne à un autre ordre, en abandonnant complètement le précédent.(...). Dés leur première descente, Dieu a envoyé les âmes dans l’intention qu’elles retournent à lui. Il n’y a donc pas de changement par suite d’une telle élévation, ni de conflit entre les descentes et les remontées des âmes. De même, en effet, que dans le tout, le devenir et cet univers-ci dépendent de l’essence intellective, de même, dans l’ordre des âmes, leur souci du monde créé s’accorde avec la libération du devenir.

 

 - Fin de citation -.

 

Nous avons vu que la tolérance était très large au sein de la Gentilité, et que les mentalités avaient beaucoup évolué. On constate bien, dans ces derniers exposés, à quel point les multiples divinités étaient considérées comme les manifestations diversifiées d’une grande divinité universelle. Les extraits choisis ci-dessus montrent aussi que la pensée néo-platonicienne égyptienne ou syrienne, quoique restées trés conformiste vis-à-vis de la religion égyptienne antique, avait atteint un très haut degré de cérébralité et de mysticisme. Il en était d’ailleurs de même en ce qui concernait le Néo-Platonicisme romain et les autres doctrines en compétition à l’époque. Elles étaient devenues admirables sur le plan intellectuel, mais fort complexes, hors de portée pour le petit peuple commun. La religion chrétienne, relativement simpliste enseigne qu’un envoyé divin réalise le salut universel par la seule grâce divine (et par le moyen d’un rachat lié à au sacrifice rituel du Fils de Dieu). L’obtention du salut est plus facile puisqu’il est collectif et extérieur au mérite personnel des hommes. Sur ces bases comparatives, et en y ajoutant l’effet irrésistible de la mise en œuvre de la puissance de l’appareil impérial, on comprend mieux qu’elle se soit rapidement et largement développée.

 

D’autres facteurs ont joué. Les Romains avaient vaincu de nombreux peuples soumis à de lourds tributs. Cela entraina des désordres économiques considérables. D’énormes quantités de l’or oriental furent drainées vers Rome tandis que les Barbares voisins s’appauvrissaient. Les riches Romains se complaisaient dans le luxe extrême et toute l’activité de l’Empire dépendait des innombrables esclaves ou mercenaires indispensables à la vie et à la défense de la Cité. L’or des tributs achetait ces esclaves aux Barbares. Leur sort et celui des pauvres était misérable. Le Christianisme prônait l’égalité des hommes, tous enfants de Dieu. Il réclama et il obtint que l’on cessa de séparer les époux et de disperser les familles des esclaves. Il devint alors la religion des pauvres et des opprimés. Cela lui donnait un poids politique considérable que les empereurs affaiblis et divisés durent prendre en  compte. Les richesses de Rome attiraient les convoitises. Les Barbares se retournèrent contre l’Empire et le détruisirent. Au début de l’ère, Rome comptait un million d’habitants. Cinq cents ans plus tard, il en restait quarante mille. A la fin du Moyen-âge, moins de vingt mille habitants erraient dans les ruines. La survie de Rome dépendit du Christianisme.

 

 

 

Le Feu dans le Monde.

 

 

Riche de la sève du Monde,

je monte vers l’Esprit

qui me sourit,

au-delà de toute conquête,

drapé dans la splendeur concrète

de l’Univers.

 

Et je ne saurais dire,

perdu dans le mystère

 de la Chair divine,

quelle est la plus radieuse

 de ces deux béatitudes,

 

Avoir trouvé le Verbe

 pour dominer la Matière,

ou posséder la Matière

pour atteindre et subir

 la Lumière de Dieu.

 

(P.Teilhard de Chardin - Hymne de l’Univers)

 

O

mbres et Lumières.

 

 

 

 

L’univers est une machine à créer de la conscience.

(Bergson).

 

Le seul temple digne de Dieu, c’est l’intelligence du sage.

(Porphyre - Lettre à Marcella).

 

L’homme est le miroir que Dieu tient devant Lui,

l’organe qui Lui sert à appréhender Son être. (C.G.Jung). 

 

 

Les précédents chapitres ont mis en évidence de grandes analogies dans les rites et les pratiques antiques. On en retrouve  beaucoup dans la plupart des religions modernes. Le premier constat, évident, est celui de l’omniprésence des sacrifices, quels que soient les peuples et les époques. La notion de sacrifice semble être universelle dans toutes les religions. Elle prend une très grande importance lorsque le pratiquant s’adresse à une divinité extérieure. Pour clarifier ce que recouvre ce concept de sacrifice, on peut d’abord tenter de catégoriser les différentes formes rencontrées, cette énumération n’étant pas exhaustive.

 

*         Nourrissage, (renforcement et service du dieu).

*         Oblation, (offrande d’adoration du dieu).

*         Alliance, (témoignage de bonne volonté).

*         Pénitence, (sacrifice pour expier une transgression).

*         Rachat, (remplacement d’un objet sacrificiel par un autre).

*         Transaction, (magie d’échange pour obtenir un résultat).

*         Consécration, (Onction et sanctification des prêtres). 

*         Prestige, etc..

 

Quelque intérêt qu’elle présente, cette classification ne suffit pas à nous faire comprendre pourquoi les hommes ont adopté ces étonnantes et irrationnelles coutumes sacrificielles. Nous vous proposons de réfléchir ensemble sur l’origine du sacrifice. Nous voudrions rechercher les raisons logiques éventuelles, les racines coutumières ou les fondements légendaires qui pourraient un peu expliquer cet acte étonnant, consistant à détruire un bien apprécié ou accomplir un meurtre pour plaire aux dieux.

 

L’action de sacrifice s’inspire originellement des offrandes que les faibles hommes font aux puissants seigneurs pour obtenir leur bienveillance. Mais les dieux invisibles et incorporels ne peuvent pas approprier matériellement les choses offertes. Il faut donc trouver un autre moyen de les leur transférer. En conséquence, le sacrifice religieux consiste en la destruction ou la suppression de la chose offerte. Il se traduit toujours par un renoncement désagréable, ou en la privation d’un plaisir, qu’il soit d’usage, de possession ou de jouissance. La chose détruite doit être utile afin que la privation soit pénible, et c’est ce même déplaisir qui établit le mérite du sacrifice. Pour exprimer l’importance accordée au destinataire, l’offrande sera aussi rare et précieuse. Et, comme il s’agit d’un don irrévocable, sa destruction sera définitive.

 

Les sacrifices antiques les plus ordinaires sont les libations. Elles sont fréquentes et ont une grande importance. Les officiants, souvent de simples particuliers, gâchent des liquides utiles, par exemple du vin, du lait, de l’huile, en les répandant à terre en l’honneur des dieux ou pour nourrir les morts. Il peut aussi s’agir de parfums coûteux. (Luc - 7/37). Les offrandes de biens personnels et de nourritures s’intensifient par des dons effectifs, soit non sanglants, concernant des offres d’argent, grains, tourtes, graisses, soit sanglants avec des immolations animales.

 

Du Sang sur les Autels.

 

Les animaux sauvages ne sont pas sacrifiables et il s’agit donc toujours d’animaux domestiques, pigeons, colombes, poulets, chiens, chèvres, moutons, porcs, veaux, bœufs, parfois chevaux (dans de rares occasions). Les plus beaux sont choisis, consacrés, puis rituellement égorgés, souvent par un sacrificateur spécialisé. Le sang est ensuite répandu en libation sur le sol ou sur un autel. Les corps sont consumés par le feu mais, le plus souvent, une partie seulement du sacrifice est brûlée. Les prêtres et l’assistance se partagent les restes. Dans les grandes occasions, la consumation est totale. Il s’agit alors d’un holocauste.

 

L’escalade croit cependant en importance. Comme l’on offre souvent des esclaves aux princes, on en arrive logiquement à offrir au dieu des éléments humains. On commence par sacrifier seulement quelques organes corporels non vitaux mais symboliques, (souvent liés à la reproduction, circoncision des garçons ou excision des filles). On sacrifie ensuite des fonctions existentielles plus larges, par exemple en vouant la durée de la vie entière au service de la divinité, ou en confondant la pureté sacerdotale et la virginité perpétuelle, (comme les Vestales antiques, les druidesses gauloises, et les prêtres célibataires modernes). Cette progression d’échelle, inévitablement, conduit un jour aux sacrifices humains, parfois même massifs.

 

Nous avons vu que les Hébreux sacrifiaient à YHWH la plupart des villes conquises et tout ce qui y vivait. A cet égard, la lecture de la Bible est absolument épouvantable. Sachez que cette pratique était fréquente chez les peuples sémites, mais aussi dans d’autres civilisations telles celles  des Egyptiens, des Grecs, (souvenez-vous d’Iphigénie), ou des Celtes. Elle existait également ailleurs dans le monde, et l’on peut ici donner l’exemple des terrifiantes coutumes des Aztèques.

 

Les Méso-américains croyaient en un grand dieu de la foudre et de la pluie qui portait différents noms selon les peuples, Tlaloc, Aksin, Tzahui, Cocijo, Nohotsyumchac. Toute eau provenait de la mer divine. Souvent identifiée à la Lune, Chalchihuitlicue, l’eau était un symbole de vie, de mort, et de résurrection. Elle était placée sous la protection de divinités féminines auxquelles des jeunes filles vierges et des jeunes enfants étaient offerts en sacrifice. Ici, la terre est à la fois un lieu de genèse et de dissolution qui dispense les aliments et mange les cadavres. Il unit ainsi les contraires en son sein et fusionne la mort et la vie.

 

Chez les Aztèques, la création originelle fut marquée par des épisodes violents qui ont amené la destruction de quatre soleils successifs. Notre monde reste instable sous le cinquième, marqué par l’union de la vie et de la mort.

 

L’homme est composé de cinq éléments, le principe vital, le mouvement, l’âme préexistante qui survit aussi à la mort, l’esprit de connaissance, et l’ombre animale. C’est au creux de la terre que Quetzalcoatl, le Serpent à Plumes, le dieu civilisateur aztèque, est allé chercher les ossements à partir desquels furent créés les hommes, en les arrosant du sang des dieux.

 

La création de l’humanité est précisément due à ce sacrifice collectif des dieux qui en demandent la juste rétribution. Il est donc nécessaire de les prier et de leur offrir des offrandes. Mais il faut surtout les nourrir de l’eau précieuse, le sang des innombrables victimes que les Aztèques devaient verser sans retenue pour empêcher la menaçante destruction de l’univers. Chaque matin, le Soleil sortait affaibli de l’empire des morts et il devait être revitalisé par un sacrifice sanglant.

 

Dans les temps anciens, les fidèles extrayaient eux-mêmes une partie de leur propre sang avec des aiguilles. Ce n’était pas suffisant et, par la suite, d’horribles sacrifices humains très sanglants furent pratiqués en nombre considérable, (vingt-cinq mille victimes en un seul jour selon les conquérants espagnols). Le sang était l’élément sacré essentiel et les repoussants sacrificateurs aztèques n’étaient jamais autorisés à laver les traces de ses affreux jaillissements.

 

Chez les Incas, au 15ème siècle, Inti, le Soleil, était le dieu majeur, le fondateur dynastique dont les despotiques empereurs étaient les fils. De nombreux temples lui étaient consacrés. Ils contenaient de fabuleuses richesses et disposaient d’un personnel important, prêtres, devins, serviteurs, et les nombreuses vierges du Soleil, chastes vestales choisies pour leur beauté. Elles étaient parfois vouées au harem de l’Inca, l’empereur, ou données en présent à ses invités, mais elles étaient fréquemment sacrifiées au cours des grandes cérémonies rituelles.  

 

Accorde la vie et la prospérité

à mes enfants, à mes serviteurs.

Fais se multiplier et croître ceux

qui ont pour devoir de t’alimenter et d’assurer ta survie,

ceux qui t’invoquent sur les chemins,

dans les champs, au bord des rivières,

à l’ombre des arbres (...).

(Prière au Cœur du ciel - Popol Vuh).

 

Vous constatez que ces pratiques effroyables ne semblaient par réellement gêner la ferveur des fidèles qui priaient les dieux avec détachement. On voit cependant que l’on trouve pourtant dans leurs prières les traces d’un questionnement inconscient, d’un début imprécis de culpabilité, démarche qui les pousse à évoquer l’accomplissement d’un devoir sacré.

 

Chez les Grecs, l’action sacrificielle paraît également liée à un symbolisme cosmogonique. Elle peut être associée à la légende de Prométhée. Au temps mythique de l’âge d’or, les dieux et les hommes vivaient encore ensemble. Ils partageaient un repas commun lorsqu’ils décidèrent de se séparer. Ils chargèrent Prométhée de leur partager le monde. Pour accomplir sa tâche, le Titan abattit un bœuf, fondant ainsi le sacrifice sanglant comme mode relationnel entre les hommes et les dieux. Il en fit deux parts, toutes deux truquées, l’une agréablement apprêtée camouflant les seuls os dénudés, l’autre cachant la chair comestible sous un aspect repoussant.

 

Zeus feignit de se tromper. Il choisit les os, laissant la viande aux hommes. En conséquence, ceux-ci demeureront toujours des créatures avides, affamées de cadavres, tandis que les dieux, nourris de fumées et de parfums, resteront à jamais, jeunes, immortels et incorruptibles.  

 

Zeus punit cependant la fraude en enlevant aux hommes le feu céleste et les grains d’abondance, deux biens dont ils disposaient librement. Ils ne peuvent pas cuire leur viande et cultiveront devront la terre pour se nourrir. Mais Prométhée dérobe un jour aux dieux une semence du feu. Il la porte sur la Terre et les hommes retrouvent la possession d’une flamme précaire qu’il faudra bien entretenir. Parmi toutes les créatures terrestres, ils ne mangeront plus que des aliments cuits, seuls propres à la consommation.

 

Zeus vengera aussi cette nouvelle offense, le vol du feu. Pour la punir, il inventera la Femme, Pandora (le don des dieux), un redoutable piège destiné aux hommes. Elle a l’apparence, la grâce et la séduction d’une déesse immortelle, mais Hermès a caché à l’intérieur mille horribles défauts (qui me font sourire mais que je ne décrirai pas pour épargner les sensibilités féminines). Sur l’ordre de Zeus, (belle excuse), Pandora, (la traîtresse), ouvrira la jarre qui contient tous les Maux. Ils se répandront à jamais sur le Monde en se mêlant tellement aux Biens qu’on ne pourra plus jamais les distinguer.

 

Accomplir les rites sacrificiels grecs, c’est établir un contact avec les dieux par une double commémoration, celle de la tâche accomplie par le Titan protecteur, et celle de la leçon donnée par Zeus, que les hommes affirment avoir comprise. En l’accomplissant, les hommes signifient qu’ils acceptent maintenant la place allouée par Zeus, les situant entre les bêtes et les dieux. Le rite, ainsi que le repas collectif qui l’accompagne, rappellent que les hommes et les dieux sont aujourd’hui séparés, qu’ils ne vivent ni ne mangent plus ensemble. On ne peut tromper Zeus ni tenter de s’égaler aux dieux sans devoir en payer le prix. Celui-ci est l’éloignement du divin et l’obligation de vivre sur cette terre où rien ne s’obtient sans effort, et où se mêlent toujours le bonheur et le malheur, la joie et la peine, le Bien et le Mal.     

 

Le sacrifice grec est un contact sacramentel
avec les dieux.

 

Il y a, par ailleurs, d’autres légendes explicatives ou justificatives, comme vous le voudrez. Voici celle de Sôpatros. Au commencement, les hommes n’offraient aux dieux que des végétaux et des céréales. Un boeuf revenant des champs s’approcha d’un autel et dévora les offrandes. Horrifié par le sacrilège, son bouvier, Sôpatros, l’abattit  sur place, polluant l’eau du sacrifice et ajoutant un second et grave sacrilège au premier. Impur, car souillé par le sang de l’animal, il s’enfuit en Crête, laissant à ses compagnons le soin de résoudre le problème. Incapables de mettre un terme à la malédiction qui desséchait le pays, les hommes consultèrent la Pythie d’Apollon à Delphes.

 

La réponse fut que le meurtrier devait être châtié. Le châtiment consistait dans le renouvellement du meurtre sacrilège du bœuf sur l’autel, et les hommes devaient consommer solidairement toute la chair de la victime. Nourri du grain destiné aux dieux, le bœuf devenait lui-même la nourriture des hommes. Ceux-ci ne pouvaient cependant sacrifier un autre bœuf sans réamorcer la chaîne sacrilège. Sôpratos l’aurait pu car il était déjà meurtrier, mais il était en fuite. On le fit citoyen de la Cité afin d’établir la solidarité des hommes dans cette épreuve. Et c’est finalement l’instrument du meurtre, le couteau, l’égorgeoir, qui fut déclaré l’auteur effectif de l’acte coupable. Il fut rituellement jeté dans les profondeurs marines.       

 

L’existence de ces justifications montre bien que la mise à mort des animaux sacrificiels ne laissait pas tous les Grecs indifférents. Parmi eux, certains refusaient la violence faite aux bêtes et ne participaient pas aux repas rituels. Cette attitude marginale était cependant considérée comme impie, mettant en cause tout l’édifice social de la cité. Mais les disciples de Pythagore, et surtout les fidèles végétariens d’Orphée, adorateurs pacifiques d’Apollon, se tenaient à l’écart des pratiques sacrificielles meurtrières. Ils désiraient se rapprocher des dieux par l’ascétisme, en ne s’alimentant que de nourritures incorruptibles.

 

Dans cette religion solaire, Orphée, le fils de Calliope à la Belle Voix, muse de l’éloquence et de la poésie épique, a deux pères. Le premier est terrestre, le roi Oeagrus, le second est céleste, Apollon, le dieu de la lumière et le protecteur des muses. C’est lui qui initia Orphée à la musique. Ici, le héros n’est pas mort déchiré par les Ménades pour les avoir dédaignées et exclues de ses Mystères. Il fut foudroyé par Zeus pour avoir révélé, aux fidèles, les secrets découverts lors de sa visite au royaume des morts. Remarquez-vous que l’on commence à découvrir une caractéristique remarquable des pratiques sacrificielles, la présentation d’une excuse justificative devant les réactions émotives de rejet.

 

Les pratiques sacrificielles
 associent devoirs et remords.

 

Le vrai sacrifice se traduit toujours par une douleur. Or, c’est la valeur même de cette souffrance, née de l’importance de la privation, qui mesurerait le mérite réel du donateur. A l’importance de la souffrance supportée correspondrait un degré de la vertu.

 

- Les offrandes de libations, nourriture, argent ou petits biens personnels sont du faible mérite car aisément remplaçables. Les immolations d’animaux montent sensiblement d’un degré et préparent le suivant.

- Cependant, au premier niveau du sacrifice humain, les victimes sont prises chez les ennemis capturés, ou chez les esclaves. Ils représentent encore des biens remplaçables. Leur valeur méritoire reste relativement modérée.

- Le mérite progresse fortement avec le sacrifice d’êtres chers, tout à fait  irremplaçables, tels les premiers nés des familles comme à Carthage, ou celui des Vierges du Soleil et des tout petits enfants chez les Aztèques.

- A partir de cette progressive montée en valeur, on peut concevoir comment la mort d’êtres humains ordinaires, quels qu’en soit le nombre ou la qualité, puisse être considérée comme insuffisante si la contre-valeur d’échange consiste dans le salut de tout le genre humain. Le sacrifice réclame alors un niveau supplémentaire impliquant la mise à mort d’un héros ou d’un dieu. C’est bien ce que nous avons trouvé dans toutes les mystérieuses religions de salut passées en revue dans les précédents chapitres.

- Le sommet est atteint dans le Christianisme, où le fils unique du Dieu Suprême lui-même est sacrifié. Pour comprendre la signification et l’origine du signe, il faut revenir à la Bible. Souvenons-nous que les Hébreux, comme tous les peuples antiques, tendaient à garantir par des gages précieux les alliances contractées avec les puissants. Traditionnellement, pour gager la conclusion d’une alliance entre chacun des patriarches et son très puissant dieu, une antique coutume, assez répandue chez les divers Sémites, rendait obligatoire le sacrifice du très précieux fils premier-né. (Abraham et Isaac). Voici quelques extraits bibliques.

 

Tu apporteras à la maison de l’Eternel, ton Dieu,

les prémices des premiers fruits de la terre (..).

(Exode 34/26).

 

Tu ne différeras point de m’offrir les prémices

de ta moisson et de ta vendange.

Tu me donneras le premier-né de tes fils.

(Exode 22/29).

 

Tu me donneras aussi le premier-né

de ta vache et de ta brebis.

Il restera sept jours avec sa mère.

Le huitième jour, tu me le donneras.

(Exode 22/30).

 

Tout mâle premier-né m’appartient,

même tout mâle premier-né dans les troupeaux

de gros et de menu bétail.

(Exode 34/17).

 

Tu rachèteras avec un agneau le premier-né de l’âne,

et si tu ne le rachètes pas, tu lui briseras la nuque.

Tu rachèteras tout premier-né de tes fils,

et l’on ne se présentera point à vide devant ma face.

(Exode 34/20).

 

L’Eternel dit à Moïse. Ecris ces paroles,

car c’est conformément à ces paroles

que je traite alliance avec toi et avec Israël.

(Exode 34/27).

 

On constate que la coutume est intégrée à la Loi et qu’elle constitue bien le gage de la première alliance contractée entre YHWH d’une part, Moïse et Israël d’autre part. Elle s’impose donc à tous les contractants, même si le rachat de la vie du fils a été finalement autorisé, (après d’ailleurs celui du premier-né de l’âne). L’apparition de cette notion d’un sacrifice humain gageant une alliance contractée entre Dieu et les hommes est très importante. Elle est à l’origine du concept chrétien de la conclusion d’une nouvelle alliance, contractée pour le rachat d’abord des juifs, puis de l’humanité. Etablie sur l’initiative du Dieu des Juifs, elle est gagée par la mort effective de son Fils, à laquelle il consent. Mais celui-ci est aussi le fils de l’Homme, et quand son meurtre est perpétré par ces hommes qui sont ses pères dans la nature terrestre, le rituel fondateur, établi originellement par YHWH, est de nouveau accompli. L’alliance est alors rétablie. La confirmation de ce point de vue est à l’évidence donnée par la formulation de ces paroles sacramentelles de la consécration que l’on rapprochera utilement des versets bibliques. (Notez que les évangiles disent et pour d’autres, non pas multitude).

 

Prenez et mangez, car ceci est mon corps, livré pour vous.

Prenez et buvez car ceci est mon sang,

le sang de la nouvelle et éternelle alliance,

qui sera versé pour vous et pour la multitude,

en rémission des péchés.

 

Dans la marche progressive vers davantage de spiritualité, cette notion de sacrifice contractuel, ou d’un autosacrifice, même si on l’applique seulement à des fragments de la personnalité, me paraît constituer une erreur. D’un point de vue personnel, je pense que toute amputation de l’être total et unique qu’est chacun de nous est une dégradation quand elle est réalisée par la seule mise en oeuvre de la volonté. Si quelque chose doit être transformé dans un homme, qui est seul juge de ce besoin, la volonté n’est pas concernée. Seul le face-à-face avec le Dieu intérieur dont chaque homme est à la fois l’image et l’enfant, peut révéler l’état actuel  d’insuffisance de son être.

 

Le sacrifice imposé n’a pas de sens. La prise de conscience de l’imperfection et de la nécessité de la dépasser, opérera, s’il y a lieu, par elle-même, la transformation. Cela se traduira par un changement naturel, non pas imposé. La volonté ne se confond pas avec la conscience de soi. Il me semble bien que l’automutilation volontaire, même si elle concerne seulement les plaisirs simples et la joie de vivre, n’a rien à faire ici.

 

Le précédent chapitre a exposé les idées syncrétiques des écoles et des philosophies issues des traditions assyriennes, égyptiennes, néoplatoniciennes et gréco-romaines. L’essor du Christianisme a étouffé progressivement d’autres importants courants de pensée que nous allons survoler maintenant. Ils exprimaient le désir de préserver les convictions religieuses traditionnelles ou le refus des concepts imposés par les nouveaux mentors. Selon qu’ils apparaissaient au-dedans ou au-dehors du Christianisme, leurs tenants furent considérés comme des hérétiques ou des païens, les deux catégories étant identiquement vouées à la destruction en ce monde et à la damnation éternelle, dans l’autre.

    

Le Gnosticisme. La Gnose dit Henri-Charles Puech, s’efforce de répondre à plusieurs questions fondamentales.

 

S’il y a un Dieu, pourquoi tant de mal dans l’univers ?

Pourquoi tant de religions sur Terre

 au lieu d’une seule ?

 

Les Gnostiques répondent qu’avoir la Gnose, la connaissance, c’est connaître ce que nous sommes, d’où nous venons, où nous allons, ce par quoi nous sommes sauvés, quelle est notre naissance et quelle est notre renaissance.

 

La Gnose n’est pas une hérésie née du Christianisme.

 

C’est un système de pensée indépendant, probablement issu du Vêdânta, enraciné dans la tradition antique, s’exprimant consécutivement à une révélation. Il cohabite avec différentes écoles, l’Hermétisme, ou le Néo-Platonicisme de Plotin, puis le Christianisme. Malgré la parenté iranienne indéniable qui rapproche les sources esséniennes du Christianisme et les racines indiennes de la Gnose, les deux courants professent des idées différentes concernant le Monde et l’Homme.

 

Le système gnostique concurrence donc les cultes et mythes spécifiquement chrétiens. Cependant, il influence parfois la nouvelle religion chrétienne, ou lui emprunte un certain nombre d’images, symboles, ou données.

 

Les Gnostiques enseignent que le Monde Originel, (le Royaume de Dieu), et le Monde Naturel, (celui où nous vivons), sont de deux natures parfaitement distinctes. Ce thème des deux natures est tellement fondamental dans le Gnosticisme, qu’il est suffisant pour caractériser une religion de type gnostique. 

 

Le Monde Originel n’est sujet ni au temps ni à la transformation. Il progresse continûment de magnificence en magnificence, perfectionnant sans cesse sa nature de Royaume Divin. Les agents de cette progression sont les sizygies d’éons. Ce sont des vagues de vie, des groupes d’entités spirituelles chargées de la puissance divine. Elles créent, dans la réalité, l’expression du plan idéal divin. La complexité de l’univers s’accroît, et de nouveaux éons, plus éclairés et plus sages, apparaissent successivement pour administrer son développement. La collectivité de ces travailleurs divins est appelée Plérôme, et la vague de vie de l’Homme Originel est l’Adam, le dernier modèle paru, le plus achevé de ces éons.

 

Les esprits adamiques qui en font partie sont aussi les plus autonomes. Certains usent imprudemment de la liberté nouvelle dont ils sont dotés. Alors que l’administration du monde matériel leur est confiée, ils appliquent leurs facultés neuves à leur propre développement. Ce désordre, cette erreur, cette chute d’Adam, désorganise le Plérôme qui, pour rétablir son harmonie essentielle, isole les imprudents, (et toutes les forces éoniques dont ils sont issus), dans un nouvel univers, un ailleurs de secours suscité hors du Monde Originel. C’est dans ce faux monde, changeant et dysharmonieux, domaine de la lutte des opposés, créé par les éons coupés du Plérôme et de la pensée divine, les faux dieux créateurs, que sont tombés les esprits adamiques maladroits. Presque anéantis mais éternellement vivants de par leur nature divine, ces étincelles divines habitent aujourd’hui les corps animaux temporaires de créatures imparfaites, conscientes mais périssables, ceux des hommes naturels que nous sommes. 

 

On relève ici un groupe de plusieurs éléments spécifiquement gnostiques. La splendeur de l’Homme Adamique qui est originellement doté des meilleurs dons de Dieu. La chute des Adam qui est due au retournement de leurs facultés créatrices vers leur propre développement. La réorganisation de l’harmonie du Plérôme qui fait apparaître une seconde nature et la création consécutive d’un faux monde par de faux dieux. Ce second thème globalisé est également très caractéristique du Gnosticisme.  

 

Mais Dieu n’abandonne pas ses créatures sans les secourir. Il appelle à lui les esprits adamiques dans l’homme, cet ordre de secours imaginé pour leur salut. Il éclaire de sa lumière spirituelle la conscience des mortels pour leur donner une connaissance surnaturelle, la Gnosis. Celle-ci leur permet de comprendre le véritable état du Monde afin qu’ils commencent à travailler à la nécessaire reconstruction du divin corps originel qui ouvre aux égarés, par la Transfiguration, le chemin du retour au Royaume. La Gnose, c’est cette totale connaissance par l’illumination intérieure, la découverte de l’appel de l’Esprit, la compréhension de la situation réelle du monde, et cet engagement dans le travail de Transfiguration, tout à la fois.  

 

On note habituellement, dans le développement de cette pensée gnostique, plusieurs périodes distinctes.

 

*         Un mouvement pré-chrétien, issu de l’école d’Alexandrie, en liaison avec le Néo-Platonicisme et l’Hermétisme.

*         Une rencontre en compétition militante avec le Catholicisme.

*         Un renouveau plus moderne, plus diversifié et plus modéré à partir du 16ème siècle.

 

En effet, dés son début, la Gnose s’est développée dans plusieurs orientations. Certaines sont orientales, dualistes, antérieures et extérieures au Christianisme. D’autres sont plus tardives, occidentales, unitaristes, lui sont reliées d’une certaine façon puisque condamnées comme hérésies. Dans le courant dualiste, inspiré par la pensée iranienne, le Zoroastrisme, le monde matériel où nous vivons est mauvais, (seulement considéré du point de vue strictement humain). Il ne peut avoir été spécialement créé pour nous, par le Dieu-Père auquel se réfèrent les hommes épris de bonté, de justice, de vérité de lumière et d’amour. Plusieurs doctrines structurantes apparaissent, associées à des traditions ésotériques issues du paganisme, soigneusement préservées. Elles se reconnaissent cependant toutes à partir des principes fondamentaux établis ci-dessus, qui sont à la base de la pensée gnostique.

 

- Jésus a dit. Si vous ne jeûnez pas du Monde,

vous ne trouverez pas le Royaume (...).
 (Thomas - Logia 27).

 

- Jésus a dit. Soyez passants. (Thomas - Logia 42)

 

- Jésus a dit. Pourquoi lavez-vous
 l’extérieur de la coupe ?

Ne comprenez-vous pas que celui qui a fait l’intérieur

est aussi celui qui a fait l’extérieur ?
 (Thomas - Logia 89).

 

- Chacun parlera du lieu d’où il est venu et il retournera

en hâte dans la région où il a reçu son être essentiel,(...).

Et son lieu de repos est le Plérôme.

Ainsi, toutes les émanations du Père sont des Plérômes,

toutes les émanations qui ont leurs racines en Celui

qui les a fait croître en Lui.

(Finale - Evangile de Vérité) 

 

- Un païen ne meurt pas

car il n’a jamais vécu pour qu’il puisse mourir.

Celui qui a cru en la vérité a vécu,

et celui-ci court le danger de mourir car il vit. (Philippe/4)

- Ceux qui disent que le Seigneur est mort d’abord

puis qu’il est ressuscité ensuite, se trompent,

car il est ressuscité d’abord,

et puis il est mort.

Si l’un n’acquiert pas la résurrection d’abord,

il ne mourra pas,

car, aussi vrai que Dieu est vivant,

lui est déjà mort. (Phil/21)

  - Qui possède la Gnose de Vérité est libre (..). (Phil/110).

 

On trouve des traces gnostiques évidentes dans les premiers enseignements chrétiens, chez Paul comme dans les douze manuscrits gnostiques retrouvés à Nag Hamadi, en Haute Egypte en 1945, tels les évangiles de Thomas, de Vérité, ou de Philippe dont viennent les extraits ci-dessus. Lorsqu’elle est entrée en relation avec le Christianisme primitif, vers le 2ème siècle, la Gnose a tenté de l’intégrer dans sa démarche globale, car le Paléo-Christianisme ésotérique lui paraissait être enraciné dans les Cultes à Mystères auxquels elle s’était associée. Nous verrons plus loin comment elle interprète les mythes chrétiens. De leur coté, certains Chrétiens ont tenté une synthèse entre leur foi en un dieu unique et les idées gnostiques et néo-platoniciennes. Les Chrétiens ont appelé Gnose orthodoxe cette seconde Gnose en l’opposant à la Gnose dualiste qu’ils combattaient, mais ils en firent quand même une hérésie.

 

Après la fin du paganisme, les Esotéristes et les Gnostiques tentèrent encore vainement de se rapprocher du Christianisme. Mais la Gnose, tournée vers l’Esprit, représente un danger extrême pour le Christianisme en raison de la richesse spirituelle qu’elle porte. Issu d’Israël, le Catholicisme, à mesure que ses dogmes se font de plus en plus radicaux et contraignants, devient une religion conquérante dont les fidèles reprennent de plus en plus fanatiquement à leur compte la vieille mission sacrée dont le peuple élu se croyait chargé,  faire de leur propre Dieu, le Dieu unique et absolu, le seul Dieu universel. 

 

Le militantisme chrétien touche peu les Gnostiques, car ceux-ci mettent sur un pied d’égalité toutes les religions qu’ils considèrent comme des cultes erronés s’adressant aux éons, faux dieux créateurs du faux monde. Précédemment, la pensée gnostique circulait librement, de façon diffuse dans les mentalités religieuses. Se sentant menacés, les Pré-gnostiques informels tendent à constituer des communautés religieuses autonomes et identifiables. La Gnose rivale apparaît alors fort dangereuse et devient l’ennemie. Dans sa démarche de conquête du monde, le Catholicisme combat donc farouchement la Gnose et brûle bientôt les infidèles et les hérétiques. Tous les Gnostiques, même intérieurs au Christianisme, sont détruits, ainsi que leurs travaux et leurs écrits. Pourtant, les Gnostiques ne combattent pas les Chrétiens. Leur propre religion n’est ni militante ni conquérante mais intérieure, seulement tournée vers l’appel de l’Esprit et le travail de Transfiguration à accomplir. Ils cèdent progressivement le terrain devant les agressions et s’effacent de la scène en attendant des temps plus propices au sauvetage des Adamites éternels.    

 

 

Là où s’arrête la conscience, s’arrête aussi la liberté.

(Michel Aguilar).

 

A la fin du 15ème siècle, les Esotéristes tentent une autre réconciliation, cette fois avec le Judaïsme. Ils s’appuient sur la Kabbale juive récemment découverte. Elle veut être la tradition laissée par l’Adam primordial, (Adam Kadmon), avant sa chute. Après 1530, ils établissent le concept plus moderne de philosophie occulte. C’est sous ce nom que ces traditions antiques nous sont souvent transmises. A notre époque, nous élargissons à nouveau le concept de Gnose. Quelle que soit l’époque de leur manifestation, nous rattachons aux Gnostiques tous les groupes ésotériques qui ont tenté d’établir une tradition conservatoire pour sauver la foi, les idées et les thèmes des diverses écoles et des religions antérieures, y compris les disciples d’Hermès. C’est peut-être parce que nous avons maintenant pris conscience que ces courants étaient tellement proches les uns des autres qu’eux-mêmes ne les distinguaient pas formellement et qu’ils les traitaient comme un fond culturel commun et très précieux.

 

Autour des principes fondamentaux qui la fondent, la souplesse et les caractères syncrétiques de la pensée gnostique expliquent la multiplicité de ses formulations. Dans chaque temps et chaque culture, chaque philosophe ou penseur conscient a pu librement développer sa propre interprétation dans son propre langage, en retravaillant les thèmes traditionnels à la lumière spirituelle de la Gnose, sa révélation intérieure et personnelle de la Vérité. De l’extérieur, les différents courants peuvent apparaître assez différents. A l’intérieur, sous des habillages diversifiés, les gnostiques retrouvent leurs principes, leurs mythes traditionnels, et les révélations initiatiques qui leur sont transmises du plus haut des Cieux. Voyez ci-après quelques exemples connus d’essais de synthèse entre les thèmes gnostiques et chrétiens.        

 

Valentin. (Alexandrin vivant à Rome - 135/160). Le Dieu-Père, le Propatôr d’amour, ou Bythos, (l’Abîme), avec sa parèdre Sigé, (le Silence), forme de sa Pensée une chaîne composée d’une succession d’émanations de réalités éternelles, les éons. Leur hiérarchie constitue le Plérôme, ou Plénitude. Il est composé, de haut en bas, de syzygies, ou couples d’éons décrits comme masculins et féminins. (Entités métaphysiques, il convient de les considérer comme des complémentaires, droits et gauches, à la façon symbolique de l’Arbre des Séphiroth des Kabbalistes dont les Gnostiques sont proches). Du féminin vient la substance, du masculin la forme. Les premiers sont Noûs et Aléthéia, (Intellect et Vérité). Ils engendrent Logos et Zoé, (Verbe et Vie). Suivent Antropos et Ekklesia, Homme et Eglise, (engendrant Parakletos et Pistis, Défenseur et Foi), puis toutes les autres puissances du Plérôme. Les derniers éons sont Théléptos, le Vouloir, et Sophia, la Sapience. Mais celle-ci désire créer seule. Pour cela, elle cherche à comprendre la nature du Père, troublant ainsi le Plérôme au sein duquel apparaissent le Mal et les Passions.

 

Pour rétablir l’harmonie, Sophia est exclue du Plérôme avec les éléments du déséquilibre qu’elle a fomenté. Ils forment ensemble le Monde d’en-bas, le mauvais monde qui retient prisonniers quelques éléments divins entraînés dans la chute. Pour soulager Sophia, Logos et Zoé émettent une nouvelle syzygie, Christos et Pneuma, (Christ et Saint-Esprit). Lorsque le Plérôme est enfin reconstitué, les éons décident d’émettre ensemble un nouvel éon, Jésus. Ils l’envoient dans le chaos du monde comme un sauveur intemporel. A partir de la Sophia dégradée, Jésus intemporel suscite un petit dieu créateur mais ignorant de la réalité du Plérôme, le Démiurge, le Dieu des Juifs et de la Bible. C’est lui qui organise la matière informe et en tire le monde sensible, régi par le Cosmocrator, et les hommes. Certains d’entre eux renferment toujours en eux les semences divines prisonnières. Pour les libérer, le sauveur Jésus descend, en son temps, dans le monde d’en bas, dissimulé dans un corps d’homme. Sa prédication et celle de ses successeurs visent à révéler aux égarés divins leur origine véritable, ainsi que la possibilité du retour au Père. Lorsque tous les éléments perdus auront regagné le Plérôme, ce monde temporaire sera détruit.

 

Marcion. (Pontique vivant à Rome - 85/160). Il fonda une église schismatique très importante dans l’histoire du Christianisme. Il affirma que l’Ancien Testament était abrogé pour les Chrétiens. Puis, adoptant le courant gnostique, il enseigna qu’il existait deux dieux distincts, celui de la Bible et celui des Evangiles.

- Le premier règne sur la nature matérielle qu’il n’a pas créée. Il n’est ni omniscient ni tout puissant. C’est un dieu sévère, exigeant une obéissance totale. Il asservit l’humanité à la dure Loi de Moïse, punissant durement les écarts et empêchant à l’homme de devenir véritablement bon.

- Le second est un dieu supérieur inconnu. Essentiellement bon, il prend l’humanité en pitié et lui envoie son fils, sous l’apparence virtuelle de Jésus-Christ, pour révéler son existence et son amour. Le premier dieu s’irrite et le fait périr.

- La mort gratuite de Jésus accomplit la rédemption de l’humanité. Celle-ci reste cependant soumise à la domination de son Créateur originel et ne peut lui échapper que par diverses privations et mortifications.

- Mais à la fin, le dieu austère et exigeant disparaîtra, et le dieu bon établira son royaume au bénéfice de ses fidèles, abandonnant les autres hommes à la destruction.

Le Marcionisme n’était pas réellement gnostique mais naïvement dualiste. Ici, l’Homme n’est pas originellement supérieur à ses formateurs, ce qui est à l’opposé de la pensée gnostique. Cette église connut cependant un succès considérable pendant plusieurs siècles, en raison de sa simplicité et de l’utilisation adroite de Livres Saints spécifiquement adaptés à la doctrine.       

 

Origène. Origène naît en 185, à Alexandrie où il reste jusqu’en 230 avant de se fixer à Césarée, en Palestine On sait qu’il se castra lui-même. Il meurt à Tyr, en 254, à la suite des tortures subies sous la persécution de Decius. On retrouve bien des idées gnostiques et néo-platoniciennes dans les théories d’Origène qui se réclame des enseignements d’Ammonius Saccas, un Alexandrin néo-platonicien, maître de Plotin. Elles nous ont surtout été transmises par les écrits de Grégoire le Thaumaturge, car certaines parties furent condamnées par le concile de Constantinople et détruites.

 

Origène interprète la Bible littéralement, moralement, et mystiquement. Il propose un système nouveau et complet du Christianisme, intégrant les sources bibliques et les idées néo-platoniciennes. Il représente bien ce que l’on a appelé la Gnose orthodoxe, (en opposition avec l’autre Gnose, celle que les Chrétiens déclarent ennemie et qu’ils appellent la Gnose païenne). Les thèses d’Origène connaissent un grand succès. On y trouve les notions d’un Dieu Tout-Autre, éternel et créateur. Il est le Père qui engendre éternellement le Fils, ou Logos, lequel reçoit le rôle de médiateur entre Dieu et le Monde, aussi bien dans la création universelle que dans la révélation.

 

Toutes les créatures douées de raison participent à la lumière divine et jouissent du libre arbitre. Elles peuvent se tourner vers Dieu ou vers le néant. En faisant ce second choix, elles chutent vers l’animalité qui est déjà bien visible chez l’homme. L’âme humaine peut cependant remonter vers le royaume de l’esprit si elle s’oriente volontairement et activement vers le bien. Dieu ne veut pas la contraindre, nous dit Origène, et il recourt seulement à l’éducation par le Logos dont les agents sont les philosophes, les prophètes, et surtout Jésus. L’âme de Jésus a servi de lien entre son corps et le Logos. Au jour de la Résurrection, le corps physique ayant disparu, elle s’est réunie au Logos.

 

Chaque Chrétien est appelé à suivre la même voie. Le véritable idéal religieux est la connaissance complète du divin, la Gnose, que les fidèles peuvent atteindre en se détachant totalement de la matière. Cette connaissance totale, cette Gnose, embrasse tous les mystères de Monde et de Dieu. Finalement, l’histoire du salut s’achèvera dans la soumission de toutes les âmes à Dieu, par le rétablissement universel de ce monde et des autres, dans ce cycle et les autres, avec des  successions constamment renouvelées de chutes et de retours des créatures à Dieu.

 

La religion Mandéenne. D’origine incertaine, elle apparaît entre le 1er et le 3ème siècle. Elle semble en partie liée aux Nasoréens d’Israël qui se seraient temporairement réfugiés en Médie (Iran). Sa cosmogonie est marquée par le dualisme gnostique oriental qui oppose un Monde lumineux à un Monde ténébreux.

- Le Monde de la Lumière est dirigé par un dieu inconnu, le Seigneur de Vie, le Mänä, Roi de Lumière, qui est entouré d’un nombre infini d’êtres lumineux habitant d’innombrables mondes également faits de lumière. Tout naît de l’être suprême, par émanations successives, dans une création progressive.

- Le Monde des Ténèbres est de même structure. Il est formé à partir du Chaos, l’eau ténébreuse qui existait à l’origine de toutes choses. Le Seigneur des Ténèbres provient de l’Esprit déchu. Il produit ses propres mondes peuplés de démons et de créatures malfaisantes. Les sept planètes et les douze constellations du Zodiaque sont également dans son domaine.     

- La Lumière et les Ténèbres entrent en conflit. Un dieu créateur hybride, le démiurge Ptahil, organise l’existence du Monde terrestre avec l’aide des puissances obscures. L’opposition de la Lumière n’aboutit qu’à l’enchaînement momentané du Seigneur des Ténèbres et à la condamnation du Démiurge.

- Mais l’hybride Ptahil a créé le corps extérieur et visible d’Adam dont l’âme intérieure et invisible vient de la Lumière, et l’homme est double et participe aux deux natures.

- Les Adam terrestres sont des copies ou des reflets des Adam célestes et ils ont, dans chacun des deux mondes, des épouses, (Eve et Nuage de Lumière), et des fils parmi lesquels Abel, Seth, Enos, qui sont des messagers de lumière. Les messagers instruisent les croyants pour libérer leurs âmes.

- Après la chute de l’Adam céleste dans la matière, Mabdä dHaiyë, la Gnose de Vie, la connaissance libératrice, le visite et vient l’éclairer pour l’aider à parvenir à la libération et au retour vers sa source.

 

Opprimés par le Christianisme et l’Islam, les fidèles mandéens se sont réfugiés dans des régions marécageuses du Sud de l’Irak où ils demeurent encore aujourd’hui. Au début du 3ème siècle, une communauté mandéenne avait en charge un jeune enfant qui y préparait sa propre illumination. Il s’appelait Mani.

 

Le Manichéisme. Fondamentalement, le Manichéisme est une religion gnostique qui affirme un dualisme radical. Quoiqu’intégrant diverses mythologies antiques, on y retrouve tous les principes gnostiques fondamentaux, la théorie des deux natures, la chute de l’homme originel, et la participation ardente et désintéressée des fidèles au salut des parcelles de lumière spirituelle perdues.

 

Mani, né à Babylone en 216, fut élevé dans une communauté mandéenne. Il a d’abord prêché sa doctrine en Perse. En 241, il reçut son « appel », lorsque l’esprit Divin lui apparut pour lui révéler « La doctrine des trois temps », le début, le milieu, et la fin du Monde.

 

A l’origine, la création est double, tout à la fois Lumière bonne et Ténèbres mauvaises. Les deux principes précèdent l’existence du Monde et s’affrontent. Au cours du combat, le Procanthrope, (Homme divin primordial), tombe dans les Ténèbres. Il est sauvé par l’Esprit mais abandonne des étincelles de Lumière dans les corps d’Adam et d’Eve, (parents de tous les hommes naturels et mortels), qui ont été créés sur cette terre. Les Manichéens doivent participer au retour de cette Lumière au Royaume. Entre les deux empires, il y a donc un conflit compliqué que je vais essayer de simplifier.

 

*         Le Père de Grandeur règne sur les cinq demeures du Pays de Lumière, (Intelligence, Raison, Pensée, Réflexion, Volonté).

*         Le Roi des Ténèbres habite les cinq Mondes Ténébreux, (Fumée, Feu, Vent, Eaux, Obscurité).

 

Convoitant l’éclat du Pays de Lumière, le Roi des Ténèbres veut le conquérir. Le Père de Grandeur le combat, d’abord en évoquant la Mère des Vivants qui évoque à son tour le Procanthrope, l’Homme primordial, et ses cinq fils, (les Elémentaux), mais ils sont tous engloutis. Le Père procède à une seconde création et évoque l’Esprit-Vivant et ses cinq fils. Ils sont vainqueurs des Ténèbres et, avec la Mère des Vivants, créent ensemble l’Univers pour séparer les deux domaines. Ils utilisent pour cela les corps des ennemis capturés. De la matière des démons ténébreux, ils forment le ciel et la terre, et des parcelles de lumière qu’ils leur font régurgiter, ils fabriquent les astres et les étoiles. Le troisième fils, le Messager, habitant le Soleil, règle leur course. L’Esprit-Vivant appelle l’Homme Primordial qui lui répond. Le tirant des Ténèbres par la main, l’Esprit le libère. Comme les Mithriastes, en témoignage de ce sauvetage manuel par l’Esprit, et en signe de reconnaissance, les Manichéens se saluent en se serrant la main droite. Nous avons conservé le signe.

 

Les Manichéens se saluaient
en se serrant la main droite.

 

Mais le Procanthrope perd des parcelles de Lumière qui sont récupérées par Ashaqloun, fils du Roi des Ténèbres. S’unissant à sa femme Namraël, il engendre Adam et Eve, y enfermant ces semences lumineuses pour les dissimuler. La mission des Fils de l’Esprit est difficile car ils doivent récupérer toutes les étincelles perdues. Le système cosmique est l’appareil destiné à ce travail. Le Soleil et la Lune sont des vaisseaux réservoirs alimentés par d’immenses norias ou roues cosmiques qui remontent aux cieux la lumière et déversent dans l’abîme les débris des vaincus. 

 

Nous voyons ici que, contrairement à la religion gnostique traditionnelle, la vision cosmogonique manichéenne est délibérément pessimiste. Le monde est entièrement mauvais car il est créé à partir de la substance ténébreuse, « provenant des cadavres des puissances du Mal » (Jonas). Il en est de même pour la race des hommes naturels, les descendants d’Adam et Eve. Entendre l’appel du Messager de Lumière est leur seule chance de salut. Aucun homme n’est bon, mais certains appelés peuvent prendre conscience d’être tombés dans l’état insupportable du corps matériel. Se ressouvenant de leur origine, ils cherchent à se libérer en expulsant d’eux-mêmes les ténèbres, et travaillent à se connaître mieux, reconnaissant dans leur être cette partie consubstantielle à Dieu, leur âme de lumière immortelle.

 

Le Manichéisme est une religion toute intérieure, avec une morale élevée et un culte dépouillé. Les fidèles recherchent une grande pureté par la pratique des cinq vertus, amour, foi, perfection, patience (ou endurance), et sagesse. Ils instituent la confession des péchés, l’absolution mutuelle et la pénitence. Ils pratiquent la prière, le jeûne, l’aumône, et la continence, ne tuent aucun animal, s’abstiennent de viande et de vin, renoncent même à la propriété individuelle et au mariage. Les Elus appliquent strictement ces règles, jusqu’à renoncer à rompre eux-mêmes leur pain. Elles sont plus souples pour les Auditeurs qui les servent. Pour aider les appelés dans leur quête de salut, Dieu leur envoie des prophètes comme Zoroastre, Bouddha, Jésus, et maintenant Mani qui est leur successeur. Celui-ci considère que sa tâche prophétique est d’accorder leurs dogmes. Pour propager la religion, les Manichéens envoient des missionnaires, hommes et femmes, dans des régions parfois fort éloignées des pays d’origine. Cette volonté missionnaire est spécifique du Manichéisme, car les autres Gnostiques se contentaient généralement de constituer des élites relativement limitées d’initiés.

 

Le destin des missionnaires manichéens fut souvent tragique. Mani lui-même, contesté par les mages persans, est emprisonné sur les ordres du roi Bahrâm 1er, et chargé d’énormes chaînes. Il meurt d’épuisement, (ou crucifié), vers 275. Son cadavre est écorché, et sa peau empaillée est suspendue aux remparts de Gundêshâpuhr pour décourager les fidèles. Ses successeurs sont aussi périodiquement persécutés par toutes les religions influentes, tant à cette époque qu’au Moyen-Âge, en ces lieux autant qu’ailleurs. Malgré cela, le Manichéisme se répand très largement, en Chine, en Occident, et en Afrique du Nord. Il persiste jusqu’au 14ème siècle et trouve des prolongements divers. (Mazkadites iraniens, Zandaqa musulmans, Pauliciens byzantins, Bogomiles bulgares, Patarins rhénans, et Cathares italiens et occitans français).

 

Les Bogomiles et les Cathares. Vers la fin du 4ème siécle, divers courants ascétiques, plus ou moins dualistes, se font jour au sein de l’Eglise occidentale qui les condamne et les combat férocement. Citons les Messaliens, les Pricillianistes, et les Pauliciens. Les Bogomiles sont repérés dés le 10ème siécle, en Asie Mineure. Le courant des Patarins existe à Bysance, où leur chef, le pieux Basile, est capturé et brûlé au 11ème. A ce moment, en réaction contre le laxisme du clergé catholique, et bien avant la Réforme protestante du 16ème, les Cathares apparaissent en Italie du Nord et dans le Midi de la France mais aussi en Flandre, en Angleterre, et en Allemagne. Les Bogomiles et les Patarins semblent être à l’origine des deux courants du Catharisme qui compte trois églises, en Italie, à la même époque. On compte alors environ quatre mille parfaits pour l’ensemble de l’Europe dont deux mille pour la seule Italie, (et seulement deux cents dans le Midi de la France).

 

- Les Cathares bogomiles de l’Est de l’Europe adaptent les enseignements dualistes manichéens à leur culture nouvelle. Il y a deux dieux, l’un est bon et lumineux, l’autre mauvais et ténébreux. Le Diable a fait le corps de l’Homme en y emprisonnant de force un ange de lumière. Le procréation est un acte condamnable car son résultat est la perpétuation de la démoniaque race humaine. Le Christ est un ange de Dieu. Le corps de Jésus était un phantasme immatériel. Jésus n’a pas souffert, n’est pas mort ni ressuscité. Le jugement dernier a déjà eu lieu, Ce monde-ci est l’enfer de punition et il n’y en a pas d’autre.

 

- La doctrine des Cathares patarins du Sud, les Albanenses, les Albigenses ou Albigeois, dérive de celle d’Origène. Ils croient en un seul Dieu créateur de la matière, des éléments et les anges. Le fils des Ténèbres est l’intendant du Monde et y a créé toutes choses. Le libre arbitre a causé la déchéance de Lucifer qui a séduit d’autres anges. Il est le Dieu de la Bible et l’artisan qui organise le monde visible.   

 

Le dualisme de Cathares, leur volonté de pureté, leur encratisme, leur végétarisme, leur rejet de la Bible, de l’Eucharistie et du la Croix provoquent la fureur de l’Eglise. De nombreux Cathares sont brûlés à Cologne en 1163. Une terrible croisade est lancée contre les Albigeois. Ils sont pratiquement anéantis avec toute la brillante civilisation occitane qui les avait si chaleureusement accueillis. Malgré les efforts de l’Inquisition, le Catharisme survécut encore un certain temps, très difficilement en Languedoc, un peu mieux en Italie, jusqu’au 15ème siècle.

 

Nous verrons plus tard comment la Gnose interprète aujourd’hui le Christianisme. Dans notre société occidentale actuelle, elle adapte son message en se référant aux traditions chrétiennes. C’est une Gnose Christique qui veut montrer toute la richesse des mythes du Christianisme originel, (comme celui de la fuite en Egypte qui le relie aux traditions égyptiennes), en dévoilant leur véritable signification cachée. Se dégageant de toute discussion concernant l’historicité des fondements chrétiens, elle présente les personnages et les événements évangéliques comme des représentations mythiques du chemin qui conduit l’Homme à son salut.

 

Cette vision de décryptage des mythes amène très évidemment à relier le Christianisme originel aux Cultes à Mystères dont il est contemporain. Il en présente les caractéristiques telles que définies au précédent chapitre. On y retrouve les concepts d’immortalité de l’âme, de salut et de résurrection. Le culte évoque la passion d’un dieu. Les pratiques comportent des prières, des privations, des émotions violentes et des rites pénitentiels. Les liturgies conduisent au salut dans un autre monde.

 

L’Hermétisme. A l’ère gréco-romaine, les pharaons Lagides ont voulu s’intégrer dans la tradition égyptienne. Ils ont fait naître des cultes qui synthétisaient les dieux grecs et les équivalents égyptiens. Thot, le dieu intellectuel, fut identifié à la fois à Mercure et à Hermès sous le nom d’Hermès Trismégiste. Une figure mythique remarquable résulte de cette réunion de l’Hermès grec, psychopompe et messager des dieux, et du Thot égyptien, seigneur des sages, maître de la magie et des savoirs, conducteur des âmes vers le tribunal infernal.

 

On attribue au Trismégiste le Corpus Herméticum. C’est un ouvrage ésotérique révélé en 1463 par le Florentin Marsilio Ficino. Il contient plusieurs livres repérés depuis le 5ème siècle. Très célèbre, c’est un recueil qui rassemble des traités assez divers, d’une spiritualité très élevée mais sans réelle unité doctrinale. Leur origine était incertaine. La surprise fut d’en retrouver certaines parties dans les grottes de Nag Hammani. Cette trouvaille confirmait la haute antiquité de l’ensemble de l’œuvre.

 

Ce qui est en toi, regarde et entend, c’est le Verbe du Seigneur, et ton Noûs est le Dieu-Père. Ils ne sont pas séparés l’un de l’autre,car c’est leur union qui est la vie. (...). (Poïmandres). 

(...)Tu as vu dans le Noûs la forme archétype, le pré-principe antérieur au commencement sans fin. Les éléments de la Nature ont surgi de la volonté de Dieu qui, ayant reçu en elle le Verbe et ayant vu le beau monde archétype, l’imita, façonnée qu’elle fut en un monde ordonné, selon ses propres éléments et ses propres produits, les âmes. (...). (Poïmandres).

 

(...)Or, le Noûs, étant mâle et femelle, existant comme vie et lumière, enfanta d’une parole un second Noûs, démiurge qui, étant dieu du feu et du souffle, façonna les Gouverneurs, sept en nombre, lesquels enveloppent dans leurs cercles le Monde sensible, et leur Gouvernement se nomme la Destinée. (...). (idem).

 

Le fragment Poïmandres nous révèle une cosmogonie grandiose, bipolarisée, mystique, très intellectuelle, assez proche de celle des Néoplatoniciens. Les Gouverneurs sont les esprits des sept planètes qui influencent notre univers. Autour de la Terre, il y a sept cieux enveloppés par la huitième sphère, le ciel des étoiles fixes. L’ensemble constitue l’Ogdoade des huit principes divins. Au-delà commence le domaine de la Divinité suprême.

 

Les Egyptiens appelaient également dieux toutes les puissances invisibles situées au-dessous du Dieu Suprême, le Dieu-Père, y compris les humains distingués pour leurs qualités exceptionnelles. Leurs Démons étaient les forces qui vivent de et dans l’inconscient humain. Notre monde chrétien aussi est peuplé de nombreux saints et êtres invisibles, anges ou archanges, bénéfiques ou maléfiques. Ici, le monothéisme est surtout une question de vocabulaire.

 

Dans Poïmandres, on a encore le récit de la chute de l’Homme, lequel est un être admirable et divin, fait à l’image du Père dont il a reçu tous les dons. Adolescent, il tombe amoureux de sa propre image reflétée dans la merveilleuse nature, s’unit à elle et chute dans la matière terrestre. Mais l’Homme, dit Hermès, peut retrouver son immortalité et sa place dans le royaume originel s’il réussit la transmutation de son corps mortel. Le pouvoir du Démiurge s’efface. Il cède la première place à l’Homme primordial. Je voudrais ici que vous preniez la peine de revoir la citation qui ouvre le chapitre sur l’Egypte ainsi que le très joli poème qui le termine.

 

 Lumière et vie, voilà ce qu’est le Dieu et Père.(...).

(...)Voilà pourquoi, seul de tous les êtres,

l’Homme est double, mortel de par le corps,

immortel de par l’Homme essentiel (...).

 

L’Hermétisme jette sur le Monde un regard résolument positif. Dieu est la Vie même, intellect et amour actif. Un démiurge distinct a construit l’univers et son peuplement, autant que les sphères du zodiaque qui fixent le destin. Voici deux citations de Poïmandres, suivis d’extraits d’un autre fragment, Asclépius.

 

Bien qu’il soit immortel et qu’il ait pouvoir sur toutes choses, l’Homme subit la condition des mortels, soumis qu’il est à la destinée.(...). (Poïmandres).

 

(...)Quant à l’Homme, de vie et de lumière qu’il était, il se changea en âme et en intellect, la vie se changeant en âme, la lumière se changeant en intellect, (...). (Poïmandres).

 

(...)Parmi tous les genres d’êtres, ceux qui sont pourvus d’une âme ont des racines qui parviennent jusqu’à eux de haut en bas. En revanche, les genres des êtres sans âme épanouissent leurs rameaux à partir d’une racine qui pousse de bas en haut. Certains êtres se nourrissent d’aliments de deux sortes, d’autres, d’aliments d’une seule sorte. Il y a deux sortes d’aliments, ceux de l’âme et ceux du corps, les deux parties dont se compose le vivant.(...). (Asclépius).

 

L’Homme qui se connaît, connaît aussi le monde,(...) Il révère l’image de Dieu, sans oublier qu’il en est la seconde image, car Dieu a deux images, le monde et l’homme.(...). (Asclépius).

 

Au commencement, il y eut Dieu et Hylé, (la matière). Le souffle, (Pneuma-l’Esprit), était (...) dans la matière mais non pas de la même façon (...) qu’étaient en Dieu les principes dont le Monde a tiré son origine. (...) Dieu qui est toujours, Dieu éternel, ne peut être engendré, ni n’a pu l’être. Telle est donc la nature de Dieu, qui toute entière est issue d’elle même. (...). Quant à Hylé (la nature matérielle), et au souffle, bien qu’ils soient manifestement inengendrés, ils ont en eux le pouvoir et la faculté naturelle de naître et d’engendrer. (...). Voici donc en quoi se résume toute la qualité de la matière, elle est capable d’engendrer bien qu’elle soit elle même inengendrée. Or, s’il est de la nature de la matière d’être capable d’enfanter, il en résulte que cette matière est tout aussi capable d’enfanter le Mal.  

 

Cependant, le Dieu suprême a pris d’avance ses précautions contre le Mal, de la façon la plus rationnelle qui se pût, quand il a daigné gratifier les âmes humaines d’intellect, de science, et d’entendement. En effet, c’est par ces facultés, (...) et par elles seules, que nous pouvons échapper aux pièges, aux ruses, et aux corruptions du mal. (...) car toute science humaine a son fondement dans la souveraine bonté de Dieu. (...). Quant au souffle, c’est lui qui procure et entretient la vie dans tous les êtres du monde, lequel obéit comme un organe ou un instrument, à la volonté du Dieu suprême. (...). C’est du souffle que Dieu remplit toutes choses, l’insufflant en chacune d’entre elles selon la mesure de sa capacité naturelle. (Asclépius).

 

On peut méditer longuement sur ces étonnantes réflexions concernant la création du Monde et l’origine du Mal. Par ailleurs, dans son « discours secret sur la montagne », Hermès Trismégiste révèle les mystères du Verbe. Il y a douze vices qui enchaînent l’âme humaine, et dix puissances qui permettent de la délivrer. Le salut, dit Hermès, ne dépend donc que de la maîtrise de soi. La première puissance est la joie de la connaissance. Les péchés sont dus à l’influence des trente-six « Décans » qui sont des intelligences invisibles se tenant dans le monde astral (accessible à l’âme). Liées aux signes du Zodiaque, elles produisent des Démons, agents actifs, bons, mauvais, ou ambivalents. Ils pénètrent dans les hommes à la naissance, et cherchent à façonner et exciter les âmes humaines, et ils en tirent avantage pour leur intérêt propre. Cependant, dés que l’homme reçoit en son âme la connaissance intérieure révélée, la Gnose, la Lumière divine réduit à l’impuissance dieux et démons, bons ou mauvais.

 

L’Apocalypse des Egyptiens. Les religieux fervents qui ont écrit tous ces textes supportaient difficilement la présence des étrangers sur leur sol, en particulier celle des Grecs qu’ils accusaient de superficialité. Leur souffrance inquiète s’exprime dans ce passage où elle apparaît particulièrement aiguë et émouvante.

Un temps viendra, Asclépius, où il semblera que les Egyptiens ont en vain adoré leurs dieux, dans la piété de leurs coeurs. (...). Les Dieux, quittant la terre, regagneront le ciel. Ils abandonneront l’Egypte. Des étrangers rempliront ce pays. Non seulement on aura plus souci des observances religieuses, mais il sera statué par de prétendues lois, sous peine des châtiments prescrits, de s’abstenir de toute pratique, de tout acte de piété ou de tout culte envers les dieux. Alors, cette terre sainte, patrie des sanctuaires et des temples, sera couverte de sépulcres et de morts. Ô Egypte, Egypte! Il ne restera de tes cultes que des fables, et tes enfants, plus tard, n’y croiront même pas. Rien ne survivra que des mots gravés sur les pierres qui racontent tes pieux exploits. (...). Car voici que la Déité remonte au ciel. Les hommes, abandonnés, mourront tous, et alors, sans dieux et sans hommes, l’Egypte ne sera plus qu’un désert.

Pourquoi pleurer, Asclépius? L’Egypte elle même se laissera entraîner à bien plus que cela et à bien pire. Elle sera souillée de crimes bien plus graves. (...). Car les ténèbres seront préférées à la lumière. On jugera plus utile de mourir que de vivre. Nul ne lèvera plus ses regards vers le ciel. L’homme pieux sera tenu pour fou, l’impie pour sage. Le frénétique passera pour un brave, le pire criminel pour un homme de bien. (...). Et même, croyez-moi, ce sera un crime capital, aux termes de la loi, que de s’être adonné à la religion de l’esprit. (...). Voici donc ce que sera la vieillesse du Monde, irreligion, désordre, et confusion de tous les biens.

Quand toutes ces choses auront été accomplies, ô Asclépius ! (...), le Dieu Premier, après avoir considéré ces moeurs et ces crimes volontaires, après avoir essayé (...) de redresser l’erreur, anéantira toute la malice, (...), puis il ramènera le Monde à sa beauté première (...). Car la volonté de Dieu n’a pas eu de commencement, elle est toujours la même, et ce qu’elle est aujourd’hui, elle le demeure éternellement.    

 

Dans Koré Kosmou, la Fille du monde, le récit de la Création est proche de celui de la Genèse qui doit l’avoir inspiré.

 

 Que le ciel soit rempli de toutes choses
 et l’air ainsi que l’éther!

Dieu dit et cela fut.

 

Isis et Hermès enseignent à Horus les secrets des origines. Au commencement, la poursuite de la création est confiée aux âmes mais celles-ci deviennent curieuses et turbulentes. Elles cherchent à percer le pouvoir du Père et essayent de comprendre la mixture dont le Monde est composé, sortant ainsi des tâches qui leur sont assignées. Le Père s’en  irrite et se résout à les châtier. Il fabrique les hommes comme lieux de punition, puis appelle les dieux seconds afin de décider des destinées qu’ils vont fournir. Le Soleil décide de resplendir encore plus. La Lune le suivra dans sa course, enfantant la terreur, le silence, le sommeil, et la mémoire. Kronos accorde la justice et la nécessité. Zeus procure la fortune, l’espérance et la paix. Arès envoie la lutte, la querelle et la colère. Aphrodite y ajoute le désir, la volupté et le rire, pour atténuer le châtiment ce qui satisfait particulièrement le Père.   S’unissant à Invention, Hermès apporte la sagesse, la tempérance, la persuasion, et la vérité. C’est lui qui crée finalement la nature terrestre et mortelle des hommes. Il reprend le résidu sec de la mixture originelle, le dissout dans l’eau et en modèle les corps biologiques. Au moment d’être incorporées, les âmes se lamentent et désespèrent, pleurant la lumière dont elles vont être privées. Le Monarque, le grand Dieu suprême, prend place sur le Trône de Vérité : « C’est l’Amour, ô Âmes, et la Nécessité qui règneront sur vous. Pour autant que vous servez mon pouvoir royal qui ne vieillit point, sachez bien que, tant que vous continuez d’être sans péché, vous habiterez les régions du Ciel... Mais si vous commettez de plus grandes fautes, loin d’obtenir la fin qui vous convient une fois sorties du corps, vous ne logerez plus au Ciel, ni non plus en des corps humains, mais désormais vous ne cesserez plus d’errer d’un corps d’animal dans un autre ».

 

Lorsque les âmes sont incorporées, il devient nécessaire de créer le monde que vont habiter les hommes. Là aussi, on a des accents admirables dont je ne puis, hélas, citer ici qu’un court extrait.

     

   Lors donc, après qu’il eut empli ses mains,

(...) de ce qui existe dans la nature,

et tenant tout enclos en ses poings.

« Prends, dit-il, ô terre sainte, toute honorable, prends,

toi qui vas devenir la génitrice de toutes choses,

prends donc, et ne sois plus seconde en rien ».

Et Dieu, ouvrant alors ses mains propices,

en répandit le contenu

dans la grande fabrique du Monde    

 

Quoique repérée vers le second siècle de notre ère, il se pourrait que la littérature évoquée puisse remonter au ~2ème siècle avant J.C. Elle mêle les approches philosophiques et mystiques, mais elle aborde aussi d’autres aspects. Solve et coagule. Hermès reprend le résidu sec de la mixture divine originelle puis le dissout dans l’eau, à la façon d’un alchimiste. Ceci nous amène à la Table d’Emeraude, un autre ouvrage très célèbre attribué au Trismégiste. Elle contient les secrets de la science hermétique, « Al chemia », la future Alchimie. Rédigée en grec, elle fut traduite en de nombreuses langues dont l’arabe, en divers temps. Voici un extrait de la Vulgate latine, ouvrage alchimique le plus connu, qui est une traduction tardive datée du 14ème siècle.

 

Il est vrai sans mensonge, certain et très véritable.

Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut,

et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas,

pour faire des miracles d’une seule chose.

Et comme toutes choses ont été et sont venues d’Un,

par la méditation d’un, ainsi toutes les choses sont nées

de cette chose unique, par adaptation.

Le Soleil en est le père, la Lune est sa mère,

le Vent l’a porté dans son ventre,

la Terre est sa nourrice.

Le Père de tout le telesme de tout le monde est ici.

Sa force ou puissance est entière,

si elle est convertie en terre.

Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l’épais,

doucement et avec une grande industrie.

Il monte de la terre au ciel et derechef il descend en terre,

 et il reçoit la force des choses supérieures et inférieures.

Tu auras par ce moyen la gloire de tout le monde,

 et pour cela toute obscurité s’enfuira de toi.

C’est la force forte de toute force,

car elle vaincra toute chose subtile

et pénétrera toute chose solide.

Ainsi le monde a-t-il été créé.

De ceci seront et sortiront d’admirables adaptations,

desquelles le moyen en est ici.

C’est pourquoi j’ai été appelé Hermès Trismégiste,

ayant les trois parties de la philosophie de tout le monde.

Ce que j’ai dit de l’opération du Soleil est accompli

et parachevé.

 

L’alchimie est une invention gnostique. Au 3ème siècle, les fragments des œuvres du gnostique Zosime qui nous sont parvenus contiennent des descriptions précises des appareils de distillation et de sublimation. Les Grecs prirent la suite, puis Pelagios et Jamblique rattachèrent cet art royal aux mystères égyptiens. La Table d’Emeraude, qui apparaît pour la première fois dans un texte attribué au Grec Apollonios de Thyane, au 1er siècle, semble donc bien être un texte alchimique. Elle constituerait un lien entre l’ésotérisme antique, les mystiques du Moyen Age et les alchimistes occidentaux. Mille années étranges séparent les époques où furent rédigées  l’original supposé et sa traduction latine. Pendant tout ce long millénaire, nous savons qu’une situation extraordinaire règne en occident. Toute liberté de pensée y est interdite d’expression ou réduite au silence. Cette contrainte se met en place progressivement et de façon différente selon les lieux. Puis elle atteint de tels sommets que vient un temps où un simple soupçon d’hérésie ou d’indépendance envoie le penseur à la torture et à la mort atroce sur un bûcher.

 

D’innombrables pauvres gens sont morts ainsi. Il faut enfin prendre conscience de cette réalité douloureuse, cruelle et sanglante, aussi désagréable que cela puisse être pour ceux dont la propre foi est concernée. Il est indispensable d’accepter la confrontation avec la nature réelle des églises qui ont établi cette effroyable situation. Leurs fondements intimes demeurent même si, chez nous, les comportements sont actuellement moins meurtriers.

 

Les responsables de cette extrême intolérance sont, à divers degrés, les religions dites du Livre, c’est-à-dire celles qui font référence à la Bible, en adoptent les dispositions et obligations rigoureuses, et veulent imposer leurs croyances aux autres par tous les moyens. Disposant du pouvoir, ces églises, qui parlent constamment d’amour, condamnent au silence ou à la mort la libre expression de l’Esprit. Au Moyen-âge, confrontés à ces mortels dangers, les Hermétistes se réfugient dans l’anonymat et le silence. Leurs traces demeurent dans les contrées lointaines où ils trouvent un abri temporaire. La Chine puis l’Islam naissant leur accordent des lieux d’asile et des temps de répit. C’est dans les enseignements de leurs philosophes que l’on retrouve les alchimistes et leurs al-ambics. La traduction arabe du livre d’Apollonius de Thyane, Le livre du secret de la création, est datée du 6ème. D’autres versions arabes sont datées du 8ème, et le Secret des secrets, du pseudo Aristote nous arrive du 12ème siècle.

 

En Europe, au 13ème siècle, on persécute encore les alchimistes. Le moine Roger Bacon, qui traduit et commente le Secret des secrets, est emprisonné et exilé. En 1380, le roi Charles V les fait rechercher par sa police, tandis que des souverains plus modérés leur demandent seulement de remplir d’or leurs coffres. Les très pieux alchimistes sont attaqués par l’Inquisition tout autant que l

es sorciers et les hérétiques. L’Eglise leur reproche de vouloir égaler Dieu en créant la pierre philosophale, (ou pierre adamique), à partir du limon. Pourtant les alchimistes sont surtout des métaphysiciens. Pour eux, l’or est la mémoire du plomb originel. Ils voient dans la réalisation du Grand-Œuvre, (la transmutation d’un vulgaire métal en or), le symbole de la conversion de l’âme humaine, l’image de leur propre transfiguration et de la résurrection de la figure divine originelle. A partir du 16ème siècle, les ouvrages alchimiques se répandent progressivement dans toute l’Europe, souvent illustrés d’images mystérieuses, (comme le Mutus Liber qui ne contient que des estampes). Au 17éme, le secret des secrets est à nouveau traduit par Michaël Maïer, qui prend d’ailleurs parti en faveur de la Fraternité des Rose-Croix dont la doctrine se manifeste alors, en particulier dans les écrits du religieux protestant Valentin Andreae.

 

Après la Révolution française, l’alchimie reprend vie sous la forme de l’hylozoïsme, une approche gnostique moniste enseignant que la matière, l’âme, la vie, et l’énergie ne font qu’un. Les alchimistes rejoignent les occultistes modernes, tels Fulcanelli, et amalgament les différents courants de la libre pensée. La Théosophie est annoncée. Le psychologue suisse C.G.Jung tente ensuite son Grand œuvre personnel, l’identification de la psychanalyse et de l’alchimie. Il compare la recherche de la pierre philosophale à une projection mentale représentant la révélation intuitive d’un élan inconscient, l’appel intérieur du Christ.

 

La Kabbale. La naissance de la Kabbale, (c’est à dire la Tradition, ce qui ne fait pas partie des codes de la Loi), se produit dans le Midi de la France en même temps qu’y apparaissent les Cathares. Au fil du temps, la Kabbale devient une forme de mysticisme métaphysique très éloignée de la pure doctrine judaïque. Isaac l’aveugle, le Père de la Kabbale, habite Beaucaire en Provence, vers 1260, et y enseigne Les trente-deux voies de la Sagesse. On trouve des foyers à Rome, en Allemagne, et en Espagne. Concurrente de la Gnose, la Kabbale est une méthode d’interprétation de la Bible. Elle propose une explication visant à la compréhension de l’origine de l’univers et du rôle que l’homme est appelé à y jouer. Les Gnostiques partaient de la connaissance révélée et voulaient réaliser une synthèse des religions. Issue du Judaïsme, la Kabbale désire alors fondamentalement en assurer la suprématie. Partant de la Tradition hébraïque, elle veut démontrer que ses dogmes contiennent la seule vérité révélée concernant les origines du Monde et de l’Humanité.

 

La Gnose voulait aboutir à une religion universelle.

Ce n’est absolument pas le projet de la Kabbale.

 

Il y a cependant des analogies très étonnantes entre ces deux courants opposés de pensée. Comme la Gnose, la Kabbale fonde sa doctrine sur un Dieu primordial étranger au Monde, inconnaissable, inaccessible et lointain, l’En-Sof, ou l’Infini. Elle ne le nomme jamais, le désignant par les quatre lettres IHWE. L’En-Sof se manifeste à l’humanité par la Schehkina, la Présence de Dieu unie à sa Partie Féminine. Cette entité crée le Monde et s’en occupe comme une mère de son enfant. Dans le Zohar, daté du 13ème siècle, l’En-Sof désigne le principe de l’Amour Même dont l’éblouissement ne peut être contemplé directement. Pour approcher le Monde, l’En-Sof s’entoure de cinq enveloppes, graduellement épaissies, afin d’obscurcir sa lumière, (le Grand Visage, le Père, la Mère, le Petit Visage, et l’Epouse du petit Visage). Dans le Monde de la Création, les deux Protoplastes, parfaitement unis en Haut, dans le Mi, descendent et occupent la Terre, dans le Ma. Il importe de savoir que dans le Mi, le nom caché du Père c’est Jéhovah, et le nom caché de la mère c’est Elohim. Le nom complet de Dieu dans le Mi, (l’essence), c’est Jehovah-Elohim, qui unit les deux principes, et dans le Ma, (l’existence), c’est Adam, mâle et femelle.

 

La théorie des Séphiroth de la Kabbale correspond à la hiérarchie des Eons de la Gnose. Les deux principes sont inséparables tant dans l’unité archétypielle non manifestée, le monde d’en haut, le Mi, l’Essence, que dans la réalité manifestée, le monde d’en bas, le Ma, l’Existence. Ils se rencontrent dans l’Homme conscient, à la fois microcosmos, petit monde, et microthéos, petit dieu. La tradition représente l’Inconnaissable, dans sa manifestation humaine, sous forme d’un schéma symbolique, l’arbre des Sephiroth, composé de trois triangles superposés. Ils correspondent à la trilogie Âme-Esprit-Corps. Le triangle supérieur est particulier. Il a la pointe en haut, car il symbolise la partie spirituelle de la manifestation divine. Il est formé de la Couronne, (La Tête), de la Sagesse, (Père divin, épaule droite), et de l’Intelligence, (Mère divine, épaule gauche). Le médian a la pointe en bas et comprend la Beauté, ou l’Epoux, (La Poitrine), la Miséricorde, (Bras droit), et la Rigueur, (Bras gauche). La Victoire, (Jambe droite), la Gloire, (Jambe gauche), et la Base, (Organe sexuel), forment le triangle inférieur, à la pointe tournée vers le bas. Le Règne, (l’Epouse), est la dixième Sephira, qui représente l’Homme complet. On voit bien que tout le coté droit figure le principe mâle. Le coté gauche est le principe femelle, et le milieu, (la colonne vertébrale), symbolise la descente génératrice de l’Esprit dans le corps de l’Homme.

 

La Kabbale sonde la Bible pour en extraire les noms secrets de Dieu, et ceux des anges et des démons qui foisonnent dans sa cosmologie astrale. Cette connaissance doit donner aux adeptes le contrôle de l’univers. Les mots kabbalistiques sont généralement des abréviations de versets bibliques. Ils ont tous un sens secret et un contenu mystique puissant, et il en est de même des noms propres. Les peuples anciens ne connaissaient pas les chiffres et utilisaient des lettres pour désigner les nombres. Celles qui constituent les alphabets grec et hébreu ont donc des valeurs numérales à partir desquelles on fait beaucoup de calculs et de supputations.

 

Les Kabbalistes divisent l’homme en trois parties. L’âme globale comprend l’esprit vital, l’intellect, et l’âme divine. Ils résident dans des régions distinctes et connaissent des sorts différents. La théorie de la transmigration des âmes comprend une possibilité nouvelle extraordinaire, le Gilgoul, l’association familiale entre l’âme intellectuelle d’un défunt et celle d’un vivant. Ainsi, une âme repentante peut s’associer à un vivant vertueux, et une sainte âme peut aider un proche parent s’il est un pécheur en difficulté.   

 

On distingue deux époques et deux aspects différents dans l’histoire de la Kabbale. Nous avons déjà abordé le premier, le principal, l’aspect religieux intégriste lié au mysticisme juif et à l’exaltation de la religion d’Israël. Le second aspect est philosophique. Certains occultistes utilisent la Kabbale comme une voie conduisant à une nouvelle connaissance du monde. Ils la réinventent et en élargissent la signification. Cette autre Kabbale cherche des vérités universelles dans l’expression des traditions et les écrits sacrés. Au 15ème siècle, Pic de la Mirandole est l’un des premiers philosophes à se pencher sur la Kabbale. Accusé d’hérésie, il est emprisonné mais Laurent de Médicis se porte garant pour lui devant le Pape. Il est suivi par l’Allemand Johann Reuchlin, vite mis en cause par l’Inquisition. Défendu par la population de Souabe, Reuchlin déplace l’étude de la Kabbale du plan religieux vers le plan philosophique. Il devient le maître kabbaliste de la Renaissance, suivi de Guillaume Postel et Jacques Gaffarel. Au 19ème siècle, citons Wronski, Fabre d’Olivet, et Eliphas Lévi, l’abbé Constant, qui produit de nombreux écrits ésotériques dont Victor Hugo s’inspire dans la Fin de Satan. Ensuite apparaît Stanislas de Guaita qui refonde en 1887, à Paris, et sur ces bases philosophiques et ésotériques, l’Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix.  

 

La Rose-Croix. L’Ordre fondé par Guaita mêle l’approche ésotérique scientifique et l’œuvre littéraire. Il se propose de combattre la sorcellerie et réunit un groupe actif d’hommes très connus, dont Papus. Malgré le sérieux du travail effectué, l’Ordre éclate rapidement. En 1890, Péladan crée le Tiers Ordre intellectuel de la Rose-Croix, une section mondaine qui rassemble cent soixante-dix artistes célèbres. Il organise des salons qui ont un succès fou, rassemblant jusqu’à vingt-deux mille visiteurs. On est bien loin de la retenue et de la discrétion qui caractérisent la tradition des véritables Rose-Croix auxquels nous allons maintenant revenir.

 

Selon Papus, trois courants caractérisaient la recherche ésotérique moderne, le Gnosticisme, (Cathares, Vaudois, et Templiers dont dérivent les Maçons), les moines catholiques, et enfin les divers initiés (Hermétistes, Alchimistes, Kabbalistes). Le courant rosicrucien résulterait de la synthèse de fait réalisée entre les trois traditions. On remarque cependant déjà, dans la Divine Comédie de Dante, (vers 1320), que le huitième ciel du paradis est décrit comme le ciel étoilé des Rose-Croix. Il se pourrait aussi que la fondation de l’Ordre implique Paracelse, médecin et alchimiste, né en Suisse vers 1493. Il utilise les symboles de la rose et de la double croix dite lorraine, dés 1536, et prédit la venue d’Elias-Artista, l’Esprit radiant, ambassadeur du Paraclet et personnification future de l’Ordre. (La théorie médicale de Paracelse innovait en établissant des correspondances alchimiques entre les différentes parties du corps humain, le Microcosme, et celles de l’univers considéré dans sa totalité, le Macrocosme).

 

Néanmoins, l’origine de la Fraternité prestigieuse des Rose-Croix reste mystérieuse. Au 16ème siècle, les armes de Luther portent une croix encadrée de quatre roses. A l’époque, en Occident, les sources de l’ésotérisme rassemblent diverses traditions, gnostiques, hermétistes, mazdéistes, alchimistes, ou kabbalistes, des traditions manichéennes ou autochtones comme celle du Graal, celles des docteurs de l’Eglise Catholique, et un courant transmis par les Druzes arabes. La Fraternité des Rose-Croix semble avoir réalisé une large synthèse de ces multiples traditions inspirées, à partir de l’année 1600.

 

Un religieux protestant, Valentin Andreae, publie deux manifestes en 1614. Il s’agit de la Gloire de la Fraternité, (la fameuse Fama Fraternitatis, et de la Confession des Frères Rose-Croix). Ils exposent la doctrine de la Fraternité des Rose-Croix qui préconise une réforme générale de l’Humanité. Valentin Andreae publie ensuite de nombreuses autres oeuvres dont les plus importantes sont Christianopolis et surtout les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz.

 

Dans ce récit, le fondateur légendaire de la Rose-Croix, Christian, invité aux noces de Sponsus et de Sponsa, (l’époux et l’épouse), rève qu’il est enfermé au fond d’un puits ou d’une tour dont il sort à l’aide d’une corde lancée de l’extérieur. Il se met ensuite en route et traverse une forêt. Il doit choisir entre quatre routes dangereuses dont l’une est mortelle. Cherchant à aider une colombe combattue par un corbeau, il est guidé vers le château royal. Les invités doivent y être pesés pour savoir s’ils sont dignes d’être présentés au roi. Beaucoup sont rejetés et condamnés. Christian est assez lourd pour équilibrer les poids sur la balance. Il est accepté et poursuit sa quête initiatique.

 

Les descriptions contenues dans le récit ont pu être interprétées comme des indications précieuses pour la réalisation du Grand-Oeuvre alchimique. Mais nous savons que les alchimistes étaient fondamentalement des métaphysiciens ésotéristes. La poursuite du Grand-Oeuvre était seulement pour eux le symbole du chemin nécessaire à la réalisation de l’indispensable transfiguration de l’âme, prélude à la résurrection de l’Homme véritable, la figure divine originelle.

 

Là est le sens caché et véritable des Noces Alchymiques de Christian Rose-Croix, ouvrage qui répète sous une forme différente le message médiéval de la Quête du Graal par Perceval le Gallois. Les véritables écoles spiritualistes rosicruciennes poursuivent aujourd’hui encore dans le Monde l’œuvre initiatique qui conduit à cette connaissance. Leur enseignement témoigne toujours d’une inspiration rosicrucienne authentique et vivante. Elles adaptent leur message ésotérique permanent aux temps et aux lieux où il est prononcé. Dans notre civilisation, elle va s’appuyer sur les traditions chrétiennes tout en expliquant le sens caché des mythes et des écritures.   

 

Pour illustrer plaisamment cette constante flexibilité du message gnostique rosicrucien, je vous prie de regarder un instant les deux images suivantes qui montrent visuellement comment l’exposé d’un même contenu peut adopter les contraintes de divers moules extérieurs imposés. Le texte est ici arbitrairement rédigé par moi-même pour cet usage. Quoique variant dans la forme, il est constant dans la lettre et dans l’esprit tout en restant également lisible à plusieurs autres niveaux moins évidents.

 

 

 

 

 

 

La Coupe du Graal

 

 

 

 

Dans l’Unicité rayonnante de l’Eternité véritable,

Croyez-vous que les Esprits parfaits ou les lumineux Anges,

puissent aussi pleurer sur la simple beauté d’une rose.

Je crois qu’en notre larme à jamais nécessaire  

le poids de la Matière et la splendeur des Cieux.

se rencontrent au fond du cœur,

car la Lumière nous a confié,

en jardinage,

à l’origine,

maintenant,

et toujours,

l’Esprit de liberté,

mais aussi l’Argile et l’Âme.

 

( Eden - Poèmes pour l’An 2000)

 

 

La Rose et la Croix

 

 

Dans l’Unicité

rayonnante

de l’Eternité

véritable,

croyez-vous,

que les Esprits parfaits, ou les lumineux Anges,

puissent aussi pleurer sur la simple beauté

d’une rose ?

Parce qu’en notre larme à jamais nécessaire  

le poids de la Matière et la splendeur des Cieux.

se rencontrent

au fond du cœur,

 je crois que

la Lumière

a confié,

en jardinage,

à l’origine,

maintenant,

et toujours,

l’Esprit

de liberté,

mais aussi,

l’Argile et l’Âme.

 

 

(Eden - Poèmes pour l’An 2000)

 

 

 

U

ne Soif Inextinguible.

 

 

 

 

Toutes les choses prient, sauf le Premier.

(Théodore d’Asiné - 4ème siècle)

 

 

Si ceux qui ne sont pas des nôtres me dénigrent, ou ma doctrine ou le temple, il n’y a là aucun motif à votre colère.

(Bouddha).

 

 

Si ton œil est simple, alors tout ton corps sera de lumière.

(Evangile de Luc, II, b).

 

 

Dans un précédent ouvrage, il vous a été proposé d’user du don divin de Dieu à ses enfants humains, votre inaliénable liberté, pour prendre conscience qu’il est une cause première, un être extrême et ultime, secret et mystérieux, à l'origine de tout. Nous l’avons appelé le Père Divin, en le distinguant du Verbe, acteur dynamique second, fabricant éclairé des choses, source de la vie, planificateur et grand architecte de l’Univers. Répétons avec insistance que les distinctions ainsi faites entre le Père et le Verbe ou tout autre facteur structurant le Grand Tout, sont des opérations pratiques, purement humaines et mentales. En les effectuant, nous usons de notre humaine liberté pour fragmenter, en toute relative vérité, l’unicité inconcevable du réel et du divin. Nous le faisons pour pouvoir penser et communiquer avec les autres hommes, en adaptant nos images conceptuelles aux insuffisances et aux limitations de notre intellect ainsi qu’aux contenus de notre culture actuelle. Dans les précédents chapitres, nous avons vu que beaucoup d’autres hommes, en d’autres temps et d’autres lieux, ont élaboré d’autres concepts pour expliquer l’origine universelle. Ainsi les anciens Grecs faisaient-ils naître du Chaos béant, les jumeaux Erèbe et Nuit, celle-ci s’ouvrant pour donner naissance au Ciel, Ouranos, et à la Terre, Gaïa, unis par l’Amour primordial, Eros. 

 

Toutes les religions font de même.

Elles usent du don divin de la liberté humaine

pour exposer une vérité relative.

 

Les sociétés antiques, à partir des révélations partielles qu’elles ont reçues, ont construit des représentations transmissibles de leurs perceptions de la Globalité. En ce qui me concerne, et pour adapter mon propos à notre actuelle culture dominante, je vous ai proposé un modèle intellectuel des forces originelles intégrant l’idée d’un Verbe créateur agissant en deux temps et deux aspects, d’abord dans la force qui créa la matière, à la fois inerte et vivante, puis dans l’appel christique à la vie spirituelle.

 

Comprenez bien qu’il est tout à fait possible et légitime, pour chaque homme, en son lieu et en son temps, en réponse à son appel intérieur et en accord intime avec sa révélation personnelle, de concevoir d’autres représentations. Il les affirmera  véritables, en accord avec sa propre conviction, sans penser mettre en cause la relativité de leur vérité. Il imaginera, par exemple, que le Verbe Créateur se manifeste ici-bas de multiples façons, en plusieurs épisodes successifs, d’abord en produisant l’existence hors du vide, ( la béance chaotique originelle ), puis la matière à partir de l’existence, puis le cosmos de la matière, puis la vie du cosmos, puis le mental de la vie, puis la conscience du mental, puis l’esprit de la conscience.

 

 C’est approximativement ce que dit la science en utilisant couramment un vocabulaire différent pour décrire cela. Nous pourrions tout aussi bien donner des noms propres évocateurs à ces manifestations, successivement dérivées les unes des autres, et leur faire correspondre des images symboliques ou des personnifications. Beaucoup de religions, antiques et modernes, ont adopté cette façon schématique. C’est ainsi que certaines écoles gnostiques ont imaginé des entités, dénommées Eons, émises successivement par la divinité. La plus éloignée, Sophia, symbole de l’humanité déchue, se rendit coupable d’une transgression qui entraîna la chute des hommes.

 

Question de temps et de culture !

 

Les antiques traditions relatives aux origines de l’homme, transmises par le canal des Hermétistes et des Rose-Croix, ne sont pas perdues ni tombées dans l’oubli. Elles sont conservées par des groupes de chercheurs qui s’efforcent de nous les transmettre en dépit de l’obstruction organisée par les églises et les pouvoirs en place. Nous avons étudié ensemble la grande richesse des illuminations qui ont éclairé les dix derniers siècles. Cette connaissance plus large nous donne davantage de tolérance et de liberté. Dans cet esprit d’ouverture, voulez-vous examiner maintenant quelques démarches plus modernes.

 

Ces nouveaux mythes cosmogoniques et théogoniques ont été élaborés par des penseurs du début du siècle, des hommes de notre temps, éclairés par leur lumière intérieure, leur propre Gnose. Ils nous proposent l’entreprise d’un cheminement personnel de salut. Leurs recherches ont profondément marqué notre société jusqu’à la seconde guerre mondiale. Porteurs de lumière, ils étaient aussi humains et entrèrent occasionnellement en conflit. En conséquence, la richesse du fondement commun et la profondeur des idées qu’ils portaient se sont parfois dispersées dans des formes relativement doctrinales.

 

Il faut prendre un peu de hauteur par rapport à ces positions restrictives pour aborder les enseignements correspondants qui ont été élaborés et publiés depuis la fin du 19ème jusqu’en 1950. Inspirés par l’ésotérisme antique et par le contact renouvelé avec l’Orient, ils sont marqués à la fois par le spiritisme, alors très en vogue, par les pressions sociales de l’époque et par le contact avec l’Orient. On y trouvera donc le recours au vieux symbolisme kabbalistique des nombres, avec des niveaux d’organisation ternaires ou septénaires imbriqués les uns dans les autres, ou la considération des aspects astrologiques traditionnels.

Ils reflètent également le niveau atteint par la recherche scientifique expérimentale et les nouvelles théories concernant la structure du cosmos. On y évoquera les galaxies gigantesques peuplant en nombre illimité l’immensité de l’univers. Ces théories reflètent une conception rigoureusement ordonnée et très hiérarchisée du cosmos qui correspondait aux idéaux du début du siècle. Dans l’époque actuelle, nous privilégierions plutôt des conceptions floues et aléatoires, basées sur des évolutions plus chaotiques. En parcourant les diverses études qui suivent, on mesure la rapidité des modifications conceptuelles au cours d’une période d’une  cinquantaine d’années. On comprend alors la nécessité de réactualiser fréquemment la formulation des messages invitant à l’ouverture spirituelle.  Prenons ici un petit souffle d’âme. Arrêtons-nous un instant sur une parole de Lord Bulwer-Lytton, (dans Zanoni), qu’Helena Petrona von Rottenstern Hahn, plus connue sous son nom de femme, Mme Blavatsky, rappelle dans son livre, Isis dévoilée, écrit en 1877.

 

Le miroir de l’âme ne peut refléter en même temps
 la terre et le ciel
 et l’un s’efface dés que l’autre s’y montre.
 (Zanoni).

 

Nous sommes confrontés à ce problème, vous et moi, dans notre propre recherche. Nous vivons existentiellement aujourd’hui, sur cette terre dense que notre raison tente scientifiquement d’expliquer. Nous savons que sommes aussi, essentiellement et éternellement, dans un autre plan, divin, numineux et subtil, auquel nous n’accédons que par la participation révélée à l’intelligence totale, l’intuition.

 

Aussi longtemps que nous n’arrivons pas à saisir, à la fois, dans le miroir étroit de notre conscience, ces deux reflets du ciel et de la terre, le chemin difficile qui les relie nous reste fermé. Il est donc nécessaire d’explorer simultanément et méticuleusement les deux territoires, expressions d’une unique réalité, en établissant des ponts conceptuels chaque fois qu’il apparaît possible de les relier.

 

Pour continuer à vous associer à cette tentative, il vous est proposé de consacrer un moment à l’examen de ces thèses relativement récentes, en commençant par un personnage réellement considérable, Monsieur Rudolf Steiner. Voyons ici l’importance qu’il donnait aux rapprochements entre les données fournies par la science expérimentale et celles transmises par la science occulte traditionnelle.   

 

*         Notre connaissance de la nature, conduit à représenter l’origine des choses. Mais sans l’approfondissement auquel conduit la science occulte, ces représentations ne seront toujours que des vues caricaturales. (...).

*         Une compréhension juste des vérités de la science spirituelle apporte à l’homme une base d’existence véridique. Elle lui permet de découvrir sa valeur, sa dignité, son identité, et lui donne le maximum de courage pour affronter la vie. Car ces vérités l’éclairent sur ses rapports avec le monde alentour et lui désignent ses buts les plus élevés, sa vraie destination. Elles le font en rapport avec les exigences de notre époque, si bien qu’il n’a pas besoin de succomber à l’antagonisme qui oppose croyance et savoir.

*         On peut être à la fois homme de science moderne et investigateur spirituel, mais dans ce cas, il faut être authentiquement l’un et l’autre.

 

Rudolf Steiner est un penseur autrichien, est né en 1861. Etudiant à Vienne, docteur en philosophie, et diplômé en diverses sciences, il est très marqué par les aspects scientifiques de l’œuvre de Goethe, et s’en inspire. (Il fonde d’ailleurs ultérieurement le Goethorium prés de Bâle). La pensée de Steiner veut ouvrir un chemin de connaissance vers la spiritualité universelle, la Gnose. Il dirige un magazine littéraire, et fonde, avec Marie de Rivers, un journal Lucifer et Gnosis. Il commence à publier, inspiré par Goethe et par l’hermétisme des Rose-Croix. La Société Théosophique de Berlin l’invite à donner des conférences et lui fait rencontrer Annie Besant, la présidente de la Société Théosophique. Il est remarqué et est nommé en 1905 secrétaire général de la section allemande de l’association.

 

Steiner affirme que l’Homme, (l’Être spirituel), est plus ancien que tous les autres vivants sur Terre. L’Homme se serait détaché d’un être cosmique originel dont il demeure pourtant une particule-microcosme portant en elle l’univers dans sa totalité. Steiner professe que les problèmes essentiels ne peuvent être résolus tant que l’on demeure réfractaire à la connaissance des mondes suprasensibles. Il accepte de rénover le Christianisme aux sources du Bouddhisme, mais refuse de suivre Annie Besant, dans ses critiques à l’égard de Jésus, ses convictions spirites, et ses recherches des réincarnations hindoues du Christ et de Bouddha.

 

Lorsque Krisnamurti est présenté officiellement comme cette dernière réincarnation, Steiner se sépare des Théosophes et fonde sa propre doctrine, l’Anthroposophie. L’Homme ordinaire ayant perdu la connaissance de son rôle originel, cette philosophie doit la lui rendre pour l’aider à reprendre sa véritable place au sein du Cosmos. Elle se propose de l’éduquer et de le guérir, d’harmoniser en lui l’être matériel (ou corps physique) et l’être spirituel intérieur, en développant le don du cœur qui permet d’équilibrer les contraires. L’Anthroposophie voit dans le Christ le centre véritable de l’histoire terrestre.

 

Rudolf Steiner exerce alors une profonde influence par le rayonnement de sa personnalité et l’enseignement de sa pensée qui fait de nombreux adeptes. La doctrine a des prolongements avec la fondation de plusieurs écoles. Steiner publie d’ailleurs une centaine d’ouvrages et prononce plus de six mille conférences écrites. Il professe l’existence d’un univers invisible et de mondes suprasensibles, une forme de réincarnation, et l’existence de rythmes cosmiques auxquels l’Homme est relié.

 

Steiner enseigne que l’expérience mystique permet de retrouver en soi la présence du divin. Dans sa théorie, l’homme possède trois natures, le corps physique, le corps astral, et l’esprit. Il assure que le corps astral est perceptible par le clairvoyant, et qu’il dispose d’organes subtils, ou chakras, en forme de roues ou de fleurs. La morale des adeptes de Steiner repose sur cinq principes essentiels, la maîtrise des pensées, le pouvoir sur la volonté, l’égalité d’âme devant plaisir ou douleur, la positivité dans les jugements, l’absence de prévention dans les conceptions de l’existence.

 

L’élève en occultisme doit respecter huit comportements.

1)    Toute activité conceptuelle doit tendre à refléter fidèlement le monde extérieur en bannissant les représentations inexactes.

2)    Le disciple ne doit se déterminer même dans les petites choses qu’après délibération fondée sur des raisons sérieuses.  

3)    Jamais il ne dit quelque chose en l’air, s’appliquant à ne parler ni trop, ni trop peu.

4)    L’étudiant doit renoncer en principe à ce qui peut troubler les autres ou heurter violemment l’ambiance.

5)    Il fuit également la précipitation et l’indolence, et garde un juste milieu dans son activité.

6)    Il ne cherche pas à exécuter ce qui dépasserait ses forces, mais ne néglige pas ce qu’elles lui permettent d’accomplir.

7)    Tout ce qui se passe devant l’étudiant doit être une occasion d’acquérir une précieuse expérience.

8)    Il doit se plonger en lui-même, délibérer en silence, définir les principes qui dominent son existence, peser ses devoirs et méditer sur le sens et le but de la vie.

 

Chronique de l’Akasha.

( Rudolf Steiner -  édit.1904 )

 

Pour approfondir un peu la pensée de Steiner, nous analyserons quelques aspects de l’un de ses livres. La Chronique de l’Akasha permet des rapprochements avec les oeuvres d’Héléna Blavatsky et de Max Heindel, et même avec Pythagore et Platon.

 

Rappelons que Steiner était associé depuis 1899 aux recherches des Théosophes, les amis de Mmes Blavatsky et Besant. Avant d’aborder sa théorie, il est nécessaire de définir quelques fondements de cette forme de pensée, afin d’éviter une incompréhension des idées et des concepts exposés. Les Théosophes travaillaient à la résolution du problème fondamental « Comment peut-on s’élever à la connaissance des mondes supérieurs ». Ils pensaient le résoudre par une « cosmologie anthroposophique », étude de l’univers fondée sur la prééminence de l’Homme.

Dans cette approche l’Homme n’est absolument pas une créature biologique habitant une petite planète perdue aux confins de l’espace. Les Théosophes le situent sur plusieurs plans universels imbriqués les uns dans les autres. Ils lui donnent une dimension divine immense. Ils l’associent au Logos créateur, et lui attribuent une importance cosmique fondamentale. 

 

*       Lorsque les Théosophes, et Steiner, parlent de la Terre, il ne s’agit donc pas de notre planète physique actuelle. Celle-ci n’est pour lui qu’un monde de secours accessoire, un avatar actuel de la demeure éternelle de l’Homme. La Terre de Steiner, c’est généralement le Monde Primordial, demeure de l’Adam Kadmon, manifestation divine originelle.

*       L’Homme, c’est donc cet Adam primordial éternel, qui existait sur un autre plan avant même que n’existe la Terre. Il a évolué d’un état originel subtil inconscient vers l’état biologique conscient. Sa nature s’est transformée progressivement, tandis que le Monde Primordial évoluait simultanément, de l’état éthérique subtil initial vers l’état matériel dense actuel.

*       C’est au cours de cette évolution, que l’Adam primordial a perdu la connaissance de son rôle véritable. Le Monde actuel est un ordre de secours mise en place par les Puissances Christiques supérieures pour lui permettre de regagner sa place au sein du cosmos. 

 

Dans l’histoire de l’évolution, on distingue donc plusieurs époques pendant lesquelles l’être Homme-Adam revêtit des natures puis des formes très différentes de ce qu’il est aujourd’hui devenu. Steiner les décrit en utilisant le mot race auquel il donne un sens très particulier, désignant ainsi un stade évolutif bien caractérisé. Il distingue aussi les races mères, porteuses des caractères déterminants, et les sous-races, porteuses des potentiels évolutifs qui vont permettre l’émergence des caractères nouveaux.

Dans la construction de son modèle, Steiner adopte le système septénaire utilisé par les ésotéristes de tous les temps. Au cours de son histoire, l’Homme-Adam doit donc revêtir sept différents états d’être dans sept races mères successives.

 

1)    La race mère première (Polaire)

2)    La race mère seconde (Hyperboréenne).

3)    Les Lémuriens, (représentations mentales instinctives).

4)    Les Atlantes, (facultés de mémoire, langages, et assimilés).

5)    Les Aryens, (force de la pensée et ce qui s’y rattache).

6)    La sixième race mère qui reste à venir.

7)    La septième race mère qui reste à venir.

 

Les races mères évoluent également en sept sous-races. Par exemple, la race Atlantéenne a connu les sous-races suivantes, qu’il ne faut surtout pas assimiler aux peuplades homonymes.

 

1)    Les Rmoahals.

2)    Les Tlavatlis.

3)     Les Toltéques.

4)    Les proto-Touraniens.

5)    Les proto-Sémites.

6)    Les Accadiens.

7)    Les Mongols.

 

Pendant cette évolution, le Monde, qui n’était  pas encore notre Terre actuelle mais son germe astral, subtil et fluide, connaît également une série de transformations dans un processus de densification progressive, au fur et à mesure que l’Adam Kadmon global prend une conscience croissante de son état biologique et de la nature de la matière.

 

Adam Kadmon est le Maître du Monde. Souvenons-nous que l’Adam originel (Kadmon) est défini comme le maître du Monde dont la nature et les formes lui sont subordonnées. De son évolution découle celle du cosmos. Rudolf Steiner expose l’évolution de l’Homme essentiel en tant que fondement du Monde. Il explique la formation et l’état du second par le premier, en partant de ce plan essentiel originel. Il donne ensuite quelques explications qui montrent les conséquences existentielles de la transformation des états de conscience du Kadmon originel. Il faut donc bien comprendre que l’on travaille dans ce texte sur l’essentiel céleste dont l’existentiel terrestre n’est que la manifestation. Dans la théorie étudiée, lorsque l’Homme commença à lier son destin à celui de la planète « Terre », il avait déjà parcouru plusieurs étapes de son évolution, se préparant ainsi à l’existence terrestre. Rudolf Steiner choisit de désigner ces trois périodes préparatoires sous les vocables de saturnienne, solaire, et lunaire, qui n’ont rien à voir avec les corps célestes ainsi nommés.

 

Les désignations sont plus claires dans l’exposé de Max Heindel, présenté plus loin. Dans cette nomenclature, les sept périodes sont aussi Saturne, Soleil, Lune, Terre, Jupiter, Vénus, et Vulcain. Cela désigne les renaissances successives de notre Terre, sans aucun rapport avec les planètes gravitant autour du Soleil. Cependant, Max Heindel utilise aussi des couleurs pour représenter plus clairement ces conditions par lesquelles notre globe a passé, passe maintenant, et passera dans le futur. Nous avons déjà traversé les périodes de Saturne, violet, Soleil, indigo, et Lune, bleu. Nous sommes dans la période verte (martienne), de la Terre. Puis notre globe passera, avec nous, par les conditions de la période jaune ou mercurienne de la Terre, puis les périodes de Jupiter, orange, de Vénus, rouge, et de Vulcain, blanc.

Dans l’humanité, les différentes périodes de la vie se succèdent mais aussi coexistent. Le vieillard, l’adulte, l’adolescent, l’enfant, existent en même temps, côte à côte. Il en est de même pour les différents degrés de conscience des êtres éternels en évolution. Dés le début d’une nouvelle période de vie, il existe à la fois des êtres possédant des états de conscience relativement obscurs mais aussi d’autres êtres qui ont déjà acquis des degrés supérieurs. Les degrés les plus élevés poursuivent dorénavant leur évolution dans des sphères situées au-delà du règne humain. D’autres êtres sont encore assez proches pour participer à notre développement et apporter leur contribution à notre progression. Cette assistance amicale est réalisée au cours de cycles successifs aboutissant à la mise en place des germes ou rudiment des futurs moyens dont disposeront les humains. Ainsi, pour exemple, durant le premier cycle de Saturne, les Esprits de Volonté ont donné au projet Homme un vague corps de substance, germe de son futur corps physique. Sept cycles successifs vont se dérouler pendant lesquels les entités vont perfectionner leur travail.

 

Evolution dans la 1ère phase planétaire (Ancien-Saturne).(La Chronique de l’Akasha détaille l’action des sept cycles)

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1)    Cycle des Esprits de la Volonté, (Trônes).

2)    Cycle des Esprits de la Sagesse, (Dominations).

3)    Cycle des Esprits du Mouvement, (Vertus).

4)    Cycle des Esprits de la Forme, (Puissances).

5)    Cycle des Esprits de la Personnalité, (Archées).

6)    Cycle des Esprits des Fils du Feu, (Archanges).

7)   Cycle des Esprits des Fils de la Pénombre, (Anges).

 

A la fin de ce premier état planétaire, phase de l’ancien Saturne, l’Homme est doté d’une forme rudimentaire de corps physique et d’un germe d’Homme-Esprit, (Atma), mais sa conscience est encore au niveau de la torpeur la plus profonde. La phase du Soleil succède à celle de Saturne.

 

Entre les périodes d’évolution, tout est détruit et reconstruit.

Entre les deux périodes se situe une période de repos, (Pralaya), pendant laquelle l’être va mûrir son évolution. L’ancien état est détruit. La nouvelle phase commence par une récapitulation qui reconstruit l’état précédent en lui donnant maintenant le caractère d’un germe nouveau qui, en se développant avec l’aide des esprits formateurs, engendrera un nouvel état de conscience.

 

Evolution dans la 2ème phase planétaire (Ancien-Soleil).Le corps physique apparaît hors du germe comme un végétal émerge de sa graine. Quoique végétatif, il s’anime grâce à un nouveau corps plus subtil, le corps éthérique, qui peu à peu le pénétrera complètement. Voyons les cycles correspondants.

 

1)    Cycle des Esprits de la Sagesse, (Dominations).

2)    Cycle des Esprits du Mouvement, (Vertus).

3)    Cycle des Esprits de la Forme, (Puissances).

4)    Cycle des Esprits de la Personnalité, (Archées).

5)    Cycle des Esprits des Fils du Feu, (Archanges).

6)    Cycle des Esprits des Fils de la Pénombre, (Anges).

7)    Second Cycle des Esprits de Sagesse, (Dominations).

 

On constate ici que la ronde des Esprits de Sagesse, (Sagesse pris au sens de connaissance), intervient deux fois, en début puis en fin de phase. Précédemment, ils avaient infusé au corps humain une structure pleine de sagesse. Maintenant c’est aux membres de ce corps qu’ils apportent la sagesse des mouvements. Par contre, les Esprits de Volonté n’interviennent plus car leur travail est terminé. Grâce à l’œuvre accomplie, les esprits formateurs en action acquièrent une conscience plus large et des facultés nouvelles. Ils progressent et s’élèvent dans l’Adam Kadmon originel. A la fin du sixième cycle solaire, l’Homme est assez évolué pour prendre en charge inconsciemment son corps physique, (relayant ainsi les Fils de la Pénombre), et élaborer le germe de l’être spirituel vivant, l’Esprit de Vie (Buddhi). Il n’en prendra conscience qu’au cours de phases ultérieures. Dans la phase Saturnienne, les Trônes avaient librement infusé leur force de volonté au germe de l’Homme-Esprit, (Atma). Dans la phase Solaire, les  Dominations vont lui infuser leur qualité de sagesse qui restera acquise à l’Esprit de Vie (Buddhi) durant les étapes à venir. Buddhi s’unit alors à Atma. Ils vont constituer la Monade Animée, qui est Atma-Buddhi.    

 

Evolution dans la 3ème phase planétaire (Ancienne-Lune).Pendant cette nouvelle phase, l’Homme, (au niveau végétatif), maintenant doté d’un corps physique et d’un corps éthérique, développe le troisième de ses sept états de conscience. Les esprits formateurs vont maintenant le rendre capable de former des images qui ont un rapport avec les êtres du monde extérieur. Ce développement a pour base la formation d’un troisième élément constitutif que l’on appelle le corps astral.

 

Une nouvelle série de sept cycles va permettre aux esprits formateurs d’infuser l’astral au corps humain de telle sorte que les facultés animales, instinct, envie, désir, puissent s’y développer. L’Homme parvient alors au stade Homme-animal. Il est capable d’élaborer les premiers germes de ce que l’on nomme le Soi spirituel, ou Manas, qui atteindra son épanouissement au cours de l’évolution de l’humanité. Plus tard, l’union de Manas, avec Atma, (Homme-Esprit), et Buddhi, (Esprit de Vie), formera la partie supérieure spirituelle de l’Homme.

 

Evolution dans la 4ème phase planétaire, (Terre).

La quatrième phase de l’évolution concerne l’état actuel de l’Homme et de la Terre qui est sa demeure actuelle. Elle comporte également sept cycles dont trois ont été utilisés pour répéter les précédents, et en récupérer les acquis. Maintenant l’Homme n’est plus confronté à des images vagues de son entourage mais il perçoit des objets réels existant en dehors de lui, dans l’espace. Cet état est celui de la conscience objective.

 

L'Homme atteindra ensuite la Soi-conscience imaginative permettant de représenter des idées abstraites et des perceptions subtiles. Aux organes des sens actuels, s’en ajouteront d’autres,  actuellement à l’état de germes. Au cours de cette période évolutive, l’être humain prépare aussi des états de conscience plus élevés, qu’il développera dans les trois phases suivantes, Jupiter, Vénus, et Vulcain. D’abord, les futurs habitants de la Terre reconstruite pourront percevoir, en l’état jupitérien, les entités psychiques et spirituelles des corps subtils, puis ils deviendront capables, en l’état vénusien, de créer des objets et des êtres, avant d’arriver à l’état vulcanien de béatitude divine.

 

M. Rudolf Steiner semble avoir attaché une très grande importance à sa « Chronique de l’Akashi » qui est une œuvre particulièrement élaborée et complexe. Il renvoie ses lecteurs à son étude dans la plupart de ses livres ultérieurs. Avec l’Anthroposophie, Steiner a fondé une théorie personnelle qui replace le Christ des évangiles au cœur de l’Homme et de son histoire. Steiner avait été capable d’éviter le piège du Spiritisme dans lequel étaient englués la plupart des Théosophes. A sa nouvelle théorie, et en dépit de ses principes, il tente d’intégrer les influences astrologiques des planètes et des constellations zodiacales. Peut-être sa pureté en est-elle relativement altérée.      

 

De l’origine du mal.

( René Guénon -Le Démiurge -édit.1909)

 

René Guénon est l’adversaire déclaré des Théosophes. Il considère que leur ésotérie n’est ni orientale ni traditionnelle. Il publie  abondamment, depuis 1909, date de son premier essai, Le Démiurge, et de la fondation de sa revue La Gnose, jusqu’en 1950. Quoiqu’il convertisse entre-temps à l’Islam, son discours change peu. Son approche métaphysique est empreinte à la fois d’une logique draconienne, et d’une foi profonde en l’unité du Monde. Sa première recherche porte sur le Bien et le Mal. Ceux qui considèrent la création comme l’oeuvre directe de Dieu sont obligés, dit-il, de le rendre également responsable du Bien et du Mal. Si les créatures comme l’Homme peuvent ainsi choisir, c’est que l’un et l’autre existent déjà, du moins en principe. Si elles peuvent choisir le Mal, c’est qu’elles sont imparfaites.

 

Un Dieu parfait pourrait-il créer des êtres imparfaits. Le Parfait ne peut engendrer l’imparfait car il devrait contenir en lui-même l’imparfait, au moins à l’état principiel et ne serait plus le Parfait. L’imparfait ne peut pas résulter d’une émanation du Parfait. L’imparfait ne pourrait donc résulter que d’une création à partir du néant. Il faudrait pour cela admettre qu’il puisse exister un néant, c’est-à-dire une chose qui n’ait pas de principe.

 

Or, dit Guénon, il ne peut rien y avoir qui n’ait pas de principe. Mais quel principe ? N’y a-t-il qu’un principe unique de toutes choses. Lorsque l’on envisage le Tout, l’univers total, il est évident qu’il contient toutes choses, sinon il ne serait pas le Tout. Ce Tout est nécessairement illimité et infini, car ce qui serait au-delà de ses limites ne serait pas compris dans le Tout. Cet infini qui contient tout est le principe de toutes choses et il est nécessairement UN. Deux infinis non identiques s’excluraient l’un l’autre. Il y a donc un principe unique de toutes choses, et ce Principe est le Parfait, car l’infini ne peut être tel qu’il est que s’il est le Parfait. Ainsi le Parfait est la Cause Première qui contient toutes choses en puissance et a produit toutes choses.

 

Peut-on concevoir comment cette Unité, principe unique de toutes choses, a pu produire la Dualité avec toutes les oppositions envisagées dans le monde, l’Être et le Non-Être, l’Esprit et la Matière, le Bien et le Mal, et autres. Il nous faut bien écarter l’hypothèse de deux principes distincts opposés l’un à l’autre. Ils ne pourraient être tous les deux infinis car ils s’excluraient mutuellement ou se confondraient, en étant chacun le principe de l’autre. Ils ne peuvent pas non plus être finis car ils ne seraient plus des principes véritables, rien de fini ne pouvant exister par soi-même ni provenir de rien. Par conséquent, procédant d’un principe commun, la Dualité ne peut donc exister par elle-même.

 

La Dualité est produite par l’Unité. Pour comprendre comment cela se produit nécessairement, il faut d’abord envisager l’opposition fondamentale de l’Être et du Non-Être. Cette opposition est seulement une apparence, une simple distinction. Est-elle pour autant une réalité indépendante en soi, ou bien le seul résultat de notre façon purement humaine de considérer les choses ? Excluant le Non-Être en tant que pur néant, dont rien ne pourrait  être dit, on ne peut l’envisager que comme la possibilité d’être. L’Être est donc la manifestation du Non-Être. Il est contenu potentiellement dans celui-ci. « Le rapport du Non-Être à l’Être est alors le rapport du non-manifesté au manifesté, et l’on peut dire que le non-manifesté est supérieur au manifesté dont il est le principe, puisqu’il contient en puissance tout le manifesté plus tout ce qui ne l’est pas, n’a jamais été et ne sera jamais manifesté ».

 

Le manifesté étant contenu en principe dans le non-manifesté, il n’y a pas de distinction réelle entre les deux champs. Cependant, l’Homme ne peut concevoir le non-manifesté qu’à travers la manifestation. Il en résulte que la distinction existe pour nous, mais elle n’existe que pour nous. En réalité, l’Imparfait n’existe pas. Il est un fragment du Grand Tout et ne peut exister que comme élément constitutif du Parfait. Ce que nous appelons erreur n’est donc que vérité relative. Toutes les erreurs sont également des fragments contenus dans la Vérité Totale ou Verbe. Il en est de même pour toutes les  distinctions que nous effectuons entre les  aspects secondaires de la Dualité. Il est donc parfaitement illusoire de distinguer l’Esprit de la Matière ou le Bien du Mal, ces distinctions n’existant que pour nous.

 

Du point de vue absolu, le Mal n’existe pas. Si l’on appelle Bien le Parfait, son relatif, le Mal,  n’en est pas réellement distinct, étant contenu, en principe, dans le Parfait. Le Mal existe seulement si l’on considère toutes choses sous un aspect fragmentaire, en les séparant de leur commun Principe. C’est ainsi qu’est créé l’Imparfait par cette distinction même. Ils ne sont réels que si on les oppose l’un à l’autre. S’il n’y a pas de Mal, on ne peut parler du Bien, mais seulement de la Perfection. En distinguant le Mal du Bien, on les crée tous les deux.

« C’est la fatale illusion du Dualisme qui réalise le Bien et le Mal, et qui, considérant toutes les choses sous un point de vue particularisé, substitue la Multiplicité à l’Unité, et enferme ainsi les êtres sur lesquels elle exerce son pouvoir dans le domaine de la confusion et de la division; ce domaine, c’est l’Empire du Démiurge ».

 

Cette conception permet de comprendre le symbole de la chute originelle. La fragmentation du Verbe, de la Vérité Totale, est identique à la fragmentation de l’Adam Kadmon originel dont les parcelles séparées constituent l’Adam Protoplastes, (Premier Formateur). La fragmentation est causée par l’Egoïsme qui est Désir d’existence individuelle. Ce désir est d’abord intérieur, à l’état potentiel dans l’Homme. Il ne devient extérieur que quand l’Homme l’extériorise. L’instinct de division pousse l’Homme à goûter les fruits de l’arbre de la connaissance, à créer la distinction du Bien et du Mal. Ses yeux s’ouvrent par suite de la séparation qu’il a effectuée entre les formes des êtres. C’est en cela qu’il est le Premier Formateur. Mais il se trouve alors, lui aussi, soumis aux conditions de l’existence individuelle. Dorénavant, il est revêtu d’une forme, la tunique de peau de la Bible. 

 

En réalité le Démiurge n’est pas une puissance extérieure. Dans le principe, il est seulement la volonté de l’Homme qui réalise en lui-même la séparation du Bien et du Mal. L’Homme individuel, limité ensuite par cette volonté qui est pourtant la sienne propre, la considère comme quelque chose d’extérieur à lui. En cela, il la rend distincte. Comme elle s’oppose aux efforts qu’il fait pour sortir de ce domaine où il s’est enfermé lui-même, il la regarde comme une puissance hostile qu’il appelle Adversaire ou Satan. « Cet adversaire que nous créons en nous-mêmes, à chaque instant, n’est cependant pas mauvais en soi. Il est seulement l’ensemble de tout ce qui nous est contraire ». Le Démiurge, devenu une puissance distincte, n’est ni bon ni mauvais, mais il est en réalité l’un et l’autre puisqu’il contient en lui-même la Bien et le Mal. On considère son domaine comme un Monde inférieur s’opposant au Monde supérieur ou Univers Principiel dont il a été séparé, mais cette séparation n’est réelle que dans la mesure où nous la réalisons car le Monde inférieur est contenu à l’état potentiel dans l’Univers Principiel Total, le Grand Tout.

 

Le Démiurge ne peut donc s’opposer à Adam Kadmon, l’Humanité principielle, manifestation véritable du Verbe, que comme un simple reflet, car il n’est pas émanation et il n’existe pas par lui-même. C’est cela qui est représenté par les deux vieillards inversés du Zohar et le sceau de Salomon. Nous devons donc considérer le Démiurge non pas comme un être mais comme un reflet ténébreux et inversé de l’Être. Il peut être envisagé comme la collectivité des êtres dans la mesure où ils ont une existence individuelle. Nous sommes des êtres distincts en créant nous-mêmes une distinction qui n’existe que quand nous la créons. Nous sommes alors des éléments du Démiurge. En tant qu’êtres distincts nous appartenons donc au domaine du Démiurge.

 

Le Démiurge est ce que l’on appelle la Création. Puisque la création à partir du néant est impossible, il en résulte que tous les éléments de la Création sont donc contenus dans le Démiurge et tirés de lui-même.

« Considéré comme Créateur, le Démiurge produit d’abord la division et n’en est pas réellement distinct puisqu’il n’existe qu’autant que la division elle-même existe. Puis, comme la division est la source de l’existence individuelle, et que celle-ci est définie par la forme, le démiurge doit être envisagé comme formateur, et il est alors identique à l’Adam Protoplastes. On peut encore dire que le Démiurge crée la Matière, en entendant par ces mots le Chaos primordial, puis il organise cette Matière chaotique et ténébreuse ou règne la confusion, en en faisant sortir les formes multiples dont l’ensemble constitue la Création ». 

En réalité, le Démiurge et son domaine n’existent pas du point de vue universel, pas plus que n’existe la distinction du Bien et du Mal. De ce point de vue, la Matière n’est qu’illusion, ce qui ne permet pas de conclure que les êtres qui ont cette apparence n’existent pas. En fait, dit Guénon, si la Matière n’existe pas, la distinction entre Matière et Esprit disparaît. En réalité, tout est Esprit mais il faut cependant donner à ce mot un sens tout différent de celui qu’on lui attribue en philosophie. Que ce soit en pensée ou autrement, c’est toujours en opposition à la Matière, par la différence de forme qu’on veut le définir, et alors il n’est plus l’Esprit.

 

On ne peut définir l’Esprit. « En réalité, l’Esprit Universel est l’Être, et non tel ou tel être en particulier. Il est le Principe de tous les êtres, et ainsi il les contient tous. C’est pourquoi tout est Esprit. Lorsque l’Homme parvient à la connaissance réelle de cette vérité, il identifie lui-même et toutes choses à l’Esprit Universel, et toute distinction disparaît pour lui, de telle sorte qu’il contemple toutes choses comme étant en lui-même, et non plus comme extérieure à lui, car l’illusion s’évanouit devant la Vérité comme l’ombre devant le soleil. Ainsi, par cette connaissance même, l’Homme est affranchi des liens de la Matière et de l’existence individuelle ». « Il n’appartient plus à l’Empire du Démiurge ».

 

A ce premier niveau, Guénon pense avoir établi que par la Gnose (ou connaissance), l’Homme peut s’affranchir du domaine de Démiurge, ou Monde Hylique, dès son existence terrestre. Les divers plans de l’Univers, ou Mondes, ne sont pas des lieux mais des états d’être. Un homme tout en vivant sur Terre peut donc appartenir en réalité non plus au Monde hylique (Matériel), mais au Monde psychique (Conscient), ou au Monde Pneumatique (Spirituel). Ce passage constitue une seconde naissance, mais seul le passage au plan dit pneumatique, l’incarnation de l’Esprit, délivre des naissances mortelles.

 

Le Pneumatique est délivré de la forme. Par suite, il est dorénavant sans action. Il contemple toutes choses et il s’identifie à l’Esprit Universel. Il est Brahma qui est sans grandeur, sans étendue, incréé, incorruptible, sans figure, sans qualité, sans caractère. Tel est l’état auquel l’être parvient par la Gnose ou Connaissance Spirituelle, et ainsi il est libéré à tout jamais des conditions de l’existence individuelle. C’est pourquoi Guenon dit qu’il est délivré de l’Empire du Démiurge.

 

A l’origine,

le Un produisit le Deux,

Et le Deux produisit le Multiple.

Mais le Multiple ne peut rester divisé.

A la fin, il sera réuni,

et il retournera au Un originel.

Que celui qui a des oreilles entende.

 

J’espère que ce résumé et ces extraits vous permettront de vous faire une idée de la richesse et de la profondeur de la pensée de René Guénon. Pour l’exposer, j’ai dû emprunter largement dans son œuvre, mais il n’était guère possible de faire autrement sans le trahir encore davantage. Pour me faire pardonner, j’invite les lecteurs curieux à lire dans le texte original les essais qui sont toujours disponibles en librairie. S’ils sont des chercheurs de vérité sincères, ils ne devraient pas se sentir trop concernés par le mépris dont Guénon accablait souvent les petits hommes péremptoires et profanes (qu’il distinguait d’ailleurs soigneusement, et péremptoirement, de lui-même).

 

Cosmogonie des Rose-Croix.

( Max Heindel - édit. 1922).

 

Dans son approche cosmogonique, Max Heindel considère un immense plan dont la particularité remarquable est l’association d’aspects métaphysiques, révélés ou conceptuels, et d’aspects actuels, donc expérimentaux. D’après lui, la réalité ultime s’étend sur sept plans cosmiques concentriques. Nous ne savons rien des six plans supérieurs qui sont le champ d’activité des Grandes Hièrarchies. Au niveau du premier de ces plans supérieurs, Max Heindel place l’Être Suprême, détenteur du pouvoir total, d’où sont sortis le Verbe, (le Mouvement), et les sept grands Logoï qui en procèdent et qui contiennent en eux toutes les hiérarchies différenciées dans les différents plans cosmiques inférieurs. Les Hommes sont dans le septième plan cosmique, où règnent les dieux de notre système solaire et des autres soleils, qui existent en nombre immense dans l’espace cosmique. Ces dieux sont des Grands Êtres, triples dans leurs manifestations. Leurs trois aspects sont la Volonté, la Sagesse, et l’Activité. De notre propre dieu solaire procèdent sept Esprits Planétaires, qui sont chargés chacun de l’évolution de la vie sur sa propre planète, et qui sont également trinitaires. Ils se différencient eux-mêmes en Hiérarchies Créatrices qui passent par une évolution septénaire. L’évolution que dirige chacun des Esprits Planétaires diffère de celle développée par chacun des autres.

 

Au commencement d’une période de manifestation, le Grand Être, (que nous connaissons ici sous le nom de Dieu), prend en charge une certaine portion de l’espace dans laquelle Il crée un nouveau système solaire par l’évolution et l’expansion de sa propre conscience. Il renferme en lui d’une part, des légions de hiérarchies qui sont le fruit de ses manifestations précédentes, d’autre part,  d’autres intelligences d’un niveau de développement graduellement décroissant, jusque et y compris celles qui n’ont pas encore atteint un degré comparable à celui de l’actuelle humanité et qui n’arriveront donc pas à parfaire leur évolution dans notre propre système, nouvellement créé. Pendant la période de manifestation, toutes ces hiérarchies et catégories d’êtres, ces vagues de vie, travaillent afin d’augmenter leur expérience. Les plus développés aident les moins avancées en éveillant chez elles un état de soi-conscience qui doit leur permettre de travailler pour leur propre compte. Il n’y a pas de processus instantané dans la nature. Tout se passe avec lenteur et certains doivent donc attendre que ceux qui les précédent aient préparé les conditions nécessaires à leur développement.

 

Chaque chose atteindra infailliblement
 l’ultime perfection.

 

La période consacrée à l’éveil de la conscience et à la construction des véhicules pour la manifestation de l’Esprit dans l’Homme est l’Involution. La période suivante, où l’être humain développe sa conscience en omniscience divine, est l’Evolution.

 

Lorsque Dieu désire créer, il choisit dans l’espace un endroit convenable qu’Il remplit de son Aura. Sept mondes sont ainsi créés au même endroit mais avec une mesure différente, et un taux différent de vibration. Ils ne sont pas séparés dans l’espace ou par la distance, mais ce sont des états différents de la matière, issus de l’aura divine. Ils ne sont pas non plus créés instantanément au début du jour de manifestation et ne durent pas jusqu’à sa fin. Dieu les différencie progressivement en lui-même, les uns après les autres, à mesure de la nécessité des conditions d’évolutions nouvelles sur le plan auquel il travaille.

 

Les mondes les plus élevés, (Mondes subtils), sont créés en premier. Ils se condensent peu à peu pour fournir le trait d’union entre Dieu et les mondes solidifiés. Au moment donné, le point de solidité maximale, le nadir de matérialité, est atteint. Alors la vie commence à s’élever vers les mondes supérieurs et l’évolution progresse. Cela cause la dépopulation progressive des mondes les plus denses. Quand le but de la création est atteint, Dieu termine l’existence des mondes superflus en cessant l’activité qui les avait créés et maintenus. Les mondes les plus subtils, créés en premier sont dissous les derniers. Les sept mondes initiaux comprennent donc deux mondes constants, à savoir le Monde de Dieu et le Mondes des Esprits Vierges qui sont le champ actuel de Sa Manifestation. Ils comprennent en outre les cinq mondes d’expérience, le Monde de l’Esprit Divin, le Monde de l’esprit Vital, le Monde de la Pensée, le Monde du Désir, et le Monde Physique. Les trois mondes les plus denses ont une existence relativement éphémère car ils sont liés à la descente de l’esprit dans la matière.

 

Le plan de l’évolution se développe dans ces cinq mondes en sept grandes périodes de manifestation pendant lesquelles l’Esprit Vierge devient d’abord un Homme et plus tard un Dieu. « Au début de la manifestation, Dieu différencie en lui-même, (et non pas hors de lui-même), les esprits vierges comme les étincelles d’une flamme, de la même nature qu’elle, donc capables de devenir elles-mêmes des flammes. C’est l’évolution qui permettra d’atteindre ce but ».

 

Avant de commencer son pèlerinage, l’Esprit Vierge se trouve dans le Monde des Esprits Vierges. Il possède la Conscience Divine mais non pas le Soi-Conscience. Lorsqu’il est immergé dans le Monde de l’Esprit Divin, il est d’abord aveuglé puis plongé dans un état de sommeil sans rêve. Puis il atteint l’état de rêve, puis l’état dans lequel nous sommes actuellement. Nous sommes alors pleinement conscients à l’état de veille. Cette conscience appartient au plus bas des sept mondes.

 

A partir de là, et pendant la seconde moitié de cette période et l’ensemble des trois suivantes, l’Homme doit élargir sa conscience jusqu’à ce qu’elle embrasse l’ensemble des six mondes supérieurs au Monde Physique. Lorsque l’Homme a traversé ces mondes pendant son involution, son énergie a été guidée par des êtres supérieurs qui l’ont aidé à diriger intérieurement ses forces inconscientes afin de construire les véhicules appropriés. Finalement, et lorsqu’il fut muni du triple corps, instrument nécessaire, les êtres supérieurs lui ont ouvert les yeux en tournant ses regards vers l’extérieur, vers « la région chimique » du Monde Physique, afin qu’il emploie ses forces à la conquérir et à y faire les expériences nécessaires au développement de sa conscience.

 

Dans la nomenclature des Rose-Croix de Max Heindel, les noms repérant les sept périodes sont les mêmes que chez Rudolf Steiner. Nous y trouvons les périodes de Saturne, Soleil, Lune, Terre, Jupiter, Vénus, et Vulcain qui désignent les renaissances successives de notre Terre, sans aucun rapport avec les planètes qui gravitent autour du Soleil. Nous savons que Max Heindel utilise parfois des symboles de couleurs pour représenter les conditions par lesquelles notre globe a passé, (avec nous), par lesquelles il passe maintenant, et passera dans le futur. Nous avons traversé les périodes de Saturne, Soleil, et Lune, aux symboles violet, indigo, et bleu. Nous sommes dans la période verte (ou martienne), de la Terre. Quand elle prendra fin, notre globe passera, et nous passerons avec lui, par les conditions de la période mercurienne de la Terre, jaune, puis par les périodes de Jupiter, de Vénus, et de Vulcain, (orange, rouge, blanc). Alors viendra la fin du grand jour septenaire de manifestation. Tout ce qui est sera résorbé pour un temps de repos et d’assimilation des fruits de cette évolution, dans l’absolu, en vue de la préparation d’un développement ultérieur plus élevé, à l’aube d’un autre grand jour de manifestation. Les trois périodes et demi qui nous restent à parcourir seront consacrées au perfectionnement de nos divers véhicules et à l’expansion de notre conscience jusqu’à ce qu’elle approche de l’omniscience.

 

Max Heindel présente un tableau schématique qui résume tout le cheminement en spirale des esprits vierges pendant les sept jours de la création, à travers les sept mondes, et par les deux phases d’involution inconsciente et d’évolution consciente. On y voit le travail d’assistance des Hiérarchies Supérieures jusqu’à l’éveil de l’âme consciente, au travers de la construction du corps triple, puis de la conscience de  l’âme triple jusqu’à sa culmination dans la période blanche de Vulcain. L’ouvrage se poursuit par la description d’un cheminement spiralé presque mécanique de l’évolution à travers les incarnations. Il faudrait une étude détaillée et attentive pour faire la part des symboles, des mythes et des légendes, de la systématisation excessive, et de l’imaginaire parfois pesant.

L’œuvre reste marquée par les idéologies du début du siècle qui tendaient à hiérarchiser les civilisations. Dans le contexte d’intolérance de la France actuelle, ex-patrie de la liberté d’expression, il est aujourd’hui difficile de l’exposer davantage. Le lecteur intéressé est donc prié de se rapporter au texte originel. Nous nous contenterons d’y trouver une explication intéressante du symbolisme du caducée. Il évoquerait le long et tortueux cheminement de l’humanité vers la divinisation. Les serpents enlacés représentent les lentes évolutions et involutions de l’esprit dans le corps humain. Le chemin de l’initiation est l’autre voie. Elle est figurée par le bâton de Mercure qui monte du bas, l’Homme, jusqu’à Dieu, le Globe Ailé du haut. Ce chemin étroit et direct permet aux initiés qui le suivent, d’accomplir en quelques courtes vies ce qui  demande des millions d’années à la majorité des hommes.

La Cosmogonie d’Urantia.

( Jacques Weiss - édit.1934).

 

Cette cosmogonie a été élaborée et publiée par un groupe de chercheurs de formation universitaire, utilisant une réflexion très intellectuelle. Comme celle de Max Heindel, elle reflète une conception très structurée de l’Univers, avec un pouvoir divin ordonné en niveaux successifs très hiérarchisés. Les Uranciens sont les Terriens de toutes les races, et de toutes les époques, d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Urancia est le nom de la Terre dans l’Univers local de Nébadon, parcelle récente du Grand Univers. Le Grand Univers constitue la partie intérieure, habitée ou habitable du Maître Univers, plus global, lequel comprend également l’Espace Extérieur, encore inhabitable contenant de nombreux univers en formation. Le Grand Univers est lui même un ensemble concentrique. Il entoure un Univers Central appelé Havona, qui est centré sur l’Ile Eternelle du Paradis, autour de laquelle gravitent sept Superunivers qui contiennent des trillons d’étoiles et de corps de gravité obscurs. Toutes ces structures sont hiérarchisées et administrées à partir de l’Univers central par un système de sept niveaux, à base décimale, avec toutes commodités de fonctionnement, capitales et quartiers généraux, gestion des ressources naturelles, télécommunications, ports de transports intersidéraux, etc..     

 

Notre terre, Urancia, est située dans l’un des cent systèmes solaires de l’une des cent constellations de l’un des cent univers locaux composant Orvonton, le septième superunivers gravitant autour d’Havona. La capitale de celui-ci, Salvington, est la résidence permanente du souverain Suprême de Nébadon, un Fils Créateur, le Christ Micaël, celui qui s’est incarné sur Urantia en la personne de Jésus de Nasareth. Urantia est l’une des planètes expérimentales, dites décimales, sur lesquelles les Porteurs de Vie ont la permission d’inaugurer de nouvelles combinaisons mécaniques, chimiques, électriques ou biologiques inédites, que les Créateurs observent, et qui sont éventuellement destinées à modifier favorablement les archétypes de vie de l’Univers Local. Les activités de l’univers se manifestent sur d’innombrables niveaux que l’on peut analyser en cinq catégories principales.

1.    Le niveau matériel ou physique.

2.    Le niveau mental ou intellectuel.

3.    Le niveau morontiel ou de l’âme.

4.    Le niveau spirituel ou de l’esprit.

5.    Le niveau de l’absolu. 

 

 - L’énergie physique se divise en trois catégories.

1.    La force cosmique.

2.    L‘énergie émergente.

3.    Le pouvoir universel. 

 

 - L’énergie de la pensée appartient au Vivant. On y distingue.

1.    La Mana. (Impulsion morale à la prière).

2.    La Mota. (Intelligence psychique intuitive).

3.    La Monota. (Intelligence divine, clairvoyance spirituelle).

 

 - L’énergie morontielle, subtile de l’âme échappe aux sens.

Elle n’est ni spirituelle ni matérielle, comme un enfant n’est ni son père ni sa mère, et que l’eau n’est ni oxygène ni hydrogène. La substance morontielle résulte d’une fusion entre l’esprit de « l’Ajusteur de Pensée », (étincelle divine qui habite l’homme), et la pensée matérielle du mortel ainsi habité.

 

Si l’âme est jugée digne de survivre à la mort physique, la personnalité humaine endormie est ressuscitée sur les Mondes morontiels, ou Mondes des Maisons. C’est alors un humain potentiellement doué de vie éternelle qui entreprend la longue ascension vers le Paradis. Le ressuscité devient un Ascendeur.

 

D’autres notions sont développées dans cette importante conceptualisation. La Morale, par exemple, concerne la conduite individuelle des hommes. L’Ethique concerne les mœurs et conduites collectives. La Lumière va de du physique à l’hyperphysique depuis la lumière visible aux yeux incarnés, passant par la clairvoyance intellectuelle, jusqu’à la luminosité spirituelle. La Vérité concerne les résultats spirituels et les valeurs éternelles. Elle ne peut pas toujours être établie par une combinaison de faits apparents. Elle ne peut pas non plus être définie par des mots. La vérité se définit seulement en étant vécue.

 

L’Univers des Univers est administré par une hiérarchie d’êtres qui concourent, dans le libre arbitre et par l’amour, à assurer l’ordre et l’unité dans l’univers. Au sommet se trouve Dieu, la Cause sans cause, et l’Absolu, adoré sous de multiples noms. Il exprime sa nature aimante grâce à la Trinité Absolue, composée de trois personnes.

 

*         Le Père Universel, Source Centre Première, qui s’est volontairement dépouillé de tous ses attributs sauf la Volition Absolue et la Paternité Absolue. C’est donc le Père seul qui attribue la Personnalité aux êtres auxquels il désire la donner.

*         Le Fils Eternel, ou Source Centre Seconde, est l’expression de la volonté du Père. Son rôle consiste à révéler le Père aux univers. Il procède à cette révélation par l’intermédiaire des Fils Créateurs, appelés aussi Michaëls, qui sont les Souverains créateurs des univers locaux, (Comme Nébadon), et les Christs comme Jésus de Nasareth, venu s’effuser sur Urantia.

*         L’Esprit Infini, ou Source-Centre Troisième, représente le passage à l’action, la manifestation intelligente de la volonté conjointe du Père Universel et du Fils Eternel. L’Esprit Infini a créé les Sept Maîtres Esprits qui assurent la supervision centrale des sept superunivers. Ils représentent les sept aspects possibles de l’activité des trois personnes de la trinité, agissant ensemble ou séparément.

 

Chacune des trois personnes est manifestée par un Esprit. Le Père Universel a la faculté de se fractionner en étincelles divines appelées Ajusteurs de Pensée ou Moniteurs de Mystère. Les Ajusteurs apparaissent chez l’enfant vers l’âge de cinq ans. Ils agissent au niveau de la supraconscience, sans être perçus par les hommes, qu’ils préparent à la vie éternelle en provoquant chez eux le sentiment du péché contre la loi divine.

 

Il existe donc une hiérarchie de Fils de Dieu Descendants, que l’on pourrait appeler les Pélerins Descendants de l’Eternité. Ils sont doués de vie éternelle et ont été créés parfaits, mais ils ont besoin d’acquérir l’expérience des niveaux matériels d’existence pour devenir parfaits en manifestation. Nous en avons un exemple par le Christ Michaël, incarné pour acquérir l’expérience d’un Fils de l’Homme. Il existe en face un reflux de Pélerins Ascendants du Temps, en partie inconnus, qui pour nous sont essentiellement les Hommes. Ils ont été créés mortels et imparfaits mais doués du potentiel de perfection et de vie éternelle. S’ils sont jugés dignes, ils peuvent donc entrer dans le chemin d’ascension du Paradis. Au moment de sa mort, l’homme s’endort dans le néant et son Ajusteur de Pensée le quitte. Si l’homme est destiné à survivre, il recevra un nouveau corps morontiel dans le Monde des Maisons, son Ajusteur de Pensée reviendra l’habiter, et il retrouvera son psychisme et sa mémoire du passé.

Je ne vais pas poursuivre plus avant l’exposé de la théorie cosmogonique d’Urantia. C’est un vaste ouvrage dont la publication a fait l’objet de plusieurs volumes et de 196 fascicules. Mon but n’est pas de vous faire partager les idées des concepteurs. Je voulais attirer votre attention sur l’actualisation de concepts venus de l’antiquité, lesquels demeurent très intéressants à l’aube du nouveau millénaire. Ces ouvrages considérables peuvent être encombrés par la prise en compte des idées de leur époque. Ils sont également appauvris par des interprétations partiales des nouvelles découvertes de la physique. Ils ont parfois mal vieilli et leurs grandes richesses pourraient s’enfoncer progressivement dans l’oubli. Nous devons nous garder de cette démarche stérilisante. Les idées de notre siècle passeront aussi comme tant de merveilleuses théories ont passé. Comme celle d’Urantia, notre illumination progresse depuis la clairvoyance intellectuelle jusqu’à la lumière spirituelle. Notre vérité ne peut pas être définie par des mots ni établie par des faits apparents. Elle se définit en étant vécue.

 

Heureux ceux qui cherchent l’Esprit,

car le royaume des cieux est à eux.

(Le sermon sur la montagne - Matthieu - 6,17)

 

Avant de quitter ce sujet, quelques explications et mises au point complémentaires s’imposent. L’influence de la libre pensée des Théosophes est généralement sous-estimée en dehors des cercles d’initiés qui se penchent sur leurs travaux. Il est pourtant indéniable qu’elle a été très importante, mais elle a parfois abouti à des résultats controversés. Les Théosophes voulaient libérer les hommes de leurs asservissements, y compris de ceux de la pensée. Cela les a amenés à critiquer sévèrement les églises, tout particulièrement l’Eglise Catholique Romaine. Ils se sont aussi attaqués à d’autres autorités traditionnelles, épaulant vigoureusement le Féminisme qui poussait les femmes à rejeter la tutelle masculine. Ils ont soutenu énergiquement l’action de Gandhi, qui les admirait beaucoup, et ils l’ont aidé à lancer le mouvement visant à libérer l’Inde de la tutelle britannique.

 

Il faut aussi admettre, à regret, qu’entre les deux guerres, quelques Théosophes allemands se sont assimilés aux forces noires décrites et décriées par Annie Besant lors de la première guerre. Ils s’appuyèrent alors sur des altérations volontairement trés malveillantes des propos de Nietzche, de Blavatsky, de Steiner, et de Max Heindel, pour prôner les doctrines du pangermanisme et de la race des seigneurs. Haushorfer, par exemple, se sépara de la Société de Théosophie pour créer la Société de Géopolitique. Il soutenait une vieille thèse allemande relative à l’origine des religions archaïques et des mouvements de population. Elle prétendait qu’au début du règne de l’Homo sapiens le continent arctique était une terre très fertile peuplée par des hommes blonds, de race aryenne. Sa patrie supposée était Thulé, parfois confondue avec l’Atlantide. Après un basculement catastrophique de l’axe terrestre, Thulé se serait  transformé en champ de glace, provoquant la dispersion des Aryens en Allemagne, aux Indes, et jusqu’en Grèce. Partant de cette hypothèse, quelques savants allemands ont fondé, en 1912, un groupe de recherche, le groupe de Thulé, transformé en société secrète après la première guerre. Cette organisation devint rapidement un instrument du National-Socialisme allemand.

 

Poursuivant ces mises au point, je vous donne ici un exemple du mépris intolérant dont Guénon accablait les petits profanes qu’il distinguait si péremptoirement de lui-même.  Maintenant, disait Guénon, il est encore un point qu’il faut bien préciser pour éviter tout malentendu. Il ne faut certes pas penser que celui qui entend se maintenir dans une attitude rigoureusement traditionnelle doit dés lors s’interdire de jamais parler des théories de la science profane. Il peut et il doit au contraire, et quand il y a lieu, en dénoncer les erreurs et les dangers, et cela surtout lorsqu’il s’y trouve des affirmations allant nettement à l’encontre des données de la tradition, mais il devra toujours le faire de telle façon que cela ne constitue aucunement une discussion « d’égal à égal », qui n’est possible qu’à condition de se placer soi-même sur le terrain profane. En effet, ce dont il s’agit réellement en pareil cas, c’est un jugement formulé au nom d’une autorité supérieure, celle de la doctrine traditionnelle, car il est bien entendu que c’est cette doctrine seule qui compte ici et que les individualités qui l’expriment n’ont pas la moindre importance, or on n’a jamais osé prétendre, autant que nous sachions, qu’un jugement pouvait être assimilé à une discussion ou à une « polémique ». Si, par un parti pris dû à l’incompréhension et dont la mauvaise foi n’est malheureusement pas toujours absente, ceux qui méconnaissent l’autorité de la tradition prétendent voir de la « polémique », là où il n’y en a pas l’ombre, il n’y a évidemment aucun moyen de les en empêcher, pas plus qu’on ne peut empêcher un ignorant ou un sot de prendre les doctrines traditionnelles pour de la philosophie, mais cela ne vaut pas même qu’on y prête la moindre attention. Du moins tous ceux qui comprennent ce qu’est la tradition, et qui sont ceux dont l’avis importe, sauront-ils parfaitement à quoi s’en tenir. Et, quant à nous, s’il est des profanes qui voudraient nous entraîner à discuter avec eux, nous les avertissons une fois pour toutes que, comme nous ne saurions consentir à descendre à leur niveau ni à nous placer à leur point de vue, leurs efforts tomberont toujours dans le vide.

 

A partir de son intérêt pour l’orientalisme, on comprend que Guénon ait pu être attiré par les formes modernes de cette philosophie. Vers 1930, il devint d’ailleurs musulman et s’en fut habiter au Caire où il était connu comme un grand Soûfi. Dans l’ésotérisme musulman du développement intérieur, ce terme désigne ceux qui ont fait le voyage et qui connaissent le but. Evoquons aussi le mouvement des derviches tourneurs dont les rites paraissent fort étranges si l’on n’en comprend pas le symbolisme profond. Chez ces autres religieux musulmans vétus de blanc pur, les acolytes tournent comme des toupies pour accumuler les énergies. Puis le maître entre dans la danse. Levant une main en coupe vers le ciel pour recueillir la grâce divine, il étend l’autre devant lui en offrande, répandant sa tournoyante bénédiction sur le Monde.

 

On peut trouver une agressivité équivalente à celle de Guénon chez ses ennemis théosophes, dans une formulation cependant beaucoup moins agressive et vexatoire. Citons par exemple Mme Blavatsky, car nous avons vu que Rudolf Steiner était encore plus modéré. « Nous autres, théosophes, disons que votre progrès, que cette civilisation dont on parle avec tant d’emphase, ne valent pas mieux qu’un essaim de feux follets voltigeant au-dessus d’un marécage d’où s’exhalent des miasmes empoisonnés et mortels ».

 

Sans prendre parti, nous devons réaliser que tous ces penseurs étaient saisis par une inextinguible soif de spiritualité. Ils furent illuminés par une connaissance donnée ou venue d’ailleurs, au point que leurs vies et leurs convictions en furent radicalement changées. Ils voulaient partager avec les autres hommes le trésor qu’ils avaient découvert. Ils ont alors utilisé leur intellect pour donner un sens cohérent et une forme partageable à cette merveille pour la rendre accessible et compréhensible à tous. Ils l’ont peut être alors, d’une certaine façon, altérée.

 

Ce qui importe ici, c’est le feu. 

 

De ce feu qui brûlait dans leur âme et consumait leur corps, nous percevons à la fois la lumière de la flamme intérieure mais aussi la grisaille des fumées théoriciennes. Que celles-ci ne nous aveuglent pas. Ce qui importe, voyez-vous, c’est le feu dévorant venu d’en haut et de nulle part, ce feu d’une autre nature qui descendit chaque fois, du fond du mystérieux Zoran jusqu’au fond de chacun de leurs cœurs humains. La destinée de leurs théories a pu suivre la nature du Monde terrestre, naître, croître, briller, descendre. Ce n’est pas vraiment important. Avec les yeux du cœur, il faut voir qu’elles furent dictées par une soudaine illumination spirituelle. Elles se construisirent ensuite patiemment avec la raison et l’intellect dans un but de partage. Finalement, elles s’affaiblirent dans l’insuffisance des moyens humains de connaissance humaine ou dans les illusions de l’âme.  Les Théosophes peuvent sembler s’être égarés dans le spiritisme ou l’action politique, les Anthroposophes ont peut-être versé dans une systématique des cycles, intégrant tardivement une problématique astrologie. Guénon a pu irriter en affichant une morgue certaine et une intolérance souvent manifeste. Max Heinkel a vu certains de ses travaux déformés et exploités par une idéologie raciste, et les amis de Jacques Weiss n’ont jamais pu donner une très grande diffusion à leurs théories en raison de l’ampleur et de la complexité de leur construction intellectuelle.

 

L’Amour-Bonté fut créé par Dieu

avant même la création du Monde.

Il est la raison d’être même de l’Homme.

(Le Talmud).

NB - Il s’agit ici du bien gratuit, fait sans raison ni retour,

par tous les hommes bons, les justes parmi les nations. 

 

L’aventure contemporaine de ces hommes montre bien le danger des théorisations et la nécessité d’en éviter les écueils. C’est pour cela que je me suis jusqu’ici borné à rapprocher, au mieux et sans jugement, les idées de tous ces penseurs.

 

On ne peut prendre le ciel d’assaut.

 

On y accède seulement par grâce. On ne peut l’approprier ni l’enfermer dans l’intellect, car nul fragment ne peut contenir le  Tout, lequel est à la fois Dieu, l’Univers et l’Homme.

 

Je voudrais ici résumer le message gnostique, complexe et magnifique, des Théosophes. Ils nous disent que la Création Totale et Divine est située sur plusieurs plans imbriqués les uns dans les autres, au travers desquels les créatures progressent pour gagner le plan divin de la pure spiritualité. L’Homme n’est absolument pas une insignifiante créature biologique rampant sur la petite planète que nous appelons la Terre. L’Homme théosophique c’est l’Adam Primordial, Adam Kadmon, ou le Démiurge. Il a une dimension cosmique. Comme les créatures qui l’ont devancé, il est associé au Logos. L’univers de la matière lui a été confié, et il est la somme des créatures matérielles. Il a donc une importance créatrice immense. L’existence et toute l’évolution de l’ensemble du cosmos matériel résultent de la progression de sa prise de conscience. Mais l’Adam Primordial est encore loin du but et trouve difficilement son chemin. La situation dans laquelle se trouvent les petits hommes-animaux conscients qu’il habite n’est donc pas une punition. Elle nous dote d’une faculté tout-à-fait nouvelle et particulière qui est la conscience individuelle. C’est une occasion spécialement construite. Elle nous est offerte par les esprits supérieurs pour aider l’Adam Primordial à réintégrer enfin l’état et le Monde originels.

 

La nature entière attend avec impatience

la manifestation des enfants humains de Dieu

 

Pendant que les Théosophes formulaient leur message avec leur imagerie particulière, d’autres penseurs donnaient un visage différent à la même vérité. C.G. Jung, par exemple, nous décrit avec d’autres mots le processus d’individuation, « qui est le cheminement de la connaissance vers un nouveau palier de l’humain, à partir duquel le passé s’éclaire, l’homme se circonscrit et se définit pour de nouveaux essors ». Il est trés probable que C.G. Jung suivait d’assez près les travaux des théosophes, qui étaient ses contemporains. Il s’intéressait aussi beaucoup aux significations ésotériques de la recherche alchimique dont il s’efforçait de déchiffrer les symboles en s’appuyant sur sa connaissance de la psychologie humaine, et il a écrit un énorme traité sur ce sujet. 

 

Je crois aussi que certains théosophes, dont Rudolf Steiner par exemple, intégraient, prudemment et progressivement, les nouvelle découvertes révolutionnaires des psychologues à leurs cosmogonies ésotériques. Cela se décèle dans leurs derniers ouvrages. On avait abandonné l’intolérance, et on était en présence d’un phénomène de vases communicants. De son coté, un dissident de la Société de Théosophie, l’Hindou Krisnamurti qu’ils avaient appelé Alcyone, rejettait toute théorie intellectuelle élaborée par la raison, toute formulation imagée, toute croyance, et toute doctrine. Il préconisait le contact direct de l’intelligence humaine avec l’intelligence divine.

 

Sérénité

 

A l'aurore du jour prochain,

La rose neuve de ma vie,

Un-à-un déplie ses pétales,

La beauté de la rose, c'est la joie du rosier.

A jamais je suis le rosier.

 

 

Sous l'écrasant soleil de Juin,

La rose ouverte de ma vie,

Un-à-un délie ses pétales,

Le parfum de la rose, c'est la voix du rosier.

A jamais je suis le rosier.

 

 

Dans l'air parfumé du serein,

La rose passée de ma vie,

Un-à-un oublie ses pétales.

Le destin de la rose, c'est la croix du rosier.

A jamais je suis le rosier.

 

 

En l'attente du clair matin,

Le nouveau bourgeon de la vie,

Un-à-un mûrit ses pétales,

Chaque jour une rose, c'est la loi du rosier.

A jamais je suis le rosier.

 

 

Au-delà de la rose, demeure le rosier.

 

(Jacques Prévost - Poèmes pour l’An 2000)

.

 

L

iberté et Innocence.

 

 

 

 

Renoncer à la liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme,

(Jean-Jacques Rousseau).

 

La liberté, c’est aussi la votre de penser autrement que moi.

(Rosa Luxemburg).

 

Si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. (Matthieu - 18/3)

 

 

Nous avons dit que, pour la plupart des hommes, à l'origine et à l’aboutissement de l’existence, il y a conceptuellement un grand être mystérieux, inconnaissable et tout puissant. Il est l’alpha et l’oméga, le tout et le contraire de tout, la chose créée et le vide créateur, le hasard et la nécessité, le temps qui court et l'éternité. Il ne peut être ni perçu, ni compris, ni décrit, ni représenté, ni limité, ni illimité dans ses attributs. Il est sans nom et sans visage. Il est le lieu de toutes les potentialités, la somme de tous les archétypes dans l’essentiel, et la somme de leurs compléments manifestés dans l’existentiel, comme le conçoivent aussi les philosophes modernes. Les hommes ne peuvent donc prétendre le définir ni l’expérimenter en aucune façon. Ils sont incapables de représenter mentalement cette immense potentialité mais ne peuvent ni penser ni communiquer à son sujet sans la désigner. Un mot est nécessaire mais il n’a donc ni contenu ni signification. Dans notre référentiel sémitique habituel, il est souvent appelé le Père divin, mais d’autres civilisations disent tout aussi valablement la Mère universelle.

 

Ayant établi notre construction mentale sur la base d’une cause première, nous en poursuivons l’édification par l’ajout d’un acteur second qui la transforme en la réalité effective. Il devient le fabricant éclairé de toutes choses, la source de vie, le grand architecte de l’univers. Dans la poursuite de l’élaboration conceptuelle, la potentialité originelle se manifeste secondairement avec des caractéristiques dynamiques, immense fleuve de puissance et de forme se déversant dans la réalité créée. Un autre mot est encore nécessaire. Le moteur conceptuel de cette activité sans bornes est appelé Verbe de Dieu. Il faut comprendre que ces concepts structurants sont des pièges posés par la nature de notre intellect. Admettez que l’exécution du plan de la manifestation divine ne fonctionne  pas comme le déroulement d’un projet ou d’un programme issu d’un cerveau humain.

 

Celui qui attend un cavalier

doit prendre garde à ne point confondre

le bruit des sabots et les battements de son cœur.

(Proverbe chinois).

 

La puissance formatrice nous semble s’exprimer en donnant existence à notre univers chaotique et fractal. Elle parait provoquer l’émergence des structures de la matière et de la vie, à partir des potentialités de la cause première, sans lien de causalité avec quoi que ce soit. Il ne peut évidemment en être autrement puisque nous-mêmes avons postulé que tout était ainsi construit. La division arbitraire effectuée entre la cause première, le Père, et sa manifestation actuelle, le Verbe, est bien une opération spécifiquement humaine et purement mentale. Par elle, nous cassons l’unicité globale de notre image conceptuelle initiale en opposant deux mots commodes auxquels nous ne pouvons pas attacher de contenus figuratifs vraiment distincts.

 

La cause première et son acte de manifestation paraissent être inséparables, ne pouvant être disjointes même intellectuellement. Dans un tel schéma globalisateur, toutes les créatures et leurs comportements, passés, présents, et à venir, sont issus de la cause première dans son acte permanent de manifestation. Nous avons pu dire que le Verbe créateur, pur concept mental humain, nous paraîssait primitivement manifesté par l’action contraignante de forces brutales faisant jaillir du chaos l’existence matérielle, l’immense cosmos galactique, la nature exubérante et la vie biologique. Nous avons appelé oeuvre incomplète du Démiurge, autre expression commode, cet état d’involution de l’être, impliqué dans la matière. Ces forces sont imposées, ce qui n’ouvre guère vers des comportements libres et autonomes. Parce qu’elles aboutissent aujourd’hui à l’éveil de la conscience et à l’ouverture d’un nouveau regard posé par l’Homme sur la lumineuse réalité de l’être total, nous les avons appelées forces lucifériennes, (c’est à dire porteuses de lumière).

 

Nous avons aussi posé que le même Verbe créateur semblait simultanément se manifester de façon différente par l’apport de la grâce christique dans l’essence spirituelle, l’accés intuitif à l’intelligence cosmique, la capacité à réaliser un acte libre et volontaire. Nous avons décrit cela comme la surrection de la vie de l’Esprit jaillissant de la conscience. Pour parler de cet autre acteur de la manifestation divine, le mot  force ne convenait pas car il portait des connotations de contraintes. Nous avons appelé élan christique cet afflux de grâce non contraignant, non pas imposé mais proposé. Il n’est pas asservissant mais libérateur. Il transforme cependant les êtres tout comme le feu modifie ce qu’il consume. Sa puissance n’ouvre plus vers l’involution, qui est enfermement forcé de l’être dans la matière. C’est un moteur d’évolution favorisant une émergence, une progression de l’être dans la transcendance. La manifestation de cette autre puissance n’est pas subordonnée ni consécutive à la manifestation des forces lucifériennes. C’est un autre mode éternel, spirituel, de la manifestation divine qui élabore des propriétés différentes, caractérisant un aspect immatériel, du Monde.

 

Cet Esprit est également un pur concept humain par lequel nous convenons de décrire mentalement un autre état permanent de la manifestation divine. Cet état différent devient maintenant accessible à la conscience. Dans l’absolu mystérieux du Grand Tout inconnaissable, il est la forme intellectuelle  actuelle que nous donnons, à l’instant même, à l’attouchement et à l’appel éternel de la grâce. Cependant, si nous l’acceptons, cet acte d’adhésion réfléchi, accompli librement, volontairement et consciemment, devient un échange entre notre humaine personne et la personne divine. Cette réponse est donc sacramentelle et transcendante. Elle est sacramentelle parce qu’elle établit la rencontre de convergences, d’une part la démarche ascendante de l’Homme vers la Déité, d’autre part, l’attouchement descendant de la Déité appellant l’Homme à Elle. Elle est transcendante parce qu’elle transforme notre nature terrestre ordinaire pour l’adapter au niveau divin.

 

Nous approchons de la fin de ce livre, mais il nous reste à voir quelques éléments avant d’aborder les questions difficiles. Nous allons donc souffler et méditer un peu, jeter quelques regards sur notre propre temps, et nous arrêter un instant dans la fraîcheur du jardin d’Eden, en Archaos. Un roman libertin ! Peut-être, mais aussi bien autre chose ! Avec vos jambes, ou vos pieds, vous allez où vous voulez. Et puis c’est tellement joliment écrit !

 

Ils n’avaient pas le temps.

Eh bien si tu n’as pas le temps, on te le retirera.

Et si tu as le temps, on te donnera l’éternité.

Viens en nous. Ecoute. Silence.

Alors l’Ange a abaissé son épée.

Entrez, enivrez-vous d’amour

et baignez-vous dans la beauté du Monde.

( Christiane Rochefort - Archaos ou le Jardin Etincelant).

 

Penchons-nous à nouveau sur plusieurs réponses récentes différentes à l’appel de l’Esprit. Revenons un instant sur le travail des écoles rosicruciennes dont les enseignements témoignent toujours d’une inspiration authentique et vivante. Vous savez qu’on y retrouve des synthèses de traditions anciennes transmises par les divers courants gnostiques, cathares et templiers, le monachisme catholique, l’Hermétisme égyptien, l’Alchimie, la Kabbale, le Manichéisme, les légendes autochtones ou arabes, ainsi que la référence aux correspondances établies par Paracelse entre les différentes parties du corps humain, le microcosme, et celles de l’univers considéré dans sa totalité, le macrocosme. Parmi les écoles qui se relient à cette tradition antique, nous pouvons citer la Societas Rosicruciana in Anglia, fondée il y a cent vingt ans, qui est d’inspiration maçonique, et surtout la Rose-Croix de Harlem représentée en France par le Lectorium Rosicrucianum, (Rose-Croix d’Or). C’est une société initiatique qui transmet les enseignements spirituels hérités du 17ème siécle. Elle a été fondée en 1924, à Haarlem, en Hollande, par Jan van Rijckenborgh, (Jean Leene), et Catharose de Petri, (H. Stock-Huysen). Se référant l’héritage cathare et à la tradition du Graal, la société s’est rapprochée d’Antonin Gadal, pour élever un monument commémoratif à Ussat-les-Bains, en Ariège. Aprés la guerre, le mouvement s’est implanté dans de nombreux pays, en Europe, aux Etats-Unis, en Amérique du Sud, en Afrique, en Australie, et a été reconnu officiellement comme religion dans certains d’entre-eux. Jan van Rijckenborgh est mort en 1968. Voici quelques éléments tirés de l’enseignement présenté par la Rose-Croix d’Or française.

 

L’illumination de Van Rijckenborgh.

La Rose-Croix d’Or désire conduire les hommes sur le sentier de la délivrance de l’âme. Son appel doit être reçu par ce qui reste d’origine divine dans le coeur. Le départ doit avoir lieu pendant cette vie même. L’existence est en équilibre instable, aboutissant toujours à la souffrance et à la mort. L’Homme ne peut se libérer ni ici-bas ni dans l’au-delà. La Gnose apporte à chaque chercheur la vérité qui lui convient. Elle veut la révéler afin qu’elle agisse comme une force qui s’élargit à mesure des progrès de la conscience. Dans ce monde rien de permanent ne peut être établi. L’au-delà est aussi un espace temporel. L’existence du monde temporel implique des réactions d’équilibrage constantes et l’opposition entre les forces de construction et de destruction.

Outre ce monde d’illusion, il existe un autre monde de la création divine. Il y a deux ordres distincts de nature qui existent simultanément dans le même espace de Plénitude divine.

 

*         Un champ de vie statique divin perceptible par les organes acquis par la Transfiguration ou Renaissance. 

*         Un champ de vie temporel qui présente un aspect visible, notre milieu de vie ordinaire, et un aspect invisible, l’au-delà, qui reflète essentiellement les phénomènes visibles.

 

L’homme ordinaire, soumis à la vie des sentiments, ne perçoit que les phénomènes du monde visible. Son monde intérieur est fait de pulsions et de désirs. L’Âme, intermédiaire entre le Corps et l’Esprit, est endormie. L’erreur est de considérer la conscience biologique comme le seul Esprit. Avec elle, l’homme temporel est condamné à se heurter aux insuffisances de sa nature-prison.  

 

Le Royaume est le champ total de la Manifestation Divine. La Rose-Croix d’Or le décrit comme un ensemble de sept domaines de vie qui s’interpénètrent. Chaque forme existe à la fois dans chacun des sept plans. C’est sa globalité qui donne son véritable sens à l’être considéré. L’homme est cantonné dans le plan le plus matérialisé de la réalité divine. L’Homme Originel est également unitaire et septuple. Il est l’image du macrocosme, de l’univers cosmique. Dans ce « Microcosme », on retrouve les sept aspects de la manifestation divine. Cet ensemble, l’Être Aural, contient la somme des expériences faites au cours des incarnations successives par les diverses personnalités temporelles qui se sont succédées dans le Microcosme éternel.

 

La libération de l’Etre Aural implique que le Microcosme puisse à nouveau se relier à l’Esprit. Alors, le foyer central s’éveille et les forces spirituelles peuvent à nouveau y pénétrer. Nous ne voyons que le corps physique de la Terre qui a également un aspect  vital et un aspect de désir. Ces aspects invisibles, cet Au-delà où vont les morts, appartiennent au domaine temporel. Ils ne sont pas un lieu de séjour éternel, et la mort du corps physique n’est pas le point d’entrée dans l’immortalité. A l’origine, les différents aspects de la Manifestation étaient conformes aux lois du plan temporel. L’Homme a utilisé ces éléments pour satisfaire ses désirs et il a créé dans le champ de la Terre un grand afflux de formes-pensées. On y trouve maintenant toutes les pulsions humaines et toutes les tensions induites par les luttes engagées pour refouler les passions. Ces forces peuvent devenir autonomes. Elles peuplent l’astral de la Terre de dieux et de déesses, de noirs démons et d’anges lumineux.

 

Depuis la chute, l’Homme Originel est uni à une personnalité mortelle qui ne peut s’exprimer que dans les deux seuls aspects du plan temporel du Royaume. A la mort, la personnalité quitte la partie visible du monde. Elle pénètre dans sa partie invisible, et tous les corps se dissolvent. De la personnalité ne demeure que l’essence de la vie passée enregistrée dans le Microcosme. Une nouvelle incarnation est nécessaire pour qu’une autre personnalité offre une nouvelle chance de réveil à l’Âme divine. Dans les croyances religieuses traditionnelles, les aspects invisibles du monde temporel sont pris pour le Monde Originel. C’est une erreur car aucune entreprise temporelle n’échappe aux lois qui régissent le domaine dense du Royaume.

 

Parce que l’homme se satisfait de ce monde, il imagine que le monde invisible permet la survie de la personnalité-moi. En réalité, notre vie est la projection de l’Idée divine de l’Homme. Elle fut conçue par le Père, à son image, dans ce monde temporel  régi par ses lois propres d’impermanence, de naissance et de mort. Pendant la vie, la personnalité fait des expériences et doit exercer un choix entre les deux voies qui s’offrent à elle.

 

*         Elle peut éveiller l’âme nouvelle et parvenir à réintégrer le Royaume, dans le plan des Âmes Immortelles.   

*         Elle peut cultiver les possibilités de cet ordre matériel de vie sur la base de la conscience ordinaire temporelle et limitée. 

 

Après la mort, le Microcosme prend conscience de son devenir. La mémoire de la vie achevée s’ajoute à celles des vies précédentes. Le Microcosme subit l’influence des tensions et désirs accumulés dans l’Etre Aural. La vie dans l’au-delà est suivie d’une nouvelle incarnation dans un autre corps biologique. Il ne s’agit pas du retour sur Terre de la même conscience-moi dotée d’un nouveau corps physique, mais du moyen conçu pour ressusciter l’Homme originel. Le Microcosme, création divine immortelle, a chuté dans la matière mais il n’est pas abandonné. Par le travail millénaire de la Gnose, la personnalité humaine de chair et de sang, a été rendue apte au retour dans le Royaume et peut renouer le lien avec le Divin, mais la personnalité charnelle et mortelle ne peut être conservée. Une personnalité nouvelle, immortelle, doit être reconstruite, qui seule pourra permettre à l’âme divine de renaître et de regagner le Royaume. Ce Temple dans l’Homme est à construire dans la personnalité mortelle.

 

Les hommes déchus sont poussés par le désir de rejoindre Dieu en s’y reliant par des religions. Elles sont établies sous deux aspects. L’aspect exotérique est un culte accompli dans un temple extérieur, avec l’aide de prêtres-médiateurs pour les hommes qui n’ont pas encore ressenti le souvenir du Royaume originel. L’autre aspect, ésotérique, vise à la reconstruction du Temple intérieur. Il est enseigné par des initiés à ceux que la ressouvenance de leur splendeur passée pousse à l’action. Les cultes exotériques se sont perdus dans des constructions dogmatiques. Les écoles ésotériques des mystères restent les seules gardiennes du chemin libérateur. Les hommes répondent selon leur nature. Les uns restent dans leur prison en s’efforçant d’en modifier un aspect par la révolte ou l’action scientifique, politique, ou sociale, ou bien par  l’engagement religieux. Les autres entreprennent la reconstruction auto-libératrice du Temple Intérieur par la Transfiguration et forment un groupe bénéfique pour toute l’humanité.

 

Séparé de la Raison divine, l’Homme est soumis aux convoitises. Il possède trois foyers de conscience sur lesquels il établit son Moi, dans la tête, du coeur, et du bassin. Le foyer intellectuel raisonne et engage l’action. Le foyer affectif dispose de l’intuition, (forme de pensée du désir), et de l’impulsion, (forme de volonté), tempérée par la raison. Le foyer animal cherche la satisfaction des appétits naturels par le moteur primaire des instincts. Le Moi temporel voudrait se rendre immortel mais il n’est qu’un être artificiel fait de pensées et de sentiments fugaces. La libération doit venir de l’établissement d’une valeur nouvelle dans le Moi Supérieur, l’Etre Aural. L’Homme trouvera cette valeur en lui-même. Il l’établira par la vraie connaissance de soi et la révolte contre l’illusion. Il devra neutraliser toute convoitise venant du moi égoïste, tout refus et toute peur d’une voie inconnue, sans provoquer ni tension vive ni refoulement. Ce revirement implique la neutralisation du Moi. Il faut progressivement dissoudre tous les liens qui nous attachent au monde temporel pour renouer d’autres liens avec le divin. Cela est souvent imaginé comme un combat contre la nature temporelle, mais ce n’est pas le chercheur qui lutte, c’est la Gnose. Le chercheur doit se borner à comprendre son état réel. La lumière gnostique détruit ce qu’il repousse, et fait mourir le vieil homme en Christ. Alors l’Homme renaît, non du sang ni de la chair, mais de la Gnose, et il se dresse à nouveau dans le Microcosme.

 

Après la chute, un plan de secours apparut, et l’Esprit développa l’homme terrestre afin de prendre temporairement dans le Microcosme, la place de l’Etre originel endormi. Jésus-Christ est la nouvelle impulsion de ces forces éternelles, le salut proposé dans l’existence terrestre. Quand l’homme veut répondre à l’appel divin, il doit commencer par se relier à un  principe médiateur de la Nature Originelle. De l’état préparatoire, l’état Jean-Baptiste, il passe à l’état d’Âme vivante, l’état Jésus, puis atteint l’état Christ. En approchant de la Lumière, l’homme découvre qu’elle ne l’accepte pas dans son état naturel. Il ne s’agit pas d’améliorer la personnalité jusqu’à un point sublime. Il faut devenir une créature nouvelle par la résurrection de la Personnalité Céleste. Cette transformation sera réalisée par une liaison consciente avec la Force christique. Une Ecole Spirituelle, dit Jan van Rijckenborgh, apporte une force intermédiaire qui n’est ni de ce monde ni du monde nouveau. Elle constitue un pont de lumière entre les deux. Son but est de guider les hommes de bonne volonté vers un état de conscience qui permet d’atteindre la vie nouvelle par une action véritablement autonome.

 

L’illumination de Victor Hugo.

Alors que de nombreux penseurs veulent accrocher l’intellect en exposant une doctrine, d’autres comme Victor Hugo s’adressent à la sensibilité. Chronologiquement, le poète se situe entre les Kabbalistes du 19ème et les Théosophes. Farouchement anticlérical, il croit pourtant à la repentance finale de Satan. Ses idées, proches de celles d’Origène, témoignent d’un gnosticisme chrétien résolument unitariste. A la fin de sa vie, Hugo s’est longuement penché sur la sombre histoire de la lutte de Dieu et du Diable, de la chute et du salut des hommes. Cette oeuvre inachevée n’a pas été publiée de son vivant. Aprés sa mort, en 1885, son éditeur en forma un ensemble inédit un peu confus. Cette dispersion et cette ampleur constituent une difficulté dans la prise en compte de l’apport spiritualiste de Victor Hugo. Le pathétique y coule comme un fleuve, et il faut orpailler dans ses eaux tumultueuses pour trouver ce qu’on cherche. Ces fragments comptent environ quarante mille vers dont un quart concernent notre sujet. Qui, de nos jours, lira dix mille alexandrins ? Aussi, les ai-je lus pour vous. Voici quelques extraits du mythe imaginé par Hugo, celui de l’ange Liberté secourant Satan.

 

La fin de Satan.  (Et nox facta est).

 

(...) La chute du damné recommença - Terrible,

Sombre, et percé de trous lumineux comme un crible,

Le ciel plein de soleils s’éloignait, la clarté

Tremblait, et dans la nuit le grand précipité,

Nu, sinistre, et tiré par le poids de son crime,

Tombait, et comme un coin sa tête ouvrait l’abîme.

Plus bas! plus bas! toujours plus bas ! (...).

 

Je veux le torturer dans son œuvre, et l’entendre

Râler dans la justice et la pudeur à vendre,

Dans les champs que la guerre accable de ses bonds,

Dans les peuples livrés aux tyrans, dans les bons

Et dans les saints, dans l’âme humaine toute entière!

Je veux qu’il se débatte, esprit, sous la matière;

Qu’il saigne dans le juste assassiné; je veux

Qu’il se torde, couvert de prêtres monstrueux; (...)

Encor si je pouvais dormir! Si seulement,

Une heure, une minute, un soupir, un moment,

Le temps qu’une onde passe au fond du lac sonore,

Fut-ce pour m’éveiller plus lamentable encore,

Sur n’importe quel durs et funèbres chevets,

Si je pouvais poser mon front, si je pouvais,

Nu, sur un bloc de bronze ou sur un tas de pierres,

L’une de l’autre, hélas, rapprocher mes paupières,

Et m’étendre, et sentir quelque chose de frais, (...)

 

Je souffre. Oh ! seulement un instant que je dorme !

Je l’aime d’être beau, moi qui suis le difforme.

Que j’oublie un instant ! O souvenir ! Je vois

 Les anges lui parler dans l’ombre à demi-voix.

Que leur dit-il ? Je suis jaloux! Je me rappelle,

Qu’il me parlait aussi, que la lumière est belle.

Je l’aime d’être bon, moi qui suis le mauvais. (...).

Oh ! Je l’aime ! c’est là l’horreur, c’est là le feu !

Que vais-je devenir, abîmes , j’aime Dieu !

Je suis damné ! L’enfer, c’est l’absence éternelle.

C’est d’aimer. C’est de dire : Hélas ! Où donc est-elle,

Ma lumière ? Où donc est ma vie et ma clarté ? (...).

Cet être seul vivant, seul vrai, seul nécessaire,

Je vais m’en passer, moi, le colosse puni ! (...).

Comme je vais rugir sur lui ! Comme je vais,

Moi, l’affreux, face à face avec lui le suprême,

Le haïr, l’exécrer et l’abhorrer ! Je l’aime ! (...).

Si je ne l’aimais point, je ne souffrirais pas.

 

Or, prés des cieux, au bord du gouffre où rien ne change,

Une plume échappée à l’aile de l’archange

Etait restée, et pure et blanche, frissonnait.

L’ange au front de qui l’aube éblouissante naît

La vit, la prit, et dit, l’œil sur le ciel sublime:

« Seigneur, faut-il qu’elle aille,
elle aussi, dans l’abîme ? ».

Dieu se tourna, par l’être et la vie absorbé,

Et dit - « Ne jetez pas ce qui n’est pas tombé ». (...).

Cette plume avait-elle une âme? Qui le sait,

Elle avait un aspect étrange; elle gisait,

Et rayonnait ; c’était de la clarté tombée.

Les anges la venaient voir à la dérobée.

Elle leur rappelait le grand Porte-Flambeau;

Ils l’admiraient, pensant à cet être si beau (...) 

Tout à coup un rayon de l’œil prodigieux,

Qui fit le monde un jour, tomba sur elle.

Sous ce rayon, lueur douce et surnaturelle,

La plume tressaillit, brilla, vibra, grandit,

Prit une forme et fut vivante, et l’on eut dit

Un éblouissement qui devint une femme (...).

L’archange du soleil, qu’un feu céleste dore,

Dit : « De quel nom, faut-il nommer cet ange, ô Dieu ?  »

Alors, dans l’absolu qu’a l’Être pour milieu,

On entendit sortir des profondeurs du Verbe,

Ce mot, qui sur le front du jeune ange superbe,

Encor vague et flottant dans la vaste clarté,

Fit tout à coup éclore un astre : « Liberté ». (...).

 

Ô toi ! Je viens. Je pleure. Ici, dans les misères,

Dans le deuil, dans l’enfer où l’astre se perdit,

Je viens te demander une grâce, ô maudit !

Ici, je ne suis plus qu’une larme qui brille

Ce qui survit de toi, c’est moi. Je suis ta fille. (...).

Oh ! toute cette nuit, c’est affreux ! Père, père !

Quoi ! toi dans ce cachot ! Quoi ! toi dans ce repaire !

Toi puni, toi mauvais, toi, l’aîné des élus !

Te voilà donc si bas que Dieu ne te voit plus ! (...).

Je viens à toi ! Je viens gémir, luire, éclairer,

T’oter du moins le poids de la terrestre chaîne,

Et guérir à ton flanc la sombre plaie humaine.

« Mon père, écoute-moi. Pour baume et pour calmant,

Pour mêler quelque joie à ton accablement,

Tu n’as, jusqu’en cette heure, en ton âpre géhenne,

Essayé que la nuit, la vengeance et la haine;

Essaie enfin la vie, essaie enfin le jour, (...).

 

Laisse-moi mettre l’homme en liberté. Permets

Que je tende la main à l’univers qui sombre,

Laisse-moi renverser la montagne de l’ombre,

Laisse-moi jeter bas l’infâme tour du mal ! (...).

M’entends-tu sangloter dans ton cachot ? Consens

Que je sauve les bons, les purs, les innocents ;

Laisse s’envoler l’âme et finir la souffrance.

Dieu me fit Liberté, toi, fais-moi Délivrance ! (...).

L’ange le regardait, les mains jointes. Enfin

Une clarté qu’eut pu jeter un séraphin,

Sortit de ce grand front tout brûlé par la fièvre.

Ainsi que deux rochers qui se fendent, ses lèvres

S’écartèrent, un souffle orageux souleva

Son flanc terrible, et l’ange entendit ce mot « Va ! ». (...).

 

Oh ! l’essence de Dieu c’est d’aimer. L’homme croit

Que Dieu n’est comme lui qu’une âme, et qu’il s’isole

De l’univers, poussière immense qui s’envole;

Mais moi, l’ennemi triste et l’envieux moqueur,

Je le sais, Dieu n’est pas une âme, c’est un cœur.  (...).

Cent fois, cent fois, cent fois, j’en répète l’aveu,

J’aime ! Et Dieu me torture, et voici mon blasphème,

Voici ma frénésie et mon hurlement; j’aime !

J’aime à en faire trembler les cieux !
 Quoi, c’est en vain ! (...).

Ô misère sans fond ! Ecoutez ceci, sphères,

Etoiles, firmaments, ô vieux soleils, mes frères,

Vers qui monte en pleurant mon douloureux souhait,

Cieux, azurs, profondeurs, splendeurs, L’amour me hait !

«  Non je ne te hais point ! »

« Un ange est entre nous. Ce qu’elle a fait te compte.

L’homme, enchaîné par toi, par elle est délivré.

Ô Satan, tu peux dire, à présent : Je vivrai !

Viens; la prison détruite abolit la géhenne !

Viens; l’ange Liberté, c’est ta fille et la mienne.

Cette paternité sublime nous unit.

L’archange ressuscite et le démon finit,

Et j’efface la nuit sinistre, et rien n’en reste.

Satan est mort. Renais, ô Lucifer céleste ! ».

 

Dieu fit l’homme à sa ressemblance et lui donna la liberté. Dans le mythe hugolien, la liberté est l’ange qui relie Dieu et Satan. Elle est, par grâce, la parcelle de lumière épargnée dans la chute et l’ultime semence de salut. Nous aborderons bientôt la question fondamentale de la liberté humaine et c’est pour introduire cette réflexion que j’avais réservé jusqu’ici ces textes d’Hugo.

 

L’illumination de Krisnamurti.

Krisnamurti naît aux Indes en 1896. Il y est remarqué par Annie Besant, présidente de la Société Théosophique. Elle le présente en 1908, sous le nom d’Alcyone, comme une réincarnation actuelle du Christ ce qui scandalise beaucoup de monde et provoque le départ de Rudolf Steiner). Alcyone-Krisnamurti n’accepte pas longtemps ce rôle pesant. S’éloignant progressivement des Théosophes, il revient aux Indes et y enseigne une philosophie de haute teneur spirituelle, libre de toute spéculation surnaturelle ou métaphysique. L’homme authentique doit dépasser ce que les livres, les Maîtres, et la tradition lui ont apporté. Il doit construire lui-même sa propre vérité et résoudre ses contradictions par la sagesse, l’amour, la bonne conduite, le détachement, le réalisme, la libération à l’égard du Moi. Voici quelques extraits librement adaptés des causeries de J. Krisnamurti.        

 

1 - L’amour n’a pas de problèmes. C’est pourquoi il est si destructeur et si dangereux. La vie de l’homme est faite de problèmes, ces choses continues, sans solution. Sans eux, nous ne saurions que faire. Ils se multiplient donc sans fin. La solution de l’un donne naissance à un autre. La mort, bien sur, est la destruction, elle n’est pas l’amour. Ce n’est pas cette destruction là qu’apporte l’amour ni cette mort là. L’amour, la mort, la création, sont inséparables. On ne peut pas choisir l’un et refuser les autres. Cela ne s’achète pas dans les marchés ou les églises. Ce sont là les derniers endroits ou vous les trouverez. Mais si vous ne les cherchez pas, si vous n’avez pas de problème, plus un seul, alors, peut-être cela viendra-t-il, quand vous regarderez ailleurs. C’est l’inconnu. Tout ce que vous savez doit se consumer sans laisser de cendres. Le passé, riche ou sordide, doit être abandonné sans pensée, sans motif, comme cette fillette a lancé son bâton par dessus la berge, dans le fleuve. Brûler le connu est l’action de l’inconnu. (J. Krisnamurti, Delhi, Inde - 9/1/1962).

 

2 - Pour apprendre à me connaître il faut que je sois libéré de toute ma science passée. Autrement dit, apprendre à me connaître est une chose entièrement neuve d’instant en instant. (...). Je veux apprendre à me connaître, et ce moi, (la nouvelle conscience), est une chose vivante et non morte. (...). J’ai peur de perdre l’image que je me suis construite de moi-même (l’ancien ego), image qui est alourdie de science, image qui est une entité morte. Je sens que j’ai peur. Pourquoi ? Parce que je vois que je suis mort ! Je vis dans le passé et j’ignore ce que cela veut dire d’observer et de vivre dans le présent. (...). Je vois et j’ai peur.

(Krishnamurti - L’impossible question - Dialogue 1 - 2/8/1970).

 

3 - La sécurité est une chose qui n’existe pas. Ce besoin fébrile de sécurité fait partie de l’observateur, du centre, du singe. Et ce singe dans son agitation, la pensée, a morcelé le monde, en a fait un affreux chaos, a créé d’épouvantables tourments et des douleurs indescriptibles. Et la pensée, si intelligente, si érudite, si efficace qu’elle soit, est incapable de résoudre ces problèmes, de mettre de l’ordre dans ce chaos. Il faut qu’il y ait un moyen de s’en sortir, mais ce n’est pas par la pensée. (Krishnamurti - L’impossible question - Dialogue 7).

 

4 - La pensée est mécanique, c’est un processus matériel. La pensée est mesurable. L’intelligence ne l’est pas. Si la pensée n’a aucun rapport avec l’intelligence, la cessation de la pensée est-elle l’éveil de l’intelligence ? La pensée a inventé le temps. Elle se meut dans le temps. Elle se modifie avec lui et change de façon arbitraire. Elle est toujours un mouvement dans le temps. L’intelligence ne peut dépendre de conditions pour être vraie. Elle dépend du cerveau pour exister mais celui-ci ne la crée pas. Il faut que le cerveau soit silencieux pour qu’elle agisse. L’absence de silence signifie l’échec de l’intelligence. La pensée est mouvement continuel donc disharmonie. La pensée est un indicateur qui pointe vers l’intelligence, mais aussi vers la matière. En fait, en ce monde matériel, la pensée, le mental, l’intellect dominent le monde et laissent trés peu de place à l’intelligence. Lorsqu’une partie domine, l’autre ne peut que s’effacer. La pensée recherche sans cesse la sécurité et ne peut s’en passer. L’intelligence tend vers l’harmonisation progressive. Elle est elle-même sécurité et ne la recherche pas. Dans notre monde, le cerveau est devenu chaotique et bruyant.

 

L’intelligence ne peut se manifester dans un cerveau bruyant. La pensée doit être silencieuse pour que s’éveille l’intelligence. Tout mouvement de la pensée rend cet éveil impossible. La matière, la pensée, l’intelligence remontent tous à la même source unique d’énergie, mais comme trois fleuves de sens différents. La pensée est multiple, divisée et fragmentée. L’intelligence est une énergie non divisée. La source est là, non contaminée, sans mouvement, sans contact avec la pensée. L’intelligence peut comprendre comment fonctionne la pensée qui s’est construite en tant qu’instrument nécessaire de survie. Elle est incapable de contempler sa propre mort, c’est pourquoi l’unité a été rejetée.

 

Celui qui  s’imagine mort, se projette toujours vivant en se regardant mort. La pensée a commencé par désirer la continuité de l’organisme puis elle a désiré sa propre continuité. Elle a alors créé les images d’une illusion d’immortalité, un état au-delà de la mort, une projection de son désir de perdurer. Avec le temps, et s’appuyant sur la peur de la mort et la soif d’harmonie de l’intelligence, la force de la pensée a créé une image artificielle de Dieu, de Jésus, de Krishna, ou autre chose. En ayant foi en cette image dominante, on espère établir une sorte d’harmonie. La pensée est le plus souvent inconsciente, et l’inconscient refuse les tentatives de contrôle par le conscient. Beaucoup plus rapide que lui, il ne peut être atteint que par une action qui ne fait pas directement appel au conscient. La pensée doit être rétablie comme instrument au service de l’intelligence. N’écoutez pas l’autre avec des oreilles conscientes mais avec des oreilles plus profondes. Il n’y a que l’affection et l’amour. C’est cela qui agit, et rien d’autre.

( L’Eveil de l’Intelligence - Dialogue avec David Bohm - 7-10-72).

 

Comme on le voit, Krisnamurti rejette toutes les religions qu’il considère comme des erreurs. Il n’a pas de théorie, ne veut pas de disciples, et ne donne pas de conseils. Il se borne à poser des principes qui doivent permettre à chacun de se construire et d’aller le chemin de sa libération. Krisnamurti est mort en 1986.

 

La soif et la faim de Dieu sont irrationnelles.

 

Nous sommes, en cet instant, plongés dans une réflexion fondamentale. Les grandes différences entre les trois démarches précédentes démontrent que la religiosité est une réponse toute personnelle à un manque. Elle exprime la nécessité que ressent l’être d’assouvir une faim non satisfaite. Exprimée dans des formes différentes, cet  espoir, ou cette ressouvenance, d’un état de meilleure satisfaction semble être une caractéristique constante attachée à la nature humaine. Cherchant à rétablir un bonheur perdu, l’Homme-individu base ses convictions et les structures sociales de sa vie sur le type de religiosité ou de foi qui correspond à sa propre nature. Aprés tous les enseignements tirés du passé, nous constatons que ces trois démarches constituent également des illuminations, des flambées de connaissance. Elles éclairent un domaine caché réservé aux seuls humains conscients. L’éclaircissement de la conscience semble pouvoir provenir de plusieurs sources. Ainsi, trois moteurs très différents ont-ils fourni l’énergie nécessaire pour faire émerger ces trois révélations jusqu’au niveau d’expression consciente exprimable. Comme pour toutes les autres religions et philosophies, la diversité des contenus et des expressions démontre que les instruments mentaux utilisés pour faire passer l’illumination intérieure au niveau conscient ne sont pas très adéquats. A quel niveau de conscience notre être est-il donc assoiffé d’absolu ?

 

Nous savons que le corps met constamment en oeuvre des machineries variées qui remontent au début de l’aventure des vivants. Notre appareillage mental est également composé de divers mécanismes mis en place par l’évolution. De façon simplificatrice, on considère souvent trois niveaux, le cerveau reptilien, (le plus antique, dont le rôle est d’assurer le fonctionnement vital), le cerveau mammalien, (siège de l’affectivité et de la connaissance environnementale), le cerveau humain, (le plus récent, siège de la conscience raisonnable).

 Dans la vie courante, nous mettons mécaniquement en œuvre les plus anciens comme le faisaient nos lointains ancêtres, hors du champ de la perception consciente, inconsciemment, c’est-à-dire à notre insu. L’homme conscient est la forme actuelle, le dernier avatar de l’Homme total éternel. Les parties primitives qu’il intègre ne sont pas disparues dans les abîmes du temps. Elles sont seulement masquées par les couches récentes qui fournissent les facultés de cognition et de conscience. Les modes de fonctionnement propres aux avatars précédents sont enfouis dans le corps et dans le mental, d’autant plus profondément qu’ils sont plus antiques, d’autant plus loin du champ d’investigation de la conscience qu’ils sont plus anciens. Nous savons aujourd’hui que l’essentiel du fonctionnement mental est inconscient. Cela vaut aussi concernant la réponse à l’appel de l’Esprit, tant qu’elle reste bloquée dans une attitude mécanique inconsciente. Quel cerveau, quel outillage mental, l’Homme total utilise-t-il actuellement dans sa démarche de religiosité ?

 

Je n’engagerai pas ici l’étude du psychisme humain, d’autant que j’envisage d’en parler longuement ultérieurement. Je voudrais cependant vous prier de considérer les arguments qui suivent. Si la faim d’absolu, le manque de Dieu, montait du cerveau récent, de la couche intellectuelle consciente et raisonnable, les réponses humaines se présenteraient systématiquement sous une forme rationnelle, cohérente, relativement uniformisée. Ce n’est pas le cas, même si certaine doctrines peuvent paraître présenter ces qualités. Elles exigent toujours, quelque part, une adhésion irrationnelle à un article de foi à partir duquel est construit l’appareil intellectuel doctrinal.

 

La religiosité semble donc être une fonction nettement plus archaïque qui monterait du siège de l’inconscient, ou du cerveau affectif, voire même du cerveau limbique. Ces niveaux profonds ne perçoivent que des affects ou des sensations. Ils ne communiquent pas clairement avec le cerveau intellectuel tardif, et ne lui envoient que des flux d’images symboliques.

En sens inverse, il sont inaccessibles aux conclusions des raisonnements que l’intellect peut élaborer et réagissent à d’autres moteurs plus antiques. C’est pourquoi, lorsque nous cherchons à construire notre personnalité humaine, totale et véritable, (y compris dans sa dimension religieuse, c’est-à-dire en relation avec son origine), nous devons le faire à partir de ce fondement profond, antique et primordial. On peut aussi exprimer cela en disant que l’Esprit est secrètement entré dans l’Homme par le bas, par l’animal, et qu’il atteint seulement maintenant son intellect. C’est cette révélation, (ou cette prise de conscience), de l’involution de l’Esprit, ou descente initiale dans la matière et l’inconscience animale, puis de son évolution, ou lente remontée dans la conscience, qui peut être appelée Incarnation de l’Esprit.

 

Max Heinkel décrit la chose d’une façon très analogue. A ce niveau, on peut aisément comprendre que tous les efforts conceptuels pour atteindre la divinité par le haut, par la construction intellectuelle raisonnable, sont vains et voués à l’échec. En fait, la relation de notre soif d’absolu avec niveaux inconscients les plus archaïques de notre mental a des conséquences métaphysiques extrêmement importantes. La construction de l’Homme par l’évolution, y compris l’émergence de sa conscience et de son intelligence, résulterait alors de la réalisation d’un plan antérieur, étranger et extérieur, lequel atteindrait maintenant le point où ce moteur doit être activé. Cela signifierait que l’existence humaine a une cause qui a fixé son but au début des temps et de la vie, bien avant qu’apparaissent la corporéité et le conscient.

 

La prise de conscience qu’un plan surnaturel pourrait être en œuvre et nous impliquerait donc en tant qu’objet actif, prend une signification presque brutale. Ce choc résulte du contact inattendu avec le sacré. La tradition hébraïque a été amenée à traiter cet aspect, et le Livre du Zohar décrit les précautions que Dieu a du prendre en descendant au niveau de la matière pour accomplir sa création. Au-delà de ces descriptions théoriques, conceptuelles et imagées des littérateurs, il y a le vécu difficile du contact effectif avec le Tout-autre et surtout la perception expérimentale de la réalité de cette altérité sacrée absolue. Dés que le voile est soulevé, on comprend qu’on franchit un seuil sans retour et cela peut être effrayant car cette compréhension nouvelle apporte des conséquences irréversibles.

 

Le contact avec la sacralité véritable est redoutable.

 

Vous savez maintenant quel est l’objet de ce livre. Il contient d’abondantes données relatives aux religions et aux philosophies mais il n’est pas une encyclopédie ni une méthode ni un enseignement délivré par un gourou. C’est un témoignage, le récit du début d’un cheminement privé qui passait par l’acquisition et l’intellectualisation préalables d’un certain nombre de connaissances. Le chemin est toujours personnel et unique. Chacun doit trouver le sien. Et, lorsque vient le temps du choix, toute théorie doit être oubliée. 

 

Tout enseignement doit-être dépassé.

 

Bien évidemment, mon voyage n’est pas terminé. Le moment me semble pourtant propice pour commencer à bâtir. A partir de ce point précis, je vais donc radicalement changer de registre et de discours. Je déposerai les fruits de la raison, toutes ces connaissances amassées, utiles et inutiles, oubliant l’appris et gardant le compris. Libre maçon, en liaison, je l’espère, avec l’intelligence universelle, je travaillerai à la conception de ma propre cathédrale, ou plutôt de mon oratoire privé,  un temple personnel et sauvage à l’Esprit, et je vous invite maintenant à en partager la construction.

 

Un temple est un lieu de rencontre sacramentelle entre un homme et son dieu. C’est pourquoi ses bâtisseurs le veulent toujours grandiose et magnifique. Je propose de fonder celui-ci sur les innombrables démarches humaines visant à rencontrer l’Esprit, sur tous ces matériaux si précieux qui viennent d’être déposés. Compte tenu de l’avancement de la réflexion, il ne peut être question de choisir ou de juger des valeurs relatives des diverses croyances y compris celles portées par le Christianisme véritable dont le lecteur a du sentir la présence entre les lignes de chaque page. Nous les mettrons toutes sur le même plan. Sur l’argile de la matière et de la corporéité humaine, nous établirons simplement un assemblage de toutes les religions et philosophies du monde. Elles constitueront un immense pavement dont chaque dalle rayonnera sa révélation particulière. Chacun se tiendra sur celle qui lui convient, et tous ces pavés lumineux seront également joints par les qualités d’âme de leurs fidèles, les souffrances de leurs martyrs et les extases de leurs saints. Au dessus, s’étendra le sombre ciel de tous les mystères, étoilé de toutes les révélations à venir, et notre temple sera sans murs car nous le voudrons ouvert sur l’infini. Il sera surtout sans autel des sacrifices. Il y a déjà eu tellement de sang versé, tant d’horreur dont nous témoignons, tant d’êtres immolés, torturés ou mutilés, offerts en vain à toutes les idoles des hommes, dans tous les temps du monde, que le temple entier constituera, hélas, cet autel.

 

Alors, amis, nous tenant au sein de ce temple ouvert dans notre mental, non pas juges mais témoins, nous élèverons nos âmes vers l’image particulière de Dieu que nous avons construite dans notre pensée personnelle. Nous devrons aussi être ici très prudents. Si nous croyons très ardemment que nous sommes en vérité des Hommes-Images-de-Dieu, il devient possible que nous projetions, d’une certaine façon, notre Moi, l’image mentale que nous avons de nous-mêmes, sur celle que nous avons fabriquée de Dieu. Cette projection se traduit souvent par un concept étroit ou par une doctrine contraignante qui finit alors par nous ressembler. C’est comme cela que ce dieu imaginaire devient parfois guerrier, sanguinaire, oppresseur ou intolérant. Ce dieu théorique intangible et sa doctrine implacable sont des idoles.

 

Timor licentiae conturbat me.

( La peur d’une trop grande liberté me retient ).

 

Elle est terrible cette liberté de l’Homme qui peut donner à Dieu tout visage à la seule clarté de sa faible lumière intérieure. Il est infiniment plus commode de vénérer les idoles traditionnelles, reconnues par la société, et de se prosterner devant leurs sanglants autels. Refusant cette facilité, il reste pourtant évident que notre représentation de Dieu est toujours artificielle. Il nous faut donc assumer avec de grandes précautions cette sorte d’idole mentale indispensable à la pensée, et qui nous ressemble tant. Nous savons déjà que notre vie mortelle s’inscrit dans un plan qui nous dépasse. Nous avons quelque chose à comprendre et, pour cela, nous avons un cerveau. Nous avons un travail à faire et disposons des outils nécessaires. Nous sommes des acteurs impliqués et nous logeons dans ce corps animal une partie invisible du Dieu véritable. C’est cette parcelle, l’être intérieur, qui porte le projet divin. Il nous enfin faut jeter un regard clairvoyant sur la réalité matérielle de notre véritable nature. Eclairés par l’Esprit, nous voudrions nous tenir sur le pavé du temple comme des piliers lumineux reliant la terre au ciel. Hélas, notre noir héritage karmique nous barre le chemin, et nous restons simplement des animaux particuliers, sortes de singes christophores, réunissant, encloués l’un à l’autre, Lucifer et Satan !

 

Petits simiens chargés d’ancestrales caractéristiques animales, nous portons cependant la lumière spirituelle et nous avons conscience du travail à faire. En vérité, pour pouvoir nous tenir dignement sur le pavé du temple, nous devons briser la cristallisation de notre être intime et transformer à la fois notre humaine et simiesque nature et l’image intérieure que nous avons fabriquée de nous-mêmes. Dans cette attitude, nous retrouvons l’image symbolique proposée traditionnellement par les Rose-Croix, l’image de l’Homme écartelé entre la Chair et l’Esprit, la Croix sur laquelle il faut attacher la Rose de la renaissance. C’est ce que suggère aussi ce merveilleux psaume adapté de Paul Celan.

 

  La Rose, par dessus l’épine !

 

Personne pour nous reprétrir de terre et d’argile,

Personne pour bénir nos poussières, personne !

Loué soit-tu, Personne.

C’est pour l’amour de toi que nous voulons fleurir.

A ta rencontre, à ton encontre.

Un rien,

Nous le fûmes, nous le sommes, et nous le resterons,

Un rien en fleur, la rose du rien,

La rose de personne,

Rose au style lumineux comme une âme,

A l’étamine des cieux embroussaillés,

Et la corolle rouge

Du mot pourpré que nous chantons,

Par dessus,

Ô combien par dessus

L’épine.

En cas d’échec, l’observateur attentif sait bien que, dans l’ombre, d’autres animaux se préparent à nous relayer dans quelques millions d’années, au prochain jour de manifestation.

 

Si tu te transformes, la matière, elle aussi,

est obligée de se transformer.

(Gita Mallasz - Dialogue avec l’Ange).

 

Essayant de résoudre les questions insolubles posées par la raison sur l’origine, le devenir, le sens de la vie et de l’existence, l’Homme interroge le ciel. Le ciel ne répond jamais aux questions raisonnables et ne parle qu’à l’Homme qui n’a plus de questions. Le silence des espaces infinis est la seule réponse. La question est toujours mal posée par une raison qui cherche à combler son vide de savoir. Elle ne pourra jamais combler ce manque inéluctable de connaissance totale. Je t’interroge, Plénitude, et c’est un tel mutisme ! - (Saint John Perse).

 

Le Zoran, le grand Tout, reste mystérieux et inconnaissable. Lorsqu’on tente de l’approcher par la raison, on trouve seulement le vide, le chaos de la béance originelle. Hors la pensée, il n’y a rien pour alimenter la raison humaine, rien que ce vide effrayant que nous percevons. C’est la pensée créatrice qui peuple le vide. Notre univers matériel est la manifestation d’une pensée surhumaine. C’est pourquoi nous nous y sentons tellement étrangers. Lorsque nous laissons notre intelligence rejoindre la grande intelligence universelle, ce vide insondable et sacré s’emplit soudain d’un nombre immense de créatures et de toute la puissance qui les a créées. Tout autour de notre temple s’étend alors l’insondable océan de tous les possibles

 

Et le Serpent dit à la femme,

Si vous mangez du fruit de l’arbre

qui est au milieu du jardin,

vous ne mourrez point, vos yeux s’ouvriront,

et vous serez comme des dieux,

connaissant le bien et le mal. 

(Genèse - 3/4).

 

Les hommes, nous dit la Bible, enfant divins et créatures faites à la ressemblance de Dieu, sont comme des dieux, et ils engendrent des dieux et des mondes. Le chaotique océan des possibles attend leur pensée créatrice des genèses potentielles. Sous-dieux naissants, engendrés dans ce monde par l’Esprit, (dans l’acception du mot désignant la pensée du dieu créateur premier), les humains deviennent, peu à peu, adultes et autonomes.

 

Ainsi, par le pouvoir créateur de notre pensée, poursuivant inconsciemment une illusoire immortalité, nous devenons chaque jour plus capables de modeler l’argile plastique du Monde. Nous le faisons d’abord dans l’astral, son aspect invisible, puis dans la transformation ou l’organisation de la matière tangible et expérimentable, et même maintenant dans les propriétés et les destinées de nos propres corps biologiques. Inéluctablement, nous devrons choisir un jour de poursuivre cette recherche, ou décider de fonder notre véritable vie, notre propre domaine dans le royaume véritable et éternel du Père.

 

Denis de Rougemont a formulé cette éternelle tentation.

Tombé de l’Eternel, dit-il, Satan veut l’Infini.

Tombé de l’Etre, il veut l’Avoir.

 

La prise de conscience de cette obligation de choix entre l’Être et l’Avoir est assez terrifiante car les traditions ésotériques nous disent que nous avons déjà été placés, à l’origine, devant ce choix drastique.

 

Or le Nous, Père de tous, étant Vie et Lumière, enfanta un Homme semblable à lui, dont il s’éprit comme de son propre enfant, car l’Homme était très beau, reproduisant l’image de son Père, et Dieu lui livra toutes ses œuvres.

 

Alors l’Homme qui avait plein pouvoir sur le monde des mortels et les animaux sans raison, se pencha à travers l’armature des sphères, et il fit montre à la Nature d’en bas de la belle forme de Dieu.

 

La Nature sourit d’amour car elle avait vu les traits de cette forme merveilleusement belle de l’Homme se refléter dans l’eau, et son ombre sur la terre.

Pour lui, ayant perçu cette forme à lui semblable présente dans la nature et reflétée dans l’eau, il l’aima et voulut habiter là. Ce qu’il voulut, il l’accomplit, et il vint habiter la forme sans raison. (D’après  Hermès Trismégiste).

 

Face à l’éternelle tentation d’approprier le Monde, nous allons devoir utiliser le merveilleux privilège des adultes autonomes, le don de la liberté. Nous devrons sans retour choisir d’essayer de devenir dieu pour dominer matériellement la Terre, ou accepter de lâcher enfin notre frénétique emprise sur la matière et tenter de rejoindre hors de Terre le Royaume de l’Essence spirituelle.

 

La Terre n’appartient pas à l’Homme,

C’est l’Homme qui appartient à la Terre.

(Chef Seattle - Tribu Dewanish).

 

On pourrait croire que cette liberté de choix est difficile, nécessitant un grand effort de volonté. Ce n’est pas exact. Le chercheur doit seulement comprendre quel est son état réel. Ce n’est pas lui qui lutte, c’est la connaissance, la Gnose.

 

Dans notre temple universel, et, en cette acception, bien évidemment gnostique, témoins de la souffrance humaine cependant revêtus de la dignité restaurée de l’Homme éternel, nous tenant consciemment debout, non pas dressés par l’Ego à l’assaut du Ciel mais tournés par l’Esprit vers la Terre, nous ouvrons nos cœurs à la pluie d’amour de la grâce christique. Nous la recevons dans notre être total, corps de chair, âme de feu, esprit de lumière, et, ensemble, nous la répandons sur tous nos frères les hommes, partout dans le Monde.

 

Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu,

et que l’Esprit de Dieu habite en vous ?

(Paul. Corinthiens - 3/15).

 

Lorsqu’en ce point précis, j’ai décidé de poursuivre ma route, une notion nouvelle et soudaine m’est apparue. Le cheminement difficile est parfois parsemé de quelques dons rafraîchissants qui soulagent un instant la fatigue du pèlerin. Cette révélation bouleversante, inattendue et gratuite, était celle de la restitution de l’Innocence. Elle a remis à sa place relative et juste la précédente compréhension de l’importance de la Liberté primordiale. Elle semble être posée en relation binaire avec cette liberté qu’elle équilibre, un peu comme la notion de Grâce christique équilibre celle de la Force créatrice luciférienne.

 

Les deux voies parallèles, le courant dynamique, viril et conquérant, d’un coté, et la grâce féminine, offerte, acceptée et gratuite, de l’autre, semblent  correspondre aux Syzygies des éons gnostiques ou au schéma de l’arbre ésotérique des Sephiroh de la Kabbale. Et, conjointement à la restitution de l’Innocence originelle, une autre intuition apparait également, toute aussi nouvelle, émouvante et importante, qui est celle du retrait corrélatif de la charge karmique. Tout est soudain  immédiat et neuf à nouveau. A l’instant même, c’est le printemps du Monde, éternellement présent, hors du temps.

 

Si vous ne redevenez comme les petits enfants,

vous n’entrerez pas dans le Royaume.

 

Ainsi, conduits par la main sur le difficile chemin d’élévation qui mène de la Chair à l’Esprit, pas à pas vers le Royaume, de faute en faute vers l’Innocence, de vie en vie vers l’Eternité, corps aprés corps vers l’Indestructible, de fragment en fragment vers la Vérité, et nous remémorant les toutes dernières paroles de Goethe agonisant, Mehr Licht ! (plus de lumière), nous avançons lentement, les uns avec les autres, vers la découverte de notre véritable identité divine progressivement révélée.

Amis, nous allons maintenant nous quitter, mais il nous faut un instant penser au lecteur ingénu qui pense s’être fourvoyé par hasard dans ce livre, nous suivant jusqu’ici par curiosité ou par gentillesse. A cet homme encore inconscient de sa qualité cachée mais pourtant déjà chargé de lumière spirituelle et porteur lui-aussi du Christ intérieur, au chercheur inquiet quêtant toujours éperdument en ce bas monde la chaleur et l’amour, la lumière et le sens de la vie, il convient peut-être de rappeler maintenant l’antique message laissé dans le temple de Saïs par la fille d’Atoum, le dieu solaire primordial et créateur, (à la fois Tout et Rien, Être et Non-être), afin de lui redire les lumineuses paroles de l’aimable déesse, image symbolique et éternelle de la Grande Mère de tous les vivants.

 

Le fruit que j’ai engendré, disait Isis, est le Soleil !

 

T

able des Matières.

 

 

 

Introduction.                                                                9

Chapitre 1 - Les Eaux du Fleuve.                                 23

L’espèce humaine et les cavernes. (Des fossiles à Lascaux).

 

Chapitre 2 - Les Rayons ardents du Soleil.             69

Hommes des steppes et d’Egypte. (De l’âge de Glace à Alexandrie).

 

Chapitre 3 - Comme des Flambeaux dans la Nuit.121

Autres civilisation antiques, Mésopotamie, Grèce, Inde, Chine, etc 

 

Chapitre 4 - Le Phare ruiné d’Alexandrie.            175

Religions à Mystères et Proto-Christianisme..

 

Chapitre 5 - Ombres et Lumières.                          225

Les sauveurs Grecs, Egyptiens, Iraniens, Gnostiques, Hermétistes. etc..

 

Chapitre 6 - Une Soif Inextinguible.                       277

Analyse d’ouvrages théosophiques ou ésotériques modernes

 

Chapitre 7 - Liberté et Innocence.              319

Expérimenter la pensée ésotérique ou gnostique dans le Monde actuel. .

 

Table des Matières.                                                     353

 

Bibliographie.                                                              3541

 

 

 

B

ibliographie sommaire.

 

 

ALEXANDRIAN -  Histoire de la philosophie occulte.

Camille ARAMBOURG      -  La genèse de l’humanité.

Roger BEGEY                       -  L’homme Initiatique.

H.P. BLAVATSKY              -  Isis dévoilée.

                                               -  La Doctrine Secrète...

                                               -  La Voix du Silence.         

Yves BONNEFOY               -  Dictionnaire des Mythologies.

BRETON -PAUWELS        -  Les grands illuminés.

Samuel BUTLER  -  Dieu Connu, Dieu Inconnu.

Alexis CARREL                   -  L’homme, cet inconnu.

André CHALEIL                 -  Les grands initiés de notre temps.

Jean CHALINE                    -  Paléontologie des vertébrés.

J-F. CHAMPOLION            -  Panthéon Egyptien.        

Pierre CHASSARD             -  Heidegger,  l’être pensé.

Paul CONTE                         -  Le Graal et Montségur.

Ioan COULIANO                -  Les gnoses dualistes d’aoccident.

Bernard DELAFOSSE         -  La part à Dieu.

Christine DESROCHES - NOBLECOURT

                                               -  Le Style égyptien.

Maître ECKART         - Commentaires sur le prologue de  Jean                                      

Edward EDINGER               -  La création de conscience. 

R. Eisenman & M. WISE    -  Les manuscrits de la mer Morte                             révélés.

Louis-Henri. FOURNET     -  Tableau synoptique de de l’Histoire du Monde.

Erich FROMM                     -  Vous serez comme des dieux

Dr. J.FURSAY                      -  La Chute des Idoles.

Vladimir GRIGORIEFF        -  Mythologies du monde entier.

Pierre GRIMAL                    -  La Mythologie grecque.

Roger GUENON²                 -  Mélanges.

A.-L.GUYOT                        -  La flore terrestre.

Max HEINDEL                     -  Cosmogonie des Rose-Croix.

Victor HUGO                        -  Oeuvres complètes.

Jean HUREAU                     -  L’Egypte Aujourd’hui.

HYPATIES                           -  Etre vivant.

IDRIES SHAH                     -  L’éléphant dans le noir & autres textes Soufi.

JAMBLIQUE                       -  Les Mystères d’Egypte.

C.G. JUNG                            -  Dialectique du moi et de                                l’inconscient.

                                               -  Mysterium conjunctionis.

Samuel Noah KRAMER     -  Le Berceau de la Civilisation.

J. KRISHNAMURTI           -  L’éveil de l’intelligence.

                                               -  Carnets.

                                               -  L’impossible question.

Jean-Yves LELOUP            -  Manque et plénitude.

Jacques LENTIER               -  La Théosophie.

Robert LINSSEN -  Le Zen.

Jean MARKALE                 -  Le Graal.

Fernand NIEL                      -  Connaissance des mégalithes.

Jean Louis NOU                  -  Mémoires d’Euphrate et d’Arabie.

K. PETERSEN                      -  Les animaux préhistoriques.

Cecil  A. POOLE -  Le mysticisme, expérience ultime.

Henri Charles PUECH         -  Histoire des religions.

Jan Van RIJKENBORGH    -  La Gnose Egyptienne.

Xavier SALLADIN             -  Le monde n’est pas malade, il enfante.

Edouard SCHURE               -  Les grands initiés.

Rudolf  STEINER                -  Macrocosme, Microcosme.

                                               -  Théosophie.

                                               -  Chronique de l’Akasha.

                                               -  Anthroposophie, Cosmosophie.

SEDIR - (Yvon Le Loup).   -  Histoire des Rose-Croix.

TEILHARD  du CHARDIN

                                               -  L’hymne de l’univers.

Jean TONDRIAN                -  L’occultisme.

A. TREMOLIERES              -  La vie plus tétue que les étoiles.

Peter UCKO & Andrée ROSENFELD

                                               -  L’Art Paléolithique.

VULLIARD                          -  Sifra Ha-Zohar.

John WAECHTER              -  L’Homme dans la Préhistoire.

Jacques WEISS                   -  La Cosmogonie d’Urantia.

Hildegunde WÖLLER        - Vivre le Christ intérieur.

 

 

 

 

 

 

 

Et tous les autres, avec une mention toute particulière pour les revues

LA RECHERCHE,  POUR LA SCIENCE,

et LES DOSSIERS DE L’HISTOIRE.

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Les poèmes non référencés sont de l’Auteur.

 

 

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