PAR LES
MATINS D'ARGENT
Aubade
Sous la brise qui chiffonne
De l'onde le frais satin;
Le bouleau d'argent frissonne
Au clair matin.
L'oiselet qui chante
M'enchante.
Voici le jour,
Levez-vous, brunette,
Coquette,
Voici l'amour.
Déjà le ciel est tout rose,
Dans les prés le papillon
Lutine la fleur éclose
Dans un rayon.
Le mont sous l'aurore
Se dore.
Voici le jour.
Levez-vous, ma mie
Chérie
Voici l'amour.
Au gué suivant sa bergère,
Et secouant son grelot,
La chèvre blanche légère
Passe le flot.
Voici le soleil
Vermeil,
Voici le jour.
Levez-vous, ma belle
Cruelle.
Voici l'amour.
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Matines
Entre les arbres, dans l'ombre,
Une blancheur apparaît.
Le ciel est déjà moins sombre,
C'est l'aube dans la forêt.
Dans l'antique monastère,
Frère Jacques, vieux et las,
Quitte sa cellule austère,
En traînant un peu le pas.
Sous les arcades disjointes,
Qui tremblent au moindre choc,
Il avance, les mains jointes
Dans les manches de son froc.
En la vieille tour branlante
Dont on voit le toit pencher,
Il hausse sa main tremblante
Vers la corde clocher.
En cascades argentines
Le carillon réveillé
Chante, appelant aux matines
Le novice ensommeillé.
A la voix qui les appelles
Entre les murs du couvent,
Les moines à la chapelle
Se rendent d'un cœur fervent.
Et l'on entend voltiger
Ainsi qu'un oiseau sautille,
Des cloches le chant léger
Qui dans les aires s'éparpille.
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Les nids
Aux matins transparents, les nids chantent l'aurore.
Dans les midis joyeux, ils chantent le soleil,
Et quant au soir tombant, la campagne se dore,
Les nids chantent encor l'adieu au jour vermeil.
Les nids chantent l'avril quand le printemps murmure,
Dans l'été triomphant, les nids chantent l'essor.
Ils sont le cri vibrant de toute la nature,
Quand rayonne et sourit un ciel d'azur et d'or.
Les nids en un concert célèbrent la lumière,
De la création, ils chantent la beauté.
Et le cri de l'oiseau ainsi qu'une prière,
Monte en hymne éperdu vers la divinité.
Les nids chantent l'amour à l'âme solitaire,
Au cœur désabusé, les nids chantent l'espoir,
En murmure très doux, comme une source claire,
Qui coule sur la mousse en un bois triste et noir.
En quelque sombre jour, bien loin des vertes plaines,
Bien loin des purs sommets, le destin vous bannit,
Dans une rue obscure aux fétides haleines,
Là, sous un très vieux toit, gazouille encor un nid.
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Boutons de roses
Dans le jardin fleuri que la lumière dore,
Chante et rit au soleil une enfant au front pur.
Elle va, vient, bondit, fuit et revient encore,
Enivrée de parfums, de rayons et d'azur.
Soudain sa course folle aux bonds désordonnés
La conduit, frémissante, au parterre de roses,
Et la fillette brune aux grands yeux étonnés
S'arrête émerveillée devant les fleurs mi-closes.
Sous le rayon doré à, la chaude caresse,
Une rose s'entrouvre, avide de tendresse.
Un brillant papillon autour d'elle tournoie.
Trop vite épanouie au soleil qui flamboie,
Elle donne son cœur à l'insecte frivole.
Hélas ! L'amour s'enfuit, le papillon s'envole.
D'autres amants viendront, s'en iront, tour à tour,
Sans guérir le regret de son premier amour,
La laissant simplement plus meurtrie et plus lasse.
Et puis le ciel trop lourd se charge de menace,
D'un orage assombri l'orage qui s'élance
Frappe brutalement la rose sans défense,
La laisse pantelante, encor plus affaissée,
Se penchant vers le sol, solitaire et blessée.
Ensuite un limaçon à la bave hideuse
Va, traînant son corps lourd sur la fleur radieuse.
Souillée, déjà flétrie, encore parfumée,
S'effeuille lentement la corolle embaumée..
Enfin, c'est, vers le soir, l'écroulement subit
Des beaux pétales d'or, de neige ou de rubis,
Que dans un jeu cruel et fou, la brise emporte.
Sous un souffle léger la belle fleur est morte
Exalant en parfum sa toute petite âme.
C'est la vie d'une rose, et celle d'une femme.
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Au long des Marronniers
Au long des marronniers coiffés de neige rose,
Le clair avril qui pare de fleurs les sentiers,
Murmure la chanson, timidement éclose,
Du printemps qui sourit le long des marronniers.
Ils bordent les remparts de la petite ville,
Fière de son église et de ses vieux quartiers.
Souvent le soir venu, quelque rêveuse fille,
Promène sa beauté le long des marronniers.
Á l’heure du salut, quand les dévotes prient,
Par les marches de pierre aux étroits paliers,
Monte une robe claire, et les vieilles sourient,
Á l’amour qui s’annonce au long des marronniers.
Elle reste immobile un instant, et songeuse…
Mais on entend des pas dans les vieux escaliers,
C’est lui ! Son cœur s’émeut, elle sourit, heureuse,
Au bonheur qui s’en vient au long des marronniers.
Les amants, dans l’extase où leur être frissonne,
Échangent des serments, peut être les derniers…
Le soir tombe.la cloche au vieux beffroi résonne…
Un baiser vient de naître au long des marronniers.
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Opale
Voici l'aube qui nait dans la brume tremblante,
Le ciel d'un gris très tendre a de roses reflets,
Et la mer est laiteuse, et la vague est changeante,
Et des lueurs se jouent sur les pâles galets.
Une enfant aux yeux purs apparait sur la grève,
Une robe de neige encadrant sa beauté.
En face de la mer, immobile elle rêve..
Et son cœur tremble un peu devant l'immensité.
Et puis elle sourit au doux ciel ingénu
Qui d'un reste de nuit conserve un brouillard vague.
Elle avance rieuse, et son petit pied nu
Effleure en frissonnant l'ourlet blanc de la vague.
Soudain la robe tombe, et le temps d'un éclair,
Comme une statue blanche, elle dresse splendide
Sa chaste nudité devant l'horizon clair...
Et puis saute, joyeuse, au sein du flot limpide.
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Jardins d'avril
Ô frais jardins d'avril, que j'aime votre charme,
Lorsqu'une averse même a mouillé vos buissons
Et qu'à chaque rameau se balance une larme,
Et que le pêcher rose est tout plein de frissons.
Jardins en féerie lorsque la gelée blanche
Couvre de pierreries les feuillages tremblants,
Diamante les fleurs, et suspend à la branche
Des broderies d'argent aux fils étincelants.
Doux jardins de printemps peuplés de violettes
Où l'on voit tout à coup descendre en un rayon,
Chef d'œuvre délicat d'invisibles palettes,
Comme une fleur ailée, le premier papillon.
Jacinthes embaumées aux fleurs de porcelaine,
Beaux narcisses dorés, tulipes de satin
Balancent leurs fronts lourds à la brise de plaine
Qui vient jusqu'au parterre aux heures du matin.
Que vous avez de grâce, ô jardins de jeunesse,
Où la nature vibre après un long sommeil
Quand la première fleur sourit sous la caresse
Du premier chant d'oiseau et du premier soleil.
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Le chevrier
L'Alpe étincelle et brille à la naissante aurore,
Qui de ses rayons d'or traverse la forêt.
Le sapin triste et noir à leur clarté se dore,
La montagne sourit au soleil qui paraît.
Vers le petit vallon monte un chant de clarines.
Des chèvres le troupeau débouche du sentier,
Et capricieusement court aux herbes alpines
A grand peine suivie d'un jeune chevrier.
Cependant qu'alentour les chèvres s'éparpillent
Il s'étend sur la mousse, et le front dans la main,
Songe sous le ciel pur, quand soudain ses yeux brillent,
Voici venir son rêve au détour du chemin.
Elle a le teint de lis et la lèvre de fraise,
En son visage fin de doux yeux de bleuet.
Elle porte à son front la coiffe tarentaise,
Elle semble une reine, et vit dans un chalet.
Gracieuse elle approche, elle sourit et passe..
Et le jeune berger écoute longuement
le bruit du pas léger qui décroît et s'efface
Et puis rêve au regard couleur de firmament.
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Chanson blanche
Dans le berceau le chérubin sommeille,
Mais sur son front un nuage a passé.
Dors sans péril, mon fils, ta mère veille,
Que de ton cœur m'effroi soit effacé,
Que, tout-puissants, caressant ta paupière,
Les doigts légers du sommeil triomphant
D'un songe pur ainsi qu'une prière
Anges du ciel, enchantez mon enfant.
Dans le berceau, maintenant il s'éveille,
Mais brusquement, des pleurs brûlent ses yeux,
Sous le chagrin pâlit sa joue vermeille,
S'évanouit son sourire joyeux.
Bébé résiste aux baisers de sa mère,
Tout mon amour, hélas, est impuissant
Pour apaiser cette douleur amère
Anges du ciel, consolez mon enfant.
Et le berceau, maintenant s'ensoleille,
Sur chaque chose éclot un rayon d'or.
Bébé, ravi, croit que tout est merveille
Et radieux veut prendre son essor.
Sur son front pur mettez votre lumière
Et devant lui votre bras qui défend.
Parfois trop faible est le cœur d'une mère,
Anges du ciel, protégez mon enfant.
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Les hirondelles
En avril, quand de fleurs écloses
Le jardin se peuple à nouveau,
Et qu’en les êtres et les choses
Vibre l'ardeur du renouveau.
Une troupe d'oiseaux paraît
Dans un joyeux battement d'ailes
Et c'est le printemps qui renaît
Quand reviennent les hirondelles.
De longtemps, Colin, sans espoir,
Aimait la elle Marjolaine,
Sans oser le dire, et ce soir,
Il la rejoint à la fontaine..
Il lui parle, et plonge ses yeux
Au fond des limpides prunelles..
Les garçons sont plus audacieux
Quand reviennent les hirondelles.
Il flotte un parfum de jeunesse.
Au ciel on voit plus de rayons.
Les fleurs s'ouvrent sous la caresse
De l'aile d'or des papillons.
La nature chante et sourit,
Toutes les femmes sont plus belles.
En les cœurs l'amour refleurit,
Quand reviennent les hirondelles.
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1938 – Fernand Prévost
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